MAURRAS, Charles (1868-1952)

Lettre autographe signée « ton Charles Maurras » à René de Saint Pons
S.l.n.d. [1894], 22 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre noire
Enveloppe autographe (premier plat seulement)
Chaque page foliotée, plusieurs ratures, corrections et surcharges de la main de Maurras
Le tout monté sur onglet, reliure moderne à la bradel en plein tissu bleu pâle, dos lisse, doublure en papier vergé (insolation sur le dos se prolongeant sur le second plat)

Lettre capitale sur vingt-deux pages du jeune Maurras, âgé de 26 ans, permettant de prendre la mesure de sa pensée déjà très structurée sur la question antisémite

Document inédit


« Mon cher René,
Tu trouveras dans cette lettre la chronique dont je te parlais et qui pourra, je crois, éclaircir ma pensée au sujet des juifs. […] Si je haïssais le judaïsme, il me serait cependant impossible de le haïr plus que le protestantisme, que j’ai en horreur plus que tout. : or, s’il y a deux protestants dans la société [l’Escolo Felibrenco], c’est moi qui les ai introduits : [Marcel] Coulon et [Jules] Ronjat m’ont tous deux demandé d’être leur parrain et c’est moi qui ai moralement obligé Amouretti à préciser, le jour de la réception de Roujat, notre parfaite indifférence en matière confessionnelle et religieuse.
Mais puisque nous préparons l’histoire future avec nos idées de réorganisation fédératrice de la France, il nous est impossible de ne pas tenir compte des enseignements les plus nets de l’histoire passée.
Il y a des juifs très gentils, il y en a de très savants, il y en a même de généreux. Tu ne me feras point détester le personnage de
[Heinrich] Heine ou celui de [Benjamin] Disraeli. Je traiterai, s’il le faut, avec les juifs dont le commerce sera agréable et je les aurai pour amis : mais jamais, tant que je disposerai d’une influence, si petite qu’elle soit, je ne tolérerai d’admission d’un juif parmi nous, par la simple raison qu’il n’y a pas un seul individu de race juive (même, et surtout, le juif antisémite, le plus dangereux) qui soit dépourvu de d’esprit de solidarité nationale pour sa nation juive : de force ou de gré, ou autrement, un juif traîne après soi un régiment de juifs, et quand les juifs se trouvent quelque part, il faut qu’ils détruisent : ceci est tout-à-fait fatal. L’espèce est dissolvante, corrosive, et je n’aurai jamais la présomption d’élever un doute contre un fait attesté par l’histoire moderne ancienne comme par les dernières anecdotes du boulangisme et du socialisme allemand. […] le juif partout où il se trouve, sous quelque latitude et quelque siècle qu’il vive, détermine des ruptures et des décadences. C’est tantôt le juif financier qui ouvre les voies, tantôt le juif éloquent ou le juif poète ou le bon juif sympathique : il est clair que pour pénétrer dans un milieu quelconque, il lui est nécessaire de se rendre d’abord utile ou agréable, souvent les deux ensembles. Songe qu’ils étaient au Moyen Âge, alchimistes, linguistes, philosophes : mais, après deux ou trois expériences concluantes, les hommes d’état de ce temps-là, qui étaient intelligents et qui ne méprisaient pas la tradition, trouvèrent le moyen de profiter de leurs services, sans leur laisser exercer leur métier naturel de fléaux des nations. Ils leur ouvrirent des cités, des ghettos. Ils firent en détail ce que le grand Julien [empereur romain] (que les chrétiens nomment apostat parce qu’il voulut rétablir nos anciens dieux) avait essayé de faire en gros par la reconstruction de Jérusalem et du Temple.
Nous essayons de réorganiser le ‘vieux peuple fier et libre’ : dès que nous aurons un embryon de puissance, il est évident que nous aurons à subir l’inévitable tentation, la tentation du juif. Ou le juif viendra nous offrir de l’argent pour avoir le droit de mettre son nez dans nos affaires, ou il se présentera en curieux sympathique, en frère d’armes même : il saura (les juifs sont polyglottes, s’il on peut dire) il saura la langue d’oc mieux que nous, mieux que nous notre histoire, : il réalisera ton hypothèse du juif ‘élément excellent’ et, si nous l’acceptons, nous serons d’avance foutus. –
Je ne t’écris ce long article à la [Édouard] Drumont que parce que j’attache un prix infini à ta persuasion et à celle de nos amis. Sans doute, il est possible de traiter ces déductions de rêveries. Mais l’expérience du passé est là pour répondre. Les peuples qui s’en sont souvenu ont eu la paix de leur côté. Les Français de 89, si intelligents, mais qui avaient l’esprit faussé par leurs idées préconçues de l’identité de tous les hommes, sont en train de payer (dans leurs descendants) le coup de tête de l’affranchissement de la nation juive. Ils ne croyaient pas à l’histoire. Mais les voilà punis par l’histoire de nos derniers cent ans. Je ne voudrais pas recommencer cette niaiserie. […]
Nous ne sommes pas la réunion des plus gentils jeunes gens de 1894, ni d’avantage une assemblée de méridionaux de talent, ni non plus une cohue de poètes du midi ou même de langue d’oc : nous sommes des félibres fédéralistes, nous représentons une certaine nationalité qui veut revivre – et dès lors qu’avons-nous souci de sens (charmants, soit ; nés au sud de la Loire, soit ; parlant la langue d’oc, soit encore) mais faisant naturellement partie d’une collectivité qui n’est pas la nôtre et fondant je ne dis pas un état dans notre état, mais ce qui est bien pis, un état dans chacune de nos provinces.
Remarque bien qu’en tout ceci je n’ai pas parlé de la race. Je n’ai parlé que d’histoire et de logique. Il n’y a pas de milieu. Ou agissons comme je dis ou lâchons nettement félibrige et fédéralisme, voyons l’empire à la fin de la décadence et regardons passer les grands barbares blancs ! –
La race ! Je trouve que ton objection publique m’a très vivement déprimé et découragé ; non certes à cause des idées personnelles que j’ai sur la race (cela n’a aucune importance), mais plus profondément par ce que ton mot ‘définissez la race’ attaquait touchait droit à notre principe essentiel ‘la race d’oc’ qui est inscrite en même temps que terre et langue d’oc dans nos statuts. Et j’y ai vu la preuve que nous manquions vraiment d’esprit et de mœurs politiques, nous qui tendons à une conception politique nouvelle.
Comment ! on a usé des séances et des séances à se mettre d’accord sur des pauvres statuts. On en a marqué et précisé l’esprit. Sur le point spécial du judaïsme, on est a même convenu de ne point désigner proprement les juifs (à cause des fonctionnaires présents dans notre groupe et qu’un éclat de ce genre eût pu exposer) et l’on a spécifié que ‘race d’oc’ était exclusive de ‘race juive’ et moins de six mois plus tard, voilà le principe contesté en public, en même temps que son interprétation, et par un membre du bureau
[Maurras fait-il allusion à Bernard Lazare, le futur défenseur de Dreyfus ?] ! […] Je veux bien que la race soit une fiction ; mais, lis Pascal, tout est fiction et Ibsen lui-même t’apprendrait qu’il est des mensonges hors desquels les sociétés ne se maintiennent plus. La fiction de la race nous est essentielle. Supprimons-là, nous nous biffons. Nous pourrons vivoter. Nous n’existerons plus.
Pourquoi, depuis que nous faisons de la propagande avec
[Frédéric] Amouretti, nous escrimons-nous à répéter ces vers de Dono Guiraudo :
Lis ome au pelage rous…
Moun amant es de raço bruno…
C’est une fiction. Nous savons qu’il y a des blonds au midi et Vénus elle-même, née de l’écume de nos mers, était blonde, je pense : cela n’empêche pas que cette couleur brune reste notre symbole, bien que toutefois elle ne représente ici ni les nègres, qui ne sont jamais blonds, ni les juifs, qui le deviennent que sous certains climats.
Je suis profondément découragé, je le répète et peut-être aurai-je, d’ici peu, des choses curieuses à te raconter. Dans tous les cas, nous devrions bien nous liguer, tous, tous, pour éviter que le bas esprit parlementaire ne pénètre au milieu de nous.
[…] J’aimerais mieux tout planter là que nous voir piétiner en vain. Je t’attends toujours lundi après-midi. J’aurai des documents et tu me diras ce que tu penses de toutes ces observations si tu as eu le courage de les lire jusqu’au bout.
Ton
Charles Maurras
[…] »


Suite à leur exclusion du Félibrige de Paris, Maurras, Amouretti et leurs amis fédéralistes décident de fonder en 1893 l’Ecolo felibrenco, avec pour idée commune de combattre une république modérée. Regroupant des membres de bords politiques antagonistes, Maurras y côtoie entre autres Louis-Xavier de Ricard, ancien communard, ou encore Jules Ronjat, surnommé « sang de biòu » (sang de bœuf) pour ses idées de gauche. L’affaire Dreyfus, à la fin de 1894, met un terme à ce groupe hétérogène, ambigu attelage s’il en est.
Dans ce qui constituera plus tard l’un de ses principaux axes idéologiques via sa formule consacrée des « quatre États confédérés », symboles pour lui de l’Anti-France, Maurras en cible déjà deux d’entre eux : les Juifs et les protestants. Sa construction politique et journalistique après l’affaire Dreyfus montre néanmoins que son antisémitisme ardent n’est pas à mettre sur même plan que ses sentiments à l’égard des protestants ou des francs-maçons. Les propos qu’il développe ici, alors qu’il n’a que 26 ans, permettent de comprendre chez Maurras une idéologie antisémite déjà très structurée, qu’il renforce au travers de l’Action française, à partir de 1899. Son parcours et sa pensée ont une influence considérable au sein de l’extrême droite française tout au long du XXe siècle.

MADAME ROYALE, Marie-Thérèse de FRANCE, dite (1778-1851)

Lettre autographe signée « MT » à Théodore Charlet
S.l. [Vienne, Autriche] 2 janvier 1850, 2 p. in-8° à l’encre brune
Adresse autographe et compostage sur la quatrième page,
Foliotée « n°266 » par Madame Royale
Tout petit manque (bris de cachet) sans atteinte au texte

Madame Royale exprime son désarroi de savoir son neveu le comte de Chambord sans descendance

Provenant de la collection Hubert Guerrand-Hermès


« J’ai reçu votre lettre du 24 octobre. Je suis bien aise que vous ayez reçu exactement ma lettre par la poste. Je pars aujourd’hui pour Venise par un temps affreux. J’y passerai 3 mois et ne reviendrai qu’ici en avril. Adressez-moi vos lettres là, pendant les 3 1er mois de l’année. Je vous remercie d’avoir fait toutes mes commissions, je vois bien qu’il vous reste peu d’argent, ménagez le peu jusqu’en avril. J’en enverrai.
[…]
Je veux absolument que vous achetiez un cheval et que vous n’y mettiez pas trop d’économie de votre délicatesse d’ordinaire. Je n’ai rien à vous dire cette fois-ci, ni à vous envoyer. J’ai reçu pour le moment très peu de demandes, peu intéressantes.
Mille choses à votre excellente femme et à toute votre famille. J’ai appris avec plaisir que votre fille était grosse, je voudrais bien qu’il en fut autant ici, mais il n’en est malheureusement rien.
J’espère que votre santé est tout à fait remise, donnez m’en des nouvelles, j’y prend bien de l’intérêt. Ma nièce Thérèse
a été bien affligée de la mort de son frère cadet auprès de qui elle s’est trouvée, et depuis bien effrayée et inquiète d’une chute que son mari a fait, mais qui était peu de choses. […].
Adieu, je n’ai rien de plus à vous dire. Les voyageurs qui portent cette lettre vont, et j’espère vous trouveront bien. Vous connaissez tous mes sentiments pour vous qui ne changeront jamais.
MT. »


Proclamé roi en 1844 sous le nom d’Henri V par les légitimistes à la mort de Louis de France, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, épouse sur les bons conseils de sa tante Madame Royale, Marie-Thérèse de Modène en 1846. Le couple n’a pas d’enfant, ce dont la comtesse de Chambord souffre énormément. Elle présente une malformation due à l’avancée d’une travée osseuse de son bassin qui barre de long en large l’entrée de son utérus. Il lui est impossible d’enfanter.

Fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte de France, dite Madame Royale (pour la distinguer de la belle sœur du roi), est le premier enfant du couple royal, né après plus de huit ans de mariage. Enfermée au Temple en 1792 avec sa famille, elle en est la seule rescapée, échangée in-extremis en 1795 contre les commissaires français livrés aux Autrichiens par Dumouriez. En 1799, elle épouse son cousin Louis de France, duc d’Angoulême, fils du futur Charles X. La mort sans enfant de Louis XVIII fait d’elle et de son mari les derniers Dauphin et Dauphine de France. Contrainte à l’exil pendant la Révolution de Juillet en 1830, Madame Royale rejoint l’ex-roi Charles X, parti avec sa Cour à Gorizia, ville sous domination autrichienne. Elle s’installe en 1844 avec ses proches et son neveu Henri d’Artois, comte de Chambord, au château de Frohsdorf, situé au sud-est de Vienne. Elle y meurt le 19 octobre 1851.

GAUTIER, Théophile (1811-1872)

Poème autographe signé « Théophile Gautier »
« [Paris], 10 Xbre [décembre] [185]1 », 2 p. in-8° (texte sur les 1e et 4e pages)
En-tête de la Revue de Paris – 10 rue du Bouloi
Quelques taches et décharges d’encre, quatre mots caviardés par Gautier

Admirable poème consacrant l’art poétique de Théophile Gautier, paru dans la première édition de son recueil Émaux et camées

« Gautier, c’est l’amour exclusif du Beau, avec toutes ses subdivisions, exprimé dans le langage le mieux approprié » (Charles Baudelaire, L’Art romantique)


« Cærulei oculi

Une femme mystérieuse,
Dont la beauté trouble mes sens,
Se tient debout, silencieuse,
Auprès des flots retentissants.

Ses yeux, où le ciel se reflète,
Mêlent à leur azur amer,
Qu’étoile une humide paillette,
Les teintes glauques de la mer.

Dans les langueurs de leurs prunelles,
Une grâce triste sourit ;
Les pleurs mouillent les étincelles
Et la lumière s’attendrit ;

Et leurs cils comme des mouettes
Qui rasent le flot aplani,
Palpitent, ailes inquiètes,
Sur leur azur indéfini.

Comme dans l’eau bleue et profonde,
Où dort plus d’un trésor coulé,
On y découvre à travers l’onde
La coupe du roi de Thulé.

Sous leur transparence verdâtre,
Parmi l’algue et le goëmon,
Luit la perle de Cléopâtre
Prés de l’anneau de Salomon.

La couronne au gouffre lancée
Dans la ballade de Schiller,
Sans qu’un plongeur l’ait ramassée,
Y jette encor son reflet clair.

Un pouvoir magique m’entraîne
Vers l’abîme de ce regard,
Comme au sein des eaux la sirène
Attirait Harald Harfagar.

Mon âme, avec la violence
D’un irrésistible désir,
Comme le blond guerrier s’élance
Vers l’ombre impossible à saisir

Montre son sein, cachant sa queue,
La sirène amoureusement
Fait ondoyer sa blancheur bleue
Sous l’émail vert du flot dormant.

L’eau s’enfle comme une poitrine
Aux soupirs de la passion ;
Le vent, dans sa conque marine,
Murmure une incantation.

” Oh ! viens sur ma couche de nacre,
Mes bras d’onde t’enlaceront ;
Les flots, perdant leur saveur âcre,
Sur ta lèvre, en miel couleront.

” Laissant bruire sur nos têtes,
Le Flot La mer qui ne peut s’apaiser,
Nous boirons l’oubli des tempêtes
Dans la coupe de mon baiser. “

Ainsi parle la voix humide
De ce regard céruléen,
Et mon cœur, sous l’onde perfide,
Se noie et consomme l’hymen.

Théophile Gautier »


Resté inédit à Claudine Gothot-Mersch, ce manuscrit autographe est le plus ancien connu pour ce poème qui, selon toute vraisemblance, servit à sa première parution dans la Revue de Paris du 1er janvier 1852. Nombreuses sont les variantes avec le texte paru la même année dans la première édition du recueil Émaux et camées. On relève notamment « Comme le blond guerrier s’élance » qui devient « Au milieu du gouffre s’élance » (str. 9,c), ou « Sur ta lèvre, en miel couleront » qui devient « Sur ta bouche, en miel couleront » (str. 12,d). En outre, le poète se reprend sur le vers « Le Flot La mer qui ne peut s’apaiser » (str. 13,b) afin d’éviter une répétition avec le troisième vers de la strophe précédente.
L’essentiel des poèmes figurant Émaux et camées sont construits en quatrains octosyllabiques ; « Cærulei oculi » ne fait pas exception à cette règle métrique.

Le poète célèbre ici la beauté envoûtante des yeux d’une femme qu’il décrit comme source inépuisable de fascination. Le terme “caerulei”, renvoyant au bleu profond, confère à ces yeux une dimension céleste et divine. Fidèle à son esthétique qui préfigure le Parnasse, Gautier place le regard au cœur de l’œuvre comme un symbole de l’art pur et irrésistible, éloigné de toute moralité.

CHARPENTIER, Gustave (1860-1956)

Portée musicale autographe signée « Gustave Charpentier »
S.l., juillet 1936, 1 p. in-4°
Infimes rousseurs

Charmante portée musicale de son chef-d’œuvre Louise, premier opéra naturaliste


Opéra en quatre actes et cinq tableaux, Louise est créé le 2 février 1900 sur la scène de l’Opéra-Comique dans le cadre de l’Exposition universelle. Jugé scandaleux car mettant en scène de manière trop crue pour l’époque le désir féminin et la révolte contre l’autorité parentale, Charpentier essuie auparavant de nombreux refus des directeurs d’opéras.
Chef-d’œuvre de Charpentier, Louise est, en plus d’être écrit en prose, le premier opéra adoptant le style philosophique et esthétique naturaliste, dans l’esprit des romans de Zola que le compositeur admire.

La présente portée correspond à la troisième scène du premier acte.

PAULHAN, Jean (1884-1968)

Lettre autographe signée « Jean Paulhan » à Thierry Maulnier
S.l.n.d., « le 25 » [fin 1939], 3 p. in-8° à en-tête de la NRF
Cachet de collection au coin inférieur gauche de chaque feuillet, petits manques marginaux et infimes déchirures sans gravité sur les deuxième et troisième feuillets (chacun folioté de la main de Paulhan), un mot caviardé par Paulhan

Longue lettre de Paulhan, entre réflexions sur le franquisme et politique française intérieure, à l’orée de la Seconde Guerre mondiale


« Cher Thierry Maulnier,
Oui, c’est une distinction fort grave que celle des deux “pays”. Mais qui pose un problème (il me semble), plutôt qu’elle ne le résout : Pourquoi les français qui, au fond, sont pour Franco élisent-ils les adversaires de Franco, etc. De quoi veulent-ils se punir ; ou comment, se dépasser eux- mêmes ?
– Je songeais à un problème légèrement différent, non moins grave : pourquoi le “pays légal” n’agit-il pas en pays légal, pourquoi (à son tour) se trompe-t-il* lui-même ? / *ou veut-il se dépasser /. Pourquoi cette façon (aristocratique) de gouverner par cessions et accommodements entre spécialistes – et tout aussi bien par entente avec les ennemis du régime ?
Car enfin, il y a des ministères officieux dont la puissance n’est pas moins grande que celle des ministères officiels. Ainsi du parti socialiste. Ainsi de l’Action française. La pesée de Charles Maurras sur la politique française, depuis 1914, n’a pas été moindre que celle de Laval, de Poincaré ou de Blum. (Il est arrivé qu’elle passât par Blum, Poincaré ou Laval.) Ni Poincaré n’a jamais fait une politique poincariste, ni Blum une politique qui fût carrément de Front populaire.
Vous voyez où je voudrais en venir : n’est-ce pas une même raison qui empêche le pays légal comme le pays réel de s’exprimer – celui-ci par ses représentants, celui-là par ses actes ?
Votre dernière question est trop nette pour que je n’y réponde pas aussi nettement. Il est bien vrai que je ne vois pas dans l’histoire l’arbitre, désigné par un tirage au sort, que je souhaiterais* / *Athènes excepté, mais le cas est fort différent / Mais trouvez-vous une grande différence entre le tirage au sort et l’hérédité ?
Et qu’importe après tout que l’Arbitrage soir confié à quelque vivant connu, ou à quelque enfant à naître (plus inconnu encore). Chesterton a là-dessus un mot qui me paraît infiniment sage : “Le despotisme héréditaire est démocratique dans son essence : s’il ne proclame pas que tous les hommes peuvent à la fois gouverner, il proclame ce qu’il y a de plus démocratique immédiatement après, à savoir que n’importe qui peut gouverner“. Mais Pascal déjà…
Enfin, si vous me refusez le tirage au sort, je vois très bien un roi à l’extrême pointe de la démocratie.* [voir renvoi infra]
Je suis à vous, tout à fait cordialement. Et merci de votre article, qui m’a extrêmement intéressé.
Jean Paulhan.
*comme un dictateur à la pointe de l’aristocratie. (Mais c’est un sujet que je tâcherai de traiter).
Votre introduction était forte et belle. Et suis content que vous ayez songé à Karin [alias de Catherine] Pozzi. Sponde figure-t-il dans votre anthologie ? (Je crois qu’il l’eût mérité.) »


Mettant en évidence la dichotomie entre la gouvernance officielle -le “pays légal”- et la réalité sociale et politique sous-jacente -le “pays réel”-, Paulhan souligne ici que cette distinction pose plus de questions qu’elle n’en résout, notamment sur les motivations des français soutenant des politiques contraires à leurs convictions profondes. Paulhan savait par ailleurs la sensibilité franquiste (et plus largement aux dictatures de l’époque) de son correspondant.
L’anthologie (évoquée en fin de lettre) est ici une allusion à Introduction à la poésie française, recueil faisant suite au mémoire que soutient Dominique Aury (alors maîtresse de Maulnier avant de devenir celle de Paulhan quelques mois plus tard) à la Sorbonne. Préfacée par Maulnier, elle parait sous le seul nom de ce dernier en septembre 1939. Reçu comme diane française, le livre devra être réimprimé de nombreuses fois tant son succès sera grand.

Nous n’avons pas retrouvé trace de l’article de Maulnier évoqué par Paulhan.

DRUON, Maurice (1918-2009)

Lettre autographe signée « Druon » à Thierry Maulnier
S.l., 3 mars [19]85, 2 p. in-4° à son en-tête
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli d’époque, sinon bon état

Considérations sur les penseurs de son époque et compliments circonstanciés sur l’essai Le Dieu masqué de Maulnier


« Cher Thierry Maulnier,
On n’emploie plus guère le terme de “penseur”. Nous avons des philosophes, et des nouveaux philosophes ; nous avons des sociologues en pagaille, des psychologues à foison et des politologues comme s’il en pleuvait. Mais les penseurs, dans la grande tradition française qui va de Montaigne à Valéry, où sont-ils ? Ils sont là, assurément, mais on ne veut pas leur donner leur nom, parce qu’ils échappent à la “catégorie” qui est la manie du siècle.
Je me disais cela tout au long de ma lecture du “Dieu masqué”, que j’ai poursuivie pendant la Toussaint. C’est le livre du penseur, qui s’interroge sur tout, réfléchit sur tout et, par cette réflexion projette sur tout objet de pensée une certaine lumière. –
Il est frappant que vous ayez gardé dans l’esprit toutes les questions que je pose l’adolescence, que vous n’en ayez perdu aucune en cours de route, que les interrogations sur la condition humaine et l’ordre des sociétés vous soient restées aussi présentes, aussi aiguës, et aussi fraîches qu’à l’orée de l’existence, et que vous y répondiez avec l’expérience de la vie et de l’histoire.
“L’homme a faim de surhumain” est un cri qui devrait résister au tant que “nous autres sociétés”…
Et le chapitre : “L’histoire est-elle révolutionnaire ?” est une exceptionnelle leçon de lucidité et de sagesse politique.
Vraiment, vous n’avez pas perdu votre temps, entre 1980 et 1984 !
On hésite toujours à faire de telles louanges oralement, et on les fait mal. Je préfère vous les écrire, parce que je place très haut ce livre plein de richesses.
Veuillez offrir à Madame Marcelle Tassencourt mes hommages respectueux et mes souvenirs, et me croire admirablement et fidèlement vôtre.
Druon »


Resté essentiellement célèbre pour avoir coécrit avec son oncle Joseph Kessel l’hymne de la Résistance Le Chant des partisans, Maurice Druon devient homme de lettres après la guerre. Il obtient le prix Goncourt en 1948 avec Les Grandes familles, puis quelques années plus tard un succès éditorial considérable avec sa saga des Rois maudits, parus en sept tomes entre 1955 et 1977.
Troisième d’une série de quatre essais philosophies de Maulnier publiés entre 1977 et 1989, Le Dieu masqué est ici l’objet de tous les éloges par Druon.

MONTÉZIN, Pierre Eugène (1874-1946)

Dessin original signé, encre et aquarelle
S.l., 25 avril 1937, 1 p. in-4° sur papier vergé

Beau dessin original du peintre, enrichi d’une dédicace


Peintre post-impressionniste français, Montézin se consacre pleinement à la peinture au sortir de l’adolescence, après avoir travaillé dans la décoration de panneaux à fleurs et ornements originaux. Influencé par Claude Monet, il tente de se faire accepter au Salon des artistes français à partir de 1893 en leur envoyant régulièrement des toiles, qui seront toutes refusées. Il sera finalement accepté dix ans plus tard. Montézin est élu à l’unanimité président du jury du Salon des artistes français en 1933.

Ce dessin original, figurant un groupe de personnes œuvrant pour la récolte des moissons, laisse apparaître de charmants détails comme la tenue de la personne au premier plan. L’artiste a ajouté à l’encre bleue : « Joie de vivre / Joie de peindre / Amour de la nature / Montézin »

DEVAMBEZ, André (1867-1944)

Dessin original signé, mine de plomb et encre : « L’aumône »
S.l.n.d. [c. 1937], 1 p. in-4° sur papier vergé beige

Charmant dessin original et inédit de facture minimaliste


Peintre et illustrateur français, Devambez fait ses armes à l’École des Beaux-Arts de Paris avant d’entrer dans l’atelier du peintre Benjamin Constant. Sa riche production de dessins et peintures est connue pour ses compositions en plongée vertigineuse, à l’image de La Charge (aujourd’hui conservée au Musée d’Orsay), avec des personnages minuscules dans des décors urbains ou fantastiques.

Dédicacé au colonel Henri Reine, le présent dessin, titré « L’aumône », représente une femme avec une coiffe traditionnelle, un panier d’osier au bras, donnant une pièce à un petit groupe de mendiants.

GAINSBOURG, Serge (1928-1991)

Manuscrit autographe de premier jet : Hey Mister Rain
S.l.n.d. [Paris, début 1990], 3 p. in-4° sur papier filigrané
Chaque page foliotée par Gainsbourg
Petits trous d’agrafes au coin supérieur gauche, légère brûlure de cigarette au verso du troisième feuillet

Manuscrit en premier jet d’une chanson destinée à l’album Variations sur le même t’aime, demeurée inédite

Au cœur du processus créatif de Gainsbourg


« Hey Hey Mister Rain

J’ai de la peine
Je sens o je sens et le sang
qui se glace dans mes veines

a1
Dansant sous la pluie
Je me dis
demain sera un jour nouveau
puisqu’il est parti
a2
entre moi et lui

C’est fini
Mais après l’orage peut-être qu’il fait beau

b1
Quelques éclairs
Et tout devient c s’éclaire
J on réalise que j’ai qu’on a tout faux

c1
C’est à la vie
À la mort
C’est pas vrai mais j’y crois encore

[etc…] »


Composée pour l’album Variations sur le même t’aime, Hey Mister Rain est l’une des chansons retoquées par Vanessa Paradis et Franck Langolff, au même titre que Lolita Blues et Zoulou. Le premier couplet, nettement plus sombre que tout le reste du texte, a été entièrement barré par Gainsbourg et ne figure pas sur la mise au propre (d’une autre main) que l’on joint avec le manuscrit. Le dernier couplet n’apparaît pas.

Fruit d’une audacieuse collaboration entre Vanessa Paradis (chant), Serge Gainsbourg (paroles) et Franck Langolff (musique), l’album Variations sur le même t’aime est enregistré entre février et avril 1990 dans les Studios Guillaume Tell à Paris. Dans une interview au journal télévisé de TF1 du 27 mai, Gainsbourg explique avoir « craché les lyrics en huit jours, c’est pour ça que je dis Paradis c’est l’Enfer, mais c’était infernal, j’ai failli en crever ». Sorti le 28 mai 1990, l’album est un immense succès. Certifié disque d’or et de platine, il s’écoule à 400.000 exemplaires. Gainsbourg s’éteint neuf mois plus tard.

GAINSBOURG, Serge (1928-1991)

Dédicace autographe signée « Gainsbourg »
S.l.n.d. [années 1980], 1 p. in-folio (15,5 x 29,5 cm) oblongue sur papier beige
Encadrement sur-mesure sous verre musée, Marie-Louise noire à double fond, baguette dorée

Superbe et imposante dédicace de Gainsbourg


« A Pascal, chauffeur de taxi qui m’a taxé un Pascal.
Amitiés
Gainsbourg »


Jouant sur les mots en évocation au billet de 500 francs, Gainsbourg utilise l’allitération sur la lettre « X », si caractéristique de son répertoire, créant ici un parallèle entre taxi et taxé.

HUGO, Victor (1802-1885)

Aphorisme autographe signé « Victor Hugo »
S.l.n.d., 1/2 p. in-8° oblongue
Très bon état de conservation

Superbe aphorisme extrait de son recueil Les Feuilles d’automne, quintessence de l’esprit romantique 


« Rêver, c’est le bonheur ; attendre, c’est la vie
Victor Hugo »


Issu du recueil Les Feuilles d’automne paru en 1831 chez Ronduel, le présent vers est extrait du poème XXVII « À Mes amis L.B. [Louis Boulanger] et S.-B. [Sainte-Beuve] ».
En 1830, Hugo et sa famille déménagent de la rue Notre-Dame-des-Champs pour s’installer rue Jean Goujon, dans le quartier des Champs-Élysées. Peut-être fuyait-il le voisinage d’un Sainte-Beuve trop assidu auprès d’Adèle. Toujours est-il que ce dernier part se réfugier auprès d’Ulric Guttinguer en Normandie, d’où il continue de faire parvenir des lettres fort élégiaques à la femme du poète. C’est donc par erreur que Hugo croit Sainte-Beuve en compagnie de Louis Boulanger à cette époque.

Aphorisme peu commun du poète

BERGSON, Henri (1859-1941)

Aphorisme autographe signé « H. Bergson »
Paris, 5 février 1937, 1 p. in-8° sur une bande de papier vergé oblongue
Parfait état de conservation

Belle sentence du philosophe utilisée comme titre de son message au Congrès Descartes de 1937


« Il faut agir en homme de pensée, et penser en homme d’action.
H. Bergson »


Empêché de prononcer lui-même son message au IXe Congrès de philosophie (Congrès Descartes) de 1937, Bergson le fait par la voix d’Émile Bréhier. Rongé par un rhumatisme déformant à partir de 1925, Bergson souffrira jusqu’à sa mort, en 1941. On peut observer ici la fébrilité de son écriture du fait de sa pathologie.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Sentence autographe signée « Paul Valéry »
S.l.n.d., [après 1930], 1 p. in-8° oblongue sur papier vergé beige
Parfait état de conservation

Belle sentence du poète, résumant en quelques mots l’éphémérité de l’existence humaine


« La plus étrange pensée du monde :
Il y aura des hommes après nous.
Paul Valéry »


Le poète compose cette sentence à la demande son ami et secrétaire bénévole Julien-Pierre Monod, ce dernier souhaitant la sceller sur un banc de sa propriété d’Anthy.
Valéry envoie la sentence à Monod sur un « petit papier » le 18 août 1930 et la recopie par ailleurs dans ses Cahiers : « J’envoie à Monod, qui réclame une sentence pour la sceller dans son banc d’Anthy, ceci : / Ceci est la plus étrange pensée du monde : / “Il y aura des hommes après nous.” »
Valéry publie une première variante de cette réflexion la même année dans le numéro du 10 décembre de La Muse française à lui consacré : « Entendez la parole la plus étrange : / Il y aura des hommes après nous. »
Le poète la répète au Collège de France, le 17 décembre 1943, dans le Cours de poétique.
En soulevant l’idée d’immédiateté perçue de notre vie et de son importance, Valéry provoque en nous un sentiment d’étrangeté mêlée d’inquiétude, en mettant en lumière la relative insignifiance de l’individu face à la durée de l’humanité. Il semble ainsi nous inviter à réfléchir sur notre propre finitude et à considérer que, bien qu’éphémères, la vie et le monde poursuivront leur cours.

PÉTAIN, Philippe (1856-1951)

Aphorisme autographe signé « Ph. Pétain »
S.l., 1er août 1936, 1 p. in-8° oblongue sur papier vergé beige
Parfait état de conservation

Bel aphorisme extrait de son discours commémoratif pour le vingtième anniversaire de la bataille de Verdun


« La force assure l’indépendance, attire les alliances et maintient les amitiés.
1er août 1936
Ph. Pétain »


Commémoré le 21 juin 1936 par la France et l’Allemagne sur les lieux de la bataille, ce vingtième anniversaire permet surtout aux adjoints d’Hitler, Goebbels et Hess, de servir leur propagande. Après une marche silencieuse, derrière une bannière à croix gammée, les allemands prononcent un serment solennel, jurant de protéger la paix des lieux. Il n’en est rien, le troisième Reich prépare déjà son pays à la guerre et développe une économie entièrement militarisée, tournée vers la production d’armes.

L’original dactylographié du discours de Pétain est conservé aux Archives nationales sous la côte 45AP3, dossier 3.

LUMIÈRE, Louis (1864-1948)

Pensée autographe signée « Louis Lumière »
S.l., 26 juin 1936, 1 p. in-4°sur papier vergé beige
Parfait état de conservation

Touchante pensée de l’ingénieur et pionnier du cinéma


« Ne peut-on espérer que les hommes deviendront un jour raisonnables et finiront par s’entendre ?…
Ce serait si simple, avec un peu de jugement, de bon sens et surtout de bonté !
Louis Lumière »


Louis Lumière semble avoir rédigé cette pensée (destinée au colonel Henri Reine) dans le contexte très instable que fut le premier semestre de l’année 1936. Les tensions franco-allemandes sont alors à leur comble suite à la remilitarisation de la Rhénanie par la Wehrmacht (sur ordre d’Hitler) en mars 1936, dans le but de rétablir la souveraineté du Reich.

COLETTE, Sidonie Gabrielle (1873-1954)

Pièce autographe signée « Colette »
S.l., mai 1937, 1 p. in-8° carrée
Parfait état de conservation

Colette évoque son père dans cette dédicace à un colonel de l’armée française


« Mon colonel, la fille de Jules-Joseph Colette, capitaine au 1er zouaves, qui laissa sa cuisse gauche à Melegano en 59, vous envoie son salut bien cordial.
Colette »


Jules-Joseph Colette (1829-1905), second époux de Sidonie Landoy (1835-1912), perd une jambe à la bataille de Melegano en 1859 (épisode majeur de la guerre d’indépendance italienne, elle oppose l’Empire français à celui d’Autriche et se solde par une victoire française). Saint-Cyrien puis zouave, Jules-Joseph Colette devient par la suite percepteur. Grand lecteur de journaux, il fait lire à sa fille les grands classiques de la littérature dès son plus jeune age, contribuant ainsi à lui faire développer sa fibre pour l’écriture.

BERNSTEIN, Henry (1876-1953)

Sentence autographe signée « Henry Bernstein »
S.l.n.d., 1 p. in-8° oblongue sur papier vergé beige
Parfait état de conservation

Belle sentence du dramaturge qui semble inédite


« Les plus grandes actions se sont accomplies dans le silence et dans la solitude
Henry Bernstein »


Dramaturge français du théâtre de boulevard, Bernstein acquière la célébrité dès 1906 avec son drame Le Voleur. Il donne en 1911 une pièce controversée à la Comédie-Française, Après moi, dénoncée comme une œuvre « juive » et qui plus est d’un « juif déserteur [de l’armée dix ans plus tôt] », par ses détracteurs qui jugeaient qu’elle ne devait pas avoir sa place au théâtre.Devenu directeur du théâtre du Gymnase de 1926 à 1939, il y créa plusieurs de ses œuvres les plus remarquables telles que Samson, La Rafale, La Galerie des glaces, Mélo, Le Bonheur, Le Messager etc.

DARLAN, François (1881-1942)

Sentence autographe signée « F. Darlan »
S.l., 1er mai 1939, 1 p. in-8° oblongue
Parfait état de conservation

Rare sentence de l’amiral Darlan rédigée au toutes premières heures de la « drôle de guerre »


« L'”Empire” n’est viable que s’il dispose d’une marine puissante, ardente et bien entraînée
F. Darlan »


Chef de la Marine française au début de la Seconde Guerre mondiale puis ministre de la Marine du premier gouvernement de Vichy, François Darlan s’investit activement dans la collaboration du maréchal Pétain avec l’Allemagne nazie. Alors qu’il est en poste à Alger en 1942, Darlan est assassiné le 24 décembre de deux balles de pistolet tirées par un jeune étudiant et résistant français, Fernand Bonnier de La Chapelle, âgé de tout juste 20 ans. Ce dernier est fusillé deux jours plus tard après un jugement expéditif par le tribunal d’Alger.

BASTIÉ, Maryse (1898-1952)

Pensée autographe signée « Maryse Bastié »
S.l.n.d., 1 p. in-8° oblongue sur papier vergé beige
Parfait état de conservation

Pensée aux accents prophétiques de la célèbre et glorieuse aviatrice française, qui trouva la mort en mission à bord d’un bimoteur Noratlas


« De ma propre expérience, j’ai dégagé cette vérité essentielle, que les heures où nous sentons le mieux le prix de la vie sont celles que nous vivons “dangereusement” –
Maryse Bastié »


Première aviatrice française à décrocher de nombreux records féminins d’aviation à son palmarès, Maryse Bastié devient rapidement médiatisé à la fin des années 1920 grâce à ses exploits. Au commencement de la Seconde Guerre Mondiale, elle tente d’obtenir les mêmes droits que les hommes pour voler au combat et se défendre son pays. Elle est promue lieutenant dans les FFL à la libération. L’aviatrice trouve tragiquement la mort le 6 juillet 1952 en tant que passagère d’un Noratlas lors d’une de ses missions au meeting aérien à l’aéroport de Lyon-Bon.

Les autographes de Maryse Bastié rares

BERTRAND, Louis (1866-1941)

Sentence autographe signée « Louis Bertrand »
Paris, 25 août 1937, 1 p. in-8° sur papier vergé beige

Sentence radicale de l’écrivain, marquant sa ferme opposition au bolchevisme


« La Révolution n’est jamais que la spoliation et l’assassinat organisés
Louis Bertrand »


Romancier et essayiste français, Louis Bertrand fait paraître son essai biographique Hitler en 1936, louant le maître du troisième Reich et suscitant une vive polémique alors que ce dernier ne cache plus ses ambitions belliqueuses. Passionné de l’Orient islamique, Bertrand reprend à son compte la vision raciale du nazisme, versant dans l’antisémitisme au nom de la lutte contre le bolchevisme. Il s’éteint en 1941.

FRANCHET D’ESPÈREY, Louis (1856-1942)

Sentence autographe signée « F. d’Espèrey »
S.l., 21 janvier 1937, 1 p. in-8° sur papier vergé beige
Parfait état de conservation

Impressionnante sentence martiale du maréchal Franchet d’Espèrey


« La guerre est moins onéreuse que la servitude
F. d’Espèrey »


Maréchal de France et membre de l’Académie française, Louis Franchet d’Espèrey s’illustre lors de l’expédition du Tonkin en 1885 puis en 1900, lors de la guerre contre les Boxers en Chine. Commandant de la 5e armée de septembre 1914 à mars 1916, il parvient à faire stopper l’armée allemande sur l’Oise et prend une part considérable à la victoire de la Marne. Envoyé par Clemenceau sur le front d’Orient en 1918, il contraint la Bulgarie à signer un armistice et provoque celui de l’Empire ottoman en octobre, contribuant à la capitulation de l’Allemagne le 11 novembre.

MANET, Édouard (1832-1883)

Carte autographe signée « Edouard Manet » à son modèle et élève Eva Gonzalès
S.l.n.d., 1 p. in-24 oblongue sur papier à motifs
Enveloppe autographe jointe, petites taches

Charmante carte du peintre devant renoncer à sa séance avec son modèle Eva Gonzalès


« Mademoiselle, je suis obligé d’aller à un enterrement et ne pourrai aller à l’atelier. E. Manet. »


Présentée par Alfred Stevens à Édouard Manet, Eva Gonzalès entre dans l’atelier du peintre en 1869. Elle y rencontre une Berthe Morisot jalouse de son amitié avec le maître. En plus d’être son élève, Eva sert fréquemment de modèle à Manet, au point d’en devenir le préféré. Elle expose au Salon en 1870 pour la première fois et y présentera ses tableaux chaque année dès-lors, se refusant toutefois de participer aux salons impressionnistes. Endeuillée par la mort de Manet en 1883, elle succombe d’une embolie cinq jours après le décès de celui-ci, à l’âge de 34 ans, au moment de la naissance de son premier enfant.

Le 11 de la rue Breda (rebaptisé rue Henry-Monnier en 1905) abrite la famille Gonzales, où l’artiste vit avec ses parents. En 1879, après son mariage avec le graveur Henri Guérard, elle s’installe au numéro 2 de la même rue.

[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)

Deux lettres autographes signées « GS » à Eugène Delacroix
[Nohant, 6 et 7 juillet 1842], en tout 3 p. in-8° à l’encre noire
Adresses autographes sur chacune des quatrièmes pages
Marques de compostage, ancienne trace d’onglet

Attristée du départ de son « bon petit » Delacroix après un séjour de ce dernier à Nohant en compagnie de Chopin et du reste de la famille Sand, l’écrivain se retrouve plongée dans sa lecture des Mystères de Paris

Provenant de la bibliothèque Marc Loliée


« Cher bon petit, J’espère que vous êtes arrivé à bon port sans trop souffrir de la chaleur qui a été modérée le jour de votre départ. Vous avez oublié ici quelques effets dont Maurice a fait une caisse, laquelle part aujourd’hui. Comme le port en est payé, accusez-en réception afin qu’elle ne s’égare pas, sans que nous la fassions réclamer. J’ai encore retrouvé dans mes mouchoirs un mouchoir à vous. Je vous le mets à part, ainsi que ceux qui pourraient se retrouver au prochain blanchissage. Que Jenny [la gouvernante de Delacroix] ne nous accuse donc pas de vous avoir grinché vos zardes¹. – Je lis le Chourineur et je vous assure que malgré l’horreur du sujet et des détails², c’est jusqu’à présent fort intéressant et fabriqué avec beaucoup de talent. – Nous sommes restés tout tristes et tout déconfits de votre départ. Nous tâchons de jouer au billard, mais je crois que vous avez emporté le carambouillage³ dans votre poche et que vous ne nous avez laissé que le manque de touche. J’attends avec impatience un petit mot de vous. Nous sommes encore trop chagrins pour vous en dire long aujourd’hui. Et puis l’heure me presse. À présent, cher, soyez bien portant. Si vous nous regrettez autant que nous vous regrettons, faites un effort pour nous oublier jusqu’à notre retour [Sand et Chopin rentreront à Paris le 31 juillet], alors vous nous raimerez de nouveau. Adieu, moi et tous vous embrassons et vous aimons.
GS. »

« Cher ami, mon dadet [sic] de Thomas [peut-être Thomas Aucante, autrefois vacher] a commencé le cours de bêtises auxquelles je dois m’attendre en ne payant pas le port de la caisse que je vous ai envoyée hier. Si bien qu’il faut que vous le sachiez afin de n’avoir pas de contestation avec l’administration. Accusez-moi réception car tout ceci a été fort mal fait, malgré mes précautions.
Nous nous portons bien. Nous vous aimons. J’ai rêvé de vous toute la nuit ; j’espère que c’est bon signe et que vous êtes bien portant.
À vous
GS. »


[1] « Grincher vos zardes » : voler vos vêtements (hardes)
[2] Le Chourineur, l’un des personnages centraux des Mystères de Paris. Ce surnom provient du verbe argotique chouriner, c’est-à-dire tuer (ou blesser) à coups de couteau : « Mon premier métier a été d’aider les équarrisseurs à égorger les chevaux à Montfaucon […] Quand j’ai commencé à chouriner ces pauvres vieilles bêtes » (Sue, Les Mystères de Paris, t. 1, 1842-43, p. 84
[3] Jeu de mots faisant volontairement la confusion entre le carambolage, propre au jargon des joueurs de billard, et du carambouillage, opération délictueuse consistant à vendre ce que l’on a acheté sans l’avoir payé.

En réponse aux invitations répétées de son amie, Delacroix passe près de deux semaines à Nohant en juin 1842. Il souhaite avant tout se reposer, « végéter », comme il le dit, et savourer les plaisirs de la campagne. De retour à Paris, il lui répond le 8, affirmant qu’il a reçu la caisse et traité de fourbe et d’imposteur celui qui lui a apporté en réclamant des frais de port. Il réclame à son amie une petite bourse laissée à Nohant, bourse que lui avait donnée Solange, et un petit cordon d’Alger. Il termine : « Il fait un temps affreux pour les nerfs. En rêvant que vous me voyez, avez-vous rêvé que vous étiez la duchesse de Berry ? Je vous embrasse sincèrement tous, mais je suis bien triste » (Corr. gén. de Delacroix, t. II, p. 116).

En faisant usage de l’argot présent dans l’œuvre d’Eugène Sue, on comprend que Sand est ici en pleine lecture des Mystères de Paris. Le roman-feuilleton, publié dans le Journal des débats du 19 juin 1842 jusqu’au 15 octobre 1843, inaugure la littérature de masse au XIXe siècle et vaut à son auteur une célébrité immense dans toutes les couches sociales.

GUAITA (de), Stanislas (1861-1897)

Lettre autographe signée « Stanislas de Guaita » à Oscar Méténier
Château d’Alteville, par Dieuze – Lorraine allemande, s.d. [14 juin 1884], 2 p. in-8°
Marge inférieure effrangée sans atteinte au texte, infimes brunissures

Le jeune Guaita demande des nouvelles du sérail occultiste parisien à son ami Oscar Méténier


Le poète occultiste évoque la santé de Blanche : « Outre qu’elle a à te parler pour l’affaire du père Fénéon, je ne serais pas fâché que tu ailles un peu voir où elle en est, et que tu m’écrives, en une lettre détaillée, comment tu l’as trouvée, surtout en ce qui concerne sa santé. – je soupçonne qu’elle ne diminue pas sérieusement la Morphine. Enfin, tu me rendras grand service en faisant cela, et tu me rassureras.
Comment vas-tu, toi, mon cher ami ?
Je ne t’ai écrit que des mots de 4 lignes en réponse à ton excellente lettre d’il y a un mois, et j’en viens faire ici mes “meâ culpâ !”
Que devient Zénon-Fière ? Compte-t-il écrire dans la revue indépendante ? et Mr Fabre des Essarts ?
Donne moi quelques renseignements sur ce qui se passe à Paris ; moi je moisis à la campagne auprès de ma grand-mère qui a 85 ans et qui se débat… avec une maladie incurable… je m’embête !…
À toi bien cordialement
Stanislas de Guaita »


Cofondateur avec Joséphin Péladan de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix en 1888, c’est dans les écrits de ce dernier que Stanislas de Guaita trouve sa première porte d’entrée dans l’univers de la Tradition. Ses lectures assidues d’Éliphas Lévi, Fabre d’Olivet et de son ami Papus font rapidement de Guaita un initié averti du mysticisme chrétien et de la Synarchie. Le poète prône, à la lumière de toutes ces influences, un spiritualisme exaltant la Tradition chrétienne.

Observateur des bas-fonds de Paris dès le plus jeune age pour être lui-même fils d’un commissaire de Police, Oscar Méténier (1859-1913) trouve se fait écrivain dans la lignée de Zola et des naturalistes au début des années 1880. Généralement graveleuses, ses nouvelles son publiées dans Le Chat noir. Il se fait une réputation avec des pièces naturalistes qui mettent en scène des vagabonds, des apaches, des prostituées s’exprimant dans le langage de la rue.

MAURIAC, François (1885-1970)

Manuscrit autographe en premier jet
S.l.n.d. [seconde quinzaine de janvier 1945 ?], 1 p. in-4°

Mauriac exprime sa ferme opposition à la possible exécution de Charles Maurras lors du procès de celui-ci en janvier 1945


« Des adversaires de Charles Maurras ne peuvent se défendre d’être angoissés en pensant au terrible retentissement qu’aurait dans le pays son exécution. Ils craignent que l’unité nationale n’en demeure atteinte pour de longues années et que cet acte de justice ne soit pas compris par l’étranger. et n’apparaisse comme une victoire
Ils supplient le général de Gaulle en qui leur confiance est absolue. C’est à la clémence 

Ils ne prétendent pas intervenir dans / troubler / C’est
C’est à la seule clémence du général de Gaulle qu’ils s’adressent avec le seul souci de l’intérêt du pays. »  


Mauriac figure, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, parmi les intellectuels opposés aux excès de l’épuration, au nom du pardon chrétien. Arrêté le 8 septembre 1944, Maurras est jugé par la cour de Justice de Lyon du 24 au 27 janvier 1945. Inculpé pour intelligence avec l’ennemi, il lui est en outre reproché son antigaullisme, sa haine des Juifs et ses prises de positions radicales dans L’Action française à l’encontre des résistants, qu’il qualifie de « terroristes », tout en appelant à leur exécution. Pour sa défense, Maurras met en avant son anti-germanisme tout le procès durant. Il est finalement déclaré coupable le 27 janvier de haute trahison et d’intelligence avec l’ennemi. La cour de Justice le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale. Il échappe ainsi de justesse à la peine de mort.
En marge du procès Maurras se tient aussi celui de Robert Brasillach. Avec le concours de Jean Anouilh et Marcel Aymé, Mauriac lance une pétition demandant au général de Gaulle la grâce du jeune journaliste pamphlétaire. En dépit de cette initiative, Brasillach est exécuté le 6 février 1945.
Sa défense des collaborationnistes à cette époque vaut à Mauriac le surnom de « Saint François des Assises » par les journalistes.

JACOB, Max (1876-1944)

Dessin original signé « Max Jacob »
S.l.n.d. [St Benoît sur Loire], 1 p. in-4° à l’encre noire
Petite tache en marge droite, infimes rousseurs

Beau dessin du poète figurant un archange à cheval terrassant le Diable


La figure de l’archange devient une thématique récurrente du poète après sa conversion au christianisme, au début des années 1910, et plus encore au travers de ses « méditations » composées à Saint-Benoît-sur-Loire.
Il dédie sobrement son dessin à son ami Pierre Lagarde au coin inférieur droit.

Personnage centrale de l’avant-garde montmartroise, converti en 1915 au catholicisme après avoir eu plusieurs visions, Max Jacob quitte Paris en 1936 pour s’installer à Saint-Benoît-sur-Loire dans le Loiret. Il y mène une vie monacale. Ses travaux poétiques et médiations, en partie reprises par Pierre Lagarde dans son admirable ouvrage Max Jacob – Mystique et martyr (La Baudinière, 1944), se rapprochent du courant quiétiste. Il assume dès lors sa vie de pêcheur comme condition de sa rédemption. Ses origines juives lui valent d’être arrêté par la Gestapo, six mois avant la libération de Paris ; destin qu’il accepte comme un martyr. Il est interné par la gendarmerie française au camp de Drancy et y meurt cinq jours plus tard, quelques heures avant sa déportation programmée pour Auschwitz.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « ton viejo » à sa maîtresse Jeanne Schneider
[Prison de Fleury-Mérogis], 12 novembre [19]76, 2 pp. in-4°*
Foliotée « N°3 » par Mesrine

Longue lettre de prison à son amante, évoquant les séances au parloir et l’avancement dans l’écriture de son livre L’Instinct de mort, dont il cite un saisissant passage


« Bonsoir mon ange… ce soir avalanche de lettres de toi la n°4, 5 et mercredi 10/11 sans numéro [Il évoque son entrevue au parloir avec fille Sabrina et de sa mère] Je vois mon ange que tu commences à bien t’installer. Tu vas voir que tu vas retrouver ton calme une fois chez toi […] Comme cela ton piaf est mort. C’est le changement de vie qu’il l’a tué… ou l’âge ! Il est au moins sûr de ne pas retourner en prison (lui). Tu as dû avoir ta larme ! et je le comprends, on s’attache à ces petits compagnons de détention qui sont moins cons que les humains.
Autrement tout va bien. Je fais un effort pour terminé [sic] ce maudit bouquin [son ouvrage L’instinct de mort, qui paraîtra en février 1877] que je trouve mauvais. J’ai par contre fait une réflexion sur la violence face à la société qui n’est pas tendre. Si mon livre est publié… c’est la “gada” à coup sûr… le docteur Guillotin va avoir un client sérieux, c’est la seule chose qui peut me faire perdre la tête après mon amour pour toi. A un moment j’ai écrit “si j’ai toujours tiré le premier, c’est qu’entre la prison et le cimetière, j’ai fait mon choix. On ne s’évade pas d’un cercueil… d’une prison si !”.
Oui je suis dingue, par contre je me suis bien amusé à l’écrire parfois. J’espère te voir mardi… car nous avons énormément de problèmes à régler. Voilà ma puce ! […]
Petite fille, je termine en posant de doux bécots sur tout ce qui est toi… eh oui ! “libertard” je t’adore toujours… quelle sentence à vie.. cet amour… […]
Te quiero, ton viejo. »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Les deux amants entretiennent dès lors une correspondance amoureuse. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider fini par se ranger et rompre alors que lui est toujours en prison. Mesrine ne s’arrête pas, condamne avec acharnement ses conditions de détentions et s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « ton Gve Flaubert » à Maxime Du Camp
[Paris, 13 octobre 1869], 2 p. in-8° sur vergé beige, à l’encre noire
Infime déchirure au coin supérieur droit du second feuillet, sans atteinte au texte

Flaubert annonce la mort de Sainte-Beuve, survenue le jour même

La plus importante des onze lettres de Flaubert à Du Camp encore en mains privées


« Sainte-Beuve est mort tantôt à 1 heure et demie sonnant. Je suis arrivé chez lui, par hasard, à 1 h. 35.
Encore un de parti ! La petite bande diminue ! Les rares naufragés du radeau de la Méduse disparaissent !
Avec qui causer de littérature, maintenant ? Celui-là l’aimait. Et bien que ce ne fût pas précisément un ami, sa mort m’afflige profondément. Tout ce qui, en France, tient une plume, fait en lui une perte irréparable.

Ton vieux Caraphon¹ n’est pas gai !

J’ai, à propos d’Aïssé, des embêtements graves. Latour-Saint-Ybars² surgit avec un traité et force l’Odéon à le jouer avant la mère Sand³. Or, comme Le Bâtard fait de l’argent, et que L’Affranchi ne sera pas représenté avant le commencement de décembre, cela rejette Aïssé je ne sais quand. Rien n’est encore absolument décidé. Mais je suis contrarié à cause du petit Philippe.
Le retard de la pièce entraîne celui du volume de vers
, etc., etc. Quoique je n’aie rien à te dire, j’éprouve un besoin démesuré de te voir et d’embrasser mon vieux Max.

Amitiés au Major ; tendresses au Mouton⁸.
Ton Gve Flaubert
Rue Murillo, 4, parc Monceau. »


[1] Maxime Du Camp avait ainsi surnommé Flaubert durant leur voyage en Orient
[2] Isidor Latour, dit Latour-Saint-Ybars, fera jouer sa pièce L’Affranchi au théâtre de l’Odéon du 19 au 27 janvier 1870.
[3] Allusion à la pièce L’Autre de George Sand, dont la création a lieu au théâtre de l’Odéon le 25 février 1870.
[4] Le Bâtard, comédie en 4 actes d’Alfred Touroude, créé au théâtre de l’Odéon le 18 septembre 1869.
[5] Mademoiselle Aïssé, drame en cinq actes de Louis Bouilhet, sera finalement joué au théâtre de l’Odéon le 6 janvier 1872.
[6] Philippe Leparfait, fils adoptif et héritier de Louis Bouilhet.
[7] Dernières chanson de Louis Bouilhet, recueil de poésies posthumes avec une préface de Flaubert, publié chez Michel Lévy en 1872.
[8] « Major » (Émile Husson) et « Mouton » (Adèle Husson), les grands amis de Maxime.

Flaubert eut de tout temps une haute considération pour Sainte-Beuve et ce, même au-delà des quelques réserves émises par le critique à la parution de Salammbô, sept ans plus tôt : « C’est donc un tour de force complet qu’il a prétendu faire, et il n’y a rien d’étonnant qu’il y ait, selon moi, échoué. » (Le Constitutionnel, 8-22 déc. 1862). Celui qu’il appelait révérencieusement « Maitre » devait être pour Flaubert sinon le dédicataire, l’un des lecteurs privilégiés de son prochain roman, comme il le confie le lendemain dans une lettre sa nièce Caroline : « J’avais fait L’Éducation sentimentale, en partie pour Sainte-Beuve. Il sera mort sans en connaître une ligne ! » (Corr., Pléiade, t. IV, p. 112-113).

On recense 38 lettres de Flaubert adressées à son ami Maxime Du Camp, dont 24 sont aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Institut. Une copie de cette lettre, d’une main inconnue, figure dans le fonds Lovenjoul (A.V, f°308).

COLETTE, Sidonie Gabrielle (1873-1954)

Carte postale autographe signée « Colette » à Claude [Farrère]
S.l.n.d. [Paris, 28 décembre 1950], 1 p. petit in-8°
Date de réception de la carte sans doute inscrite par Farrère

Tendre carte de vœux de l’écrivain à son ami de longue date Claude Farrère  


« Grand Claude, tes souhaits devancent les miens, mes vœux ne sont ni moins vifs ni moins tendres ! Mais je ne sors ni ne bouge. Mon parfait compagnon suppléé à tout. Je t’envoie une carte qui te rappellera un peu notre jeune temps, et je t’embrasse
Colette »

[Au recto, une reproduction de son portrait par Henri Manuel. Colette entour le mot « Écrivain » et ajoute ironiquement un point d’exclamation]


Figurant parmi les intimes de Colette, Claude Farrère (1876-1957) lui inspire en 1910 le modèle de Maxime Dufferein-Chautel pour son roman La Vagabonde. Tombé sous le charme de Colette à la même époque, Farrère éprouve pour elle des sentiments qui ne sont pas réciproques. L’attachement de l’officier-écrivain demeure sur le long cours. Leur relation d’amitié se transforme progressivement en un amour épistolaire platonique durant leurs vieux jours, jusqu’à la mort de Colette, en 1954.
Son portrait par Henri Manuel (saisi en 1910, l’année de leur liaison manquée) est ainsi un tendre clin d’œil de Colette évoquant leur « jeune temps ».

GRIS, Juan (1887-1927)

Carte autographe signée « Juan Gris » à André Level
[Loches, 2 octobre 1916], 1 p. in-8°
Adresse autographe : « [M]onsieur André Level / 21 rue de Londres / Paris »
Au verso : vue de la Tour Louis XI et du Martelet à Loches
Timbre et marques de compostage

Rare carte de Gris au collectionneur et galeriste André Level


Nous restituons le texte de Juan Gris en l’état

« Cher ami,
Merci du beau Corot que vous m’avez envoyé. J’essai bien a faire du paysage mais ça me semble mauvais. On verra bien du bout de quelques tentatives.
Je ne travaille pas beaucoup. Je joue a la balle et j’ai construit en cerf-volant qui ne veut pas voler. Tous les jours je le perfeccione sans obtenir un resultat.
Le bonjour de ma femme.
Juan Gris
[Il rajoute en marge gauche :]
Mes hommages a Mme et Mesdemoiselles »


Installé à Loches en 1916 avec sa compagne et future seconde épouse Josette Herpin, Juan Gris y peint une douzaine de toiles en quelques semaines, dont certaines figurent paysages et monuments locaux. Engagé avec le galeriste Léonce Rosenberg depuis 1915, Gris n’en maintient pas moins des liens épistolaires avec d’autres figures du milieu avant-gardiste français, dont André Level. Ce dernier, après avoir créé en 1904 le fonds d’investissement « La peau de l’ours » avec ses frères et quelques amis, fait l’acquisition d’un nombre considérable d’œuvres d’artistes alors peu connus tels Picasso, Modigliani, Matisse etc. Il disperse les œuvres dix ans plus tard à l’hôtel Drouot dans une vente historique et au succès considérable, plaçant l’avant-garde française au premier plan du marché de l’art.
Cette carte figure parmi l’une des dernières envoyées depuis Loches par le peintre avant son retour à Paris. Il quitte la Touraine à la fin du mois d’octobre pour participer au banquet célébrant la guérison de Guillaume Apollinaire et la parution de son Poète assassiné.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à Élie Allégret
La Roque, [fin] août [18]93, 3 pp. in-4° sur papier vergé crème finement ligné
Filigrane « Original Palet Mill », très légères rousseurs marginales

Admirable lettre du jeune Gide à son précepteur et confident, évoquant les premières manifestations de l’amour qui le lie à sa cousine Madeleine Rondeaux – Il dévoile ensuite son projet de voyage aux côtés de Paul Laurens, une aventure qui se révélera décisive pour l’écrivain, tant sur le plan moral que sexuel

Lettre restée dans les archives Allégret jusqu’en 2007


« Bien du temps a passé, mon cher ami, depuis ma dernière lettre. Je t’écrivais alors d’Espagne, avec cette émotion de me sentir plus près de toi parce que j’étais plus loin de la France. Ce voyage s’est fini tout simplement et nous avons repris pour un temps maman et moi nos occupations parisiennes. […]
Notre séjour habituel de la Roque est déjà tout près de finir ; le temps m’est strictement mesuré pour des raisons que je m’en vais te dire. Mes cousines ont passé près de nous trois semaines. Que ne puis-je, mon ami, te parler longuement d’elles et te demander après tes pensées. Je me souviens si bien de cette causerie trop courte que nous eûmes sur des affaires très intimes, dans cette voiture qui remontait l’avenue de l’Opéra, t’entraînant vers d’ultimes acquisitions, car le lendemain tu devais repartir. Tout est resté de même, mon ami, tout s’est approfondi, aggravé : c’est une chose difficile à comprendre lorsqu’on ne fait que la dire sans raconter longuement tous les pourquois : oui tout s’est aggravé (c’est le mot le meilleur) amours, luttes, tristesses et refus. La résistance de Madeleine est obstinée ; elle n’a cessé que lorsque par instant sa raison fut vaincue, et que son amour trop fort a dû paraître. J’ai presque tort de te parler de cela, ne pouvant t’en parler assez ; j’ai peur que tu te méprennes et que tu penses que j’ai grand tort de continuer cette poursuite, du moment qu’elle est repoussée. C’est bien ce que je me dis lorsque j’en suis fatigué jusqu’à la plus profonde tristesse. Mais si je reprends cette poursuite ensuite, c’est parce que je sais qu’elle m’aime plus que tout autre, et c’est elle qui me l’a dit, elle m’a dit que la vie sans moi lui paraissait vide et terne, et que tout en elle mourait le jour où elle s’est dit qu’elle devait me quitter…
Elle s’est fait de cela un devoir, non pour elle, mais pour moi, je le sais, se craignant pour moi trop âgée
[Madeleine est de deux ans l’aînée d’André]. Alors comprends-tu que j’insiste, et que sachant tout cela, un refus qu’elle s’impose douloureusement ne me rebute, et que tout continue, et ne peut presque plus avoir de solution qu’une attente l’un de l’autre, une attente perpétuelle, et que peu à peu le mariage ne devient presque plus souhaitable, tant nous avons pris peu à peu l’un devant l’autre une attitude presque hostile parfois à cause de cette triste lutte. Et nous ne pouvons pas nous passer de cela. […] Je ne suis pas retourné chez elle depuis bien des années ; et c’est bien malgré elle que Madeleine m’invite ; elle me l’a dit, mais je m’effraie de voir combien une femme peut se mentir. Je ne resterai pas là-bas [Cuverville] beaucoup de temps ; je pars aussitôt après pour un assez long voyage. On ose à peine devant toi parler de ‘long voyage’, pourtant celui-ci devrait durer six mois ; je dois partir avec un ami de mon âge, le fils du peintre Jean-Paul Laurens […] nous avons choisi l’Italie, la Sicile, la Tunisie, l’Algérie et l’Espagne. Le désert nous tente tous deux et nous projetons de descendre jusqu’à Ouargla [ville de province à 800 km au sud d’Alger] si c’est possible ; tout ça en vue de nous mûrir ; j’ai un peu le spleen d’avance – mon compagnon aussi, ce qui fait que nous nous entendrons […] 
Ma prochaine lettre sera probablement datée d’un climat plus voisin du tien ; je me réjouis de partir – et si ce n’était pour y laisser maman seule – de quitter Paris. On y vit mal et en toute superficie ; cela m’amusait un temps et j’ai peur que pour un peu cela ne m’amuse encore, mais cela ne vaut rien et je suis heureux de cette occasion de fuir
[…] et dit de ma part à Madame Allégret les choses les plus amicalement respectueuses. Je suis votre ami.
André Gide. »


L’année 1893 marque la naissance d’une longue et tortueuse relation entre Gide et Madeleine Rondeaux, sa cousine et future épouse. Profondément captivé, le jeune écrivain découvre un nouvel élan à sa vie par sa prise de conscience du mal ainsi que par son sens rigide et conformiste des actions à entreprendre, hérité d’une éducation puritaine. En dressant de sa cousine une image idéaliste, il finit par en tomber amoureux au sens intellectuel et néanmoins passionné. Voyant Madeleine se refuser à l’épouser et s’éloigner craintivement de lui, commence alors pour Gide une longue lutte pour vaincre sa résistance et convaincre la famille Rondeaux, elle aussi opposée à cette union.

