PROUST, Marcel (1871-1922)
Carte-télégramme autographe signée « Marcel Proust » à Fernand Gregh
[Paris], « lundi matin », cachet postal [7 nov. 1892], 1 p. in-16°
« Veux-tu faire à nous tous le plaisir de venir dîner… seul avec M. Bergson et surtout pas en habit »
Fiche descriptive
PROUST, Marcel (1871-1922)
Carte-télégramme autographe signée « Marcel Proust » à Fernand Gregh
[Paris], « lundi matin », cachet postal [7 nov. 1892], 1 p. in-16° à l’encre noire
Adresse autographe : « [M]onsieur / Fernand Gregh / 40 Boulevard Haussmann »
Petites rousseurs éparses sans gravité
Proust et Gregh dînent chez Bergson
« Cher ami
Veux-tu faire à nous tous le plaisir de venir dîner ce soir lundi à 7 heures précises seul avec M. Bergson et surtout pas en habit. Il est aussi en deuil et serait gêné par la présence d’un convive si éclatant.
À ce soir donc et en attendant, affectueuses amitiés
Marcel Proust »
Proust – Bergson : admiration réciproque et influence ambiguë
La rencontre entre Proust, 20 ans, et Bergson, 33 ans, a lieu à l’occasion du mariage de ce dernier, le 7 janvier 1892, avec Louise Neuburger, cousine de Marcel. Cette alliance familiale entre les deux hommes ne les rapproche pas l’un de l’autre pour autant. D’apparence, Bergson était froid, quoique sensible ; Proust, au contraire, chaleureux et sentimental. « L’extrême pudeur du premier ne s’accordait pas avec le goût de la confession chez le second » (Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, t. I, p. 238). La politique est par ailleurs un sujet de discordance certain au déclenchement de l’affaire Dreyfus. Alors que Marcel recueil des signatures en faveur de Zola lors du procès de 1898, il est sans doute éconduit par son cousin, dont le nom ne figure sur aucune pétition. Bergson, qui avait longtemps cru à la culpabilité de son coreligionnaire, prendra une position plus neutre avec le temps (on se souvient que Swann tient la même attitude au début de l’affaire).
Trois ans avant sa rencontre avec son futur cousin, Bergson offre une des clefs de l’univers proustien : dans son ouvrage Essai sur les données immédiates de la conscience, il livre en effet « une expression privilégiée, parce que théorique, de l’univers mental d’une génération » (Jean-Yves Tadié, op. cit., t. I, p. 472). Proust se nourrit de l’œuvre de Bergson mais d’une manière ambiguë. S’il adopte l’opposition entre moi superficiel et moi profond que Bergson opérait, il récuse en revanche l’appellation de « roman bergsonien » pour Swann, affirmant que la distinction entre mémoire volontaire et mémoire involontaire dominait toute son œuvre tandis qu’elle était contredite par celle de Bergson. De même, Bergson a souligné des différences qui l’opposaient à Proust : « sa pensée a bien pour essence de tourner le dos à la durée et à l’élan vital ». Les deux hommes ne s’en admiraient pas moins.
« Une sorte de communion entre deux jeunes disciples et un maître » : Fernand Gregh, qui préparait alors son agrégation de philosophie, évoquera en ces termes ce dîner intime dans son volume de souvenirs L’Âge d’or (pp. 154-155 et 169-170).
C’est en janvier 1892, parmi les élèves du lycée Condorcet qui animaient la revue littéraire Le Banquet, que Fernand Gregh (1873-1960) rencontre Marcel Proust. Il devient rapidement le directeur de ce périodique, tandis que Proust y publie parmi ses premiers textes importants, littéraires et théoriques. Avec deux autres élèves du lycée et membres du Banquet, Louis de La Salle et Daniel Halévy, Proust et Gregh entreprennent en 1893 l’écriture d’un roman à quatre mains. Ce texte collectif, conçu sur le modèle de La Croix de Berny (composé par Gautier et trois autres écrivains) ne fut pas achevé, mais Proust en fut le principal rédacteur et y plaça déjà des thèmes qui se retrouveraient dans La Recherche. Fernand Gregh se consacra ensuite presque exclusivement à la poésie, remportant un prix de l’Académie française en 1896. Il joua un certain rôle dans la vie littéraire par sa position de secrétaire de rédaction à la Revue de Paris (1894-1897) et de rédacteur des Lettres (jusqu’en 1909). Son amitié avec Proust connut cependant des intermittences, en raison notamment de divergences esthétiques. Par ailleurs, comme beaucoup d’écrivains « arrivés », Gregh regarda Proust d’abord avec un peu de condescendance, tandis que Proust moquait de son côté le ridicule du caractère « charmant » de son ami. Fernand Gregh entre à l’Académie française en 1953 et y laisse d’importants souvenirs littéraires, dont un volume intitulé Mon Amitié avec Marcel Proust (1958), dans lequel il édita ses lettres reçues de l’auteur de La Recherche.
Provenance :
Fernand Gregh
Puis coll. particulière
Bibliographie :
Corr., t. I, Kolb, Plon, n°65
Lettres, Plon, n°28
RDM, 1er janv. 1954, p. 28-29