[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)
Deux lettres autographes signées « GS » à Eugène Delacroix
[Nohant, 6 et 7 juillet 1842], en tout 3 p. in-8° à l’encre noire
« J’ai rêvé de vous toute la nuit »
Fiche descriptive
[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)
Deux lettres autographes signées « GS » à Eugène Delacroix
[Nohant, 6 et 7 juillet 1842], en tout 3 p. in-8° à l’encre noire
Adresses autographes sur chacune des quatrièmes pages
Marques de compostage, ancienne trace d’onglet
Attristée du départ de son « bon petit » Delacroix après un séjour de ce dernier à Nohant en compagnie de Chopin et du reste de la famille Sand, l’écrivain se retrouve plongée dans sa lecture des Mystères de Paris
Provenant de la bibliothèque Marc Loliée
« Cher bon petit, J’espère que vous êtes arrivé à bon port sans trop souffrir de la chaleur qui a été modérée le jour de votre départ. Vous avez oublié ici quelques effets dont Maurice a fait une caisse, laquelle part aujourd’hui. Comme le port en est payé, accusez-en réception afin qu’elle ne s’égare pas, sans que nous la fassions réclamer. J’ai encore retrouvé dans mes mouchoirs un mouchoir à vous. Je vous le mets à part, ainsi que ceux qui pourraient se retrouver au prochain blanchissage. Que Jenny [la gouvernante de Delacroix] ne nous accuse donc pas de vous avoir grinché vos zardes¹. – Je lis le Chourineur et je vous assure que malgré l’horreur du sujet et des détails², c’est jusqu’à présent fort intéressant et fabriqué avec beaucoup de talent. – Nous sommes restés tout tristes et tout déconfits de votre départ. Nous tâchons de jouer au billard, mais je crois que vous avez emporté le carambouillage³ dans votre poche et que vous ne nous avez laissé que le manque de touche. J’attends avec impatience un petit mot de vous. Nous sommes encore trop chagrins pour vous en dire long aujourd’hui. Et puis l’heure me presse. À présent, cher, soyez bien portant. Si vous nous regrettez autant que nous vous regrettons, faites un effort pour nous oublier jusqu’à notre retour [Sand et Chopin rentreront à Paris le 31 juillet], alors vous nous raimerez de nouveau. Adieu, moi et tous vous embrassons et vous aimons.
GS. »
« Cher ami, mon dadet [sic] de Thomas [peut-être Thomas Aucante, autrefois vacher] a commencé le cours de bêtises auxquelles je dois m’attendre en ne payant pas le port de la caisse que je vous ai envoyée hier. Si bien qu’il faut que vous le sachiez afin de n’avoir pas de contestation avec l’administration. Accusez-moi réception car tout ceci a été fort mal fait, malgré mes précautions.
Nous nous portons bien. Nous vous aimons. J’ai rêvé de vous toute la nuit ; j’espère que c’est bon signe et que vous êtes bien portant.
À vous
GS. »
[1] « Grincher vos zardes » : voler vos vêtements (hardes)
[2] Le Chourineur, l’un des personnages centraux des Mystères de Paris. Ce surnom provient du verbe argotique chouriner, c’est-à-dire tuer (ou blesser) à coups de couteau : « Mon premier métier a été d’aider les équarrisseurs à égorger les chevaux à Montfaucon […] Quand j’ai commencé à chouriner ces pauvres vieilles bêtes » (Sue, Les Mystères de Paris, t. 1, 1842-43, p. 84
[3] Jeu de mots faisant volontairement la confusion entre le carambolage, propre au jargon des joueurs de billard, et du carambouillage, opération délictueuse consistant à vendre ce que l’on a acheté sans l’avoir payé.
En réponse aux invitations répétées de son amie, Delacroix passe près de deux semaines à Nohant en juin 1842. Il souhaite avant tout se reposer, « végéter », comme il le dit, et savourer les plaisirs de la campagne. De retour à Paris, il lui répond le 8, affirmant qu’il a reçu la caisse et traité de fourbe et d’imposteur celui qui lui a apporté en réclamant des frais de port. Il réclame à son amie une petite bourse laissée à Nohant, bourse que lui avait donnée Solange, et un petit cordon d’Alger. Il termine : « Il fait un temps affreux pour les nerfs. En rêvant que vous me voyez, avez-vous rêvé que vous étiez la duchesse de Berry ? Je vous embrasse sincèrement tous, mais je suis bien triste » (Corr. gén. de Delacroix, t. II, p. 116).
En faisant usage de l’argot présent dans l’œuvre d’Eugène Sue, on comprend que Sand est ici en pleine lecture des Mystères de Paris. Le roman-feuilleton, publié dans le Journal des débats du 19 juin 1842 jusqu’au 15 octobre 1843, inaugure la littérature de masse au XIXe siècle et vaut à son auteur une célébrité immense dans toutes les couches sociales.
Provenance :
Bibliothèque Marc Loliée
Bibliographie :
Correspondance, t. V, éd. G. Lubin, Garnier, n°2477 & 2478