MAURRAS, Charles (1868-1952)
Lettre autographe signée « ton Charles Maurras » à René de Saint-Pons
S.l.n.d. [1894], 22 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre noire
« Un juif traîne après soi un régiment de juifs, et quand les juifs se trouvent quelque part, il faut qu’ils détruisent : ceci est tout-à-fait fatal »
Fiche descriptive
MAURRAS, Charles (1868-1952)
Lettre autographe signée « ton Charles Maurras » à René de Saint Pons
S.l.n.d. [1894], 22 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre noire
Enveloppe autographe (premier plat seulement)
Chaque page foliotée, plusieurs ratures, corrections et surcharges de la main de Maurras
Le tout monté sur onglet, reliure moderne à la bradel en plein tissu bleu pâle, dos lisse, doublure en papier vergé (insolation sur le dos se prolongeant sur le second plat)
Lettre capitale sur vingt-deux pages du jeune Maurras, âgé de 26 ans, permettant de prendre la mesure de sa pensée déjà très structurée sur la question antisémite
Document inédit
« Mon cher René,
Tu trouveras dans cette lettre la chronique dont je te parlais et qui pourra, je crois, éclaircir ma pensée au sujet des juifs. […] Si je haïssais le judaïsme, il me serait cependant impossible de le haïr plus que le protestantisme, que j’ai en horreur plus que tout. : or, s’il y a deux protestants dans la société [l’Escolo Felibrenco], c’est moi qui les ai introduits : [Marcel] Coulon et [Jules] Ronjat m’ont tous deux demandé d’être leur parrain et c’est moi qui ai moralement obligé Amouretti à préciser, le jour de la réception de Roujat, notre parfaite indifférence en matière confessionnelle et religieuse.
Mais puisque nous préparons l’histoire future avec nos idées de réorganisation fédératrice de la France, il nous est impossible de ne pas tenir compte des enseignements les plus nets de l’histoire passée.
Il y a des juifs très gentils, il y en a de très savants, il y en a même de généreux. Tu ne me feras point détester le personnage de [Heinrich] Heine ou celui de [Benjamin] Disraeli. Je traiterai, s’il le faut, avec les juifs dont le commerce sera agréable et je les aurai pour amis : mais jamais, tant que je disposerai d’une influence, si petite qu’elle soit, je ne tolérerai d’admission d’un juif parmi nous, par la simple raison qu’il n’y a pas un seul individu de race juive (même, et surtout, le juif antisémite, le plus dangereux) qui soit dépourvu de d’esprit de solidarité nationale pour sa nation juive : de force ou de gré, ou autrement, un juif traîne après soi un régiment de juifs, et quand les juifs se trouvent quelque part, il faut qu’ils détruisent : ceci est tout-à-fait fatal. L’espèce est dissolvante, corrosive, et je n’aurai jamais la présomption d’élever un doute contre un fait attesté par l’histoire moderne ancienne comme par les dernières anecdotes du boulangisme et du socialisme allemand. […] le juif partout où il se trouve, sous quelque latitude et quelque siècle qu’il vive, détermine des ruptures et des décadences. C’est tantôt le juif financier qui ouvre les voies, tantôt le juif éloquent ou le juif poète ou le bon juif sympathique : il est clair que pour pénétrer dans un milieu quelconque, il lui est nécessaire de se rendre d’abord utile ou agréable, souvent les deux ensembles. Songe qu’ils étaient au Moyen Âge, alchimistes, linguistes, philosophes : mais, après deux ou trois expériences concluantes, les hommes d’état de ce temps-là, qui étaient intelligents et qui ne méprisaient pas la tradition, trouvèrent le moyen de profiter de leurs services, sans leur laisser exercer leur métier naturel de fléaux des nations. Ils leur ouvrirent des cités, des ghettos. Ils firent en détail ce que le grand Julien [empereur romain] (que les chrétiens nomment apostat parce qu’il voulut rétablir nos anciens dieux) avait essayé de faire en gros par la reconstruction de Jérusalem et du Temple.
Nous essayons de réorganiser le ‘vieux peuple fier et libre’ : dès que nous aurons un embryon de puissance, il est évident que nous aurons à subir l’inévitable tentation, la tentation du juif. Ou le juif viendra nous offrir de l’argent pour avoir le droit de mettre son nez dans nos affaires, ou il se présentera en curieux sympathique, en frère d’armes même : il saura (les juifs sont polyglottes, s’il on peut dire) il saura la langue d’oc mieux que nous, mieux que nous notre histoire, : il réalisera ton hypothèse du juif ‘élément excellent’ et, si nous l’acceptons, nous serons d’avance foutus. –
Je ne t’écris ce long article à la [Édouard] Drumont que parce que j’attache un prix infini à ta persuasion et à celle de nos amis. Sans doute, il est possible de traiter ces déductions de rêveries. Mais l’expérience du passé est là pour répondre. Les peuples qui s’en sont souvenu ont eu la paix de leur côté. Les Français de 89, si intelligents, mais qui avaient l’esprit faussé par leurs idées préconçues de l’identité de tous les hommes, sont en train de payer (dans leurs descendants) le coup de tête de l’affranchissement de la nation juive. Ils ne croyaient pas à l’histoire. Mais les voilà punis par l’histoire de nos derniers cent ans. Je ne voudrais pas recommencer cette niaiserie. […]
Nous ne sommes pas la réunion des plus gentils jeunes gens de 1894, ni d’avantage une assemblée de méridionaux de talent, ni non plus une cohue de poètes du midi ou même de langue d’oc : nous sommes des félibres fédéralistes, nous représentons une certaine nationalité qui veut revivre – et dès lors qu’avons-nous souci de sens (charmants, soit ; nés au sud de la Loire, soit ; parlant la langue d’oc, soit encore) mais faisant naturellement partie d’une collectivité qui n’est pas la nôtre et fondant je ne dis pas un état dans notre état, mais ce qui est bien pis, un état dans chacune de nos provinces.
