BOILEAU DESPRÉAUX, Nicolas (1636-1711)

Lettre autographe signée « Despreaux » à Claude Brossette
Paris, 6ᵉ mars 1705, 3 p. petit in-4°

« Pour faire une bonne Epigramme il falloit dire en conversation le mot quon y vouloit mettre a la fin et voir s’il frapperoit »

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Fiche descriptive

BOILEAU DESPRÉAUX, Nicolas (1636-1711)

Lettre autographe signée « Despreaux » à Claude Brossette
Paris, 6ᵉ mars 1705, 3 p. petit in-4° à l’encre noire, sur papier vergé
Filigrane : Probablement aux armes de Michel de Chamillart (intendant des finances de Louis XIV), d’azur au lévrier passant d’argent colleté et bouclé de gueules, au chef d’or chargé de trois étoiles de sable (Gaudriault, p. 18 et 98, fig. 237 / supplément à Gaudriault, 2007, p. 17)
Ancienne trace de montage à la quatrième page, pli central renforcé, petites fentes aux marges sans gravité. Plusieurs mots caviardés de la main de Boileau.

Longue lettre spirituelle au sujet de ses œuvres, enrichie d’une épigramme et d’un court passage du Cid – Une quintessence de l’esprit Grand Siècle

« Vous ne me dites rien des quatre vers que j’ay faicts pour l’autre infame gravûre dont je vous ay parlé. Est-ce que vous les trouvés mauvais ? Ils ont pourtant réjoui tous ceux a qui je les ay dits »

Remarquable redécouverte d’une des rares lettres à Brossette encore en mains privées, réputée « disparue depuis 1858 » (Pléiade)


