SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)
Manuscrit autographe en premier jet
S.l.n.d. [c. 1957-1959], 33 p. in-4° sur papier quadrillé, à l’encre bleue
« Une machine est un monstre »
Fiche descriptive
SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)
Manuscrit autographe en premier jet
S.l.n.d. [c. 1957-1959], 33 p. in-4° sur papier quadrillé, à l’encre bleue
Nombreuses ratures, caviardages et corrections. Certaines pages ne sont pas entièrement remplies, ce qui est caractéristique de la technique de rédaction de Sartre qui passe à une autre page à la première rature ou après un repentir d’idée
Quelques déchirures et marges effrangées (sans manque de texte), brunissures marginales, brûlure de cigarette sur un feuillet
Manuscrits préparatoires inédits pour l’ouverture de Critique de la raison dialectique, l’une des œuvres philosophiques majeures de Sartre marquant son affirmation marxiste
« Nous avons vu que le monde humain était tout entier matériel dans la mesure où à l’intérieur de ce monde, la matière est tout entière humaine »
Provenant des collections Sickles et Broca
Extrait des brouillons préparatoires à la Critique de la raison dialectique, le présent corpus se scinde en quatre mouvements distincts :
-Un bilan de 5 feuillets sur la philosophie de la praxis comme philosophie dialectique mettant en relation l’homme et l’extériorité, et dégageant trois rapports de la totalisation à l’être :
« L’ordre de la connaissance était l’inverse de l’ordre de la praxis. Mais ce n’est qu’un moment qui n’a, par lui-même, aucune suffisance. Il s’agissait seulement de déterminer les pouvoirs et les limites de la raison. Mais si l’on abandonne la connaissance critique pour le dévoilement constructif, c’est l’ordre de l’être et de la praxis qui s’impose. Si je veux préciser la nature de l’expérience dialectique, je dois partir du philosophe ou du savant lui-même et déterminer les liens formels qui les unissent à d’autres hommes dans une société déterminée : je n’acquiers rien d’autre, alors qu’une connaissance de l’outil, de la méthode […] »
-Quelques fragments d’analyses (en tout 8 feuillets) sur le sacré et les sociétés primitives, le rôle du chef, puis le statut de l’idée et son enracinement dans le besoin et la praxis. :
« Le chef est matérialité-sujet : ce n’est pas la personne, en lui, qui est matérialité ; c’est la matière qui se fait personne. Car c’est en son être que réside l’unité et chacun lui obéit en tant que c’est cette unité matérielle qui commande et non pas la subjectivité qui l’anime. Le chef est un fétiche […] »
– Un mouvement de transition, de 7 feuillets, sur la question de la dialectique matérialiste :
« Nous avons touché le fond : nous avons redécouvert la relation primitive de l’homme du besoin avec la matière et, par sa médiation, avec les autres hommes. Nous avons retrouvé ces deux rapports détotalisés : le lien de l’entreprise à la matérialité, le lien de réciprocité entre les hommes et nous avons vu l’un et l’autre dans leur liaison susciter la trinité et le mouvement de l’intégration. En même temps, cette régression nous a situés vous qui lisez et moi qui écris, comme des intellectuels dont les rapports avec la matière sont médiés par les classes travailleuses, bien qu’ils soient conditionnés en tout par la matérialité. Nous avons vu que le monde humain était tout entier matériel dans la mesure où à l’intérieur de ce monde, la matière est tout entière humaine […] ».
Ce passage développe une critique de la « dialectique de la nature » : elle « demeure aujourd’hui une rêverie métaphysique et sans fondement ».
-Un mouvement de rédaction sur La machine et ses conséquences, développé sur 7 feuillets :
« Une machine est un monstre : ce système mécanique est déjà beaucoup plus qu’un « matériau », même usiné, puisqu’il a une fin, un avenir, un sens totalisé. Dans une société donnée, dont les structures et les institutions, en tant que pratiques matérialisées, donnent au machinisme son statut, par exemple dans la France bourgeoise de 1830 qui importe prudemment les machines anglaises, l’ouvrier passe à l’inessentiel et la machine affirme son essentialité […] »
L’un des feuillets propose un plan, visant à préciser la nature de la dialectique : « en son cœur : l’idée de totalité totalisante »
On retrouve dans cet ensemble des analyses proches de celles conduites dans l’Introduction, section B, « Critique de l’expérience critique » (Critique de la raison dialectique, Gallimard, 1985, p. 159 sv.). D’autres passages se rattachent à l’ouverture du Livre I, « De la praxis individuelle au pratico-inerte », A : « De la praxis individuelle comme totalisation » (Id., p. 193 sv.).
Ces pages ont sans doute été écrites dans le mouvement qui a suivi la rédaction de Questions de méthode, rédigé fin 1956-début 1957 (paru initialement en revue en 1957 puis republié avec la Critique). On peut dater les présents feuillets entre 1957 et 1959 avec quasi-certitude.
Critique de la raison dialectique parait chez Gallimard en 1960.
Provenance :
Littérature du XXe siècle [Bibliothèque du colonel Daniel Sickles], Drouot, 15 juin 1983, n°477
Puis collection B. & R. Broca