MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Trois lettres autographes signées « Guy de Maupassant » au Dr Despaigne
Paris, octobre, novembre et décembre 1891, 9 p. 1/2 in-8° et in-12°

« Écrasé par des trains, mordu par des chiens enragés, poursuivi par des assassins »

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Fiche descriptive

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Trois lettres autographes signées « Guy de Maupassant » au Dr Despaigne
Paris, octobre, novembre et décembre 1891, 9 p. 1/2 in-8° et in-12°

Bouleversant témoignage de Maupassant, dressant avec lucidité le terrible constat de son état de santé, quelques jours avant son internement
Ces trois lettres inédites figurent parmi les dernières rédigées par l’écrivain


Introduction

Nous présentons ici trois lettres inédites de Maupassant au docteur Despaigne. Celles-ci comptent parmi les tous derniers autographes que l’on connaisse de l’écrivain, précédant de seulement quelques semaines son internement à la clinique du docteur Blanche, d’où il n’écrira plus. Témoignages majeurs sur sa détresse physique et mentale, ces lettres, inconnues jusqu’en 2023, viennent ainsi compléter un maillon manquant des dernières semaines de Maupassant « libre ».
On ne sait que peu de choses sur le Dr. Gaston Despaigne (1860-1918). C’est par l’intermédiaire du docteur Jacques-Joseph Grancher (1843-1907) que Maupassant est présenté à ce jeune médecin au printemps de 1891. Le docteur Despaigne, qui avait publié sa thèse Études sur la paralysie faciale périphérique en 1888, représentait donc un nouvel espoir pour Maupassant, qui dès l’automne 1889 commença à présenter les premiers troubles de paralysie générale, conséquence aggravante de la syphilis. Hélas, l’écrivain ne pouvait que constater l’accentuation des terribles symptômes de la maladie.
A l’automne 1891, il est atteint de délires et pertes de mémoire de plus en plus fréquents, si bien qu’il se sait condamné. Il rédige son testament le 14 décembre.
Dans la nuit de 1er au 2 janvier 1892, il fait une tentative de suicide avec un pistolet, (son valet François Tassart avait enlevé les balles). Il saisit alors un coupe papier et tente de s’ouvrir à gorge.
Tous les médecins tombent d’accord, une nouvelle crise suicidaire peut survenir à chaque instant, Maupassant doit être hospitalisé.
Un infirmier le prend en charge dans sa résidence cannoise et lui passe une camisole de force. Il est interné le 7 janvier 1892 dans la clinique du docteur Blanche. Après un calvaire interminable, et atteint d’une paralysie générale, il succombe le 6 juillet 1893.

Afin d’en préserver leur caractère inédit, nous ne publierons que quelques fragments.


Lettre 1

« Mes yeux, on l’air de ceux d’un fou »

Carte-lettre autographe signée « Maupassant » au docteur Gaston Despaigne
[Paris], 24 rue Boccador, [22 octobre 1891], 2 p. in-12°,
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Trace d’ancienne mouillure en marge supérieure

L’écrivain évoque les symptômes syphilitiques qui le ravagent

« Mon cher Docteur
Y-a-t-il un contrepoison à la morphine. J’ai passé une nuit folle sans pouvoir rester au lit, allant de place en place, comme après ma piqure de cocaïne. Mes yeux, on l’air de ceux d’un fou. Ma mémoire disparue
[,] le regard si vague que j’écris les yeux fermés, et le gauche louchant.
Quant aux pilules elles m’ont piqué tout le ventre sans aucun résultat
[…] J’ai une migraine atroce, si violente que je ne puis rester couché […] Comment calmer l’agitation à laquelle je suis en proie. Je vous serre la main.
Maupassant »

L’écrivain est en ce mois d’octobre 1891 dans son appartement Parisien du 24 rue Boccador. Son état de santé s’aggravant, il ne sort que très peu. Sa visite, cinq jours plus tôt, chez la princesse Mathilde (sa seule sortie notable du mois), laisse un témoignage pour le moins révélateur. Elle écrit à son neveu le comte Primoli : « Dieu qu’il est changé ! Cela m’a fait beaucoup de peine. Il bredouille en parlant, exagère les moindres choses et se croit guéri ! ». D’autres témoignages de la fin du mois d’octobre viennent accréditer que son entourage le trouve profondément changé, tant d’un point de vue physique qu’intellectuel.
François Tassart, son domestique, note au même moment dans son journal : « L’éminent professeur [le Dr. Grancher] vient de lui envoyer le docteur D[espaigne], car il est en proie à un malaise invincible. Après un temps de conversation cordiale, le médecin se retire et je continue mon rôle de garde-malade jusqu’à 4 heures du matin ».
Devant rejoindre Cannes, comme il l’annonce à sa mère le 19 octobre, Maupassant doit y renoncer.