Jeune peintre de 23 ans, Paul Laurens invite son ami Gide en 1893 à l’accompagner dans le cadre d’une bourse d’étude pour un voyage dans le sud de l’Europe et au Maghreb. Rapporté dans Si le grain ne meurt, ce périple initiatique, décisif dans la vie de l’écrivain, sera l’occasion pour lui d’un affranchissement moral et sexuel qu’il appelait de ses vœux, le faisant ainsi rompre avec le protestantisme et vivre avec son homosexualité. De retour en France en 1895 après un second voyage en Algérie, Gide fait des retrouvailles sereines avec sa cousine. La mort brusque de sa mère la même année parait précipiter les choses ; André et Madeleine se marient à l’automne.

Ses lettres à Élie Allégret sont les premières que l’on connaisse de Gide hors de son cercle familial. Pasteur protestant, Allégret est invité en 1885 par Juliette Gide au château de La Roque-Baignard pour devenir le précepteur de son fils et diriger à la fois ses lectures et son éducation religieuse. Si les échanges épistolaires sont nombreux entre les deux hommes, leur correspondance deviendra quasi muette (à l’exception de cette lettre et de rares autres) au tournant des années 1893 et 1894, période d’éloignement et de transformation morale pour l’écrivain.

HUGO, Victor (1802-1885)

Dédicace autographe signée « Victor Hugo » en dessous d’un tirage albuminé d’époque par Achille Mélandri
S.l.n.d. [épreuve : printemps 1880], 12,7 x 9 cm (épreuve), 24 x 17 cm (montage)
Infimes taches

Superbe épreuve photographique de Victor Hugo entouré de ses deux petits-enfants, célébrant L’Art d’être grand-père


Le tirage est enrichi d’une émouvante mention autographe signée de Victor Hugo :

« Je songe avec bonheur à tout ce que vous avez fait de charmant pour mes chers petits-enfants, et je vous remercie avec effusion.
Victor Hugo »

Après le décès de son fils aîné Charles Hugo, alors que ses enfants n’ont respectivement que trois et deux ans, Victor Hugo va prendre en charge l’éducation de ses uniques petits-enfants. Ils lui voueront toute leur vie durant une tendresse et une admiration indéfectibles.

Personnage hors norme et proche de Charles Cros, Achille Mélandri est à la fois poète et excellent photographe. Situé au 19 rue Clauzel, son studio est à la fin de XIXe siècle l’un des lieux incontournables du milieu artistique parisien.

Une épreuve similaire est conservée dans les collections de la maison de Victor Hugo de Hauteville House à Guernesey (inventaire n° 3279).

BLUM, Léon (1872-1950)

Lettre autographe signée « Léon Blum » à Louis-Alfred Natanson
S.l.n.d, [Paris, 14 décembre 1894], 3 p. 1/2 petit in-8° sur papier strié beige
Enveloppe autographe timbrée, cacheté et oblitérée (petites déchirures et taches)
Pliure centrale inhérente à la mise sous pli, fentes, un mot caviardé par Blum

Longue et très rare lettre de jeunesse de Blum – Le jeune dandy parisien de 22 ans, alors collaborateur à la Revue blanche, révèle à travers ces lignes toute sa sensibilité et son empathie pour son ami Natanson


« Mon cher Fred, je suis bien coupable de ne pas vous avoir répondu plus vite. Mais j’étais moi-même si abruti, si énervé que vraiment je n’aurais plus pu vous écrire la lettre qu’il fallait, la lettre gaie, pimpante, réconfortante, etc. etc. Et puis j’ai appris lundi par Alexandre [Natanson] pour vos gros malheurs. Je sais que vous allez mieux, et même maintenant j’espère que vous reviendrez bientôt ici avec un superbe congé de convalescence. Tout de même, j’ai beaucoup pensé à vous, et ce n’était pas trop gai. Je me demandais dans quel état vous deviez être là-bas, mon pauvre ami, tout seul avec de pareilles horreurs autour de vous. Mais Alexandre et Tadhée [Natanson] m’ont affirmé que vous étiez tout à fait bien, et ferme, et résistant, et même gai. Je vous fais tout de même mes compliments, mon cher Fred, mais pourtant je suis heureux de penser que vous allez sortir bientôt de là-bas.
Ça me fait tout de même un drôle d’effet de penser que vous lisez cette lettre dans votre beau lit blanc, entre la bonne petite sœur et l’infirmière. (Y’a-t-il des infirmières, à propos ? Vous n’êtes donc pas du tout laïcisés). […] Mon pauvre Fred, comme vous étiez bien fait pour vivre là-dedans – j’aurais voulu voir [Romain] Coolus cette semaine mais je l’ai manqué mercredi à la Revue [Blanche] où j’étais allé pour lui. Nous nous serions bien lamentés sur vous en strophes alternées, et même je suis sûr que Coolus aurait eu des colères très éloquentes. Je voudrais vous raconter des histoires très amusantes. Mais ma vie n’est que d’énervements. Je suis dans un état de tension et de fatigue inimaginable. Cet examen dont tout au fond de moi je me moque comme d’une guigne, et dont l’issue me sera tellement indifférente cinq minutes après que je la saurai – et bien ! pour le moment l’idée m’en tort et m’en déchire d’une manière inouïe. Il faut attendre trop longtemps, et je ne sais pas supporter l’attente. Je suis admissible depuis mercredi dernier, et je vais passer mon oral cet après-midi à deux heures. Cela m’a fait une très mauvaise semaine, remplie d’un ardent désir et d’une impossibilité absolue de travailler. Voyez-vous, mon pauvre Fred, nous sommes des êtres trop sensibles. Nous finissons par souffrir même de choses qui nous sont indifférentes. Ce que je vous dis là a l’air absurde, et pourtant c’est vrai. Bien entendu, je vous écrirai le résultat définitif. Je n’ai pas oublié notre pari. […]
Voilà mon cher ami, le peu de nouveau de ma vie. Je voudrais vous envoyer autre chose que cet ennui et ce brouillard. Mais je suis vraiment trop nerveux et trop triste. Figurez-vous que j’en viens à ne plus pouvoir supporter un ennui, et surtout à ne plus pouvoir supporter l’hiver. Le froid et le brouillard sont au-dessus de mes forces. Adieu, mon cher Fred, rétablissez-vous bien vite. Je vous écrirai sûrement bientôt, et surtout j’espère bientôt vous voir. Nous vous dorloterons, nous vous câlinerons, et les mauvais souvenirs s’oublieront vite.
Votre bien affectueux Léon Blum. »


Attiré dès ses années de lycée par une carrière artistique et littéraire, Blum publie ses premiers vers dans La Conque, revue créée conjointement en 1888 avec ses amis Gide et Louÿs du lycée Henri IV. Ce n’est toutefois qu’à partir de 1892, au travers de ses chroniques dans la Revue blanche, fondée par les trois frères Natanson, que Blum parvient à s’établir une réputation dans le milieu littéraire parisien. Jean-Laurent Cochet dit de lui qu’il est « le critique le plus intelligent de son époque ». D’avant-garde et d’excellence, la Revue blanche réunit tout ce que le monde artistique compte de plus éminent. Y collaborent Debussy, Toulouse-Lautrec, Mallarmé, Proust, Bonnard ou encore Jarry. Pour le jeune Blum, ici âgé de 22 ans, l’écriture et la littérature comptent avant toute chose. Les propos qu’il tient ici sont sans ambiguïté à cet égard : « Cet examen dont tout au fond de moi je me moque comme d’une guigne, et dont l’issue me sera tellement indifférente cinq minutes après que je la saurai ». Son destin est progressivement réorienté vers la politique avec pour élément déclencheur l’affaire Dreyfus.

GUITRY, Sacha (1885-1957)

Aphorisme autographe signé « Sacha Guitry »
S.l.n.d., 1 p. in-8° oblongue
Parfait état de conservation

Amusant aphorisme résumant à lui seul l’esprit caustique du dramaturge


« Ce qu’il y a de plus difficile à faire dans une pièce, ce sont les entr’actes.
Sacha Guitry »


Auteur dramatique prolifique, Guitry signe cent-vingt-quatre pièces de théâtre, dont beaucoup sont de grands succès, à l’image de Mon père avait raison ou encore Quadrille.

BRASILLACH, Robert (1909-1945)

Lettre autographe signée « Robert Brasillach » à Thierry Maulnier
[Paris, 1938 ou 1939], 1 p. in-8°à l’entête de l’hebdomadaire Je suis partout
Trace de pliure inhérente à la mise sous pli d’époque, petites brunissures aux coins
Légères décharges d’encre témoignant d’un pliage de Brasillach alors que l’encre n’était pas encore sèche

Brasillach monnaye une faveur en échange d’un article auprès de son ami Thierry Maulnier, puis le remercie de sa critique favorable sur son ouvrage consacré à Corneille


« Cher vieux,
Plus de permis. Mais veux-tu un demi-tarif ?
Réponds tout de suite pour si on te le demande. MAIS (faisons un petit chantage), envoie un article en échange. Tu seras gentil.
Vivre esclave ou mourir !
Bien amicalement, et merci de tes articles sur Corneille, où je trouve (ce qui ne m’étonne pas) enfin quelqu’un qui a compris.
Robert Brasillach »


Camarades de banc au lycée Louis-le-Grand, Brasillach et Maulnier, avec six autres de leurs amis, marquent les esprits en publiant Fulgur en 1927, roman-feuilleton policier et fantastique. Si les deux amis cultivent une certaine idéologie maurassienne proche de l’Action française au début des années 1930, la trajectoire idéologique de Brasillach, devenu en 1937 rédacteur en chef de l’hebdomadaire collaborationniste Je suis partout, prend une tournure radicale. Devenu le chantre de la collaboration, il véhicule sa haine des Juifs, du Front populaire, de la République et son admiration du Troisième Reich, dont il a sans cesse espéré le triomphe en France.
Lors de la débâcle au printemps 1940, la direction de Je suis partout, dont fait partie Brasillach, est convoquée par la police pour atteinte à la sûreté de l’état, ainsi que nombre d’intellectuels fascistes. L’édition du dernier numéro est confiée en urgence à Thierry Maulnier, collaborateur occasionnel de l’hebdomadaire. Le journal reparaît en 1941 et devient ouvertement pro-allemand.
Brasillach fait paraître Pierre Corneille (ici évoqué) chez Fayard, en 1938. La présente lettre est donc nécessairement datée de cette année ou du début de la suivante.

GRACQ, Julien (1910-2007)

Lettre autographe signée « Julien Gracq » à Thierry Maulnier
Caen, 4 novembre [1945], 1 p. in-8° à l’encre violette sur papier ligné
Pliure centrale

Dans un style familier, l’écrivain s’excuse auprès de Maulnier qui, six mois après la parution du Beau ténébreux, n’a pas encore reçu son exemplaire


« Cher archicube [surnom donné à Thierry Maulnier],
J’apprends par une coupure de presse (Concorde, de Lyon, [journal lyonnais publié entre 1944 et 1947] je crois) que tu n’as pas reçu “Un Beau ténébreux”. J’en suis contrarié, car tu étais un des premiers à qui j’avais prié Corti d’adresser le livre, paru il y a 6 mois. C’était la moindre des politesses, car je n’oubliais pas ton accueil sympathique de 1939. Le livre s’adressait en outre, permet-moi de te le dire sans flatterie, à un des rares critiques qui compte pour moi. Je te prie donc d’excuser cette négligence. Si tu n’as pas trouvé le livre, veux-tu avoir l’obligeance de me mettre une carte avec ton adresse exacte : j’aurai plaisir à te l’adresser et ce ne sera pas, crois le bien, pour te “taper” d’une lettre ou d’un article : le livre est d’ailleurs épuisé depuis un moment et ce genre de publicité ne m’obsède pas.
Je ne te l’envoie pas directement car je n’ai plus que très peu d’exemplaires et je ne voudrais pas en égarer. Excuse donc cette négligence de Corti : mais je ne voulais pas que tu croies de ma part à un oublie qui aurait été une vraie impolitesse. 
Bien sympathiquement
Julien Gracq

[Il rajoute son adresse :]
adresse : L. Poirier
assistant à la fac des lettres
14 place St Martin Caen

[Puis en post-scriptum :]
Je dois te remercier à propos de cet article, de n’avoir pas oublié “Angel”. Puis que tu parles de Butor avec une estime justifiée, il ne te sera sans doute pas indifférent de savoir qu’il jugeait l’introduction à la poésie française “sensationnelle”, comme il dit. »


Paru au printemps 1945, Le Beau ténébreux est le deuxième roman de Gracq publié aux éditions José Corti, auxquelles l’écrivain restera fidèle tout au long de sa carrière littéraire. Il écrit son roman en deux temps : une première partie est rédigée en Silésie, durant la captivité de Gracq, tandis que la seconde est écrite en même temps que les poèmes de Liberté grande en 1942. L’ouvrage développe, sous la forme de longs dialogues, une réflexion sur la littérature qui sera poursuivie dans ses grands textes théoriques ultérieurs. Si le roman reçoit des critiques mitigées dans les revues spécialisées, son succès auprès des lecteurs est bien réel. Proposé au Prix Renaudot, Un Beau ténébreux obtient trois voix, permettant d’attirer l’attention sur Le Château d’Argol paru sept and plus tôt et réédité en 1945.

LÉVI-STRAUSS, Claude (1908-2009)

Lettre autographe signée « Claude Lévi-Strauss » à Thierry Maulnier
[Paris], 9 mai 1982, 1 p. 1/4 in-4°
Pliure central inhérente à la mise sous pli d’époque
Tampon au coin inférieur gauche de la seconde page : « Fonds / archives privées / Maulnier »

Réflexions critiques de l’anthropologue sur un ouvrage de Thierry Maulnier


« Cher confrère,
‘L’Étrangeté d’être’ m’apporte les mêmes profondes satisfactions intellectuelles que ‘Les Vaches sacrées’ naguère. Dans une langue d’une concision et d’une élégance incomparables, j’y reconnais des thèmes de réflexion qui me sont chers : que nous ne saurons jamais ce que c’est que la vie ; qu’un des plus grands acquis de la science contemporaine est de nous faire comprendre pourquoi on ne pourra jamais tout comprendre ; qu’il est vain de chercher un sens à l’histoire ; que les périodes les plus riches et les plus créatrices n’excluent pas (et peut-être supposent ; on pourrait longuement épiloguer là-dessus) une certaine rudesse des mœurs… Vous cernez toutes ces questions d’un trait sûr et projetez sur elles de grandes lumières.
Une menue objection, toutefois : l’expérience sur les planaires (p. 54-55) est aujourd’hui controversée ; il me semble que personne n’ait pu la reproduire !
En vous remerciant de votre envoi (et singulièrement du n.22, qui me touche) je vous prie, cher confrère, de croire à mes sentiments admiratifs et très fidèles,
Claude Lévi-Strauss »


Dans son objection à Thierry Maulnier sur les planaires, Lévi-Strauss fait ici allusion à l’étude menée dans les années 1960 par le chercheur américain James Mc Connell. Ce dernier avait décrit des capacités d’apprentissage uniques chez les planaires qui l’avait conduit à formuler une thèse audacieuse sur les « bases biochimiques de la mémoire », suscitant une vive controverse dans la communauté scientifique.

Maulnier poursuit et approfondit l’effort amorcé dans Les vaches sacrées (paru 1978) en menant avec L’Étrangeté d’être une réflexion, une remise en question, et parfois une contestation systématique des vérités et des valeurs que l’époque contemporaine, malgré son apparente opposition aux normes, considère encore comme acquises.

JAURÈS, Jean (1859-1914)

Manuscrit autographe signé « Jean Jaurès », titré « Après le Congrès »
[Paris], c. 1er juin 1906, 10 p. in-4° à l’encre noire
Annotations typographiques au crayon bleu, quelques taches et petits trous

Remarquable manuscrit complet d’un article relatif à la séparation des Églises et de l’État, paru en une du journal L’Humanité du 2 juin 1906, six mois après la promulgation de la loi


« Le secret épiscopal et même pontifical a des fêlures. Les évêques ont juré de ne rien dire de leurs discussions et de leurs décisions. Et pourtant, voilà toute la presse qui raconte que les partisans de l’acceptation de la loi l’ont emporté. Le Temps précise même. Il y a eu une majorité de 22 voix pour le principe de l’acceptation ; et cette majorité s’est accrue ensuite quand on est passé aux dispositions de détail. J’ai tout lieu de croire que ces renseignements sont à peu près exacts. Ainsi les évêques, en qui les sages conseils de l’Esprit saint ont été secondées par la leçon des événements et des élections, ont adopté une politique conciliante et sensée. Voilà sans doute tout danger de guerre religieuse écarté.
Il sera en effet difficile au pape [Pie X] de ne pas conformer ses instructions aux avis des évêques. On sait qu’il les a consultés. On sait aussi, malgré l’épaisseur du mystère, quelle a été leur réponse. Il eut été difficile de faire accepter à la masse des catholiques français une politique de combat, même si les évêques l’avaient conseillée ; mais il sera impossible de la faire prévaloir contre l’opinion des évêques eux-mêmes maintenant connue. La loi de séparation sera donc appliquée sans nouveaux désordres et sans crise nouvelle.
Nous nous en réjouissons bien sincèrement. D’abord, c’est un désastre moral pour ces prêtes politiciens et échauffés, pour ces réacteurs forcenés et fourbes qui ont tenté de persuader au suffrage universel qu’au mois de décembre prochain toutes les églises seraient fermées par la force, et que le parti républicain opprimerait les consciences. Que vont dire les bonnes âmes qui se sont laissé duper et exciter ? Voici que de l’aveu même des évêques, la sagesse conseille d’accepter une loi qui fut dénoncée pendant la période électorale comme détestable et diabolique.
Et puis, il ne nous déplaît pas que nul parmi les républicains ne puisse être tenté d’aggraver la loi. Ce n’est pas de la violence, c’est du progrès de la raison publique et nous attendrons l’évanouissement des croyances traditionnelles qui s’opposent au progrès de l’esprit humain.
Enfin, par l’apaisement de la question religieuse, c’est la question sociale qui occupera le premier plan. C’est autour du privilège de propriété que se livrera la bataille des idées et des partis. Nous pourrons demander aux amis de M. Carnot, aux adhérents de l’Alliance démocratique, si c’est nous qui organisons la lutte des classes ou si elle n’est pas la conséquence nécessaire du régime capitaliste. Nous demanderons à la majorité si elle entend faire de la guerre ou du collectivisme, comme M. Carnot, le pivot de sa politique. C’est de clarté surtout que la France a besoin pour continuer sa route. La lumière se lèvera d’autant plus vive et plus nette sur le problème social que l’horizon ne sera plus ni bouleversé ni troublé ni même obscurci par l’orage des passions religieuses.
Jean Jaurès »


La loi de Séparation de l’Église et de l’État, mesure emblématique de la IIIème République, doit énormément à l’action des socialistes. Trois d’entre eux ont particulièrement contribué à la conception, à l’inflexion démocratique, et à l’adoption de la loi en décembre 1905 : le jaurésien Aristide Briand, qui en fut le rapporteur émérite, le manœuvrier qui a mené la Commission des trente-trois où il voulait la conduire, Francis de Pressensé, l’inspirateur, l’initiateur du processus législatif, et le député du Tarn, Jean Jaurès, le chef reconnu, qui a montré la voie et est intervenu dans les moments décisifs.
Durant les trois mois et demi que durent les discussions à la Chambre des députés, de la mi-mars jusqu’aux premiers jours de juillet 1905, les 44 articles de la loi de Séparation sont discutés durant 48 séances et 289 amendements sont déposés et examinés.
La loi est votée à la Chambre le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233. Elle est ensuite votée au Sénat, le 6 décembre 1905 par 181 voix contre 102. La promulgation a lieu le 9 décembre et son entrée en vigueur le 1er janvier 1906. Elle met fin à la notion de « culte reconnu » et fait des Églises des associations de droit privé. De plus l’article 4 organise la dévolution des biens des établissements publics du culte à des associations cultuelles.
La loi est violemment critiquée par le pape Pie X dans sa lettre encyclique Vehementer nos du 11 février 1906, qui condamne la rupture unilatérale du concordat de 1801.

RÉCAMIER, Juliette (1777-1849)

Lettre autographe signée (à la 3e personne) à Hélène T. Mazel
[Paris], 29 novembre 1843, 1/2 p. in-12°
4 enveloppes

Dans l’intimité de Juliette Récamier

Ensemble de six lettres inédites de et autour de l’une des plus célèbres salonnières du XIXe siècle


Cet ensemble comprend :

1 lettre autographe signée à la troisième personne de Juliette Récamier à Hélène Mazel
[Paris, 25 novembre [1843], 1/2 p. in-12°
Adresse autographe sur le premier feuillet, cachet de cire rouge

« Mad. Récamier prie Mademoiselle Mazel de lui faire l’honneur de venir passer la soirée chez elle le jeudi prochain.
Samedi 25 novembre »

***

1 lettre autographe (de la main de Amélie Cyvoct ?) à Hélène Mazel
[Paris] 17 septembre [1838], 1 p. petit in-8°
Enveloppe jointe

« Mme Récamier est bien sensible à l’offre si gracieuse de Mademoiselle Mazel et toute désolée de ne pouvoir pas en profiter […] Mais Mme Récamier espère que Mademoiselle Mazel voudra bien lui conserver ses bonnes intentions […] »

***

3 lettres autographes signées de Pierre-Simon Ballanche à Hélène Mazel
[Paris, entre 1837 et 1846], en tout 3 p. 1/4 in-8°

Paris, 22 décembre 1837 :
« J’ai le bonheur de vous apprendre que Madame Récamier va beaucoup mieux, mais c’est depuis bien peu de jours que nous sommes pleinement rassurés. Elle est encore fort souffrante, et sa voix ne revient qu’à de très courtes intervalles. Mais l’ensemble de sa santé est réellement amélioré […] Au retour de la campagne, elle n’est point revenue à l’Abbaye-aux-bois. Les médecins ont jugé que son appartement ne devait pas être favorable à son rétablissement. Elle demeure, en ce moment, rue d’Anjou St Honoré, n°30. C’est là que vous pouvez lui écrire. Elle sera charmée d’avoir de vos nouvelles […] Vous n’ignorez pas tout l’intérêt qu’elle vous porte, toute la part qu’elle prend à vos succès […] Ballanche »

Paris, 1838 :
« Mademoiselle, Madame Récamier me charge de vous exprimer tous ses regrets de ce que, depuis si longtemps, elle n’a pas eu le bonheur de vous voir. Elle me charge, en même temps, de vous dire combien elle désire vivement, et le plus prochainement possible, une de vos bonnes visites.
Elle vous aurait écrit elle-même, si écrire n’était pas pour elle une très grande fatigue, dans son état de santé […] Ballanche »

Paris, 12 février 1846 (Sur un malentendu et la commande d’un piano par Juliette Récamier)
« […] Madame Récamier désire bien vivement que ce nouvel arrangement puisse convenir, mais comme son message vous a été mal transmis […] elle me charge de vous faire connaître, Mademoiselle, la situation telle qu’elle est.
Madame Récamier me charge donc, Mademoiselle, de vous prier de lui dire si vous avez encore la disposition de votre soirée de dimanche prochaine ; et dans le cas où vous seriez libre, de vouloir bien lui dire si elle peut vous espérer, si elle peut compter sur le piano que vous aviez bien voulu lui faire envoyer.
Mais, dans le cas ou Madame Récamier aurait le regret de ne pouvoir pas compter sur vous, elle voudrait savoir si néanmoins elle pourrait toujours compter sur le piano qu’elle a dû déjà à votre obligeance. Madame Récamier attend, Mademoiselle, avec une bien vive impatience, et avec l’espérance qu’elle vous devra tout le charme de la soirée de dimanche prochain.
Sir tout tot, Mademoiselle, Madame Récamier vous prie de vouloir bien lui écrire un mot par la poste. […] Ballanche »

Ballanche figure parmi le cercle intime de Juliette Récamier, aux côtés de Chateaubriand et Amélie Cyvoct (la fille adoptive de Juliette). Issus de la même génération, ils se rencontrent sous le directoire en 1797. Mort deux ans avant son amie, il est inhumé dans le même caveau que celle-ci au cimetière de Montmartre.

***

1 lettre autographe signée de Jean-Jacques Ampère à Hélène Mazel
[Paris], 1er mars 1849

Sur l’état de santé de Juliette Récamier, deux mois avant sa mort

« Mademoiselle, Madame Récamier me charge de vous dire combien elle a été sensible à l’intérêt que vous voulez bien prendre de sa santé et à votre aimable souvenir. Ses yeux on déjà éprouvé une amélioration par suite de deux opérations et l’on attend un succès complet de la troisième qui aura lieu d’ici quelques semaines […] rien ne pourra guérir le chagrin inconsolable que lui a causé la perte de ses amis [Chateaubriand était mort dans ses bras l’année précédente].
Croyez je vous prie Mademoiselle l’hommage de mon respectueux dévouement.
J.J. Ampère »

Juliette Récamier devait mourir deux mois plus tard, le 11 mai, alors que l’épidémie de choléra faisait rage en cette année 1849. Le quartier de la rue de Sèvres, ou la salonnière résidait, était particulièrement touché.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » à M. Lafeuillade
Paris, 12 8bre [octobre] [1873], 1 p. 1/2 in-8° sur papier quadrillé bleu
Fentes aux plis, petit trou sur le second feuillet (sans atteinte au texte)
Enveloppe autographe jointe (timbrée et oblitérée)

Hugo refuse tout droit d’auteur pour la publication de son poème patriotique La Libération du territoire


« Mon honorable concitoyen,
J’accepte avec émotion le don glorieux que vous m’annoncez. On peut le faire déposer chez moi 20, r. Drouot. Je remercie les donateurs du plus profond de mon âme.
Dites-le-leur en mon nom, je vous prie.
L’argent produit par la vente du poème La Libération du territoire ne passera pas par mes mains ; il sera déposé directement dans la caisse de secours des Alsaciens-Lorrains. Je transmettrai, si l’occasion m’en est offerte, aux administrateurs de cette caisse, votre recommandation honorable pour M. Schalek.
Recevez mon plus cordial serrement de main.
Victor Hugo »


Achevé le 31 août 1873, La Libération du territoire est publié en brochure par Michel Lévy frères le 16 septembre 1873, jour de la « libération du territoire » (allusion à l’évacuation des troupes allemandes après paiement anticipé de l’indemnité de guerre). La première partie du poème est publiée le lendemain en première page du journal Le Rappel. 23.986 exemplaires de cette brochure sont vendus et rapportent un total 11.993 francs. Une fois déduit le remboursement des frais de fabrication, restent 4506,30 francs équitablement répartis à trois sociétés de secours au profit des Alsaciens-Lorrains (1502,10 francs chacune) : celle que présidait M. Crémieux, celle que présidait M. d’Haussonville, et celle du boulevard Magenta. Ainsi qu’il l’indique dans cette lettre, Hugo, au sommet de sa gloire, a refusé à tout droit d’auteur pour cette publication.
Le poème est ensuite repris dans Actes et paroles – Depuis l’exil [deuxième partie, XVI] en 1876.
Nous n’avons pas retrouvé trace de ce M. Schalek.

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Jean Cocteau » à Henry de Montherlant
Milly[-la-Forêt], 1er novembre 1962, 1 p. in-4° à l’encre bleue

Cocteau exhorte Montherlant de le rejoindre à l’Académie française


« Mon cher ami
Ne vous inquiétez pas de l’Académie – c’est un phantasme et si vous voulez vous rendre compte que rien ne change lisez le livre du duc de La Force “En marge de l’Académie” publié par Maurice Garçon.
La seule chose étrange c’est qu’on soit sous cette coupole qui refusait Chateaubriand Hugo Vigny Balzac et recevait des gens que ni vous ni moi ne connaissons et n’aurions voulu connaître.
Ils vous veulent et vous auront coûte que coûte.
[Cocteau rajoute en vertical à la marge : « Ils commencent à se rendre compte »] Résignez-vous.
Je vous embrasse.
Jean Cocteau »


Henry de Montherlant est élu à l’Académie française le 24 mars 1960, sans concurrent, au fauteuil d’André Seigfried. Bien qu’imposé par le protocole, il n’effectue pas de visites de candidature (formalité à laquelle il se refusait). Agoraphobe, ou prétendant l’être, il n’est reçu qu’en séance de commission de lecture par le duc de Lévis Mirepoix le 20 juin 1963.
Claude Levy-Strauss devient en 1973 le successeur de Montherlant à l’Académie, un an après son suicide de ce dernier.

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Billet autographe signé « S. de Beauvoir » à Berthe Mandinaud
[Paris, 16 juillet 1956], 1/4 p. in-4° sur papier quadrillé
Enveloppe autographe (timbrée et oblitérée) jointe

Remerciements de la philosophe à sa dactylographe


« Avec mes remerciements
S. de Beauvoir »


Berthe Mandinaud fut la dactylographe attitrée de Simone de Beauvoir, qui se chargeât pour elle de la transcription complète de l’ensemble de son œuvre.
Cette courte lettre (à l’origine accompagnée d’un chèque) vient peut-être en remerciement de la dactylographie effectuée pour La Longue marche : essai sur la Chine, récit publié chez Gallimard suite à son voyage en Chine qu’elle effectua l’année précédent avec Jean-Paul Sartre.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « votre Colette » au couple Guillermet
[Paris – Palais Royal], 24 [décembre 1950], 2 p. in-8° sur papier bleu
Infime décharge d’encre en marge supérieure de la seconde page, annotation au crayon

Affectueuse lettre écrite à deux mains par Colette et son époux Maurice Goudeket, adressée à leurs amis du Beaujolais 


« Bonne année, mes chers Guillermet, jamais présents, jamais tout à fait absents, bonne année, bonne santé et le moins d’emm….ts possible. Que devenez-vous, dans votre beau patelin perdu, lieu de bon accueil et de fidèle amitié ?
Deux Gigi-Bérard1, déposés par l’éditeur, attendent, vous le savez, vos instructions pour signature.
Ma très chère compagne, résignée désormais à l’immobilité, (il n’y a pas d’autre solution) va bien. Une pièce d’elle va voir le jour dans trois semaines environ. Je suis en plein dans les répétitions, en tant que son mandataire, et je prends à ce point mon rôle au sérieux, que je finis par croire que la pièce est de moi. C’est un peu comme ces managers de boxe qui disent “Nous n’avons peur de personne, les coups ne nous font pas mal”.
Que vous dire d’autre de moi, sinon que je m’agite un peu dans tous les sens, (oh ! beaucoup moins que Jean !) et que la manie des livres ne m’a pas quitté.
Et le garçon ? Il doit avoir fini son service, il me semble, à moins qu’il n’en fasse une carrière.
Embrassez, je vous prie, Suzanne de ma part.
Et croyez-moi, le plus affectueux et le plus fidèle des
Maurice »

[Puis Colette félicite Made pour sa poularde :]
« Mes Guillermets très chers, il en tient une place, ce Maurice ! Je me fais mince. Je voudrais une lettre de ma Guillermette, une comme je les aime. Quelle poularde !!! Ce sont des jeux interdits, mes chers.
De tout cœur votre
Colette »


[1] Il s’agit d’une édition de luxe de du roman Gigi, illustré de lithographies par Christian Bérard, paru chez Chadourne en 1950, tiré à trois-cents exemplaires.

Humaniste et philanthrope, Jean Guillermet (1893-1975) s’est évertué toute sa vie à faire connaître le Beaujolais. Il édite entre autres un Almanach annuel vantant les qualités de ce terroir et notamment son vin. Colette fait la connaissance de Madeleine, épouse de Jean Guillermet, à l’été 1943. Madeleine invite aussitôt Colette à séjourner dans sa demeure de Limas située près de Villefranche-sur-Saône, au cœur des vignobles beaujolais. C’est donc très naturellement que Colette, grande épicurienne et amatrice de bons vins, se lie d’amitié avec le couple Guillermet. Ils entretiennent une relation épistolaire régulière, jusqu’à la mort de l’écrivain, en 1954.

NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Carte autographe signée « Nadar » à [Henri ?] Cazalis
Ermitage [Notre-Dame-de-Consolation], Draveil, 12 janv[ier] [18]93, 1 p. petit in-8° à sa devise “Quand-même”
Ancienne trace de ruban adhésif et note au crayon au verso , sinon parfait état

Affectueuse carte du photographe à son ami Cazalis


« Ma pauvre affligée et moi, nous envoyons tout notre plus cordial souvenir avec nos meilleurs souhaits à l’ami Cazalis, à sa très charmante femme et à tout ce qu’ils aiment.
Nadar
Mais quand jamais se reverra ton ?
– Et pourtant, quelle bonne joie !… »


Au sommet de sa carrière mais ruiné par la Commune depuis plusieurs années, Nadar s’installe en 1887 dans un bâtiment de l’ancien ermitage de la forêt de Sénart. Il l’aménage en le prolongeant sur deux côtés et en ajoutant un étage. En plus d’y soigner son épouse hémiplégique, il y installe un atelier et y accueille des amis. Julia Daudet, épouse d’Alphonse Daudet, qui séjournait alors à Champrosay, hameau de la commune de Draveil, évoqua l’Ermitage dans plusieurs de ses romans. Elle le décrit comme une “maison bizarre et plaisante, coupée en coins et recoins, fenêtres et portes à la diable, petits appentis”. Nadar vend le manoir en 1894 et s’en va fonder un atelier photographique dans le Sud.

MADAME ROYALE, Marie-Thérèse de FRANCE, dite (1778-1851)

Lettre autographe à Théodore Charlet
« G… » [Gorizia, Italie], 15 oct[obre] 1843, 2 p. petit in-8°
Foliotée “176” de sa main au coin supérieur gauche
Légère rousseurs sur le second feuillet, sans atteinte au texte

Depuis sa retraite en Italie, Madame Royale donne de ses nouvelles à son financier resté en France

Provenant de la collection Hubert Guerrand-Hermès


« J’ai reçu vos 2 lettres des 3 oct. et 5 oct. Je vous remercie de tous vos vœux pour ma petite [sans doute Louise d’Artois, petite fille de Charles X, née un 21 septembre], et je vous écris le même jour. […] Mon neveu [le comte d’Artois] continue heureusement son voyage… sa santé est excellente. Je m’en vais envoyer l’ordre à mon banquier de vous faire payer 10000 francs […] Je veux bien accorder encore 1000 fr à de Bouille pour le tirer d’embarras portant à sa condition… Je vous remercie d’avoir fait toutes mes commissions…[…] Mille choses à votre famille, j’espère que vous êtes tous bien portants… »


Fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte de France, dite Madame Royale (pour la distinguer de la belle sœur du roi), est le premier enfant du couple royal, né après plus de huit ans de mariage. Enfermée au Temple en 1792 avec sa famille, elle en est la seule rescapée, échangée in-extremis en 1795 contre les commissaires français livrés aux Autrichiens par Dumouriez. En 1799, elle épouse son cousin Louis de France, duc d’Angoulême, fils du futur Charles X. La mort sans enfant de Louis XVIII on fait d’elle et de son mari les derniers Dauphin et Dauphine de France. Contrainte à l’exil pendant la Révolution de Juillet en 1830, Madame Royale rejoint l’ex-roi Charles X, partit avec sa Cour à Gorizia, ville sous domination autrichienne. Elle s’installe en 1844 avec ses proches et son neveu Henri d’Artois, comte de Chambord, au château de Frohsdorf , situé au sud-est de Vienne. Elle y meurt le 19 octobre 1851.

[HUGO] BERTALL (1820-1882)

Photographie originale en tirage albuminé de Victor Hugo par Bertall
S.l.n.d [Bruxelles, 1867], format carte de visite
Crédit du photographe au verso, annotation au crayon d’une main inconnue
Petites taches (voir scan)

Élégant portrait du poète exilé, assis sur un fauteuil riveté


Le regard fixé vers l’objectif, Hugo se tient assis sur un imposant fauteuil riveté, un livre dans la main droite. Son épaisse barbe est déjà blanchie par l’âge tandis que subsiste une moustache encore brune.

Pseudonyme de Charles Constant d’Arnoux de Limoges Saint-Saëns, Bertall est considéré comme l’un des plus importants illustrateurs du XIXe siècle en plus d’exercer le métier de photographe. On connaît de lui plusieurs portraits du poète qu’il fera lors de son périple à Guernesey. Bertall collabore avec Hippolyte Bayard à partir de 1855, ouvrant ensuite avec lui l’atelier de photographie Bayard et Bertall, au 15 bis rue de la Madeleine à Paris. Il s’installe à son compte à partir des années 1860 au 33, rue Boissy d’Anglas.

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Carte de visite autographe signée « GC. » [à Michel Alexandre Gaston Tournier]
S.l.n.d [années 1920], 2 p. in-24° (7.4 x 4.8 cm)
Infimes taches (voir scan)

Rare carte de visite du Tigre à son ami


« Avec mes meilleurs souhaits, mon cher général et mon très vif regret de ce que la parole qui m’avait été donnée à votre égard n’ait pas été tenue.
GC »


Provenance :
Succession du général Tournier

NECKER, Jacques (1732-1804)

Lettre signée « Necker »
Paris, 12 juillet 1790, 1 p. in-folio sur papier vergé filigrané
Petite déchirure au coin supérieur gauche, légère brunissure en marge haute, pliure centrale

Rare pièce signée de Necker dans les dernières semaines de son mandat comme premier Ministre des finances du roi


« J’ai reçu, Messieurs, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le tableau des Citoyens actifs du Département du Nord, et les discours que vous avez prononcés à l’ouverture de son assemblé électorale. Vous y avez rappelé aux électeurs l’importance des choix qu’ils allaient faire, et des principes sages, prosper à les diriger dans une telle circonstance. J’ai vu avec beaucoup de satisfaction, dans ces discours, l’hommage des sentiments que le Roi est si digne d’obtenir, et qui doivent animer tous les français. Je vous prie, Messieurs, d’agréer mes remerciements, et votre lettre en exige de particuliers, puisqu’elle est très obligeante pour moi.
J’ai l’honneur d’être avec un sincère attachement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.
Necker »


Après l’avoir congédié le 11 juillet 1789, Louis XVI doit se résoudre à rappeler Necker le 16 du même mois. Celui-ci prend alors le titre de Premier ministre des finances. Rapidement, il s’oppose à l’Assemblée constituante, en particulier à Mirabeau. Alors que les députés refusent les propositions de Necker, fondées sur les méthodes traditionnelles d’anticipations et d’emprunts, Necker s’oppose au financement du déficit par l’émission d’assignats. Il démissionne de son troisième ministère le 4 septembre 1790.

VERLAINE, Paul (1840-1896)

Lettre autographe signée « P Verlaine » à Adrien Remacle
Paris, 22 7bre [septembre] 1895, 1 p. in-8° sur bifeuillet vergé
Papier uniformément bruni, quelques taches et petites rousseurs

D’une écriture fébrile, Verlaine indique sa dernière adresse du 39 rue Descartes, trois mois et demi avant d’y mourir


« Mon cher Remacle,
J’ai reçu hier soir, 80 francs de M. Colin, pour mes vers que je viens vous remercier et m’avoir fait placer si bien.
Je forme des vœux bien sincères pour votre prompt rétablissement. J’aurais bien été vous voir, mais nous sommes en plein déménagement et la preuve c’est que dès ceci reçu, sachez que je demeure 39 rue Descartes.
Mille cordialités
P Verlaine »


Paul Verlaine et sa maîtresse Eugénie Krantz logent dans une mansarde rue Saint-Victor depuis le début de l’année 1895. Le couple emménage en septembre au premier étage du 39, rue Descartes, derrière le Panthéon. Souffrant de diabète, d’ulcères et de syphilis, les derniers mois du poète virent au supplice. Verlaine sort à peine et correspond avec ses derniers fidèles, lui dont l’irrémédiable déchéance amorcée quelques années auparavant lui valut d’innombrables séjours en hôpitaux. Figure emblématique du poète maudit, le Pauvre Lélian finit par mourir le 8 janvier 1896 d’une pneumonie aiguë.

Après son envoi de 80 francs à Verlaine, l’éditeur Armand Colin (1842-1900) fait une première publication de quatre de ses poèmes dans sa Revue pour les jeunes filles du 5 octobre :
« Intermittences », « Sites urbains », « Clochi-clocha » et « En septembre ». Chacun de ces poèmes est republié dans les Œuvres posthumes de Verlaine, éditées par Messein, en 1911.
Poète et compositeur, Adrien Remacle (1855-1916) est dès 1885 directeur de La Revue contemporaine, à laquelle Verlaine contribue occasionnellement. Remacle en retour est dédicataire d’un poème dans le recueil Dédicace, paru en 1890. Remacle tire des Fêtes galantes un drame-ballet en deux actes, créé à Paris le 9 février 1914 sur la scène du Théâtre idéaliste.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Robert de Montesquiou
S.l, [7 décembre 1904], 4 pp. in-8°, liseré de grand deuil
Timbre humide de Robert de Montesquiou (à son chiffre) au coin supérieur gauche
Fentes aux plis, annotation typographique au crayon sur la quatrième page

Dans une étonnante lettre à son mentor, Proust dresse un constat acerbe sur l’Italie et la conservation de son patrimoine


« Cher Monsieur,
Vous avez été bien gentil de m’inviter à cette matinée. Si je ne vous ai pas écrit c’est que, sortant exceptionnellement tantôt pour aller voir mes médecins, j’avais espéré pouvoir, en les quittant, aller vous remercier à Neuilly. Malheureusement, je n’ai été libre qu’à 7 heures. J’aurai ces jours-ci, par Reynaldo, de beaux récits qui préciseront mes regrets
[d’après le compte rendu du Figaro du lendemain, Hahn a ravi l’auditoire avec ses compositions]. Et dire que c’est peut-être la seule fois que vous m’inviterez ! Mes rendez-vous avec ces médecins étaient pris et comme j’étais souffrant cela m’a fait, de sortir, beaucoup plus de mal qu’ils ne me feront jamais de bien. On m’a parlé, avec la vague déformation que prennent les bruits quand ils arrivent jusqu’à ma chambre de malade, des conférences que vous feriez en Italie. Malgré ce que vous m’avez dit en faveur de l’évangélisation plus efficace d’une terre inesthétique comme l’Amérique, je pense que les « Conférences d’Italie » seront plus glorieuses encore. La véritable terre inesthétique n’est pas celle que l’art n’ensemença pas, mais celle qui, couverte de chefs-d’œuvre, ne sait ni les aimer, ni même les conserver et laisse les Tintoret s’effacer peu à peu sous la pluie quand elle ne les repeint pas entièrement, qui détruit pièce à pièce ses plus beaux palais pour en vendre les morceaux, très cher, par cupidité, ou pour rien, par ignorance de leur valeur. La vraie terre inesthétique n’est pas la terre vierge en qui l’art habite, du moins par le désir qu’elle en a mais la terre morte où l’art n’habite plus, par la satiété, le dégoût et l’incompréhension qu’elle en a. Et je suis sûr que votre Épitre aux Romains ne sera pas moins belle que votre Message à l’Église de Philadelphie [allusion au voyage de Montesquiou aux États-Unis l’année précédente].
Votre respectueux
Marcel Proust »


Le rendez-vous manqué par Proust semble être la matinée que Montesquiou donne au Pavillon des Muses en l’honneur de l’écrivain italien Mathilde Serao, le mercredi 7 décembre 1904. Cette matinée est annoncée dans Le Figaro du mardi 6 décembre 1904, le compte rendu est donné le surlendemain dans le même journal.
Il n’est pas étonnant que Proust exprime ici avec insistance des sentiments appuyés sur l’Italie et sur son plus illustre peintre vénitien, lui dont sa traduction de La Bible d’Amiens de Ruskin vient de paraître. Touché par l’ouvrage de l’auteur anglais (qu’il découvre en 1898 grâce à son ami Robert de Billy), Proust entreprend plusieurs pèlerinages « ruskiniens » lorsqu’il procède à la traduction, aidé de sa mère Jeanne Weil. Il se rend dans le nord de la France, à Amiens, et surtout à Venise. Il visite la cité lacustre à deux reprises en 1900, une première fois en avril, une seconde en novembre. Le pays, son histoire, ses œuvres… la fascination de Proust pour l’Italie ne résume pas seulement au chapitre qu’il y consacre dans Le Temps retrouvé. Elle émane en lui d’abord, et significativement dans l’œuvre ruskinienne.
L’écrivain a-t-il eu connaissance du monumental Paradis du Tintoret “détaché” du palais des Doges en 1903 quand il dresse ici une critique peu flatteuse sur la façon dont l’Italie conserve les peintures de ses maîtres ? Ou est-ce un constat de sa propre expérience de Venise et ses environs ? Toujours est-il que l’engouement des collectionneurs américains pour les peintures européennes, ceux de « la terre vierge en qui l’art habite », battait son plein depuis déjà de nombreuses années.

[HUGO] VACQUERIE, Auguste (1819-1895)

Tirages albuminés d’époque en vue stéréoscopique
[Jersey, c. 1853-1855], environ 7,5 x 6,5 cm chaque, sur carton fort (8,5 x 17,5 cm)
Beaux contrastes hormis quelques petites piqûres, défauts et frottements
Quelques taches et accrocs sur le carton fort (voir scan)
Annotations au crayon au verso

Beaux portraits du poète en position assise, accoudé à une table de Marine Terrace


Ces deux tirages figurent Victor Hugo assis, accoudé à une table, sur laquelle on peut distinguer quelques feuillets épars. Derrière lui, le mur de sa maison de Marine Terrace à Jersey, où le poète exilé demeure avec sa famille d’août 1852 à octobre 1855.
On observe une pose légèrement différente du sujet sur chacune des deux épreuves. Hugo semble plus interrogatif sur la première tandis qu’il donne l’impression d’un regard plus décidé sur la seconde.

Attribués à Auguste Vacquerie, ces photographies peuvent tout aussi bien avoir été réalisées par le fils du poète, Charles Hugo (1826-1871).

Deux épreuves similaires sont conservées dans les collections de la Maison de Victor Hugo.

Beaux contrastes. Peu commun de cette époque.

MADAME ROYALE, Marie-Thérèse de FRANCE, dite (1778-1851)

Lettre autographe signée « MT » à Théodore Charlet
« V… » [Vienne, Autriche], 1er mars 1850, 2 pp. in-8°
Numérotée “268” de sa main au coin supérieur gauche
Quelques décharges d’encre de la main de Madame Royale, petites perforation par corrosion d’encre

Dans une longue lettre à son financier resté en France, Madame Royale donne des nouvelles de son cercle intime en exil 

Provenant de la collection Hubert Guerrand-Hermès


« En revenant d’un petit voyage que j’ai fait pour voir ma nièce Louise [Louise d’Artois, petite fille de Charles X] chez elle, que j’ai trouvé en bonne santé avec ses 3 enfants et heureuse. J’ai été aussi voir le frère de ma nièce Thérèse [son neveu le comte de Chambord] chez lui. J’ai été très contente de ma course et à mon retour j’ai retrouvé mon neveu et sa femme [Marie-Thérèse de Modène] en très bonne santé, et j’ai reçu votre lettre sans date de février. Je suis bien aise que vous ayez reçu la mienne d’ici. J’y reste jusqu’après Pâques, que je retournerai chez moi, vous pourrez m’écrire une fois ici. Je profite d’une occasion pour faire mettre ma lettre à la petite poste. Nous nous portons tous bien ici, je désire que vous et votre famille en fassiez autant. Dites leur mille choses de ma part surtout à votre bonne femme. L’abbé ici est mieux, mais [a] bien de la peine à se remettre. Je vous remercie d’avoir fait mes commissions. J’apprécie fort que vous donniez 50 frs par mois à a Dame de charité pour la veuve Marionna – Quant à Mme Lemond, elle habite Fontainebleau sans adresse ; il n’y a rien à donner pour le moment. À Girardon, je ne rétablis pas sa pension. Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez de Maria, je sais que son frère l’abbé lui cause bien de la peine, il est fou. Mme Vve Anne Ranulon, rue Hillerin Buttin n°14 à Paris, fille du Cte de St Louis, demande des secours – vieille, infirme, s’en informer. Je vous renvoie la lettre de ce Bourdel, c’est une folie. Il n’y a rien du tout à faire, il ne cite que des gens morts et des faussetés d’un contenant connu, que son libellé paraisse, cela m’est égal. Quant à la note pour la Chapelle, il n’y a rien non plus à faire. Je ne ferai aucune démarche, je l’ai fait ériger, je veux qu’elle reste comme elle est. Si l’on en détruit et bâtit autour, tant pis pour ceux qui le feront, mais je n’y serai pour rien.
Voilà toutes mes intentions sur ces 2 articles. Vous avez bien répondu au médecin, j’espère qu’il restera tranquille, mais cela m’est égal.
Adieu, vous conaissez tous mes sentiments pour vous et les vôtres qui ne changeront jamais.
MT »


Fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte de France, dite Madame Royale (pour la distinguer de la belle sœur du roi), est le premier enfant du couple royal, né après plus de huit ans de mariage. Enfermée au Temple en 1792 avec sa famille, elle en est la seule rescapée, échangée in-extremis en 1795 contre les commissaires français livrés aux Autrichiens par Dumouriez. En 1799, elle épouse son cousin Louis de France, duc d’Angoulême, fils du futur Charles X. La mort sans enfant de Louis XVIII on fait d’elle et de son mari les derniers Dauphin et Dauphine de France. Contrainte à l’exil pendant la Révolution de Juillet en 1830, Madame Royale rejoint l’ex-roi Charles X, partit avec sa Cour à Gorizia, ville sous domination autrichienne. Elle s’installe en 1844 avec ses proches et son neveu Henri d’Artois, comte de Chambord, au château de Frohsdorf , situé au sud-est de Vienne. Elle y meurt le 19 octobre 1851.

PROUDHON, Pierre-Joseph (1809-1865)

Lettre autographe signée « P.-J. Proudhon » à Gustave Chaudey
Passy [Paris], 11 septembre 1863, 3 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre noire
Réparations avec comblements et mise au ton sur les deux feuillets (manques à sept mots, voir scans). Plis centraux renforcés au papier Japon, infimes manques angulaires.

Dans une longue lettre à son avocat et confident, Proudhon évoque son ami Gustave Courbet, son ouvrage en cours, puis termine sa missive par quelques réflexions introspectives tout en vitupérant contre son époque


« Mon cher ami,
Je ne suis point allé en Franche-Comté, malgré la bonne envie que j’en avais ; j’ai travaillé.
Le jour même où je comptais partir, j’ai fait mon compte ; et j’ai trouvé que je ne pouvais pas donner au repos plus de huit à dix jours ; que ces huit à dix jours me coûteraient au moins 200 fr. ; que ces 200 fr., je ne pouvais les distraire de mon budget ; qu’en outre, je ne pouvais rien faire à Besançon de ce qui m’y appelle principalement, la personne avec qui je dois m’entendre n’y étant pas ; qu’enfin, à part la visite à faire au docteur Maguet, que j’ai vu en dernier lieu à Paris, le séjour dans mon pays natal serait pour moi une source de désagréments et d’amères réflexions. De tout quoi il est résulté que je ne suis pas parti, et que j’ai continué à porter mon bât comme un pauvre âne que je suis, que j’ai toujours été, et que je serai toujours.
Je compte aller vous voir mardi prochain 14, ou mercredi 15, selon l’état de mon travail, que je tien à avancer le plus que je puis.
L’affaire Courbet est pour moi très fâcheuse : non que je regrette ce travail, qui m’a beaucoup instruit ; mais parce qu’il s’est étendu plus que je ne m’y attendais, et que j’aurais pu sans aucun inconvénient l’ajourner. Il est certain que ce travail formera un volume de plus de 200 pages [Du principe de l’art et de sa destination sociale, paru à titre posthume en 1865]. Je touche à la fin : mais il ne sera en état d’être imprimé qu’après une révision que je ne ferai qu’après avoir terminé une brochure électorale.
J’ai lu l’ouvrage de notre ami Élias, j’ose dire que c’est d’un bout à l’autre un affreux paradoxe polonais. Je viens de lire aussi une histoire de la Pologne, en 2 volumes, par M. Chevé : un autre paradoxe polonais, à la façon du P. Loriquet. Élias s’est laissé surprendre par ses idées fédéralistes et ses préventions anti-moscovites ; Chevé a été entraîné par son zèle catholique. Ainsi les Polonais usent de toutes les idées pour se faire des recrues : ils ont des partisans parmi les démocrates, parmi les royalistes, les fédéralistes, les jacobins unitaires, les catholiques, les socialistes, etc. ; et voilà comme on écrit de nos jours l’histoire, non pas l’histoire ancienne, mais l’histoire contemporaine.
On voit que la campagne influe sur vous. Votre esprit est frais, votre cœur calme ; vous espérez comme au plus beau temps de votre jeunesse. – Moi, je n’ai plus de confiance à la génération actuelle ; je travaille sans espérance pour la satisfaction de ma conscience, et pour la dignité de ma cause. Je me sens la tête de plus en plus épuisée ; et je songe toujours à quitter la politique et même le métier d’écrivain, si je trouve à me caser quelque part. Sous ce rapport, mon travail sur l’art pourra me servir en m’engageant dans la carrière purement littéraire, où plusieurs personnes m’assurent que j’y obtiendrai du succès.
Cette tristesse ne m’aveugle pas sur mon propre mérite. Je reconnais volontiers que ma triste fortune est un peu de mon fait ; que j’ai gaspillé un joli capital de talent et d’intelligence ; que j’ai eu trop peu de soin de mes intérêts ; que j’ai travaillé avec emportement et précipitation, etc. Mais cela ne fait pas que mes contemporains ne soient meilleurs, et qu’une époque où des fautes comme les miennes sont si atrocement punies, tandis qu’un tas de fripons obtiennent des succès si faciles, soit une époque de progrès. Je crois que nous sommes en pleine décadence, et plus je reconnais que j’ai été dupe de mon excessive générosité, moins il me reste de confiance dans la vitalité de ma nation. Je n’ai ni foi à l’avenir, ni à aucune mission humanitaire du peuple français ; et le plus tôt que nous disparaîtrons de la scène sera le mieux pour la civilisation et le genre humain.
Bonsoir, cher ami ; à mardi ou mercredi.
Tout vôtre.
P.-J. Proudhon »


« L’affaire Courbet » ici évoquée fait sans doute allusion au tableau Le Retour de la conférence, caractéristique de l’anticléricalisme du peintre. Réalisé en Saintonge en 1863, le tableau (aujourd’hui disparu) fait scandale au Salon des refusés de la même année. Animé par les mêmes idées socialistes que son ami Proudhon, Courbet presse alors ce dernier de rédiger sa défense. Ce qui ne devait à l’origine être qu’une brochure de quelques pages devient bientôt un vaste traité sur lr rôle social de l’artiste : Du principe de l’art et de sa destination sociale. L’ouvrage paraît en 1865, quelques mois seulement après la mort de son auteur. Le texte sera sévèrement étrillé par la plume du jeune critique Émile Zola, encore inconnu du grand public, dans son ouvrage Mes Haines.

[HUGO] DROUET, Juliette (1806-1883)

Lettre autographe signée « Juliette » à Victor Hugo
S.l [Paris], 9 décembre [1846], « mercredi matin », 10 h ½, 4 p. in-4°
Pliure centrale renforcée, léger manque avec atteinte à deux lettres, deux mots caviardés par Juliette Drouet
Timbre sec « BR » au coin supérieur gauche

Superbe lettre inédite à son amant Victor Hugo, évoquant avec passion la lecture que ce dernier lui fit, la veille au soir, d’un chapitre de son roman Les Misères, qui quinze ans plus tard deviendra Les Misérables


« Bonjour, mon cher bien aimé, bonjour mon adoré petit Toto, bonjour mon amour comment vas-tu ce matin ? as-tu eu bien froid cette nuit en rentrant chez toi ? j’ai bien regretté d’avoir éteint mon feu hier par distraction et dans un but d’économie. Si j’avais pu penser que tu rentrerais avec tes pauvres pieds mouillés j’aurais fait tout le contraire au risque de mettre le feu à la maison. Je te promets que la nuit prochaine tu auras du bon feu. Mon Dieu que c’est beau ce que tu m’as lu hier soir. J’en ai encore le cœur tout ému. Tu n’as jamais rien fait de plus grand, de plus vrai, de plus douloureux, de plus doux, de plus généreux et de plus consolant que ces premières pages de ton Jean Trejean. Tout y est. Depuis les plus grandes choses de la nature jusqu’aux plus petits détails de la toilette empire de Mlle Sylvanie, depuis la dureté de cœur des bourgeois jusqu’à l’ineffable bonté du vieil évêque [M. Myriel], depuis les féroces préjugés du monde jusqu’à la morale si généreuse et si douce de Jésus-Christ1. Tu n’as rien omis, rien oublié rien dédaigné. Et tout cela dans ton plus beau style et de ta plus sublime poésie… pardon mon Victor adoré, pardon pour la ridicule page d’admiration que je viens de t’écrire. Il est permis au ciron [espèce d’acarien. Pascal, dans sa pensée sur « Les deux infinis », le prend comme exemple de l’infiniment petit] d’admirer Dieu dans sa petite âme de ciron, mais il n’est donné qu’aux aigles de s’en approcher parce qu’ils ont des ailes. J’aurais dû me borner ce matin à t’exprimer ma reconnaissance pour le bonheur immense que tu m’as donné cette nuit sans chercher à te traduire tout ce que j’ai éprouvé en t’écoutant […]. Il y a une sorte d’ivresse du cœur qui fait que l’âme et l’esprit ont leur vertige comme le corps. C’est ce qui m’arrive dans ce moment-ci. […] Laissez-moi donc vous dire en toute hâte que vous êtes mon cher petit toto que j’aime et que j’adore. Que je baise sur toutes les coutures, que je désire et que j’attends de toutes mes forces et à qui je recommande de m’être bien fidèle, de venir tout de suite et de m’aimer toujours.
Juliette.
»


Cette lettre permet de prendre toute la mesure de l’émotion vécue par Juliette suite à la visite, la veille au soir, de son amant Victor venu lui faire une lecture de ce qui n’est encore que Jean Tréjean, le roman qu’elle copie depuis qu’il en a commencé l’écriture l’année précédente.
On devine par ailleurs certains personnages, dont les noms seront ensuite changés. Ainsi, dans la version définitive du roman, Mademoiselle Sylvanie, sœur de Monseigneur Myriel (ici le « vieil évêque »), devient Mademoiselle Baptistine : « Mademoiselle Sylvanie, douce, mince, frêle, un peu plus grande que son frère, vêtue d’une robe de soie puce, couleur à la mode en 1806, qu’elle avait achetée alors à Paris et qui lui durait encore […]. La robe de mademoiselle Sylvanie était coupée sur les patrons de 1806, taille courte, fourreau étroit, manches à épaulettes, avec pattes et boutons. »
S’agissant de Juliette, si les analogies entre sa propre jeunesse et le personnage de Fantine relèvent de la spéculation, on sait avec plus de certitude qu’elle sensibilise l’écrivain sur la question de la misère. Elle contribue en outre à collationner les manuscrits, les recopie, participe à documenter Hugo, notamment sur la vie des couvents. C’est aussi Juliette qui le 13 décembre 1851, quelques jours seulement après le coup d’État de Napoléon III, rejoint Victor à Bruxelles avec la « malle aux manuscrits », qui contient toutes les œuvres de l’écrivain, dont les futurs Misérables, composés aux deux tiers.

L’élaboration des Misérables est bien documentée. Victor Hugo en commence les premières ébauches un an plus tôt, en novembre 1845. Le premier titre envisagé par l’écrivain est alors Jean Tréjean, tiré du nom du personnage principal qui plus tard devient Jean Vlajean, puis Jean Valjean. En décembre 1847, le roman, déjà très avancé, devient Les Misères. Les évènements de 1848, l’activité de Hugo homme politique pendant la Deuxième République et les tribulations de l’exil sont autant d’obstacles à l’achèvement de l’œuvre. Hugo est en parallèle en pleine rédaction des Contemplations. Douze ans plus tard, en 1860, alors qu’il est en exil à Guernesey, il reprend la plume pour achever son roman. Notons enfin qu’il n’existe pas deux versions différentes entre le manuscrit antérieur à la Révolution de 1848 et celui de l’exil. Le manuscrit des Misérables est à ce titre manuscrit des Misères corrigé et augmenté.
Le premier tome parait à Bruxelles le 30 mars 1862 chez Albert Lacroix, Verboeckhoven et Cie, et quatre jours après à Paris. Les parties deux et trois paraissent le 15 mai, les parties quatre et cinq, le 30 juin. Si les réactions sont diverses, le succès est immédiat.

