MAURRAS, Charles (1868-1952)

Lettre autographe signée « Ch Maurras » [à Thierry Maulnier]
[Paris] Prison de la Santé, 19 avril 1937, 8 pp. in-8°

« Il n’est pas possible à l’Action française de retarder davantage le choix qui s’impose entre sa direction, sa destinée, son obligation nationale »

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Fiche descriptive

MAURRAS, Charles (1868-1952)

Lettre autographe signée « Ch Maurras » [à Thierry Maulnier ?]
[Paris] Prison de la Santé, 19 avril 1937, 8 pp. in-8°
Fentes au plis, rousseurs éparses, nombreux caviardages

Longue et foisonnante lettre inédite écrite depuis sa geôle à la prison de la Santé

« Ainsi les nationaux ne sont pas assez accusés d’en vouloir, par esprit de parti – et pour faire échouer la sainte expérience Blum, à tous les éléments de la prospérité publique »


« Mon cher ami,
Je voudrais n’avoir qu’à vous remercier et vous féliciter du si bel article de la Revue universelle, où j’ai été heureux de me sentir si bien compris de vous, encore que trop chaudement loué. Mais je ne puis vous cacher le grand souci qui m’assiège depuis bien des jours, et je n’ai que trop différé ce devoir. Tout ce que je vois et je lis confirme, accroît, aggrave les inquiétudes dont je vous ai fait part, il y a quelque temps. Ce que j’apprends des mouvements que provoque ou suggère L’Insurgé me contraint à des réflexions nouvelles, où l’alarme ne fait que grandir : qu’il s’agisse du trait général de l’action, de la parole ou de la pensée, tout y semble vouloir aller à rebours des indications les plus impérieuses de l’heure et du terrain […]
Alors que la forme et la nature des choses travaillent pour nous, et comme on pourrait le prévoir, agissent d’elles-mêmes contre les extravagances criminelles des gens au pouvoir, vous paraissez vouloir leur fabriquer précisément ce qui leur manque, comme planche de salut, le prétexte et le moyen d’une diversion offensive de politique pure contre les nationaux. Ne supposez pas que j’aie jamais imaginé que le bien doive se faire tout seul, ni les affaires de la France se rétablir sans une entreprise forte, courageuse, hardie, de français fidèles. Mais il est clair bien clair que, si en peu de temps, les conditions favorables, matérielles et immatérielles, avaient la plus grande chance d’être réunies dans nos mains ou à portée de nos mains, une grande, une croissante portion de  l’opinion générale, mécontente, déçue, irritée, tendrait à se former contre les malfaiteurs publics et, comme par bonheur les excuses qu’ils ont préparées, les accusations auxquelles ils se fiaient leur éclatent dans les mains, comme il se produit même, sur des points inattendus, certaines rumeurs qui les menacent, et qu’ailleurs une certaine neutralité, une indifférence semble se substituer à l’enthousiasme, le moment approchait où placer une affaire énergique. Mais vous n’attendez pas ce moment. Vous partez avant d’avoir mis de votre côté cette grave et précieuse chance qui assure aux minorités hardies et allantes le concours presque tout puissant d’une atmosphère complice qui en multiplie les effets : et vous ne prenez même pas la précaution élémentaire de légitimer une action passionnée et ardente par un recours lucide à l’intérêt public. Vous semblez goûter un plaisir malin ou une joie perverse à en troubler la conscience et le sentiment. Est-ce un exercice littéraire ? Traitez-vous l’esprit public comme les philistins de 1830 ? Quel profit aurez-vous à le tourner contre vous ? Vous vous appliquez à le défier à le rudoyer, à le rebrousser ! Ainsi les nationaux ne sont pas assez accusés d’en vouloir, par esprit de parti – et pour faire échouer la sainte expérience Blum, à tous les éléments de la prospérité publique : vous imaginez de vous tourner et de tourner vos lecteurs contre l’Exposition ! Ainsi les nationaux ne sont pas assez accusés de manque de patriotisme (Delbos y revenait hier soir à Carcassonne !) ou qu’on les traite demain d’hitlériens… d’émigrés de l’intérieur, de successeurs et de continuateurs de l’armée de Coblenz – […]  parce qu’ils doivent dénoncer les sales et sanglantes tricheries de Cot. Vous faites encore ce qui dépend de vous pour vous délivrer du patriotisme et de l’idée de patrie par des violences verbales dont on peut discerner le sens secret, mais que l’adversaire n’est pas obligé de traduire, qu’il prendra et qu’il prend au pied de la lettre, ce qui est de bonne guerre, après tout, mais ce qui leur permet de vous ranger dans les factions idéologiques entre lesquelles l’Europe est divisée, au parti de « la France mais », de « la France si », contre lequel nous avons eu tant de peine, nous, à réagir autrefois ! Vous leur lâchez, vous leur livrez le nom de la patrie : soyez tranquille, ils le prendront, en admirant la simplicité de votre cadeau !