Remarque bien qu’en tout ceci je n’ai pas parlé de la race. Je n’ai parlé que d’histoire et de logique. Il n’y a pas de milieu. Ou agissons comme je dis ou lâchons nettement félibrige et fédéralisme, voyons l’empire à la fin de la décadence et regardons passer les grands barbares blancs ! –
La race ! Je trouve que ton objection publique m’a très vivement déprimé et découragé ; non certes à cause des idées personnelles que j’ai sur la race (cela n’a aucune importance), mais plus profondément par ce que ton mot ‘définissez la race’ attaquait touchait droit à notre principe essentiel ‘la race d’oc’ qui est inscrite en même temps que terre et langue d’oc dans nos statuts. Et j’y ai vu la preuve que nous manquions vraiment d’esprit et de mœurs politiques, nous qui tendons à une conception politique nouvelle.
Comment ! on a usé des séances et des séances à se mettre d’accord sur des pauvres statuts. On en a marqué et précisé l’esprit. Sur le point spécial du judaïsme, on est a même convenu de ne point désigner proprement les juifs (à cause des fonctionnaires présents dans notre groupe et qu’un éclat de ce genre eût pu exposer) et l’on a spécifié que ‘race d’oc’ était exclusive de ‘race juive’ et moins de six mois plus tard, voilà le principe contesté en public, en même temps que son interprétation, et par un membre du bureau [Maurras fait-il allusion à Bernard Lazare, le futur défenseur de Dreyfus ?] ! […] Je veux bien que la race soit une fiction ; mais, lis Pascal, tout est fiction et Ibsen lui-même t’apprendrait qu’il est des mensonges hors desquels les sociétés ne se maintiennent plus. La fiction de la race nous est essentielle. Supprimons-là, nous nous biffons. Nous pourrons vivoter. Nous n’existerons plus.
Pourquoi, depuis que nous faisons de la propagande avec [Frédéric] Amouretti, nous escrimons-nous à répéter ces vers de Dono Guiraudo :
Lis ome au pelage rous…
Moun amant es de raço bruno…
C’est une fiction. Nous savons qu’il y a des blonds au midi et Vénus elle-même, née de l’écume de nos mers, était blonde, je pense : cela n’empêche pas que cette couleur brune reste notre symbole, bien que toutefois elle ne représente ici ni les nègres, qui ne sont jamais blonds, ni les juifs, qui le deviennent que sous certains climats.
Je suis profondément découragé, je le répète et peut-être aurai-je, d’ici peu, des choses curieuses à te raconter. Dans tous les cas, nous devrions bien nous liguer, tous, tous, pour éviter que le bas esprit parlementaire ne pénètre au milieu de nous. […] J’aimerais mieux tout planter là que nous voir piétiner en vain. Je t’attends toujours lundi après-midi. J’aurai des documents et tu me diras ce que tu penses de toutes ces observations si tu as eu le courage de les lire jusqu’au bout.
Ton
Charles Maurras […] »
Suite à leur exclusion du Félibrige de Paris, Maurras, Amouretti et leurs amis fédéralistes décident de fonder en 1893 l’Ecolo felibrenco, avec pour idée commune de combattre une république modérée. Regroupant des membres de bords politiques antagonistes, Maurras y côtoie entre autres Louis-Xavier de Ricard, ancien communard, ou encore Jules Ronjat, surnommé « sang de biòu » (sang de bœuf) pour ses idées de gauche. L’affaire Dreyfus, à la fin de 1894, met un terme à ce groupe hétérogène, ambigu attelage s’il en est.
Dans ce qui constituera plus tard l’un de ses principaux axes idéologiques via sa formule consacrée des « quatre États confédérés », symboles pour lui de l’Anti-France, Maurras en cible déjà deux d’entre eux : les Juifs et les protestants. Sa construction politique et journalistique après l’affaire Dreyfus montre néanmoins que son antisémitisme ardent n’est pas à mettre sur même plan que ses sentiments à l’égard des protestants ou des francs-maçons. Les propos qu’il développe ici, alors qu’il n’a que 26 ans, permettent de comprendre chez Maurras une idéologie antisémite déjà très structurée, qu’il renforce au travers de l’Action française, à partir de 1899. Son parcours et sa pensée ont une influence considérable au sein de l’extrême droite française tout au long du XXe siècle.
Provenance :
Succession Paul Beauvais