[ROUGET DE LISLE] BOURGAULT-DUCOUDRAY, Louis-Albert (1840-1910)
Lettre autographe signée « LA Bourgault Ducoudray » à Henri Passerieu
Vernouillet [15 sept. 1880], 4 pp. in-12°
« La version de la Marseillaise que je préfère est celle publiée par Rouget de Lisle en 1825 dans son recueil Chants français »
Fiche descriptive
[ROUGET DE LISLE] BOURGAULT-DUCOUDRAY, Louis-Albert (1840-1910)
Lettre autographe signée « LA Bourgault Ducoudray » au librettiste et poète languedocien Henri Passerieu
Vernouillet [15 sept. 1880], 4 pp. in-12°
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Légères rousseurs, plusieurs mots caviardés par Bourgault Ducoudray
Très intéressantes réflexions du chef d’orchestre sur La Marseillaise
« Monsieur,
Veuillez m’excuser. Si je n’ai pas répondu plus tôt à votre lettre c’est qu’elle m’est parvenue avant hier seulement. La version de la Marseillaise que je préfère est celle publiée par Rouget de Lisle dans en 1825 dans son recueil Chants français ; tout me plaît dans cette version sauf une note qu’a adopté la tradition populaire. Rouget de Lisle a mis sur cette phrase
“Ils viennent jusque dans nos bras” (je suppure l’air en sol)
la siᵇ siᵇ siᵇ do siᵇ la.
La tradition populaire fait
siᵇ do ré la
“jusque dans vos bras”
Je préfère cela de beaucoup.-
Peut-être avez-vous une certaine difficulté à vous procurer la version de Rouget de Lisle. Si vous ne l’avez pas sous la main, priez quelqu’un à Paris de vous envoyer une version de la Marseillaise qui coûte 1 sou et se vend actuellement dans tous les carrefours.
Cette version est conforme à celle adoptée par la commission de surveillance de l’enseignement musical dans les écoles.
Cette version est bonne.
Je ne trouve d’y reprendre qu’une seule note ; c’est précisément le ré sol sol la la si dont vous me parlez dans votre lettre et qu’a cru devoir adopter la commission, se conformant en cela, trop aveuglément selon moi à la tradition populaire.
Rouget de Lisle a mis
ré sol sol si.
C’est plus fort, plus distingué, plus entraînant.
Je suis extrêmement honoré par la demande que vous me faites de ma photographie pout la publier dans un journal. Permettez-moi de vous répondre, toutefois, que je trouve ma célébrité peut-être bien un peu trop imberbe pour un pareil honneur.
Je suis on peut plus touché des bons souvenirs que vous me dites avoir dardé de mes leçons et vous prie d’agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.
LA Bourgault Ducoudray. »
Dans un souci marqué du détail, Bourgault-Ducoudray évoque ici l’évolution du texte de l’hymne national à propos d’un passage qui lui est particulièrement cher. Les manuscrits originaux de Rouget de Lisle qui nous sont parvenus comportent la formule : « Ils viennent jusque dans nos bras », ainsi que le rapporte l’écrivain à la page 84 de son recueil Chant français, publié en 1925. Parmi les diverses modifications apportées au texte au cours du XIXe siècle, cette formule évolue pour devenir : « jusque dans vos bras ».
Discordances autour de l’hymne national français
Déjà abandonnée sous l’Empire, La Marseillaise est jugée blasphématoire et subversive par les élites politiques de la Troisième République, soucieuses de rétablir un certain ordre moral. Après de longues hésitations, ces dernières commandent en 1877 à Charles Gounod la musique d’un nouvel hymne, qu’il compose sur des paroles du poète patriote Paul Déroulède : Vive la France, un chant de concorde plus pacifique que La Marseillaise. Cependant, les nouveaux républicains (Ferry, Gambetta, etc.), récemment parvenus au pouvoir après la défaite du président MacMahon, redécouvrent les vertus émancipatrices de La Marseillaise et décident de la réhabiliter. Elle est alors consacrée hymne national par la loi du 14 février 1879, en s’appuyant sur le décret du 14 juillet 1795, présenté comme toujours en vigueur. À cette époque, les variantes du texte sont déjà attestées par rapport à la publication de 1825, et commentées ici par Bourgault-Ducoudray.
Provenance :
Cat. Morssen, printemps 1977, n°18
Coll. P.E.