SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)
Manuscrit autographe préparatoire pour Les Mots
S.l.n.d [c. 1953-1955], 1 p. in-4°
« Je devins quelqu’un, un Autre »
Fiche descriptive
SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)
Manuscrit autographe préparatoire pour Les Mots
S.l.n.d [c. 1953-1955], 1 p. in-4°
Quelques ratures et passages biffés de la main de Sartre
Précieux manuscrit préparatoire inédit pour Les Mots, le chef-d’œuvre autobiographique de Sartre
Madame Bovary s’inscrivait pour le jeune Sartre dans un projet de vie, entre le défi aux adultes et la comédie enfantine (Sartre et la tentation Bovary – F. Noudelmann)
« Je ne ressentais rien, toute mon énergie s’absorbait à produire cette mutation dans cette mue. Je fus atteint de distraction chronique ; possédé par mon absence, nulle part je ne me sentis présent tout à fait. Par comédie, par zèle, j’avais été l’enfant le plus sage ; par indifférence, je devins plus docile encore, je me prêtai aux éponges, aux brosses, au gant de crin : pendant qu’on me bouchonnait, j’écoutais en moi-même le bruit des marteaux qui battaient le fer. Je gagnais tout à cette nouvelle imposture : jusque-là, quand je faisais le héros, je n’oubliais jamais que c’était un jeu, que j’étais un mal-bâti. Bref, je n’y croyais pas. Mais je croyais à ma vocation : cette certitude était d‘autant plus aveugle, d’autant plus inébranlable qu’elle m’était plus étrangère. En parant l’écrivant des plumes du héros. Mais quand. Lorsque je fis forgeais l’alliage du héros et de l’écrivain, je donnais à celui-ci les vertus de celui-là, à celui au second les vertus du premier, au premier la réalité du second. Ma valeur n’était qu’imaginaire : elle devint ma vérité future, je passai du jeu au bovarysme. À considérer les choses du dehors, il va de soi que je ne sortais pas du rêve : héroïsme, génie, vocation, tous ces mots enfantins perdent leur sens dans l’univers des adultes. Mais, au-dedans, il n’en était pas de même :
Je devins quelqu’un, un Autre […] »
Sartre commence la rédaction d’un manuscrit préparatoire aux Mots (initialement titré Les Affections du cœur) entre 1952 et 1953. Très engagé par ailleurs dans ses travaux philosophiques, avec notamment Critique de la raison dialectique, il abandonne un temps son projet autobiographique avant d’en reprendre la composition, à la fin des années 1950. L’ouvrage, qui parait chez Gallimard en 1963 est couronné d’un immense succès.
On connaît plusieurs textes préparatoires fragmentaires (de un à une dizaine de feuillets pour le plus long), aujourd’hui conservés à la BnF. Ces fragments sont publiés dans l’édition de la Pléiade à la rubrique « Vers Les Mots ».
Demeuré inconnu à Jean-François Louette, le présent manuscrit demeure l’un des plus précieux que l’on puisse trouver du philosophe, tant sa densité thématique y est révélatrice des enjeux existentiels. Il se distingue d’autre part avec un ‘début’ et une ‘fin’, contrairement à d’autres fragments isolés.
Le « bovarysme » :
On notera que cette occurrence ne figure pas dans le texte définitif des Mots. Sartre, on le sait, nourrissait un fort intérêt pour Madame Bovary, ayant lu l’œuvre de Flaubert à de nombreuses reprises. Madame Bovary s’inscrivait pour le jeune Sartre dans un projet de vie, entre le défi aux adultes et la comédie enfantine (Sartre et la tentation Bovary – F. Noudelmann)
Ne figure pas dans « Vers Les Mots » (Les Mots, Pléiade, éd. Jean-François Louette, 2010).