[1] Les bourgeois de Senez se moquent de Monseigneur Myriel qui monte un âne. « Monsieur le maire, dit l’évêque, et messieurs les bourgeois, je vois ce qui vous scandalise, vous trouvez que c’est bien de l’orgueil à un pauvre prêtre de monter une monture qui a été celle de Jésus-Christ. » Monseigneur Myriel invente exemples et « paraboles allant droit au but, avec peu de phrases et beaucoup d’images, ce qui était l’éloquence même de Jésus-Christ, convaincu et persuadant ». (Les Misères)

[AFFAIRE DREYFUS] ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée (paraphe) à Alice Mirbeau
S.l. [Addlestone], mardi 30 août [18]98, 4 p. in-8° sur papier vergé
Pliure centrale habilement renforcée, petites rousseurs, légère tache en marge inférieure du second feuillet sans atteinte au texte

Lettre d’exil témoignant de l’indéfectible engagement de l’écrivain dans l’affaire Dreyfus


« Je vous remercie de votre bonne lettre, chère madame et amie, et surtout je vous remercie de l’affection dont vous entourez ma chère femme, qui a grand besoin d’être aimée dans les cruelles circonstances qu’elle traverse.
Vous me parlez avec un grand bon sens et une parfaite amitié de mon séjour ici. Moi aussi, je pense depuis longtemps que je pourrais sans danger y faire connaître ma présence et y prendre une attitude, que je saurais rendre utile et digne. Mais il y a aussi l’autre parti, celui de rentrer en France et d’y faire mon devoir jusqu’au bout. Je ne puis donc encore me prononcer, j’attends l’avis de nos amis et j’attends aussi les évènements. De toutes façons, d’ailleurs, je ne puis guère rentrer avant la fin d’octobre, car je désire que la chambre soit réunie et qu’on ait liquidé toutes les autres affaires pendantes.
Vous me touchez infiniment en m’offrant vos services dévoués, ici et même à Paris. Ici, le mieux est que je vive encore ignoré, travaillant en paix dans une solitude dont personne ne connaît le chemin. Mon travail, que j’ai repris régulièrement, m’est un grand repos. À Paris, certes, si j’avais besoin de vous, je serais fort heureux de me confier à votre dévouement et à votre discrétion.
Les infamies s’entassent, cela devait être. C’est avec un serrement douloureux de cœur que je songe à la pure victime
qu’ils vont encore condamner ; et cela ne me donne qu’une passion, celle du sacrifice, la volonté de m’immoler moi-même.
Embrassez bien tendrement votre cher mari. Je sais tout ce qu’il fait pour nous, et j’en suis profondément ému.
Merci encore, chère madame et amie, et mille bonnes affections.
Z »


Condamné définitivement le 18 juillet 1898 par le tribunal de Versailles, Zola quitte la France pour rejoindre l’Angleterre. Sa lettre ouverte « J’accuse… ! » parue dans L’Aurore du 13 janvier 1898 vaut à l’écrivain une amende de 3,000 francs et 1 an d’emprisonnement. Engagé corps et âme pour la défense du capitaine Dreyfus, Zola est poussé à l’exil par Clemenceau et Labori et par la même occasion, au silence. Tenu éloigné de la fournaise parisienne en proie à toutes les passions autour de l’affaire, Zola laisse parfois entrevoir depuis l’Angleterre, à l’image de cette lettre, une part de frustration à ne plus être au centre de l’échiquier.
Sur les soutiens qu’il reçoit de ses proches, l’écrivain peut compter sur celui d’Octave Mirbeau, dreyfusard de la première heure. Ce dernier, dont le rôle a longtemps été sous-estimé, fut l’un des plus influents défenseurs du capitaine Dreyfus et de Zola. Après avoir pris pour la première fois publiquement position dans un article du Journal du 28 novembre 1897 (deux jours après le premier article de Zola), c’est Mirbeau qui, en juillet 1898, paie la totalité de l’amende à laquelle Zola fut condamné. Deux semaines après la condamnation de ce dernier, il écrit dans L’Aurore, le 2 août 1898 :
« Est-ce que de tous les points de la France, professeurs, philosophes, savants, écrivains, artistes, tous ceux en qui est la vérité, ne vont pas, enfin, libérer leur âme du poids affreux qui l’opprime… Devant ces défis quotidiens portés à leur génie, à leur humanité, à leur esprit de justice, à leur courage, ne vont-ils pas, enfin, comprendre qu’ils ont un grand devoir… celui de dé fendre le patrimoine d’idées, de science, de découvertes glorieuses, de beauté, dont ils ont enrichi le pays, dont ils ont la garde… »

On connaît la lettre de soutien qu’Alice Mirbeau, engagée auprès de son époux, adresse à Zola le 24 août, à laquelle notre lettre vient en réponse : « Malgré la peine que j’éprouve à savoir combien vous souffrez de votre isolement, je persiste à croire qu’il faut que vous trouviez la force d’attendre, et qu’à aucun prix il ne faut précipiter la fin. Certainement, la prison, où tous ceux qui vous aiment pourraient venir vous embrasser, serait plus douce pour vous et pour vos amis, mais vous ne devez pas tout abandonner, maintenant surtout qu’il y a une nouvelle victime à la veille d’être si durement frappée. […] Je suis bien heureuse que vous ayez repris votre travail, il vous consolera un peu, car il faut persister […] Si je puis vous faire un plaisir quelconque, adoucir un peu votre captivité par quelques démarches pour n’importe quoi qui vous plairait qu’il fût fait, usez de moi, je vous en prie, je mets ma tendresse à votre service et je serai heureuse de m’employer pour vous être agréable… »

Au moment même où il rédige cette lettre, Zola ne le sait pas encore, mais l’affaire est sur le point de basculer ce 30 août. Après avoir complété le dossier Dreyfus par une pièce qu’il a lui-même fabriquée, le commandant Henry passe aux aveux après que son faux est découvert par le capitaine Cuignet, attaché militaire du ministre Cavaignac. Conduit immédiatement en détention au Mont Valérien, Henry se suicide le lendemain dans sa cellule, la gorge tranchée au rasoir.

DESBORDES-VALMORE, Marceline (1786-1859)

Poème autographe signé « Mne Valmore Desbordes »
S.l, 15 avril 1841, 3 pp. grand in-4° (20,9 x 26,5 cm)
Quelques décharges d’encre de la main de Desbordes-Valmore, cachet de collection en marge inférieure de la première page

Admirable poème élogieux dédié à son amie Mademoiselle Mars pour sa représentation d’adieux à la Comédie-Française, le 31 mars 1841

Provenant des collections de Saulcy et Marc Loliée

« La seule femme de génie et de talent de ce siècle et de tous les siècles en compagnie de Sapho peut-être… » (Paul Verlaine, Les Poètes maudits, 1888)


« Quoi ! les Dieux s’en vont-ils, Madame ? et votre France
Verra-t-elle ce soir tomber sans espérance
Sur sa plus chaste idole un envieux rideau,
Comme un voile jaloux sur un divin flambeau ?

Belle ! chaste ! au milieu de la foule idolâtre,
Qui dès l’aube, en silence, erre au pied du théâtre,
Vous voilà toute libre, ô Mars ! et vous parlez ;
Et votre voix vibrante, au fond des cœurs troublés,
Porte l’enchantement, le désir, la mémoire,
Et tout, pour vous répondre, a crié : “Gloire ! gloire !”
En vain — votre sourire, aux anges dévolu,
Vient de dire à la foule : Adieu ! je l’ai voulu.

Et voyez : cent beautés, plus belles de leurs larmes,
Ont arraché leurs fleurs pour en couvrir vos charmes ;
Comme dans la reine inclinant leurs beau corps,
Leurs mains ont frappé l’air d’indicibles transports ;
Et tout ce que l’Europe enferme d’harmonie
Prête à ce dernier soir sa noblesse infinie !
puis, saluant de loin votre front qui rayonne,
Ont fait voler sur vous couronne sur couronne

“En avez-vous assez !”, Madame, et verrons-nous,
Devant plus de génie un grand peuple à genoux ?

Demain, de leurs transports doucement apaisée,
Rêveuse, et sur vous-même un instant reposée,
Vous pourrez, rendant grâce au Dieu qui vous forma,
Vous écrier : Vivre est doux : on m’aima.

Oui ! tout ce que Dieu fit à la grâce accessible,
À l’amour incliné, vous le rendez sensible.
Vive comme l’oiseau, jeune comme l’enfant,
Vous portez à la lèvre un rire triomphant.

On sent que le cœur bat vite
Sous ce corsage enchanteur.
On sent que le Créateur
Avec amour y palpite.
Vous feriez pleurer les cieux,
Quand votre âme souffre et plie
Et votre mélancolie
Désarmerait l’envieux.

Une musique enchantée,
Où vous passez, remplit l’air.
Votre œil noir lance l’éclair

Comme une flamme agitée.
Au bruit ailé de vos pas,
Les âmes deviennent folles,
Et vos mains ont des paroles
Pour ceux qui n’entendent pas.

C’est qu’à votre naissance où dansèrent les fées,
Ces donneuses de charme, à cette heure étouffées,
Chacune, d’un baiser, pénétra vos yeux clos,
Et mena le baptême au doux bruit des grelots.
Elles avaient rompu l’exil et maint obstacle,
Pour unir leur puissance en un dernier miracle
Sur l’enfant demi-nu leur essaim palpita,
Et dans votre âme ouverte, une d’elles chanta.

C’est de là que vous vient le flot pur d’harmonie
Organe transparent de l’âme et du génie.
C’est de là, dans vos pleurs, que des perles roulaient,
Et dans vos yeux profonds que les muses parlaient.

Vos marraines fuyaient, que vous dormiez encore
Au tumulte charmant de leur départ sonore ;
Et vous aviez rêvé, pour ne pas l’oublier,
Qu’aux arts un doux sabat venait de vous lier.

Mais votre ange gardien, vous couvant sous son aile,
Effrayé de ces dons pour votre âme éternelle,
Baisant votre front, dans sa craintive ardeur,
L’inonda pour toujours de divine pudeur !

Et toujours, à travers l’insaisissable voile,
Tout soir, à notre ciel, allumait votre étoile.
Qu’importe sous quel nom elle allait s’éclairer ;
Vous étiez la lumière, il fallait l’adorer.

Mais quoi ! les dieux s’en vont, Madame, et notre France,
Pour la première fois a vu sans espérance
Se refermer le temple où l’astre se voila,
Où tout dira longtemps : « Silence, elle était là ! »

Mᴺᵉ Valmore Desbordes »


Après une brève carrière théâtrale sous l’Empire, Marceline Desbordes rencontre Prosper Valmore (1793-1881), qu’elle épouse en 1819. Suite à des publications de poèmes dans des « keepsakes » et périodiques dans les années 1810, sa carrière de poète est définitivement lancée en 1822 avec son premier recueil à succès, sobrement intitulé Poésies. Le métier d’acteur de son mari lui permet d’entretenir de nombreux liens avec le monde du théâtre. De la même génération, elle se lie d’amitié avec Mademoiselle Mars (1779-1847), l’une des comédiennes les plus consacrées de son époque. À la parution de son recueil Les Pleurs, Marceline lui adresse un émouvant envoi comme preuve d’un indéfectible attachement : « avec une tendresse aussi vraie qu’elle même, ce sentiment d’admiration pure a versé beaucoup de bonheur sur ma vie. Je ne lui offre que ce qu’elle m’a aidé à deviner ». Le présent poème est dédié à la comédienne à l’occasion de sa représentation d’adieux du 31 mars 1841, à la Comédie-Française (dont elle est sociétaire depuis 1795). Mademoiselle Mars tient pour l’occasion le rôle de Silvia dans Jeu de l’amour et du hasard, comédie en trois actes de Marivaux.
Paru en 1843 dans le recueil Bouquets et prières sous le titre « Mademoiselle Mars », la présente version du poème laisse apparaître de nombreuses variantes avec le texte définitif. Outre de nombreux remplacements de mots, Desbordes-Valmore a retiré 12 vers du troisième groupe de vers, 8 vers du quatrième groupe, puis a entièrement retiré le huitain que constituait le neuvième groupe. L’ajout du déterminant au titre signifie-t-il qu’elle en ait fait cadeau à l’intéressée ?
On connaît un autre poème dédié à son amie et portant cependant un titre analogue au présent manuscrit : « À Mademoiselle Mars », publié chez son précédent éditeur Ladvocat, dans son recueil Élégies et poésies nouvelles en 1825 (p. 172).

Reconnue pour son génie poétique, Marceline Desbordes-Valmore demeure une figure centrale du courant romantique, dont l’œuvre est emplie de liberté et d’innovation stylistiques. Elle laisse une postérité considérable à ses successeurs et admirateurs tels Baudelaire, Verlaine ou Robert de Montesquiou.

MONET, Claude (1840-1926)

Lettre autographe signée « Claude Monet » [à Alice Hoschedé]
S.l.n.d, « Samedi 6h » [c. 1882-1883], 2 p. in-8° au crayon gras

Belle lettre à sa future femme, Alice Hoschedé, au sujet de leur installation prochaine à Giverny


« Samedi 6 h
Chère Madame,
Vous avez dû recevoir ma dépêche, comme je vous le disais hier il est plus prudent de profiter de cette bonne occasion de quitter Poissy, je viens d’écrire aussi à Mr Masset pour le prévenir. Si de votre côté vous voyez ces personnes il est bien entendu qu’ils doivent nous tenir compte des dix mois payés d’avance de cette façon nous n’aurions rien ou à peu près à payer.
Il faudrait aussi pour bien faire qu’ils prennent à leur charge les frais de bail et tachent aussi de bien céder ce que nous pouvons avoir fait faire dans la maison. Il fait ici un temps affreux du brouillard à n’y rien voir et cependant j’ai travaillé quand même, mais c’est du soleil que je voudrais, et il est bien rare.
Je vous envoie un billet de 50f, c’est toujours cela.
Je suis presque arrivé à Dieppe au-devant de mon frère.
Excusez ce griffonnage mais je n’ai pas de plume sous la main.
Mille baisers aux enfants, je pense bien à eux ainsi qu’à vous. Mon amitié à Marthe mes meilleures pensées pour vous.
Votre
Claude Monet
J’ai reçu une lettre de Duret qui est à Paris. Il est dans l’enchantement de mon exposition »


Bien que marié à Camille Doncieux (1847-1879), la liaison adultérine entre Claude Monet et Alice Hoschedé (1844-1911) débute dès 1876. Après la mort de Camille Doncieux, Monet et Alice Hoschedé (avec l’ensemble de leurs huit enfants), s’installent à Poissy tout d’abord, dès 1881, puis à Giverny, à partir de 1883. Monet reproduisit avec Alice le même comportement qu’il a eu avec Camille, en s’éloignant longuement d’elle pour peindre à loisir et en lui laissant la garde de la maisonnée et des huit enfants. Il quitte ainsi Poissy de mi-février à mi-avril 1882, pour aller à Dieppe, puis en Normandie. Cette lettre pourrait dater de cette époque. Monet fait ici allusion à leur installation définitive à leur célèbre demeure de Giverny, proche de Vernon dans l’Eure. Elle deviendra l’un des plus hauts symboles de l’impressionnisme, Monet y réalisera certaines de ses plus belles toiles.

MAUPASSANT (de), Gustave (1821-1900)

Lettre autographe signée « Gustave de Maupassant » à Robert Pinchon
Sainte-Maxime, 9 7bre [septembre] [18]95, 3 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre violette
Filigrane “Au Printemps / Paris / Nouveau papier français”
Infime déchirure à la pliure centrale, un mot caviardé par Gustave de Maupassant

Témoignage inédit dans lequel Gustave de Maupassant accuse ouvertement sa femme Laure d’avoir abusé de la faiblesse mentale de leur fils Guy au moment où celui-ci rédigea son testament


Nous n’en faisons ici qu’une transcription partielle

« Mon cher Pinchon,
Permettez-moi de vous remercier de l’article de Céard [nous n’avons pas retrouvé l’article dont il est ici question] que vous m’avez envoyé. Ce journal venait de Rouen et c’est bien à vous, je pense, que je dois cette amabilité. J’ai eu beaucoup de plaisir à le relire, je connaissais tous les acteurs et cela m’a bien interessé – hélas ce pauvre La Toque¹ est mort depuis, Guy aussi – il y a déjà deux membres de cette bande joyeuse qui ne sont plus…
J’ai eu bien des ennuis avec la liquidation de mon pauvre fils – Elle n’est finie que depuis 6 jours ! Guy était déjà fou quand sa mère lui fit faire son testament à Cannes et se fit donner 10000 livres de rente qu’il ne pouvait donner – il lui a laissé prendre en outre tout ce qu’elle a voulu […] Elle en a usé et abusé !… N’ayant voulu, par respect pour la mémoire de mon fils, protester en rien j’ai accepté le testament dans toute sa teneur  – je vous parle de tout cela car je veux en venir à cecij’aurais voulu conserver une de ses œuvres les plus curieuses : feuille de rose² […]
J’ai été bien malade depuis que je ne vous ai vu – j’ai eu une hémiplégie il y a trois ans et il m’est resté une boiterie des plus désagréables avec laquelle je suis condamné à faire bon ménage pour le reste de mes jours. Je m’arrête mon cher ami, j’écris difficilement, cela me fatigue – Adieu mon cher Pinchon et encore merci
Tout à vous
Gustave de Maupassant »


Progressivement rongé par une syphilis qu’il contracte dans le cours des années 1870, Guy de Maupassant voit son état de santé décliner brutalement en 1891. Sa correspondance ne laisse place à aucune ambiguïté quant à ses accès de folie et son état physique. Dans une lettre au docteur Despaigne du mois d’octobre, il relate : « J’ai passé une nuit folle sans pouvoir rester au lit, allant de place en place, comme après ma piqûre de cocaïne. Mes yeux, ont l’air de ceux d’un fou. Ma mémoire disparue… ».
Installé dans son appartement parisien du 24 rue Boccador, l’écrivain prend le train le 14 décembre pour Nice, où il compte rendre visite à sa mère. Il rédige son testament le même jour en présence de celle-ci. Un témoignage “confidentiel” de la mi-décembre (venant de Georges Ohnet ou Paul Ollendorff), relayé par le journal Le Jour, explicite par ailleurs l’état de santé de l’écrivain au moment où le testament est rédigé : « Guy de Maupassant est atteint d’une carie de l’os frontal qui paralyse son intelligence ; il a toutes les peines du monde à trouver ses mots. Il tient des conversations insensées. »
Maupassant fait une tentative de suicide avec un pistolet quinze jours plus tard, dans la nuit du 1er au 2 janvier 1892 (son valet François Tassart avait enlevé les balles). Il saisit alors un coupe papier et tente de s’ouvrir à gorge. Tous les médecins tombent d’accord, une nouvelle crise suicidaire peut survenir à chaque instant, Maupassant doit être hospitalisé.
Un infirmier le prend en charge dans sa résidence cannoise et lui passe une camisole de force. Il est interné le 7 janvier 1892 dans la clinique du docteur Blanche. Après un calvaire interminable, et atteint d’une paralysie générale, il succombe le 6 juillet 1893

Légalement toujours mariés (et ce même après la légalisation du divorce le 27 juillet 1884), Gustave et Laure (née Le Poittevin) de Maupassant étaient séparés de corps à l’amiable depuis 1859.

Maupassant et Robert Pinchon se rencontrent au Lycée impérial de Rouen. Le père du dernier, Adolphe, y enseigne le français. Robert est dans la même classe que Louis de Poittevin, le cousin de Guy. Les deux amis se retrouvent plus tard à Paris. Pinchon, dit « La Toque », fait partie de la bande des canotiers.
La pièce pornographie À la feuille de rose (ici évoquée) est présentée conjointement par Guy et Robert pour la première représentation le 19 avril 1875. Robert Pinchon retourne à Rouen vers 1880 et devient bibliothécaire à la ville et critique musical et dramatique dans Le Nouvelliste de Rouen. Il écrit de nombreuses pièces de théâtre qu’il publie en 1894 sous le titre Théâtre. Le souvenir de son ami Maupassant est évoqué dans la préface de l’ouvrage.
Maupassant lui dédie sa nouvelle L’Aventure de Walter Schnaffs, en 1883.

[1] Gustave de Maupassant se trompe, “La Toque” est le surnom du destinataire Robert Pinchon. Il doit nécessairement confondre avec un autre.
[2] La pièce pornographique À la feuille de rose (ici évoquée) est représentée pour la première fois le 19 avril 1875 par Guy et Robert, et par d’autres camarades de canotage. Gustave de Maupassant assistera à la seconde représentation. Edmond de Goncourt, également présent, livre dans son journal le témoignage suivant :
« C’est lugubre, ces jeunes hommes travestis en femmes, avec la peinture sur leurs maillots d’un large sexe entrebâillé ; et je ne sais quelle répulsion vous vient involontairement pour ces comédiens s’attouchant et faisant entre eux le simulacre de la gymnastique d’amour. L’ouverture de la pièce, c’est un jeune séminariste qui lave des capotes. Il y a au milieu une danse d’almées sous l’érection d’un phallus monumental et la pièce se termine par une branlade presque nature. / Je me demandais de quelle belle absence de pudeur naturelle il fallait être doué pour mimer cela devant un public, tout en m’efforçant de dissimuler mon dégoût, qui aurait pu paraître singulier de la part de l’auteur de La Fille Élisa. Le monstrueux, c’est que le père de l’auteur, le père de Maupassant, assistait à la représentation. / Cinq ou six femmes, entre autres la blonde Valtesse [de la Bigne], se trouvaient là, mais riant du bout des lèvres par contenance, mais gênées par la trop grande ordure de la chose. Lagier elle-même ne restait pas jusqu’à la fin de la représentation. / Le lendemain, Flaubert, parlant de la représentation avec enthousiasme, trouvait pour la caractériser, la phrase :“Oui, c’est très frais !” Frais, pour cette salauderie, c’est vraiment une trouvaille. »

On joint :
Gustave de Maupassant
Carte de visite autographe
Antibes, s.d, 1 p. in-24°, adressée au même
« avec mes plus sincères compliments et condoléances »

[MAUPASSANT] DE VAUX, Charles Devaux, dit le baron (1843-1915)

Lettre autographe signée « Bᴼⁿ de Vaux » à Robert Pinchon
Paris, 14 9bre [novembre] 1895, 1 p. in-8° sur papier bleu ciel
Adresse autographe au verso, pli timbré et oblitéré
Petit manque marginal à l’ouverture, sans atteinte au texte (voir scans)

Rare lettre du baron de Vaux, l’un des modèles de Georges Duroy dans Bel-Ami


« Cher Monsieur,
Je ne sais pas si j’orthographie bien votre nom, car si lui m’échappe le souvenir de nos bonnes journées chez Maupassant ne m’échappent pas. C’est même ce souvenir qui me conduit aujourd’hui à vous écrire pour vous demander si vous seriez disposé à parler de mon livre “à Cheval” qui vient de paraître […] À vous cordialement. Bᴼⁿ de Vaux »


Dans cette épître à Robert Pinchon qu’il sait journaliste, le baron de Vaux lui demande un service éditorial pour son livre tout juste paru À cheval, étude des races françaises et étrangères, au point de vue du cheval de selle, de course, de chasse, de trait, d’armes, illustré collectivement par Ferdinand Bac, Clermont-Gallerande et Jules Rothschild.
Il ne manque pas de convoquer le souvenir de leur ami commun Guy de Maupassant, à qui il servit de modèle pour Georges Duroy, personnage principal dans Bel-Ami.
Maupassant et Devaux se connurent à Gil Blas, où il était chef de Échos. Il était en charge de la rédaction d’articles sportifs et signait « Le Diable boiteux ». Maupassant lui dédia par ailleurs la nouvelle Un Sage, paru en 1883.

Maupassant et Robert Pinchon se connurent au Lycée impérial de Rouen. Le père de ce dernier, Adolphe, y enseignait le français. Robert était dans la même classe que Louis de Poittevin, le cousin de Guy. Les deux amis se retrouvèrent plus tard à Paris. Pinchon, dit « La Tôque », faisait partie de la bande des canotiers. Il retourne à Rouen vers 1880 et devient bibliothécaire à la ville et critique musical et dramatique dans Le Nouvelliste de Rouen. Il écrit de nombreuses pièces de théâtre qu’il publie en 1894 sous le titre Théâtre. Le souvenir de son ami Maupassant est évoqué dans la préface de l’ouvrage.
Maupassant lui dédie sa nouvelle L’Aventure de Walter Schnaffs, en 1883.

MAUPASSANT (de), Laure (1821-1903)

Lettre autographe signée « Laure de Maupassant » [à Robert Pinchon]
Nice, 29 sep[tembre] 1901, 3 p. in-8°, d’une écriture très serrée et hésitante, liseré de deuil
Fente au pli central, quelques décharges d’encre

Longue lettre inédite faisant suite à son démenti sur le prétendu frère de lait de son fils Guy, publié dans Le Journal de Rouen quelques jours plus tôt


« Merci, cher monsieur, merci de tout mon cœur. Vous avez très bien fait de livrer ma lettre au public, et c’était en effet la meilleure façon d’arrêter sur toutes ces ridicules légendes. Espérons que dorénavant le Sieur Lécuyer va trouver moyen de mettre une sourdine au boniment qu’il prenait l’habitude de servir à ses auditeurs.
J’avoue que je me suis beaucoup amusée en lisant le Journal de Rouen, visiblement embarrassé à propos de la gaffe qu’il a commise en annonçant pompeusement l’installation du nouveau gardien du Square Solférino “Le frère de lait de Guy de Maupassant”. Le pauvre rédacteur a dû se montrer un peu récalcitrant, car il trouve que je démolis un peu rudement la légende que son journal a mise en circulation, et il faut suivre ma lettre d’une petite réclame en faveur de son protégé […] Que je sois délivrée des prétentions d’un intriguant, que je n’entende plus parler de lui, c’est tout ce que je désire.
Mais il est des sentiments maternels si saints, que personne ne devrait y toucher […] N’avez-vous donc jamais la pensée de venir sur le beau rivage de la Méditerranée ? N’oubliez pas, je vous en prie, que les portes de la villa Monge s’ouvriraient bien grandes pour vous recevoir et que la pauvre vieille exilée retrouverait un sourire pour accueillir l’ancien hôte d’Étretat, qui apporterait tant de chers souvenirs des êtres et des choses disparus, mais jamais oubliées […]
Laure de Maupassant […] »


L’affaire du frère de lait de Guy de Maupassant
Le 12 septembre 1901, Le Journal de Rouen publie une mésinformation affirmant qu’un certain M. Lécuyer, prétendument frère de lait de Guy de Maupassant, vient d’être nommé gardien du jardin Solférino à Rouen, à l’endroit même où est érigé le buste de l’écrivain un an plus tôt. Le journal évoque en outre la ressemblance physique entre les deux hommes, ainsi que quelques anecdotes sur leur enfance. Robert Pinchon (1846-1925), l’un des plus proches amis de Guy, plusieurs fois invité chez ce dernier à Étretat, garde une correspondance suivie avec les parents de Guy (depuis longtemps divorcés). Il semble donc que Robert Pinchon ait transmis la mésinformation du Journal de Rouen à Madame Laure de Maupassant (née Le Poittevin), retirée depuis longtemps à Nice, qui réagit vivement (voir article du 23 septembre infra). Elle adresse aussitôt une lettre à son correspondant, démentant point par point les fausses allegations du journal, qu’il s’est manifestement contenté de colporter les dires de M. Lécuyer. On comprend alors, au travers des deux témoignages inédits que nous proposons ici, que Robert Pinchon a pris la liberté de faire publier le démenti de Madame de Maupassant et que cette dernière s’en réjouit.

Article paru dans Le Journal de Rouen
12 septembre 1901, p. 2, deuxième colonne :
Lien vers l’article

Article paru dans Le Journal de Rouen (avec la lettre “ouverte” de Laure de Maupassant)
23 septembre 1901, p. 2, deuxième et troisième colonnes :
Lien vers l’article

Les faits sont de nouveau évoqués dans le même journal quinze ans plus tard
4 juin 1916, p. 2, cinquième et sixième colonnes :
Lien vers l’article

Maupassant et Robert Pinchon se connurent au Lycée impérial de Rouen. Le père de ce dernier, Adolphe, y enseignait le français. Robert était dans la même classe que Louis de Poittevin, le cousin de Guy. Les deux amis se retrouvèrent plus tard à Paris. Pinchon, dit « La Tôque », faisait partie de la bande des canotiers. Il retourne à Rouen vers 1880 et devient bibliothécaire à la ville et critique musical et dramatique dans Le Nouvelliste de Rouen. Il écrit de nombreuses pièces de théâtre qu’il publie en 1894 sous le titre Théâtre. Le souvenir de son ami Maupassant est évoqué dans la préface de l’ouvrage.
Maupassant lui dédie sa nouvelle L’Aventure de Walter Schnaffs, en 1883.

On joint :
La copie autographe (de la main de Robert Pinchon, également inédite) de sa lettre à Laure de Maupassant, qui précède la réponse de cette dernière, transcrite supra
[Rouen], 23 septembre 1901, 2 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre noire

« Madame, afin de couper court à la légende du frère de lait de Guy, je n’ai pas trouvé de meilleur moyen que de communiquer votre lettre si digne et si touchante au Journal de Rouen ; après cela il ne restera à personne ici l’idée d’ajouter foi aux prétentions du gardien L’écuyer […] C’est à l’époque de la cérémonie du monument [buste en l’hommage de Maupassant inauguré l’année précédente, en 1900] qu’il a commencé à le parer de ce titre de frère de lait […] Maintenant votre démenti parviendra à tous ceux qu’une indication erronée avaient pu tromper et vous garderez sans partage, ainsi que vous semblez si justement y tenir, le privilège d’avoir allaité votre cher fils, comme plus tard au début de sa carrière vous avez nourri son esprit et fortifié son cœur par vos excellents conseils […] »

KESSEL, Joseph (1898-1979)

Carte de visite autographe
S.l.n.d [mars 1927], 1 p. in-24°
En parfait état
Annotation au crayon d’une autre main au verso : “Reçu le 7 mars 1927”

Carte de visite peu commune des premières années littéraires de Kessel


« Voici “un manuscrit” avec mes meilleures amitiées.
Avez-vous reçu les “Cœurs purs” »


Composé de trois nouvelles, Les Cœurs purs, recueil paru en 1927, évoque trois destins se déroulant en Irlande, déchirée par la guerre, en Russie et en France. Selon Kessel, « les cœurs instinctifs sont purs sans qu’intervienne aucune notion morale, purs à la manière d’un vin, d’une pierre ou d’un poison, purs par leur violence et leur intégrité »

BARBÈS, Armand (1809-1870)

Lettre autographe signée « A. Barbès » à un écrivain républicain exilé
La Haye, 6 février [18]69, 3 p. in-8° sur papier vergé bleu, à l’encre noire
Importantes déchirures aux plis, petit manque sur chacun des feuillets (sans atteinte au texte), brunissure centrale, rubans adhésifs de renforts sur les deux feuillets (voir scans)
Un mot caviardé par Barbès

Barbès s’insurge contre le soutien français apporté aux troupes pontificales face aux Chemises rouges de Garibaldi, lors de la décisive Bataille de Mentana en Italie


« Cher Citoyen,
Merci de me traiter en ami. Et merci de votre livre.
Je n’ai pu en lire encore que quelques pages. Mais je vois que vous marchez vaillamment à l’assaut de la grande superstition qui pèse sur tant d’esprits.
Faire luire la vérité dans ces esprits est en effet, le vrai moyen d’en finir décidément avec Rome [allusion à l’emprise des États pontificaux sur Rome]. Tant que la légende subsistera, il y aura toujours des gens pour l’exploiter à leur profit, et commander des crimes comme celui qui porte le nom de Mentana.
Abominable chose que la France se soit trouvée dans le sens d’une tyranie capable d’imprimer une pareille tache sur son histoire.
Vous me parlez de ma santé, et de grandes espérances qui se lèvent à l’horizon.
Je vais toujours très mal, presque plus mal que jamais, car à mes souffrances habituelles s’ajoute un sentiment de faiblesse que je n’avais pas encore aussi profondément éprouvé. Cruelle affaire si je me trouvais condamné à rester couché, lorsqu’il faudrait être debout.
Mais ce triste état de ma personne ne m’empêche pas de constater avec bonheur que la France reprend une activité qui ne peut manquer d’amener bientôt sa délivrance.
Délivrance dont, par parenthèse, je n’ai jamais désespéré, et qui doit, par contre-coup, changer la destinée du monde.
Continuez vos travaux puisque vous avez, du moins, cette bonne fortune d’énergie et de volonté d’employer ainsi d’une manière utile ces temps d’expatriation.
Je vous serre les mains de cœur,
A. Barbès »


Ville de la province de Rome, Mentana est le théâtre d’une bataille majeure livrée le 3 novembre 1867 pendant les guerres du Risorgimento, opposant les Chemises rouges de Giuseppe Garibaldi aux troupes pontificales et françaises (envoyées par Napoléon III) commandées respectivement par les généraux Hermann Kanzler et Polhes. Les forces garibaldiennes, désirant intégrer les États pontificaux à l’Italie et à faire de Rome la capitale du pays, subissent une défaite décisive mettant fin à leur campagne de l’Agro Romano pour la libération de Rome.
Homme politique, militant républicain et révolutionnaire français, Armand Barbès est opposant à la monarchie de Juillet. Amnistié en 1854, aux premiers jours du Second Empire, il est libéré par Napoléon III. Barbès s’exile volontairement en Hollande et ne reviendra jamais en France. Il y meurt le 26 juin 1870, à la Haye, quelques semaines seulement avant la chute du Second Empire, le 4 septembre 1870.

[PRINCE IMPÉRIAL] BASSANO, Alexander (1829-1913)

Spectaculaire portrait du Prince impérial en tirage albuminé d’époque
[Londres], 28 juillet 1877, format cabinet (10,2 x 14,4 cm)
Contrecollé sur carton fort (10,8 x 16,5 cm)
Crédit du photographe au verso : [Alexander Bassano / 72 Piccadilly – London – W]
Remarquable état de conservation hormis des contrastes très légèrement passés

Superbe portrait de plein pied du Prince Impérial, dédicacé de chaque côté du montage


D’une posture très élégante, à la façon d’un dandy, le Prince impérial se tient accoudé à un buffet, le regard porté vers l’horizon et tenant un haut-de-forme du bout des doigts. De l’importante iconographie que constitue celle du Prince héritier, ce portrait, par ailleurs très peu commun, est sans doute l’un des plus beaux que l’on connaisse de lui.

Le tirage est signé de sa main sur le devant du montage : « Napoléon / 28 juillet 1877 »
Puis au verso, il ajoute : « Mr R. Lavaurs, souvenirs affectueux. Napoléon »

Le comte Raymond Lavaurs (1846-1927), administrateur de sociétés, fondateur de la Compagnie Peñarroya qui exploitait les mines de plomb au Maroc, était le beau-frère d’Adrien Bizot, l’un des trois amis intimes du Prince impérial avec Louis Conneau et Jules Espinasse.

LAWRENCE, David Herbert (1885-1930)

Lettre autographe signée « DH Lawrence » à George Conway
Hôtel Beau Rivage, Bandol, 29 décembre 1928, 2 p. in-8°, en anglais
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Quelques infimes décharges d’encre, toute petite tache sans atteinte au texte, ancienne trace de trombone

Rare lettre de l’écrivain au sujet de son scandaleux roman L’Amant de Lady Chatterley

« On a commencé à faire l’amour en 1963, entre la fin de la “censure Chatterley” et le premier disque des Beatles » (Philip Larkin)


[Traduction de l’anglais]

« Cher Conway, je suis affligé d’apprendre que vos exemplaires de l’Amant de Lady Chatterley ne vous soient pas parvenus. Ils ont été envoyés par courrier recommandé il y a longtemps – et le gouvernement mexicain ne les confisquerait sûrement pas, comme le font les douanes américaines ! Je vais demander à Orioli de vous envoyer le bordereau d’enregistrement, pour voir si vous pouvez les retracer. Si ce n’est pas le cas, vous devez en avoir d’autres, s’il en reste. Orioli en a très peu me semble-t-il – ils peuvent tous être commandés. Mais un au moins je vous en garderai un. Il faut savoir ce que les autres sont devenus. Le livre se vend à $ 50 aux États-Unis – et £ 5. ici en Europe – vous voyez donc que c’est une perte.
Votre carte de Noël m’est parvenue ce matin aussi – et comme elle est jolie ! – J’ai aussi un petit livre de vous que j’ai trouvé charmant.
Nous avons abandonné la Villa Mirenda, et sommes un peu désemparés, on se demande où aller et où vivre ensuite. Je pense que dans une quinzaine de jours, nous irons en Espagne et nous essaierons cela. Mais nous pourrions aller au Nouveau-Mexique pour l’été, donc si jamais vous y allez, assurez-vous d’abord de savoir si nous y sommes. – J’étais malade l’année dernière, mais je vais beaucoup mieux maintenant et je redeviens moi-même. Certaines personnes ont été très scandalisées par Lady C., mais beaucoup l’ont pris dans le bon esprit et me restent fidèles. J’espère vraiment que vous obtiendrez vos exemplaires, que vous les lirez et que vous ne serez pas choqué – Mme Conway également. Nous avons vécu trop longtemps pour être choqués par les mots.
Comment allez-vous tous les deux ? Je pense souvent à vous, et je tremble parfois pour vous, en voyant les nouvelles mexicaines. Mais vous continuerez pour toujours, je pense, à faire fonctionner ces tramways et à déchiffrer les messages en espagnol. Très nombreuses salutations de notre part à tous les deux.
D.H. Lawrence »

[Texte original]

« Dear Conway,
I am most distressed to learn that your copies of Lady Chatterley’s Lover have not turned up. They were sent by registered book post long ago – and surely the Mexican govt. would not confiscate them, as the U.S.A. customs do! I will ask Orioli to send you the registration counterfoil, to see if you can trace them. If not you must have others, if any remain. Orioli has very few, I know – they may be all ordered. But one at least I’ll rescue for you. But we must find out what became of the others. The book is selling at $50. in USA- and anything over £5. here in Europe – so you see it is quite a loss.
Your Christmas card came this morning too – and how pretty it is! – and I had a little book from you which I thought was charming.
We have given up the Villa Mirenda, and are at a bit of loose end, wondering where to go and where to live next. I think in about a fortnight we shall go to Spain, and try that. But we might go to New Mexico for the summer, so if ever you are passing, make sure first if we are there and do stop and see us if we are. – I was ill last year but I am much better now and getting to be myself again. Some people were much scandalized by Lady C. but many took it in the right spirit, and remain staunch to me. I do hope you’ll get your copies, and will read it and not be shocked – Mrs Conway too. We have lived too long to be shocked by words any more.
How are you both? I think of you often, and quake sometimes for you, seeing the Mexican news. But you’ll go on forever, I feel, running those trams and deciphering Spanish MS.
Very many greetings from us both
D.H. Lawrence »


Quand D.H. Lawrence et sa femme Frieda arrivent à Bandol le 17 novembre 1928, L’amant de Lady Chatterley est sorti des presses de Florence depuis moins d’un an. Écrit en 1927 dans la même ville, à la villa Mirenda, le roman est interdit de vente au Royaume-Uni au motif de “publication obscène” : Les scènes érotiques explicites, le vocabulaire considéré comme grossier et la différence de classe sociale entre les amants (un ouvrier et une aristocrate) sont autant de raisons pour les censeurs de le faire interdire de publication. L’édition est de fait vendue sous le manteau. Le succès est immense. Le 18 janvier 1929, Lawrence apprend par son agent Laurence Pollinger que 18 exemplaires de Lady Chatterly’s Lover ont été saisis au Royaume-Uni. L’interdiction affecte douloureusement le romancier. Atteint d’une tuberculose pulmonaire, il s’éteint un an plus tard, le 2 mars 1930. Ce n’est qu’en 1960, 30 ans après sa mort, que l’ouvrage est autorisé de publication au Royaume-Uni.

George Robert Graham Conway et son épouse, Anne Elizabeth, font partie des amis anglais de l’écrivain. Ils le rencontrent au Nouveau-Mexique en 1925. Conway, ingénieur spécialisé dans l’industrie du transport ferroviaire, fut l’un des plus grands collectionneurs de son temps de documents sur la colonisation espagnole en Amérique.

[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « GS » à Eugène Delacroix
[Paris, c. 1842], 1 p. in-8, adresse [par porteur] « Mr Delacroix » au verso, bris de cachet
Ancienne trace de montage sur le quatrième feuillet, quelques petites taches

Charmante invitation de George Sand à son ami Eugène Delacroix


« Si vous pouvez venir dîner avec nous chez Mme Marliani, vous nous ferez à tous un immense plaisir, sinon venez au théâtre à 8 h. – le n[umér]o de la loge est 19 – 3mes. A vous, cher,
G.S.
»


Charlotte Marliani rencontre George Sand en 1836 et devient rapidement la confidente de l’écrivain qui, en 1838, en fait la dédicataire de son roman La Dernière Aldini.
Delacroix rencontre quant à lui Charlotte Marliani au plus tôt en 1838 par l’intermédiaire de George Sand. La proximité des deux femmes transparaît dans la correspondance du peintre. Il apprécie l’amie de l’écrivain : “faites mille amitiés à Mme Marliani” [lettre du 10 avril 1842].
Delacroix fréquente par ailleurs régulièrement les époux Marliani durant les années 1840. Il demeure proche de Charlotte Marliani lors de ses problèmes conjugaux et à la suite de sa séparation avec son mari, en 1847. Toujours à partir de 1847, année de la reprise de son Journal, Delacroix note plusieurs dîners chez elle. Quelques années après son décès, le peintre écrit : “j’ai revu ce salon où nous avons passé des moments gais et agréables chez la bonne Marliani”
Cette lettre témoigne de l’affectueuse amitié entre la romancière et le peintre. Débutée en 1834, elle ne prendra fin qu’à la mort de Delacroix, en 1863. Ils échangèrent l’une des plus belles correspondances du XIXe siècle.

Eugène Delacroix réside alors au 17, rue des Marais Saint-Germain à Paris de 1836 à 1844 (aujourd’hui rue Visconti). C’est dans cet atelier qu’il peint le célèbre portrait représentant la romancière et Frédéric Chopin.

CITROËN, André (1878-1935)

Manuscrit autographe signée « André Citroën »
S.l, 3 avril 1926, 1/2 p. in-8°
Onglet en marge gauche, marge droit légèrement rognée (voir scan)

Rare pensée du célèbre ingénieur et pionnier de l’industrie automobile


« C’est par la spécialisation et la standardisation que l’on intensifie la production
C’est en intensifiant la production et par la suite l’exportation que l’on relèvera le pays
André Citroën
3 avril 1926 »


C’est lors d’un voyage à Detroit, en 1912, que le destin d’André Citroën va se sceller. L’ingénieur est à l’époque fasciné par les chaînes de production de Ford et par la politique commerciale des grands constructeurs américains. Citroën fera du Quai de Javel l’un des pôles européens de la technologie et de la production de masse à l’américaine. Jusqu’au moment où le disciple deviendra lui-même un créateur.

Les manuscrits entièrement de la main d’André Citroën sont rares

Nous joignons :
Un tirage d’époque (en format in-8°) figurant André Citroën l’air concentré, tenant une feuille entre les mains.
Petits défauts de surface (voir scan)

DERAIN, André (1880-1954)

Lettre autographe signée « A Derain » à un galeriste
Lisieux, le 31 mai 1915, 1 p. in-4 sur papier quadrillé
Trace de pliure, infimes taches, petites fentes aux plis

Lettre envoyée du front où Derain fut mobilisé au régiment d’infanterie de Lisieux – Empreint de désillusions, le peintre s’interroge son propre avenir d’artiste


« Cher monsieur
J’ai été très sensible aux marques d’amitiés que vous m’adressez dans votre bonne lettre.
Et cela d’autant plus que depuis la guerre j’ai été très abandonné des milieux de peinture, je me demande même s’il m’arrivera jamais d’en refaire.
Je serai aussi très reconnaissant si par une mission quelconque vous pouviez me tirer d’ici le plu tôt possible et me faire passer soit dans l’aviation soit dans l’automobile mais je crains que cela ne soit pour vous la source de multiples ennuis.
Mais vous me rendriez un réel service si vous pouviez me faire partir d’ici par n’importe où même aux Dardanelles dans un emploi quelconque ou sur le front.
Enfin je dois vous remercier de plus de l’amabilité que vous avez eu envers ma femme. Croyez à ma gratitude et recevez une cordiale poignée de mains.
A vous
A Derain
26e 119e Lisieux
ll vaudrait mieux que vous connaissiez bien l’étendue des possibilités dont vous pourriez faire usage à l’occasion. »


Au début de la Première Guerre mondiale, Derain est mobilisé dans l’artillerie, au régiment d’infanterie de Lisieux. Il sert en Champagne, dans la Somme, à Verdun, au chemin des Dames jusqu’en 1917, puis dans l’Aisne et les Vosges. Le 11 novembre 1914, il écrit à sa femme Alice : « J’avais toujours pensé, espéré même, tout d’une guerre et je crois que je ne suis tout de même pas à la hauteur. Je n’y comprends rien au fond. Cette guerre continuelle, journalière, sans histoire, est vraiment terrible. C’est pourquoi on n’en sortira difficilement. Jamais on ne comprendra. » Il est donné une fois pour mort.

Salué comme le pionnier du fauvisme avant la guerre de 1914, il s’oriente après 1918 vers un réalisme au classicisme renouvelé.

[GANDHI] ROLLAND, Romain (1866-1944)

Lettre autographe signée « Romain Rolland » à Louis Chazai
Villeneuve (Vaud) [Suisse], 30 janvier 1924, 2 p.1/2 in-8° sur papier vert pâle
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée

L’écrivain pacifiste fait parvenir son dernier ouvrage consacré à Gandhi


« Cher Luigi Chazai,
Vous être trop gentil de m’avoir envoyé ces ravissantes fleurs, qui me sont arrivées, ce soir, toutes fraîches et odorantes. – Ici, nous avons le grand soleil sur la neige.
Pardonnez-moi de ne vous avoir pas répondu pour l’article Libera Stampa. Ou je ne l’ai pas reçu, ou il s’est perdu dans l’amas de papiers que je reçois. Je suis parti, fin juillet, pour Salzburg, où j’ai passé quelques semaines ; et quand je suis revenu, j’ai été incapable de débrouiller le chaos d’imprimés et d’écritures qui couvraient ma table.
J’ai aussi l’impression de n’avoir pas été, à votre bonne visite de l’an passé, aussi cordial que j’aurais dû […] J’ai livré bien des luttes, dans ma vie. La plus constante a été contre la maladie. Heureusement, elle n’a jamais réussi à entraver le travail de mon esprit. Mais elle a toujours été l’hôtesse assise à ma table et couchée dans mon lit.
Je vous envoie mon plus récent livre sur Mahatma Gandhi, cet homme extraordinaire qui soulève la nouvelle Asie, – ce nouveau Christ. Cet ouvrage pourra vous servir pour les conférences, que je vous remercie de me consacrer. – Il fait rapidement son chemin dans le monde. Il est déjà traduit dans l’Inde, en plusieurs langues indigènes ; et Gorki l’a fait traduire en russe.
Je vous souhaite des jours plus heureux et qui vous laissent des loisirs pour ce que vous avez à dire. Ayez patience ! Ces années sont, pour tous les jeunes intellectuels, les années des vaches maigres. Je pense que peu à peu l’équilibre se rétablira. Il s’agit de durer.
Encore merci de votre bon souvenir, et affectueusement à vous.
Romain Rolland »


Admirateur de Tolstoï et des philosophes Indiens, Romain Rolland entre en contact au début des années 1920 avec Rabindranath Tagore et Gandhi, auquel il consacre un livre, ici évoqué, Mahatma Gandhi, paru en 1924. Le succès est considérable. Animé par un idéal humaniste au sortir de la Grande Guerre, Rolland est en quête d’un monde non violent, dont il finira toutefois par se détourner car n’apportant pas de remède face à la montée des fascismes en Europe. Il finit par se rallier résolument à la cause de l’Union soviétique à la fin des années 20.

PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée « L. Pasteur » [au professeur Charles Bouchard]
Paris, le 19 juillet 1888, 3 pages in-8° sur bifeuillet vergé
Trace de pliure centrale inhérente à l’envoi d’origine

Importante lettre témoignant des fortes tensions au sein de la communauté scientifique franco-italienne – Pasteur s’indigne des moyens employés par ses détracteurs pour entraver les travaux de ses confrères sur la prophylaxie de la rage


« Mon cher confrère,
Mardi prochain, Mr
[Adrien] Proust fera le rapport sur les candidats étrangers au titre de correspondant de l’Académie de médecine.1
Permettez-moi de vous informer de tous les vœux que je fais en faveur du professeur
[Arnaldo] Cantani de Naples2, non seulement pour sa valeur personnelle et ses titres scientifiques, mais parce qu’il a été et est encore en butte à toutes sortes d’oppositions et d’avanies de [Mariano] Semmola et autres qui sont irrités de l’initiative qu’il a prise dès le début de l’application de ma méthode de prophylaxie de la rage après morsure.3 Cantani avait institué à ses frais le laboratoire antirabique que dirigeait un de ses élèves le docteur [Alfonso] di Vestea. Cela ne pouvait durer, dans ces conditions. Il y a donc eu cessation de service de la rage jusqu’à ce que l’état et la municipalité se fussent décidé à des subsides à Cantani. Plusieurs cas de rage humaines s’étant produits pendant l’interruption du service, une allocation de 9.000 fr a été enfin accordée et les Dr Vestea et [Giuseppe] Zagari s’occupent présentement de refaire la série des lapins trépanés et des moules.4
En ce moment on répand le bruit que Cantani et anti français, très favorable à l’école allemande etc etc. Vous pourrez en être informé par M. [Jean-Martin] Charcot qui, à Milan, a eu de piquants entretiens avec Semmola lequel a desservi Cantani comme il a pu. J’en sais long sur ce Semmola et je suis persuadé que M. Charcot n’a pas tardé à le juger. J’ai de Semmola plusieurs lettres, auxquelles je n’ai pas répondu, et par lesquelles il voulait m’obliger à une discussion publique avec lui pendant que j’étais à Bordighera. Ces lettres n’ont fait que me confirmer dans l’opinion que m’ont suggéré à son sujet plusieurs médecins et savants de l’Italie.
Bref, je vous le répète, je forme les vœux les plus légitimes en faveur de M. Cantani. L’Académie de médecine lui doit en quelques sortes une réparation. À la sollicitation de ses ennemis de Naples,
[Michel] Peter5 a déposé, le 23 fév[rier] 1887 sur le bureau de l’académie de Paris, un document reconnu apocryphe, signé faussement du président de l’académie de médecine de Naples et dirigé contre Cantani, qui à la nouvelle de cette infamie, donna immédiatement sa démission de membre de cette académie. 8 jours après excuses et hommages à Cantani par le président [Salvatore] Tommasi et refus d’acceptation de cette démission etc. etc.
Votre affectionné confrère
Pasteur
Je passe quelques jours chaque semaine à Villeneuve-l‘Etang où je trouve votre chien. Dans cette inaction du chenil de Villeneuve il a pris un embonpoint inquiétant. Je vous engage beaucoup à le reprendre. Vous savez qu’après sa vaccination on a éprouvé son immunité par inoculation à la surface du cerveau et qu’il y a résisté parfaitement.
6
M. Charcot veut bien m’écrire qu’il ne fera aucune opposition à Cantani puisque « pendant son séjour prolongé à Milan, il eût recueilli sur Cantani des renseignements peu favorables », que vous disais-je plus haut ? »


[1] Médecin français, Adrien Proust (1834-1903), père de Marcel et Robert Proust, est élu membre titulaire de l’Académie Nationale de Médecine en 1879, où il occupe le poste de secrétaire annuel de 1883 à 1888. Il inaugure le monument de Pasteur à Chartres peu avant sa mort, en 1903.
[2] Médecin et homme politique italien, Arnaldo Cantani (1837-1893) entreprit des recherches ayant permis des avancées significatives sur la pathogénie des maladies infectieuses. Comme en témoigne cette lettre, Cantani, fervent soutien des travaux de Pasteur, crée un laboratoire de microbiologie à Naples, reconnu comme le premier institut italien de thérapie contre la rage.
[3] Médecin, philosophe et homme politique italien, Mariano Semmola (1831-1896) fut un fervent opposant aux travaux de Pasteur. Les dissensions scientifiques entre Cantani et Semmola sont déjà très fortes au moment de l’épidémie de choléra qui sévit dans la région de Naples dès 1884.
[4] En Italie, Cantani et ses élèves sont précurseurs dans le traitement de certaines maladies infectieuses avec des germes moins pathogènes que ceux responsables de la rage. En 1887, Pasteur communique que le développement de micro-organismes pathogènes peut être inhibé par la présence dans la culture d’autres germes non pathogènes.
[5] Médecin français Michel Peter (1824-1893) est est élu à l’Académie Nationale de Médecine en 1878. Connu pour être l’un des principaux détracteurs de Pasteur, il attaque les théories et expériences de ce dernier, notamment le vaccin antirabique. La longue controverse entre les deux hommes fait émerger la conclusion selon laquelle il ne suffit pas toujours qu’un germe infectieux pénètre dans un organisme pour qu’une maladie infectieuse se déclare (théorie des porteurs sains).
[6] Pasteur fait ici référence à sa méthode (inspirée des expériences de Roux) consistant à inoculer par trépanation de la moelle rabique de plus en plus virulente afin de rendre le chien réfractaire au virus de la rage.

Sa découverte du vaccin antirabique en 1885 vaut à Pasteur une consécration mondiale. Subséquemment, l’Académie des sciences lui propose la création d’un établissement destiné à traiter la rage : l’Institut Pasteur ouvrait ses portes en 1888.
Charles Bouchard (1837-1915), destinataire de cette lettre, est un médecin français, anatomo-pathologiste, biologiste prolifique et clinicien de grande renommée. Il est entre autres connu pour le concept d’auto-intoxication et l’antisepsie médicale.
Jean-Martin Charcot (1825-1893), dont il est en partie question dans la lettre, est un neurologue français, professeur d’anatomie pathologique, à l’origine de la découverte de la sclérose latérale amyotrophique (maladie neurodégénérative à laquelle il a donné son nom). Il intègre l’Académie de médecine en 1873.
Bouchard et Charcot se consacrent à la neuropathologie et plus spécifiquement aux lésions des scléroses de la moelle épinière. Ils découvrent ensemble l’origine des hématomes intracérébraux, la rupture de petits anévrysmes milliaires sur la paroi des artérioles cérébrales qui seront plus tard dénommées « micro-anévrysmes de Charcot et Bouchard ».

[HUGO] NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Photographie originale au format cabinet
Tirage contrecollé sur carton fort bordé d’un liseré de deuil
[Paris, 23 mai 1885], Format cabinet : 10 x 16,50 cm

Émouvant portrait du grand homme sur son lit de mort par Nadar


Comme d’autres artistes, peintres, sculpteurs, Nadar se rendit au chevet de Victor Hugo le lendemain de sa mort, le 23 mai 1885, à son domicile avenue Victor Hugo à Paris, afin de l’immortaliser un dernière fois.
Paul Nadar, fils du photographe, racontera que son « père n’avait pas voulu transporter tout son matériel. Victor Hugo a été saisi à la lumière du jour et des lampes. Et ce cliché pris par mon père en larmes, c’est peut-être son chef-d’œuvre. »

Inscriptions imprimées en noir : “V.H. 22 mai… N.”

TOULOUSE-LAUTREC (de), Henri (1864-1901)

Dessins originaux. Plume et encre sur papier : [Chien et chat]
S.l.n.d [c. 1876-1880], 1 p. in-4° à l’encre noire
Au verso d’un devoir en anglais sur Cromwell, d’une main inconnue
Cachet du monogramme (Lugt 1338) au coin inférieur gauche
Très petite tache en marge droite, infimes manques en marges supérieures et inférieures, papier uniformément bruni

Charmantes études de jeunesse figurant un chien et un chat


Cette étude d’animaux à main levée est à rapprocher d’une importante série de dessins que le jeune Toulouse-Lautrec effectua vraisemblablement lorsqu’il était scolarisé au lycée Fontanes (devenu lycée Condorcet), à Paris. On retrouve une ébauche analogue de la même époque sur l’œuvre référencée D.448 dans le Catalogue raisonné de M.G. Dortu, figurant une tête de chien très semblable à celle ici présentée.
S’il n’est pas possible d’identifier le scripteur du devoir d’anglais au verso du feuillet, on constate une écriture identique pour un « Thème anglais » au verso d’une autre œuvre de l’artiste, référencée cette fois D.449 dans le Catalogue raisonné.

À bien observer l’étude de chien sur la droite, on remarque que la tête de l’animal est plus élaborée que le reste du corps, demeuré à l’état d’ébauche primitive. Le chat, quant à lui, est croqué de façon plus aboutie. Il en reste que le tout jeune Toulouse-Lautrec dévoile ici un style qui lui est déjà propre, immédiatement reconnaissable.

Un certificat d’authenticité du Comité Toulouse-Lautrec, établi le 12 novembre 2024, sera remis à l’acheteur.

DAUDET, Alphonse (1840-1897)

Carte de visite autographe « A.D » à Gaston Calmette
S.l.n.d [Paris, entre 1885 et 1897], 1 p. in-24°

Affectueuse carte à son ami Calmette


« Voici, mon cher Calmette, la réponse demandée. Bien vôtre. A.D. »


Alphonse Daudet collabore avec Le Figaro depuis l’année 1858, époque à laquelle il publie son premier recueil de vers. Il en devient par la suite chroniqueur en parallèle de son activité d’écrivain.
Gaston Calmette (1858-1914) entre au Figaro à l’âge de 27 ans, devenant son directeur à partir de 1902. Il est assassiné en mars 1914 par la femme de Joseph Caillaux, ministre des finance corrompu à l’encontre duquel il avait lancé une virulente campagne au début de la même année.

Cette carte a nécessairement été adressée à Calmette entre 1885 et 1897, années où l’écrivain résidait à son adresse parisienne, rue de Bellechasse.

NAPOLÉON III (1808-1873)

Lettre autographe signée « Napoléon » à Édouard Vandal
[Château de] Wilhelmshöhe, 18 déc[embre] 1870, 1 p. 1/2 in-8° sur papier vergé
Gaufré à son chiffre “N”, orné d’une couronne impériale, Filigrane “CRC”
Deux mots caviardés de la main de l’empereur
Trace de pliure centrale

Tenu en captivité par Bismarck après la défaite française à Sedan, Napoléon III garde l’espoir d’un retour de l’Empire


« Mon cher Monsieur Vandal,
On m’a remis hier vôtre lettre dont j’ai été très touché. Je suis heureux par ces temps de diffamations et de d’ingratitudes, de pouvoir compter sur des dévouements comme le vôtre. Je crois comme vous que les événements vont se précipiter et qu’il serait bon que tous mes amis se réunissent en différents points. Je voudrais donc que vous puissiez vous rendre à Genève. Vous y trouverez l’ancien préfet de police qui vous donnera tous les détails de la situation actuelle.
Lorsque vous y serez arrivé faites le moi savoir.
En attendant recevez l’assurance de mes sentiments d’amitié.
Napoléon »


Empereur déchut après la cuisante défaite de Sedan le 2 septembre 1870 contre les armées prussiennes de Bismarck, Napoléon III est fait prisonnier dès le lendemain. Il quitte définitivement la France pour se rendre en Prusse et y être interné au château de Wilhelmshöhe. Il devient le quatrième souverain français à être capturé sur un champ de bataille. Les mois suivants, Napoléon III a écho des nombreuses manifestation bonapartistes qui se tiennent dans plusieurs départements et provinces de France, notamment en Normandie, en Charentes, dans le Limousin et en Corse. Il compte alors sur une éventuelle consultation directe du peuple sur la nature du prochain régime par les autorités françaises pour rétablir la situation tandis que le nouveau système de scrutin par liste lamine les bonapartistes, obligés non seulement de faire liste commune avec les monarchistes mais de le faire en rang modeste, ce qui ne permet le retour que de 20 leurs élus sur 675 à la Chambre.
Le 1er mars 1871, l’Assemblée nationale, qui s’est réunie à Bordeaux, vote la déchéance officielle de Napoléon III et de sa dynastie, le déclarant « responsable de la ruine, de l’invasion et du démembrement de la France ». L’empereur déchut est libéré par Bismarck le 19 mars 1871. Il rejoindra sa famille et ses proches, exilés en Angleterre.

Conseiller d’État sous le Second Empire de 1861 à 1870, puis en parallèle conseiller général du Bas-Rhin de 1867 à 1870, Édouard Vandal (1813-1889) est demeuré l’un des proches de l’empereur après la défaite de Sedan, comme en témoigne la présente missive. Le comte Vandal devient ensuite président de la Compagnie générale transatlantique de 1871 à 1875.

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Manuscrit autographe de premier jet
S.l.n.d [été 1949 ?], 8 p. in-4°

Important manuscrit inédit sur la morale, sans doute pour une conférence

Provenant de la collection B. & R. Broca


« Morale am!ne à action historique et s’engloutit dans l’histoire. Mais l’histoire à son tour perd son sens si le but n’est pas moral. L’homme n’est pas libre. Donc pas de but. A priori : si l’homme est libre il n’y a pas à le libérer. Mais s’il faut le libérer c’est qu’il n’est pas libre […] Idéalisme : homme indifférent à la situation, ponction morale. Matérialisme : c’est la situation qui fait l’homme. Homme produit. Il faut trouver un chemin qi ne soit ni matérialisme ni idéalisme. Il n’y a pas de but sans chemin. C’est anti-dialectique. […] Il y a un fait qui rend toute morale impossible. La morale suppose en effet que l’univers est neutre, que le malheurs individuels sont purement hasard et qu’on peut les changer par initiative individuelle […] La morale interdit le changement : violence. La morale apparaît donc comme une mystification. Contradiction profonde. […] Existentialisme : l’homme est hors de lui dans le monde, hors du présent dans l’avenir, il est produit par les causes mais il dépasse et juge les causes et se fait annoncer ce qu’il est par ce qu’il n’est pas. […] Une liberté ne peut être limité que par une autre liberté. […] On ne peut affirmer qu’une liberté […] »


Dans le présent manuscrit, les analyses de Sartre portent l’oppression et l’exigence morale à partir de la faim, la référence au mot de Feldman notamment (« imbéciles, c’est pour vous que je meurs », Les Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 212). La thématique, par ailleurs ouvertement existentialiste, pourrait laisser penser à des pages de travail pour les Cahiers pour une morale. Si ces feuillets ont été effectivement rédigés à l’été 1949, époque de l’engagement du philosophe au Rassemblement Démocratique Révolutionnaire, Sartre reviendra de façon récurrente sur la question de la faim, dont il est ici largement question.

MADAME ROYALE, Marie-Thérèse de FRANCE, dite (1778-1851)

Lettre autographe signée « MT » à son chargé d’affaire en France Théodore Charlet
Vienne [Autriche], 9 avril 1850, 1 p. in-8° sur bifeuillet
Adresse autographe sur la quatrième page
Numérotée “271” de sa main au coin supérieur gauche
Bris de cachet, marques de compostage, décharges d’encre de la main de Madame Royale

Tendre lettre de Madame Royale, au crépuscule de sa vie, attendant le retour de son neveu le comte de Chambord

Provenant de la collection Hubert Guerrand-Hermès


« Je ne vous écris qu’un mot pour vous dire que mon voyage s’est très bien passé. Je suis revenue samedi passé à ma campagne, charmée de m’y retrouver. Dans une quinzaine mon neveu y reviendra [Henri d’Artois, le comte de Chambord]. Maria et les siens ne sont pas revenus, mais je les attends vers le 15.
Je suis revenue ici en ville, j’ai vu le banquier et l’ai chargé de vous faire passer 15000 francs pour le moment, je ne puis donner que la moitié de la somme ordinaire à cause du change. J’enverrai l’autre partie plus tard.
J’espère que vous vous portez bien et tous les vôtres. Adieu et comptez toujours sur mes sentiments pour vous.
MT »


Fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte de France, dite Madame Royale (pour la distinguer de la belle sœur du roi), est le premier enfant du couple royal, né après plus de huit ans de mariage. Enfermée au Temple en 1792 avec sa famille, elle en est la seule rescapée, échangée in-extremis en 1795 contre les commissaires français livrés aux Autrichiens par Dumouriez. En 1799, elle épouse son cousin Louis de France, duc d’Angoulême, fils du futur Charles X. La mort sans enfant de Louis XVIII on fait d’elle et de son mari les derniers Dauphin et Dauphine de France. Contrainte à l’exil pendant la Révolution de Juillet en 1830, Madame Royale rejoint l’ex-roi Charles X, partit avec sa Cour à Gorizia, ville sous domination autrichienne. Elle s’installe en 1844 avec ses proches et son neveu Henri d’Artois, comte de Chambord, au château de Frohsdorf , situé au sud-est de Vienne. Elle y meurt le 19 octobre 1851.