Lettre 2

« Écrasé par des trains, mordu par des chiens enragés, poursuivi par des assassins »

Lettre autographe signée deux fois « Guy de Maupassant » et « Maupassant », au docteur Gaston Despaigne
Chalet de l’Isère, route de Grasse, Cannes, [30 novembre 1891], 6 p. in-8°,
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée

Lettre terrible et pathétique dans laquelle Maupassant s’inscrit en faux avec les recommandations de son médecin
À l’image du narrateur dans Le Horla, personnage autodestructeur constamment torturé, il livre les détails les plus sordides sur son état mental et physique

« Mon cher Docteur
Vous me conseillez toujours le chloral et je vous ai toujours répondu que le chloral ne m’avait jamais fait dormir. Cet été sur le même conseil donné par
[le docteur] Grancher j’en ai bu une fine dose infinitésimale dans un jaune d’œuf battu. À peine le médicament eu-t-il touché mon estomac que j’y sentis une brulure terrible. Je quittais mon lit et marchais toute la nuit dans ma chambre. Le lendemain saignement de l’intestin. Quant au sulfonal c’est l’opium des grands cauchemars. Il a failli me tuer à Florence. J’en prenais tous les jours pour dormir. Or je me réveillais trois heures après écrasé par des trains, mordu par des chiens enragés, poursuivi par des assassins. Il en résultat une constipation féroce, puis, une nuit dix écoulements de sang par l’anus avec des mucosités […] Les médecins de Florence me croyaient perdu […].
Quant aux lavages au sel dans les fosses nasales ils me mettent encore dans un état de folie et de malaise physique invraisemblable
[…] Je passe une existence atroce dans cette lutte où je suis vaincu […] Mon cerveau chantonne des bêtises jour et nuit, ma mémoire s’en va et je perds les yeux […]. Je n’ai plus de salive car tout mon corps est salé comme un poisson mort. Rien ne me purge, rien ne me rafraîchit, je ne peux rien manger ni rien rendre. Et je halète car mes poumons sont secs comme le reste.
C’est la plus grande folie que j’ai commise.
Il n’y a pas de remède.
Bien cordialement à vous, mon cher docteur.
Guy de Maupassant
[…] »

[Puis Maupassant rouvre sa lettre à « Minuit », afin de donner un état des lieux sur l’instant à son médecin

« Minuit
Je rouvre ma lettre à minuit. La salivation est revenue depuis neuf heures du soir, épouvantable non de la salive mais des colles filant comme du macaroni et salées comme la mer. Quand je les fais couler d’un verre dans l’autre elles sont deux minutes à glisser. Si j’avalais je revomirais tout. C’est odieux d’être dans cet état
[…] et me voici dans une situation de détresse où je n’ai jamais été.
Les piqures de morphine que m’a ordonnées Dr Grancher me font dormir quelques heures, mais avec de telles crises rien n’a de pouvoir
[…] L’état où j’étais à Paris, vous l’avez vu. Il n’était rien auprès de celui d’ici […]
Maupassant »

L’écrivain se remémore ici sa fuite en Italie, et plus précisément son séjour à Florence, pendant la semaine du 26 septembre 1889, sur laquelle il livre des détails sordides le concernant.
Il contredit les prescriptions de son médecin et celles de ceux l’ayant précédé, persuadé qu’elles lui sont nuisibles. L’étaient-elles vraiment ? Plus loin dans sa lettre, il fustige les lavages des fosses nasales au sel (remède courant et inoffensif) qui, selon lui, sont la cause de tous ses maux. Maupassant semble ici se livrer à de la paranoïa, convaincu qu’aucun médicament ne produit son effet. C’est en réalité la syphilis qui suit son cours, inexorablement et cette lettre, pathétique, nous en dépeint les détails les plus terribles.


Lettre 3

« S’il faut aller dans une maison de santé j’irai »

Lettre autographe signée « Guy de Maupassant » au docteur Gaston Despaigne
Chalet de l’Isère, route de Grasse, Cannes, [2 décembre 1891], 1 p. 1/2 in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée

Dernière lettre de Maupassant au docteur Despaigne, un mois avant sa tentative de suicide et son internement

« Mon cher Docteur
Les accidents du sel s’aggravent si épouvantablement
[…] Je ne peux ni manger sans souffrances terribles ni aller à la selle. Ma tête est dans un état d’inflammation qui touche à la folie.
Et dire que j’étais guéri en arrivant à Paris.
Bien cordialement
Guy de Maupassant
Parlez-en sérieusement à notre ami
[Dr.] Grancher.
S’il faut aller dans une maison de santé j’irai
[…] »

Dans un ultime accès de lucidité, Maupassant parait ici se résoudre à son futur internement. Après sa tentative de suicide dans la nuit du 1er au 2 janvier suivant, le célèbre psychiatre Émile Blanche jugea nécessaire de le faire venir à Paris, puis de l’interner dans sa clinique de Passy, où Maupassant fut hospitalisé dans la chambre 15, qui allait devenir son seul univers (et d’où il n’écrirait plus), jusqu’à sa mort dix-huit mois plus tard.
On ne connait que des propos rapportés le concernant pendant cette longue période d’agonie, à l’image de ces lignes de Goncourt dans son journal, en date du 17 août 1892 : « Maupassant a la physionomie du vrai fou, avec le regard hagard et la bouche sans ressort », puis du 30 janvier 1893 « Maupassant est en train de s’animaliser ».

Ainsi finit Maupassant qui avait prophétisé :
« Je suis entré dans la vie littéraire comme un météore et j’en sortirai comme un coup de foudre. »
Cette lettre vient s’ajouter aux rares écrits de Maupassant de décembre 1891, les derniers que l’on connaisse de lui.

Provenance :
Gaston Despaigne
Puis par descendance