DERAIN, André (1880-1954)
Lettre autographe signé « A Derain » à son ami Philbert
« Henin I-i et ard » [Hénin-Liétard], 18 oct. 1902, 4 p. petit in-8°
« Tu pourrais peut être baiser la femme de tes rêves la blonde ou la brune ou la rousse »
Fiche descriptive
DERAIN, André (1880-1954)
Lettre autographe signé « A Derain » à son ami Philbert
« Henin I-i et ard » [Hénin-Liétard, Pas-de-Calais], 18 oct. 1902, 4 p. petit in-8° sur papier vergé, au crayon
Filigrane : “St Denis”
Petits trous d’épingle, papier uniformément bruni, légère déchirure au pli central, deux mots caviardés par Derain
Incroyable lettre d’André Derain, d’un ton tout à fait délirant et scabreux, écrite durant son service militaire, et que l’on imagine sous l’emprise de substances illicites
« Journée de garde. Imbécile emploi du temps. Une heure de factions à la porte. Une heure aux chiottes pour empêcher de chier.
Souvenirs d’un soldat. Journée céleste qui aurait peutre peut être pu être employée aux folies ou extases bleues dans les bras de l’objet aimé ou aux affres du travail producteur et fécond mais non là ici sur le banc et [à] la table gras et poisseux à crayonner aux amis éloignés les rancœurs d’un ennemi stérile ;
Astiqué et rasé de frais mais les pieds les mains et la chemise sales.
Reçu du trèfle incarnat et des cuisses entrevues dans des fouillis chauds et vaporeux [allusion au sexe féminin]
et tout cela loin. les valses idiotes des heures d’absinthe et le défilé ininterrompu d’un boulevard qui t’a au cul.
Mon pauvre Philbert, tandis que tu souffles avec des yeux démesurés dans un saxophone par trop baryton,
tu pourrais peut être baiser la femme de tes rêves la blonde ou la brune ou la rousse et d’hygiénique pauvresse qu’il est ton amour deviendrait acharné et aussi prudent. Gilles est parti pour le beau pays où l’on s’emmerde sur le boulevard devant une absinthe et où il passe des gens qui vont au cul où l’on rêve de compagnes et d’amours cachées.
Bonne chance pour lui et écrivez vite.
Bonjour aux copains et merde aux autres.
Je ne suis pas saoul.
A Derain. »
Derain part pour Commercy en septembre 1901 afin d’effectuer son service militaire dans l’infanterie pour une durée de trois ans. L’année précédente, dans le train en direction de Chatou, sa ville natale, il rencontre Vlaminck, qui devient rapidement un ami et un allié dans le combat qu’ils décident de mener pour se libérer des formules impressionnistes. À la même époque, Derain illustre D’un lit dans l’autre, tandis que Vlaminck rédige un nouveau roman, Tout pour ça, dont le personnage principal s’inspire fortement de Derain, qu’il illustre lui-même.
Manifestement désœuvré pendant sa mobilisation, Derain aurait sans doute noyé son ennui dans la fée verte au moment d’écrire cette lettre, et ce malgré ses dénégations.
Les lettres de Derain antérieures à sa période fauviste sont très rares sur le marché.
Provenance :
Coll. particulière