MISTRAL, Frédéric (1830-1914)

Manuscrit autographe signé « F. Mistral »
S.l.n.d, 2 p. petit in-8° sur papier vergé, en français
Importante fente à la pliure centrale sans atteinte au texte, toutes petites rousseurs

Très beau texte inédit légèrement teinté d’érotisme et enrichi de quelques vers issus de son recueil Lis Óulivado


Nous respectons l’usage aléatoire des majuscules par Mistral

« en Arles, au jour où Arles célébra dans saint Trophime¹ la commémoration de Constantin, une reine apparut : Magali des matines. La chevelure ceinte du diadème arlésien, la chapelle des seins entr’ouverte au soleil, elle alla dans la foule, y répandant l’admiration. elle était la beauté humaine, qui s’harmonise aux monuments. elle était la beauté romaine, impériale et dominante. la fameuse Fausta², l’épouse de Constantin, n’était pas plus superbe. mais Fausta fut une coquine ; et magali est noble et digne et généreuse autant que belle. en arles ce jour-là, aucune vision de femme ne fut grande comme la sienne -et aucune arlésienne ne personnifia la race comme notre magali !

mai, o magali [mais, ô Magali,]
gènto magali, [douce Magali,]
douço magali, [Magali allègre]
es tu que m’as fa trefouli [c’est toi qui m’as fait tressaillir]

F. Mistral »


Inconnu à ce jour, ce manuscrit est-il un hommage à une arlésienne particulièrement attractive ? Écrit en français, on pourrait penser que le destinataire ne maîtrisait pas la langue d’oc. Ou s’agit-il d’un exercice de style du poète ? Cette hypothèse est probable. Mistral évoque “Magali” dans sa prose, idole de son poème Tremount de luno [Coucher de lunes] duquel il extrait ici les quatre derniers vers.

Publié en 1912, Lis Óulivado est le dernier grand recueil de poèmes lyriques de Frédéric Mistral. Il rassemble des poèmes écrits jusqu’en 1907.

[1] La cathédrale Saint-Trophime d’Arles est une église romane de la ville d’Arles construite au XIIᵉ siècle et située place de la République. Elle est considérée comme l’un des plus importants édifices du domaine roman provençal.
[2] Fausta Flavia Maxima (vers 289-326) est la fille de l’empereur Maximien Hercule et Eutropia. Mariée à l’empereur Constantin 1er en 307, elle lui donne trois fils, futurs empereurs, et trois filles. En 324, elle reçoit le titre suprême d’Augusta. Les circonstances de sa mort deux ans plus tard, documentées par des sources incomplètes ou partiales, restent à jamais incertaines. 

[MAILLOL] ROLLAND, Romain (1866-1944)

Lettre autographe signée « Romain Rolland » à un directeur de revue
Villeneuve (Vaud) [Suisse], 15 novembre 1929, 2 p. in-8° sur papier vert pâle
Légère froissure et brunissure sur le second feuillet (voir scan)

L’écrivain décline une proposition d’article sur l’art de Maillol


« Cher Monsieur,
Je vous remercie d’avoir songé à moi, pour la belle revue que vous projetez. Mais je suis beaucoup trop pris par ma création pour pouvoir écrire en ce moment des articles sur l’art. Et je le pourrais d’autant moins, au sujet de Maillol, que je l’admire davantage : car je m’interdis d’en parler superficiellement.
Veuillez donc agréer tous mes regrets, et mes vœux pour le succès de votre revue.
Votre dévoué
Romain Rolland
Avez-vous songé à vous assurer la collaboration de celui que je regarde comme le maître de la morphologie, artistique et scientifique, en Europe : – Edouard Monod-Herzen ? »


Spécialiste de la gravure sur métal, Edouard Monod-Herzen (1873-1963) était par ailleurs un homme de lettres, philosophe et collectionneur.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Poème-pastiche autographe signé « Marcel Proust » au marquis Philibert de Clermont-Tonnerre
S.l.n.d [c. été 1908], 2 p. in-8° sur papier filigrané, liseré de deuil
Filigrane : « Original / Turkey Mill / Kent »
Trace de pliure centrale inhérente à l’envoi d’origine

Rare et admirable poème-pastiche de Proust, à la manière de Robert de Montesquiou, dont il moque quelque peu le style


« “Prière du Marquis de Clermont-Tonnerre”¹
(Imité de Robert de Montesquiou)

Je greffe les rosiers dont sont fleuris les marbres,
Ceux du Paros “mousseux” et du Carrare “thé”,
Et, de ces rosoyants et ces blondissants arbres,
Je sais tirer des chants inconnus d’Hardy-Thé !²

Mon pinceau fait courir au rinceau des abaques
Cet or qui fait marcher, à ce qu’on dit, Cloton !³
Trianon, Vézelay, ne sont que des baraques,
Quand l’esprit les compare au Palais Lauriston !

Seigneur, si vous daignez m’admettre dans les Salles
Où le Juste rompra le Pain Essentiel,
Que de marbre aussi pur étincellent vos stalles !
De Glisolles et d’Ancy, que soit digne le Ciel !

(pour copie conforme
Marcel Proust) »


[1] Le titre rappelle les Prières de tous de Robert de Montesquiou (1902), illustré par Madeleine Lemaire.
[2] Lucien Hardy-Thé, compositeur et chanteur mondain.
[3] Clotilde Legrand (1857-1944), née de Fournès, surnommée « Cloton ». Elle entretient vers 1890 une relation avec Guy de Maupassant.
[4] Montesquiou acquiert en 1908 le palais Rose du Vésinet, copie réduite du Grand Trianon de Versailles.
[5] Les Clermont-Tonnerre demeuraient en leur hôtel, au 74 de la rue de Lauriston à Paris.
[6] Le duc Aimé Gaspard Marie de Clermont-Tonnerre (1779-1865) possédait un château, bâti au XVIIIᵉ siècle, à Glisolles dans l’Eure, et un autre bâti au XVIᵉ siècle à Ancy-le-Franc dans l’Yonne.
[7] Proust indique « pour copie conforme », pratique courante à l’époque et dont il avait l’habitude pour ses pastiches.

Proust reprend avec ce pastiche le motif floral abondamment utilisé par Robert de Montesquiou dans ses œuvres et poèmes. Quand ce dernier fait paraître son premier recueil Les Chauves-souris en 1893, Proust (22 ans à l’époque) lui écrit le 29 avril que « Jamais les fleurs vaines des jardins n’ont senti si bon » (Corr., t. I, p. 206). Les deux hommes se rencontrent pour la première fois quelques jours plus tôt chez Madeleine Lemaire, le 13 avril 1893. Dandy au profil pur, le regard fascinateur… Montesquiou, futur modèle de Charlus, provoque l’admiration de Proust. Les deux hommes échangent par la suite une abondante correspondance, souvent flatteuse du côté de Proust. Si le jeune écrivain n’a de cesse de louer le goût de Montesquiou pour l’étalage érudit des noms, des références culturelles et du mot rare, on observe au travers du présent poème-pastiche un brin de moquerie à l’égard du style du dandy-poète. Au moment où Proust songe à reprendre son pastiche de Saint-Simon, « Fête chez Montesquiou » (Textes retrouvés, éd. P. Kolb, Gallimard, p. 191-195), il écrit à Montesquiou le 16 février 1909 sans oublier les précautions d’usage : « Au fond le pastiche qui m’amuserait le plus à faire, quand je pourrai écrire un peu (sans préjudice d’études plus sérieuses) c’est un pastiche de vous ! Mais d’abord cela vous fâcherait peut-être, et je ne veux pas que rien de moi vous fâche jamais […] ! » (Corr., t. IX, p. 34).
Tous deux conserveront cependant une amitié qui durera jusqu’aux derniers jours de Montesquiou, en 1921.
L’épître, adressée au marquis Philibert de Clermont-Tonnerre (1871-1940), est publiée par sa femme Elisabeth de Clermont-Tonnerre (née de Gramont) en 1955, dans le Bulletin Marcel Proust. Cette dernière, qui rencontre Proust pour la première fois en 1903, publie Robert de Montesquiou et Marcel Proust chez Flammarion en 1925.

[HUYSMANS] ANONYME

[Paris, vers 1890], portrait photographique original
Épreuve argentique d’époque (11,8 x 16,1 cm), contrecollée sur une grande feuille de papier (40 x 31 cm)
Infime manque angulaire (inférieur droit), léger frottement, léger miroir d’argent

Élégant portrait de l’écrivain chez lui, assis près de sa cheminée, son chat sur les genoux


Ce portrait peu commun représente l’écrivain et critique littéraire chez lui au 11, rue de Sèvres à Paris. Huysmans, le visage faunesque, semble décontracté tout en fixant l’objectif avec une cigarette à la bouche, avec son chat sur les genoux. La prise de vue ressemble sous de nombreux aspects aux portraits de Dornac pour sa série Nos contemporains chez eux.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
[Paris, peu après le 7 février 1922] 3 p. in-8° sur papier gris clair
Résidus d’anciennes traces de trombone, petit manque sans gravité en marge supérieure du second feuillet (sans atteinte au texte)
Trace de pliure centrale inhérente à la mise sous pli d’origine, quelques petites brunissures
Enveloppe autographe [par porteur] jointe, annotations au crayon au verso d’une main inconnue

Proust évoque une soirée passée chez la princesse Soutzo et admet s’être discrètement retiré au milieu d’une conversation entre Abel Bonnard et sa correspondante

Dernière lettre connue de Marcel Proust adressée à Marie Scheikévitch, neuf mois avant la mort de l’écrivain


« Chère Madame,
Ce seul mot (que je ne dicte pas à la machine bien qu’ayant maintenant une “machiniste”)¹ est pour vous dire ceci :
Il y a mille chances pour que vous n’ayez pas remarqué que j’étais l’autre soir chez la princesse Soutzo², plus encore si vous l’avez remarqué que ma “fuite” ait passé inaperçue à vos yeux. Mais, en supposant le seul risque d’une de ces deux hypothèses concordantes, je veux vous dire que si je ne suis pas resté auprès de vous, c’est parce que vous m’avez semblé avoir à parler à Abel Bonnard³. Je l’admire et je l’aime, vous le savez. Mais vous êtes beaucoup plus liée avec lui qu’avec moi et je ne voulais pas avoir l’air de me mettre entre vous.
Excuse ridicule d’une attitude qui vous est si indifférente.
Veuillez agréer ma respectueuse amitié.
Marcel Proust »


[1] La “machiniste” ici évoquée est Yvonne Albaret, nièce d’Odilon, l’époux de Céleste. C’est au moment de la rédaction de La Prisonnière que Proust annonce son intention d’embaucher une dactylographe après que Gaston Gallimard l’ait poussé à mettre ses écrits au net. Yvonne Albaret prend donc son service au tout début du mois de février et s’installe chez l’écrivain, rue Hamelin, vers le 20. C’est elle qui tapera La Prisonnière et La Fugitive [Albertine disparue].

[2] Allusion à la soirée passée chez la princesse Soutzo le mardi 7 février 1922.

[3] C’est selon toute vraisemblance que Proust et Bonnard ont été mis en relation par l’intermédiaire de Marie Scheikévitch. Si Bonnard est passé assez inaperçu du public littéraire de l’époque, il reçoit cependant des félicitations appuyées de Proust pour ses somans Le Palais Palmacamini et La vie et l’amour. Les deux hommes partagent les mêmes critères esthétiques, leur idée du roman est identique. Dans une lettre à Marie Scheikévitch du 1er janvier 1914, Proust ne cache pas son admiration à l’égard de son confrère : « Si vous voyez Bonnard, dites-lui combien j’aime son roman. Ce qui en fait la plus grande valeur est naturellement ce qu’on n’aperçoit pas, ce qui fait qu’on est peut-être injuste pour lui. Mais il a eu la noblesse de préférer cette beauté cachée. Je parle bien souvent de son livre mais particulièrement volontiers avec vous qui l’admirez et l’aimez »

Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :
Marie Scheikévitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, Anna de Noailles, Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, et bien d’autres encore.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’ils se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’en suivit une correspondance qui dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connaît que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvre les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépense beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle juge les plus capables de l’aider. C’est elle qui le recommande à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann. C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

Née Hélène Chrissoveloni, la princesse Soutzo (1879-1975) est présentée à Marcel Proust le 4 mars 1917 au restaurant Larue par l’intermédiaire de Paul Morand (que ce dernier épousera dix ans plus tard, en 1927). La rencontre entre Proust et la princesse est demeurée marquante, l’écrivain lui ayant proposé de réunir le quatuor Poulet au Ritz pour lui faire entendre du César Franck (Journal d’un attaché d’ambassade, 1916-1917 (1963), Gallimard, 1996, p. 171-172 ; Journal inutile, t. II, p. 131).

MISTRAL, Frédéric (1830-1914)

Lettre autographe signée « F. Mistral » [à Rose-Anaïs Roumanille ?]
Maillane, 4 juin 1901, 1 p. 1/2 in-8°, en langue d’oc, sur papier filigrané
Petites rousseurs, marge gauche légèrement effrangée, trace de pliure centrale
Annotation au crayon (d’une autre main) en marge supérieure

Mistral est à la recherche d’une publication de la Carmagnole


Transcription de l’occitan :

« Madamisello, en passant à Toulouso, demandère au félibre Bacquié-Fonade se pèr asard saubrié pas ounte voste segne paire avié publica sa Carmagnolo. me proumeteguè de fuieteja pèr acò li 4 annado de la Lauseto. vuei m ‘escriéu que n’a rèn trouva dins aquelo publicacioun, à l’eicepcioun de 8 pèço autro -que me n’en baio li titre. e vous fau passa la tiero d’aquéli pèço. bèn amistousamen  vous salude tóuti e vous entre tóuti
F. Mistral »

Transcription en français :

« Mademoiselle, en passant à Toulouse, j’ai demandé au félibre Bacquié-Fonade si par hasard il saurait où monsieur votre père avait publié sa Carmagnole, il m’a promis de feuilleter pour cela les quatre années de la Lauseto. Il m’écrit aujourd’hui qu’il n’a rien trouvé dans cette publication, à l’exception de huit pièces autres dont il me donne la liste, et je vous fais passer la liste de ces pièces. Bien amicalement, je vous salue tous et vous entre tous.
F. Mistral »


Mistral fait sans doute allusion aux pièces parues dans l’almanach de la Lauseto, dirigé par Louis-Xavier de Ricard (1843-1911) et organe des félibres rouges. La liste ayant disparue, elle ne permet plus aujourd’hui d’identifier l’auteur de la Carmagnole. On peut penser que le destinataire de cette missive soit Thérèse Boissière, née Roumanille (1864-1927). La femme dudit était la sœur de Félix Gras, capoulier (président) du Félibrige à la suite de Roumanille, et mort au début de l’année 1901. Gras a bel et bien écrit dans la Lauseto, et célébrer la Carmagnole était bien dans son style.

COLETTE, Sidonie Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette » à un ami
[“11 décembre 1949” rajouté au crayon d’une autre main], 2 p. in-4° sur papier bleu
Filigrane “Velin Muller – 782 – Paris France”
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli, ancienne trace de trombone en marge supérieure

Tout juste nommée présidente de l’Académie Goncourt, Colette évoque la reprise de l’adaptation théâtrale de Chéri


« Je n’en ai jamais eu de meilleurs, cher ami ! Quand ils sont réussis, les massepains sont de grandes merveilles, aussi bien celui que truffent l’angélique et le cédrat que le tout homogène en pâte d’amandes, et le “jijoua” qui exsude infatigablement son huile de sésame, de sésame si je ne me trompe ? Ma fille s’en va, la poche gonflée. Mais je ne lui en ai pas donné plus d’un.
J’aimerais bien vous voir.
Le Goncourt, mes travaux, et mes maux m’ont bien détournée de mes meilleurs amis. Je trouve dur parfois de souffrir d’une manière si vive, et je me plie depuis quelques semaines à des bogomoletzeries [néologisme pour son traitement au sérum de Bogomoletz] variées, pour me remettre (?) des répétitions de “Chéri”, des visites d’agents théâtraux d’Amérique et d’ailleurs (touchons du bois) et de traducteurs de langue anglaise, qui me découvrent.
Maurice [son époux Maurice Goudeket] évolue au milieu de tout cela et se déguise en Protée.
Mais vous viendrez bien, par mauvais temps décembral, manger la soupe à l’oignon de midi, caparaçonnée de gratin ?
Cher ami je vous embrasse, et Maurice est affectueusement à vous.
Colette
P.S. – Je réquisitionnerai Moune ! [surnom de Hélène Jourdan-Morhange] »


La première de la reprise de Chéri a lieu le 29 octobre 1949 au théâtre de la Madeleine, en présence du président de la République Vincent Auriol. Il s’agit d’une version légèrement remaniée, mise en scène par Jean Wall, avec Jean Marais dans le rôle de Chéri et Valentine Tessier dans celui de Léa de Lonval.
Colette évoque par ailleurs l’Académie Goncourt dont elle est nommée présidente, le 1er octobre 1949 (quatre ans après en avoir été élue membre). Cette présidence devait revenir à Roland Dorgelès, doyen d’élection (élu en 1929), qui se désiste et offre sa place à Colette.

POULENC, Francis (1899-1963)

Lettre autographe signée « Francis Poulenc » à Frederick Woods
[Saint-Raphaël], 3 avril 1960, 1 p. in-12°
Trace de pliure centrale inhérente à la mise sous pli, très légères brunissures
Enveloppe autographe (timbrée et oblitérée) jointe, petit manque au verso (voir scan)

Poulenc refuse de parler de sa cantate profane Le Bal masqué


« Monsieur,
Excusez moi mais je n’ai ni le temps, ni le goût de parler du Bal masqué
à toutes fins utiles, je vous signale l’excellent texte d’Henri Hell qui figure sur la pochette du disque Vega.
Veuillez agréer, Monsieur, je vous prie mes sentiments distingués.
Francis Poulenc »


Créé en 1932, Le Bal masqué marque l’admiration de Poulenc pour le poète Max Jacob (1876-1944), qu’il découvrit au travers du Cornet à dés, en 1917. Si Poulenc a composé toute sa carrière durant près de cinquante mélodies sur des poèmes divers dont ceux de Ronsard, Banville, Moréas ou encore Apollinaire, son adaptation de la poésie de Max Jacob en 1932 avec le Bal masqué demeure l’un des morceaux les plus célébrés du compositeur.
Poulenc fait ici référence au disque Max Jacob, Francis Poulenc – Le Bal Masqué – Cantate Profane, enregistré en 1956 par les Studio Vega. C’est Henri Hell (1916-1991), spécialiste et biographe du musicien, qui rédigea le texte de la jaquette.

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « George Sand » à Cora Chamberlaine
Nohant, 5 mai [18]70, 6 pp. in-8°
Cachet de collection en marge supérieure de la première page
Anciennes traces de réparation des fentes au plis (voir scans)

Longue et superbe lettre dans laquelle l’écrivain, évoquant son autobiographie Histoire de ma vie, se livre sans ambages sur son rapport au monde

« Le tems manque presque toujours pour s’entendre et la vie se passe à se deviner… »


« Je ne sais pas si vous êtes arrivée à Paris, bonne et charmante femme. Vous deviez vous arrêter à Tours, je vous écris donc, non à l’hôtel St James, mais sous le couvert de Mrs Bowles.
J’ai envie de commencer par vous gronder de m’avoir envoyé de si belles choses, qui devaient être pour vous de précieux souvenirs de voyage, et dont vous vous êtes séparée avec un héroïsme trop généreux. Je ne puis les refuser, vous me gronderez aussi. J’ai mis la bague à mon quatrième doigt, elle ne me gêne pas du tout et je ne la quitte pas. Elle est très belle et curieuse. La sarre [sic pour saree] est une merveille de broderie et ce sera très agréable à porter l’été. Ma fille vous remercie beaucoup du bel ambre qui a gardé le feu du soleil d’Italie, et mon fils, à qui j’ai donné la miniature indienne, l’a prise et l’admire infiniment. Le lirai les livres quand ma tête reviendra. Vous m’avez trouvée dans une phâse d’idiotisme complet pour avoir passé beaucoup de nuits (28) auprès de Maurice, et cela ajoûté à une timidité presque maladive, a dû me faire paraître bien froide et bien gauche. Croyez que je suis pourtant vivement touchée de la vraie sympathie que vous m’avez apportée, et que j’ai partagé cette affection à première vue, sans vouloir en douter ni m’en défendre en aucune façon. Mais il m’est impossible de parler de moi. Je suis la personne que je connais le moins et dont je m’occupe le moins. Je crois avoir dit dans l’histoire de ma vie qu’il faut peut-être parler de soit une fois en sa vie, pour n’y plus penser et n’y plus revenir [Premier chapitre d’Histoire de ma vie : « Je sentais qu’il ne faut parler de soi au public qu’une fois en sa vie, et très sérieusement,et n’y plus revenir »] . Ceux qui ont pris la peine de lire ces souvenirs me connaissent, car je n’ai rien dit que de vrai et je n’ai pas changé. Je ne sais pas me communiquer par la parole à moins d’une longue habitude d’intimité. Aussi je vis renfermée dans la famille et n’en sors que contrainte absolument. Je ne reçois jamais personne, sauf de bien rares exceptions, et je suis cruellement impolie pour les curieux qui m’assiègent à Nohant et à Paris. J’ai donc eu, en lisant la première lettre que vous m’avez fait remettre, la divination d’une amitié sincère qui venait à moi, et non d’une curiosité oiseuse comme mille autres, et je m’en applaudis, car je vous sens admirablement bonne et intelligente. Votre mari me plaît aussi extrêmement. Il a un air de douceur et de distinction qui le font aimer, et mon fils qui est presque aussi sauvage que moi, a trouvé qu’il était charmant. Quant à la chère Lina, elle partage ma confiance en vous deux. – Je ne sais où vous avez vu que j’avais des préventions contre l’Amérique et les Américains. Je préfère la France à tout, je ne puis faire autrement, et j’en pense pourtant beaucoup de mal. Je pense aussi du mal de l’Amérique et je l’admire quand même. Ce ne sont pas là des préventions, mais des jugements que je crois fondés, et sur lesquels je suis certaine que nous serions d’accord, et pour les faites de votre pays et pour celles du mien, si, en causant, nous procédions avec ordre dans nos réflexions.
Mais le tems manque presque toujours pour s’entendre et la vie se passe à se deviner. Devinez-moi, je vous prie, très sincère dans le désir d’être équitable, de souffrir de tout ce qui est le mal et d’apprécier sans réserve tout ce qui est le bien.
Ma belle-fille ira à Paris dans quelques jours pour des affaires de succession [Lina partira le 20 mai pour Paris, afin de régler avec sa mère la succession de Calamatta] . Je garderai la maison, le convalescent et les enfans. Elle compte s’informer de vous, et si vous pouvez vous rencontrer, elle sera très contente de vous serrer la main. Moi, je ne serai pas encore quand j’irai. Je souhaite bien que vous y soyez. Vous me tiendrez au courant par un mot, si vous le voulez bien.
Adieu, merci, et au revoir pour moi et les miens.
Nohant, 5 mai 70, George Sand
Ne gardez pas ce camélia qui devient affreux en se séchant. Je vous enverrai des plantes que je préparerai pour vous et qui se garderont sans trop enlaidir. »


Le couple Chamberlaine rend visite à l’écrivain et sa famille les 2 et 3 mai 1870. Sand en réfère dans son agenda, le 2 mai : « Visite d’un couple américain de Boston, Mr et Mme Chamberlaine. IL sont très bien et sympathiques. Je les reçois de mon mieux. » Le 3 mai, elle note : « Visite des Chamberlaine qui repartent pour Paris. Ils sont très gentils, le mari surtout. La femme est un peu bavarde, mais je crois très bonne et assez intelligente. » (Agenda IV, p. 267).
Cette lettre vient en réponse à une très longue missive de Cora Chamberlaine adressée à George Sand, le soir même de son départ de Nohant, et aujourd’hui conservée à la BHVP (f. G-3646). Il serait trop long d’en transcrire l’intégralité. Nous en produisons ici quelques passages :
« Je suis encore trop émue au souvenir de toute bonté pour des inconnus comme nous, pour que vous puissiez attendre de moi une lettre bien cohérente […] La miniature nous l’avons trouvé à Bombay. C’est peint à Delhi et on prétend qu’on ne peut plus en avoir. Le morceau d’ambre est de la rivière Simeto en Sicile […] Je vous montre naïvement le grand désir que j’ai de faire aller quelque chose, n’importe quoi, de moi à vous. La camélia et la fleur d’oranger sont arrivées très fraîches, suspendues en haut du coupé, dans le chapeau de mon mari […] Je ne sais comment cela s’est fait, mais il me semble que vous avez daigné nous aimer un peu, et me voilà déjà osant vous écrire amicalement. Peut-être avez-vous pensé à ‘Amore, Ch’a nullo amato amar perdona’ [La Divine Comédie, Dante, v. 103, chant V]. Voilà bien des mots et je n’ai rien dit. Je vous aime, de tout mon cœur […] Nous savons quelque chose de votre linéage par ce que vous nous en avez raconté dans l’Histoire de ma vie […] »

[VAN GOGH] BERNARD, Émile (1868-1941)

Les Hommes d’Aujourd’hui
Édition originale [1891], n°390, 4 pp. in-4°
Librairie Vanier, Paris 19 quai St Michel
En parfaite condition hormis quelques très légères rousseurs

Rarissime exemplaire original du numéro consacré à Van Gogh par son ami Émile Bernard


Le frontispice de ce numéro légendaire fut réalisé par Émile Bernard, ami proche du peintre maudit.
Il signe :
« Vincent
d’après un portrait
fait par lui »
Cette œuvre reprise par Bernard pourrait correspondre à deux autoportraits réalisés par le maître, tout deux intitulés Autoportrait au chapeau de paille et réalisés à l’été 1887. Le premier, très aboutit, est conservé au Detroit Institute of Arts (F526). Le second, moins riche en arrière plan mais tout aussi saisissant, est quant à lui conservé au Van Gogh Museum à Amsterdam (F469).

Emile Bernard fut l’un des rares à comprendre Van Gogh de son vivant, et ce dès leur première rencontre dans l’atelier de Cormon, puis chez le père Tanguy, leur marchand de couleur. Il dresse ici une courte et brillante nécrologie de son ami. Cette plaquette constitue l’un des premiers articles consacrés à l’artiste, et la première étape dans une campagne menée par Bernard pour promouvoir l’œuvre de son ami.

Les exemplaires de ce numéro légendaire sont d’une insigne rareté. Celui-ci, dans un état proche du neuf, n’en est que plus précieux.

DESBORDES-VALMORE, Marceline (1786-1859)

Lettre autographe signée « Marceline Valmore » à Claude-Charles Pierquin de Gembloux
[Paris], le 6 juin 1833, 3 pp. in-8°
Gaufrage à sec “WEYNEN” au coin supérieur droit du premier feuillet
Cachets postaux , bris de cachet avec tout petit manque n’affectant pas le texte
Petits trous sur les deux feuillets avec léger manque (sans atteinte au texte) sur le second
Ancienne trace de montage

Marceline Desbordes-Valmore déplore la déconvenue subie par son mari au théâtre de Rouen et en profite pour faire parvenir à son correspondant son recueil poétique Les Pleurs, tout juste paru chez Charpentier


« Si vous étiez d’une nature à cesser d’être bon, je serais encore plus triste de tout ce qui m’arrive, car vous pourriez être injuste sur moi.
Un ouragan théâtral a brisé en un quart d’heure l’engagement de Valmore. On joue aux dés, à Rouen seulement dans l’univers, la destinée d’un artiste au renouvellement de l’année qui commence en avril. Et c’est en mai que l’ouverture du théâtre vient de se faire. Après un an d’épreuve, de faveur, d’estime et souvent d’enthousiasme, deux ou trois juges de ce tribunal secret ont jeté l’avenir de trois ou quatre familles dans un bol de punch, et Valmore, son père, moi et ses enfants, nous étions, le lendemain, à la merci de la Providence. C’est horrible ! Renvoyés sans indemnité, sans dédit, du soir même où ces forcenés se sont mis à hurler contre leurs victimes. Il y a eu un soulèvement fort honorable mais inutile pour Valmore, de tout le public indigné qui le redemandait à grands cris. On a tout cassé. Il y a eu des siffleurs roulés aux pieds, on a jeté des fauteuils dans le parterre. C’était à faire mourir de peur.
L’arrière-scène était un honnête homme exilé avec sa famille. Je suis montée en voiture le soir même, pour chercher un asile à Paris. Mais ce qui devait être est arrivé. Plus de courage que de forces. Je suis encore au lit après de grandes souffrances, ou plutôt un état d’immobilité où j’ai végété la fièvre sans souvenir, sans idées précises de mon sort. M. Harel [Charles Jean Harel, directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin depuis 1832] nous a offert un coin que Valmore a accepté bien que les appointements soient encore modiques. Mais il espère L’augmenter bientôt. Nous prenons avec reconnaissance.
J’ai fait remettre par l’éditeur pour vous un volume des Pleurs à un libraire de Grenoble. Il vient de me dire tout à l’heure que le libraire est parti sans le volume et qu’il l’a mis à la poste. Vous le recevrez donc plutôt que ma lettre, vous et votre femme si indulgente. Lisez-le à travers votre amitié pour moi. Vous ne la donnerez à personne qui en soit plus digne, du moins par L’étrange malheur attaché à sa destinée. Il y a un côté lumineux et c’est vous qui l’avez éclairé pour mon cher Hippolyte. Quel bonheur de le sentir dans l’asile paisible et sur où vous l’avez placé ! Que puis-je vous dire de plus pour vous bien exprimer mon amitié pour vous. À toujours.
Marceline Valmore.
Si vous me répondez, que ce soit d’ici à dix jours à Rouen, où je retourne demain pour opérer tout ce déménagement, ou plus tard, chez M. Charpentier, éditeur-libraire, Palais-Royal, galerie d’Orléans, 20. »


Acteur et écrivain français, Prosper Valmore (1793-1881) est engagé par l’Odéon en 1819 où il reste deux ans avant de jouer à Lyon, Bordeaux et Rouen (1821-1833). Ses prestations ne sont pas toujours approuvées par le public rouennais. Brièvement de retour à Paris, il renonce à ravaler son talent aux seconds rôles à la Comédie-Française, et ce malgré l’insistance de ses amis et de sa femme Marceline. Il retourne finalement à Lyon pour renouer avec le succès et y tenir de nombreux premiers rôles.

Les Pleurs demeure le plus célèbre recueil de Marceline Desbordes-Valmore. Publié chez Charpentier en 1833, elle obtient de son ami Dumas père une préface synoptique la comparant à une harpe éolienne. Des poèmes tels La Jalouse, Le Songe ou Seule au rendez-vous figurent parmi les plus célébrés de son œuvre.

MOULIN, Jean (1899-1943)

Carte postale autographe signée « Jean » à sa mère « Madame A[ntoine] E[mile] Moulin», née Blanche Élisabeth Pègue, et sa sœur Laure Moulin
Megève, 6 février [1940], 1 p. in-12° (au verso d’une carte postale figurant la chapelle du Max enneigée, à Megève)
Enveloppe autographe jointe, timbrée et oblitérée (petites déchirures réparées au ruban adhésif)
Infime défaut au coin supérieure gauche du tirage de la carte postale

Très rare carte de Jean Moulin à sa famille, envoyée depuis Megève, quelques semaines seulement avant l’invasion allemande


« Chère maman, chère Laure,
Me voici depuis 48 heures à Megève, où, après une période de mauvais temps qui a duré 8 jours, j’ai eu de la chance de trouver du soleil.
La plupart des hôtels sont ouverts et il y a pas mal de monde. Il est vrai qu’il y a un centre de ski pour les aviateurs et énormément de permissionnaires.
Ces deux jours passés au bon air m’ont fait le plus grand bien et je me sens maintenant en pleine forme physique.
Je compte rester toute la semaine et si tout va bien être à Montpellier lundi soir.
Bon baiser à toutes deux.
Jean »


Nommé un an plus tôt préfet d’Eure-et-Loir, Jean Moulin avait entre-temps demandé à être dégagé de ses fonctions depuis la déclaration de guerre du 1er septembre 1939. Ainsi qu’il l’écrivait : « ma place n’est point à l’arrière, à la tête d’un département essentiellement rural » (Jean Moulin : mémoires d’un homme sans voix, éd. F. Zamponi, N. Bouveret et D. Allary, Éditions du Chêne, p. 72). Il se porte candidat à l’école des mitrailleurs, allant à l’encontre de la décision du ministère de l’Intérieur. Il est toutefois déclaré inapte pour un problème de vue, au lendemain de sa visite médicale d’incorporation, le 10 décembre 1939. Moulin exige une contre-visite à Tours où il est cette fois déclaré apte. Le ministère de l’Intérieur oblige néanmoins la future icône de la Résistance à reprendre immédiatement son poste de préfet, d’où il s’emploie, dans des conditions difficiles, à assurer la sécurité de la population.
On connaît une lettre envoyée à sa famille du 25 janvier où Moulin annonce prendre quelques jours de congés après avoir contracté une vilaine grippe : « J’ai demandé quelques jours de congés pour aller me reposer en Haute-Savoie. Les congés viennent en effet d’être rétablis pour ceux qui n’ont pu avoir leurs congés réguliers en 1939 […] Si tout va bien, je compte partir à la fin de la semaine prochaine pour Megève […] Je vous donnerai mon adresse avant de partir, mais je crois bien que je descendrai dans une pension qui s’appelle “Sunny home”. »

On joint :

Le légendaire portrait du résistant par son ami Marcel Bernard, réalisé au cours de l’hiver 1939, à Montpellier, en contrebas du château du Peyrou

Épreuve argentique – tirage postérieur sur papier Agfa Portriga Rapid (17×11 cm)
Très fine marge blanche sur les quatre tranches
Parfait état.
« Il profite de ces quelques jours dans l’Hérault pour faire venir de Béziers son cher ami d’enfance, Marcel Bernard. Celui – ci, qui n’a pas oublié sa caméra, fait de lui, dans le jardin du Peyrou, ce beau portrait où Jean, debout contre une arche de l’aqueduc, porte un feutre mou et un cache – nez, et qui est l’image même du Résistant. »
(Jean Moulin, éd. Laure Moulin, Presse de la Cité, Paris, 1969, p. 217.)

PICASSO, Pablo (1881-1973)

Lettre autographe signée « Picasso » à Max Pellequer
[Château de] Vauvenargues, « le 24.[0]6.[19]59 », 1 p. in-8° au crayon gras de couleur bleue
Parfait état de conservation

Affectueuse lettre du maître à son ami et collectionneur Max Pellequer


« Mon cher Max,
Vous venez de partir ce matin et déjà je vous embête de nouveau (voir ma lettre des contributions que je reçois). Encore bien des amitiés de nous deux [allusion à sa compagne Jacqueline Roque qu’il épouse en 1961] pour vous deux. Picasso »


Banquier et amateur d’art avisé, Max Pellequer rassemble dès les années 20 une considérable collection d’œuvres modernistes. Il épouse en 1920 Francine Level, nièce du marchand et homme d’affaires André Level. C’est par l’intermédiaire de ce dernier qu’il fait la connaissance de Picasso, en 1914. Cette rencontre marque la genèse d’une indéfectible amitié entre les deux hommes. Pellequer devient l’un des plus proches intimes de l’artiste, mais aussi son banquier et conseiller financier. Durant plus de 30 ans, il acquiert auprès de Picasso une incroyable collection de peintures et sculptures. La relation épistolaire qu’il entretiennent toutes ces années durant nous permet de prendre la mesure des liens qui unissaient les deux hommes.
Toujours avec l’aide précieuse de son ami Max, Picasso fait l’acquisition d’un château du XIVe siècle en 1958, à Vauvenargues, près d’Aix en Provence, au pied de la montagne Sainte-Victoire. Il l’occupe par intermittence entre 1959 et 1962. À ce sujet, il déclare à Danier-Henry Kahnweiler : « J’ai acheté la Sainte-Victoire de Cézanne. Laquelle ? La vraie ». C’est dans le parc de cette même propriété que le peintre sera inhumé dans une ambiance délétère, le 10 avril 1973.

[MALLARMÉ] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Les Hommes d’Aujourd’hui
Édition originale [1885], n°296, 4 pp. in-4°
Librairie Vanier, n°244 – Paris 19 quai St Michel
Très légères effrangures au marges, petites insolations, sinon bel état et beaux contrastes

Très rare exemplaire d’épreuve de ce légendaire numéro des Hommes d’aujourd’hui, figurant Mallarmé en faune nimbé, une flûte de pan entre les mains


Le frontispice de ce célèbre numéro fut réalisé par l’artiste Luque, à qui l’on fit également appel pour l’exemplaire nom moins célèbre consacré à Rimbaud (n°318). Verlaine, qui un an plus tôt avait fait le portrait de son ami Mallarmé dans sa première édition des Poètes maudits, est en charge de la prose pour ce numéro qu’il réalise avec brio.
Si le dessin de Luque, figurant l’auteur de L’Après-midi d’un faune dans la « peau » du personage de l’un de ses plus célèbres poèmes peut sembler séduisante, on sait toutefois qu’elle mécontentera vivement Mallarmé à sa parution. Ce dernier s’était initialement vu proposé l’artiste Estopey par Verlaine pour l’illustration du numéro, mais le projet n’eut pas de suite.

SULLY PRUDHOMME (1839-1907)

Poème autographe signée « Sully Prudhomme »
S.l.n.d, 1 p. in-8° sur papier vergé
Légère décharge d’encre sur la partie inférieure du feuillet témoignant d’un pliage de Sully Prudhomme alors que l’encre n’était pas encore sèche.
Annotation « 41 » d’une autre main au coin supérieur gauche
Ancienne trace de montage sur onglet au verso
Filigrane « Imperial treasure »

Rare et précieux manuscrit de son poème Ici-bas, demeuré l’un de ses plus célèbres, issu de son recueil de jeunesse Stances et Poèmes


« Ici-bas tous les lilas meurent,
Tous les chants des oiseaux sont courts,
Je rêve aux étés qui demeurent
Toujours…

Ici-bas les lèvres effleurent
Sans rien laisser de leur velours,
Je rêve aux baisers qui demeurent
Toujours…

Ici-bas, tous les hommes pleurent
Leurs amitiés ou leurs amours ;
Je rêve aux couples qui demeurent
Toujours…

Sully Prudhomme »


Ce poème est, avec Le vase brisé, l’un des plus célébrés de Sully Prudhomme. Tous deux issus Stances et Poèmes (loué en son temps par Sainte-Beuve), ce premier recueil permet au futur lauréat du prix Nobel de littérature de lancer sa carrière. S’inscrivant dans la pure lignée parnassienne aux côtés de Banville, Villiers de L’Isle-Adam ou encore José-Maria de Heredia, Sully Prudhomme trouve en la personne d’Alphonse Lemerre l’indispensable appui pour cette première publication. Ce dernier fera paraître, l’année suivante, en 1866, le premier des trois volumes du Parnasse contemporain, auquel le jeune poète participera activement.
Composé de trois quatrains hétérométriques en octosyllabe à rimes croisées, la métrique du vers ici employée par le poète laisse apparaître quelques agréables innovations que l’on peut retrouver par ailleurs chez certains de ses camarades parnassiens. On peut en outre apprécier l’harmonie du poème dans son ensemble, le rendant très touchant par la solennité du ton utilisé, renforcé par sa formule anaphorique en fin de chaque strophe.
Ici-bas a été mis en musique par Gabriel Fauré dans une partition pour piano et chant pour ténor ou soprano. La mélodie en fa dièse est dédiée à Madame G. Lecoq. Elle fut créée à Paris le 12 décembre 1874.

VALLÈS, Jules (1832-1885)

Lettre autographe signée « J.V. » à Aurélien Scholl
[Londres], 29 8bre [octobre] [18]77, 6 pp. in-8° à l’encre brune d’une écriture très serrée
Papier vergé, filigrane « Ivorite »
Quelques ratures et décharges d’encre de la main de Vallès

Éloigné et désabusé de la politique française, Vallès livre dans une longue et superbe lettre entièrement inédite ses ambitions éditoriales pour sa trilogie autobiographique


Nous n’en transcrivons ici que quelques fragments

« Mon cher ami,
L’avenir est aux flegmatiques, comme disait Napoléon. C’est vrai quand il s’agit des prétendants. C’est faux quand il s’agit des députés – et il faut à un moment que, sous la pluie, dans l’orage, on entende le tonnerre de Mirabeau. On ne l’entendra plus. Le parlementarisme a les poches trop pleines et la tête trop vide. Si l’on ose poinçonner du bout des bayonettes l’or qui fait hernie dans ces gros ventres, c’en est fait de la troiscent-soixantroisade¹.  À travers la brume infinie de Londres j’entrevois Paris se saignant sous la mollesse de son ciel bleu, et je vois les caporaux se disputant à travers les rues les testons du parlement, les magots de la légalité. Qui osera le Coup d’état […]
Devant les reculades du grand suffrage, devant la tactique asinique de l’opportunisme, à la veille d’un 2 décembre [allusion au Coup d’État de Napoléon III du 2 décembre 1851] du plus déshonorant que le premier, ou en face d’une bourgeoisie aussi anti-socialiste que le 2 décembre, je songe à laisser dormir mes espoirs politiques, et à retourner en plein à mon métier. Je vous écris sous le coup de cette violation douloureuse.
Un éditeur – qui ne l’est plus – devait se trouver à Londres il y a quatre jours. Il m’a apporté l’odeur des librairies et a essayé de me griser avec. Il m’a soutenu que je réussirais maintenant comme romancier. Sacrebleu, je pense depuis longtemps à m’enfermer face à face avec ce que j’ai vu, pour le photographier à la lumière fauve de mon temps, et je ne demanderai qu’à tirer sur l’ennemi à travers un livre, qui s’évanouirait comme la broussaille d’Afrique derrière laquelle l’Arabe murmurerait « chien de français ! » et épaulait pour tuer les sentinelles. Je ferais feu abrité par le sentiment, sous le déguisement de la passion ou de l’ironie. Mais j’ai dû vous écrire cela vingt fois ! Parlons sur un ton moins inspiré et en mettant les points sur les i.
Durand n’a pas paru trouver que j’étais trop téméraire en pensant à la combinaison suivante :  à faire un traité avec Charpentier [éditeur entre autres de Zola et Maupassant] par exemple ; par lequel il s’engagerait à me fournir des provisions pendant un temps nécessaire à bâtir mon œuvre, à finir mes Misérables.
J’ai le plan, l’étoffe d’un grand roman en trois parties à peu près distinctes, qui représenterait l’histoire des grotesques et des héros, des hardis de l’idée ou du crime depuis 48. 1ère partie 48 jusqu’à 51. 2ème (plus longue) 51 jusqu’à 70. Dernière 70 jusqu’au 28 mai 1871 […] Le bouquin vaudrait dix fois l’avance faite, s’il avait du succès – que dis-je : vingt fois, quarante fois ! […] Il serait bien fait.
Je compte que j’écrirais cinq volumes [Charpentier le convaincra d’en écrire trois au lieu de cinq] – lesquels sont déjà tous armés et en ligne dans mon cerveau et mes papiers.
J’ai donc recours à votre expérience et je fais appel à votre camaraderie pour avoir votre avis et aussi votre appui. Je vais écrire à Goncourt et à Zola […]. Vous avez vu [Maurice] Dreyfous pour La Rue à Londres, n’est-ce pas ? Voulez-vous le voir pour ce grand roman ? Je n’écrirai à Zola ou de Goncourt qu’après votre réponse. Écrivez-le promptement, mon cher Scholl, car je vais à la dérive, et n’attendez pas qu’il fasse encore plus mauvais pour le proscrit ! Vous voyez bien ce que je rêve. Vous sentez bien l’avantage qu’y trouverait un éditeur capable d’envoyer 3 ou 400 francs par mois contre copie. Tout est là. On m’a dit que Charpentier avait agi ainsi avec Zola. Est-ce vrai ?
Je ne vous parle donc ni de roman ni d’article à l’Évènement, poussés par vous et publiables un de ces jours. Cette idée m’absorbe […] Vous m’avez traité en camarade. Je vous demande en camarade un conseil, et s’il le faut le secours d’une recommandation. [Hector] Malot qui a été pour moi d’une obligeance et d’un dévouement à toute épreuve vient de me répondre à ce sujet. Mais il ne connaît pas la place. Édité qu’il est par un autre – et d’ailleurs, il est absorbé par la maladie de sa femme. […]
Je vous tends cordialement la main. Mettez une perche, image d’une poignée de main au-dessus de la Manche au bout de la votre !
J.V. […] »


1- Allusion au Manifeste des 363. La déclaration est dressée au président de la République Patrice de Mac Mahon le 18 mai 1877 par les députés républicains, opposés à la politique qu’il mène et à l’instauration du monarchiste duc de Broglie à la présidence du Conseil, alors même que la majorité de la Chambre est républicaine. Le texte qui a été rédigé par un ami de Gambetta, Eugène Spuller, reçoit trois cent soixante-trois signatures.

Menacé en 1871 pour avoir appartenu à la minorité du conseil de la Commune (opposée à la dictature d’un comité de Salut public), Vallès prend la fuite vers Lausanne. Il est ensuite condamné à la peine de mort par contumace le 14 juillet 1872 par le 6ᵉ conseil de guerre. Ayant trouvé refuge à Londres depuis 1875, le journaliste-communard commence à cette époque la rédaction du premier volume de sa trilogie Jacques Vingtras : L’Enfant.
À mi-chemin entre un roman autobiographique et social, Jacques Vingrat est l’ « histoire d’une génération sacrifiée, vaincue en juin 1848, humiliée le 2 décembre 1851 puis écrasée en mai 1871 [semaine sanglante] ». Contournant la censure et s’inventant un double, Vallès créé un roman original et polémique.
L’enfant paraît pour la première fois en feuilletons dans le quotidien Le Siècle du 28 juin au 5 août 1878 sous le pseudonyme de La Chaussade. Les démarches de Vallès auprès de Georges Charpentier porteront leurs fruits puisque l’éditeur fait paraître cette première partie en volume en 1879. Suivront les deux autres tomes de la trilogie : Le Bachelier (publié sous le titre Mémoires d’un révolté) et L’Insurgé, publiés eux aussi par Charpentier, respectivement en 1881 et 1886 (à titre posthume).
Le journaliste proscrit va trouver auprès d’Aurélien Scholl une aide précieuse pendant ses douloureuses années d’exil.
Les deux hommes, qui se sont rencontrés dans les bureaux du journal La Nymphe autour de 1854, appartiennent à la même génération, les Quarante-huitard. À cette époque, Scholl est déjà un journaliste connu, apprécié pour sa plume souvent ironique. Ils fréquentent les même cafés, publicistes, artistes et caricaturistes de l’époque : Courbet, Daudet, Carjat etc. Ils font ensemble leurs armes au Figaro et ne se quittent plus, jusqu’à la défaite sanglante de la Commune de Paris.

Dans l’édition 1970 des EFR/Livre club Diderot, une lettre adressée à Hector Malot en date du 6 novembre 1877 évoque notre lettre : « J’ai écrit après votre lettre à Scholl qui avait offert mon volume la Rue à Londres à Dreyfous, lequel s’est offert à la publier à la première éclaircie…»
Maurice Dreyfous, essayiste éditeur, repreneur de la maison Charpentier.

PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Poème autographe : « Chant funèbre d’un représentant »
Adressé à Maurice Saillet, de la revue littéraire Les Lettres nouvelles
[Saint-Paul-de-Vence, 14 avril 1953], 4 p. in-plano à l’encre noire (25 x 43,7 cm), chacune paginée
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée (28,5 x 22,5 cm)
Jacques Prévert a inscrit son nom et son adresse au dos de l’enveloppe
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli d’origine
Plusieurs caviardages et corrections inédits de la main de Prévert
Quelques annotations typographiques (de la main de Maurice Saillet ?)

Long et magnifique poème au format spectaculaire paru dans son recueil La Pluie & le Beau Temps

Manuscrit ayant servi à la première publication en mai 1953 dans Les Lettres nouvelles


« Mouvement des navires
mouvement des marées

Tu t’étais fait attendre
pendant des jours entiers
A la porte du Sept
le garçon a frappé
il m’a donné la lettre
et puis tout a tourné

Mouvement des navires
mouvement des marées

J’avais le mal de mort
et sans même en mourir
comme d’autres le mal de mer
sans pouvoir le vomir
Rien qu’en voyant l’enveloppe
j’avais tout deviné
dans la lettre de ta sœur
ton sort était marqué

Mouvement des navires
mouvement des marées

Alors je suis sorti
sans même me laver
et puis j’ai remonté
la rue de la Gaîté
et dans l’avenue du Maine
j’ai pris un verre de rhum
et le patron m’a dit
histoire de rigoler
Le petit verre du condamné
Il ne croyait pas si bien dire
cet homme qui savait rire

Mouvement des marées
mouvement des navires

A la gare Montparnasse
la gare que tu aimais
j’ai pris un ticket de quai
Je suis resté longtemps
à errer dans la gare
et je ne pensais qu’à ta vie

Mouvement des navires
mouvement des marées

Colliers de coquillages
bals de Vaugirard et de Saint-Guénolé
et le pas de tes pieds
sur le sable mouillé
toujours je l’entendais
et les quais étaient balayés
à intervalles réguliers
par les feux du phare de Penmarch

Mouvement des navires
mouvement des marées

Ton sort c’était hier
le mien c’est pour demain
et ta robe neuve et rouge
quand tu l’enlevais
jamais je n’oublierai
tout ce que tu disais
toi qui souriais toujours
comme seul sourit l’amour
Tu vois c’est le rideau d’un théâtre
et j’espère que toujours le spectacle te plaira
quand le rideau se lèvera

Mouvement des navires
mouvement des marées

Fraises de Plougastel
crêpes de sarrasin
hier c’était hier
oh que serai-je demain

Mouvement des navires
mouvement des marées

Oh je ne vendrai plus
des souvenirs de vacances
des boîtes en coquillages
et des coquilles Saint-Jacques
le paysage dedans
Je vendrai des vieux sacs
je vendrai des cure-dents
horaire itinéraire
Finistère Finistère
tout ça c’est déchiré

Mouvement des navires
mouvement des marées. »


Ce poème est à rapprocher de « Sous le soc… », paru dans le même recueil (p. 58), avec lequel il présente quelques détails communs. Le narrateur, séparé de celle qu’il aime, se souvient avec nostalgie de leur passé. Si la femme semble décédée dans « Chant funèbre d’un représentant », la disparition de celle-ci semble plus énigmatique dans « Sous le soc… » Le narrateur n’oubliera jamais les paroles de sa bien-aimée au moment où celle-ci enlevait sa robe rouge, il n’oublie pas non plus Saint-Guénolé, un phare, le Finistère, hauts symboles bretons si chers au poète.

Manuscrit demeuré inconnu à Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster pour les Œuvres complètes à la bibliothèque de la Pléiade
Trois variantes sont à observer entre le texte publié dans Les Lettres nouvelles et la version reprise dans le recueil La Pluie & le Beau Temps, qui parait le 16 juin 1955.
Ainsi, les vers du quatrième distique (n° 32 et 33) sont inversés dans la première publication de 1953 :
« Mouvement des marées
Mouvement des navires »
Une incise du même distique est présente entre les vers 36 et 37 : « J’ai pris un ticket de quai » et « Je suis resté longtemps ».
Enfin, aux vers 76 et 77, « Je vendrai des moulages » « Je vendrai des cure-dents » devient « Je vendrai des vieux sacs » « Je vendrai des cure-dents ».

Maurice Saillet (1914-1990) fait ses débuts comme libraire auprès d’Adrienne Monnier à La Maison des amis des livres, située 7, rue de l’Odéon à Paris. Après avoir été contributeur à la revue K (1948), Saillet cofonde en 1953 la revue littéraire Les Lettres nouvelles avec Maurice Nadeau. On peut supposer que ce dernier, proche de Prévert depuis les années 1930, a bénéficié du généreux concours de son ami poète pour le lancement de la revue. Les Lettres nouvelles devient en 1977 la maison d’édition de Nadeau qu’il dirige jusqu’à sa mort en 2013.

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Deux manuscrits autographes (fragments) pour « L’Engagement de Mallarmé »
S.l, [1952], 2 p. in-4° à l’encre bleue sur papier quadrillé
Plusieurs repentirs de la main de Sartre
Marge supérieure effrangée sur l’un des feuillets (sans atteinte au texte)

Ensemble de deux textes préparatoires inédits et de premier jet pour l’ouverture de son essai « L’engagement de Mallarmé », resté inachevé


Nous transcrivons ici l’un des deux feuillets :

« Ténébreux, debout en sa torsion de sirène ; autrement dit, Hamlet, ‘prince amer de l’écueil’, seigneur latent qui ne peut devenir, ou tout simplement Stéphane Mallarmé.
C’est que l’Europe, vers le même moment, avait appris une stupéfiante nouvelle, aujourd’hui contestée par quelques-uns : ‘Dieu mort. Stop. Intestat’.
À l’ouverture de la succession, ce fut la panique ; la bourgeoisie crut disparaître : Dieu mort, reste des hasards bousculés, l’homme en est un, il perd le statut de faveur que lui garantissait la Divine volonté. Adieu la création dont il était le roi : voici reparaître la Nature. La Nature détestée de 93. On commence à chuchoter que l’humanité n’est qu’une espèce : sur quoi va-t-on fonder l’ordre social. Une partie des classes dirigeantes tente de remplacer le Grand Mort par un manichéisme : la distinction ou refus radical de la nature ; une autre préfère recourir au réalisme. Mais l’existence d’une classe ouvrière en voie d’organisation se reconnaît à la présence d’un fort courant matérialiste. En économie, en philosophie l’esprit d’analyse triomphe : Dieu, c’était la dernière synthèse, le tout produisant et gouvernant des parties. Après lui, l’univers se disloque en atomes. Mode transitoire et fini d’une aveugle matière. L’être humain doit perdre tout espoir de se distinguer des autres combinaisons moléculaires à moins de produire par lui seul des effets que la nature ne produit pas, c’est-à-dire des synthèses irréductibles. Créature ou créateur, il n’y a pas d’autre choix. Malgré l’absurde légende qu’ont répandu les survivants du Christianisme, l’athéisme fit des débuts modestes et c’est tout juste s’il ne s’annonça pas par une épidémie de suicides. Nos pères, acculés à faire leurs preuves ou à disparaître, ont recueilli l’héritage divin avec beaucoup d’hésitation… »


Nourri d’une grande admiration pour Mallarmé, Sartre esquisse une première étude sur le poète en 1947, puis la reprend en 1952. Resté inachevé, le texte est d’abord publié dans la revue Obliques en 1979, puis par Gallimard, en 1986. On observe dans ces deux feuillets préparatoires inédits que le paragraphe d’ouverture de l’essai publié en 1986 est extrait d’un mouvement nettement plus ample.
En 1960, Sartre confiait à Madeleine Chapsal sa « sympathie » pour Mallarmé et Genet, « l’un et l’autre engagés consciemment […] Mallarmé devait être très différent de l’image qu’on a donnée de lui. C’est notre plus grand poète. Un passionné, un furieux. Et maître de lui jusqu’à pouvoir se tuer par un simple mouvement de la glotte !… Son engagement me paraît aussi total que possible : social autant que poétique »

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Manuscrit autographe (fragments)
S.l, [c. fin 1953 – mars 1954], 6 p. in-4° sur papier quadrillé, à l’encre noire
Plusieurs ratures et caviardages de la main de Sartre
Très petit manque au coin inférieur droit du premier feuillet sans atteinte au texte, infimes déchirures marginales, légères brunissures

Important manuscrit préparatoire pour la troisième partie des « Communistes et la paix » – Sartre analyse en profondeur le monde paysan, l’histoire de l’exode rural et ses causes

« Dans les campagnes, c’est Dieu qui donne les enfants. Ou le Diable. L’homme peut déflorer la fécondité de sa compagne mais sans voir le moyen de la limiter. Résultat : trop de bouches à nourrir »

Provenant de la collection B. & R. Broca


De nombreuses variantes sont à observer entre le présent manuscrit de travail  – demeuré inédit – et le texte publié. Nous ne transcrivons ici que quelques fragments :

[Feuillets n° 1 à 3]
« En France, sous les beaux noms dont on la couvre, vous retrouverez la même opération. La ville, nous dit-on, attire le paysan, elle le fascine
[…] l’agriculture manque de bras ; certains ministres ont tenté de réagir, M. Méline [Jules Méline (1838-1925), défenseur du monde agricole, plusieurs fois ministre, met en place en 1892 des mesures protectionnistes pour les produits agricoles] fut l’un de ceux-là et René Bazin se fit son Virgile [allusion à son roman Ainsi la terre meurt, publié en 1898]. Sous la poésie des blés qui lèvent et des terres qui meurent, vous retrouvez le mécanisme de la pensée bourgeoise et sa vision atomistique du monde social. La ville : une grosse masse, le paysan : un corpuscule. Tout se passe entre eux très proprement, d’ailleurs, et sous les auspices de Newton. Chaque force agissant comme si elle était seule, le paysan est isolé en face de la cité : les 840.000 émigrants ruraux de 1880 ont été victimes de 840.000 petites observations singulières : les effets souverains de ce déplacement n’ont été ni prévus ni voulus par personne. Surtout pas par l’industriel. Bref l’exode rural est un mouvement de masse, le résultat des danses solitaires de milliers de molécules aux destins identiques qui vont s’agréger aux agglomérations industrielles. Un seul coupable mais répété à 840.000 exemplaires : l’homme des champs lui-même qui, trop ignorant de son bonheur, choisit à ses risques et périls la condition ouvrière. Le pieux mensonge traduit des troubles de conscience : car enfin, chacun sait que le paysan (sauf, peut-être, depuis 1920) n’est pas attiré par la ville : on le pousse dans le dos jusqu’à l’y faire entrer.
Dans les campagnes, c’est Dieu qui donne les enfants. Ou le Diable. L’homme peut déflorer la fécondité de sa compagne mais sans voir le moyen de la limiter. Résultat : trop de bouches à nourrir. Une émigration chronique, dans l’Ancien Régime, équilibrant tant bien que mal l’excédent de population, mais elle alimenterait rarement l’industrie. Le cas des Bretons est typique : personne n’émigre plus qu’eux et depuis des siècles. Pourtant, arrivé dans les villes, il garde sa mentalité de primitif, qui le rend inapte à la spéculation du travail… […] Si le paysan était attiré par les villes, l’émigration serait continue. Ou, du moins, pourrait-on faire coïncider ses plus grandes poussées avec quelque victoire ouvrière. Ici rien de tel : cet exode intermittent ne peut s’expliquer ni par les charmes de la vie urbaine, ni par une surpopulation chronique ni même par l’émiettement de la terre. C’est la misère qui chasse l’homme des champs vers l’usine. Et cette misère est provoquée.
Sous l’ancien régime, de plus, le paysan est la victime élue de l’industrie. Mais ce n’est pas lui qui se déplace, c’est l’industriel qui va le récolter dans son village.
[Renvoi en pied de page :]
1/ c’est peut-être le cas après 1936. On a dit en effet que la reprise de l’exode rural était provoquée par la loi des quarante heures.

[…] Pas d’atelier, pas de fabrique : chacun travaille chez soi. Un commis du patron va faire visite au campagnard, lui remet la matière première et lui prête les outils ; il revient à date fixe, paye le travail effectué, emporte le produit fini et va le vendre au marché.
Vous l’avez deviné : c’est une combine. Personne ne s’en cache d’ailleurs et le gouvernement la favorise ; il s’agit de tourner les règlements corporatifs. En somme l’inexpérience s’adresse de préférence aux paysans parce qu’ils ne sont pas protégés : il reste donc libre de fixer lui-même le salaire, les conditions de travail et les prix
[…] Le but avoué de l’industriel est de briser une vieille institution organique – qui, en dépit de sa routine et de son particularisme, visait à défendre les intérêts du consommateur et du producteur – et d’empêcher, du même coup, la naissance d’une association nouvelle. La solitude de l’ouvrier en face du patron, vous voyez bien que ce n’est pas le simple jeu des forces économiques qui l’a produite : le patron l’a inventée, il a été chercher sa victime à domicile et il a créé une espèce spéciale de travailleurs […] Cet étrange personnage, demi-cultivateur et demi-ouvrier, tire ses revenus essentiels de la terre, il reste intègre à la famille, à la communauté féodale. Et, en même temps, sans même s’en apercevoir il inaugure des rapports neufs avec ses camarades de travail, qu’il ne voit jamais et son employeur qu’il ignore : les rapports de pure indifférence. […] »

[Feuillet n° 4]
« Le coup ne réussit qu’avec des sujets préparés : il faut des siècles d’industrie dispersée pour mettre le paysan dans l’état souhaitable : à partir de là une chiquenaude suffit à le détacher de son milieu rural. Pour les autres, pour ceux qui vivent exclusivement de la terre et qui, par conséquent, sont moins dépendants et moins pauvres, on a mis sur pied des opérations plus complexes. Ceux-là, il faut les ruiner, on s’attaque donc, cette fois, à la structure économique et sociale du paysannat. Les anglais, une fois de plus, donnent l’exemple […] : Les gueux, jetés par milliers sur les routes, cueillis par les gendarmes, enfermés dans les workhouses. Un mouvement plus sournois mais de même nature se développe, en France, de 1750 à 1850. En France aussi la communauté paysanne a ses pauvres et elle s’est organisée pour leur permettre de vivre : par les communaux, la vaine pâture, la glane. Cela revient à concéder aux indigents des droits sur la communauté entière : de fait le statut de la propriété demeure en partie féodal : il ne s’agit pas encore tout à fait de la possession absolue d’une chose par un homme mais d’un système extraordinairement complexe de relations entre les hommes à propos d’une chose. C’est ce système qu’il s’agit de briser. Au siècle précédent l’entrepreneur cherchait à la campagne des travailleurs qui échappèrent aux règlements tutélaires des corporations ; à présent c’est les traditions protectrices de la vie rural qu’il veut liquider. Le moyen est simple : puisqu’on veut transformer les rapports humains des pauvres et des riches en simple relation d’indifférence, c’est-à-dire en voisinage inerte de choses. »

[Feuillet n°5]
« Il faut amener l’homme à se définir par les choses, donc achever de liquider la propriété féodale et la remplacer par la propriété bourgeoise. Dès 1791, le droit des pauvres est aboli : les propriétaires peuvent à leur gré enclore et lotir les communaux. Naturellement les paysans riches seront complices. Les pauvres luttent assez efficacement au début et, pendant la Révolution, la loi de 91 reste lettre morte. Mais l’alliance des riches propriétaires et des bourgeois des villes finit par porter ses fruits : en 1850, les communaux ont entièrement disparu : et c’est la concentration des terres qui, vers la même époque, chasse les Picards vers les mines du Nord. D’autant plus que la transformation de la propriété entame une transformation de la culture. »

[Feuillet n°6]
« […] La bourgeoisie Européenne avait créé l’industrie du Nouveau Monde, celui-ci lui renvoie, en échange, des denrées alimentaires à bon marché. Les fermiers sont coincés : la hausse des prix est impossible ; mieux : même aux prix des bonnes années, leurs blés ne trouveraient pas preneurs. Vous dites que c’est une conséquence aveugle et nécessaire du progrès. Regardez-y mieux ; prenez, par exemple, le cas de l’Angleterre. Les Anglais, plus naïfs ou plus durs, nous éclairent toujours sur les manœuvres des français : ils font les mêmes et ils les appellent par leur nom […] Et puis, à part ça, la bourgeoisie ne voyait que des avantages à la baisse des prix : les masses se tenaient tranquilles, on avait pas besoin d’élever les salaires et l’exode rural accroissait l’offre de main d’œuvre. Bref, l’industrie refusait la solidarité nationale et entendait n’avoir que des rapports de pure indifférence avec les travailleurs agricoles : avant même de les recueillir et de les diriger par particules discrètes, elle les traitait intentionnellement comme des masses. En France, l’opération fut freinée : les fermiers sont plus nombreux et plus puissants, ils imposèrent des mesures perfectionnistes […] »


L’époque à laquelle Sartre rédige « Les Communistes et la paix » marque le point d’orgue de compagnonnage du philosophe avec le PCF. L’article, publié dans la revue Les Temps modernes en avril 1954, s’inscrit dans une série, depuis 1952, dans laquelle Sartre fait l’apologie du Parti communiste. Ces mêmes articles sont par ailleurs à l’origine de la rupture, en juillet 1953, entre Sartre et Merleau-Ponty (lui-même membre du comité directeur des Temps modernes). Alors que Sartre prône la réaction sans délais aux événements, au détriment parfois de la réflexion, Merleau-Ponty revendique quant à lui la prudence et une analyse philosophique de fond, au détriment parfois de l’action.
Sartre finit par rompre définitivement avec le Parti communiste français en 1956 après l’écrasement de l’insurrection de Budapest, sans pourtant renoncer à ses idéaux socialistes ni à ses amitiés avec les communistes d’autres pays, notamment polonais et italiens.

