MAGRITTE, René (1898-1967)

Lettre autographe signée « Magritte » [à Charles Henri Ford]
Jette-Bruxelles, 30 nov. 1945, 2 p. in-4° sur papier ligné

« Je prends pour critère de qualification de ‘surréaliste’ l’attitude morale définie par Breton dans son Second Manifeste »

EUR 4.500,-
Fiche descriptive

MAGRITTE, René (1898-1967)

Lettre autographe signée « Magritte » [à Charles Henri Ford de la revue View]
Jette-Bruxelles, 30 nov. 1945, 2 p. in-4° sur papier ligné
Marques de pliures, repentirs sur deux mots (de la main de Magritte)

René Magritte définit avec fermeté le périmètre légitime du surréalisme belge tel qu’il entend le voir représenté dans la revue View, préparant un numéro spécial consacré au mouvement


« Monsieur,
Suite à votre lettre du 26 novembre, je suis tout disposé à vous faire tenir le matériel nécessaire à l’édition d’un numéro spécial consacré au surréalisme depuis 1940, pour ce qui concerne la Belgique. Je vous propose à ce sujet d’accompagner mes reproductions de textes de mes amis Paul Nougé, Marcel Mariën, Jacques Wergifosse, Achille Chavée et Louis Scutenaire, ainsi que les photos de tableaux de Louis Van Spiegele, Pol Bury, Pierre Sanders et Armand Simon. De cette façon, vous pourrez donner une vue exacte de l’activité surréaliste en Belgique.
Si ceci vous agréé, afin d’éviter toute confusion, je tiens à souligner que je ne puis prendre la responsabilité de la présentation du surréalisme en Belgique que si tout autre élément que ceux que j’ai nommé ci-dessus est écarté. Une certaine rigueur est de mise, en effet, car j’ai appris que certains artistes-peintres se réclamant abusivement du surréalisme aimeraient figurer au sommaire de votre numéro. C’est ainsi qu’il ne peut être question de considérer comme surréalistes une Suzanne Van Damme ou un Paul Delvaux, la première ayant pendant la guerre déclaré dans une interview, publiée par un journal de l’occupant, qu’elle n’était pas surréaliste, le surréalisme lui paraissant dégénéré et morbide, le second étant de confession catholique et ayant, paraît-il, dépassé le surréalisme, s’il faut en croire une monographie publiée sur son compte avec approbation.
Il convient donc, comme vous le voyez, d’être très prudent et pour parer à toute confusion, je vous demande d’isoler la contribution belge telle que je l’envisage, en présentant celle-ci sous le titre général : ‘Le Surréalisme en Belgique’.
Pour votre gouverne, je vous signale que je prends pour critère de qualification de « surréaliste » l’attitude morale définie par Breton dans son Second Manifeste, attitude avec laquelle tous les collaborateurs proposés ci-dessus sont d’accord.
Il me serait agréable, d’autre part, de connaître votre revue et si la chose est possible, je vous prie de me faire parvenir un numéro spécimen de celle-ci.
J’attends donc de vos nouvelles et si vous êtes d’accord avec mon point de vue, je vous ferai parvenir aussitôt tous les documents nécessaires.

Magritte

P.S. Raoul Ubac demeurant actuellement à Paris n’est pas prévu dans la liste des surréalistes belges. Ayant habité en Belgique de 1940 à 1944, il pourrait, s’il le désire, figurer dans la partie de votre revue consacrée à la Belgique. Veuillez éventuellement vous mettre en rapport avec lui à ce sujet. Voici son adresse : 7, rue Joseph Bara, Paris (VIe). »


Le destinataire est selon toute vraisemblance Charles Henri Ford (ou son collaborateur Parker Tyler), fondateur et rédacteur de la revue View (publiée à New York de 1940 à 1947). Un numéro spécial de View fut effectivement consacré au surréalisme en Belgique en décembre 1946 (vol. VII, n° 2). Il rassemblait des contributions de Marcel Mariën, Louis Scutenaire et Paul Nougé, parmi d’autres textes et documents, et illustré en couverture d’une pomme verte ornée d’un masque de carnaval par Magritte lui-même, témoignant de la concrétisation du projet évoqué dans la lettre.

Une démonstration de force de Magritte pour son cercle surréaliste belge :
Magritte expose ici une volonté loyale de mettre en avant des artistes qui, selon lui, répondent fidèlement à « l’attitude morale » définie par André Breton. Ces derniers son avant tout des proches collaborateurs. Il propose ainsi les textes de Paul Nougé, figure centrale du groupe bruxellois qu’il fréquente depuis le milieu des années 1920 et dont l’influence intellectuelle — illustrée notamment par la publication de Les Images défendues, consacrée à l’œuvre du peintre — a profondément marqué sa propre orientation artistique. Il défend également Louis Scutenaire, compagnon de longue date rencontré en 1927 et proche collaborateur avec lequel il partage, durant les années 1940, une intense activité éditoriale et photographique. Magritte inclut aussi Marcel Mariën, entré en contact avec lui à la fin des années 1930 alors qu’il n’était encore qu’adolescent, et qui deviendra l’un de ses collaborateurs les plus actifs : éditeur, photographe et auteur d’écrits théoriques accompagnent le travail du peintre. Loin de défendre sa seule production artistique, Magritte avance surtout la cohérence d’un réseau d’amitiés et de collaborations qui a façonné le surréalisme en Belgique depuis ses origines.

Bibliographie :
Des lettres et des peintres, MLM, Beaux Arts éditions, p. 246-247

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