DELACROIX, Eugène (1798-1863)
Lettre autographe signée « E. Delacroix » à Achille Piron
S.l, [Paris], 10 novembre 1815. 3 p. petit in-8°
« Prie le ciel pour que je sois un grand homme »
Fiche descriptive
DELACROIX, Eugène (1798-1863)
Lettre autographe signée « E. Delacroix » à Achille Piron
S.l, [Paris], 10 novembre 1815. 3 p. petit in-8°
Adresse autographe sur la quatrième page
Petit manque angulaire (portant atteinte à un mot) en raison du bris de cachet, fragment conservé
Admirable lettre érudite du jeune Delacroix, âgé de dix-sept ans, incertain de sa vocation mais caressant de hautes ambitions
« Il y a des siècles que je ne t’ai vu mon cher ami. je sèche loin de toi et je maudis la bizarre destinée qui t’a juchée dans un quartier perdu infréquenté de ma seigneurie depuis quelques jours, Ce qui est cause que je ne t’ai point été rendre mes devoirs. J’ose espérer que tu voudras bien, dimanche, me gratifier de ta visite, d’autant plus qu’il est important que nous nous concertions ensemble sur la partie du lendemain. Mon cher Monsieur et ami doit y venir avec moi, et je serais désespéré si Pantalon n’en était pas. Tu sçais que tu es le compagnon fidèle, le fidèle, fidissime Achate [compagnon d’Énée] de mon éminence et c’est là-dessus que je me verrais marrit si j’étais forcé de me passer de mon cher aide de camp un jour de Talma [qui jouait alors Hamlet au théâtre-Français]. Je dis bien des sottises, comme à mon ordinaire : mais c’est là ma manie. Et puis les olies viennent de temps en temps s’emparer de moi comme des fumées qui vous remplissent la tête sans y mettre rien pour cela.
Quand je pense au bonheur, j’écume comme tous les cidevants possédés depuis ceux de l’Ancien et du Nouveau Testament jusqu’à ceux de St-Médard et compagnie [allusion aux jansénistes convulsionnaires du début du XVIIIe siècle].
Du talent, du talent et bien des choses encore qui valent la peine d’en parler. Je t’écris avec une plume détestable et une tête plus mauvaise encore, car je vois double et j’enrage pour dix.
J’ai des projets : Je voudrais faire quelque chose et… rien ne se présente encore avec assez de clarté. C’est un cahos, un capharnaüm, un tas de fumier qui poussera peut-être quelques perles. Prie le ciel pour que je sois un grand homme et que le Ciel te le rende: je te le souhaite de tout mon cœur aussi bien que le bonsoir. Ortis [Ugo Foscolo], Talma, Poussin !… C’est du génie en barre, mon ami, que ces hommes là. Je t’aime de tout mon cœur. E. Delacroix
Je serai chez moi toute la matinée jusqu’à trois heures au moins. Je t’attends avec confiance »
C’est au sortir du lycée impérial de Paris en juin 1815 que le jeune Delacroix, déjà incontestablement talentueux en dessin, trouve une place dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin le 1er Novembre 1815, par l’intermédiaire de son oncle, Henri-François Riesener. Intégrer cet atelier s’avère une étape décisive pour les débuts du jeune peintre. C’est en effet chez Guérin qu’il rencontre Théodore Géricault, de sept ans son aîné, dont la peinture exercera une influence capitale sur le jeune peintre.
Delacroix se fait quelques années plus tard connaître lors de l’exposition du Salon Parisien de 1822, où il expose La Barque de Dante. Il reçoit aussitôt l’approbation des critiques, dont celle d’Adolphe Thiers. La carrière de Delacroix désormais lancée, il se trouve une place de choix au sein du mouvement romantique, dont il devient plus tard l’un des chefs de file.
De Poussin, à qui il voue une admiration intarissable. Delacroix écrit : « Indiquer le nom de ces admirables compositions, c’est rappeler à la mémoire de tout le monde ce charme, cette grandeur, cette simplicité dont elles sont remplies et qui rendent toute description languissante. Il en est ainsi de ces bacchanales, de ces allégories dans lesquelles il excellait et qu’on ne peut comparer qu’à ces mêmes sujets, quand ils sont traités par les anciens. »
Ami d’enfance de Delacroix, Achille Piron est aussi son premier biographe. Il est désigné par le peintre comme son exécuteur testamentaire.
Provenance :
PBA, 22 nov. 2010, n°65
Bibliographie :
Delacroix – The MET, p. 4
Delacroix – Musée du Louvre édition / Hazan, p. 25