Le présent manuscrit se rattache à la troisième partie des « Communistes et la paix ». Si les trois premiers feuillets (dont le début et la fin manquent) forment séquence, les trois suivants sont quant à eux isolés. La thématique abordée, celle de l’histoire du monde rural opprimé par la bourgeoisie à travers les siècles, reste toutefois la même pour l’ensemble du corpus. La publication en avril 1954 dans le n° 101 des Temps modernes permet en conséquence de dater avec quasi-certitude ces feuillets entre la fin de l’année 1953 et mars 1954.

ARAGON, Louis (1897-1982)

Poème autographe signé « Aragon » : « Zone libre »
[Paris], 25 janvier [1945], 2 p. in-4°
Restaurations, petites taches, trace de trombone sur la seconde page, pliures

Aragon recopie « Zone libre » au verso d’une lettre, bouleversant poème de Résistance qu’il compose à Carcassonne en septembre 1940, quelques semaines seulement après l’invasion allemande


« Fading de la tristesse oubli
Le bruit du cœur brisé faiblit
Et la cendre blanchit la braise
J’ai bu l’été comme un vin doux
J’ai rêvé pendant ce mois d’août
Dans un château rose en Corrèze

Qu’était-ce qui faisait soudain
Un sanglot lourd dans le jardin
Un sourd reproche dans la brise
Ah ne m’éveillez pas trop tôt
Rien qu’un instant de bel canto
Le désespoir démobilise

Il m’avait un instant semblé
Entendre au milieu des blés
Confusément le bruit des armes
D’où me venait ce grand chagrin
Ni l’œillet ni le romarin
N’ont gardé le parfum des larmes

J’ai perdu je ne sais comment
Le noir secret de mon tourment
À son tour l’ombre se démembre
Je cherchais à n’en plus finir
Cette douleur sans souvenir
Quand parut l’aube de septembre

Mon amour j’étais dans tes bras
Au-dehors quelqu’un murmura
Une vieille chanson de France
Mon mal enfin s’est reconnu
Et son refrain comme un pied nu
Troubla l’eau verte du silence

Aragon
Septembre 1940 »


Ce célèbre poème témoigne du génie poétique d’Aragon mêlant la douceur mélancolique des amours perdues aux sentiments de désespoir des années de guerre. Par un cri de l’âme pour la patrie, ces vers demeurent parmi les plus emblématiques de ces heures sombres que traverse alors la France au début de l’occupation.
Au mois de mai 1940, la débâcle des armées françaises forcent l’unité du soldat Aragon à reculer devant l’attaque allemande. Le poète fuit la Belgique pour rejoindre Dunkerque, où il embarque en catastrophe le 1er juin pour l’Angleterre. De retour en France au mois de juillet, après d’autres combats, Aragon parvient à rejoindre son épouse Elsa Triolet à Javerlhac en Dordogne. Démobilisé le 31 juillet alors qu’il se trouve en Périgord, il se réfugie avec Elsa chez Renaud de Jouvenel, qui possède le château de Castel Novel à Varetz près de Brive-la-Gaillarde. Aragon évoque, dans la première strophe, les jours heureux passés dans ce havre de paix :

« J’ai bu l’été comme un vin doux
J’ai rêvé pendant ce mois d’août
Dans un château rose en Corrèze
»

Le couple doit cependant poursuivre sa route et quitter le château de Varetz. Ils retrouvent au début de septembre 1940 Joë Bousquet et Jean Paulhan, à Carcassonne, qui leur présente Pierre Seghers. C’est toujours à Carcassonne que le poète compose « Zone libre ». Ainsi se définit son engagement patriotique un an à peine après le début de la guerre. Ce séjour dans la cité fortifiée (où il reste jusqu’en décembre) permet à Aragon de retrouver « une figure humaine », comme il l’explique dans une lettre à Georges Besson, le 20 décembre 1940 : « car la Belgique, les Flandres, Dunkerque et après passage en Angleterre et la campagne de France de la basse Seine à la Dordogne, ça vous met par terre un type de quarante-trois piges qui a un foie, et depuis Dunkerque, un cœur en compote »

Disposé en cinq sizains, le présent poème de structure octosyllabique se compose de rimes suivies sur chacun des deux premiers vers, puis en rimes embrassées sur les quatre suivants. Le premier manuscrit est aujourd’hui conservé à la Fondation Triolet Aragon. Publié pour la première fois dans la revue Fontaine (Alger), n°13, février-mai 1941 (avec « Poème interrompu », « Richard II quarante » et « Elsa je t’aime ») « Zone libre » prend ensuite place dans Le Crève-cœur. Le recueil est publié chez Gallimard, dans la collection « Métamorphoses », n° XI, (25 avril) 1941.

Au verso du poème :
Une lettre autographe signée « Aragon »
datée du 25 janvier [1945, selon une annotation manuscrite à la mine de plomb], 1/2 p. in-4°

Aragon y explique son pseudonyme de clandestinité et évoque son recueil La Diane française

« Cher Monsieur, Je trouve votre mot à mon retour à Paris. Je vous envoie la petite plaquette parue dans l’illégalité sous la signature François La ColèreVous y trouverez la « Ballade de celui qui chanta dans les supplices », le « Prélude à la Diane française » qui ont été lus, entre autres, à la Comédie française. Je vous recopie (au dos) le poème que vous me demandez. J’espère que vous aurez ainsi ce qu’il vous fallait, et vous remercie de perdre votre temps pour moi. Très sympathiquement, Aragon. »

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
[Paris, 21 novembre 1918], 4 p. in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Petites marques de trombone, ancienne trace de montage sur onglet

Tout juste informé que Marie Scheikévitch a survécu à la grippe espagnole, Proust s’empresse d’écrire à celle qui jadis l’aida pour la publication de Du Côté de chez Swann


« Chère Madame,
Quelle tristesse d’apprendre que vous avez été si malade, quelle tristesse supplémentaire de ne l’apprendre que maintenant, de n’avoir pu être triste pendant que vous souffriez, puisque je ne savais rien. Comment ne l’ai-je pas su ? Probablement parce que j’ai vu si rarement la Princesse Soutzo et au milieu de tant de monde et c’est elle qui vient de me l’apprendre.
C’est d’une manière rétrospective, maintenant que vous êtes guérie, qu’il me faut par l’imagination remonter en sens inverse de votre calvaire, dormir ou plutôt ne pas dormir vos nuits de fièvre. La condition humaine est si perfidement méchante que, comme si ce n’était pas assez pénible pour moi d’avoir à m’attrister sur vous avec mon amitié d’aujourd’hui, le passé de votre souffrance me rend pour un moment mon amitié plus vive qu’il y a un an. C’est avec celle-là que je compatis à tous les malaises que vous avez eus, ce qui me force à donner une force maximum de compassion, alors que celle que dicterait le feuillet actuel du calendrier de mon amitié serait déjà assez triste ! Enfin vous êtes guérie, Dieu merci. Et quelles jolies choses vous avez dû penser durant les heures délicieuses et neuves de convalescence.
Votre respectueux ami
Marcel Proust »


Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :
Marie Scheikévitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, Anna de Noailles, Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, et bien d’autres encore.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’ils se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’en suivit une correspondance qui dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connaît que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvre les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépense beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle juge les plus capables de l’aider. C’est elle qui le recommande à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann. C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

Née Hélène Chrissoveloni, la princesse Soutzo (1879-1975) est présentée à Marcel Proust le 4 mars 1917 au restaurant Larue par l’intermédiaire de Paul Morand (que ce dernier épousera dix ans plus tard, en 1927). La rencontre entre Proust et la princesse est demeurée marquante, l’écrivain lui ayant proposé de réunir le quatuor Poulet au Ritz pour lui faire entendre du César Franck (Journal d’un attaché d’ambassade, 1916-1917 (1963), Gallimard, 1996, p. 171-172 ; Journal inutile, t. II, p. 131).

Nous joignons :
Une carte de visite de Hélène Soutzo Chrissoveloni, madame Paul Morand
Invitation à prendre le thé
S.l.n.d, 1 p. in-24°

Avec annotation autographe : « Thé lundi 8 juin de 5 à 8 » (voir scan)
Le couple Morand vécut au 3, avenue Charles Floquet dans le VIIe arrondissement de Paris, de 1927 à 1976.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée « Lamartine » [à Jean-Marie Dargaud]
[Château de] Monceau, 25 [août 1850], 4 p. in-8°
Traces de pliures inhérentes à l’envoi d’origine, ancienne trace d’onglet, fente au pli central en marge inférieure, petites taches

Belle lettre inédite de Lamartine, écrite quelques jours après son retour de voyage en Orient

Provenant de la bibliothèque Hubert Heilbronn


« J’arrive. Je reçois votre mot. J’y réponds au bruit des fusillades qui fêtent ruralement mon retour. Hélas, je vais vendre ces cœurs en vendant ces terres où nous sommes si aimés.
Champeaux est mort en mer, enseveli la nuit, comme vous dites, dans la tombe humide, militairement, mais avec la triste solennité de cette sépulture à la mer. Sa mémoire avait là clergé, soldats et amis. Je pensais à vous. Ce n’était pas le choléra, mais une maladie au cœur ancienne et invétérée. Nous avions deux bons médecins ; il n’a pas souffert.
Je sais bien que les inconvénients d’humeur disparaissent après la mort et qu’il ne reste que la mémoire des vertus loyales et de l’attachement ; il en avait pour vous et pour nous. J’en garde le vide et le respect.
Adieu, mon cher ami. J’ai deux cents lettres et pas deux heures. Excusez-moi.
Mon domaine asiatique est superbe ; mais je n’ai pas un sou pour le féconder. Si M. Lefèvre voulait, en 4 ans il nous enrichirait tous les deux. Tout rend 50 pour cent et l’espace a 20 lieues de tour, fertile comme un oasis.
Ne viendrez-vous pas nous voir en octobre ? Je vais à Londres après le conseil général.
Adieu. Ma femme va bien mieux.
Lamartine »


Félix Palasne de Champeaux (1797-1850) avait servi occasionnellement de secrétaire à Lamartine, dont il était devenu ami. Il accompagne celui-ci lors de son voyage en Orient, dans la région de Smyrne, où l’ancien diplomate avait négocié la concession d’un immense domaine qu’il ne put jamais mettre en valeur. Champeaux n’en reviendra pas : cardiaque, le malheureux contracte une maladie meurt pendant la traversée du retour, le 3 août, à bord du Mentor. Faute de pouvoir accoster en Corse pour cause de quarantaine, et en raison des fortes chaleurs, on doit jeter le cadavre par-dessus bord.  Lamartine a évoqué ce drame et la mémoire du fidèle Champeaux dans son Nouveau voyage en Orient, écrit dans le château de Monceau et paru en 1850.

[AFFAIRE DREYFUS] SOURY, Jules (1842-1915)

Lettre autographe signée « Jules Soury » à Eugène Fasquelle
S.l, 4 octobre 1904, 1 p. in-8°
Trace de pliure centrale due à la mise sous pli d’origine

Implacable réquisitoire à l’encontre du capitaine Dreyfus par l’un des plus influents théoriciens de l’antisémitisme


« Toutes mes déclarations publiques antérieures demeurent invariables. Ma conclusion est et sera toujours la même :
douze balles de peloton d’exécution pour le traître Juif Alfred Dreyfus.
Il faudrait être plus immonde encore, s’il était possible, que ce Juif, pour admettre, un seul instant, que les deux Conseils de Guerre de Paris et de Rennes, qui l’ont condamné, et tous les ministres de la Guerre qui l’ont à bon escient déclaré coupable, aient jamais pu errer.
Je le répète, et c’est la un text ne varietur [afin qu’il n’en soit rien changé] :
gracié ou réhabilité, le traître Juif Dreyfus restera dans l’histoire, pour tous les siècles, Dreyfus le traître.
Jules Soury

Ce 4 octobre
Monsieur Eugène Fasquelle »


Un théoricien des races et de l’antisémitisme :
Antidreyfusard ardent aux côtés de Léon Daudet, Charles Maurras, Édouard Drumont ou encore Paul Déroulède, Jules Soury (1842-1915) a usé de son influence sur l’opinion publique toute l’affaire durant. Il est par ailleurs un proche du général Mercier, l’un des principaux artisans du complot ayant entraîné la condamnation de Dreyfus. Admirateur d’Ernest Renan et professeur à l’École pratique des hautes études de 1881 à 1898, Jules Soury y donne des cours notamment suivis par Maurice Barrès, sur qui il aura une influence décisive.
Persuadé que le déclin de la France subit l’action corruptrice juive, Soury justifie l’antisémitisme dans lequel il voit une « lutte des races » et non une « guerre de religion ». Ses écrits demeurent parmi les plus violents à l’encontre du capitaine Dreyfus. Selon l’historien Zeev Sternhell, les propos de Soury « expriment dans l’ensemble une vision du monde qu’on peut qualifier de prénazie ».

Les événements vont se bousculer à partir de cette année 1904 suite à une lettre d’Alfred Dreyfus adressée au Garde des Sceaux. Pouvant compter sur l’indéfectible soutien de ses proches, le capitaine demande la révision du procès de Rennes. La Cour de Cassation entame une procédure et lance une enquête minutieuse qui durera jusqu’en 1906. Le 12 juillet, la Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre de Rennes, et affirme que la condamnation portée contre Alfred Dreyfus a été prononcée « à tort », mettant ainsi fin à l’infernal marathon judiciaire.

Eugène Fasquelle est le second éditeur de Zola (ainsi que celui de Soury) quand il dirige les éditions Charpentier et Fasquelle, succédant à la librairie Charpentier, en 1896. Il fait publier La Vérité en marche (paru en février 1901), réunissant les principaux textes d’engagement de l’écrivain dans l’Affaire Dreyfus.


On joint :
Un carte de visite autographe signée deux fois et adressée au même
S.l, 4 oct. 1904, 2 p. in-24°

« Cher Monsieur Fasquelle,
Je crois répondre à votre courtoisie, digne de vous, point de celle de votre prédécesseur, M. G. Charpentier, en vous adressant, à vous, mon principal éditeur, copie de mon testament politique sur l’affaire dont il vous a plu [de] me parler, ce matin, testament dont un exemplaire est dans les mains de mon grand ami M. le général Mercier.
Jules Soury
Je vous prie de me faire la grâce d’accepter de ma main l’article ci-joint de M. H. Rochefort, toujours pour votre édification je ne dis pas votre conversion ; il s’agit encore, dans cet article, de votre tout dévoué,
J.S. »

On se souvient qu’Alfred Dreyfus est pour le général Auguste Mercier le « criminel en chef ». Ce dernier, convaincu de tenir le coupable sur la seule base d’une expertise graphologique approximative, décide de la culpabilité du capitaine. Il exige par la suite la constitution et la communication, en toute illégalité, d’un dossier secret au Conseil de guerre. Dès Dreyfus condamné par ce même Conseil, il dépose un projet de loi rétablissant la peine de mort pour crime de trahison.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Paule Sandeau
[Croisset], 1er 7bre [septembre 1861], 3 p. in-8° sur vergé bleu à l’encre noire
Ancienne trace d’onglet sur la quatrième page, infimes corrosions d’encre sans perforation
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli d’origine

Menant une vie monacale à Croisset, Flaubert évoque la rédaction du quatorzième chapitre de Salammbô et se languit de revoir sa correspondante


« Comme voilà longtemps que je n’ai entendu parler de vous ! – & qu’il est doux de vivre ainsi sans savoir si les gens qu’on aime sont morts ou vivants ? ! Où êtes-vous ? Que devenez-vous que lisez-vous ? etc. ? Allez-vous en vacances qque part ? à des eaux, à des bains quelconques ? – Ou bien êtes-vous restez-vous tout bonnement dans votre jardin ? – & cette fameuse Promesse de venir me faire une petite visite !..?…
Quant à votre esclave indigne, il continue à mener la même existence que par le passé une vie de curé, ma parole d’honneur ! Il me manque seulement la soutane. Quant à la tonsure et au reste, c’est complet !
Puisque vous êtes une personne littéraire et que vous vous intéressez à mes longues turpitudes, je vous dirai que le mois prochain j’espère commencer mon dernier chapitre. – Le tout sera, probablement, fini au Jour de l’An. Mais plus j’avance dans ce travail, plus j’en vois les défectuosités & plus j’en suis inquiet.
Je donnerai, je crois, aux gens d’imagination l’idée de qque chose de beau. Mais ce sera tout, probablement ? Bien que vous m’accusiez de manquer absolument de bon sens, je crois en avoir dans cette circonstance. Or vous verrez que ma prédiction sera se réalisera : mon bouquin ne fera pas grand effet.
Eh bien, vos amis sont décorés : Nadaud & Énault. Énault & Nadaud [Le chansonnier Gustave Nadeau (1820-1893) ; pour Louis Énault. Ils fréquentaient sans doute le salon de Paule Sandeau]. Quel duo ! quel attelage ! En voilà qui trouvent l’art de plaire ! – & aux Dames surtout.
Je ne sais pas d’autre nouvelle. – car je ne vois personne & je ne lis rien – de moderne du moins – & avec tout cela je ne m’amuse guère.
Écrivez-moi un peu, afin que j’aie une petite illusion – & que je me croie à vos côtés, quand nous sommes seuls.
Adieu. Ne vous ennuyez pas trop.
Songez à moi, dans vos moments perdus. & laissez-moi vous baiser les mains
bien longuement
À vous
Gve Flaubert »


Flaubert termine son quatorzième chapitre le 19 novembre 1861, comme il l’évoque dans sa lettre à Jules Duplan à la même date. C’est en réalité l’avant dernier chapitre et non le dernier (qui est un épilogue).
Le roman, qui parait chez Michel Lévy frères le 24 novembre 1862, connaît un succès immédiat auprès du grand public. En dépit des réserves émises par Sainte-Beuve, Flaubert reçoit de nombreux encouragements de ses confrères parmi lesquels George Sand, Hector Berlioz ou Victor Hugo, qui lui écrit depuis Hauteville-House, le 6 décembre : « Je vous remercie de m’avoir fait lire Salammbô. C’est un beau, puissant et savant livre. Si l’institut de France, au lieu d’être une coterie, était la grande institution nationale qu’a voulu faire la Convention, cette année même vous entreriez, portes ouvertes à deux battants, dans l’Académie française et dans l’Académie des Inscriptions. Vous êtes érudit de cette grande érudition du poète et du philosophe. Vous avez ressuscité un monde évanoui, et à cette résurrection surprenante vous avez mêlé un drame poignant […] »

Très proche de Jules et Paule Sandeau, Flaubert entretient une riche correspondance avec le couple jusqu’à sa mort, en 1880. On ignore si Paule Sandeau et Flaubert furent amants. Les formules équivoques employées dans cette lettre pourrait ne laisser aucun doute si l’on ne connaissait le ton séducteur de l’écrivain auprès de la gente féminine.

Maxime Du Camp, ami de jeunesse et intime de Flaubert, adresse une lettre à ce dernier quelques jours plus tôt, le 5 août 1861 :
il écrit : « J’ai vu plusieurs fois la mère Sandeau avant mon départ [pour Baden-Baden] : elle a vraiment beaucoup d’affection pour toi, et elle m’a touché, elle a remué mon vieux cœur par la bonne façon dont elle parle de toi. Elle est bien bonne femme, douce et serviable ; mais je suis de ton avis, il y a ce sacré nez ; depuis que tu m’en as parlé, il me semble plus long qu’autrefois. Je crois que cela lui ferait plaisir de casser une croûte de sentiment avec toi. Baste ! fais un effort et casse-là, nez en plus ou nez en moins, qu’est-ce que cela fait ? Baise-la en levrette, le chignon cachera le pif. » (Pléiade III, Appendice I, p. 840).

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Manuscrit autographe signé deux fois « J. Janin »
S.l.n.d [6 décembre 1854 d’après une note au crayon], 1 p. in-8° oblongue
Manques à la pliure central, au coins supérieur et inférieur gauche (voir scan)

Curieux manuscrit de Dumas père reprenant deux extraits d’articles de Jules Janin parus dans le Journal des débats


« Opinions de M. Jules Janin sur Tartuffe et un Napoléon »

« Opinion de 1839
Journal des débats du 16 7bre
[septembre] 1839
Le roi se montra digne de la supplique ; il autorisa par écrit la représentation de Tartuffe. En ceci il fut aussi royal que Bonaparte lui-même, datant de Moscou en flammes une ordonnance pour le Théâtre français
J. Janin »

« Journal des débats du 13 7bre [septembre] 1841
Certes je n’ai pas lu le décret de Moscou, et je n’ai pas envie de le lire ; rien qu’à ouvrir le décret de Moscou, il me semble que j’ai froid et que j’ai peur. Je me rappelle dans quels frimas implacables et dans quel incendie héroïque a été écrite cette fanfaronnade littéraire de l’empereur Napoléon
J. Janin »


L’écrivain et critique dramatique Jules Janin (1804-1874) entra au Journal des débats au début des années 1830, où il resta quarante ans. Son autorité le fait surnommer « le prince des critiques ».
En reprenant ces deux extraits d’articles de son confrère, Dumas a pris également soin de les signer « J. Janin ».

GENET, Jean (1910-1986)

Manuscrit autographe de premier jet
S.l.n.d [c. 1955], 1/2 p. in-4° à l’encre bleue sur papier ligné
Quelques repentirs par l’auteur

Plaidoyer anticolonialiste ultraviolent et provocateur sur fond de guerre d’Algérie, semblant se rattacher à un dialogue primitif de sa pièce Les Paravents


« Me revoici,
Belles gonzesses de France, préparez vos miches !
J’ai Je rentre Je rentre d’Algérie, une patte en moins, trois doigts coupés, mais le reste en bon état.
Rappellez-vous [sic] de moi. Vous me reconnaîtrez : il y a dix ans, j’étais milicien chez les Boches. Entre temps, j’ai rôti du Viet au feu des paillottes. Les vaches, ils nous ont tous foutu dehors à coup de pompes dans l’ognon. Heureusement il y a eu l’Algérie ! Alors là, pardon, je me suis régalé avec la viande de Bic ! J’en ai crevé quelques-uns et c’en est devenu du vice. J’ai défoncé des moukères : J’en ai même défoncé travaillé une à coup de talons dans le bide bide. Elle avait deux mômes dans le ventre, deux sales petits Bicots qui ne ne couperont pas les couilles [les] jolies couilles de petit Français !
Je rentre, mesdames, je rentre, moi, votre petit milicien de 44.
Une patte en moins, je vous l’ai dit mais le reste en bon état. Alors, dites à vos hommes de se barrer là-bas, pour continuer le boulot et me laisser dans vos draps une petite place bien chaude, pour moi, votre petit milicien bien aimé et boiteux.
Vos mâles ? J’espère bien qu’on les arrangera comme moi ! »


Ce texte semble se rattacher à la pièce Les Paravents (représentée pour la première fois le 16 avril 1966 au théâtre de l’Odéon). Si le manuscrit complet de l’œuvre, tel qu’on le connaît, a été rédigé en 1961, on sait néanmoins que les premières ébauches furent composées dès 1955. Genet procéde à de profonds remaniements et cette séquence, monologue d’un colon, a sans doute été écartée.
Le texte, volontairement provocateur, incarne ici plus que jamais la transgression morale, intellectuelle et sexuelle de son auteur. Fortement engagé en faveur de l’anticolonialisme, Genet exprime sa position non seulement au travers de son œuvre mais aussi par le combat politique. Il prend ainsi violemment position contre la France pendant la guerre d’Algérie et plaide plus généralement la cause des indépendances.

SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin (1804-1869)

Lettre autographe signée « Ste Beuve » à Adèle Foucher
Besançon, 14 8bre [octobre] 1829, 3 p. in-4° à l’encre noire sur papier vergé
Adresse autographe sur la quatrième page :
« Madame Victor Hugo
11 Rue Notre dame des champs
Paris »
Tampon de compostage [18 Octobre]
Bris de cachet avec petit manque (fragment conservé), sans atteinte au texte
Petite décharge d’encre en marge supérieure du premier feuillet
Nombreux repentirs demeurés inédits

Longue et foisonnante lettre, dans l’intimité du couple Hugo au travers des yeux de leur ami Sainte-Beuve – Le poète-critique évoque, l’âme en peine, ses absences d’inspiration et son désir ardent de retrouver sa correspondante.


« Madame,
Vous avez bien voulu me permettre de vous écrire et c’est une des plus grandes joies de notre voyage, qui, jusqu’ici comme tous les voyages humains, a été fort tempéré de contrariétés. Nous sommes depuis trois jours à Besançon qui nous semble une ville détestable, toute pleine de fonctionnaires, administrative, militaire et séminariste. Robelin¹ y est arrêté par des affaires, et nous regrettons que ces affaires ne se soient pas rencontrées plutôt à Dijon qui est une bien belle ville et peuplée de bien jolies dijonnaises dont Boulanger² a encore le cœur légèrement blessé : il vous racontera combien les yeux des jeunes filles de cette ville sont vifs et luisants. Pourtant je ne veux pas le calomnier et il est des yeux à Paris qu’il n’a pas encore oubliés. Aujourd’hui même, il a fait de souvenir une fort belle personne de seize ans, ressemblant beaucoup à une de nos voisines de la rue Notre-Dame-des-Champs ; au retour la demoiselle aura beau ne pas vouloir se reconnaître, il faudra bien qu’elle croie que ses traits sont gravés dans un certain cœur : voilà matière à bien des cancans qu’il nous sera bien doux de chuchoter dans quelques jours à vos pieds.
Je ne vous parlerai pas de gothique, d’une maison de la Renaissance peinte par Boulanger à Dijon, de porte romaine à Besançon, mais nous parlons à chaque instant de vous, de notre cher Victor dont nous nous renvoyons à tout bout de champ des vers et dont nous regrettons bien de ne pas avoir emporté les œuvres ; nous aurions besoin, pour nous rafraîchir l’âme, de votre conversation calme, reposée, si sensée et si bonne. À quoi en est Othello³ ? Est-ce joué ? Je n’ai pas lu, un seul journal depuis huit jours ! Et la pièce de Victor, Hernani, et la nouvelle ? Qu’il nous tarde de savoir des nouvelles de tout cela ! Et vous, madame, êtes-vous toujours une maman bien sévère ? Tenez-vous toujours à cette discipline d’il y a quinze jours ? Dites-vous toujours, avec cet air qui n’est qu’à vous, que ce que vous en faites n’est point par conviction, mais parce qu’il vous a pris un grand goût d’être à l’aise et que maintenant vous vous aimez ? Mais, je vous en prie, égoïsme ou conviction, continuez encore quelque temps cette discipline de douceur austère, pour laquelle vous m’en avez tant voulu, et votre Didine [Léopoldine] sera la plus sage des enfants comme elle est la plus jolie et la plus fine. J’espère que Charlot [Charles] et Victor prospèrent toujours.
Je ne sais si nous verrons madame de Lelée à Pontarlier ; je ne sais si nous irons à Pontarlier, si nous resterons ici deux jours encore seulement ; si même nous ne retournerons pas à Paris, Boulanger et moi, sans Strasbourg ni Cologne ; toute détermination dépend de quelques petites affaires archi-épiscopales qui traînent en longueur et nous font maudire le pavé pointu de Besançon. Quand nous sommes passés à Dijon, M. Brugnot en était absent, j’ai laissé un mot pour lui ; je n’ai pas encore trouvé M. Weiss, mais j’y retournerai.
En vérité, madame, quelle folle idée ai-je donc eue de quitter ainsi sans but votre foyer hospitalier, la parole féconde et encourageante de Victor, et mes deux visites par jour dont une était pour vous ? Je suis inquiet, parce que je suis vide, que je n’ai pas de but, de constance, d’œuvre ; ma vie est à tout vent, et je cherche, comme un enfant, hors de moi ce qui ne peut sortir que de moi-même. Il n’y a plus qu’un point fixe et solide auquel dans mes fous ennuis et mes divagations continuelles, je me rattache toujours, c’est vous, c’est Victor, c’est votre ménage et votre maison. Non, madame, depuis que j’ai quitté Paris je n’ai pas pensé une seule fois ni à mademoiselle Cécile, ni à mademoiselle Nini, ni à personne qu’à ma mère, et assez tristement pour plusieurs raisons, et à vous comme consolation pleine de charme et de bonnes pensées. Pourquoi donc vous quitter et m’en venir dans une auberge de Besançon sans savoir si j’irai plus loin, et quand ? Je me suis déjà fait souvent cette question, nous nous la sommes faite, nous deux Boulanger ; et nous n’avons jamais pu nous répondre autre chose, sinon que nous étions bien fous, que nous pensions sans cesse à vous, que nous y penserions jusqu’au bout du voyage, et que nous vous reverrions le plus tôt possible avec bonheur.
Adieu, madame ; j’écrirai à Victor, si je continue d’aller ; sinon je vous porterai moi-même ma prochaine lettre. Dites mille amitiés à Paul ; vous qui êtes la raison même, donnez quelques bons conseils à notre ami Guttinguer avec mille souvenirs de moi. Embrassez Victor de ma part, et dans votre cœur si rempli d’épouse, de fille et de mère, trouvez place à une pensée par jour pour votre sincère et respectueux ami
Sainte-Beuve
P.-S. Je commence à croire que nous partirons d’ici vendredi pour Bâle. Si un mot de Victor nous attendait à Strasbourg, poste restante, nous le recueillerions au passage comme la manne.
Robelin qui se rappelle à vous fait souvenir Victor qu’il lui a promis les Orientales en feuille. »


C’est suite à sa critique élogieuse en 1827 sur les Odes et ballades que Sainte-Beuve se lie d’amitié avec Victor Hugo. À cette époque le critique littéraire, qui loge rue de Vaugirard, se trouve être le voisin immédiat du déjà célèbre et loué poète, qui réside avec sa famille au 11, rue Notre dame des champs (de 1827 à 1830). Fasciné par la puissance créatrice et l’imagination si féconde d’Hugo, Sainte-Beuve lui rend de très nombreuses visites et profite tout autant de la présence de la belle Adèle. Il devient rapidement un intime de la famille. Les enfants du couple Hugo, Léopoldine et Charles ici évoqués ne sont alors âgés que de 5 et 2 ans et demi.
Menant une vie isolée et conscient de la gloire grandissante et inexorable de son ami, Sainte-Beuve voit en lui la réussite humaine à tous les égards. Cette amitié se dissipera toutefois quelques années plus tard, se traduisant peut-être par une jalousie de Sainte-Beuve à l’encontre d’Hugo. La familiarité et la tendresse transparaissent ici sans équivoque dans ses mots à Adèle. Cette amitié éperdue que Sainte-Beuve éprouve pour le couple va se transformer en amour timide mais ardent pour l’épouse. Madame Hugo, délaissée par un mari bourreau de travail, ne deviendra plus inséparable de son époux et entretiendra une correspondance “secrète” avec Sainte-Beuve au début des années 1830. Les lettres ayant plus tard été de part et d’autre détruites, on ne saurait établir formellement qu’ils furent amant.

1/ Charles Robelin, architecte et sculpteur.
2/ Louis Boulanger, qui fut dédicataire de deux poèmes de son ami dans Les Consolations (1863)
3/ Le More de Venise (1829), traduction en vers d’Othello par Alfred de Vigny, représenté pour la première fois à la Comédie-Française le 24 octobre 1829.
4/ Hernani est représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 25 février 1830, et publiée la même année.
5/ Il s’agit de Marion de Lorme, drame en cinq actes et en vers que Victor Hugo était en train d’écrire. Il est joué le 11 août 1831 au théâtre de la Porte-Saint-Martin après avoir été interdit par la censure et suspendu par l’auteur une autre année.
6/ Les Orientales, recueil composé de quarante-et-un poèmes, est publié en 1829.

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Lettre autographe signée « S. de Beauvoir » à Berthe Mandinaud
[Paris, 17 décembre 1957], 1/4 p. in-4° sur papier quadrillé
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli de l’époque
Enveloppe autographe jointe

Court message de remerciements de la philosophe


« Avec tous mes remerciements,
chère Madame
S. de Beauvoir »


Berthe Mandinaud fut la dactylographe attitrée de Simone de Beauvoir, qui se chargeât pour elle de la transcription complète de l’ensemble de son œuvre.
Cette courte lettre vient probablement en remerciement de la dactylographie effectuée pour Mémoires d’une jeune fille rangée, premier volet de l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir, qui allait paraître l’année suivante.

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Lettre autographe signée « Guy » à sa cousine par alliance Lucie Le Poittevin
[Antibes ou Cannes, fin 1886 ou début 1887], 2 p. petit in-8° à l’encre noire
En-tête à son chiffre « GM – Yacht Bel-Ami »
Petite fente au pli en marge inférieure

Belle lettre inédite de l’écrivain enrichie d’une amusante signature


« Ma chère Lucie,
J’arriverai à Paris le 10 ou 12 janvier et je voudrais bien que M. Oudinot¹ eut fini ma serre² pour ce moment, car je ne resterai pas plus de 15 jours ou 3 semaines. S’il y a du danger pour la neige, voulez-vous avoir la complaisance de prier Le Mare de me faire pour tout de suite un treillage en fil de fer, solide, sur le second vitrage.
Vous allez recevoir dans quelques jours une grande caisse – port payé – contenant des objets pour vous et pour moi. Pour vous un grand cache pot en faïence avec son pied. Pour moi deux éléphants³ et quatre plaques de faïence.
Nous avons ici un temps superbe, le jardin plein de fleurs, de roses, d’anémones de narcisses ; et je préfère cela au grand froid et à la neige de Paris.
Je navigue beaucoup, je fais de l’escrime avec rage, je marche, je me livre donc à tous les exercices, sauf à…. l’affection. Mais je m’en passe.
À Bientôt, ma chère cousine, excusez moi si je vous écris si court, et si peu, mais vous savez que mes yeux ne me permettent guère ce genre de sport [un des symptôme de sa syphilis, diagnostiquée dès 1877 et qui ne cessera de l’empoisonner].
Je vous embrasse, à la barbe de Louis, dont je serre la main.
Votre Cousin
Guy dit Capitaine Tellier
Comᵗ le Bel-Ami
Bateau Poisson
Bᵗᵉ S.G.D.G »


[1] Camille Oudinot, dramaturge et romancier, est un intime de Maupassant. Ce dernier lui dédie sa nouvelle Le Parapluie, parue en 1884.

[2] Il s’agit de la serre que Maupassant se fait construire dans l’appartement qu’il occupe au 10, de la rue de Montchanin (aujourd’hui rue Jacques Bingen) à Paris.

[3] Les « deux éléphants » dont il est question concernent sans doute le décor au-dessus des piliers d’entrée de sa demeure “La Guillette”, à Étretat.

[4] Si les patronymes que s’attribue Maupassant font bien entendu allusion à deux de ses œuvres les plus célèbres, une lettre contemporaine à la comtesse Potocka du 15 décembre 1886 nous éclaire sur les doubles sens de sa signature :
« Le Bel-Ami [son bateau] est un poisson de mer comme son nom l’indique : et il danse, en promenant son propriétaire, un vrai cancan de bal de barrière. Lui et moi sommes en ce moment dans le port de Cannes où nous a jetés, avant hier, un terrible coup de mistral, et où nous demeurons bloqués. J’espère me remettre en route demain matin, si le vent le permet. Depuis que je commande ce bateau symbolique j’ai pris le nom de Capitaine Tellier [allusion à sa nouvelle La Maison Tellier] ».
Quant à l’acronyme « Bté SGDG » (Bréveté sans garantie du gouvernement), on retrouve la même occurrence dans Bel Ami (Romans, éd. Forestier, Pléiade, p. 368).

Cousine par alliance de Maupassant, Lucie Le Poittevin, née Ernoult, est la fille d’un riche banquier de Rouen. Elle épouse le peintre Louis Le Poittevin, fils d’un des plus proches amis rouennais de Flaubert. Cousin germain et confident de Maupassant, celui-ci lui dédie sa nouvelle L’Âne, parue en 1883.

POULENC, Francis (1899-1963)

Lettre autographe signée « Francis Poulenc » au compositeur Philippe Parès
Cannes [fin de mars 1928 ?], 1 p. 1/2 in-4° sur papier bleu ciel, à l’encre noire
Traces de pliures inhérentes à l’envoi d’origine
Nous avons rétabli la ponctuation pour une lecture plus aisée

Belle lettre inédite de Poulenc au sujet de l’enregistrement de son Trio pour hautbois, basson et piano et du Bestiaire


« Mon cher Parès,
Je rentre vendredi prochain à Paris. Aurai-je la joie d’entendre déjà les épreuves du trio. Vous savez que rien au monde ne m’amuse plus. C’est un[e] leçon de piano admirable et comme c’est agréable d’entendre sa musique comme la musique d’un autre mais jouée exactement comme on la sent. À mon avis, c’était aussi celui de Dhérin et de Lamorlette. Le trio sonne parfaitement bien. Nous étions tous trois ravis des essais. Pour les mouvements c’est une autre histoire. Ce n’est guère phonétique, j’ai envie d’essayer un disque des Biches [Ballet composé par Poulenc en 1924 et créé par Diaghilev le 6 janvier 1924]. En tout cas voulez-vous voir avec Croiza [sic], quand elle veut enregistrer le Bestiaire. […]
Voyez cela. En tout cas sitôt débarqué je vous téléphone. Nous causerons aussi sérieusement de la question contrat.
Mille amitiés en hâte pour vous et votre aimable collaborateur.
Francis Poulenc »


Cette lettre pourrait dater de 1928, année durant laquelle les trois musiciens effectuèrent l’enregistrement. Composé en 1926 par Poulenc, ce dernier, au piano, est accompagné par Gustave Dhérin, bassoniste et Roland Lamorlette, hautboïste. Poulenc avait composé cette musique de chambre en hommage à Manuel de Falla, qui en retour l’apprécia tout particulièrement. Le Trio pour hautbois, basson et piano est par ailleurs considéré par certains comme la première œuvre importante du répertoire de musique de chambre du compositeur, reflétant intensément la personnalité de Poulenc.
L’enregistrement du Bestiaire ou Cortège d’Orphée, évoqué plus loin dans la lettre, ne se fera que bien plus tard, le projet ayant dû être repoussé. Poulenc compose ce cycle de mélodies en 1918 en reprenant l’œuvre éponyme de Guillaume Apollinaire.
Cette lettre se situe à une époque charnière, au moment de la naissance des revues sur le disque, de la critique de disque et de l’apparition de nouveaux critères de jugement.

HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)

Poème autographe [signé] : « Sonnet masculin »
S.l.n.d [avant 1881], 1 p. in-8° sur vergé
Petites taches d’encre, pli central habilement restauré, petites déchirures aux marges supérieures et inférieures. Annotation au crayon « 2 » au coin supérieur droit.

Fameux sonnet pornographique dépeignant une scène de prostitution homosexuelle

Provenant de la bibliothèque Stéphane Mallarmé, seul manuscrit connu


« Les rideaux tout souillés des morves d’un branlé
Enveloppaient le lit — Un bidet rempli d’eau
Attendait — Le vieillard entra — mit son cadeau,
Cinq francs, dans une coupe en zinc — et l’enculé

Tournant le dos porta ses jumelles rondeurs,
Dames-jeannes d’amour, au bouchon du miché.
À grand’aide de suif, il fut vite fiché
Dans cette cave en chair où fument des odeurs

De salpêtre et de bran, ce dard qui sautillait,
Éperdu, dans ses doigts ! — Après un long effort,
Il entra jusqu’au ventre en ce trou qui bâillait

Et l’anus embroché sonna son doux flic-flac.
C’est bon, dis, petit homme,  oh oui ! va, va, plus fort
Ah ! reste — assez — laisse — ouf ! — Et l’on entendit clac ! »

[J.K. Huysmans]


Connu comme romancier et critique d’art, Huysmans s’est pourtant laissé tenter par la composition versifiée. À ses débuts probablement, au moment où il cherche sa voie. Lorsqu’il fait paraître son premier livre, Le Drageoir à épices, en 1873 (devenu Le Drageoir aux épices dans la réédition de 1874), il place un sonnet en tête de ce recueil de poèmes en prose et de nouvelles. Les deux sonnets obscènes qu’il publiera plus tard, dans Le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle, pourraient dater de cette époque. C’est en tout cas l’hypothèse que font deux témoins a priori fiables, Henry Céard et Jean de Caldain :
« C’est en ces années de folle jeunesse (les années 1873-1874) que Huysmans écrivit des sonnets destinés à l’enfer des bibliothèques et que, pour des raisons que l’on comprend, il ne tente de reproduire dans aucun recueil : le Sonnet pointu (ou Sonnet masculin) et le Sonnet saignant (ou Sonnet féminin). »
Composé exclusivement en rimes masculines – en conformité prosodique avec le sujet -, le Sonnet masculin relève aussi, du point de vue formel, de la tradition du sonnet « libertin » (construit sur quatre rimes dans les quatrains : abba, cddc, et non sur deux rimes comme le veut la règle héritée des poètes de la Pléiade). Une tradition que Baudelaire avait abondamment illustrée dans Les Fleurs du Mal.
Le Huysmans comptant les syllabes et cherchant des rimes est sans doute inattendu, mais on le reconnaît, à son goût du mot rare ou pittoresque, à son réalisme cru, à son pessimisme tourné vers le ridicule ou la laideur.

Il n’est pas coutume que les manuscrits d’œuvres libres, versifiées ou en prose, soient signés de la main de leur auteur. Le présent poème ne fait pas exception à la règle. Dépourvu de ratures, ce manuscrit fut sans doute destiné à l’impression. La signature pourrait avoir été rajoutée par l’éditeur ou un prote.

De toute rareté.

CAILLEBOTTE, Gustave (1848-1894)

Lettre autographe signée « G Caillebotte » à Claude Monet
S.l.n.d, Vendredi [Petit-Gennevilliers, après 1887], 1 p. in-8° à l’encre brune
Sur feuillet à en-tête « Petit-Gennevilliers (Seine) »
Quelques petites décharges d’encre superficielles

Caillebotte participe à la floraison du jardin de son ami Monet à Giverny  


« Mon cher ami,
Je vous envoie une bourriche de plantes vivaces (2 espèces), la moins nombreuse est un Aster dont je ne sais pas le nom. Fleur blanche, floraison continuelle depuis juin – plante assez basse, monte à 0,50 – 060
[cm]
L’autre est le Boltonia glastifolia – très belle plante. Fleurit
[en] septembre. Hauteur 2 m à 2 m 50. Effet extraordinaire en masse.
Tout à vous
G Caillebotte »


Les deux peintres s’étaient liés d’amitié dès l’année 1882, époque à laquelle ils partageaient le même atelier. L’horticulture, en plus de la peinture, fut l’autre passion commune des deux amis. Ainsi expérimentaient-ils sur leurs toiles mais aussi dans leurs jardins respectifs, à Giverny et au Petit-Gennevilliers.

Caillebotte, outre son œuvre picturale prodigieuse, n’eut de cesse d’entretenir les liens entre les impressionnistes et ce, même après la rupture du groupe en 1887. Il organisait de nombreuses expositions, achetait discrètement des toiles à ses amis, les aidaient quand ces derniers étaient dans le besoin, à l’image de Monet ou Pissarro. Caillebotte parvint à tisser des liens de profonde amitié avec la plupart des impressionnistes, comme en témoigne sa riche correspondance, alors même qu’il s’éteint à seulement 45 ans.

MALIBRAN, Maria (1808-1836)

Lettre autographe signée « Maria » à Louis Viardot
[Bruxelles, 18 mars 1832], 1 p. 1/4 in-4°, sceau rompu avec la devise « Addio » dans un oval
Déchirures aux pliures, quelques décharges d’encre d’époque

Superbe et longue lettre écrite à deux mains par le célèbre couple, le compositeur Charles de Bériot et la cantatrice Maria Malibran, au sujet de leur prochaine représentation théâtrale en commun 


Charles de Bériot écrit sur la première page :

« Mon cher Louis,
Votre seconde lettre est venue fort à propos pour trancher les différents [sic], car moi qui aime a suivre vos avis je commençais déjà à user de mon influence sur Maria pour l’engager à accepter la première proposition. […]. Ce serait pour elle quelques jours de distraction dont elle a bien besoin si j’en juge d’après la lettre qu’elle nous a écrite. Je n’ose pas trop vous engager à une chose peut-être impossible, mais pourtant songez-y.

Maria Malibran poursuit sur la deuxième page :

quoi que je soie la plus grande paresseuse qu’il y ait sous la calotte du ciel, il n’y a pas eu moyen, la plus a été arrachée des mains de mon archet, et je vous écris en ce moment tout bonnement pour avoir le plaisir de causer un moment avec le martyr de nous tous – Vous ; autrement dit – Samedi prochain Mme Malibran et Mr de Bériot se feront entendre dans un Concert donné par aux au Grand Théâtre, on dit qu’il y aura beaucoup de monde. C’est une nouvelle qui court. Seconde nouvelle on dit que nous aurons la paix. 3me nouvelle, décidément je ferai venir mes meubles de Paris – 6eme nouvelle renouvellée des Grecs [traité de Constantinople qui met fin à la guerre d’indépendance grecque], on propose un engagement au [mot illisible] pour quelques représentations ici. Voilà tout ce qu’il y a de nouveau. Je voudrais bien voir… !! ce qui me console un peu c’est d’avoir un aussi bon ami que vous qui la voyez pour moi – J’ai dans la rue blanche une robe de mousseline des indes avec des raies d’or, un autre en crèpe blanc brodé en satin, et au Théâtre une robe noire en velours que j’ai porté à mon bénéfice – Si Virginie pouvait m’envoyer de suite ces trois objets pour que je puisse les reçevoir Samedi dans la journée, je mettrais une des deux robes… Voulez vous lui dire celà ? – Encore une commission ! ah ! Mon dieu ! la poste va partir. il faut que je coupe court au sentiment qui allait suivre ma recommandation – Je vous embrasse Virginie et vous par ricochet. Maria. »

[Souscription]
Monsieur
Monsieur Louis Viardot
rue grange-batelière Nr19
Paris


Mariée Malibran, mais séparée de lui, Maria Garcia (née en 1808) rencontre le célèbre violoniste et compositeur belge Charles de Bériot en 1829 au château de Chimay. Elle devient sa maîtresse pendant six ans et l’épouse en 1836 après l’annulation de son mariage avec Eugène Malibran. Mais entre-temps ils vivent ensemble, elle lui donne un fils Charles-Wilfrid né le 12 février 1833.
On les voit s’installer, dans cette lettre, à Bruxelles en 1832. Est-ce déjà dans le manoir « Le Tulipant » du 18ème siècle (sur la future place Fernand Cocq à Ixelles) que Bériot démolit en 1833 pour faire place au pavillon « Malibran » construit par Vanderstraeten ?
Maria décède à 28 ans en 1836 au sommet de sa gloire (on lui érige un vaste tombeau à Laeken, à Bruxelles). Sa mort prématurée met fin à cette union romantique par excellence. Bériot vend le manoir en 1849 à la commune d’Ixelles qui en fait son Hôtel communal après quelques transformations.
Louis Viardot, le destinataire de cette missive, est une figure bien connue de l’époque romantique, notamment comme traducteur. Il épouse après la mort de Maria sa sœur Pauline Garcia.

PUCCINI, Giacomo (1858-1924)

Carte postale illustrée, dédicacée « Giacomo Puccini » avec portée musicale
Torre del Lago, ag° [août] [1]902, 2 p. in-12° oblongues
Adresse autographe (de la main de Puccini) au verso

Charmante dédicace du compositeur reprenant le thème principal de Mimi, tiré de son opéra La Bohème, adressée à la célèbre cantatrice Berta Meyer 



Sur une carte postale illustrée d’une photo de sa maison à Chiatri (Lucca), Villa del Mo Puccini, le compositeur a noté la date « Torre del Lago ag° 902 »

Et au-dessous le titre : « La Bohême », avec le thème principal de Mimi (3 mesures), et signé « Giacomo Puccini »

Il rajoute au verso : 
« Alla Sgnra Berta Meyer / Livorno »


Opéra en quatre tableaux sur un livret italien de Giacosa et Illica, d’après le roman d’Henri Murger (Scènes de la vie de bohème), La Bohème est l’un des plus célèbres opéras de Puccini. Composé entre 1892 et 1895, il fut créé le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin. 
Mimi, dont Puccini reprend ici le thème principal dans son opéra, est l’incarnation de l’innocence et de la simplicité : de condition modeste, elle n’aspire pas à de grandes choses, mais plutôt aux plaisirs simples de la vie. Ce personnage est le modèle du soprano lyrique puccinien, avec un timbre profond sans aucune acrobatie technique.

Cantatrice d’origine allemande mais installée en Italie tout au long de sa carrière, Berta Meyer (1878-1952), s’était illustrée dans de nombreux autres opéras, tels ceux de Wagner ou Halévy.

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Photographie originale, tirage albuminé d’époque avec dédicace autographe signée « A. Dumas »
S.l.n.d [après 1860], format c.d.v (9,8 x 5,5 cm)
Contrecollé sur carton fort au crédit du photographe (10,4 x 6,1 cm)
Infimes taches superficielles sur le médaillon

Rare photographie dédicacée par l’auteur des Trois Mousquetaires


Au verso du tirage, Alexandre Dumas rédige de sa main cette longue et affectueuse dédicace à une jeune fille :
« Ma chère petite Augustine as-tu une robe blanche – as-tu une robe bleue, as-tu un manteau brodé dont tu ne te serres plus,
donne-moi tout cela pour la petite amie que tu as vue chez moi l’autre jour
à toi
A. Dumas »

L’écrivain est ici saisi dans sa maturité, vers 1860. Avec son épaisse chevelure crépue virant au blanc, il apparaît vêtu d’un complet noir et d’un gilet auquel est accroché la chaîne de sa montre à gousset. Sa pose contraste avec son col de chemise négligemment remonté sur le côté droit de son cou et lui conférant une allure d’artiste.

Élève d’Eugène Disdéri, Pierre Petit (1831-1909), surnommé « Collodion le chevelu », installe son atelier en 1858 rue Cadet. On connaît en tout six portraits d’Alexandre Dumas par le photographe qui plus tard illustreront l’ouvrage de Charles Chincholle : Alexandre Dumas aujourd’hui, paru en 1869. Ce portrait en médaillon, l’un des plus célèbres que l’on connaisse de l’écrivain, figure sur la page opposée à la page titre de l’ouvrage.

BUKOWSKI, Charles (1920-1994)

Lettre signée « Buk » à Raphaël Sorin
S.l, 17 oct[obre] 1977, 1 p. in-4° en format américain (27,9 x 21,2 cm)
Trois correction autographes dans le texte et quatre dessins originaux de la main de Bukowski

Belle lettre enrichie de dessins originaux, sur sa littérature et ses publications en cours


“Hello Raphaël Sorin:
Thanks– your letter and the book, “Contes de la folie ordinaires” [sic] and the reviews. I would like it very much if you’d send me one or more copy– I need it for my archives at the University of Santa Barbara. O.k? Much thanks in advance. Your book looks fine!
“Women” is completed: 433 typewritten pages, 99 chapters, but John Martin and Black Sparrow will probably wait a year or a year and a half before publishing it because LOVE IS A DOG FROM HELL has just been issued. WOMEN is by far my best writing up to date and I’d like to see it out but I can’t expect J. Martin to keep publishing book after book. He says that he can keep up with me but sometimes I wonder. I have sent him 20 or 35 new poems since the book was finished two weeks ago, plus one short story. I am punching it out, almost madly… drinking 2 to 3 bottles of wine a night, playing the horses during the day, fighting with my girlfriend off and on. It flares and jumps and I don’t know where it comes from but as long as it’s there, I’ll take it.
all right,
Buk
Charles Bukowski”

Traduction de l’anglais :

« Bonjour Raphaël Sorin :
Merci, votre lettre et le livre « Contes de la folie ordinaires » [sic] et les critiques. J’aimerais beaucoup que vous m’envoyiez un ou plusieurs exemplaires – j’en ai besoin pour mes archives à l’Université de Santa Barbara. D’accord? Merci beaucoup d’avance. Votre livre a l’air bien !
« Women » est terminé : 433 pages dactylographiées, 99 chapitres, mais John Martin et Black Sparrow attendront probablement un an ou un an et demi avant de le publier car LOVE IS A DOG FROM HELL vient de sortir. WOMEN est de loin mon meilleur ouvrage à ce jour et j’aimerais le voir sortir, mais je ne peux pas m’attendre à ce que J. Martin continue à publier livre après livre. Il dit qu’il peut suivre ma cadence, mais parfois je me pose la question. Je lui ai envoyé 20 ou 35 nouveaux poèmes depuis que le livre a été terminé il y a deux semaines, plus une nouvelle. Je m’arrête, presque fou… Je bois 2 à 3 bouteilles de vin par soir, je joue aux courses de chevaux pendant la journée, je me bas avec ma copine de temps en temps. Ça s’évase et ça saute et je ne sais pas d’où ça vient, mais tant que c’est là, je continue.
d’accord,
Buk
Charles Bukowski »


Women est le troisième roman de l’écrivain. Publié en 1978 par Black Sparrow press, il paraît en France trois ans plus tard en 1981 chez Grasset. L’ouvrage raconte la vie de Hank Chinaski, alter-ego de Bukowski, alors qu’il a la cinquantaine et partage son temps entre les femmes, les lectures de poésie et courses hippiques. Bukowski fait ici une analogie sans équivoque en fin de lettre entre le personnage de son roman et sa vie quotidienne.
Tout juste paru en France à l’automne 1977, le recueil Contes de la folie ordinaire est publié en 1972 aux État-Unis puis porté à l’écran par Marco Ferreri en 1981 sous le même titre. Enfin, Love is a Dog from Hell (L’amour est un chien de l’enfer en français), recueil de poèmes écrit entre 1974 et 1977, paraît chez Black Sparrow en 1977 et l’année suivante en France aux éditions Le Sagittaire, en deux tomes. Grasset avait relancé la marque [Le Second Sagittaire] en 1975, en la plaçant sous la direction de Gérard Guéguan, assisté de Raphaël Sorin. C’est par ailleurs ce dernier qui vint à la rescousse de l’écrivain en lui tenant le bras lors d’une séquence télévisée d’anthologie. Bukowski, ivre mort sur le plateau de l’émission Apostrophes du 22 septembre 1978, avait été convié pour faire la promotion de Love is a Dog from Hell à l’initiative de Sorin.

[AFFAIRE DREYFUS] Alfred DREYFUS (1859-1935)

Tirage argentique d’époque enrichi d’une dédicace autographe signée
S.l.n.d [c. 1910], au format cabinet (14,7 x 9,8 cm)
Contrecollé sur carton fort (16,5 x 10,8) au crédit du studio photographique Gerschel
Petites rousseurs, inscriptions (d’une autre main) à la mine de plomb au verso

Célèbre portrait du capitaine Alfred Dreyfus en tenue d’artilleur et enrichi d’une dédicace autographe signée


Ce portrait est le plus célèbre de l’iconographie d’Alfred Dreyfus. Tiré par Aron Gerschel (1832-1907), photographe de l’École Polytechnique, celui-ci avait établi son studio photographique au 23 boulevard des Capucine (à seulement quelques encablures du studio Nadar qui se situait au n°35), avant de déménager au 5 rue de Prony, à Paris.
Dreyfus y figure dans son uniforme de capitaine, en mi-buste de trois quart vers la droite. Il porte un képi militaire à trois galons, une veste à brandebourgs et de petites lunettes. Âgé d’environs 34 ans, ce portrait a sans doute été pris au cours de l’année 1893, quand Dreyfus fut appelé dès le 1er janvier en tant que stagiaire à l’état-major de l’armée au ministère de la Guerre. Ce portrait précède donc de quelques semaines ou quelques mois tout au plus le procès, la condamnation et la dégradation du capitaine Dreyfus.

On connaît trois variantes de ce portrait. Très soucieux de l’image qu’il renvoyait de lui-même, c’est sans doute Dreyfus qui demanda à Gerschel de procéder à de subtiles retouches. On observe ainsi que les moustaches de Dreyfus sont ici légèrement plus fournies et que le bouton de l’épaulette gauche au dessous de son menton n’a pas été retiré par Gerschel.

La dédicace autographe de Dreyfus porte l’inscription : « À M. Albert Bonneau / vifs remerciements pour sa touchante sympathie / Alfred Dreyfus »
Prince du roman d’aventures, Albert Bonneau collectionne dès le plus jeune âge les lettres des personnalités. Sa sympathie à l’égard du capitaine Dreyfus n’est pas le fait d’une simple demande impromptue. Bonneau est le dédicataire d’au moins un autre portrait du capitaine. On connaît par ailleurs plusieurs échanges épistolaires entre les deux hommes.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Ta Colette » à Marguerite Moreno
[La Treille Muscate – Saint Tropez, septembre 1929], 4 pp. in-4° sur papier bleu
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Traces de pliuresd d’époque inhérentes à la mise sous pli
Quelques décharges d’encre sur le premier feuillet témoignant d’un pliage de Colette alors que l’encre n’était pas encore sèche.

D’une liberté de ton et de style caractéristiques de ses lettres à Marguerite Moreno, Colette évoque en cette fin d’été 1929 sa fille, ses vendanges et son désir de retour prochain à Paris


« Ta lettre arrive, dans le moment où je pensais : “Je ne sais rien de Marguerite”. Tout est bien comme je l’imaginais autour de toi. Et mes remords aussi sont à leur place.
Ma fille est arrivée. Elle aussi est bien en place. Heureux âge que l’assurance ! Elle aura eu des vacances ruineuses et merveilleuses : un mois d’Angleterre, campagne et Londres. une quinzaine en Limousin, trois semaines à St Jean de Braye, et le reste en Provence. Elle exulte. Songe donc ! elle a voyagé seule tout le temps ! Un phono-valise de 12 kilos la suite comme son ombre. Elle a des chemises de garçon et des seins de jeune négresse, – les plus beaux, quoi. Et elle nage sous l’eau comme un petit requin. Et elle conduit n’importe quelle voiture,- sauf la Talbot que je préserve à grands cris. Mais elle conduit bien, et fait les manœuvres de rangement et de garage avec fierté.
De moi, rien, ma Marguerite. Rien que cette vie physique, qui me convient si bien. Le cœur et les reins sont très gentils cette année, malgré la chaleur, et Paris va déshonorer les chevilles qui, ici, sont redevenues montrables. Je m’ennuie de Maurice [Maurice Goudeket, son dernier époux], il s’ennuie de moi. Le 18, ma chère âme, je prends le train. Nous reprendrons nos habitudes, Dieu merci. Mais à quelle heure entres-tu en scène ? Ça m’intéresse très fort.
Les orages commencent mais ma vendange est faite. 1500 litres environ, et qui promettent d’être suaves. Quand je coupe ces grappes compactes de raisin distingué,- du grand ovale, du picardau, raisin de luxe,- sur cette vieille vigne, je me dis qu’à Paris ils n’en ont pas de pareil sur les tables de riches.
J’ai vendangé le 9 septembre.
Tant mieux que Pierron soit là-bas ! Ton souci de lui est moins grand que si ce fin paysan languissait à Paris. Je te plains, ô ma tête fendue !… Demain je vais peut-être chez [Léon] Bailby, avec ma fille. La chatte a un petit bâtard des Mesnuls [Colette loue à son ami Luc-Albert Moreau une villa aux « Mesnuls » en 1929], sombre, velouté, tigré très foncé. Et la chatonne n’a jamais voulu rompre avec sa vie citadine et dégoûtée. Elle mange, toute seule, dans la “salle à manger” (nous mangeons sous le couvert de glycines), se sauve poursuivie par le vente, et ne veut pas se coucher par terre parce qu’il y a des fourmis.
Ma fille te salue, et je t’embrasse de tout mon cœur. À dans huit jours… C’est bon et c’est mauvais à penser.
Ta Colette »


L’abandon avec lequel Colette se livre ici est caractéristique des lettres adressées à son amie et confidente Marguerite Moreno, figurant parmi les plus belles de son abondante correspondance. L’affection entre les deux femmes est totale, si bien que leurs échanges épistolaires couvrent 46 années, jusqu’en 1954, une semaine avant de décès de l’écrivain. Aussi vagabonde que Colette à cause de répétitions théâtrales et représentations à l’étranger, Marguerite suscite chez son amie des aveux systématiques de regrets et d’impatience, tant les retrouvailles lui sont précieuses.
Au crépuscule de cet été 1929, Colette se plaît ainsi à évoquer sa « vie physique » qui lui sied tant, le parfum des longues soirées estivales sous la glycine de la terrasse, parmi les amis et les bêtes.
Elle produit son propre vin dans sa propriété de la Treille Muscate, près de Saint Tropez, entre 1926 et 1938. Transformée en “vigneronne”, elle veille avec grand soin au rendement, aux vendanges, se souciant des assemblages adéquats. Comme tout producteur, Colette semble ici avoir une préférence pour sa production viticole.
On retrouve par ailleurs intacte la fascination physique et matérielle qu’exerce sur l’écrivain sa fille unique, Colette de Jouvenel, 16 ans. L’adolescente cultive une apparence et une attitude « à la garçonne », propre aux Années folles.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Poème autographe signé « Paul Eluard »
S.l.n.d, 1 p. in-8° sur papier ligné
Anciennes traces de montage au verso
Encadrement sur-mesure, cadre doré, Marie-Louise anthracite, verre musée

Célèbre poème dénonçant les exécutions de ses camarades poètes par les milices fascistes et franquistes

Manuscrit offert par le poète à son ami Louis Parrot


« Le feu fait danser la forêt
Les mains les troncs les cœurs les feuilles
Le bonheur en un seul bouquet
Confus léger fondant sucré
C’est toute une forêt d’amis
Qui s’assemble aux fontaines vertes
Du bon soleil du bois flambant

Garcia Lorca a été mis à mort

Maison d’une seule parole
Et des lèvres unies pour vivre
Un tout petit enfant sans larmes
Dans ses prunelles d’eau perdue
La lumière de l’avenir
Goutte à goutte elle comble l’homme
Jusqu’aux paupières transparentes

Saint-Pol-Roux a été mis à mort
Sa fille a été suppliciée

Ville glacée d’angles semblables
Où je rêve de fruits en fleur
Du ciel entier et de la terre
Comme à de vierges découvertes
Dans un jeu qui n’en finit pas
Pierres fanées murs sans écho
Je vous évite d’un sourire

Decour a été mis à mort

Paul Eluard »

[Éluard rajoute au crayon au coin inférieur gauche : « Pour Louis Parrot »]


Composé en 1943, ce poème figure parmi les textes les plus engagés d’Éluard. Construit en trois septains octosyllabiques, le poète y intercale, par deux monostiques et un distique aux formules anaphoriques, les noms de ses compagnons mis à mort par les milices franquistes et occupants allemand. Si par ailleurs les septains encouragent à l’élan de l’imagination, on remarque, par contraste, la froide simplicité des mots employés pour ses amis suppliciés, suscitant compassion, émotion et colère. Leur progression dramatique, dépourvue de tout pathos, permet à Éluard de nous confronter avec la brutale réalité des crimes de guerre.

