ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « A » à Louis Emié
Nice, le vendredi Saint [avril 1942], 1 p. in-4

« Mon roman… Cela s’appelle ‘Aurélien’ jusqu’ici, et peut-être pas pour toujours »

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Fiche descriptive

ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « A » à Louis Emié
Nice, le vendredi Saint [avril 1942], 1 p. in-4
Quelques rousseurs, petites taches, traces de pliures

Belle lettre de Louis Aragon, depuis la zone libre, disant son admiration pour le sonnet comme forme poétique – Il évoque ensuite la rédaction en cours de l’un de ses plus célèbres romans : Aurélien  


« Cher Louis Emié,
Merci de votre lettre. Je suis très curieux de lire ces « sonnets », et ce me sera une raison de plus d’attendre avec impatience le prochain ‘Fontaine’
[Revue] Vous semblez vous excuser de cette forme traditionnelle… Vous dirais-je que sans en avoir l’air, il se glisse un sonnet dans ‘le Crève-Cœur’ ? Et que je viens de relire avec beaucoup de plaisir l’introducteur même de cette forme dans notre langue, [Joachim] du Bellay, dont la poésie est peut-être à cette heure-là plus voisine de notre pseudo Renaissance ? Et Chrétien de Troyes, qui est parfois grand comme… faut-il dire Rimbaud ? Mais ceci nous sort du sonnet.
Ainsi nous serons coupés à la fin du mois comme Grecs et Yougoslaves, et vous rentrez à Bordeaux… Sait-on si ce n’est pas mieux. Paris me manque affreusement, mais est-ce encore Paris ? Je suis heureux de penser que je pourrai vous écrire par Toulouse, mais pourrez-vous utiliser cette voir en retour ?
Mon roman… Cela s’appelle ‘Aurélien’ jusqu’ici, et peut-être pas pour toujours.
Une épigraphe de Chrétien de Troye :
Amants ne savent pas ce qu’ils font
Vous dira peut-être plus du livre que je ne ferais. Cela se rattache par les personnages aux Beaux Quartiers (Edmond Barbentane) et aux Cloches (Diane de Nettencourt), et même aux Voyageurs (Blaise d’Ambérieux). Ce n’est pas un roman politique. C’est une histoire d’amour. L’autre après-guerre, avec le fond intellectuel d’alors, et la désillusion des Anciens Combattants et le dadaïsme.
Que c’est pauvre quand on résume.
Donnez de mes nouvelles à Antonio Machado.  Et donnez-moi des vôtres.
Bien amicalement
A.
 »


Cette lettre date très probablement d’avril 1942. Aragon est alors en pleine rédaction de son chef d’œuvre Aurélien. Il séjourne à Nice avec Elsa Triolet du 31 décembre 1940 jusqu’à leur arrestation, le 25 juin 1941, alors qu’ils tentent de regagner Paris et les écrivains résistants. La police les relâche et ils retournent à Nice le 16 novembre 1941, où ils restent jusqu’en novembre 1942.

En avril 1941 paraît Le Crève-Cœur, dont il est aussi question dans cette lettre. Ce recueil poétique marque le retour de Louis Aragon à l’alexandrin et à des codes de poésie plus traditionnels que dans ses recueils des grandes heures du dadaïsme et du surréalisme. Il commence un travail de réappropriation de la tradition, revient à une simplicité des images et des rythmes, loin des provocations de ses recueils précédents. Il montre ainsi le lien entre lyrisme personnel et engagement poétique.

Fondée en 1938, la revue Fontaine prend son nom définitif au printemps 1939. Elle paraît mensuellement à Alger dès 1941 jusqu’en décembre 1944 puis à Paris jusqu’en 1947. Cette revue « de la résistance en pleine lumière » regroupe la plume de poètes engagés tels qu’Aragon, Artaud, Cocteau, Jacob, Jouve, Ponge ou encore Soupault.

Etrangement, Louis Aragon évoque Antonio Machado, comme s’il était encore vivant alors que ce dernier est tragiquement mort en exil à Collioure en février 1939.