L’œuvre morale de nos quarante ans de travaux risque ainsi d’être défaite, et pourquoi ? pourquoi ? Pour les plus fausses des manœuvres et les plus funestes des équipées. Car (et c’est bien le pire) ce ne sont pas là que des mots. Je ne puis pas fermer mes yeux aux témoignages concordants, aux signes évidents de vos étroits rapports avec les cagoulards les plus dangereux.
Ce n’est ni pour moi, ni pour nos amis dirigeants de l’A. F. que je parle de danger. Nous en sommes libres, quant à nous, grâce aux avertissements publics répétés. Nous nous en sommes trop clairement désolidarisés pour avoir à craindre une confusion quelconque avec ces malheureux, manœuvrés ou manœuvriers. Mais, mon cher ami, à supposer que vous nous défendiez de trembler pour vous, il y a ceux que vous entraînez ! Une brave jeunesse peut se prendre aux appels des voix et des gestes, pour glisser au plus louche, au plus vilain des complots ! Elle ne cède pas à l’attrait de mystérieux meneurs inconnus : elle subit l’influence de votre nom, le prestige de votre plume et, je dois aussi vous dire, l’autorité et l’amitié qui nous lie publiquement, vous et nous. Rien ne m’est plus douloureux que d’écrire cela, mais je serais coupable de m’en taire, et je dois vous demander de vous arracher rapidement et publiquement, en disant pourquoi, à des liens désastreux. Je vous le demande pour le salut d’un certain nombre des jeunes français dont le sort vous est partiellement imputable et dont nous avons, dans une certaine mesure, la responsabilité.
J’ai peine, d’ailleurs, à comprendre comment, de vous-même, vous n’apercevez pas ce devoir tant sur le plan de la pensée que sur celui de l’action, et comment vous n’éprouvez pas déjà l’horreur physique du piège où vous conduisez, sans le vouloir, votre génération. Physique, dis-je, car le piège se touche ou se sent déjà ! Soyez brave et même imprudent pour vous tant que vous le voudrez : mais la première tâche du chef est de ménager ses hommes et de ne pas les précipiter, la tête baissée, dans l’impasse minée où ils sont attendus par tout le gros de la force ennemie ! Si vous ne le voyez, ni ne le sentez, nous devons le voir pour vous. Il n’est pas possible à l’Action française de retarder davantage le choix qui s’impose entre sa direction, sa destinée, son obligation nationale, – et les troubles milieux où circulent tant de figures suspectes et où courent tant de ressources qui ne le sont pas moins. Alors surtout que les bons esprits et les nobles cœurs dont je connais les intentions sont précisément, très régulièrement, très méthodiquement induits et emportés à faire et à dire exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire et de ce que les circonstances évidentes exigeraient d’eux. 
Cette confusion et ce risque de catastrophe civile ne peut pas durer. Je vous demande d’y réfléchir sérieusement et de me dire quel est votre choix. Le mauvais, dont je ne peux vous croire capable, serait tragique.
Recevez, mon cher ami, l’assurance de mes plus vives amitiés, je ne vous en ai jamais donné une preuve plus certaine que dans cette lettre,
Ch Maurras, Prison de la Santé, le 19 avril 1937 »


Condamné pour avoir publiquement menacé de mort Léon Blum dans L’Action Française, Maurras est emprisonné à la prison de la Santé du 29 octobre au 6 juillet 1937. C’est pendant cette période qu’il rédige Mes idées politiques.
Périodique royaliste fondé en 1920 par Jacques Bainville et Henri Massis La Revue universelle se voulait proche de L’Action française avec des collaborateurs de renom, dont Jacques Maritain, Léon Daudet, Thierry Maulnier, Robert Brasillach ou encore Charles Maurras lui-même. La revue s’intéressait principalement aux questions de politique étrangère. Pendant la guerre elle soutient le Régime de Vichy et cesse de paraître en 1944. En 1974, la publication réapparaît sous la direction de François Natter avec pour nom Revue universelle des faits et des idées.

Cette lettre semble être adressée à Thierry Maulnier, en réaction à l’article de ce dernier (Les Essais / Charles Maurras et les deux grandeurs), dans La Revue universelle du 15 avril précédent.

Scan complet du document sur demande.

Provenance :
Archives Thierry Maulnier

Lettre inédite