CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)
Lettre autographe signée « Destouches » à Évelyne Pollet
Paris, 14 sept. 1933, 2 p. in-8° à l’encre noire
« Je vois que vous finirez par connaître le Voyage par cœur. Moi je ne l’ai jamais relu et ne le relirai jamais. Je trouve tout cela ennuyeux et plat à vomir. »
Fiche descriptive
CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)
Lettre autographe signée « Destouches » à Évelyne Pollet
Paris, 14 sept. 1933, 2 p. in-8° à l’encre noire
En-tête du Pigall’s Tabac
Petite décharge d’encre en marge supérieure de la première page
Pliure centrale inhérente à la mise sous pli d’époque
Discours à Médan en hommage à Zola et traduction du Voyage au bout de la nuit
« Juste cieux je n’aime pas du tout Zola, alors je parlerai de moi-même mais je n’aime pas beaucoup non plus »
Quand Céline admet ne « jamais vouloir relire » son Voyage, l’un des plus grands textes de la littérature française du XXᵉ siècle
« Chère Amie,
Vous voici toute stimulée par le changement de domicile. Je vous vois partie pour de longs romans. Certainement j’irai à Anvers en décembre, pas avant. Je ne puis plus m’absenter cette année. Je me suis assez ennuyé en Bretagne et au surplus je n’étais pas très bien. Il faut encore que je parle sur Zola le 1er octobre et voilà qui m’achève. Pour faire plaisir à Descaves et à ses amis. Juste cieux je n’aime pas du tout Zola, alors je parlerai de moi-même mais je n’aime pas beaucoup non plus. Tout cela est bien ennuyeux. Tout Paris parle de l’Affaire Nozières¹ [sic]. Il va y avoir dans l’ombre des incestes en masse. Cet été n’en finit pas. Je n’aime pas le soleil. On s’en doute un peu. Le Voyage va être traduit en hollandais.
Je reprends samedi mon dispensaire². Tout cela est une telle farce !
Je vois que vous finirez par connaître le Voyage par cœur. Moi je ne l’ai jamais relu et ne le relirai jamais. Je trouve tout cela ennuyeux et plat à vomir. C’est curieux que tout ce cabotinage finisse par séduire le lecteur. Je crois qu’il a envie d’en faire autant. Tout es là. Enfin on se connaît mal. Nous sommes recouverts d’immondices civilisés. N’oubliez pas de me donner votre nouvelle adresse.
Amicalement
Destouches »
Le discours de la rupture :
Lucien Descaves sollicite son ami Céline à l’été 1933 en vue d’un discours de ce dernier en hommage à Zola, au pèlerinage annuel de Médan. Céline ne manifeste pas une grande admiration pour l’écrivain naturaliste et c’est par amitié pour Descaves qu’il accepte. C’est donc devant un public composé du tout Paris littéraire et autres notables que l’écrivain prend la parole, le 1er octobre 1933. Alors que les discours prononcés jusqu’alors restent dans le registre attendu de l’hommage, l’intervention de Céline tranche radicalement et provoque le scandale. L’assistance ignore tout du contenu de son allocution. L’écrivain, maîtrisant déjà parfaitement la mise en scène de son personnage public, choisit le contre-pied et donne la parole à Ferdinand Bardamu, le héro du Voyage. Il le laisse par ailleurs sous-entendre à demi quand il dit : « Juste cieux je n’aime pas du tout Zola, alors je parlerai de moi-même ». Céline livre à travers Bardamu une vision sombre et profondément critique de la société française contemporaine. Si le discours commence par un authentique hommage au père des Rougon-Macquart, il laisse rapidement transparaître toute la désillusion caractéristique de l’univers célinien. L’écrivain marque une césure définitive avec le naturalisme zolien, la Grande Guerre ayant discrédité les espoirs modernistes fondés sur le progrès scientifique et l’avènement d’une société plus juste. Céline enterre la fin de l’héritage naturaliste porté par Zola.
La traduction du Voyage :
Paru l’année précédente, Voyage au bout de la nuit avait fait sensation et propulsé Céline au-devant de la scène littéraire parisienne. Déjà traduit dans plusieurs langues, il donne des gages à son traducteur hollandais J.A. Sandfort dans une lettre du 10 septembre , exigeant de lui que son texte soit traduit in-extenso : « à aucun prix une réduction du Voyage. Je n’en veux pas, ni du quart, ni d’une page, ni d’une ligne […] », et d’ajouter « Il existe déjà 10 traductions étrangères de ce livre toutes absolument intégrales » (Lettres, n°3393).
1- Violette Nozière (1915-1966), 18 ans à peine, est arrêtée, accusée d’avoir empoisonné ses parents. Si sa mère a pu être réanimée, son père n’a quant à lui pas survécu. Bien que s’étant constituée partie civile, la mère fini par pardonner à sa fille. Condamnée à mort le 12 octobre 1934 – peine commuée en réclusion à perpétuité le 29 août 1945 – Violette Nozière bénéficie d’une libération anticipée le 29 août 1945.
2- Céline s’essaie à l’exercice libéral de la médecine en ouvrant en novembre 1927 un cabinet à Clichy, qu’il ferme rapidement faute de clientèle. Il finit par être engagé comme médecin de banlieue au dispensaire de Clichy, dirigé par Grégoire Ichok. Le docteur Destouches remet sa démission à la municipalité communiste de Clichy le 10 décembre 1937.
Née à Anvers en 1905, Évelyne Pollet prend l’initiative d’écrire à Céline après sa lecture du Voyage au bout de la nuit, jusqu’à le « connaître par cœur ». Il se rencontrent au mois de mai 1933 et deviennent amants. Elle écrira en tout huit romans et recueils de nouvelles, dont un récit romancé de sa relation avec Céline, écrit en 1942 et publié en 1956 sous le titre Escaliers (La Renaissance du livre). Évelyne est le prénom de l’héroïne La Naissance d’une fée, premier des trois ballets de Bagatelles pour un massacre.
Provenance :
Coll. particulière
Bibliographie :
Lettres, éd. Henri Godard et Jean-Paul Louis, Pléiade, 2009, n°33-94 (transcription fautive sur un mot)