D’abord publié dans Lettres, 1943, juillet, n°4, ce poème vient clôturer le recueil Le Lit la table, paru aux Éditions des Trois Collines à Genève, en 1944. Il est ensuite publié dans Poésie 44, n°20, p. 18-20, puis repris dans Per Catalunya, 1945, octobre, ainsi que dans Poésie 39-45, an anthology, Londres, 1947, avec la traduction anglaise par Roland Penrose en regard du texte français. Il est aussi publié dans Europe, 1953, juillet-août, p. 91-92, numéro spécial Paul Éluard, p. 122.
Dans Raisons d’écrire, Éluard apporte quelques éclaircissements sur le cheminement de la publication du poème : « Signés de mon nom, ces poèmes [L’Aube dissout les monstres, Critique de la poésie et Enterrar y callar publiés sous le titre Trois poèmes dans Poésie 44, n°20, p. 18-20] avaient été confiés à Poésie 43, sous l’Occupation. La censure avait interdit leur publication. Transmis à nos amis suisses, ils étaient bientôt publiés dans Lettres, Traits, dans Domaine français et dans Le Lit la table, volume de poèmes édité par les éditions des Trois Collines. »

Signalé dans la Pléiade (p. 1630), ce manuscrit laisse apparaître deux variantes avec la version publiée : Le feu réveille la forêt / Les troncs les cœurs les mains les feuilles deviennent ainsi Le feu fait danser la forêt / Les mains les troncs les cœurs les feuilles.

Une amitié trouvant ses origines pendant de la guerre d’Espagne :
Lecteur à l’Université de Madrid où il fait la rencontre de nombreux poètes espagnols, Louis Parrot (1906-1948) y fait aussi la connaissance de Paul Éluard. Commence alors une profonde amitié entre les deux hommes, marquée par une abondante collaboration artistique. Il traduisent ensemble Ode à Salvador Dalí de Federico Garcia Lorca, parue en 1938. En mai 1944, Parrot publie chez Seghers une monographie sur Éluard, qu’il souhaita pour son ami être le premier numéro de la collection Poètes d’aujourd’hui. Parrot se fait aussi le correspondant de son ami en Zone libre pendant la guerre de 39-45. Il s’illustre enfin comme écrivain résistant collaborant aux éditions clandestines de Minuit, notamment au travers du recueil L’Honneur des poètes

PUCCINI, Giacomo (1858-1924)

Dédicace autographe signée « Giacomo Puccini »
Paris, 9 juin 1910, 1 p. in-folio (32 x 20 cm) sur une page d’album amicorum

Spectaculaire dédicace grand format pour son opéra La fanciulla del West


Puccini a inscrit trois mesures puis a titré en italien et en anglais :
« La Fanciulla del West (The Girl of the golden West) »
Son imposante signature a projeté une décharge d’encre à la lettre « P ».

Opéra en trois actes composé sur un livret de Carlo Zangarini et Guelfo Civinini, d’après le drame de l’auteur américain David Belasco, La Fanciulla del West voit sa première représentation commandée le 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera de New York. Le ténor Enrico Caruso et la soprano Emmy Destinn, stars mondiales pour qui Puccini avait initialement écrit l’opéra, endossent les rôles de Dick Johnson et Minnie. Très enthousiasmé, c’est à l’occasion de cette première représentation que Puccini déclare la La Fanciulla del West comme la plus grande composition de sa carrière de compositeur.

[BALLON MONTÉ] Siège de Paris (1870-1871)

Lot de deux cartes autographes signées
Paris, 1er et 6 octobre 1780, 2 p. in-24°
Timbre manquant sur l’une des deux cartes
Petites mouillures par endroits (voir scan)

Deux cartes transportées par ballon monté lors du Siège de Paris


Carte à destination du Mans :
Carte sans mention manuscrite “Par Ballon monté” transportée hors de Paris assiégé par l’aérostat Le Nom Dénommé 2 – Adressée au Mans – Affranchissement d’un 10 centimes Empire Lauré.
Oblitérations : Départ de Paris Étoile 25 rue Serpente le 6 octobre 1780 – Sans cachet d’arrivée.

On sait par ailleurs que Le Non-dénommé N°2 parti le vendredi 7 octobre 1870 à 14h15 de l’usine à gaz de la Villette. Il atterrit le vendredi 7 octobre 1870, à 12 km de Paris près de Stains dans une mare à quelques centaines de mètres des postes ennemis. Les voyageurs restent cachés dans l’eau jusqu’à 19h. Les sacs de courriers sont récupérés et expédiés par les ballons suivants.

DALÍ, Salvador (1904-1989)

Tirage argentique d’époque [par Farabola] enrichi d’une dédicace autographe signée
[Portlligat, 1977], 13,8 x 14,4 cm, angles arrondis
Annotation manuscrite d’une main inconnue au verso :
« Foto dedicada de Dalí en Port Lligat 1977 »

Beau portrait de Dalí, en pleine conversation, doublement dédicacé par lui et enrichi d’un dessin original


Nonchalamment assis, vêtu de sa toge blanche, sa célèbre canne à la main, le maître dédicace deux fois « Dalí » de sa main et rend ses hommages à Marta.
Il agrémente sa dédicace d’une petite couronne au-dessus de sa tête. Cette même couronne, au détail près, figure dans son œuvre La Toile Dalígram datant de 1972. Celle-ci représente les initiales de Dalí et Gala, son épouse et muse, ainsi que moult symboles se rattachant à la royauté. L’original de l’œuvre est aujourd’hui conservé aux archives de la Fondation Gala-Salvador Dalí à Figueres.

Bel état de conservation

MEYER, Conrad Ferdinand (1825-1898)

Poème autographe signé « Conrad Ferdinand Meyer » au verso d’un tirage albuminé d’époque
S.l, 18 nov[embre] 1895, (12,3 x 17 cm)
Tirage contrecollé sur carton fort (12,8 x 17,7 cm), tranches dorées
Timbre sec au coin inférieur droit : « Ganz Zürich »
Quelques défauts de surface mineurs et infimes taches sur la partie manuscrite

Meyer rédige l’un de ses plus célèbres poèmes au verso de son portrait par Rudolf Ganz


Conrad Ferdinand Meyer est ici immortalisé à son bureau de Kilchberg par le photographe Rudolf Ganz, dans la banlieue sud de Zurich. L’écrivain pose une plume à la main, dans une atmosphère studieuse, entouré d’innombrables ouvrages disposés en désordre sur sa table de travail.
On connaît de lui une pose légèrement différente prise lors de cette même séance du 3 octobre 1895, le regard orienté vers sa droite.

Au verso du tirage, Meyer rédige l’un de ses plus fameux poèmes :

« Bei der Abendsonne Wandern
Wann ein Dorf den Strahl verlor,
Klagt sein Dunkeln es den andern
Mit vertrauten Tönen vor.

Noch ein Glöcklein hat geschwiegen
Auf der Höhe bis zuletzt.
Nun beginnt es sich zu wiegen,
Horch, mein Kilchberg läutet jetzt!

Conrad Ferdinand Meyer
18 nov. 1895 »

Composé de deux quatrains octosyllabiques, ce court poème paraît pour la première fois en deuxième partie de son recueil Gedichte, en 1882, chez Verlag von H. Haessel à Leipzig, en Allemagne. Meyer fait paraître quatre nouvelles éditions de ce même recueil jusqu’en 1892, illustrant le passage d’une poésie narrative en ballades à une poésie d’un lyrisme intense.

Précieux document

[HUGO] Juliette DROUET (1806-1883)

Lettre autographe à Victor Hugo
Paris, 20 avril [18]77, 4 pp. in-24° sur papier vergé
Discrète trace d’onglet sur la première page

Rare lettre d’amour de la vieillesse – Juliette a 71 ans, et Victor 75

Provenant de la collection B. & R. Broca


« et je vais contenter mon cœur avant ma faim : à tout seigneur, tout honneur, c’est bien le moins. Je crois que tu n’étais pas là hier quand madame Ménard1 m’a dit qu’elle pensait que madame Alice2 serait ici le 30 de ce mois mais qu’elle voulait t’en faire la surprise n’étant pas assez sûre d’avance d’être revenue à cette date. C’est pour cela qu’elle préférait ne te donner l’avis de son retour que pour le premier mai. Dans les deux cas nous n’avons plus que dix à douze jours de patience à avoir pour revoir nos chers petits voyageurs. Seulement il faudra nous garder d’encombrer notre table pendant les trois ou quatre jours qui précèdent cette arrivée afin d’être tout au bonheur de reprendre possession de nos chers petits. En attendant, épuisons, puisque cela te plaît, toutes les invitations obligatoires. Est-ce ton avis ? Le mien, d’avis, est de te complaire en tout par tout et toujours et de t’adorer à deux genoux. »


[1] Aline Ménard-Dorian (1850-1929). Fille du ministre Pierre-Frédéric Dorian, elle épouse Paul Ménard-Dorian (qui prend son nom) en 1869. Elle tient un salon républicain. Sa fille Pauline épousera George Hugo en 1894. Son salon est dreyfusard. Elle a inspiré à Proust le personnage de Mme Verdurin.
[2] Il s’agit d’Alice Lehaene (1847-1928). Orpheline, pupille de Jules Simon, elle épouse Charles Hugo le 17 octobre 1865. Elle donne naissance à Georges, né en 1867 et mort d’une méningite un an plus tard ; le prénom de l’enfant défunt est donné de nouveau à son frère cadet qui naît quelques mois plus tard, en 1868, suivi l’année suivante de sa sœur Jeanne.

Il s’agit peut-être de la seule lettre de Juliette à Victor encore en mains privées pour l’année 1877. En effet, l’ensemble du corpus de lettres pour cette année se trouve aujourd’hui à la BnF (NAF 16398).

VERDI, Giuseppe (1813-1901)

Lettre autographe signée « G. Verdi » à M. Sauchon
Montecatini, 7 juillet 1891, 1 p. in-8° sur bifolio vergé
Trace d’onglet sur la quatrième page
Filigrane « CFM Special »

Rare lettre du compositeur italien écrite en français


« Monsieur Sauchon,
J’ai reçu le Bulletin de compte relevé pour [la] 168 répartition [d’]avril 1891.
J’ai reçu aussi le chèque de L. 555:97 pour N. de Sandoz et C., que j’exigerai quand j’irai à Gênes vers la fin de ce mois.
Agréez, Mr Sauchon, l’expression de ma considération distinguée
G. Verdi »


Giuseppe Verdi se rend au thermes de Montecatini en Toscane pour la première fois à l’été 1882. Il y trouve à l’environnement idéal pour la création. C’est dans ces mêmes thermes qu’il compose Otello en 1887, puis Falstaff en 1893.

Belle signature

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Joseph Canqueteau
Paris, 10 mars 1885, 2 p. in-8°
Petites fentes aux plis, légères taches

Dans une belle lettre écrite une semaine après la sortie en volume de Germinal, Zola dresse un panorama de certaines des œuvres les plus emblématiques des Rougon-Macquart

Provenant de la collection B. & R. Broca


« Merci, cher monsieur, de votre bonne sympathie. C’est en effet pour la jeunesse que j’écris, et c’est par elle que je serai, si je dois être.
L’idée première de “Germinal” est déjà très lointaine. Lorsque j’ai écrit “l’Assommoir”, j’avais réservé cette autre face du peuple, l’ouvrier souffrant des grands centres industriels. Tous les romans de ma série ont été arrêtés à peu près en même temps, et chacun d’eux vient simplement à son heure.
Je vais sans doute, comme vous le supposez, étudier maintenant le monde des artistes, en reprenant mon Claude Lantier [L’Œuvre]. Mais le roman militaire, celui où je compte mettre Sedan [La Débâcle], est loin encore, car il ne viendra guère que dans six ou sept ans : il est l’avant dernier de la série.
Bien cordialement à vous
Emile Zola »


On sait qu’avant même de rédiger le premier roman de sa série, Zola dresse dès 1868 un arbre généalogique de ses personnages, puis une chronologie de ses romans. D’abord prévue en dix volumes, l’écrivain revoit ses ambitions à la hausse. Ce seront au total vingt romans écrits entre 1870 et 1893. Cette lettre permet ainsi de prendre la mesure de l’organisation quasi millimétrée que l’écrivain s’impose, jusqu’à prévoir avec assez de précision, « dans six ou sept ans », la sortie de La Débâcle. Car en effet, l’avant dernier volume de la série parait durant l’année 1892.
Artiste bohème déjà présent dans Le Ventre de Paris mais dont le rôle n’est que mineur, Claude Lantier (grand frère d’Etienne, le héros de Germinal) devient le protagoniste principal dans L’Œuvre. Le destin de ce peintre maudit (dont les traits rappellent ce de Paul Cézanne) est funeste, à l’instar de sa mère Gervaise Macquart dans L’Assommoir. Ce quatorzième roman de la série parait chez Charpentier l’année suivante, en 1886.

On connaît la lettre que Joseph Canqueteau, sur le point de faire une conférence sur Les Rougon-Macquart, adresse à Zola pour lui demander quelques renseignements (tout en ayant vu juste) : « Nous sommes là une réunion de jeunes, qui vous aimons bien, je vous l’assure, et savoir vous défendre à l’occasion. Vous avez la jeunesse pour vous, cher maître, c’est là un rude appoint. Nous apprécions vivement l’honneur que vous nous avez fait en acceptant le titre de membre d’honneur de notre jeune conférence. Quel puissant livre que Germinal ! […] Je vous serais obligé, cher maître, de me dire à quelle époque au juste vous avez eu l’idée de cette vaste étude sociale ? La vie militaire et la vie artistique ne feront-elles pas l’objet de deux prochaines œuvres ? ».

[HUGO] Juliette DROUET (1806-1883)

Lettre autographe signée « Juliette » à Victor Hugo
[Paris], 16 avril [1847], 4 pp. in-8°

Jolie lettre de jalousie à son amant dans laquelle Juliette fait notamment allusion au service militaire de Charles Hugo


« vendredi après-midi, 3 h. ¾
À quoi pensez-vous donc, vieux chinois, de ne pas venir plus vite que ça ? Je vous attends cependant et je vous désire encore plus mais cela ne vous presse pas davantage. Où êtes-vous ? Que faites-vous, à qui faites-vous les yeux doux et pour qui faites-vous votre bouche en bâton de chaise ? Prenez garde que je ne vous surprenne, vieux scélérat ! Pourvu que vous ne vous soyez pas donné le genre d’aller à la Chambre sans me prévenir ? Voilà qui me surprendrait peu agréablement. Je passe ma vie à vous désirer, à vous regretter et à trembler, cette trilogie n’est pas du toujours amusante, je vous prie de le croire. Il y a même beaucoup de moments où elle est très embêtante1. Il est vrai que par compensation ils sont dans l’album. Oui c’est assez drôle j’en conviens mais j’ai le mauvais goût de ne pas m’en contenter même lorsqu’il a crié quand il m’a mordu. Après cela je comprends que la MAIRIE, Chaumontel et l’affaire de Charles qui est moins simple que jamais, la garde nationale, son auguste famille les CARABINIERS2. Tout cela, bien mêlé ensemble et chauffé au bain marie-Ménessier3 dans un seau4 d’eau de pompe et deux ou trois pavés de Fontainebleau, fait une petite scie moelleuse et endormante qui ne manque pas d’un certain charme. Seulement il n’en faut pas prendre trop souvent et à dose que veux-tu de peur d’en user l’effet. Voime, voime5, voilà mon opinion.
Juliette »


Deux lettres du 16 avril 1847 nous sont aujourd’hui parvenues. Celle-ci est écrite de l’après midi. D’un style parfois décousu, Juliette y joue avec les sonorités, caractéristique de son esprit et dont seul Victor Hugo pouvait en saisir toutes les subtilités.
[1] « ambêtante »
[2] Le 28 avril 1847, Hugo « achète » 1100 F. un remplaçant pour le service militaire à son fils Charles, dont le numéro a été tiré au sort. Ce remplaçant s’appelle Adolphe Grangé. Pendant les semaines qui précèdent, s’activant pour trouver une solution, il se rend fréquemment à la mairie pour tâcher de résoudre le problème administratif. Pendant toute cette période, il s’excuse auprès de Juliette Drouet de ses retards ou absences en invoquant « l’affaire de Charles », qui, dit-il, ne l’amuse guère. Juliette Drouet reprend ironiquement ces arguments lorsqu’elle se plaint des retards ou absences de Hugo, alléguant à son tour « la mairie », « l’affaire de Charles » puis « le carabinier de Charles », qu’elle met souvent sur le même plan que « l’affaire Chaumontel », pour laisser entendre qu’elle n’est pas dupe des bonnes excuses invoquées par Hugo. Grangé inspire à Hugo le personnage de Grantaire dans Les Misérables.
[3] Il s’agit de Marie Ménessier-Nodier, femme de lettres, fille de Charles Nodier et épouse de Jules Ménessier. Il semble ici que Juliette soit jalouse de celle-ci, d’où le jeu de mots “bain-marie” dont elle file la métaphore, et les allusions aux excuses que lui fournit Hugo pour justifier ses retards et ses absences.
[4] « sceau »
[5] Le sens de cette expression reste obscur. Sa récurrence contextuelle laisse à penser qu’elle pourrait signifier « regarde-moi » (« vois me »), ou bien « ah oui vraiment », entre « voui… voui… », « mouais… mouais… » et notre actuel « wouaouh ! ».

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette de Jouvenel » à un « cher confrère »
[Paris], s.d (entre novembre 1916 et décembre 1926), 1 p. in-4° sur papier bleu clair
À son en-tête de son adresse du 69, boulevard Suchet
Petites fentes aux plis, traces de pliures dues à la mise sous pli de l’époque

Colette regrette de n’avoir pu croiser son correspondant lors de son déplacement à Nice


« Monsieur et cher confrère,
Je n’ai passé que quelques heures à Nice. Voulez-vous m’écrire chez moi ?
Croyez-moi bien confraternellement vôtre
Colette de Jouvenel »


Cette lettre est nécessairement écrite entre les mois de novembre 1916 et décembre 1926, lorsque Colette résidait au 69, boulevard Suchet. Le couple Jouvenel s’étaient installés dans ce qui à l’époque était encore un petit hôtel particulier dans le 16ème arrondissement, à la limite d’Auteuil et du Bois de Boulogne. Après leur rupture et le départ d’Henry de Jouvenel, en 1923, Colette y vivra jusqu’en 1926.

[LISZT] PLEYEL, Marie (1811-1875)

Lettre autographe signée « M. Pleyel » [à Louis Brandus et Ernest d’Hannecort ?]
Bruxelles, s.d « 15 janvier » [après 1865], 1 p. in-8°
Petits manques en marge droite sans atteinte au texte, petits trous de corrosion d’encre, marges renforcées à l’adhésif neutre au verso (voir scans)

Curieuse requête de la pianiste virtuose désirant obtenir deux travaux musicaux de Franz Liszt


« Messieurs,
Permettez-moi de vous offrir mes remerciements les plus sincères pour la nouvelle gracieuseté que je dois à votre obligeance.
Me trouverez-vous trop indiscrète si je vous prie de vouloir bien m’envoyer le morceau de Liszt sur la marche Indienne de l’Africaine ainsi que la Schiller Marsch du même auteur ?
Si ma demande est importune n’en accusez que la bonne grâce avec laquelle vous m’avez toujours traitée et croyez, Messieurs, à mes sentiments bien reconnaissants et bien dévoués.
M. Pleyel »


Les travaux demandés ici par Marie Pleyel sont, pour le premier un morceau, extraits de Illustrations de l’opéra « L’Africaine » (S.415) composé par Liszt d’après l’opéra de Meyerbeer. Liszt appréciait particulièrement cet opéra et en compose deux pièces pour piano quelques semaines seulement après la création : la première est une fantaisie sur la prière matinale des marins portugais au début du troisième acte et la seconde, une transcription virtuose de la Marche indienne qui ouvre le quatrième acte, dont il est ici question dans la lettre.
Le second est l’un des treize poèmes symphoniques écrits par Liszt, genre dont il est par ailleurs le créateur. Marie Pleyel se réfère ici au Kunstler Festzug “Schiller Marsch”, tiré de Die Ideale (d’après le poème au titre éponyme de Friedrich von Schiller), composé par Liszt en 1859.

Née Marie-Félicité-Denise Moke, Marie Pleyel est une enfant prodige du piano. Elle devient par la suite l’une des plus célèbres virtuoses de son temps. Après avoir été fiancée à Hector Berlioz, elle épouse Camille Pleyel, fils du grand facteur de piano Ignace Joseph Pleyel, le 5 avril 1831. Considérée par Liszt comme « pas simplement une grande pianiste femme, mais un des plus grands artistes du monde », ils se produisent ensemble à Vienne en 1839. Après de grandes tournées dans toute l’Europe, elle s’installe à Bruxelles en 1842, créant une école de piano au Conservatoire royal où elle enseigne de 1848 à 1872.

Cette lettre est sans doute adressée à Louis Brandus et son associé Ernest d’Hannecort. La maison d’édition de Brandus fut la seule à avoir édité les deux partitions ici évoquées.

[AÉROSTATION] GODARD, Eugène (1827-1890)

Lettre autographe signée « Eugène Godard » à M. de Fouville
Paris, 30 juillet 1869, 1 p. 1/2 in-8°
Marge supérieure découpée, quelques lettres légèrement rognées (voir scan)

Rare lettre du célèbre aéronaute annonçant sa toute prochaine ascension scientifique


« Je vais faire après demain dimanche une ascension scientifique avec le ballon la citta di firenze à 1400 mètres… Voulez-vous être de la partie, si oui envoyez moi un télégramme pour que je retienne votre place. Dans le cas où vous ne seriez pas à Paris je prie Mme Claudine d’avoir l’obligeance de faire cette proposition à M. Gaston Tissandier [aventurier scientifique et aérostier français] en le priant de m’avoir [dit] télégraphiquement s’il accepte.
Je vous serre la main tous les deux.
Mes salutations amicales à Madame Claudine.
Eugène Godard »


Considéré comme l’un des plus grands aéronautes français, c’est sa rencontre avec le britanique Charles Green en 1849 qui convaincra Eugène Godard de voler en ballon gonflé au gaz d’éclairage. Jusqu’à la déclaration de guerre franco-prussienne en 1870, Godard effectuera un très grand nombre d’ascension scientifiques, dont celles de 1867 restées célèbres, en compagnie de Camille Flammarion. À la chute du second Empire, il réalise des vols captifs d’observation à Paris. Le gouvernement provisoire de la Défense Nationale lui demande ensuite de construire des ballons pour la poste aérienne. Le 28 septembre 1873, en compagnie de son fils Eugène II, Godard vole à Amiens et emmène avec lui Jules Verne.

Belle signature

ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « Aragon » [à Philippe Hériat, secrétaire de l’Académie Goncourt]
S.l.n.d [Paris, 18 novembre 1968], 1 p. in-4°
Parfait état hormis une infirme déchirure en marge supérieure
Annotation au crayon au coin supérieur gauche

Lettre acerbe ayant accompagné sa démission fracassante de l’Académie Goncourt


« Cher ami,
La lettre que je joins à ce mot est seule destinée à nos collègues. Je ne puis cependant faire autrement que d’y joindre un mot personnel.
Sans revenir sur les faits qui vous sont, au moins partiellement, connus, vous savez que j’entendais venir ce lundi Place Gaillon, et tenter de passer outre à un incident dont les suites étaient pour le moins déplaisantes. L’étrange comportement de certains m’en empêche. Je souhaite que le libellé purement “administratif” de ma lettre signifie pour vous que je n’ai pas l’intention d’oublier la nature toute différente des rapports qui ont toujours existé entre vous et moi.
Et, je l’espère, à bientôt.
Aragon »


Aragon est élu à l’Académie Goncourt le 15 décembre 1967. Il écrit à cette occasion : « comme je suis un farouche partisan du roman, je trouve normal de faire cause commune avec ceux dont la vie dépend de celle du roman ». L’idylle dure moins d’un an. Le 18 novembre 1968, il annonce sa démission. Les « bons camarades » de l’année précédente viennent d’être accusés de « cannibalisme » dans une lettre du poète romancier, qu’il rend publique d’abord sur les ondes d’Europe 1, puis dans le journal qu’il dirigeait depuis 1953, Les Lettres françaises : « Je ne tiens pas à m’associer à la sorte de cannibalisme qui règne entre certains de nos collègues ».
Aragon est accusé d’avoir manœuvré et usé de son influence pour que Clavel obtienne le prix de la ville de Paris pour l’année 1968, et l’écarter ainsi du prix Goncourt afin que le Graal revienne à son ami et admirateur François Nourissier. La campagne de presse lancée à l’encontre d’Aragon est initiée par le jeune Bernard Pivot, se faisant fort de révéler la « petite machination littéraire » dont aurait été victime le lauréat du Grand prix de la Ville de Paris. C’est également lui qui dévoile les intentions de vote des uns et des autres. Aragon soupçonne l’un des membres de l’Académie d’être à l’origine de cette fuite, qui finalement porte ses fruits malsains. On sait depuis que l’influence d’Aragon n’a pu qu’être limitée, le jury se composant de 26 membres, dont de nombreux gaullistes.
La lettre « ouverte » d’Aragon, envoyée sous le même pli que la nôtre, est aujourd’hui conservée aux Archives Municipales de Nancy.

ROPS, Félicien (1833-1898)

Lettre autographe signée « Félicien Rops » à un monsieur
Paris, 28 mai [1891 ?], 3 p. in-8° sur papier crème
Infimes taches sur la première page, pliure centrale inhérente à la mise sous pli

Rops décline une invitation à une représentation musicale dans une lettre foisonnante et loufoque, livrant quelques traits de son passé puis un implacable jugement sur l’art de ses contemporains


« Mon Cher Monsieur,
Je suis à la fois très charmé de la gracieuseté grande que vous avez eue de m’envoyer une place pour l’audition de vos Proses en Musique ; et désolé aussi ! Charmé, parce que ayant fait pianoté par ma grande fille, ne pianotant plus moi-même, votre “album”, que [Auguste] Delâtre m’avait prêté, je tiens en réelle estime votre talent, d’une allure très moderne : musique d’un nervosisme spécial, parisienne au possible sous-dermique, sceptique, & rêveuse avec cela, aux bons endroits. – Notez que en 1869 je “Bayreuthais” [allusion à la salle d’opéra de Wagner dans la ville de Bayreuth] avant que ce ne fut de mode, ceci pour vous dire que je ne suis Philistin que d’apparence.Désolé aussi suis-je, parce que je suis forcé par des invitations préalables de promener, nourrir & faire rire des Canadiens des grands lacs, qui, dans les temps, au Manitoba [province canadienne], (déjà embêté et souillé avant moi, par Chateaubriand [allusion à son roman Les Natchez], qui aurait mieux fait de polluer anticipativement Mme Récamier), m’ont donné l’hospitalité de leur campement, à l’époque où Buffalo-Bill n’avait pas encore inventé le Far-West ambulant […]
Ah ! Tout se paie ! – J’aurais voulu être à cette audition pour ma joie particulière, & pour jouir aussi du bonheur des oreilles finaudes qui seront là ; car cela ne peut être “médiocre” ce que vous avez écrit, mauvais peut-être, ou très beau, suivant l’âme de chacun, les dispositions des cœurs, ou les situations gastriques des auditeurs. Vous êtes un “heureux” puisque dans ce que j’ai lu de vous, l’éternelle & immuable bêtise des artistes est évitée, et d’emblée, par don spécial & rare. Car tous : sculpteurs, poètes, musiciens, peintureurs, à part une vingtaine de “cérébralement voyants” sont une bande de Simiesques & de lémuriens qu’il faudrait emmener doucement, en mai, sous prétexte d’omelette printanière, au coin d’un joli bois plein de muguets & de jacinthes bleues, et fusiller, avec le regret & la tendresse mélancolique qui se mêle à l’abattage des vieux chiens galeux. On réconforterait l’agriculture qui manque de bras, et l’épicerie qui manque de [Henri] Pottin, par cette légitime & salutaire exécution. Car Pottin eut pu être Bougereau ou [Edmond] Audran. Je ne parle pas du père, qui chantait délicieusement de mauvais opéras-comiques, avec la voix de Mr Buffet, mais du fils. Car les vaches ne sont mal gardées que parce que les vachers font du grand art, & que chacun ne fait plus son métier. – Que “d’artistes” & des plus institutaires, eussent bien fait à la queue d’une charrue à défoncer les terres profondes ! – Et c’est ce qui fait disparaître la plus belle des qualités : la Sincérité en Art. – Car rien ne la remplace cette sincérité ! Notez que je ne dis pas la vérité, qui n’est jamais qu’une chose relative & fluctuante suivant les tempéraments. Je suis donc “heureux d’avoir fait votre connaissance” & malheureux de ne pas vous connaître davantage Jeudi. J’ai, dans une louable intention disposé du billet que vous aviez mis à ma disposition. Je l’ai donné à un rédacteur d’une “revue musicale” quelconque qui m’a promis de faire un article sur l’audition. Je ne connais pas ses tendances musicales, mais personnellement ce n’est pas un sot ; il est vrai que cela ne prouve rien, mais j’ai fait pour le mieux !
Je vous serre la main & je vous souhaite un franc succès Jeudi soir.
Félicien Rops »


On peut dater cette lettre avec quasi-certitude après 1887, compte tenu des occurrences de Rops à l’Amérique du nord. Il effectue cette année-là un voyage aux États-Unis avec les sœurs Duluc qui avaient prospecté le marché américain pour leur maison de couture. L’artiste se rend à New-York, Baltimore, Chicago, Ottawa, Montréal, Québec, et en profite ici pour livrer un sévère jugement à l’égard de Chateaubriand qui, près d’un siècle plus tôt, s’était rendu dans les mêmes contrées qui lui inspirèrent ses premiers romans, chefs-d’œuvre romantiques.
On connaît les liens d’amitié qui unissent Rops et Auguste Delâtre (évoqué en début de lettre), illustrateur et imprimeur français. Ce dernier publie, en 1887, un traité technique intitulé Eau-forte, Ponte sèche et Verni mou, auquel contribue activement Rops.

[MUSSET] SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin (1804-1869)

Lettre autographe signée « Ste Beuve » [à Auguste Lacaussade ?]
S.l.n.d, « ce 21 juillet », 1 p. in-8° sur papier crème
Très légères rousseurs, petites taches

Savoureuse comparaison entre Musset et Byron par le célèbre critique littéraire


« Merci, cher Ami – Grâce à vous j’ai tout ce qu’il me faut & au delà. Vous avez bien raison sur Byron : on ne devrait juger Musset qu’après avoir relu Byron. Alors on aurait le vrai sentiment des injures et des distances, mais ne sommes-nous pas le plus paresseux des peuples pour les poètes et la poésie ? Mille remerciements encore à vous.
De tout cœur
Ste Beuve »


Présenté à Alfred de Musset par Paul Foucher, Sainte-Beuve devient un intime du poète. Ardent défenseur de son œuvre littéraire, il est l’un des confidents de Musset lors de sa relation tumultueuse avec George Sand. À l’apparition de ses Poésies complètes, en 1840, Sainte-Beuve dira de lui : « Il a osé avoir de l’esprit, même avec un brin de scandale. Depuis Voltaire, on a trop oublié l’esprit, en poésie ; M. de Musset lui refit une large part ; avec cela il eut encore ce qu’ont si peu nos poètes modernes, la passion ».
On sait par ailleurs que Sainte-Beuve est le dédicataire d’un poème de son ami, sobrement intitulé « À Sainte-Beuve » (Poésies nouvelles, Charpentier, 1857).

[LAFAYETTE] BROGLIE (de), Victor-François (1718-1804)

Lettre autographe signee « le Maāl Duc de Broglie » à un monsieur
Paris, 8 juin 1778, 1 p. in-8° d’une écriture serrée
Bifeuillet vergé collé l’un contre l’autre, petit trou d’épingle en marge inférieure
Note manuscrite d’une autre main sur la quatrième page

Chaleureuse recommandation du duc de Broglie pour l’un de ses proches – Il demande à son correspondant d’en faire également part au marquis de Lafayette, alors engagé dans la guerre d’indépendance des États-Unis


« Je vous recommande, Monsieur, très particulièrement le Che de Montfort qui vous rendra cette lettre, et je vous prie de faire pour luy tout ce qu’il vous sera possible, et s’il se conduit bien, comme je suis persuadé qu’il le fera, vous m’obligerés beaucoup de faciliter son avancement. Il est fils d’un exempt retiré des gardes du camp après y avoir servi bien, et longtemps ; qui luy laissera pour fortune bons exemples à imiter. Si vous pouvés le mettre en train… je vous en saurés beaucoup de gré. Recommandés le aussi à M. Le Mis de Lafayette à qui je souhaite toute la gloire, et le bonheur qu’il mérite, dites luy que je prendray toujours beaucoup de part à ses succès. Donnés moy de ses nouvelles, et des votres, et soyés persuadé des sentoments avec lesquels j’ay l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
le Maāl Duc de Broglie »

[Note manuscrite d’époque sur la quatrième page, d’une main inconnue et sans doute par une personne non francophone]
“Cette lettre était pour remetre à un officuir gênerale qui est, avec… Le Marquis de La Faÿette, à commander les Armées, américaines, des États Unis de l’Amérique, dans la Guerre âctuelle quils ont avec les Ânglais”


Les liens unissant les familles Lafayette et de Broglie
Maréchal de France et ministre de la Guerre, Victor-François, 2e duc de Broglie et 1er prince de Broglie du Saint-Empire, est le frère de Charles-François de Broglie (1719-1781), officier général et diplomate. Ce dernier fut un intime du père du marquis de Lafayette, Michel Louis Christophe du Motier (1733-1759), mort au combat en Westphalie à l’âge de vingt-cinq ans au cours de la bataille de Minden.
Son fils, Gilbert du Motier de La Fayette, aura pour colonel effectif l’ami de son père en servant comme officier au régiment de Noailles durant les années 1774-1775. Puis, entre juin 1776 et avril 1777, rencontrant des difficultés pour son départ de France, Lafayette pourra compter sur le soutien de son ami Charles-François de Broglie dans son engagement dans l’armée américaine, avec le grade de major général.

DOUMERGUE, Gaston (1863-1937)

Deux lettres autographes signées « Gaston Doumergue » au notaire Leverne
Paris, 11 novembre 1926 et 21 mai 1931, 2 p. in-8° à son en-tête de la présidence de la République
Enveloppes autographes jointes et sérigraphiées de la présidence de la République
Petits trous d’épingles et légères traces de trombone, petits défauts (voir scans)

Ensemble de deux lettres du président Gaston Doumergue enrichi d’un ensemble de pièces relatif à une affaire notariale concernant sa maîtresse et future femme Jeanne Graves


Première lettre :
Paris, 11 novembre 1926

« J’autorise Maître Leverne notaire à Paris, à remettre à madame veuve Philippe Graves née Gaussal, domiciliée à Paris, 11 rue Jean Leclaire, la reconnaissance de dette signée par celle-ci le vingt-trois juillet dix-neuf cent vingt-six.
Gaston Doumergue »

[Avec enveloppe autographe] « Maître Leverne / Notaire / à Paris »

 

Seconde lettre :
[Paris] 21 mai 1926

« Mon cher maître,
Je vous prie de remettre à Madame Graves toutes pièces restant dans votre étude et concernant notre accord de juillet 1926, toutes choses ayant été terminées et réglées selon les termes de cet accord.
Veuillez agréer, mon cher Maître, l’assurance de toute ma considération
Gaston Doumergue »

[Avec enveloppe autographe] « Maître Leverne / Notaire / Rue de la Tour des dames / Paris »

Jeanne Graves se mariera une semaine plus tard avec Gaston Doumergue


Gaston Doumergue entretien une liaison de longue durée avec Jeanne-Marie Gaussal, veuve Graves. Durant son mandat présidentiel (13 juin 1926 – 13 juin 1931), il va tous les matins prendre son petit déjeuner avec elle à son ancien domicile du 73 bis avenue de Wagram, où il se rend à pied depuis l’Élysée. Le 1er juin 1931, douze jours avec la fin de son mandat, il épouse Jeanne-Marie Gaussal, veuve Graves, devant le maire du 8e arrondissement, Gaston Drucker, venu spécialement à l’Élysée ; le secrétaire général de la présidence, Jules Michel, est son témoin. Gaston Doumergue devient ainsi le premier président de la République à se marier au cours de son mandat.
Son mandat présidentiel s’achève le 13 juin 1931 et il se retire de la vie politique dans la demeure de son épouse à Tournefeuille, dans la Haute-Garonne.

DALÍ, Salvador (1904-1989)

Tirage argentique d’époque enrichi d’une dédicace autographe signée
[Portlligat, c. 1977] 27,3 x 19 cm
Au verso : cachet humide rouge “Exclusive / Radial Press” puis « Una modelo de Dalí » au feutre bleu d’une main inconnue
Décharge d’encre du cachet humide au verso et légèrement visible au recto (voir photo)

Tirage figurant l’un des modèles de Dalí dans le jardin de sa maison à Portlligat et enrichi de sa spectaculaire signature


Sur ce tirage, figurant l’une de ses œuvres les plus emblématiques, Dalí l’a enrichi, en plus de sa signature, d’une étoile filante en marge supérieure puis a rajouté « mes hommages » en marge inférieure.
La jeune demoiselle figurant de profil sur le tirage est-elle Christiana, la fille du couple Albaretto ? Sans certitude, la ressemblance reste frappante. Dr. Guiseppe Albaretto fut l’un des plus proches de l’artiste, ayant constitué au fil des années la plus importante collection privée des œuvres de Dalí.

L’un des plus importants symboles Daliniens :
Symbole chrétien de la résurrection du Christ et emblème de la pureté et de la perfection, l’œuf figure parmi les symboles les plus prégnants dans l’œuvre de l’artiste. Au delà de son aspect et sa minéralité, si chère à Dalí, il représente la vie antérieure, intra-utérine et de la re-naissance.
Un autre « Œuf », celui-ci non cassé, est disposé sur la tourelle de la maison de l’artiste à Portlligat.

ISABEL II (1830-1904)

Lettre autographe signée « Isabel de Borbon » à Anna de La Grange, comtesse de Stankowitch
Lequeitio, 4 août 1883, 4 p. in-12° repliées sur papier fleuri
Enveloppe autographe jointe
Pliure centrale, petites décharges d’encre

Tendre lettre à son amie la célèbre cantatrice Anna de La Grange


[Traduction de l’espagnol]

« Chère amie Anne de Lagrange
Merci beaucoup pour tes deux affectueuses lettres, je te remercie vraiment. Je continue d’écrire en te tutoyant, comme je te l’avais proposé […] Tu m’aimes, je le sais, comme je t’aime […] A mon Docteur S.. mes très bons souvenirs. Dis-lui que j’ai trouvé un docteur à Séville… qui m’a très bien compris, et qui me donne les médicaments dosimétriques et qui pense comme lui à tout, il se trouve ici et quand j´irai à Paris je l’appellerai […] A ta mère et ta fille… et ton gendre mes doux souvenirs et une tendresse pour toi du fond de mon cœur de ton amie qui a hâte de te voir
Isabelle de Bourbon »

[Texte original]

« Muchisimas gracias a Vd por sus dos cariñosas cartas que la agradezco. De veras. Sigo escribiendo de tu, como te había ofrecido […] Tu me quieres lo sé, como yo a ti […] A mi Doctor S..  mis recuerdos muy cariñosos. Dile que encontré en Sevilla un Doctor… que me ha entendido muy bien, y que me da las medicinas dosimetricas y que piensa como él en todo, está aquí y cuando vaya a París lo llamaré […] A tu madre y a tu hijay a tu yerno mis cariñosos recuerdos y para ti un abrazo muy fuerte con el corazón de tu amiga que está deseando verte
Isabelle de Bourbon »


Reine d’Espagne et de Navarre, née à Madrid en 1830 et morte à Paris en 1904, Isabel II est la fille de Ferdinand VII et de María Cristina de Borbón. Son règne commence en 1833, avec la mort de Ferdinand VII et l’insurrection des partisans de son oncle Carlos M. Isidro de Borbón, à l’occasion de la première guerre carliste (1833-1839). Après la guerre, elle soutient la modération chez les basques. Le carlisme ayant conspiré contre la reine, allié des révolutionnaires, Isabel II qui passait l’été à Lekeitio (1868) est détrônée. En août 1883, désormais reine mère du monarque restauré, elle retourne à Lekeitio, sa station estivale préférée, et à Gernika où elle est reçue par le président du Conseil provincial, Benigno de Salazar.

[AFFAIRE DREYFUS] DREYFUS, Alfred (1859-1935)

Lettre autographe signée « ADreyfus » [au général Percin]
[Paris], 21 juillet 1906, 1 p. in-8°
Papier à en-tête à son adresse : 101, Boulevard Malesherbes

Lettre historique du capitaine Dreyfus écrite au lendemain de la cérémonie de remise de ses insignes de chevalier de la Légion d’honneur et une semaine après la fin de son terrible marathon judiciaire, marqué par l’arrêt de la Cour de cassation


« Mon Général,
J’ai été profondément ému en recevant votre photographie avec votre si aimable dédicace. Si j’ai connu bien des vilenies, bien des lâchetés, j’ai eu au moins la consolation de rencontrer quelques hommes courageux et de grand cœur comme vous.
Permettez-moi de vous dire tout le plaisir que ma femme et moi avons eu de faire votre connaissance, de sentir votre cœur battre à l’unisson des nôtres.
Encore une fois merci et veuillez agréer l’expression de mes sentiments respectueux et bien sympathiques.
ADreyfus »


Alfred Dreyfus est déclaré pleinement innocent par la Cour de cassation le 12 juillet 1906, soit 12 ans après s’être vu condamné à l’unanimité pour trahison par le Conseil de guerre. S’en suivront la destitution de son grade, sa dégradation militaire du 5 janvier 1895 dans la cour d’honneur de l’École militaire de Paris devant une foule hostile, puis la déportation dans une enceinte fortifiée au large des côtes Guyanaises. La lettre ouverte d’Émile Zola « J’accuse…! » au président Félix Faure, l’indéfectible soutien de ses proches et les nombreux rebondissements judiciaires, permettront au capitaine de retrouver espoir.
Le 13 juillet 1906, Dreyfus est réintégré dans l’armée. Le 20 juillet, à la veille de cette lettre, il est fait chevalier de la Légion d’honneur « lors d’une cérémonie qui sembla refermer l’Affaire sur un acte éminemment symbolique et politique, dans l’institution même où il avait été dégradé douze ans auparavant » (V. Duclert, Alfred Dreyfus. L’Honneur d’un patriote. Editions Pluriel, 2016, p. 571). À la demande de Dreyfus, la cérémonie a lieu dans “la petite cour des jardins” et non pas dans la grande cour où avait eu lieu sa dégradation douze ans auparavant. Sont présents les familles d’Alfred et de Lucie, le général Picquart (en civil), le procureur général Baudoin, Anatole France, Joseph Reinach, le général et Mme Percin, M. et Mme Armand Dayot, les docteurs Paul Reclus et Brissaud, Victor Simon, Alfred Capus, Mme Arman de Caillavet, la femme de Bernard Lazare, Isabelle Lazare-Weiler, le commandant Emile Mayer, le capitaine Cassel et de nombreux journalistes. Le général Gillain lui remet les insignes. « Tout cela était si émouvant, écrivit Dreyfus dans ses Carnets, que les mots sont impuissants à en donner la sensation » (p. 264). Malheureusement, la rapidité avec laquelle cette cérémonie est organisée empêche certains défenseurs de Dreyfus d’être avertis et d’y assister. On remarque l’absence du général André, l’un des principaux artisans de la réouverture du procès. Le 27 mars 1912, Alfred Dreyfus enregistre cette déclaration : « Ce 20 juillet 1906, c’est une belle journée de réparation pour la France et la République. Mon affaire était terminée. Elle aura marqué un tournant de l’humanité, une étape grandiose vers une ère de progrès immense pour les idées de liberté, de justice et de solidarité sociale ».

Le destinataire de cette lettre est selon toute vraisemblance le général Percin, présent le 20 juillet à la cérémonie de remise des insignes de chevalier de la Légion d’honneur au commandant Dreyfus (voir supra). Il envoie au capitaine le 21 juillet une photographie dédicacée le représentant de profil en uniforme. Actuellement conservée au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (don des petits-enfants du capitaine Dreyfus), cette photographie porte cette dédicace : « Au Commandant Dreyfus / chevalier de la Légion d’honneur / témoignage de profonde sympathie / Gal Percin / 21 juillet 1906 ».

[IMPÉRATRICE JOSÉPHINE] BEAUHARNAIS, Émilie de (1781-1855)

Lettre autographe signée « Beauh. de Lavalette » à son cousin Eugène de Beauharnais
S.l, [11] mai [1807], 5 p. in-12°, d’une écriture très serrée et fort appliquée

Longue et poignante lettre sur le décès prématuré du jeune Napoléon-Charles Bonaparte, fils aîné du roi Louis Bonaparte et de la reine Hortense de Beauharnais, à l’âge de quatre ans et demi – Au-delà des vives douleurs de la famille impériale, Émilie de Beauharnais nous immerge parmi les proches du défunt, en témoigne l’interruption puis sa reprise de sa lettre au moment du départ de l’Impératrice parti rejoindre sa fille à Laeken


« Nous avons été tellement abattus et découragés par la perte que vient de faire ma pauvre cousine qu’il m’a été impossible d’avoir deux idées à moi depuis le moment fatal qui nous l’a appris. Je comptais vous écrire, mais j’aurais été trop malheureuse que vous ne fussiez instruit que par moi de cette affreuse nouvelle actuellement qu’elle doit vous être arrivée et que je ne suis plus inquiète sur la santé de l’impératrice [Joséphine]. Je viens joindre ma douleur à celle si vive que je sens que vous devez éprouver. Cette affliction nous est à tous commune ; aimez-moi assez pour croire que telle force que soit la vôtre la mienne peut presque l’égaler. Vous concevez le désespoir de l’impératrice. J’ai eu à gémir des souffrances que je lui ai vu éprouver, je ne l’ai pas quittée un moment. Actuellement elle est beaucoup plus calme, elle a reçu une lettre du roi [Louis Bonaparte] qui en lui annonçant le mieux sensible de la reine [Hortense de Beauharnais] l’engage fort à vouloir bien venir jusqu’à Laeken et à écrire de cette résidence à sa fille afin de la décider à venir la joindre. Jusqu’à présent il n’a pas pu la décider à ce voyage qu’il regarde comme nécessaire absolument à sa santé et il ajoute qu’il n’y a que dans les bras de sa mère qu’elle peut trouver de la consolation et tout son désir est de l’y amener ; mais la reine dans son désespoir avait tout rejeté.
L’impératrice a accueilli cette idée avec empressement. Elle a même adouci beaucoup sa douleur car si elle n’eût qu’à consulter son cœur elle serait partie immédiatement pour la Haye ; mais ne sachant pas les volontés de l’Empereur
elle a été obligée d’y renoncer. Elle [l’Impératrice Joséphine] vient de partir à l’instant. Ma lettre avait été interrompue je viens la reprendre. J’avais espéré être de ce voyage, il me semble que personne n’avait plus de droit que moi d’y accompagner l’impératrice. Je lui en avais témoigné le vœu. Croyez encore mon cher cousin, que malgré mes larmes de m’avoir refusée je n’ai pas même pu obtenir d’y aller de mon côté ; mais je respecte trop les volontés de l’Impératrice pour me révolter et ne pas me résigner mais cependant je souffre bien et c’est une peine bien vive que j’ai ressentie. L’Impératrice y a mis beaucoup de bonté il est vrai et a paru fort touchée de mon chagrin mais elle va sans suite et sous le nom de Mme de La Rochefoucauld qui l’accompagne. Il parait qu’il n’y a point de logement à Laeken et qu’aussitôt la reine arrivée l’Impératrice la ramène aussitôt. Voilà ce qu’elle a bien voulu me dire pour me consoler mais je ne me sens pourtant pas consolée. Les seules personnes du voyage sont Mme La Rochefoucauld, le général [Michel] Ordener et Mr Tuinat. L’Impératrice a, je suis sûre, pensé que si j’y allais chacun voudrait venir et j’ai pensé pour les autres ce n’est pas la première fois que j’ai donné l’exemple de la résignation et que l’Impératrice m’en a loué en m’encourageant mais ici je ne vous parle que de moi et je vous vois trop douloureusement affecté pour songer à vous occuper des choses si peu importantes ; c’est précisément parce qu’elles ont le même motif que ce qui cause notre peine que je n’ai pu m’empêcher de m’y arrêter. J’ai reçu une réponse charmante de Madame La Pce Augusta [Augusta-Amélie de Bavière, épouse de Eugène de Beauharnais]. Veuillez mon cher cousin lui offrir l’hommage de mon bien tendre attachement. J’espère que vous êtes toujours content de sa santé ainsi que celle de la petite princesse [Eugène de Beauharnais et Augusta-Amélie de Bavière venait d’avoir une petite fille, Joséphine Maximilienne Eugénie Napoléone de Leuchtenberg, née le 14 mars 1807]. J’ai reçu les chapeaux que vous avez bien voulu m’envoyer et je vous en remercie. Je fais partir en même temps que ma lettre une petite boite contenant les objets en cheveux. J’ai été peut-être un peu longtemps à vous les envoyer mais on me les a fait attendre et ne les ayant eus qu’au moment de partir pour St Cloud je n’ai pas voulu les envoyer sans ma lettre. Des cheveux de la Pcesse Augusta on a fait le cordon de montre. On y a suspendu une clef du même travail et un petit flacon qui est arrangé pour qu’on puisse y ajouter un cachet au bas. Quant au collier on a tiré tout le parti possible des cheveux que vous avez envoyés. Ils étaient très courts et pas en grande quantité. Cependant comme on a fait cette chaine élastique j’espère qu’elle se trouvera assez longue. Le travail en est assez joli. De quelques-uns des cheveux qui restaient encore des vôtres on a fait une petite croix émaillée ; c’est fort la mode ici. On peut la suspendre à un autre collier soit chaine en or ou autrement.
Je ne crois pas que quant au prix il soit nécessaire que vous m’en parliez, cela n’en vaut pas la peine.
Adieu mon cher et bon cousin, croyez à ma vive amitié et pensez que je compte toujours sur la vôtre.
Beauh. De Lavalette
Ce lundi [11] mai [1807]
Je vous envoie tout ce fatras en vérité ma lettre se ressent fort du décousu de mes idées. Ma foi, c’est le cœur qui m’a dicté tout ceci. Elle partira telle qu’elle est. Avec les personnes qu’on aime l’amour propre est mis de côté »


Fils aîné du roi de Hollande Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais (fille de Joséphine de Beauharnais), Napoléon-Charles Bonaparte (1802-1807) est par héritage prince français et prince royal de Hollande. Napoléon Ier est donc, comme frère de son père et père adoptif de sa mère, en même temps son oncle et son grand-père.
L’enfant unissait en lui le sang des Bonaparte et des Beauharnais, les deux familles – rivales – de l’empereur des Français et roi d’Italie Napoléon Ier. À partir de l’établissement de l’Empire, le 18 mai 1804, jusqu’à son décès, le garçonnet est considéré implicitement comme l’héritier du trône. Napoléon-Charles Bonaparte meurt toutefois dans sa cinquième année du croup (sans doute de type diphtérique) à la Haye après quelques jours de maladie, dans les bras de sa mère Hortense.
Comme en témoigne cette lettre, la reine Hortense est très abattue pendant plusieurs semaines, au point d’inquiéter son entourage et l’empereur lui-même. La mort de l’enfant affligea également l’empereur, qui apprit la nouvelle le 14 mai alors qu’il était en campagne militaire en Pologne. Napoléon, dès lors, commença à être très préoccupé par sa succession : ayant appris en décembre 1806, avant le décès de Napoléon-Charles, qu’il était le père d’un garçon (le futur comte Léon) d’une maîtresse, Éléonore Denuelle de La Plaigne, il fut convaincu de sa capacité d’être père. Joséphine s’inquiéta alors fortement de son avenir d’épouse impériale, qui devait s’achever le 16 décembre 1809.

Emilie de Beauharnais, comtesse de Lavalette, est la cousine d’Hortense de Beauharnais (reine de Hollande). Elle est la nièce par alliance de l’impératrice Joséphine et devient pendant le Premier Empire suivante puis dame d’atours de l’impératrice.

HEREDIA (de), José-Maria (1842-1905)

Quatrain autographe signé « M. de Heredia » à la marquise de Saint-Paul
S.l.n.d [1894], 1 p. in-8°
Contrecollé sur carton souple, légères ondulations

Fameux quatrain du poète intitulé « Malagueña »


« Carmen m’a donné la rose
Qui sur son cœur s’effeuillait
Mais l’œillet vient de Rose
Et je préfère l’œillet

M. de Heredia »


Cet élégant quatrain à rimes croisées est extrait de l’Album Amicorum ayant appartenu à la Marquise de Saint-Paul (1848-1943), bienfaitrice, pianiste et salonnière française.

BONAPARTE, Caroline (1782-1839)

Lettre autographe signée « Caroline » à un prince
[Naples, le 15 mai 1813], 2 p. in-8°
Légères insolations du papier par endroits

Rare lettre de la petite sœur de Napoléon Ier, reine consort de Naples par son mariage avec Joachim Murat

Profondément affectée par la mort du maréchal Bessières, Caroline Bonaparte se réjouit néanmoins de la victoire de son frère à la bataille de Lützen
, succédant à la désastreuse campagne de Russie


« Prince,
J’ai reçu votre lettre du 6. Je vous remercie de votre attention tant il m’eut été affreux d’apprendre tout à coup dans le journal la triste nouvelle que vous m’annoncez, cette mort du maréchal duc d’Istrie 
[Jean-Baptiste Bessière], elle m’affecte excessivement. Il est cruel de voir ainsi disparaître peu à peu les personnes qui depuis 15 ans sont attachées à l’Empereur et ont partagé tous ses souvenirs, cette perte l’aura beaucoup affligéMoi j’en suis aussi tellement attristée. Je viens de recevoir la nouvelle télégraphique de la victoire remportée par l’Empereur [Bataille de Lützen], et je suis toute fière de l’avoir deviné car j’étais sûre que cela se passerait ainsi, le canon a tiré partout ici, et jusqu’à Messine pour annoncer cette heureuse nouvelle qui a fait la plus vive sensation, et nous en avions besoin. Je vous réitère, prince, que je me repose toujours sur vous pour les nouvelles. Vous savez combien elles me sont précie[uses]. Le Roi se porte toujours à merve[ille] [son époux Joachim Murat]. Les princes et princesses [Achille, Letizia, Lucien et Louise] jouissent d’une santé parfaite. Il n’est que moi qui sans avoir de maladie apparente deviens d’une maigreur et d’une faiblesse excessives au point que je me fais peur à voir.
Recevez, prince, l’assurance des senti
[ments] que j’aime à vous conserver.
Caroline »


Brillant officier de cavalerie, Jean-Baptiste Bessières, duc d’Istrie (1768-1813) est élevé à la dignité de maréchal d’Empire. Il se distingue dans la plupart des grandes batailles des guerres napoléoniennes, notamment à Austerlitz, Eylau, Essling et Wagram. Il est mortellement blessé le 1er mai 1813 à Rippach, à la veille de la bataille de Lützen.
Napoléon en parle en ces termes : « un officier de réserve plein de vigueur, mais prudent et circonspect ». Quoique médiocre commandant en chef, il est un excellent général de cavalerie, courageux, capable d’initiatives et qui conduit souvent en personne les charges de ses cavaliers face à l’ennemi. Sa mort est vivement ressentie par l’empereur, qui déclare à son sujet : « Il a vécu comme Bayard, il est mort comme Turenne. »
La bataille de Lützen a lieu le 2 mai 1813 lors du retour de l’armée napoléonienne après le désastre de la campagne de Russie. Wittgenstein attaque une colonne de Napoléon près de Lützen, afin de reprendre la ville de Leipzig. Après une journée de combats intenses, les forces prussiennes et russes battent en retraite.

BOULEZ, Pierre (1925-2016)

Carte autographe signée « PB » à André Dubois
Cachet postal : [Cologne, 10 IX (septembre) 1952], 1 p. in-8° au verso d’une carte postale

Belle carte de Boulez envoyée de Cologne


« Cher ami,
Que vous dirai-je sur les voyages dans cette divine vallée, que Victor Hugo n’ait déjà dit ? Je vous prierai donc de vous en reporter sur ce sujet, à ce brillant et prolixe auteur. Ajoutons-y la pluie qui ne fait qu’embrouiller les lignes de ce paysage jusqu’à ce qu’on y voie goutte ou goutte, à volonté. Mais enfin, à Berlin, nous nous consolons en pensant que nous logeons à Kurfûrstenddamm, perfection brillante s’il en est. Nous avons toujours le ferme propos, d’arriver à Metz samedi, où nous confirmerons l’heure dans une carte prochaine, soit même par télégramme, si besoin s’en faisait sentir par d’une paresse épistolaire. Amicalement. PB »


Compositeur et chef d’orchestre français, Pierre Boulez joue un rôle majeur dans le développement de la musique sérielle, électronique et aléatoire. Ses vues polémiques sur l’évolution de la musique lui valent une réputation d’ « enfant terrible ».
André Dubois (1903-1998) est un haut fonctionnaire, préfet de police et par la suite président de la Fédération nationale de la presse française.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « Ton pirate » à sa maîtresse Jeanne Schneider
[Prison de la Santé, Paris], 5 avril [19]76, 2 pp. in-8°
Cachets humides de l’administration pénitentiaire

Tendre lettre à sa maîtresse au sujet de la rédaction de son livre L’Instinct de mort et l’affaire de Percé


« Nanou d’amour.
Salut petite fille. Aujourd’hui pas de courrier. ni de visites d’avocats. J’espérais voir ma mère mais cela sera pour mercredi avec Sabrina [la fille de Jacques Mesrine]. Il va me falloir arbitrer le conflit des générations une fois de plus. J’attends de savoir exactement la position que désire prendre la petite et sur la façon dont elle s’est comportée pendant ses vacances de liberté. Ici rien de très spécial. J’ai passé une bonne partie de la journée à écrire mon bouquin [L’Instinct de mort]. J’avance doucement. Là j’ai les 1/4 de fait, je crois qu’il me faut compter un an pour l’écrire dans sa totalité…. peut-être plus. Pour l’instant tu es encore une charmante inconnue car je n’ai que 28 ans… Sais-tu que je ne suis pas tendre avec moi-même. Mais que de difficultés je rencontre à me souvenir exactement de certains faits. J’ai l’intention de faire un chapitre spécial pour l’affaire de Percé. Je t’en parlerai à notre prochain parloir car je ne suis pas encore rendu à cette époque malheureuse pour nous. Daoust [avocat de Mesrine, le plus grand criminaliste de l’époque] a laissé passer une belle affaire financière en tardant à me répondre au sujet d’un livre exclusivement basé sur ce procès. Je suis certain qu’actuellement il aimerait financer la publication… mais il peut aller se faire foutre. succès ou pas ! il y a de toute façon beaucoup d’argent à prendre. Nanou de mon cœur je termine par de tendres bécots sur ta jolie personne – je t’adore mon ange… alors le reste !!! Ton pirate x »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider au sortir de son divorce avec Maria de Soledad. Jeanne est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leur activité criminelles.
Le 30 juin 1969, à Percé (au Canada), l’aubergiste Évelyne Le Bouthillier est retrouvée, morte étranglée, au motel Les Trois Sœurs. Au même moment, la police recherche Jacques Mesrine, un truand d’origine française qui deviendra l’ennemi public no 1, et sa concubine Jeanne Schneider, pour l’enlèvement raté du richissime Georges Deslauriers. On relève leurs empreintes digitales sur des objets ayant appartenu à la victime. Dès lors, ils seront inculpés de meurtre. Malgré une preuve circonstancielle accablante, les jurés rendent un verdict de non culpabilité.
D’autres larçins leur font passer plusieurs années en prison en Québec. Mesrine s’évade de la prison de Saint-Vincent-de-Paul avec cinq autres détenus dont notamment Jean-Paul Mercier, le 21 août 1972.

[NAPOLÉON] FOUCHÉ, Joseph (1759-1820)

Lettre autographe signée « JF » (minute) à [Élisa Bonaparte, comtesse de Compignano]
Linz [Autriche], 16 7bre [septembre] 1819, 2 p. in-8°
Papier uniformément bruni, nombreux caviardages et corrections de la main de Fouché

Admirable lettre d’exil de Fouché se livrant à de nombreuses confidences sur ses rapports avec l’empereur Napoléon, la décisive ordonnance royale du son rôle en tant que ministre de la Police et sa haine à l’égard du duc Bassano


« Je remercie v[otre] a[ltesse] de son aimable visite, elle en recevra la récompense, car il doit y avoir des grâces destinées à ceux qui consolent les affligés. Je ne le plains pas de ma position, , il vaut mieux être du nombre de ceux que l’on estime et que l’on proscrit que d’être de ces gens qu’on paye et qu’on méprise. Seulement je voudrais être libre de choisir le lieu de mon exil.
Vous m’avez rendu un véritable service en prévenant des calomnies du duc de Bassano. J’ai de quoi le couvrir de confusion. Sans doute, j’ai correspondu avec les Cabinets étrangers pendant que j’étais ministre de Napoléon. Je ne désire pas d’autre vengeance contre mes ennemis que d’obtenir la permission de publier cette correspondance. Le duc de Bassano est un vieil enfant : Napoléon avait raison de le comparer à une statue jetée en bronze dont le dehors est colossal et le dedans vide.
Il est étrange qu’il vous ait dit que c’est moi qui ait fait placer le comte de Bourmont [Louis Auguste Victor de Ghaine, général d’Empire] auprès de Napoléon. Tout le monde sait, excepté le vulgaire et le duc de Bassano, que je n’ai cessé d’accuser cet homme méprisé dans son parti même et de reprocher à Napoléon la confiance qu’il lui accordait. Il est vrai que j’ai payé sur les fonds de la police beaucoup d’intrigants. Mais c’est toujours malgré moi et par les ordres réitérés de Napoléon. Toutefois j’ai osé lui résister dans quelques circonstances. Je n’ai jamais payé [Joseph] Fiévée, Chateaubriand, Mme [Félicité] de Genlis etc. C’est M. de la Valette surintendant des Postes qui leur donnait le salaire réglé par une note impériale.
Depuis que le pauvre duc de Bassano n’est plus auprès de Napoléon, il ne sait plus ce qu’il dit […] Pourquoi me reproche-t-il d’avoir signé l’ordonnance du 24 juillet* ? Il sait bien que je ne l’ai signée que pour qu’elle ne fut pas exécutée par un autre, et que je n’avais pas le choix des moyens de le sauver, au milieu des convulsions de haine et de rage de la faction qui dominait alors. Si je n’eusse arrêté le premier choc, qu’on juge de ce qui serait arrivé par ce qui s’est passé depuis ma sortie de Paris ! Je m’attendais bien que les hommes que je servais de toutes mes forces me reprocheraient de ne les avoir pas servis au delà de mes forces.
Il n’y a ni raison, ni justice à tout ce qu’on fait contre moi. Je vous jure que je serai bien fort quand on me permettra d’entrer en discussion. Défiez-vous de tout ce qu’on a imprimé en mon nom, on a falsifié jusqu’à ma correspondance. Vous la lirez un jour toute entière ; vous jugerez si Napoléon a été défendu avec zèle et fidélité par son ministre : j’écrivais au Congrès de Vienne le 8 mai 1815 pour l’engager à conserver Napoléon sur le trône, cette phrase remarquable : Il n’y a qu’un prince fort par lui-même et par sa gloire qui puisse tenir tête à la liberté, qui puisse l’arrêter là ou elle doit être arrêtée pour sa propre conservation. Guillaume 3 a suffi en Angleterre en 1688, il ne suffirait pas aujourd’hui en France. Cela est trop monarchique aujourd’hui, gardez-moi le secret on me trouverait trop royaliste. Je ne me suis permis, dans ma correspondance, qu’un seul blâme contre Napoléon ; c’est d’avoir trop souvent fait de petites choses quand il avait le moyen d’en faire de grandes […] J.F
Je suppose que le duc de Padoue n’a pas prêté l’oreille au sornettes du duc de Bassano »


Louis XVIII fait révoquer Fouché de ses fonctions par la loi du 2 janvier 1816, condamnant ainsi tous les régicides à l’exil. Afin de l’éloigner de lui, le roi le nomme ambassadeur à Dresde, mais Fouché, fidèle à l’Empire, donne immédiatement sa démission. L’ancien ministre s’installe alors à Prague jusqu’en 1818, puis à Linz, en 1819, avant de se fixer à Trieste où il meurt en décembre 1820.
« J’ai de quoi le couvrir de confusion »
Comme largement évoqué dans cette lettre, Fouché n’aura de cesse de défendre sa propre image pendant ses dernières années, menaçant ses adversaires de divulguer leurs plus inavouables secrets. Il les intimide en menaçant, entre autres, de publier ses mémoires.

