RIVIÈRE, Jacques (1886-1925)
Lettre autographe signée « Jacques Rivière » à Mme Boissier
Frontignan, 20 nov. 1918, 4 pp. in-8°
« Les événements sont devenus tout à coup si beaux, si merveilleux qu’ils m’ont un peu coupé la respiration »
Fiche descriptive
RIVIÈRE, Jacques (1886-1925)
Lettre autographe signée « Jacques Rivière » à Mme Boissier
Frontignan, 20 nov. 1918, 4 pp. in-8° à l’encre noire
Petites déchirures aux angles anciennement restaurées
Longue lettre inédite de Jacques Rivière évoquant pêle-mêle sa situation personnelle au sortir de la Grande Guerre, saluant l’armistice et annonçant son prochain roman à paraître : L’Allemand, souvenirs et réflexions d’un prisonnier de guerre
« Chère Madame,
Il y a longtemps déjà que je cherche à trouver le calme nécessaire pour vous remercier de votre bonne lettre et de ce que vous avez bien voulu à nouveau tenter pour mes camarades de captivité. Mais je n’arrive pas à me poser. […]
D’autre part les événements sont devenus tout à coup si beaux, si merveilleux qu’ils m’ont un peu coupé la respiration. On n’a plus envie de rien dire quand il y a tant à voir. À moins de borner son langage à une série d’exclamations.
Je ne sais pas si vous vous souvenez d’un jour où dans le corridor de notre petit appartement de l’avenue de Frontenex [à Genève], je vous ai dit : “Les Allemands auront grand tort s’ils ne réussissent pas à prendre Paris cette fois [allusion au siège de Paris de 1870]. Je Je leur souhaite de tout mon cœur de réussir. Parce que sinon, notre tour sera venu.”
Vous voyez que ce n’était pas trop mal prophétisé. […] Depuis le début d’octobre, j’ai repris la vie militaire. Tant que durerait la guerre, je faisais partie d’un groupe, qui, après rééducation, devait être dirigé sur le Maroc.
Mais maintenant que l’armistice est signé, j’espère, sans encore en être sûr, que notre destination va être changée.
Pendant mon congé de convalescence j’ai pu achever mon livre. Il va paraître au début de décembre sous le titre : L’Allemand, souvenirs et réflexions d’un prisonnier de guerre. Je n’ai pas besoin de vous dire que vous pouvez compter sur un exemplaire.
Jacqueline [sa fille aînée] nous a donné bien du tourment depuis que nous sommes rentrés en France […] Veuillez présenter à M. Boissier mes remerciements pour sa nouvelle intervention en faveur de mes camarades et lui dire que je suis confus de l’avoir dérangé inutilement dans cette dernière heure de la guerre. […]
Jacques Rivière
[en marge] Permettez-moi de vous prier de transmettre à M. Franzoni l’expression de ma sincère sympathie et le désir que je forme à pouvoir faire bientôt connaissance.
[en marge de la première page] Je me déplace si souvent qu’il vaut mieux que vous ne gardiez dans votre souvenir que mon adresse à Paris (2 rue Cassini). »
Tenu en captivité trois ans durant, Rivière est transféré en Suisse sous le statut de “prisonnier de guerre interné” au mois de juin 1917. La nouvelle se répand parmi les milieux intellectuels parisiens, et en particulier à Genève où il se fixe avec sa famille. Il peut regagner la France un an plus tard, au mois de juillet 1918. Il publie dans la foulée L’Allemand, souvenirs et réflexions d’un prisonnier de guerre, ouvrage qu’il rééditera en 1924. L’armistice signé, l’hiver 1918-1919 sera l’objet de vives négociations en vue de la renaissance de la Nouvelle Revue Française, dont Rivière se voit attribuer une position prééminente, manifestant ainsi de fortes ambitions.
S’agissant de l’Allemagne, il dénonce publiquement les clauses du Traité de Versailles et prône une réconciliation avec l’adversaire. Il écrit dans la N.R.F en 1923 : « La paix a été manquée. Il faut la recommencer. Il faut la concevoir comme un organisme et non pas la décréter, mais lui donner la vie. La première cellule ne peut en être que la coopération économique de la France et de l’Allemagne. […] Il faut faire la paix, c’est-à-dire la créer, en produire les conditions normales, et la première c’est le silence sur les griefs. »