« Je ne m’estendrai point ici Monsieur en longues excuses du long temps que j’ay esté sans respondre a vos obligeantes Lettres puis qu’il n’est que trop vrai qu’un très facheux rhume que j’ay eu accompagné mesme de quelques fievre m’a entièrement mis hors d’estat depuis trois semaines de faire ce que j’aime le mieux a faire[,] je veux dire de vous réscrire. Me voila enfin restabli et je vais macquitter d’une partie de mon devoir. Je suis fort aise que votre illustre Physicien a l’aide de son microscope ayt trouvé de quoy justifier le vers du Lutrin que vous attaquiés et ayt rendu a la Guespe son honneur[.] Car bien qu’elle soit un peu decriée parmi les Hommes on doit rendre justice a ses Ennemis et reconnoistre Le merite de ceux mesmes qui nous persecutent. Je vous prie donc de faire bien des remercimens de ma part a Mr Puget et de lui bien marquer lestime que je fais des excellentes qualités de son esprit qui n’ont pas besoin comm[e] celles de la guespe de microscope poue estre veües¹.Vous faictes a mon avis trop de cas des deux Epigrammes que je vous ay envoiées et sur tout de celle a Mr Le Verrier qui n’est qu’un petit compliment très simple que je me suis crû obligé de lui faire pour empescher qu’on ne me crûst Auteur² des quatre vers qui sont au bas de mon portrait et qui sont beaucoup meilleurs que mes deux Epigrammes n’y ayant rien sur tout de plus juste que ces deux vers
J’ay sceu dans mes Escrits docte enjoués sublimes
Rassembler en moi Perse Horace et Juvenal
Supposé que cela fust vrai, Docte respondant admirablement a Perse[,] enjoué a Horace et sublime a Juvenal. Il les avoit faicts d’abord indirects et de la maniere dont vous me faictes voir que vous avés pretendu les rajuster mais cela les rendoit froids et c’est par le conseil de gens tres habiles qu’il les mit en stile directe[,] la prosopopée ayant une grace qui les anime et une fanfaronnade mesme pour ainsi dire qui a son agrement. Vous ne me dites rien des quatre vers que j’ay faicts pour Lautre infame gravûre dont je vous ay parlé. Est-ce que vous les trouvés mauvais[?]³ Ils ont pourtant réjoui tous ceux a qui je les ay dits. Mais pour vous satisfaire sur l’histoire que vous me demandez de l’Epigramme de Lubin[,] Je vous dirai que Lubin est un de mes parens qui est mort il y a plus de vingt ans et qui avoit la folie que j’y attaque. Il estoit Secretaire du Roy et s’appelloit Mr Targas.Javois dit lui vivant le mot dont j’ay composé le sel de mon Epigramme qui ma esté faicte quenviron depuis deux mois chés moi a Auteuil ou couchoit l’Abbé de Chasteauneuf.Je m’estois ressouvenu le soir en conversant avec lui du mot dont il est question. Il l’avoit trouvé fort plaisant et sur cela nous estions convenus l’un et lautre qu’avant tout pour faire une bonne Epigramme il falloit dire en conversation le mot quon y vouloit mettre a la fin et voir s’il frapperoit. Celui ci donc l’ayant frappé je le lui rapportai le lendemain au matin construit en Epigramme telle que je vous lay envoiée. Voilà l’histoire. Le monument antique que vous m’avés faict tenir est fort beau et fort vrai[.]⁶ Mon dessein estoit de le porter moi mesme a l’Academie des inscriptions mai j’ay sceu qu’il y avoit deja longtemps qu’il y estoit et que les Academiciens mesme sestoient deja fort exercés sur cette excellente relique de l’Antiquité. Je ne scay pas pourquoi vous me faictes une querelle d’Allemand sur la preeminence qu’a eu autrefois Lyon au dessus de Paris[.]⁷ Est ce que Paris a jamais nié que du temps de Cesar non seulement Lyon mais Marseille Sens Melun ne fussent beaucoup plus considérables que Paris et qu’est ce que de cela Lyon scauroit conclure contre Paris sinon ce vers du Cid[,]⁸ Vous estes aujourd’hui ce qu’autrefois je fus. Je vous conjure de bien marquer Mr de Mezzabarbadans les lettres que vous lui escrivés le cas que je fais de sa personne et de son merite. Je ne scay si vous avés veû la traduction qu’il a faite de mon Ode sur Namur. Je ne vous dirai pas qu’il y est plus moi mesme que moi mesme mais je vous dirai hardiment que bien de j’aye sur tout songé a y prendre l’esprit de Pindare[.] Mr de Mezzabarba y est beaucoup plus Pindare que moi. Si vous n’avés point encore receû de lettre de Mr Le Verrier cela ne vient que de ma faute et du peu de soin que j’ay eu de le faire ressouvenir comme je devois de vous rescrire mais je vais disner aujourd’hui ches lui et je reparerai ma negligence[.] Vous pouvés vous asseurer d’avoir au premier jour un compliment de sa facon. Adieu mon illustre Monsieur croiés que c’est tres sincerement que je suis
Vostre très humble et tres obeissant serviteur
Despreaux

Monsieur
Soufrés que je fasse ici en particulier et hors d’œuvre mon compliment a Mr Perichon »


1- Ladite « Guespe » fait son apparition dans Le Lutrin, parodie épique de Boileau qu’il fait publier entre 1672 et 1674. Le passage auquel le poète fait allusion est :
« Tel qu’on voit un Taureau, qu’une Guespe en furie
A piqué dans les flancs, au dépens de sa vie » (Pléiade, p. 193, v. 7 & 8)
Boileau réagit déjà deux ans plus tôt à la critique de son correspondant au sujet de ce même passage dans une lettre qu’il lui adresse le 26 mai 1703 : « Je me souviens bien pourtant que vous y attaqués fortement ce que je dis dans mon Lutrin de la Guespe qui meurt du coup dont elle pique son ennemi. »

2- « Au joug de la Raison asservissant la Rime,
Et mesme en imitant toujours original
J’ay sceu dans mes Escrits docte enjoués sublimes
Rassembler en moi Perse Horace et Juvenal » (Pléiade, p. 272)

Brossette raconte qu’un graveur, désirant mettre quelques vers au bas d’un portrait de Boileau, pria le poète de les composer lui-même, ce à quoi Boileau répondit : « Je ne suis ni assez fat pour dire du bien de moi, ni assez sot pour en dire du mal. » Même s’il tente vainement de le démentir, Boileau est bien l’auteur de l’épigramme, faisant semblant de se trouver trop loué. Il s’en plaint d’ailleurs dans la pièce n° XII (Pléiade, p. 245).

