[HUGO] Juliette DROUET (1806-1883)
Lettre autographe signée « Juliette » à Victor Hugo
[Paris], 16 avril [1847], 4 pp. in-8°
« Je passe ma vie à vous désirer, à vous regretter et à trembler »
Fiche descriptive
[HUGO] Juliette DROUET (1806-1883)
Lettre autographe signée « Juliette » à Victor Hugo
[Paris], 16 avril [1847], 4 pp. in-8°
Jolie lettre de jalousie à son amant dans laquelle Juliette fait notamment allusion au service militaire de Charles Hugo
« vendredi après-midi, 3 h. ¾
À quoi pensez-vous donc, vieux chinois, de ne pas venir plus vite que ça ? Je vous attends cependant et je vous désire encore plus mais cela ne vous presse pas davantage. Où êtes-vous ? Que faites-vous, à qui faites-vous les yeux doux et pour qui faites-vous votre bouche en bâton de chaise ? Prenez garde que je ne vous surprenne, vieux scélérat ! Pourvu que vous ne vous soyez pas donné le genre d’aller à la Chambre sans me prévenir ? Voilà qui me surprendrait peu agréablement. Je passe ma vie à vous désirer, à vous regretter et à trembler, cette trilogie n’est pas du toujours amusante, je vous prie de le croire. Il y a même beaucoup de moments où elle est très embêtante1. Il est vrai que par compensation ils sont dans l’album. Oui c’est assez drôle j’en conviens mais j’ai le mauvais goût de ne pas m’en contenter même lorsqu’il a crié quand il m’a mordu. Après cela je comprends que la MAIRIE, Chaumontel et l’affaire de Charles qui est moins simple que jamais, la garde nationale, son auguste famille les CARABINIERS2. Tout cela, bien mêlé ensemble et chauffé au bain marie-Ménessier3 dans un seau4 d’eau de pompe et deux ou trois pavés de Fontainebleau, fait une petite scie moelleuse et endormante qui ne manque pas d’un certain charme. Seulement il n’en faut pas prendre trop souvent et à dose que veux-tu de peur d’en user l’effet. Voime, voime5, voilà mon opinion.
Juliette »
Deux lettres du 16 avril 1847 nous sont aujourd’hui parvenues. Celle-ci est écrite de l’après midi. D’un style parfois décousu, Juliette y joue avec les sonorités, caractéristique de son esprit et dont seul Victor Hugo pouvait en saisir toutes les subtilités.
[1] « ambêtante »
[2] Le 28 avril 1847, Hugo « achète » 1100 F. un remplaçant pour le service militaire à son fils Charles, dont le numéro a été tiré au sort. Ce remplaçant s’appelle Adolphe Grangé. Pendant les semaines qui précèdent, s’activant pour trouver une solution, il se rend fréquemment à la mairie pour tâcher de résoudre le problème administratif. Pendant toute cette période, il s’excuse auprès de Juliette Drouet de ses retards ou absences en invoquant « l’affaire de Charles », qui, dit-il, ne l’amuse guère. Juliette Drouet reprend ironiquement ces arguments lorsqu’elle se plaint des retards ou absences de Hugo, alléguant à son tour « la mairie », « l’affaire de Charles » puis « le carabinier de Charles », qu’elle met souvent sur le même plan que « l’affaire Chaumontel », pour laisser entendre qu’elle n’est pas dupe des bonnes excuses invoquées par Hugo. Grangé inspire à Hugo le personnage de Grantaire dans Les Misérables.
[3] Il s’agit de Marie Ménessier-Nodier, femme de lettres, fille de Charles Nodier et épouse de Jules Ménessier. Il semble ici que Juliette soit jalouse de celle-ci, d’où le jeu de mots “bain-marie” dont elle file la métaphore, et les allusions aux excuses que lui fournit Hugo pour justifier ses retards et ses absences.
[4] « sceau »
[5] Le sens de cette expression reste obscur. Sa récurrence contextuelle laisse à penser qu’elle pourrait signifier « regarde-moi » (« vois me »), ou bien « ah oui vraiment », entre « voui… voui… », « mouais… mouais… » et notre actuel « wouaouh ! ».
Provenance :
MLM, n°71956
Bibliographie :
Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo – ISSN : 2271 – 8923 (Florence Naugrette)