HOUELLEBECQ, Michel (né en 1956)

Lettre autographe signée « Michel Houellebecq » à Dominique Noguez
Paris « lundi soir » [22 juin 1992], 2 p. in-4° à l’encre noire

« Je suis écrivain, et je tiens à ma langue ; c’est ma seule identité »

EUR 3.800,-
Fiche descriptive

HOUELLEBECQ, Michel (né en 1956)

Lettre autographe signée « Michel Houellebecq » à l’écrivain et critique cinématographique Dominique Noguez
Paris « lundi soir » [22 juin 1992], 2 p. in-4° à l’encre noire
Filigrane : ‘Jean Neurf – Extra Strong’
Marques de pliures inhérentes à la mise sous pli d’origine

Exaspéré par la situation politique et fermement opposé au traité de Maastricht, Houellebecq profite de sa lettre pour partager ses réflexions sur le référendum et faire le point sur son actualité littéraire

« J’ai obtenu un prix littéraire pour « La Poursuite du bonheur » […] En plus d’un chèque, j’ai eu 50 bouteilles de Sancerre »


« Cher Dominique,
Je viens de signer la pétition et de la renvoyer à l' »Avenir de la langue française » [appel publié dans Le Monde du 11 juillet 1992, cosigné par 300 signataires du monde culturel]; elle arrivait au bon moment. Depuis quelques semaines je suis dans un état d’exaspération politique croissant. Je passe une partie de ma journée à lire les revues de presse et publications diverses que l’Assemblée Nationale consacre à Maastricht ; une autre partie à essayer de convaincre toutes les personnes que je peux côtoyer de voter « non ». Comme je fréquente surtout des libéraux de gauche post-modernes et pro-européens, j’ai du mal ; beaucoup de mal.
Signer cette pétition, donc, m’a fait un certain bien ; son objet, bien sûr, ne recouvre pas directement Maastricht, mais il est tout aussi important. Et d’ailleurs, dans mes pénibles débats avec les Maastrichtiens, le seul point que je réussis en général à marquer, c’est quand je dis : « Je suis écrivain, et je tiens à ma langue ; c’est ma seule identité. » Là, un silence se fait. Preuve que tout le monde se doute à part soi qu’il sera, après Maastricht, encore plus difficile de parler français.
À part mon engagement politique, tout va bien. J’ai obtenu un prix littéraire pour « La Poursuite du bonheur » : le prix Tristan Tzara. C’était décerné dans le Cher ; l’ambiance était très sympathique, et la région est d’une étonnante beauté. En plus d’un chèque, j’ai eu 50 bouteilles de Sancerre et une rose créée pour l’occasion ; enfin, c’était bien. Par ailleurs, j’ai publié quelque nouveaux poèmes dans « Digraphe », lu des textes pour France Culture, et je vais conclure tout cela par une prestation scénique au Marché de la Poésie, samedi après-midi [27 juin] je pense. J’ai l’impression que c’est un élément bien spécifique à la poésie : les gens sont heureux d’entendre l’auteur lire ses propres textes ; ils semblent en attendre un infléchissement de leur lecture intérieure.
J’aimerais bien qu’on puisse se voir avant que les vacances nous dispersent je ne sais où (personnellement, je pars dans 3 semaines). Nous pourrions par exemple parler de cinéma. Entre temps, j’essaierai de penser un peu plus au cinéma, et de me calmer sur Maastricht (c’est à dire de me résigner à la victoire du « oui » ; de toute façon, le combat continuera).
J’essaierai donc prochainement de paler à ton répondeur. À bientôt.
Valete,
Michel Houellebecq »


Houellebecq exprime un engagement ardent — quoique teinté de fatalisme — contre le référendum français portant sur la ratification du traité de Maastricht, prévu pour le 20 septembre 1992, et qui devait aboutit à une courte mais nette victoire du « oui ». Cette opposition de l’écrivain laisse entrevoir les orientations anti-européennes et les préoccupations identitaires qui marqueront ultérieurement sa production romanesque. En formulant sa crainte d’une érosion de la langue française, il articule un thème central de son imaginaire : l’idée d’une identité linguistique menacée par les processus politiques et économiques supranationaux.

Houellebecq reçoit son tout premier prix littéraire pour La Poursuite du bonheur, son deuxième recueil de poèmes, paru en 1991 aux Éditions de la Différence. Il prend à cette époque ses distances avec le vers libre et l’éclatement contemporain de l’expression poétique pour renouer avec la contrainte de la versification classique. La poète Juliette Darle, qui avait rencontré le jeune Houellebecq pour la remise du prix, se souvient : « J’ai perçu une personnalité singulière et j’ai assimilé immédiatement Michel aux grands auteurs du vingtième siècle […]. Michel Houellebecq s’était lancé dans une diatribe contre le libéralisme. Le député-maire d’Aubigny, Yves Fromion, en avait été soufflé et avait tenu à rencontrer ce curieux poète. […] Il n’y avait plus de chambre de libre, il a dû dormir dans une caravane. Nous avons passé des soirées formidables. Michel lisait des poèmes de Louis Aragon en pleurant et en s’envoyant des lampées de whisky. Le lendemain nous l’avons emmené à Sancerre. » La poésie tient une place centrale dans l’activité littéraire de Houellebecq, qui n’a eu de cesse de publier nombre de recueils en marge de sa production romancière.

Passionné par la vie littéraire, Dominique Noguez (1942-2019), éminent critique cinématographique, s’est employé à défendre ceux que l’époque catégorisait volontiers comme « mal-pensants ». Il fut tout autant un défenseur attentif du rayonnement de la langue française. La mention par Houellebecq de la pétition publiée dans Le Monde du 11 juillet 1992 par le collectif L’Avenir de la langue française — réunissant alors environ trois cents signataires issus du monde culturel — témoigne de leur proximité intellectuelle. Pour Houellebecq, l’acte de signer cette pétition apparaît comme un geste symbolique permettant de canaliser son exaspération politique du moment, et surtout de réaffirmer la primauté de la langue comme matrice identitaire.

Les lettres autographes de Michel Houellebecq ne sont que très rarement proposées sur le marché, et d’autant plus lorsqu’elles présentent une telle teneur.

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