3- « L’autre infame gravûre » est un portrait de Boileau par un artiste dont il ignore le nom. Manifestement très mécontent, le poète, dans sa lettre précédente du 12 janvier 1705, cingle en ces termes : « [il] me ressemble moins qu’au grand Mogol ». Les quatre vers auxquels il fait ici allusion figurent dans la même lettre :
« Du celebre Boileau tu vois ici l’image.
Quoi c’est là, diras tu, ce Critique achevé ?
D’où vient le noir chagrin qu’on lit sur son visage ?
C’est de ce voir si mal gravé. »

4- Pierre Targas épouse une cousine de Boileau en 1647, Élisabeth Colin. Boileau en fait le dédicataire de son Épigramme LXVII « L’Amateur d’horloges », qu’il compose en décembre 1704.

5- François de Castagner, abbé de Chateauneuf (1645-1709), fut le parrain de Voltaire.

6- Brossette avait joint, dans sa lettre du 12 février, une inscription « gravée sur un Autel ancien, en forme de pied d’estal, qui fut découvert ces derniers jours à Lyon, sur la colline de Fourvière, par des paysans qui fouilloient la terre. »

7- Réaction de Boileau à la dernière lettre envoyée par Brossette, qui lui écrit : « Vous voyez, Monsieur, que, dans ce tems là notre Lyon étoit déjà une ville considerable, décorée du titre de colonie et de Municipe, et associée aux honneurs et aux privilèges du peuple Romain, tandis que votre Lutèce n’osoit peut-être pas encore aspirer au nom de ville. »

8- Pierre Corneille, Le Cid, acte 1, scène 2 (Don Diègue au comte) :
« Je le sais, vous servez bien le roi :
Je vous ai vu combattre et commander sous moi.
Quand l’âge dans mes nerfs a fait couler sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place ;
Enfin, pour épargner les discours superflus,
Vous êtes aujourd’hui ce qu’autrefois je fus. »

9- Il s’agit de la traduction de l’ode de Boileau Sur la Prise de Namur.


Avocat lyonnais, Claude Brossette (1671-1743) fait la connaissance du poète lors d’un séjour à Paris, en 1698. Admiratif de la poésie de Boileau, ce dernier l’autorise d’envisager une publication de ses œuvres avec un commentaire. L’édition, riche en indications, ne voit le jour qu’en 1716, cinq ans après la mort du poète. Brossette laisse également un Journal , publié par Laverdet en 1858, dans lequel ses relations avec Boileau sont évoquées.
Des soixante-quinze lettres de Boileau à Brossette recensées, plus de la moité figurent aujourd’hui dans le fonds de la Bibliothèque historique de la ville de Paris.

Les lettres de Boileau à Brossette, figurant parmi les plus belles de sa correspondance, sont rares

Provenance :
Collection particulière

Bibliographie :
Correspondance entre Boileau Despréaux et Brossette, éd. Auguste Laverdet, J. Techener, 1858, n°CVIII / Œuvres poétiques, t. 2, Imprimerie générale, Paris, 1872, p. 178 / Bibliographie générale, éd. Émile Magne, Giraud-Badin, Paris, 1929, p. 11 / Œuvres complètes, éd. Françoise Escal, Pléiade, pp. 694-696 – n°XLVIII / Littérature classiques, Juvénal en France au XVIᵉ et au XVIIᵉ siècle, Pascal Debailly, printemps 1995, p. 45
La transcription à la Pléiade, établie sur la base de celle de Laverdet, est fautive en plusieurs endroits. Nous rétablissons ici l’orthographe de Boileau en l’état.