[DOSTOÏEVSKI] RIVIÈRE, Jacques (1886-1925)

Lettre autographe signée « Jacques Rivière » à Ely Halpérine Kaminsky
Paris, 26 fév. [19]23, 4 p. in-8° à en-tête de la NRF

« Il est évident que l’histoire de son premier mariage est extrêmement intéressante et jette un jour très curieux sur son œuvre »

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Fiche descriptive

[DOSTOÏEVSKI] RIVIÈRE, Jacques (1886-1925)

Lettre autographe signée « Jacques Rivière » au traducteur franco-russe Ely Halpérine-Kaminsky
Paris, 26 fév. [19]23, 4 p. in-8° à l’encre noire
En-tête : “Éditions de la Nouvelle Revue Française”
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée

Très intéressante lettre à l’un des premiers traducteurs de Dostoïevski en langue française

Au sujet de manuscrits et documents inédits de l’auteur russe après mise aux fers, dans le bagne d’Omsk, en Sibérie


« Cher Monsieur,
J’ai pris connaissance de tous les documents que vous m’avez signalés et, en particulier, de votre intéressant chapitre sur “Dostoïevski et les femmes”.
Il est évident que l’histoire de son premier mariage est extrêmement intéressante et jette un jour très curieux sur son œuvre. Mais vous vous rendez compte certainement vous-même qu’en admettant qu’elle n’ait fait l’objet jusqu’ici d’aucune étude, elle se trouve néanmoins singulièrement déflorée par votre propre récit dans le volume de la Confession de Stavroguine¹.
Je sais bien que vous m’avez promis différents documents inédits, comme les extraits du journal de Melle Dostoïevski et probablement aussi des passages de celui du Baron Wrangel […]
Parmi les lettres en traduction manuscrite que vous m’avez communiquées, la lettre à Madame von Wizin[e] et très intéressante ; l’autre, de 1855, au Baron Wrangel, n’a d’intérêt que par rapport à l’histoire du mariage de Dostoïevski² […] En existe-t-il qui aient été adressées par D.[ostoïevski] à Mme Issaïer [toujours Maria Dmitrievna Dostoïevskaïa, épouse Issaieva de son premier mariage] avant leur mariage ?
Si nous arrivons à grouper un ensemble de documents inédits assez important pour éclairer toutes les faces de l’étrange situation conjugale de Dostoïevski, je suis prêt à le publier.
Je vous demanderai seulement la permission de corriger quelques expressions de votre traduction qui, sans doute à cause de la hâte que vous avez mise à me soumettre ces documents, n’ont pas toute la correction ou la netteté désirables.
Je vous prie, cher Monsieur, d’agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués.
Jacques Rivière »

On joint :
Un manuscrit de main inconnue
S.l.n.d., 23 pages in-8° reliées en couture à cheval (un bifeuillet volant), à l’encre brune
En alphabet cyrillique prérévolutionnaire, celui utilisé avant la réforme de 1917
Manuscrit correspondant au neuvième chapitre des mémoires de Lioubov Fiodorovna Dostoïevskaïa sur son père


1/ Premier traducteur de La Confession de Stavroguine, complétée par une partie inédite du Journal d’un écrivain, Halpérine-Kaminsky y tient un long propos liminaire sur la découverte du fragment inédit de l’auteur.
2/ Allusion ici au premier mariage de Dostoïevski, à l’automne 1856, avec Maria Dmitrievna, dont les traits de caractère et les épisodes de sa biographie se reflètent dans l’œuvre de l’écrivain.

Rivière laisse ici transparaître certaines nuances qui pourraient sembler condescendantes :  On se souvient que Gide, chef de file de la NRF aux côtés de Rivière, venait de publier son essai Dostoïevski en 1922, soit vingt ans après Vogüé (qui avait introduit la littérature russe au public français). Ce dernier, proche de Halpérine-Kaminsky, n’a pas les faveurs de Gide, bien au contraire. L’auteur de L’Immoraliste contribue, à la même époque, à favoriser des œuvres de Léon Chestov et les traductions de Boris de Schloezer, sans doute au détriment de Halpérine-Kaminsky. Le projet de publication évoqué ici par Rivière semble n’avoir pas vu le jour.

Sur contexte du premier mariage de Dostoïevski, évoqué par Rivière 
Dostoïevski rencontre Maria Dimitrievna, épouse d’un petit fonctionnaire, Alexandre Ivanovitch Issaïev, que l’écrivain fréquentait depuis sa libération du bagne, au début de l’année 1854. Séduit par ce qu’il interprète comme un intérêt amoureux, Dostoïevski cherche à persuader la jeune femme de quitter son mari pour l’épouser. Ce sera chose faite l’année suivante. La nomination du baron Wrangel comme procureur de Semipalatinsk (où Dostoïevski est affecté comme simple soldat) permet à l’écrivain d’améliorer grandement sa situation. Curieux de connaître le développement des relations entre Fiodor Dostoïevski et Maria Dmitrievna, Wrangel note que, pour l’épouse Issaeva, il s’agissait plus de pitié « pour un homme malheureux, perdu dans la tourmente », plutôt que d’un sentiment sincère. Tandis que pour Fiodor Dostoïevski, celui-ci « était tombé amoureux avec toute l’ardeur de sa jeunesse ».
Leur mariage dure sept années. Les traits de caractère de Maria Dmitrievna Dostoïevskaïa et les épisodes de sa biographie se reflètent abondamment dans l’œuvre de Dostoïevski.

Traducteur des œuvres de Dostoïevski et de Tolstoï, Ely Halpérine-Kaminsky (1858-1936) étudie à la faculté des sciences de Paris, où il arrive en janvier 1880. Il fonde en 1883 le périodique bilingue Le Franco-russe, puis travaille comme secrétaire pour plusieurs journaux. C’est à lui que l’on doit la toute première traduction des Frères Karamazov, en 1888, ainsi que La Confession de Stavroguine, traduite en 1922.

Provenance :
Coll. P.E.