Le duc de Bassano, fidèle de Napoléon jusqu’à la chute de l’Empire, fut l’un des grands proscrits de la seconde Restauration, exclu de l’Institut où il avait été élu en 1803. Il se retire en Autrice, à Linz, puis à Graz.

*L’ordonnance royale du est une liste condamnant cinquante-sept personnalités pour avoir servi Napoléon 1er durant les Cent-Jours après avoir prêté allégeance à Louis XVIII. Les officiers sont jugés par le conseil de guerre, les autres proscrits par les Chambres. Cette ordonnance est le premier acte légal de la Terreur Blanche. Le maréchal Ney, principale victime de la réaction, est exécuté à la suite de son passage devant la Chambre des pairs.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Robert de Montesquiou
[Paris], « 9 Bd Malesherbes » [27 mai 1895], 1 p. in-12° sur petit bleu (télégramme)
Adresse autographe au verso :
« [M]onsieur le Comte / Robert de Montesquiou-Fezensac / 11bis avenue Kléber [Paris] » (l’adresse est celle de Madame de Brantes)
Timbre humide monogrammé « RM » [Robert de Montesquiou] au coin supérieur gauche

Proust convie Robert de Montesquiou à la première audition de ses Portraits de peintres chez Madeleine Lemaire, mis en musique par Risler


« Cher Monsieur,
Pour préciser du thème qui fut leur occasion, de très belles variations de Hahn, on entendra demain quelques-uns de mes plus mauvais vers dans ce même atelier où on entendit de si beaux, et où de bien beaux encore, Madame Lemaire l’espère et le fait espérer, viendront encore émouvoir vos admirateurs ! Si parmi toutes les belles musiques qu’il y aura demain, vous pouviez prendre quelque plaisir à constater dans les vers des jeunes gens non seulement l’admiration mais l’imitation des vôtres, si vous pouviez vous plaire à écouter certains ciels “plus tristes d’être bleus”
[extrait du 2e vers de son poème sur Potter] comme un écho fidèle et affaibli d’augustes mains “plus belles d’être nues”, je vous demanderais de venir de bonne heure, car Risler, qui vient exprès de Chartres pour jouer ces portraits de peintres, doit retourner le soir même au régiment et à 11 heures il sera obligé de nous quitter.
Votre respectueux et affectueux.
Marcel Proust »


Le compte-rendu de cette soirée, qui fit grand bruit, est amplement rapporté par une publication dans Le Gaulois du mercredi 29 mai 1895 (rubrique Dans le monde, p.2) : « Hier, chez Mme Madeleine Lemaire, après un dîner, réception très sélect : des personnalités du monde artistique, élégant et aristocratique. Soirée musicale des plus brillantes, consacrée aux œuvres du distingué compositeur Reynaldo Hahn. / On a entendu et applaudi Mmes Eames-Story, Gabrielle Krauss ; MM. Fugère, Edmond Clément et Risler, qui surtout ont admirablement fait valoir les belles œuvres que M. Hahn a composées sur des poésies finement ciselées par M. Marcel Proust. Chacun des Portraits de peintres était un petit bijou […] / Dans l’assistance : Princesse Edmond de Polignac, marquise d’Hervey Saint-Denys, marquise d’Eyragues, née de Montesquiou-Fezensac […], compte Robert de Montesquiou, M. Heredia et ses filles, comte Primoli, M. Anatole France […] »

Proust fait publier ses Portraits de peintres (Albert Cuyp, Paulus Potter, Antoine Watteau et Antoine Van Dyck) d’abord en plaquette chez Heugel et Cie en 1894 avant de les joindre deux ans plus tard à son recueil Les Plaisir et les jours où sont regroupés ses nouvelles et l’ensemble de ses poèmes en vers et en prose.  À l’inverse de ses Portraits de peintres, ses Portraits de musiciens n’ont pas été mis en musique lors des récitals.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « C » [à Louis de Fontanes ?]
[La Vallée-aux-Loups] 9 7bre [septembre] 1813, 3 p. in-8°
Discrète trace d’onglet

Riche et remarquable épître d’un Chateaubriand désabusé, évoquant entre autres Le Génie du christianisme


« J’ai été errant mon cher ami, et n’ai voulu répondre à votre bonne lettre qu’en rentrant dans ma vallée. […] Moi je suis vieux comme Hérode. Je ne rêve plus qu’histoire du temps passé. Je ne suis plus amoureux que d’Agnès Sorel dont j’ai des cheveux qui font honte aux miens tant ils sont jeunes et blonds. Il faut finir, mon cher ami. Il faut s’en aller : voici un mois d’octobre qui arrive avec ce maudit 4 [allusion à sa date d’anniversaire, Chateaubriand vient de fêter ses 44 ans] qui m’a apporté encore une pesante année.
Je n’en suis guère plus sage, mais je me lamente, et jette un regard en arrière. Je travaille beaucoup, et je me hâte d’abandonner le reste, de peur d’être abandonné.
Nous allons passer deux mois de suite à la Vallée
. [Joseph] Joubert, qui ne va pas à Villeneuve, vient ici lundi prochain. Il y restera quelques temps […]. J’ai fini l’affaire du Génie du Ch[ristianisme]. Il est à vous maintenant. Dans 3 ou 4 ans cela sera une bonne affaire ; aujourd’hui cela me gêne et m’oblige à des sacrifices […]
Vous savez les nouvelles. Elles sont du plus grand comme du plus vif intérêt. Nous allons voir des évènements extraordinaires [allusion au revers de l’armée napoléonienne]. Revenez vite parmi vos amis. Je ne sais trop si cette lettre vous trouvera où je l’adresse. Dans ce cas présentez, je vous prie, mes respectueux hommages à vos hôtes. M[a]d[am]e de Ch[ateaubriand] vous dit mille choses, et moi je vous embrasse tendrement.
C
Ce 9 7bre 1813 »    


Reclus dans sa Vallée-aux-Loups après ses nombreux déplacements et son voyage en Orient, Chateaubriand y commence la rédaction de ses Mémoires en 1809. L’affaire du Génie du christianisme (paru à l’origine en 1802), dont il est ici question, est relancée tardivement par la publication des Martyrs, épopée en prose qu’il publie en 1809. L’écrivain souhaite y montrer, en pratique, les beautés du christianisme défendues dans l’apologie. Les Martyrs suscitent une véritable affaire à tel point qu’un comité de censure, piloté par Fouché, demande aussitôt des modifications. Le nom même de son auteur n’est pas mentionné à l’occasion des Prix décennaux de l’Institut, en 1811. Napoléon a exigé, en parallèle, un réexamen au sujet du Génie du christianisme.

[AFFAIRE DREYFUS] Émile ZOLA (L’Aurore, 13 janvier 1898) 

Édition originale du numéro 87 du journal L’Aurore :
« J’Accuse…   !  » – Lettre au président de la République par Émile Zola
[Paris, 13 janvier 1898], 4 p. in-plano
Petits défauts du temps, discrète réparation en marge gauche par comblement et mise au ton, traces de pliures et brunissures par endroits, remarquable état de conservation, exemplaire bien complet de ses quatre pages.
Encadrement sur-mesure, sous verre musée, document flottant sur Marie-Louise chestnut, cadre en chêne noir

Édition originale du mythique journal L’Aurore du 13 janvier 1898, s’ouvrant par la lettre ouverte d’Émile Zola au président de la République Félix Faure

L’un des rares exemplaires bien conservés


«Le choc fut si extraordinaire que Paris faillit se retourner» (Charles Péguy)
Cette lettre-manifeste de l’écrivain a paru sur six colonnes, en une du journal L’Aurore, le 13 janvier 1898. Son titre : « J’accuse… ! », énorme et provocateur, est une trouvaille de Georges Clemenceau.

Le réquisitoire implacable d’Émile Zola:
Au lendemain de l’acquittement d’Estherazy, le 10 janvier 1898, la voix légale de la révision du procès Dreyfus semblait condamnée. Dans sa lettre ouverte au président de la République Félix Faure, lui-même anti-dreyfusard, Zola s’emploie à démonter point par point la procédure montée de toute pièce. Dénonçant ce qu’il qualifie de « plus grande iniquité du siècle », il met en cause nommément les généraux, experts en écriture et attaque l’état-major et les conseils de guerre de 1894 et 1898. Sa célèbre anaphore « J’accuse » en tête de chacun des derniers paragraphes vient conclure son implacable réquisitoire.

Il sait qu’il sera poursuivi, c’est son but : « Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends ».
Zola provoque une onde de choc qui fera basculer l’histoire et dont les résonances continuent de nous parvenir encore aujourd’hui.

Le tirage de 300,000 exemplaires (soit dix fois plus que d’accoutumé) s’écoula aussitôt.
Imprimé sur un papier journal de mauvaise qualité, très peu d’exemplaires complets et en bon état nous sont parvenus.

[AFFAIRE DREYFUS] ZOLA, Émile (1840-1902)

Carte-lettre autographe signée « Z » [à son éditeur Eugène Fasquelle]
[Queen’s Hotel, Upper Norwood], 1er février [18]99, 2 pp. petit in-12°, tranche dorée

Depuis sa terre d’exil, Zola tente d’obtenir des nouvelles sur sa situation auprès de son avocat


« Mon cher ami,
Nous comptons donc sur vous la semaine prochaine, le jour qu’il vous plaira de choisir. Prévenez-nous pour qu’on ne vous empoisonne pas trop ici, à l’hôtel.
Nous n’avons besoin de rien. N’apportez pas d’argent. La seule chose qui me ferait plaisir, ce serait que vous tâchiez d’avoir une conversation confidentielle avec Labori
[l’avocat de Zola pour son procès, suite à la publication de « J’accuse… ! »], en lui demandant, pour moi, ce qu’il peut savoir d’exact sur la situation. Me Mornard ne pourrait-il pas le renseigner un peu, à mon intention. Vous devez comprendre combien j’ai soif de renseignements précis, au milieu de l’effroyable gâchis que nous traversons. – […]. Nos vives amitiés à votre femme, nous vous embrassons, vous et les vôtres. Z
J’ignore encore si les Mirbeau sont arrivés aujourd’hui, nous les attendons ici demain.
»


Logé depuis le mois d’octobre 1898 au Queen’s Hotel, dans la banlieue de Londres, Zola poursuit son exil depuis la confirmation de sa condamnation à Versailles, le 18 juillet de la même année. Mis à l’écart du tumulte parisien, l’écrivain exprime ici un besoin pressant d’en connaître davantage sur sa situation et le déroulement de l’affaire Dreyfus, qui continue de déchaîner les passions. Les magistrats de la Cour de cassation sont au même moment en plein examen du dossier Dreyfus, dont s’occupe Henry Mornard, l’avocat de la défense. Les évènements des jours et semaines suivants, comme la mort brutale de Félix Faure, permettront aux dreyfusards d’espérer à un dénouement favorable.
Après avoir succédé à Charpentier, Fasquelle devient l’éditeur de Zola en 1896. Il lui sert en outre de « banquier » et lui remet, dès que l’écrivain en éprouve le besoin, des sommes provenant de ses droits d’auteur.

JACOB, Max (1876-1944)

Poème autographe signé « Max Jacob » à Pierre Lagarde
St Benoît sur Loire, 17 août 1936, 1 p. in-4°
Pliure centrale, annotation typographique au crayon

Touchant poème en vers libres, enrichi d’un dessin original figurant deux vaisseaux en mer


« Les voiles gonflées du même côté
les côtés se regardaient amoureusement
les deux vaisseaux allaient sans dire autrement que par les cymes et les voiles
et le même vent d’ouest les poussant vers l’aurore dorée.
Quel vent mauvais sépara les voilures.
Quel nuage noir a coloré la mer.
Quelle brume a séparé les voiles.
Me voici dans la vallée qui ouvre les verdures sur la mer dorée. Reviendra-t-il, l’amour ?
Si je montais en haut de la colline et de la lande apercevrais-je la galère qui accompagna la mienne.

Max Jacob »


Figure centrale de l’avant-garde montmartroise et montparnassienne, converti en 1915 au catholicisme, Max Jacob quitte Paris en 1936 pour s’installer à Saint-Benoît-sur-Loire dans le Loiret. Il y mène une vie monacale. Ses travaux poétiques et médiations, en partie repris par Pierre Lagarde dans son admirable ouvrage Max Jacob – Mystique et martyr, se rapprochent du courant quiétiste. Il assume dès lors sa vie de pêcheur comme condition de sa rédemption. Ses origines juives lui valent, six mois avant la libération de Paris, d’être arrêté par la Gestapo, destin qu’il accepte comme un martyr. Il est interné par la gendarmerie française au camp de Drancy et y meurt cinq jours plus tard, quelques heures avant sa déportation programmée pour Auschwitz.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à Pierre Lagarde
St Benoît sur Loire, 6 avril 1942, 1 p. in-4°
Pliure centrale, annotations typographiques au crayon

Lettre en partie inédite sur la foi et allusion à la rafle des notables, survenue cinq mois plus tôt


« Très cher Pierre
Je suis enchanté de ce petit article. Instruis-toi dans la symbolique : c’est un excellent moyen d’approcher l’intérêt des lèvres des indifférents
[…] Oui ! la médiation ! c’est-à-dire la descente au nombril de l’idée la plus simple. La conviction, le sérieux, l’épanouissement du sentiment. La surveillance de soi-même : se rendre compte à chaque instant de ce qu’on est, de ce qu’on fait, de ce qu’on dit et aussi des autres […] établir le vide en soi-même. Lis la traduction de maître Eckhart qui parait chez Gallimard en ce moment. Maitre Eckhart établit les régions de l’âme et souhaite que nous habitions la plus profonde pour y rencontrer le supérieur.
Pauvre ville !
[Paris] pauvres parents ! Mais que dirais-tu si l’un des tiens était dans un camp de concentration et y mourait comme c’est arrivé à mon beau-frère, laissant ma sœur [Julie-Delphine] à peu près folle de douleur. Prie pour Lucien Lévy mort et sa pauvre femme et pour moi qui n’ai plus le droit de publier. On dit à une dame : ‘C’est le portrait de Max Jacob ! Tiens ! Je croyais qu’il était mort !’ Mort en effet plus qu’elle ne croit.
Amitié fidèle
Max Jacob »


Le poète fait ici allusion à la troisième rafle antijuive, dite la « rafle des notables », opérée le 12 décembre 1941 par la police française. Ce sont au total sept cent quarante-trois citoyens arrêtés, dont René Blum et le bijoutier Lucien Lévy, beau-frère de Max Jacob. Au début de l’année 1942, Max Jacob se cache pendant un mois à Orléans chez les Tixier, belle famille de son ami peintre et sympathisant communiste Roger Toulouse. Le 8 mars 1942, Lucien Lévy meurt au camp de Royallieu, à Compiègne, d’où partiront les premiers déportés qui auront jusque-là survécu à leurs épouvantable condition d’internement. Un mois après cette lettre, Max Jacob assiste à Quimper à l’enterrement de sa sœur aînée Julie-Delphine, tuberculeuse et tuée par le chagrin le 15 avril.

Ses travaux poétiques et médiations, en partie repris par Pierre Lagarde dans son admirable ouvrage Max Jacob – Mystique et martyr, se rapprochent du courant quiétiste. Il assume dès lors sa vie de pêcheur comme condition de sa rédemption. Ses origines juives lui valent, six mois avant la libération de Paris, d’être arrêté par la Gestapo, destin qu’il accepte comme un martyr. Il est interné par la gendarmerie française au camp de Drancy et y meurt cinq jours plus tard, quelques heures avant sa déportation programmée pour Auschwitz.

[BAUDELAIRE] ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » [à Léon Deschamps]
Paris, 20 mars 1893, 1 p. in-8° sur papier vergé

Zola renonce à écrire un texte pour soutenir le projet d’un monument en hommage à Baudelaire


« Mon cher confrère,
Je suis si occupé, si lancé dans d’autres travaux
[Zola travaillait à son ultime volume des Rougon-Macquart], que je ne pourrais vous envoyer que les quelques lignes banales d’usage, sur Baudelaire. Et cela est vraiment ne serait digne ni de lui ni de moi.
D’ailleurs, ce tombeau ne devrait-il pas être érigé par les seuls poètes ? La prose y ferait tache, ce me semble.
Bien cordialement à vous

Emile Zola »


Léon Deschamps, fondateur de La Plume, lance le 1er août 1892 dans sa revue une souscription pour une statue en hommage à Baudelaire. Zola figure parmi les nombreux écrivains et artistes qui répondent favorablement à cet appel. Dans une lettre à Deschamps il écrit : « Je ne puis être que très fier de faire partie du comité pour un monument à Charles Baudelaire. Inscrivez-moi et c’est moi qui vous dis merci ». Cette courte épître sera reprise telle quelle dans le journal de Deschamps quinze jours plus tard, au côté d’autre figures littéraires de l’époque. Ferdinand Brunetière, défenseur du classicisme et du traditionalisme, va néanmoins s’opposer vigoureusement au projet, dans une tribune parue dans La Revue des deux mondes, le 1er septembre suivant. Après plusieurs mois de polémiques, le projet échouera (voir La Querelle de la statue de Baudelaire (août-décembre 1892), dir. André Guyaux, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007).

Léon Deschamps avait une nouvelle fois sollicité l’écrivain naturaliste qui, dans cette sympathique réponse, décline l’invitation d’écrire un texte pour soutenir le projet, mis à mal par Brunetière et par quelques autres. Avait-il jugé suffisante sa participation au comité huit mois plus tôt ? Il n’avait pas toujours été indulgent à l’égard du poète, sans doute trop proche du réel pour apprécier « les gracieuses Mélancolies et les nobles Désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la Poésie » (Baudelaire, « Théophile Gautier », L’Artiste, 13 mars 1859). On souvient de l’article assassin qu’il écrivit dans Le Gaulois du 10 janvier 1869 (p. 3) : « Moi, je me l’imagine volontiers comme un cénobite littéraire qui se serait creusé une étroite niche dans une roche dure et qui y aurait vécu seul, en face des hallucinations de son cerveau détraqué. Ce ne fut point un créateur, et si son imagination s’emportait en audaces étranges, elle était singulièrement peu féconde […] Si l’on veut un jugement sommaire des Fleurs du Mal, je dirais : ‘Dans cent ans, les Histoires de la littérature française parleront de ce livre à titre de curiosité […]’ »

ROLLAND, Romain (1866-1944)

Manuscrit autographe signé « Romain Rolland »
S.l, avril 1928, 1 p. in-4°
Petite déchirure marginale et fente au pli discrètement réparées

Texte prophétique de l’écrivain plaidant pour l’Éducation nouvelle, devenue le socle du système éducatif d’aujourd’hui


« La question de l’Éducation nouvelle est la plus grave du temps présent. Elle n’est et ne doit être rien moins qu’une Réforme de la vie profonde, analogue à celle du XVIe siècle. Une puissante hérésie qui renouvelle les forces vitales de l’humanité. Les civilisations, d’Europe et d’Amérique étouffent sous la gaine d’idées pétrifiées, de préjugés mortels. L’Esprit est astreint, dès l’enfance, à un automatisme absurde, aux mains des gardiens d’abus. Il a un besoin urgent d’air libre et de soleil, de confiance en soi, de raison virile et sereine qui use harmonieusement de sa saine liberté. Il ne pourra les conquérir sans luttes. Trop d’abus anciens et nouveaux ont intérêt à entraver le réveil de l’Âme, et lui barre la route, avec des pseudo-vérités, mortes et meurtrières. Mais c’est à tous les hommes, à toutes les femmes, de raison et de cœur sains, honnêtes et robustes, d’oser faire leur choix entre ses libérateurs et ses oppresseurs masqués.
Romain Rolland »


Émergeant à la fin du XXe siècle, l’Éducation nouvelle devient un mouvement pédagogique international dans les années 1920. Rolland, déçu de la méthode dite traditionnelle, ne se détourne pas pour autant de la chose pédagogique. Lui-même enseignant à la Sorbonne, il s’intéresse aux nouvelles pratiques de son époque et montre un grand intérêt pour les expériences progressistes des pédagogies nouvelles. C’est durant son séjour en Suisse, pendant la première guerre mondiale, qu’il fait la connaissance du pédagogue helvète Adolphe Ferrière (1879-1960), figure majeure du mouvement de l’Éducation nouvelle. Les adhérents à la cause plaident une réforme profonde de l’enseignement, reposant sur une connaissance scientifique de l’enfant. Ils prônent une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs : intellectuels et artistiques, mais également physiques, manuels et sociaux. Nombre de ces pratiques furent généralisées et forment aujourd’hui le socle du système éducatif tel que nous le connaissons.

Écrit en avril 1928, ce texte est d’abord paru dans le journal allemand Das werdende Zeitalter. Il est destiné à un article du pédagogue Karl Wilker. Celui-ci compte réunir les déclarations de personnalités marquantes sur la nécessité d’une éducation nouvelle. Le texte est publié l’année suivante sous forme d’un propos liminaire dans le numéro 50 de Pour l’Ère nouvelle (sept. 1929).

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « Ton N°I el Viejo » à sa maîtresse Jeanne Schneider
Prison de Fleury-Mérogis, 3 décembre 1976, 3 p. in-4°

Entre rage, rancœur et tendresse, Mesrine livre dans cette longue lettre un portrait sans concession de lui-même


« Nanou d’amour,
Bonsoir mon ange. Très agréable parloir, il est vrai que notre entente de ‘vieux amants’ est toujours au beau fixe. Dis-moi ma puce je te trouve un peu maigre… tu aurais besoin de prendre quelques kilos
[…] Oui mon ange, le juge Xuereb est un type très bien, je le trouve direct et surtout logique. Il te faudra garder le contact avec lui et un jour y aller avec Sabrina [la fille de Jacques Mesrine] pour qu’il constate son changement.
Dis-moi ‘mère-poule’, j’apprécie beaucoup tes conversations avec monsieur Monteuil, mais ne parle pas de mes conditions de détention et de mon isolement OK ma belle. Je suis isolé pour des raisons que je comprends très bien et même si cela est malgré tout injuste je n’ai pas à me plaindre de ma détention qui est très humaine sur tous les plans. On ne peut rien améliorer… sauf si on te met avec moi mais les réformes n’en sont pas là. Il est certain que cette solitude me pèse, mais je m’y suis préparé depuis longtemps par une discipline morale… et je cache si bien mes sentiments que personne ne peut savoir si j’en souffre ou pas… sauf moi. La seule chose que je sais, c’est que je suis un peu plus ‘fauve’ chaque jour… mais ça ! ceux qui se trouveront face à moi (si un jour la cage s’ouvre) pourront le regretter, car les cadeaux que j’ai pu faire dans le passé… je ne les referai jamais plus. ‘J’ai joué le jeu en acceptant de me rendre’… on a triché avec moi en m’isolant… tu sais mon ange, au Canada j’avais les mêmes promesses (on en avait ri) mais une fois évadé je les ai toutes tenues sans aucune exception. C’est ce côté ‘vengeur’ qui fait de moi un type dangereux… J’ai trop d’orgueil et je le sais. J’ai le dos au mur depuis longtemps et n’ai qu’un seul choix à faire, ou accepter de crever en cellule… ou me battre un jour pour ma liberté… mon choix est fait depuis longtemps et en attendant je suis ‘le détenu modèle’ à un coup de gueule près. Moi, je sais où je vais et je n’ai aucun souci pour mon avenir, car mon passé est une sacrée garantie. Tu sais mon ange un type comme moi en détention c’est presque impossible… car il y a tout de suite le ‘caïda’ et comme je ne suis pas un homme patient avec les 97% de pédés que sont la population générale… je risque d’en tuer un à la première discussion grave. Par contre j’aimerais avoir un petit chat, ça ! ça serait une sacrée compagnie… surtout moi qui les adore… mais là c’est peut-être demander beaucoup. Bien qu’avant ! plusieurs détenus en avaient en cellules ici.
Je suis d’accord pour Maxim’s le jour de ton anniversaire… mais je ne sais pas si c’est ouvert le lundi… de plus tu seras déçue ! J’y suis allé plusieurs fois et en dehors ‘des prix’ il n’y a rien d’exceptionnel… sauf un certain snobisme à y aller. Je crois qu’il y a mieux dans Paris
[…]
Voilà petite fille, ‘Mister’ votre z’époux termine par de doux bécots d’amour sur tout ce qui est toi… si tu es sage, je t’épouse… mais avant de faire une telle connerie… je vais consulter mes avocats – eh oui pour la corde au cou… j’ai le dois à ma demande de grâce !! présidentielle.
Je t’adore… pas plus compliqué que cela.
Ton N°I el Viejo »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est call-girl, dont les souteneurs auraint été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, tous deux fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider finit par se ranger et rompre alors que Mesrine est toujours en prison. L’ennemi public numéro 1 ne s’arrête pas. Il condamne avec acharnement ses conditions de détention en QHS puis s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Poème autographe signé « Paul Eluard »
S.l, 1942, 1 p. in-folio (21 x 31 cm) sur papier brun
Encadrement sur-mesure sous verre musée, document flottant sur Marie-Louise grise, cadre doré
Légères traces de pliures (professionnellement atténuées)

Magnifique poème ouvrant le recueil Au rendez-vous allemand et symbolisant à lui seul l’esprit de la Résistance


Avis

La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie

L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écœurait
Sa force le faisait gémir
C’est tout au fond de cette horreur
Qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui

1942

Paul Eluard


Dans Raisons d’écrire, Paul Éluard donne le commentaire suivant sur ce poème : « Anonyme, Avis me fut demandé par Paulhan pour un journal qui ne put paraître. Sur les murs de Paris, des Avis, menaces ou listes d’otages, s’étalaient, faisant peur à quelques-uns et honte à tous ». Les premiers « avis » furent placardés sur les murs de Paris pendant l’hiver 1940-1941).

Paru d’abord dans Les Poèmes français, Lausanne, 1943, sans signature, le poème est ensuite repris dans L’Honneur des poètes [II], p. 78, signé « Jean du Haut », puis dans Traits (juillet, n°7), anonyme et sans titre. Il est plus tard reproduit dans Paul Éluard, Parrot (1944), p. 146, avant de figurer dans Au Rendez-vous allemand et volontairement placé en première position par le poète. Il est aussi mis en musique par Elsa Barraine en 1946. La partition est dédiée à la mémoire du résistant Georges Dudach, fusillé comme otage par les allemands en 1942 au Mont-Valérien.

L’un des plus bouleversants poèmes d’Éluard

[CÉLINE] Capitaine Schneider & Colonel Blacque-Belair

Deux cartes-lettres autographes signées [Correspondance des Armées de la République] :

Carte-lettre autographe signée « Schneider » à Louis Destouches
« Ledringhem (nord), le 2 décembre 1914 », 1 p. petit in-8° oblongue
Adresse autographe au recto :
« [M]al des Logis Destouches du 12e Cuirassiers / Hôpital auxiliaire n°5 Hazebrouck »

Carte-lettre autographe signée « Colonel Blacque-Belair » à Monsieur [Fernand] Destouches
S.l, « 27.12.1914 », 1 p. petit in-8° oblongue
Adresse autographe au recto :
« [M]onsieur Destouches / 11 rue Marsollier / Paris »
Petites taches superficielles, cachets postaux

Deux importants témoignages relatifs à la blessure et la médaille militaire du maréchal des logis Destouches


Capitaine Schneider à Louis Destouches
« Mon Cher Destouches, je reçois à l’instant votre lettre de l’hôpital d’Hazebrouck et je suis désolé que votre blessure soit aussi grave ! Espérons néanmoins que les conséquences ne seront pas ce que vous craignez, et qu’après la guerre, en vous soignant, vous pourrez vous rétablir complètement. Je le souhaite bien vivement pour vos parents et votre situation. J’ai donné de vos nouvelles au Colonel et au docteur. Je serai toujours très heureux d’en avoir, – et de meilleures !
Au revoir, mon cher Destouches, et croyez-moi toujours bien affectueusement vôtre.
Schneider »

Colonel Blacque-Belair à Fernand Destouches
« Monsieur Je vous remercie de votre aimable lettre. J’ai été content d’avoir pu faire obtenir à votre fils la médaille qu’il méritait moins pour sa blessure que pour son courage. Qu’il prenne tout son temps pour se guérir. La campagne n’est pas finie.
Veuillez croire à mes meilleurs sentiments.
Colonel Blacque-Belair »


27 octobre 1914 : date charnière
Mobilisé depuis le 20 octobre 1914 autour du village Poelkapelle, à une dizaine de kilomètres au nord d’Ypres, le maréchal des logis Louis Destouches se déclare volontaire le 27 pour partir à la tête d’un petit peloton. Sur des paysages presque parfaitement plats où les balles pouvaient parcourir de longues distances, Destouches est blessé une première fois, projeté contre un arbre par le souffle d’un éclatement d’obus. Poursuivant sa mission, il est ensuite atteint d’une balle ricochante, fracturant l’os de son bras droit. Il gardera des séquelles à vie de l’une et l’autre blessure : névrite et invalidité partielle du bras droit, vertiges de Ménière et bruits permanent dans le conduit auditif. Céline évoque cet épisode dès les premières lignes de Guerre (Gallimard, 2022) : « J’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête ».

Le capitaine Schneider commandait le deuxième escadron du 12e cuirassiers dans lequel Louis Destouches avait été affecté au moment de son engagement, en mai 1912. L’officier connaissait Fernand Destouches, le père de Louis, et le tenait régulièrement informé de la conduite de son fils et de son moral.

Henri Blacque-Belair venait de prendre, en décembre 1914, le commandement du 12e cuirassiers. Issu d’une grande famille, il était une figure connue de l’armée et de la bonne société parisienne. Il restera pour Céline, qui ne l’approcha sans doute que de loin, une figure prestigieuse et quasi tutélaire. C’est par son intermédiaire que le soldat Destouches se voit remettre, le 25 novembre 1914, la médaille militaire qui lui est décernée par Joffre, général commandant en chef. La mention indique : « En liaison entre un Régiment d’infanterie et sa brigade, s’est offert spontanément pour porter sous un feu violent un ordre que les agents de liaison de l’infanterie hésitaient à transmettre. A porté cet ordre et a été grièvement blessé au cours de sa mission. »
Dans sa biographie Céline (Gallimard, 2011), Henri Godard rappelle « qu’il n’est pas un des romans écrits après 1945 dans lequel blessures et médaille, témoins d’une nouvelle vie commencée […], ne soient rappelées et utilisées comme éléments de sa défense. »

Rares et précieuses reliques céliniennes

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Carte postale autographe à ses parents
[Flandres], 16 oct[obre] [19]14 (cachet postale), 2 p. in-12°
Adresse autographe : « MR Destouches / 11 Rue Marsollier / Paris / France »

Émouvante et toute première missive envoyée à ses parents depuis le front en Flandres, moins de dix jours avant sa blessure au bras


« Chers Parents
Je vous écris d’un pays presque étranger où l’on ne parle que le flamand. Après plusieurs journées malheureusement orageuses, nous avons eu la victoire mais nous déplorons la perte de pas mal d’entre nous. L
[ieutenan]t Troucout, Jozan, Doucerin, Legrand, Brigadier Trelat et pas mal de nos pauvres camarades continuons quand même et vaincrons sûrement.
Nous sommes méconnaissables tellement nous sommes abîmés par les bivouacs. Enfin ce n’est rien si nous les sortons du pays.
Bien reçu les 6 colis merci beaucoup.
J’apprends les blessures de pas mal d’entre nous, j’ai appris aussi que ce pauvre Max Linder avait été tué à Esternay. C’est effrayant ce qu’il y en aura après cette guerre maudite. L’hiver surtout arrive et les nuits du nord sont mortelles au bivouac. Enfin soyons là et essayons d’être un peu là. »


Céline, qui n’est encore que Louis Destouches, est nommé, en mai 1914, maréchal des logis après avoir rejoint deux ans plus tôt le 12e régiment de cuirassiers à Rambouillet, en qualité d’engagé. Le jeune soldat est mobilisé aux premières heures de la guerre, dès le 1er août. Il part pour la Woëvre, où il fait campagne jusqu’au 1er octobre 1914, date à laquelle il se rend en Flandres. Comme le témoigne sa carte, Destouches évoque les scènes de chaos dont il est le témoin direct. Ce sont ces visions d’horreur qui s’inscrivent au plus profond de son esprit, comme l’éclat d’obus qui s’inscrira bientôt dans sa chair. Cette époque charnière de sa vie formera en lui « mille pages de cauchemars en réserve », comme il le confiera à Joseph Garcin au moment où il commencera à écrire Voyage au bout de la nuit : « Celui de la guerre tient naturellement la tête. Des semaines de 14 sous les averses visqueuses, dans cette boue atroce et ce sang et cette merde et cette connerie des hommes, je ne m’en remettrai pas » (Lettres, Pléiade n°30-6).

À l’évocation ici du nom de Max Linder, seule occurrence du célèbre acteur français du burlesque dans sa correspondance, on est tenté de penser que Céline appréciait le personnage. Ce dernier est par ailleurs brièvement cité dans Mort à crédit, dans une scène où Courtial des Pereires s’adresse à Ferdinand : « Vas-y, Ferdinand ! Va te promener ! qu’il me disait alors… Va donc jusqu’au Louvre ! ça te fera beaucoup de bien ! Va-t’en donc jusqu’aux Boulevards ! Tu aimes ça toi Max Linder ! » (Roman I, éd. H. Godard, Pléiade, p. 877).
Max Linder est ramené du front mourant. Réformé, il reprit son activité en 1916, s’estimant rétablit. Il se suicide le 31 octobre 1925 à l’âge de 41 ans.

De toute rareté

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Tirage argentique d’époque
[Hiver 1944, région de Berlin ?], 5,9 x 9 cm
Petits défauts de surface

Tirage d’époque de l’écrivain avec annotation autographe de sa main


Ce tirage peu commun figure Louis-Ferdinand Céline de buste, le visage orienté de trois-quarts vers la gauche. Paupières lourdes et lèvres pincées, l’écrivain semble avoir été pris « sur l’instant » et non de poser devant l’objectif.

Au verso du tirage, Céline écrit :
« Chez les Nibelungen police »


Ce portrait date de l’hiver 1944, en Allemagne du Nord, quand Céline cherche à passer au Danemark par Rostock, avant de revenir vers Sigmaringen. Il l’envoie a plusieurs correspondants. Cette photographie est notamment adressée au docteur Alexandre Gentil, médecin militaire et proche de l’entourage du couple Destouches.

Dans un autre exemplaire de ce tirage, reproduit dans Céline 1944-1961 (François Gibault), Céline nous éclaire plus en détail sur les circonstances dans lesquelles ce portrait est réalisé : « Photo prise par la police allemande de Neurupin Prusse au bureau de Krantzlin 1944 LF »

Précieuse relique célinienne

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

Lettre autographe signée « Charles » à sa mère, Madame Aupick
[Paris], « mercredi » [28 octobre 1863], 1 p. in-8°
Petite réparation au papier Japon en marge inférieure, sans atteinte au texte
Un mot caviardé de la main de Baudelaire

Baudelaire annonce à sa mère, non sans amertume, la cession de ses droits pour la traduction complète des Œuvres d’Edgar Poe auprès de son éditeur Michel Lévy

PROVENANT DES COLLECTIONS GODOY ET LABARTHE


« Ma chère mère,
J’espérais une lettre de toi ce matin. Ce voyage s’est-il effectué sans ennuis et sans accident, et surtout comment te portes-tu ?
[Madame Aupick avait rendu visite à son fils à Paris durant le mois d’octobre]
Oui, l’affaire Lévy est vidée. J’abandonne demain tous mes droits à venir pour une somme de 2000 francs payables dans une dizaine de jours. Ce n’est même pas la moitié de ce qu’il me faut. Il faut donc que la Belgique paie le reste. Je vais écrire en Belgique pour un traité (car je me défie des Belges), un traité disant le prix de chaque leçon, combien de leçons en tout, et combien de leçons par semaine.
Le Poe donnait (à moi) un revenu de 500
[francs] par an. Michel [Lévy] a donc traité la question comme on traiterait de la vente d’un fonds d’épicerie. Il paie simplement quatre années du produit. Je t’embrasse. Écris-moi.
Charles »


Le contrat sera acté entre Charles Baudelaire et Michel Lévy frères trois jours plus tard, le 1er novembre 1863 (qui tomba un dimanche, sans doute pour faciliter les comptes).
La cession de tous ses droits à Lévy comprend : Histoires extraordinaires ; Nouvelles Histoires extraordinaires ; Aventures d’Arthur Gordon Pym ; Eureka (non encore publié) ; Histoires grotesques et sérieuses (non encore publié)
L’éditeur profite, au travers de clauses léonines, de la situation financière exsangue dans laquelle se trouve le poète, toujours plus acculé de dettes. Dans une autre lettre à sa mère du 25 novembre, Baudelaire admet par ailleurs que Lévy « s’est engagé à partager cet argent entre quelques-uns de [ses] créanciers ». Ce traité est d’autant plus terrible pour lui que de tous ses ouvrages publiés de son vivant, seules les traductions de Poe connurent un succès en librairie.
Les « leçons » évoquées ici par le poète seront en réalité des conférences qu’il donnera l’année suivante, quand il sera fixé à Bruxelles. Il en prononcera au total cinq, en espérant attirer l’attention d’Albert Lacroix (1834-1903), l’éditeur des Misérables. Elles ne rencontreront pas le succès escompté.

ZOLA, Émile (1840-1902)

Deux lettres autographes signées « Emile Zola » à Philippe Gille
Paris, 13 avril 1878, 2 p. in-8°
Enveloppe autographe jointe (petit manque angulaire), timbrée et oblitérée
Médan, 9 août 1878, 1 p. in-8°
Enveloppe autographe jointe, timbrée et oblitérée

Deux lettres inédites relatives à la version illustrée de L’Assommoir, premier grand succès éditorial de l’écrivain


« Mon cher confrère,
Charpentier me dit qu’il vous a envoyé de son côté deux exemplaires. Voilà qui va bien ? Je vais faire en sorte que vous ayez la primeur des extraits. Et merci mille fois.
Mais je voudrais vous parler d’une autre chose. Comme je désespère de trouver une matinée la semaine prochaine, je me décide à vous écrire. Il s’agit de l’édition illustrée de l’Assommoir, qui va paraître chez Marpon. Certaines gravures sont très-curieuses. J’ai pensé qu’il serait peut-être intéressant de publier une page de ces gravures dans votre supplément de dimanche 21 avril en huit [les illustrations ont bien paru dans le numéro du 21 avril] (la première livraison paraîtra le 25). Est-ce possible ? C’est ce que j’ignore. Veuillez donc demander à M. de Villemessant [Hippolyte de Villemessant, propriétaire du Figaro]. Naturellement, j’en serais ravi. Dans le cas où l’affaire serait jugée faisable, je vous enverrai les gravures afin qu’on puisse les voir et choisir parmi elles. Il est bien entendu que vous auriez la primeur de ces dessins.
Un mot de réponse, je vous prie, afin que si vous jugiez la chose impossible, je puisse laisser distribuer les clichés aux autres journaux. Nous n’aurions que tout juste le temps d’arriver.
Bien cordialement à vous
Emile Zola »

« Mon cher ami,
Je vous écris en solliciteur. Pourriez-vous me faire une réclame dans le Figaro ? Je tiendrais beaucoup, en ce moment, à ce que vous trouviez moyen de dire à vos lecteurs, dans un écho, que l’on tire chez Charpentier la cinquantième édition de l’Assommoir. Si cela est possible, amenez la réclame comme vous voudrez, rédigez le reste à votre gré, et vous m’aurez infiniment obligé.
Mille mercis à l’avance, et quoi que vous puissiez faire, croyez-moi votre bien dévoué et bien reconnaissant.
Emile Zola »


Le scandale déclenché par le septième volume des Rougon-Macquart est tel qu’il contribue au succès de son auteur, provoquant ainsi l’effet inverse voulu par ses nombreux détracteurs. Les droits d’auteur sur le roman permettent par ailleurs à Zola de faire l’acquisition de sa maison de campagne, à Médan, qu’il ne cessera d’embellir. Après sa parution en volume chez Charpentier, le 25 janvier 1877, une édition illustrée de L’Assommoir parait chez Marpon et Flammarion l’année suivante, le 25 avril 1878. Rassem­blant une étonnante variété de styles et de motifs, elle comporte 70 gravures, réalisées par 22 artistes : avec 17 planches, André Gill en est le principal illustrateur, suivi par Clairin, Frédéric Régamey, Georges Bellenger, Norbert Goeneutte, Gervex, Butin… Renoir est l’auteur de quatre compositions. Il réalise pour l’une d’elles une étude préparatoire restée célèbre, représentant Nana et ses camarades se promenant sur les boulevards (chapi­tre XI du roman).
Zola s’est plusieurs fois adressé à son ami Philippe Gille (1831-1901), chargé de la rubrique des livres nouveaux dans Le Figaro, pour lui demander d’annoncer certaines de ses publications en lui livrant des extraits dont le journaliste avait ainsi la primeur.

BARBARA, Monique Serf, dite (1930-1997)

Lettre autographe signée « Barbara » à Jean [Poissonnier]
S.l.n.d [Amsterdam, c. 1976], 1 p. 1/2 in-8° à en-tête de l’Apollo Hotel
Petite fente au pli central inférieur

Très rare et troublante lettre de la chanteuse à son amour de jeunesse


« Cher Jean
C’est d’ombres et de lumières, c’est loin, très loin, si loin que
[j’]ai pensé n’en pas revenir jamais.
Je me souviens de vous deux, à l’instant et de la chaleur de vos présences.
Je vous embrase très affectueusement et vous remercie de la force que vous me donnez
Barbara »


Jean Poissonnier, auteur-compositeur, fut l’amour de jeunesse de Barbara quand tous deux séjournèrent au château de Boisrenault dans l’Indre, en 1957. Ils restèrent proches amis, comme en témoigne cette lettre intime de la chanteuse, manifestement au milieu d’un épisode difficile de sa vie.
Reconnue comme une des plus grandes voix françaises au style de chant à la fois maniéré et dramatique, mais aussi comme auteur-compositeur hors du commun, Barbara eut une santé fragile. Morte à seulement 67 ans, elle finit sa carrière très affaiblie par une alimentation déséquilibrée, usée par les stimulants et les médicaments pris en doses massives pour calmer ses angoisses chroniques. Ses mythiques chansons telles que Dis, quand reviendras-tu ?, Nantes, Göttingen, L’Aigle noir ou encore Ma plus belle histoire d’amour figurent aujourd’hui au Panthéon de la chanson française.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre autographe signée « Louis-Napoléon » à son ami Pierre de Bourgoing
Camden Place [Chislehurst], le 27 février 1871, 2 p. in-8°
Quelques rousseurs, trace d’onglet au second feuillet

Célèbre et magnifique lettre du Prince Impérial, écrite au lendemain de la signature du traité préliminaire de paix de Versailles, mettant un terme à la guerre franco-prussienne de 1870


« Mon cher Bourgoing, c’est un bien grand soulagement pour nous qui sommes si loin du pays, de penser qu’à présent on ne se bat plus en France, en effet vous ne sauriez croire combien c’est pénible quand on ne peut faire pour sa patrie que des vœux, de penser qu’à chaque minute qui s’écoule des centaines de français tombent sur les champs de bataille. On se reproche presque chaque bouchée de viande, chaque gorgée de vin en pensant aux pauvres gens qui meurent presque de faim dans nos villes et dans nos places fortes. Espérons que la fin de nos misères est proche et que la France pourra bientôt fermer ses plaies. Croyez bien mon cher Pierre que je pense souvent à vous ! Je regrette bien les jours où je vous voyais presque tous les dimanches, et nos grandes parties à Paris ou à Saint-Cloud, qui a été brûlé comme vous le savez sans doute. Qui aurait dit quand nous nous y battions à coups de marrons l’été dernier que les Français et les Prussiens s’y égorgeraient !
Faites, je vous prie, mes amitiés sincères à M. et à Mme de Bourgoing.
Je vous embrasse de tout cœur, votre très affectionné ami.
Louis-Napoléon »


Exilés depuis la capitulation de Sedan, le Prince Impérial et sa mère l’Impératrice Eugénie trouvent refuge en octobre 1870 à Chislehurst, au sud-est de Londres, sous la bienveillance de la reine Victoria. Très au fait des nouvelles de France, cette bouleversante lettre témoigne de l’affliction ressentie par le jeune Prince pour les troupes françaises.
Le traité préliminaire de paix, qui met un terme à la guerre franco-prussienne de 1870, est signé à Versailles le 26 février 1871 entre les deux belligérants. Conclu avant l’effondrement militaire complet de la France (les batailles avaient toujours lieu dans le Nord sous le commandement de Faidherbe et à Belfort, sous le commandement de Denfert-Rochereau), le traité est confirmé le 10 mai 1871 par celui de Francfort.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « Louis » à sa femme Lucette, sous couvert de l’avocat Erik V. Hansen
[Prison Vestre Faengsel, Copenhague], 16 février [194]6, 2 p. in-folio à la mine de plomb
Numérotation typographique « 18 » d’une autre main pour l’édition Lettres de prison
Petites taches, brunissure, petites déchirures en marge supérieure, traces de pliures

Longue lettre sur sa haine contre les juifs et les communistes, son bras de fer avec les autorités françaises, sa tendresse pour Lucette et ses souvenirs de Montmartre

« Les livres que l’on veut me faire expier Bagatelles et L’École sont parus il y a bientôt 10 ans ! Le Voyage le commencement de mes malheurs en 1933 ! »


« Dear sir, I wish you would have this letter translated for you by my wife as it is too complicated to write in english. Mon petit chéri. Avec grande inquiétude je te vois trouver toute naturelle l’idée d’aller me faire juger à Paris. Peste non ! Je ne consens à rien de la sorte. Je m’accroche au Droit d’Asile comme un diable ! Comme un juif ! Jamais aucun d’entre eux réfugiés ici n’a consenti sur de belles paroles à aller se faire juger par Hitler ! Foutre non ! Mon cas est exactement le même. Bien sûr que les Danois seraient enchantés que je me livre moi-même. Quelle belle épine du pied ! Je ne consentirai jamais il faudra qu’ils me livrent qu’ils prennent la responsabilité après m’avoir bel et bien accueilli pendant un an. Ce qui aggrave d’ailleurs mon cas à Paris. Le Parquet de Paris a lancé un mandat pour trahison. Il s’agissait d’un coup d’esbroufe vis-à-vis des Danois qui devait réussir dans les 24 heures ou faire long feu si on demandait des détails. Mais l’accusation trahison a bel et bien été notifiée officiellement. Il faut les piper à leur propre bluff. Dans le Code français et surtout celui de l’Épuration trahison = mort. Or le droit d’asile n’est de coutume conféré qu’aux réfugiés politiques menacés de mort. Le Gouvernement français prend soin de me notifier officiellement qu’il veut me fusiller. Quelle chance ! À bien retenir et mettre en valeur […]. On me trouvera vite le Grand responsable de tous les martyrs juifs. La populace ne demande qu’à le croire. Il ne s’agit d’ailleurs pas de justice ni de vérité mais servir ma tête en vengeance aux juifs et aux communistes. C’est tout. On trouvera les arguments, on les inventera. Marie [Canavaggia] est comme Louise [l’héroïne de l’opéra de Gustave Charpentier que Céline cite à plusieurs reprises dans Féérie]. Elle a l’imagination bégnine. Elle ne voit pas l’avenir atroce – jamais. Je suis réfugié politique menacé officiellement de mort. C’est tout. Si la Légation qui connaît si bien mon adresse voulait être renseignée sur mes allées et venues il lui était facile de me faire mander à la Légation mais on m’a fait jeter en prison bien dans l’intention de me livrer ficelé aux bourreaux de Paris. À présent que le pétard a fait long feu on se perd en chicanes et en mauvaise foi. Ils sont incapables d’expliquer aux Danois pourquoi et comment je suis traître […]. Pour les menaces de mort elles ont dû être détruites lors du pillage de la rue Girardon [référence aux menaces anonymes que Céline recevait par la poste à la fin de l’Occupation à son adresse du 4, rue Girardon]. Mais il y a mieux. Dans les journaux clandestins de la Résistance j’étais souvent sans aucune provocation de ma part promis au supplice […] Si Paul-Boncour se désiste il faudra songer à Maître Aubépin, le défenseur de Pétain qui me paraît très brave […]. Je n’aurai pas trop de deux avocats […] À Paris la frousse règne ils s’avanceront difficilement. Il faut s’accrocher au Danemark. Comme les juifs nos maîtres en toute chose. Le fait que j’ai été en Allemagne m’accable pour les Français mais si j’étais resté à Paris ils m’auraient assassiné […]. Je vois beaucoup d’oiseaux ils chantent au premier soleil. Ils sont bien malheureux comme moi lorsqu’il fait sombre. Tu m’as bien appris à aimer les petits oiseaux. C’est une bien grande joie dont je profite à présent derrière mes barreaux. Les jours rallongent comme disait Inès [La femme de ménage qu’employait le couple rue Girardon]. Dans le jardin de Barbe bleue les primevères ne sont plus loin [L’un des jardins que Céline apercevait depuis sa chambre]. Le merle a chanté tout l’hiver au boulodrome. Les anglais montent à présent Rue St-Vincent [rue de la butte Montmartre]. Chaunard [Claude Chervin] leur vend des aquarelles […]. Si les Communistes n’ont pas encore pris tout le pouvoir en France c’est qu’on a encore trop besoin des Américains pour la reconstruction. Lis bien les journaux français, surtout Le Monde et La Bataille – et la rubrique Épuration. Tout cela nous guide. Il est difficile aux Danois de se rendre compte de l’hystérie et de la haine politique et littéraire françaises. Cela leur paraît du roman hélas ils n’ont qu’à penser à la St Barthélémy – aux Huguenots, à 89, 48, 71 ! Ce n’est pas le côté Vie Parisienne. Ils ne veulent pas le voir. Mikkelsen seul je crois comprend parfaitement ce côté des choses. Les livres que l’on veut me faire expier Bagatelles et L’École sont parus il y a bientôt 10 ans ! Le Voyage le commencement de mes malheurs en 1933 ! Passe voir Hansen samedi pour les dernières nouvelles.
Louis »


L’écrivain prend la fuite avec sa femme Lucette aux premières heures de l’Épuration, en juin 1944. S’en suivent de long mois de cavale, d’abord à Baden-Baden puis à Sigmaringen, aux côtés de l’intelligentsia collaborationniste. Une fois arrivé au Danemark (toujours occupé) en mars 1945, ils logent à Copenhague chez Karen Marie Jensen, amie et ancienne maîtresse de Céline. L’écrivain finit par être reconnu par plusieurs sources. Il est finalement arrêté le 17 décembre 1945 par les autorités danoises. La France exige l’extradition de Céline, refusée par le Ministre danois de la Justice. Ce dernier craint un procès expéditif du pamphlétaire, et à raison : sous mandat d’arrêt depuis avril 1945, Céline est inculpé au nom de l’article 75 du code pénal pour intelligence avec l’ennemi et aurait très vraisemblablement été fusillé s’il avait été reconnu coupable après son extradition. Un bras de fer entre les autorités danoises et françaises s’engage dès lors. Ses avocats Mikkelsen et Hansen jouent la montre afin d’éviter à Céline le sort de Brasillach. Suivent quatorze mois de détention pour l’écrivain qui d’une certaine façon lui sauvent la vie.

ARAGON, Louis (1897-1982)

Poème autographe : Sans mot dire
S.l.n.d [fin 1919], 1 p. in-8°
Annotations typographiques

Beau poème en vers libres issu du premier recueil d’Aragon: Feu de joie, publié en 1920


SANS MOT DIRE

« Soir de tilleul Été
On parle bas aux portes
Tout le monde écoute mes pas
les coups de mon cœur sur l’asphalte

Ma douleur ne vous regarde pas

Œillère de la nuit Nudité
Le chemin qui mène à la mer
me conduit au fond de moi-même
À deux doigts de ma perte

Polypiers de la souffrance
Algues Coraux Mes seuls amis

Dans l’ombre on ne saurait voir l’objet de mes plaintes
Une trop noire perfidie
L’INTRIGUE Air connu
Cette racine est souveraine
GUÉRIT TOUTE AFFECTION »


Sans mot dire est l’un des vingt-trois poèmes formant le premier recueil poétique d’Aragon, Feu de joie, publié en 1920 au Sans Pareil. Cette œuvre, s’inscrivant dans un mouvement proche du dadaïsme, est selon Alain Jouffroy dans les « préparatifs du surréalisme », aux côtés du recueil d’André Breton, Mont de piété, publié l’année précédente.
Lautréamont et Rimbaud sont à l’époque pour Aragon ses maîtres poétiques. Ils auront sur lui une influence décisive dans la composition du recueil, dont les poèmes sont ceux d’une jeunesse en révolte, cherchant à « repoétiser » le quotidien en parlant de ce quotidien. Aragon laisse peu de place à la versification traditionnelle et montre un attachement aux allitérations et assonances au sein du vers libre.

Notre manuscrit est, selon toute vraisemblance, celui ayant servi à la publication avant l’impression du premier jeu d’épreuves. On remarque les annotations typographiques de l’éditeur au crayon gras signalant en marge gauche la pagination « [pages] 42 [et] 43 » et d’un trait horizontal le changement de page. La seule variante ici observable est l’absence de parenthèses avant et après « Air connu », qui figureront bien sur le texte publié en 1920.

BEAUMARCHAIS (de), Pierre-Augustin Caron (1732-1799)

Lettre autographe signée « Beaumarchais » au Citoyen Pierre-Charles-Louis Baudin
S.l, « ce 15 floréal » [4 mai 1797], 1 p. petit in-8°
Apostille « Rép[ondu] le 18 [floréal] » de la main de Pierre-Charles-Louis Baudin
Un mot : « Monsieur », caviardé par Beaumarchais

En citant Voltaire, Beaumarchais fait parvenir à son correspondant La Mère coupable, troisième partie de sa Trilogie de Figaro


« Vous Souvient il, Monsieur, de ces quatre vers de Voltaire à un Evèque ?

Vous m’envoyés un mandement.
Recevés une tragédie.
Et qu’ainsi, mutuellement,
Nous nous donnions la comédie !

Souffrés que je vous dise : Vous m’envoyés des choses aussi bien faites qu’importantes à la République ; Et moi, homme inutile ! Je vous prie d’accepter les rèveries de mon bonnet.
Je n’entends point m’acquiter auvers vous ; mais seulement vous engager a vous contenter, de ma part, de ce léger tribut d’une vive reconnaissance.
Beaumarchais
ce 15 floréal »

[« Rep. Le 18 »]


Cette lettre s’inscrit dans une séquence d’échanges épistolaires entre Beaumarchais et Pierre-Charles-Louis Baudin. On connait la réponse de Baudin du « 18 floréal », comme indiqué par lui en marge inférieure : « Mes avortons politiques ne peuvent devenir l’equivalent de votre œuvre dramatique. En le lisant avec avidité, j’ai parfaitement senti combien le flacon de Susanne étoit nécessaire. Votre Irlandais me suffoque […] cependant observés que d’une part le fanatisme politique comme le fanatisme religieux explique beaucoup de faits qui semblent excéder la mesure connue de la méchanceté humaine ; que d’une autre part ce que nous avons vû de plus atroce, de plus révoltant, et surtout de plus dégoutant, avoit un caractére de franchise brutale, au lieu qu’il s’agit dans votre Tartuffe d’un raffinement de noirceur hipocrite, si ménagé, filé avec tant d’art […] ». (Beaumarchais et le Courrier de l’Europe. Ed. Gunnar & Mavis von Proschwitz. Studies on Voltaire and the Eighteenth Century. Oxford : The Voltaire Foundation, 1990 ; p. 1173-1174, n°628).

Quand Baudin évoque ainsi les personnages « Irlandais » [Bégearss], « Suzanne » [l’épouse de Figaro] puis plus largement l’éloge qu’il fait du drame théâtral de son correspondant, on comprend que le texte envoyé par Beaumarchais est la troisième partie de sa trilogie espagnole : L’Autre Tartuffe ou la Mère coupable.
La pièce, jouée le 26 juin 1792 au théâtre du Marais, est un échec. La reprise, au Théâtre de la rue Feydeau, le 16 Floréal de l’an V (5 mai 1797), c’est-à-dire au lendemain de cette lettre, est cette fois couronnée d’un grand succès. La pièce représente la troisième partie de la trilogie de Figaro, après Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1778). Beaumarchais en fait lui-même une notice pour commenter ce troisième et ultime acte : « après avoir bien ri au Barbier de Séville de la turbulente jeunesse du comte Almaviva, après avoir gaiement considéré dans la Folle Journée [Le Mariage de Figaro] les fautes de son âge viril, venez vous convaincre, par le tableau de sa vieillesse, que tout homme qui n’est pas né, un épouvantable méchant finit toujours par être bon. »

Si aucune lettre entre Voltaire est Beaumarchais ne nous est aujourd’hui parvenue, on connaît cependant l’estime qui les unissait. Dans son ouvrage, L’édition Kehl de Voltaire. Une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, Linda Gil explique que « Leur relation se construit sur une admiration réciproque. Beaumarchais lit Voltaire et admire ses œuvres. Sa propre écriture est souvent influencée par le style du philosophe. » Quant à Voltaire, « il cite Beaumarchais en exemple à D’Alembert, il se compare à lui. Une bonne partie de sa correspondance des premiers mois de 1774 en est occupée ».

[AFFAIRE DREYFUS] ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Émile Zola » [à son éditeur Eugène Fasquelle]
Paris, 5 février 1901, 1 p. n-8° sur papier vergé
Petite tache en marge gauche

Zola fait parvenir les dernières épreuves de La Vérité en marche à son éditeur et le hâte de publier au plus tôt


« Mon cher ami, je vous envoie toute la Vérité en marche, définitivement corrigée, et il est inutile qu’on me renvoie de nouvelles épreuves. Seulement, avant de donner le bon à tirer, je vous prie de faire revoir avec soin mes dernières corrections.
Vous me ferez plaisir en activant le tirage le plus
[vite] possible car, pour toutes les raisons que vous savez, il est désirable que nous paraissions tout de suite. Veuillez donc donner des ordres en conséquence.
Affectueusement
Émile Zola »


Voulu par Émile Zola, La Vérité en marche réunit les principaux textes d’engagement de l’écrivain dans l’affaire Dreyfus, dont le célèbre « J’accuse… ! », paru en une dans le numéro du 13 janvier 1898 du journal L’Aurore. Si Zola enjoint son éditeur à publier l’ouvrage aussitôt que possible, rappelons que le Sénat avait voté cinq semaines plus tôt une loi d’amnistie protégeant les conjurés militaires et civiles responsables du complot contre Dreyfus de toute poursuite judiciaire. L’écrivain souhaite ainsi, en contrepied de la loi votée par le Sénat, peser autant que possible dans l’opinion publique. Fasquelle a respecté la volonté de Zola puisque l’ouvrage est publié dès le 16 février, le dernier paru du vivant de l’écrivain.

MAUPASSANT (de), Laure (1821-1903)

Lettre autographe signée « L. de Maupassant » à une chère amie
Aix-les-Bains, 13 sep[tembre] 1890, 4 pp. in-8° sur papier de deuil
Un mot et une lettre caviardés de la main de Laure de Maupassant
Très bon état de conservation

Mère anxieuse à la santé chancelante, madame de Maupassant donne des nouvelles de son fils Guy qui est en sa compagnie


« Maison Bogey, route de Marlioz / Aix-les-Bains, Savoie
Me voici, selon ma promesse. Mais vous savez, ma chère amie, que je ne puis écrire que quelques mots bien courts, ma pensée et mes yeux se trouvent toujours dans le même état intolérable de fatigue. J’ai eu cependant quelques journées meilleures en arrivant ici, j’ai retrouvé un peu de sommeil et un calme relatif […] Je suis au nombre des incurables. J’ai trouvé mon fils [Guy] assez content du résultat des eaux de Plombières ; je crois pourtant qu’il eut bien fait de suivre de point en point l’avis des médecins, en allant tout de suite compléter sa cure en Afrique.
On sent ici déjà l’approche de l’hiver, et le vent qui passe sur les cimes neigeuses nous apporte parfois de désagréables frissons. Il fait beau, mais sans garantie pour le lendemain […]. C’est à Nice que j’irai en quittant Aix, et tout de suite je vous verrai. Pensez-vous un peu à moi ? Voyez-vous quelque espoir de me caser dans votre ville ? Il me semble que si j’avais un gîte assuré, cela ferait au moins un point fixe à mon esprit flottant […]. Dans l’état maladif où, tout est sujet de trouble […].
J’ai eu la joie très inattendue de voir ma sœur, que je croyais à Paris depuis longtemps déjà. Elle est venue passer près de moi une journée, qui m’a paru courte. La semaine, j’aurai la visite de ma plus jeune nièce, que j’aime tendrement ; vous voyez qu’on ne m’abandonne pas. Hélas ! ; j’ai besoin qu’il en soit ainsi, car je trouve mon fardeau bine lourd.
Je compte que vous allez m’écrire et me donner de longues nouvelles de tout ce qui vous touche. Allez-vous aux vendanges ? Un petit séjour à la campagne ferait grand bien à Madame votre mère, ainsi qu’à vous-même, ma bonne amie.
Adieu, je vous embrasse très cordialement […]
Guy vous envoie ses respectueux hommages.
À vous de cœur
L. de Maupassant »


À l’écriture de cette lettre, Guy de Maupassant était en compagnie de sa mère Laure, qu’il devait quitter le 23 septembre pour se rendre à Marseille. Les symptômes de la syphilis montraient leur premiers effets indésirables. Il est sujet à des hallucinations accompagnées d’épisodes psychotiques devenant de plus en plus sévères. Il est finalement interné en janvier 1892 et meurt, comme son frère cadet Hervé, de la syphilis, le 6 juillet 1893.
Laure de Maupassant faisait usage du liseré de deuil après la mort d’Hervé, le 13 novembre 1889.

