HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)

Carte autographe signée « GHuÿsmans » à André Godard
Ligugé, 5 juillet 1901, 2 p. in-12°

« Une fois les moines partis d’ici, je ne me vois guères y séjournant et la perspective de rentrer dans la bagarre n’a rien qui m’allèche »

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Fiche descriptive

HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)

Carte autographe signée « GHuÿsmans » à André Godard
Ligugé, 5 juillet 1901, 2 p. in-12° l’encre noire, d’une écriture serrée
Papier fort, tranche dorée
Enveloppe autographe, timbrée et oblitérée

Longue épître, typiquement huysmansienne, envoyée depuis sa demeure de Ligugé, sur les terres de l’abbaye bénédictine Saint-Martin

Allusions à son hagiographie Sainte Lydwine de Schiedam et la loi sur les associations, tout juste promulguée


« Mon cher confrère,
Merci de votre article qui explique si bien le fond du livre ; et ce n’est pas inutile, je vous prie de le croire, car je vois bien des catholiques ahuris finir par penser que l’on a bien tort de présenter la religion sous ce jour là ; le fait est qu’il y aurait une rude réaction à tenter contre les dévotionnettes à chromos et petites bougies, d’une part[,] et contre le rationalisme des prêtres intelligents, de l’autre. Un vieux chanoine de passage à Ligugé  me disait dernièrement : La jeunesse des séminaires nous divise en 2 séries : les pieusards¹, c’est à dire les vieux comme moi qui croyons aux miracles, au Diable et les “intellectuels” c’est à dire, eux, les jeunes qui prennent juste de la religion ce qu’il en faut prendre pour n’être pas tout à fait hérétique.
Tâchez donc de venir nous voir à Ligugé – tandis qu’on y est encore – car avec la loi maintenant promulguée, le séjour ici va se restreindre.
Il est bien difficile, décidément, de s’asseoir, dans la vie : le divin ébéniste fabrique des meubles sans consistances qui se décollent, dès qu’on les touche. Une fois les moines partis d’ici, je ne me vois guères y séjournant et la perspective de rentrer dans la bagarre n’a rien qui m’allèche.
Merci encore mon cher confrère, et bien cordialement à vous
GHuÿsmans
Je m’aperçois que j’ai perdu votre nouvelle adresse. Je vous écris au journal. »


Huysmans avait fait paraître au premier semestre de l’année 1901 Sainte Lydwine de Schiedam, hagiographie de la mystique chrétienne hollandaise. L’écrivain s’était assidûment documenté pendant de nombreuses années sur sa vie, allant jusqu’à se rendre lui-même sur le lieu saint en Hollande, dont il est lui-même originaire. Très à l’écoute de la réception critique de son ouvrage, il le restera jusqu’à sa mort, en 1907.
Après s’être retiré dans plusieurs monastères (La Salette, Igny, Solesmes etc.), Huysmans quitte paris en 1899 pour finalement se fixer dans le village de Ligugé, près de Poitiers, où il fait construire une demeure à proximité de l’abbaye bénédictine Saint-Martin. Partageant la vie quotidienne des moines, Huysmans se prépare à devenir oblat. La loi de 1901 sur les associations, entraînant la dissolution de la communauté de Saint-Martin, oblige l’écrivain à rejoindre Paris. Il racontera son expérience de la vie monastique deux ans plus tard dans L’Oblat.

1- Il existe une autre occurrence du mot pieusard sous la plume de Huysmans, que l’on croyait être la seule. Elle figure dans la “Préface écrite vingt ans après après le roman”, datée de 1903, qui est en réalité une postface, à son roman de 1884, À rebours. Le terme pieusard semble un mot forgé par Huysmans. Le Trésor de la langue française le signale par ailleurs comme “rare”, mais ne donne que l’exemple de Huysmans et de la préface de 1903. L’écrivain utilise également le dérivé, pieusarderie, dans La Cathédrale (1998) et dans L’Oblat (1903). Du dernier, le mot est à proximité d’un autre terme original, que l’on trouve également dans la présente lettre : dévotionnettes.

Provenance :
Coll. particulière

Lettre inédite