LAURENCIN, Marie (1883-1956)

Lettre autographe signée « Marie Laurencin » à Roger Nimier
[Paris, 20 mars 1952], 4 p. in-12°
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée jointe
Deux mots caviardés par Marie Laurencin

L’artiste évoque son procès et le vol de la Joconde de 1911, pour lequel son ancien amant Guillaume Apollinaire avait été un temps soupçonné


« Un petit bonjour de rien – et confidence
Ah ! procès
Je téléphone à un monsieur greffier pour un papier que je crois important – après avoir écrit – il me répond de ne pas affoler son patron avec mes lettres –
Je m’excuse mais c’est dur – ce procès me fait tomber. Suzanne [sa fille adoptive Suzanne Moreau-Laurencin] me relève.
Les juges me font peur depuis l’histoire de Guillaume Apollinaire.
Je croyais qu’il avait été quinze jours à la [Prison de la] santé et je sais très bien que le juge d’instruction de ce temps-là lui avait dit [:] Si vous me dites où est la Joconde on vous relâche ! Pauvre Guillaume –
Ce n’est pas joli d’avoir lu et tout cela pour ne plus avoir de chat ni de chien – mais de l’air.
Au revoir Roger Nimier
Marie Laurencin
[Marie Laurencin complète sa signature d’arabesques à main levée]

C’est Me Maurice Garçon mon avocat. Alors ne parlons pas – lui grand seigneur.
Une lettre de G[uillaume] A[pollinaire]
Je couche avec la gouvernante quand on dit dans la même émission que cette dame a 86 ans vit en Californie et surtout a écrit une lettre admirable sur Guillaume Apollinaire.
Surtout que de vérités oubliées. Le rôle de Jean Royère [décorateur français] qui vit encore à accueilli dans la Phalange [revue littéraire ayant paru entre 1906 et 1939] Guillaume et surtout avec sa femme avait table ouverte pour le poète – Monsieur Adéma ne sait pas tout [Marcel Adéma venait de faire paraître Guillaume Apollinaire, le mal aimé]


Marie Laurencin est en plein procès pour récupérer l’appartement dont elle est expulsée en 1944 car jugé trop vaste pour deux personnes. Elle trouvE refuge chez le comte Étienne de Beaumont jusqu’en mars 1955, au terme d’une interminable procédure. Elle gagne son procès et peu finalement rentrer chez elle en 1955. Elle y meurt l’année suivante à l’age de 72 ans.

Le vol de la Joconde est perpétré par le vitrier italien Vincenzo Peruggia, qui souhaite voir l’œuvre revenir dans son pays d’origine. S’en suit une importante enquête au cours de laquelle Pablo Picasso et Guillaume Apollinaire sont inquiétés.

LAURENCIN, Marie (1883-1956)

Lettre autographe signée « Marie Laurencin » à Roger Nimier
Saint-Benoît-sur-Loire, « Le 30 août » [1952], 3 p. 1/2 in-12° enrichie d’un dessin original en couleurs
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée jointe

Lettre amical au jeune Roger Nimier sur sa bibliothèque – Marie Laurencin accompagne sa lettre d’un dessin original illustrant sa chambre dans laquelle elle héberge l’écrivaine Gunnel Wallquist, traductrice de Proust en suédois


« Retour le 2 septembre. Hé bien – Roger – les vacances.
Je ne sais pas ce que c’est mais le repos oui –
et je me suis bien reposée –

Je vous envoie une autre partie de la chambre de Gunnel Wallquist – mon inconnue.
Elle est jeune, blonde, très grande suédoise presque toujours habillée en pantalons à ce qu’on m’a dit d’elle et nouvelle convertie.
Quand même Bernanos a écrit une vie de St-Dominique [Saint Dominique, paru en 1928].
À son lit de mort St Dominique s’est accusé – d’avoir préféré la conversation des femmes jeunes à celle des vieilles.
Je comprends plus les Dominicains généralement accompagnés de belles jeunes femmes.
Par exemple le Père Coutario et madame Jouhandeau.
Il a fait un temps magnifique nous avons un grand chien à promener.
Vôtre Marie Laurencin
Les livres que vous voyez sont ou des manuels de chant grégoriens ou des missels. Toute la liturgie.

Le petit peu de bibliothèque
Mauriac – Proust – Gide – Bernanos etc.
Et tout en bas le Genêt, Il y a encore une bibliothèque
La vie de tous les ordres etc. etc.
C’est bien simple je n’ai plus rien à lire.
La vie des Saints de Jacques de Voragine m’amuse plus que tous ces livres et elle ne l’a pas.

J’oubliais
Les offices bénédictins valent le voyage.
Que je suis bête
Il y en a Paris aussi. »


Gunnel Wallquist (1918-2016) est une écrivaine suédoise, membre de l’Académie suédoise. Elle écrit plusieurs essais sur la religion et l’Église catholique, dont elle est une fidèle. Elle traduit en suédois les sept volumes d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, entre 1965 et 1982.

PICASSO, Pablo (1881-1973)

Lettre autographe signée « Picasso » à Max Pellequer
[Château de] Vauvenargues, « le 13.[0]5.[19]59 », 1 p. in-4°

Picasso écrit à son ami et conseiller Max Pellequer pour un projet financier


« Mon cher Max. Je vous envoie le chèque pour le percepteur du 6e A(70.000) [sans doute pour son appartement au 7, rue des Grands Augustins dans le 6e arrondissement] dans cette lettre. Je vous écrirai bientôt pour notre et votre projet de banque ici et à Cannes. [Jaime] Sabartés est parti et est déjà à Paris. Il vous verra dès que vous serez rentré.
Milles amitiés de nous deux pour vous deux.
Je vous embrasse.
Picasso »


Banquier et amateur d’art avisé, Max Pellequer rassemble dès les années 20 une considérable collection d’œuvres modernistes. Il épouse en 1920 Francine Level, nièce du marchand et homme d’affaires André Level. C’est par l’intermédiaire de ce dernier qu’il fait la connaissance de Picasso, en 1914. Cette rencontre marque la genèse d’une indéfectible amitié entre les deux hommes. Pellequer devient l’un des plus proches intimes de l’artiste, mais aussi son banquier et conseiller financier. Durant plus de 30 ans, il acquiert auprès de Picasso une incroyable collection de peintures et sculptures. La relation épistolaire qu’il entretiennent toutes ces années durant nous permet de prendre la mesure des liens qui unissaient les deux hommes.
Toujours avec l’aide précieuse de son ami Max, Picasso fait l’acquisition d’un château du XIVe siècle en 1958, à Vauvenargues, près d’Aix en Provence, au pied de la montagne Sainte-Victoire. Il l’occupe par intermittence entre 1959 et 1962. À ce sujet, il déclare à Danier-Henry Kahnweiler : « J’ai acheté la Sainte-Victoire de Cézanne. Laquelle ? La vraie ». C’est dans le parc de cette même propriété que le peintre sera inhumé dans une ambiance délétère, le 10 avril 1973.

Jaime Sabartés (1881-1968), ici mentionné, est un poète espagnol qui fut longtemps le secrétaire particulier de Picasso, dont il publié une biographie : Picasso : Toreros, en 1961.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Carte-lettre autographe signée « Comte Alexandre-Marie de Maleperche » à Noémi Révelin
Cannes [1929 ?], 1 p. in-12°
Adresse autographe, timbres et cachets postaux

Intrigante lettre à celle qui tint un salon couru du tout-Paris pendant l’entre-deux-guerres, et signée de l’un de ses nombreux pseudonymes


« Madame,
Sans avoir le grand bonheur de vous connaître, je ne suis pas sans avoir ouï parler de vos vertus. Une personne distinguée et digne de foi m’a appris tout dernièrement que vous avez même eu l’attention de fleurir de muguet la colonne érigée à la Muse, à l’occasion du Premier de mai.
Quoique je sois éloigné de mériter ce doux témoignage, je suis poète – bien modeste à la vérité et tout provincial ! Mais enfin chacun a sa colonne voisine et l’aimerait voir fleurir par de si tendres mains.
Dans l’espoir de toucher (quelque peu du moins) votre bon cœur, j’ai l’honneur de me dire, Madame, votre véritablement respectueux et dévot :
Comte Alexandre-Marie de Maleperche etc.
Docteur en droit »


S’il est incontestable qu’une grande amitié et des complicités mondaines lièrent Paul Valéry et Noémi Révelin, leurs rapports demeurèrent toutefois très ambigus si l’on en croît les billets que le poète a pu lui adresser, et à l’image de cette lettre, pouvant être lue sous forme de métaphores pour le moins équivoques. Peut-on supposer autre chose et quelle place put occuper dans leur relation la fantasque Henriette, très charmante fille de Noémi, et accessoirement épouse de Louis Barthes, capitaine au long cours ?
Valéry avait coutume de s’inventer des pseudonymes avec ses familiers et intimes : ainsi les variantes de sa correspondance avec Julien-Pierre Monod, son « Ministre de la Plume », le « cher Anthrope à visage humain » etc. Il se dit ici « Docteur en droit », alors que c’est habituellement « Licencié en droit ».

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe à Emmanuel Arago
[Nohant, 3 janvier 1836], 3 p. in-4°
Bris de cachet de cire rouge avec atteinte à trois mots
Petits trous sur le second feuillet, cinq mots caviardés de la main de George Sand avec légères corrosions d’encre

Longue et importante lettre de la romancière, affectée mais néanmoins confiante en vue de son procès pour séparation conjugale


« Bon frère, te portes-tu bien maintenant ? As-tu lu la drôle de lettre que Maurice m’a envoyée dans la tienne ? C’est tout un conte fantastique* [voir notule infra]. Je n’ai jamais vu d’enfant avoir mieux l’esprit de son âge [13 ans]. Rien au-dessus, rien au-dessous. C’est une bonne nature, lente mais sûre. Il faut que tu me fasses le plaisir de lui écrire des lettres et d’en exiger les réponses. Écris-lui sur tout ce qui te passera par la tête. Instruis-le en l’amusant. Rien ne forme le jugement et le style comme les lettres, à cet âge-là. Au nôtre, on a des affaires, hélas ! et les lettres sont rarement les épanchements du cœur ou les réflexions de l’esprit. Prends cette peine, je t’en prie. Tu les lui remettras toi-même de temps en temps, et quand ses lettres seront logiques, quelque folles qu’elles soient, approuve-les pour l’encourager. Si elles sont bêtes et désordonnées, fais-lui voir en quoi elles pèchent. Fais-toi aimer surtout ; tu me remplaces en mon absence. Je t’élis son frère aîné. Je suis forcée d’avoir avec lui une certaine gravité, qui est dans la nature même de l’affection maternelle. Tu peux te mettre plus à mon niveau, et d’ailleurs ton âge [24 ans] se rapproche du sien.
Bonsoir. Je te quitte pour retomber dans le travail jusqu’à ce que le jour se lève. Si je ne craignais de me faire de sots compliments, je te dirais bien que ma vie est héroïque de travail, à présent. Forcée de faire face à mille dépenses : procès, maison, qu’on m’a laissée vide est dévastée, dettes arriérées à moi, je bouche tous ces trous effrayants, mais je suis condamnée toute cette année à une énorme activité de plume, (je ne veux pas dire d’esprit, on s’en passera) et à beaucoup de privations. La plus grande pour moi, c’est de ne pouvoir obliger comme à l’ordinaire. Beaucoup d’ingrats (c’est le plus grand nombre des malheureux), me savent mauvais gré d’être dans la gêne. Quelques-uns m’y montrent, au contraire, un beau caractère. Un paysan est venu ces jours-ci me demander de lui prêter quelques centaines de francs. Je lui montrai l’état de mes affaires, et il vit que je ne pouvais pas. Alors, il me proposa d’aller vendre ses bestiaux pour me donner de l’argent en me disant : “Vous voyez bien que nous sommes gênés tous deux. Je le serai doublement quand j’aurai vendu mes bêtes, mais il n’y aura que moi, et une autre fois vous ferez ça pour moi”. J’eus toutes les peines du monde à l’en empêcher. En regard de cela, il faut mettre le trait d’une femme qui me doit le pain qu’elle mange, et qui, pouvant témoigner avantageusement pour moi dans mon procès, prétend ne pas [se] souvenir de fait qu’elle m’a racontés elle-même lorsqu’ils arrivèrent. Le tout, pour ne pas sembler hostile à mon adversaire [son époux Casimir Dudevant], car on ne sait qui perd ou qui gagne à ces jeux-là, dit-elle.
Faut-il se fâcher contre l’humanité ? Moi, j’ai usé toute mon indignation dans le temps que j’étais plus jeune. Rien ne m’étonne plus, ni le mal, ni le bien. Les Vénitiens ont une exclamation qu’ils placent à tout propos, quand on leur raconte les choses les plus surprenantes. Omem ! disent-ils. C’est à dire Homini, en italien [il faut traduire : “les hommes sont ainsi, pourquoi s’étonner ?”]. Quand ils ont dit cela, ils regardent en l’air et pensent à autre chose. L’eau qui coule ne les étonne ni plus ni moins que les actions humaines [souvenirs de son séjour à Venise avec Alfred de Musset].
Bonsoir frère. Bonne année. Je t’embrasse. –
Je ne peux quitter mon procès. J’espérais m’échapper. Mais l’enquête arrive. Il faut que j’y assiste. Plains-moi d’être huit jours en présence de témoins dont la plupart sont bêtes ou fripons. Je suis sûre de gagner. Cela me console. Reconquérir mes enfants, mon toit paternel, mon air, je ne peux pas dire natal, mais c’est tout comme, le voisinage de mes vieux amis, mon bon silence, mes longues nuits de solitude, tous les bonheurs que j’ai ici, l’éloignement et l’oubli de ce fangeux Paris, où, hors de mes enfants, toi, et ensuite deux ou trois personnes, je n’ai pas une sympathie réelle, voilà mon but, et qui veut la fin, veut les moyens. Quand je serai en sûreté chez moi, tu viendras m’y voir. J’y compte. Adieu.
Je te prie d’aller chez Buloz prendre connaissance d’un reste d’épreuves de la première partie de Simon. Corrige-le en conscience pour la langue, mais sans chercher la grande épuration de style. Le style doit être simple et sans façon, comme le sujet. »


La situation conjugale entre les époux Dudevant montre ses premières fêlures quand George Sand se rend compte que tout la sépare de son époux : grossier, peu cultivé, à l’éducation si dissemblable et dont les goûts diffèrent totalement des siens. Elle souhaite par ailleurs son indépendance, travailler et gérer ses propres biens. eurs liaisons extra-conjugales à chacun participe en outre à précipiter la chute du couple. En découvrant enfin que le testament de son mari se résume à des rancunes envers sa femme, la séparation devient inévitable. Le 16 février 1836, le tribunal civil de La Châtre rend son jugement et prononce la séparation des époux Dudevant, de corps et de biens. Casimir Dudevant doit verser à Aurore une pension de 3 000 francs prévue par leur contrat de mariage.

Fils d’une icône de la science, avocat et homme politique républicain, Emmanuel Aragon rencontre George Sand, de huit ans son aînée, en 1832, par l’entremise de Balzac. Leur amitié durera 44 ans, jusqu’à la mort de la romancière, en 1876. Elle lui porte l’affection d’une grande sœur pour son petit frère, lui dévoilant toutes ses joies, mais aussi ses chagrins les plus intimes, à l’image du douloureux épisode de sa séparation avec Chopin, onze ans plus tard. Leur correspondance, formant un corpus de 131 lettres, met en lumière des confidences comme il est rare qu’il s’en établisse entre une femme et un homme.

*Maurice raconte un rêve abracadabrant dans lequel Emmanuel Arago se transforme en maître d’études, puis un maçon bâtissant un balcon à la mansarde du quai Malaquais ; par la suite, Maurice se retrouvait à Nohant avec la tête d’Emmanuel et celle de son maître d’études dans la poche.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LD » à Jean-Gabriel Daragnès
Copenhague, le 19 mars [19]47, 2 p. in-4° à l’encre bleue sur papier ligné brun
Petits manques et déchirures marginales sans manque de texte

La rancœur tenace, Céline dresse un portrait assassin de celle qu’il soupçonne de l’avoir dénoncé aux autorités


« Mon vieux. Pour la petite histoire et la bonne rigolade. Tout fini par se savoir… Lis cet écho. Le 10 Déc 1945 j’ai en effet été rencontré dans la rue de Copenhague mais pas par un Français mais par une Danoise mariée à un Français, la maîtresse de Coudert, le chirurgien elle m’a pleuré dans le gilet sur la mort de ses 2 hommes victimes des nazis… en même temps qu’elle me proposait la botte [inviter à une relation sexuelle]… s’ennuyant horriblement chez ses parents à Copenhague.. J’ai hésité. J’étais fatigué… excédé.. Je l’aurais enfilée qu’elle aurait fermé sa clape… enfin un moment. Elle a sauté à l’ambassade, , caveter… Popol [Gen Paul] me l’avait présentée quelques temps avant le départ… la quarantaine des yeux de hyène, voyoue, commune, vaguement danseuse, entraîneuse, la donneuse type… J’ai senti le couperet dès la première vue… J’ai senti la suite – C’était la morue à buter sans phrase – mais le jeu n’en valait pas la chandelle, j’étais fait de toutes les façons. D’ailleurs je ne me cachais pas. Ce n’était pas mon système. La conne a bien fait du luxe – ! Seulement le courage de bourrique manque? Ce n’est pas moi qui ai jamais donné personne, mais on m’a donné – Je te le dis, pour la petite histoire. Tout finit par se savoir. Amuse-toi si elle passe par là sans l’affranchir. Elle passera forcément renifler. L’assassin revient toujours sur les lieux du crime. Vous aurez une petite marrance. Je ne me venge pas moi j’ai mieux. Je rends historique !… À toi cher vieux et bien affectueusement à toi
LD »


Céline avait déjà évoqué cette malencontreuse rencontre avec Madame Dupland dans les rues de Copenhague, dans une lettre à Marie Canavaggia du 8 octobre 1945, avant son arrestation : « J’ai rencontré dans la rue ici il y a 3 semaines une femme danoise mariée à un Français qui me connaissait du village. Exclamations ! Questions ! Je m’en suis tiré comme j’ai pu […] Mais cela suffit à jeter un froid !… ». L’écrivain, qui situe cette rencontre à « Il y a 3 semaines », voudrait donc dire qu’elle daterait aux alentours du 10 septembre 1945 plutôt que du 10 décembre.
Le 17 décembre, Céline est finalement arrêté à la demande de la légation de France. Suivent quatorze mois de détention à la prison de Vestre Faengsel à Copenhague.

Ami et soutien indefectible de Céline pendant les années noires, le graveur et imprimeur Jean-Gabriel Daragnès (1886-1950) se fixe à Montmartre au milieu des années 1920, avenue Junot. Il rencontre Céline par l’intermédiaire de Gen-Paul et de Marcel Aymé, mais ne se lie avec lui que tardivement, quand l’auteur de Voyage au bout de la nuit prodigue en tant que médecin des soins à sa mère, gravement malade. Daragnès est un des premiers à qui Céline écrit après son incarcération au Danemark. Il devient ainsi son homme de confiance en France, son informateur à Montmartre, son intermédiaire avec les éditeurs, et accepte même en 1949 d’agir personnellement auprès de la Cour de justice en sa faveur. Daragnès ira deux fois au Danemark en 1948, comme commissaire de l’exposition du Livre français à Copenhague, et ne manque pas de rendre alors visite à l’exilé. Quand il meurt brusquement en 1950 à la suite d’une opération, Céline perd avec lui un des ses plus solides appuis. Dans une version intermédiaire de son roman Féerie pour une autre fois, écrite au Danemark, il le présente comme « le plus grand graveur de France ».

HUGO, Victor (1802-1855)

Lettre autographe à Alphonsine Masson
[Marine Terrace, Jersey], 5 août [1855], 4 pp. petit in-12°, d’une écriture appliquée et serrée
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée
[Cachets postaux :] ANGL –5 Augt [départ] / CHEVREUSE 9 août [arrivée]
Remarquable état de conservation

Longue lettre inédite aux accents mystiques adressée à son amie médium Alphonsine Masson, au travers de laquelle Victor Hugo adresse un message à son amour de jadis, Léonie Biard – Le poète exilé y exprime, à la façon d’un poème en prose et tel un rêve éveillé, la force du souvenir amoureux pour celle qu’il fut contraint de quitter lors du coup d’État du 2 décembre 1851


Nous n’en transcrivons ici que quelques fragments

« Comme toutes les femmes de cœur et d’esprit, vous avez, Madame, outre toutes vos grâces personnelles, des hasards profonds et éloquents. Avec ce mot : elle partie, c’est ma lumière disparue, vous avez remué en moi tout un monde sombre et charmant, vous m’avez fait revivre et mourir, vous avez fait monter jusqu’au bord de ma paupière tout le flot des larmes non versées et qui sont toujours là. Je vous remercie de cette exquise souffrance que je vous dois. […]. Rien ne vous manque ; vous charmez de près et vous consolez de loin.
Je suis heureux des deux douces lettres que j’ai reçues. Je sais bien ce qui manque à l’une, mais elle le sait aussi. Et – qui connaît l’avenir ?
Vous me faites un adorable tableau ; je vous vois toutes deux dans cette belle nature qui vous aime, parce qu’elle voit vos âmes ; vous êtes là, dans les fleurs, sous les astres, harmonies vous-mêmes ; vous causez ; je retiens mon souffle, et il me semble que je vous entends.
Et tous les soirs, je regarde là-haut, je fais des signes d’intelligence aux yeux célestes de la nuit, et il me semble que je la vois.
Je suis avec elle dans l’inexprimable. Elle qui pourtant devrait tout comprendre, elle ne comprend pas cela. Elle me dit : écrivez-moi donc. […] Je regarde les étoiles en songeant à elle, et je lui dis : traduisez-moi.
Soyez heureuse. Soyez heureuses. La beauté lui revient. Est-ce qu’elle était partie ? Est-ce qu’elle partira ? Qu’elle ouvre la sombre poitrine de l’absent ; il y a là un miroir. Qu’elle s’y regarde.
Je dis l’absent. Et vous, vous n’êtes pas absentes, où vous êtes, où elle est, la présence est. Je regarde avec dédain et pitié ce Paris qui me fait l’effet d’un grand vide, depuis qu’elle n’y est plus.
Je veux m’arrêter, car il y a des portes d’écluses qu’il ne faut pas rouvrir. À quoi servirait le flot qui en sortirait ?
Pardonnez-moi toutes deux ce mélange de rêves et de souvenirs. […]. Qu’elle en prenne ce qu’elle voudra. Qu’elle y lise ce qu’elle voudra. Je suis sûr des commentaires de votre noble et charmant cœur. – […]
Un jour elle me comprendra. En attendant, elle fait ce qu’elle peut pour croire à un abîme ; elle dit toujours fini, à moi qui ne sait pas d’autre mot qu’infini. Qu’elle me voie donc où je suis ; dans la mort et dans le ciel ; dans la mort par l’absence, dans le ciel par sa pensée. »


Le souvenir amoureux de Léonie Biard depuis l’exil
Grand amour de Victor Hugo, Léonie Biard (1820-1879) est la seule femme pour laquelle l’écrivain hésite à quitter Juliette Drouet. Issue d’une famille de la petite noblesse, Léonie Thévenot reçoit une bonne éducation, avant d’épouser le peintre François Biard. Au printemps 1843, elle rencontre Victor Hugo, peut-être dans le salon de Fortunée Hamelin. Ils deviennent amants en décembre de la même année. Léonie lui inspire de nombreuses poésies, dont on trouve trace dans Les Contemplations. En juillet 1845, les deux amants sont surpris en flagrant délit d’adultère. Léonie Biard est arrêtée puis jetée à la prison de Saint-Lazare où elle reste du 5 juillet au 10 septembre. Elle est ensuite transférée au couvent des Dames de Saint Michel, grâce à l’intervention d’Adèle Hugo, bien aise de trouver une concurrente à Juliette Drouet. Condamnée par le tribunal de la Seine, elle perd la garde de ses enfants. Victor Hugo, bénéficiant de son inviolabilité en qualité de Pair de France, se sentira toujours redevable envers elle. Il lui fait parvenir régulièrement de l’argent et continue de lui envoyer ses ouvrages. Leur liaison s’interrompt brutalement, lors du coup d’État du 2 décembre 1851, obligeant le poète à l’exil. Juliette Drouet, ignorante de l’affaire, apprend cette liaison de sept ans par Léonie elle-même qui, le 28 juin 1851, lui renvoie les lettres du poète. Ces dernières, publiées par Jean Gaudon, sont conservées à la Maison de Victor Hugo après avoir appartenu successivement à Juliette Drouet, Louis Koch, Paul Meurice, Alexandrine de Rothschild (vente, I, n°67) puis au colonel Sickles (II, 1989, n°361).

Alphonsine Masson, le lien spirituel
La destinataire directe de cette lettre, Alphonsine Masson, joue un rôle essentiel d’intermédiaire entre le poète et Léonie Biard. Les deux amis se connaissent d’avant l’exil. C’est donc au travers d’elle que Victor Hugo peut atteindre Léonie par les mots. Personnalité exaltée, Alphonsine a voulu dépasser une sage existence conjugale par des essais littéraires et une quête spirituelle mouvementée. Marquée par une éducation reçue d’un père agnostique militant et d’une mère pieuse, elle s’adonne d’abord au spiritisme, établissant des contacts avec des esprits d’outre-tombe. En 1857, elle est membre d’une association qui a retrouvé la science bafouée et abandonnée de Franz Mesmer. Vers 1860, elle perd subitement sa faculté de medium : « Quoique j’ai fait alors pour la ressaisir je n’ai pu y réussir ». Elle se proclame alors chrétienne convertie et publie une autobiographie (Ma conversion, Paris, 1864) où elle relate son itinéraire spirituel. Parallèlement à cette conversion, se souvenant qu’elle avait été sollicitée d’écrire pendant nombre d’années par des amis éminents dans les lettres, elle s’enhardit et répond à sa tardive vocation. Elle écrira trois romans : Louise, Les Trois amies, La Perle noire, qui parurent seulement en feuilletons dans L’Estafette, Le Siècle et autres journaux parisiens.

Pourquoi Victor Hugo transmettait-il ses messages à Léonie Biard par l’intermédiaire d’Alphonsine Masson ? S’agissait-il de ne pas faire renaître le scandale qui avait marqué la découverte de l’adultère ? Sans doute le poète voulait-il échapper à tout contrôle de la police sur cette correspondance qui, révélée, aurait pu compromettre l’exilé dans l’opinion publique. Il pouvait aussi craindre de blesser Juliette en ravivant une vieille blessure.

PIAF, Édith (1915-1963)

Lettre autographe signée « Eydith » à Yves Montand
« Nevers, le 16 mai 1945 à midi vingt trois minutes », 2 p. 1/2 in-8° sur papier d’écolier bruni
Déchirure au pli central et en marge supérieure
[Pour une lecture plus aisée, nous avons transcrit la lettre avec une orthographe juste]

Déclarations enflammées à son amant Yves Montand, aux premières semaines de leur relation, et quelques jours seulement après la victoire des Alliés


« Mon tout petit à moi si grand. C’est odieusement triste, j’ai envie de pleurer à chaque seconde, chéri, mon chéri, oh il faut que tu me viennes, je n’en peux plus, je t’aime à en crever. Ce train qui est parti avec moi sans toi, quel salaud m’amour, mon grand, ma vie ! Je n’ai pas le courage de te parler d’autre chose que NOUS ! Tout ce que je sais, tout ce qui bourdonne dans ma tête au ton d’un chant intense, c’est qu’il y a toi toi toi toi toi. Quel cafard, quel truc moche que notre séparation, quelle connerie surtout. Et toi ? Comment es-tu ? Comment peux-tu vivre ? Dis comment ? Oh ma gueule chérie, mon tout petit à moi ! Tes mains, tes belles mains, que j’aime ta peau, ta belle gueule, tes beaux cheveux où j’ai envie de plonger mes lèvres jusqu’à étouffer, jusqu’à ne plus avoir qu’une force, c’est… de te dire ton nom, Yves mon bel Yves mon doux Yves, mon petit salaud d’Yves. Mon adoré d’Yves, Yves, Yves, Yves. Que fais-tu ? As-tu dormi ?????? Moi non, j’ai cherché ton corps partout, ta peau me manque, j’ai besoin de tes mains, de ton rire, de ta voix, enfin de toi ! Sois sage hein ? Ne vois pas trop Guiguitte [Marguerite Monnot] ? Et puis les autres. Tâche d’être bien, foutu d’être comme tu l’as toujours été, digne de notre amour, sois nous ! Tu sais je ne tiendrai pas le coup, il faudrait venir me rejoindre, je t’enverrai l’itinéraire demain et il faudra que tu viennes, tes chemises, ta radio, tes chansons, après, tu feras tout ça en juin, moi je te veux, je t’aime, et c’est tout ce qui compte pour moi. Nevers est triste à mourir, aussi triste que mon cœur, c’est pas pour dire hein ? Les rues sont conventionnelles, on dirait qu’on les a faites exprès pour moi, elles sont comme toutes les rues de province, sans originalité, pleines de gens bêtes et insignifiants, enfin bref, très comme tu le penses. Il y a un gars qui part pour Paris et je lui donne ma lettre, tu auras de mes nouvelles demain, mais je suis obligée de te quitter car le gars s’en va et il attend ma lettre. Au revoir ma douce joie de vivre, enfin mon moi pour toi.
Eydith [la chanteuse joint la première lettre de son prénom et celle de son amant pour signer sa lettre]

JE T’AIME »


Piaf et Montand se rencontrent en 1945, sur le tournage du film Étoile sans lumière. Elle a 30 ans et lui 24. Si Piaf est déjà une immense célébrité, Montand n’en est qu’au début et lui devra beaucoup. Selon sa folle générosité, elle le couvre de cadeaux, mais aussi de chansons qu’elle écrit pour lui. Elle lui fait rencontrer tout ce que Paris compte de notoriétés, dont Cocteau. À l’image de cette lettre, les premières semaines de leur relation sont les plus passionnées. Très éprise de son jeune amant, Édith supporte très mal son absence. Alors qu’elle se trouve en tournée en province, certains traits de son caractère éruptif transparaissent, tels la jalousie, la possessivité et l’impatience.
Elle termine son épître par un très graphique « Je t’aime » en grandes lettres.

Magnifique lettre

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max » à Pierre Lagarde
[St Benoît sur Loire], 10 août [19]42, 1 p. in-4° sur papier brun
Traces de pliures d’époque, légères brunissures au pli central et en marge droite avec quelques infime déchirures, annotations typographiques

Importante lettre du poète livrant ses considérations sur la persécution des juifs sous l’occupation


« Cher Pierre,
Nous ne sommes pas sauvés par les malheurs extérieurs mais par la manière dont nous les recevons, dont nous compatissons, dont nous les adoptons. La souffrance intérieure relative à des événements de moindre importance est aussi valable que l’autre. Tout est dans cette écharde dans la chair dont parle St Paul. Nos repentirs peuvent équivaloir au déluge, et je puis plus souffrir de mes médisances, de mes regards sensuels que des persécutions aux juifs. L’un n’empêche pas l’autre d’ailleurs et l’ensemble constitue une fin de vie que je n’attendais pas […]
J’ai reçu la visite d’un garçon de 18 ans, employé de banque qui fait de la peinture. Il a fini par m’avouer qu’il voudrait entrer dans le sein de l’Église. J’ai obtenu qu’on le prenne “en retraite” au petit monastère d’ici. Il s’appelle Jacques Doucet1 . Prie pour lui. Prie aussi pour mon pauvre frère aîné emprisonné à Quimper sans prétexte2.
Excuse ma brièveté et crois moi fidèle
Max »


1- Il s’agit bien du peintre de l’abstraction lyrique Jacques Doucet (1924-1994) cofondateur et membre du mouvement CoBra 1948 et ami intime de Max Jacob.

2- Gaston Jacob, frère aîné de Max, est arrêté en 1942 à Quimper. Il meurt en déportation à Auschwitz l’année suivante.

Figure centrale de l’avant-garde montmartroise et montparnassienne, converti en 1915 au catholicisme après avoir eu plusieurs visions, Max Jacob quitte Paris en 1936 pour s’installer à Saint-Benoît-sur-Loire dans le Loiret. Il y mène une vie monacale. Ses travaux poétiques et médiations, en partie reprises par Pierre Lagarde dans son admirable ouvrage Max Jacob – Mystique et martyr (La Baudinière, 1944), se rapprochent du courant quiétiste. Il assume dès lors sa vie de pêcheur comme condition de sa rédemption. Ses origines juives lui valent, six mois avant la libération de Paris, d’être arrêté par la Gestapo, destin qu’il accepte comme un martyr. Il est interné par la gendarmerie française au camp de Drancy et y meurt cinq jours plus tard, quelques heures avant sa déportation programmée pour Auschwitz.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « V. » à Émile Allix
H[auteville] H[house], 25 juillet [1862], 2 pp. petit in-24° (4,3 x 6,8 cm) sur papier vergé bleu,
Enveloppe autographe jointe (déchirure, voir scan)
Légère trace de pliure oblique sans importance sur la deuxième page
[Timbre sec :] S. Barset / June / 25 / High Street / Guernsey
[Cachet postal :] 28 Jul[y] [18]62 / Ang[leterre] – Calais

Lettre « miniature » inédite à son médecin personnel, annonçant son départ pour la Belgique après l’épuisant travail de rédaction des Misérables


« Merci, cher Monsieur Émile. Vous avez le dévouement le plus charmant du monde et vous entrez en fonctions avec tout l’esprit possible et une grâce parfaite. Votre lettre est une page tout étincelante. – Voici, imprimées, deux lettres qui vous intéresseront, si vous connaissez quelque journal qui trouve bon de les reproduire, faites. Je vais voir mon Charles dans quelques jours. Ce sera une joie profonde, et je la mérite un peu après ce lourd labeur. Quel dommage que vous ne soyez pas de cette clef des champs là ! – Est-ce que vous voudrez jeter à la poste ces trois billets. Je fais mon sac de nuit, et je vous serre les deux mains
V.
»


Une lettre à Paul Meurice, envoyée la veille, permet de connaître en détails le périple que Victor Hugo s’apprête à entreprendre : « Nous partirons lundi 28 (avec M. Lacroix) [l’éditeur des Misérables], nous passerons à Londres la journée de mardi. Mercredi 29 nous serons à Bruxelles (par Ostende), jeudi 30 à Liège (puisque Liège vous plaît). Tâchez donc d’y arriver, vous et Charles, le 31 juillet », puis d’ajouter en fin de lettre, anticipant semble-t-il les recommandations de son médecin :
« Pour modérer la pluie de lettres pendant mon absence, voudrez-vous faire publier dans Le Siècle ou La Presse quelque chose comme ceci : “Sur l’avis des médecins qui lui ont conseillé le changement d’air après le grand travail des Misérables M. Victor Hugo a quitté Guernesey pour un voyage de quelques semaines” »

Émile Allix (1836-1911) est un docteur en médecine français, spécialisé en pédiatrie. C’est lors de vacances passées à Jersey que le jeune étudiant en médecine (alors âgé de 19 ans) fait connaissance de l’écrivain par le biais de son frère Jules et sa sœur Augustine, proches du cercle Hugo. Ses convictions républicaines, son opposition au régime de Napoléon III, sa gentillesse et sa nature très douce sont autant d’arguments qui permettent au médecin de sceller le début d’un indéfectible amitié avec l’écrivain. C’est Allix qui, en 1868, assiste Adèle Hugo, très malade, dans ses derniers instants. Intime de Victor Hugo et de sa famille, il est le fidèle de tous les instants, comme un autre fils. Avec ses confrères Alfred Vulpian et Germain Sée, il signe les derniers certificats qui précèdent la constatation du décès de Victor Hugo, le 22 mai 1885.

Quand Victor Hugo signait de la seule initiale de son prénom, cela signifiait avant tout une très grande proximité avec son correspondant (habituellement réservée à son cercle le plus proche). Le regret exprimé ici par l’écrivain de ne pouvoir retrouver son ami médecin pour son périple belge témoigne d’autant plus des liens qui les unissaient.

Les lettres de Victor Hugo d’un format singulièrement si petit sont très rares

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Manuscrit autographe signé sur la page titre « Paul Eluard », destiné à Pierre Seghers
S.l.n.d [c. mai 1943], 6 p. in-8° (dont la page titre)
Parfait état de conservation

Précieuse série de poèmes, dont le célèbre N., rédigée pour Poésie 43, puis reprise dans l’édition augmentée de son mythique recueil Poésie et vérité 1942


Cet ensemble, intitulé par Éluard « Trois poèmes », fut destiné à Pierre Seghers, directeur de la revue Poésie. Le poète a sobrement signé le manuscrit de son nom sur la page de titre : Trois poèmes. La chronologie des poèmes du manuscrit est telle qu’elle figure dans le recueil publié. La pagination de chaque feuillet, au crayon multicolore, est également de la main d’Éluard.

Le manuscrit s’ouvre sur Rêves (pages 1 et 2), titre global pour les sept courts poèmes qu’il contient, certains sont sous forme de distique ou tercet. La série est dédiée à son ami Louis Aragon. Plus tard dans la même année, ce sont cinq des sept poèmes qui figurent dans l’édition augmentée de Poésie et vérité 1942. La dédicace à Louis Aragon disparaît et chacun des poèmes se voit attribué un titre, en lieu et place de leur numérotation. Enfin, une variante très mineure est à observer entre les deux publications pour le premier distique, En dépit de l’âge : « des nouvelles » devient « les nouvelles ».

Rêves
à Louis Aragon

1 [En dépit de l’âge]
De loin en loin des nouvelles du passé
La bonne clé de la cage

2 [Plaisir du premier printemps]
Plaisirs du premier printemps
Pierre propre de l’enfance
Caresse aux jointures fines
J’inventerai la sagesse

A peine éclairé je rêve.

3 [Compagnon]
Comme une bête domestique
Dans la haute forêt
Une voix sans écho me hèle

4 [La Poursuite]
Une poursuite à travers les salles obscures
D’une château rose ou bleu
Nuit brillante entre les colonnes
Nuit rayonnante entre les lampes d’or

Tout est permis la nuit

Serai-je celui qui tue
Ou celui qui est tué.

5
La rosée la pluie la vague la barque
La reine servante

La perle de la terre
Perle refusée terre consentante

Le départ entre deux feux
Le voyage sans chemin
D’un oui à un autre oui
Le retour entre les mains
De la plus fine des reines
Que même le froid mûrit.

6
Bois meurtri bois perdu d’un voyage en hiver
Navire où la neige prend pied
Bois d’asile bois mort où sans espoir je rêve
De la mer aux miroirs crevés

Un grand moment d’eau froide a saisi les noyés
La foule de mon corps en souffre
Je m’affaiblis je me disperse
J’avoue ma vie j’avoue ma mort j’avoue autrui.

7 [Retraite]
Je sens l’espace s’abolir
Et le temps s’accroître en tous sens.

***

Aux pages 3 et 4 : Hasards noirs des voyages est également constitué de sept groupes de vers. Contrairement à Rêves, Éluard n’attribue pas de titres à ces groupes pour l’édition augmentée de Poésie et vérité 1942. On observe là aussi une variante entre les deux publication sur le premier quintil. Eluard décide d’effacer « notre azur plus jeune » pour le substituer avec « le temps transparent ».

Hasards noirs des voyages

1
Parfaitement éveillée et très belle
A-t-elle le pain qu’il lui faut
Elle n’a que sa beauté
Cet éclat perché haut comme une étoile seule
Pourtant la terre est là

2
Pour voir la terre il faut voir
L’homme et ses enfants hors d’âge
Nul n’a de nom ni d’empire

3
O ma muette désolée
Le chasseur ivre prend ta place
Contemplons le souverain maître
Il s’engourdit
L’acier prolongeait sa prunelle
Pour lui maintenant le monde est couché

4
Et sous les couvertures dures de la terre
La vie est pleine comme un œuf
D’un bouquet d’ombres colorées ombres formées et mûres
Et de jolis yeux purs riant à des langues tirées

5
O ma sœur mon bel aimant
Je te garde le soleil
Le bel espoir du soleil
Je te réchaufferai
Je te désaltérerai

6
La clarté perce les murs
La clarté perce tes yeux
Tu vas voir et tu vivras

7
Nos caresses d’or nos vagues lustrées
Nos corps confondus notre azur plus jeune
Le temps transparent
Nous concevrons le bonheur
Dans le plus grand des miroirs

***

Aux pages 5 et 6, Le célèbre N., l’un de ses textes les plus emblématiques, vient clôturer cette série. Ce poème a été écrit pour Nusch, née le 21 juin 1906 (voir le tercet 3). Dans le recueil 76, Le temps déborde, le poète précise d’une manière analogue la date du « désastre » qui bouleverse sa vie : « Vingt-huit novembre mil neuf cente quarante six », jour de la mort de Nusch (cf. Œuvres complètes, t. II, Pléiade, p. 108).
Pierre Emmanuel, commentant cette déclaration à l’aimée, écrit dans Le Je universel chez Paul Éluard (GLM, 1948, p. 36) « que cette naissance spirituelle (qui, par le processus de conquête sur le passé dont nous avons montré qu’il est nécessaire aux êtres qui s’aiment, ne fait qu’un avec la naissance charnelle de l’aimée) ait lieu à midi, au jour le plus haut de l’été, nous ramène par un de ces hasards du destin qui ne sont que l’envers de déterminations essentielles de l’être, à l’image du Je universel, du soleil qui renferme en son sein la totalité des êtres et des choses ».
Le poème est ici présenté dans sa toute première version, formant des petits groupes de vers, en distiques ou tercets, et toujours numérotés de 1 à 7. Éluard, qui avait à l’origine titré chacun d’entre eux, a ensuite caviardés les titres pour les substituer à des numéros. On peut imaginer que le poète a pris cette décision de dernière minute pour donner une cohérence à l’ensemble de la série publiée dans Poésie 43.
Le distique [5] n’est pas repris dans la seconde édition de Poésie et vérité 1942, et remplacé par le distique « A quoi penses-tu / Je pense au premier baiser que je te donnerai », qui est cette fois numéroté 1. Ce même texte est enfin publié l’année suivante dans Hommages, n°2 (Monaco), juin 1944.

N

Baisers 1
Baisers semblables aux paroles du rêveur
Vous êtes au service des forces inventées.

J’aime 2
Aux rues de petites amours
Les murs finissent en nuit noire
J’aime
Et mes rideaux sont blancs.

Une naissance 3
Le 21 du mois de juin 1906
A midi
Tu m’as donné la vie.

N 4
Sans éclat et douce à son nid
Elle apparaît dans un sourire.

Elle 5
Elle et ses défauts chéris
La perfection de l’amour.

Il faut la voir 6
Il faut la voir au dur soleil grevé de roches inaccessibles
Il faut la voir en pleine nuit
Il faut la voir quand elle est seule.

Facile 7
J’ai dit facile et ce qui est facile
C’est la fidélité.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre autographe signée « Louis-Napoléon » [à Marie Trotter, selon une note autographe annexe]
Camden Place, Chislehurst (Kent), le 25 mars 1871, 1 p. in-8° sur bifeuillet vergé

Touchante lettre, en remerciement des souhaits de sa correspondante à l’occasion de son quinzième anniversaire – Louis-Napoléon en profite pour donner des nouvelles de son père l’Empereur Napoléon III, tout juste libéré de sa captivité par Bismarck


« Madame,
Je vous remercie de cette aimable lettre que vous m’envoyez pour mon jour de naissance, je la garderai précieusement comme tout ce qui vient de vous. Vous savez trop combien je vous aime pour que je sois obligé de vous dire tout ce que je vous souhaite.
Grâce à Dieu l’Empereur est à présent au milieu de nous, je l’ai revu en bonne santé et vivement ému ainsi que nous tous du sympathique accueil qu’il avait reçu de la nation anglaise.
Croyez, Madame à mes sentiments bien affectueux.
Louis-Napoléon »


Napoléon III est libéré de sa captivité par Bismarck, le 19 mars 1871, suite à la cuisante défaite des troupes française à Sedan, sept mois plus tôt. Après avoir rejoint les siens à Camden Place, au sud-ouest de Londres, l’Empereur déchu reçoit rapidement de nombreuses visites prestigieuses, à commencer par celle de la reine Victoria. Ce chaleureux accueil de la nation anglaise évoqué ici fait contraste avec le sort réservé en France, au même moment, à la famille impériale : Le 1er, l’Assemblée Nationale qui s’est réunie à Bordeaux, vote la déchéance officielle de Napoléon III et de sa dynastie, le déclarant « responsable de la ruine, de l’invasion et du démembrement de la France ». Seuls six parlementaires votent contre. L’Empereur ainsi déchu proteste, accusant l’Assemblée d’outrepasser ses pouvoirs, de se substituer à la volonté de la Nation et réclame un plébiscite. La Troisième République allait cependant devoir gérer une crise autrement grave, la Commune de Paris, débutée le 18 mars, soit une semaine avant la rédaction de cette lettre.

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

Lettre autographe signée « C.B. » à sa mère, Madame Aupick
[Bruxelles], « Lundi 13 novembre 1865 », 4 p. in-8° d’une écriture serrée, à l’encre noire sur bifeuillet
Ancienne et discrète trace d’onglet en marge gauche de la quatrième page

Ambitions éditoriales malheureuses et confidences obscures à sa mère, quelques mois seulement avant sa terrible attaque

Provenant des collections Godoy et Martin


« Ma bonne petite mère,
Je ne puis que te répéter les informations que je t’ai données déjà.
-Du 15 juillet au 12 août, M. Julien Lemer a eu plusieurs pourparlers avec MM. Garnier pour mes cinq volumes
[Les Fleurs du mal, Petits poèmes en prose, Les Paradis artificiels et deux volumes de critiques]. Le sixième (Belgique) est exclu du marché.
-Le 12 août M. Hippolyte Garnier (qui est le directeur de la librairie) est parti pour ses voyages annuels. Il est rentré à Paris le 25 octobre. – Je n’ai d’ailleurs aucune nouvelle. Je sais seulement, et c’est un signe important, que M. Garnier est allé consulter Sainte-Beuve, mais que son frère Auguste est contre moi.
Et si l’affaire ne se fait pas ? dis-tu. Pourquoi ne pas me dire qu’aucun livre de moi ne se vendra plus jamais ?
Seulement, je me sens oublié. Je suis triste. Je ne suis plus bon à rien. Je m’ennuie mortellement. Je crois que cette affaire se fera, mais ma grande crainte est de devoir alors les 4  ici les 4 000 francs que les frères Garnier auront à me compter ; ces 4 000 francs que je voulais consacrer à payer des dettes françaises.
Certainement, le livre sur la Belgique
[son pamphlet La Belgique déshabillée, dont les premiers extraits furent publiés à titre posthume en 1887] est très avancé. Il manque peu de choses ; mais la privation totale d’argent m’empêche de le finir. Je devrais consacrer mon temps mon loisir forcé à retoucher le plus possible mes poèmes en prose, Mes contemporains ; ce serait toujours du temps gagné ; car il faudra bien le faire plus tard. Mais je n’ai plus de cœur à rien. Il y a quinze jours, un directeur de journal de Paris m’a écrit que si je voulais lui envoyer un choix de ces fragments, pourvu qu’ils ne fussent pas de nature à chagriner ses abonnés, il m’enverrait tout de suite 3 ou 400 francs. Non seulement je n’ai rien fait, mais je ne lui ai même pas répondu [Il n’existe pas d’autre occurrence de ce « directeur » dans la correspondance du poète, est-ce une fiction ?].
Dans cet état somnolent, qui ressemble beaucoup au spleen, il faut cependant que je me fasse un devoir de t’écrire souvent. Car je vois que les ennuis de l’hiver commencent cruellement pour toi. L’idée de te distraire me donnera peut-être le courage que je n’ai pas pour mes intérêts.
Tu as voulu la vérité. Je te l’ai dite. – Je vois tous les jours aux vitres des librairies de Bruxelles toutes les polissonneries et toutes les inutilités journalières qu’on imprime à Paris, et j’entre en rage quand je pense à mes cinq six volumes, fruit de plusieurs années de travail, et qui, réimprimés seulement une fois par an, me donneraient une jolie rente. Ah ! je peux dire que je n’ai jamais été gâté par le destin !
Lemer dit toujours : patience ! Il affirme qu’il considère l’affaire comme excellente pour les Garnier. Je n’en doute pas. Je soupçonne qu’il va très lentement pour n’avoir pas l’air pressé, et que, comme il refuse de rien recevoir de moi, il veut se faire payer par eux – ou plutôt, je ne comprends rien. –
Porte-toi bien autant que tu le pourras. C’est tout ce que je te demande et tout ce que je demande au ciel.
C.B. »


Très endetté en France, c’est en partie pour vivre à l’écart de ses créanciers que Baudelaire finit par quitter Paris, le 24 avril 1864, pour la Belgique. Cet exil sera malgré tout pour lui le début d’une nouvelle série de déconvenues éditoriales. Il prononce cinq conférences, et espère, à cette occasion, attirer l’attention d’Albert Lacroix (1834-1903), l’éditeur des Misérables, mais elles ne rencontrent pas le succès escompté. Il essuie un nouvel échec auprès de Lacroix pour la vente des droits de ses Variétés en trois volumes. Il cherche par ailleurs des aides parmi ses confrères, tels Victor Hugo ou Sainte-Beuve. Ce dernier, évoqué au début de la lettre, ne lui apporte qu’un timide soutien, en dépit de l’importance que Baudelaire accordait à son jugement. Le poète s’adresse alors à Julien Lemer (1815-1893), libraire et publiciste très actif. Les deux hommes se connaissent de longue date. Lemer avait publié dès 1850 « Lesbos » (l’une des six pièces condamnées dans Les Fleurs du Mal en 1857) dans le recueil Les Poètes de l’amour, une anthologie de la poésie amoureuse, chez Garnier frères. Il agit en tant qu’intermédiaire pour Baudelaire et s’efforce, en vain, de trouver un accord avec les mêmes frères Garnier en cette année 1865. Éreinté par sa situation et se sentant oublié, il trouve comme toujours en sa mère la confidente de ses sombres états d’âme. Il ne cache toutefois pas son agacement à son égard : « Et si l’affaire ne se fait pas ? dis-tu. Pourquoi ne pas me dire qu’aucun livre de moi ne se vendra plus jamais ? ». Il faut dire que madame Aupick ne peut que constater, depuis Honfleur, les revers accumulés par son fils. Le poète, dans un perpétuel besoin financier, termine son épître par une marque d’affection pour elle, son seul véritable appui.

Lettre exceptionnelle

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe (fragment ?) [à Robert le Vigan]
S.l.n.d [c. 1955], 1 p.1/2  in-4°
Infime déchirure à la pliure centrale

Céline anticipe un grand remplacement des civilisations par la population asiatique, thème repris dans Rigodon, ultime volet de sa trilogie allemande


« Question Grand avenir – Toute la terre aux jaunes – ils sont dominants dans les mélanges – Leurs gamètes gagnent, tout est là – ils avaleront ruskos, boches, francailles, yankees – à coups de spermedominants dominants. Martiny qui remplace Montandon à l’école d’anthropologie me le disait encore hier – Ni juifs, ni noirs, ni blancs, ni indiens n’existent devant le métissage jaune – un coup de glotte ! Mais c’est pas nos oignons ! C’est pour dans un siècle ou deux ! et c’est le prochain achat de raviolis qui m’angoisse ! Il m’a perdu le Grand Avenir ! Toi aussi au fait, corgniaud ! Tes oignons ! »

[Céline improvise une petite fable au verso du feuillet :]

« Au moment du dénouement
Tous les Apôtres foutent le camp
Jésus Christ reste tout seul
Moralité : sa gueule ! »


Ses pamphlets antisémites et son intelligence avec l’ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale valent à Céline, on le sait, une condamnation durant son exil au Danemark, avant d’être acquitté d’un non-lieu. Plus tard il ne cesse d’affirmer ses convictions et théories (ici sous couvert des dires du Docteur en médecine Marcel Martiny) auprès de ses proches et confidents. Dans un énième débordement, l’écrivain s’en prend ici violemment au peuple asiatique, une nouvelle cible, tout en y ajoutant un trait d’humour qui lui est propre.

Compagnon de cavale de Céline en Allemagne, le comédien Robert le Vigan (1900-1972) est une vedette du cinéma des années 30 et 40. Il rencontre le succès dans des films comme Golgotha de Julien Duvivier, en 1935, où il y incarne le Christ. Il s’illustra aussi dans Les bas-fonds, de Jean Renoir, en 1936. Proche d’Arletty et Gen Paul, ce dernier le présente vers 1935 à Céline avec qui il se lie d’amitié, habitant comme lui Montmartre. Il avait acheté un chat à La Samaritaine, mais dû s’en séparer au moment de divorcer de son épouse en 1943. C’est Céline qui adopte l’animal, le rebaptisant Bébert, régulièrement cité dans sa correspondance de prison. Robert Le Vigan se compromit durant l’Occupation en participant aux émissions de Radio-Paris, et, après le débarquement allié en Normandie, se barricade chez lui, avant de s’enfuir à Baden-Baden en août 1944 : il y retrouve Céline et le suit ensuite à travers l’Allemagne, à Kränzlin près de Berlin puis à Sigmaringen, où il aggrave son cas en lisant là le bulletin quotidien de la radio collaboratrice Ici la France.
Brouillé avec Céline, il ne le suit pas au Danemark et tente de fuir en Autriche mais fut arrêté par les Américains et rapatrié en France. Incarcéré à Fresnes, il est condamné en novembre 1946, entre autres à 10 ans de travaux forcés mais, malade, est libéré en octobre 1948. Il s’exile alors en Espagne avant de gagner l’Argentine où il demeure jusqu’à sa mort.
Ayant refusé à son procès de suivre les injonctions de charger Céline, celui-ci lui rend toute son amitié : alors que dans les premières versions de son roman Féerie pour une autre fois II (Normance), retraçant ses derniers jours à Paris et sa fuite, Céline décrit Le Vigan de manière féroce sous les traits du personnage « Norbert », il décide alors de supprimer les passages insultants et d’en écrire d’autres plus valorisants. Dans la trilogie germanique qui suivit, où Le Vigan apparaît cette fois sous le nom de « La Vigue », Céline ne conserve pas la même bienveillance, et, notamment dans Nord, fait de lui un portrait littéraire en homme dérangé, image vivante d’un monde détraqué.

Marcel Martiny (1897-1982), qui a remplacé George Montandon (1879-1944) était Docteur en médecine (Paris, 1925), et travaillait comme sérologue dans les laboratoires d’Alexis Carrel durant la Grande Guerre. Après avoir pratiqué la médecine de dispensaire, il devient médecin-chef adjoint de l’hôpital Léopold-Bellan (1933-1944), où il pratiqua l’acupuncture. Professeur à l’École d’anthropologie, il se fit spécialiste de « biotypologie humaine ». Parti en exil à Baden-Baden en même temps que Céline, il se ravisa et rentra en France où il ne fut pas inquiété. Il est mentionné dans les Cahiers de prison : « Martiny arrive. Il est compliqué… sournois […] Martini m’a trahi, il est parti un bon matin avec les cures. Grand ami du conseiller Schlemann… » (R4, p. 571). Après la Seconde Guerre mondiale, médecin-chef à l’hôpital Foch, Martiny publia de nombreux ouvrages, dont un Essai de biotypologie humaine (1948), et enseigna à l’École d’anthropologie.

Ce document est-il une lettre autographe ? Un fragment de lettre ? À sa première publication dans Le Monde du 15 février 1969 (pour la parution de Rigodon, paru à titre posthume), trois points séparent ce qui semble être une continuité du sujet mais pas nécessairement la partie restante de la lettre, accréditant donc la première hypothèse, mais sans certitude.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à Pierre Lagarde
« Saint Raymond de Peñafort », St Benoît [sur Loire], le 23 janvier [19]40, 1 p. in-4° avec enveloppe autographe oblitérée [23-1-40]
Traces de pliures dues à la mise sous pli, petits trous d’agrafe au coin supérieur gauche sans atteinte au texte

Depuis Saint-Benoît-sur-Loire où il mène une vie monacale, le poète livre un témoignage d’affection aux élans christiques à son ami Pierre Lagarde, mobilisé au front contre l’armée allemande


« La beauté est un des pièges du diable. Je ne dis pas qu’il faille être une brute pour être un chrétien… mais j’y pense ! […] Le renouement à la beauté est un des renoncements. Il ne peut pas s’arrêter à la beauté si on veut faire des progrès dans la voie du Paradis. Les paradis terrestres ont mené Adam et Eve à la faute qui nous vaut la terre actuelle ; il faut donc renouer aux Paradis terrestres et la beauté est un paradis terrestre. […]
Les médiations sont propres à inspirer les sentiments nécessaires : l’émerveillement, l’humilité, la reconnaissance, le repentir, l’idée de la mort, la crainte du Jugement Dernier, la peur salutaire de l’enfer, l’espérance du Paradis, la résolution dans la direction d’une vie exemplaire.
Je souffre avec vous tous, mes amis et tous mes fils du front et des casernes, je souffre à en pleurer et je prie très spécialement pour toi […] Dieu voit chacun de vos gestes, écoute le bruit de chacune de nos pensées, pèse chacune de nos souffrances.
Je n’ose parler de mes malaises devant tant de douleurs mais moi aussi je suis assez mal sans savoir ce que j’ai.
Je t’embrasse
Max Jacob »


Figure centrale de l’avant-garde montmartroise et montparnassienne, converti en 1915 au catholicisme après avoir eu plusieurs visions, Max Jacob quitte Paris en 1936 pour s’installer à Saint-Benoît-sur-Loire dans le Loiret. Il y mène une vie monacale. Ses travaux poétiques et médiations, en partie reprises par Pierre Lagarde dans son admirable ouvrage Max Jacob – Mystique et martyr (La Baudinière, 1944), se rapprochent du courant quiétiste. Il assume dès lors sa vie de pêcheur comme condition de sa rédemption. Ses origines juives lui valent, six mois avant la libération de Paris, d’être arrêté par la Gestapo, destin qu’il accepte comme un martyr. Il est interné par la gendarmerie française au camp de Drancy et y meurt cinq jours plus tard, quelques heures avant sa déportation programmée pour Auschwitz.

[NIETZSCHE] VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe (minute) au comte Guy de Pourtalès
S.l, Samedi 16 9bre [novembre] [19]29, 2 p. in-8°
Petit manque angulaire sans atteinte au texte

Magnifique lettre de premier jet dans laquelle Valéry développe sur Nietzsche, La Soirée avec monsieur Teste, puis sur sa « Crise de Gênes », épisode essentiel de sa jeunesse

Nombreuses et importantes variantes inédites avec la lettre publiée

Cette précieuse lettre est restée dans les archives de la famille Valéry jusqu’en 2007


« Mon cher Pourtalès,
J’ai été profondément touché par l’épître dédicatoire que vous m’adressez en tête de votre livre. Vous m’offrez votre travail ; et j’accepte ce beau don de grand cœur. Vous me faites aussi l’honneur d’associer mon nom à un nom très illustre et singulièrement significatif.
C’est là me faire vivre dangereusement !
Ce périlleux honneur m’a donné à songer. Il m’est souvenu des anciens jours et de mes premières impressions nietzschéennes, Albert [comme toute sa génération, Valéry a découvert Nietzsche au travers des traductions d’Henri Albert], en ce temps-là, traduisait Zarathoustra comme il pouvait, tandis que j’écrivais fort rapidement pour le Centaure (qu’il administrait) la soirée avec M. Teste. Ces deux êtres ne s’accordaient pas aisément. Zarathoustra est un suprême poète. M. Teste est tout le contraire de tout poète. C’est un être tout absorbant, un corps noir qui ne rend rien.
Mais quoiqu’on dise,- je ne fus, ni ne suis M. Teste,- si ce n’est le matin, parfois, avant le jour… Le fait est que j’ai fini par aimer Nietzsche,- au moyen, au travers, en dépit des traductions qu’on en a faites. Je dis : aimer Nietzsche,- et non ses thèses favorites, ni même certains de ses mouvements.
Pour moi, il a trouvé une certaine méthode, presque une logique, si l’on peut appeler logique une exploitation intellectuelle des lois modes de la sensibilité générale centrale. On n’a jamais parlé de ceci qui est capital ; car le nombre des idées émises par lui, le genre de relations qui les engendre et l’espèce de charme qu’elles instituent qui s’attache à l’expression qu’il en donne tiennent à ce nervosisme la forme nerveuse de son intelligence.
[Valéry ajoute en interligne : « ce ne sont pour moi que des combinaisons comme on pourrait en former d’autres », puis il rajoute en marge supérieure « Je crois que celles-ci n’ont tant excité les esprits que par cette puissance de résonance qu’il leur communiquait et qui ne leur appartient pas nécessairement »]
Sa métaphysique et sa morale immoraliste me touchent peu.
Car l’une et l’autre spéculation me paraissent arbitraires.
et n’ont d’ailleurs agi que par l’action de cette puissance profonde qu’il possédait sur les esprits. Il a résolu ainsi le difficile problème que l’existence de la grande musique pose depuis près d’un siècle à tous les écrivains dignes de ce nom qui pensent. Sa philosophie est une musique, vous l’avez vu.

Il me souvient aussi que c’est à Gênes, en 1892, dans une certaine nuit fort éclairée d’orage, que j’ai renversé divers autels et rompu avec un moi qui ne savait pas assez ce qu’il voulait. Cette ville admirable a d’étranges vertus.
Quant à Gênes, j’y ai vécu de fabuleux étés d’enfance. J’ai cru y devenir fou en 92. Une certaine nuit blanche, blanche d’éclairs,- que j’ai passée sur mon séant à désirer d’être foudroyé. (il paraît que je n’en valais pas la peine). Il s’agissait de décomposer toutes mes idées mes premières idées – ou Idoles et de rompre avec un moi qui ne savait pas pouvoir ce qu’il voulait ni vouloir ce qu’il peut pouvait.

Le retour éternel n’est que musique. c[‘est] à d[ire] un effet qui n’a de durée que la durée des synthèses auditives –
« Soyons durs » [Ecce Homo, Nietzsche, Mercure de France, nov. 1908, p. 69]. Ce n’est qu’un instant »


Cette lettre vient en réponse à l’exquis envoi de Guy de Pourtalès (1881-1941) inscrit en tête de son Nietzsche en Italie, paru en 1929 chez Grasset : « Permettez-moi, mon cher Valéry, de vous offrir ce petit et imparfait essai sur un homme dont vous avez si bien senti l’incertaine grandeur et mesuré les vertiges […] ». Cela fait suite à la longue conversation sur Nietzsche que de Pourtalès a eue avec Valéry chez la duchesse de La Rochefoucauld, en mai 1929. Il la rapporte dans son journal (Guy de Pourtalès, Journal, t. II, 1919-1941, Paris, Gallimard, 1991, p. 166-167). Cet envoi n’aurait sans doute pas été écrit si Pourtalès n’avait lu le Cahier de la Quinzaine de 1927, rare témoignage public de l’intérêt porté à Nietzsche par l’auteur de La Soirée avec Monsieur Teste. La présente lettre est en conséquence l’un des très rares textes où Valéry formulera de nouveau une critique laudative sur Nietzsche, après celle du Cahier de la Quinzaine évoquée supra.

Quant à la ville de Gêne, lieu de villégiature de jeunesse de Valéry chez la sœur de sa mère, Vittoria Cabella, on sait que les deux écrivains en ont parlé de vive voix quelques mois plus tôt. La capitale de la Ligurie est aussi et surtout devenue pour Valéry l’un de ses plus intimes lieux de mémoire. Il y vécut un épisode essentiel, appelé depuis la « Crise de Gêne ». Celle-ci fait référence à la nuit du 4 au 5 octobre 1892 qu’il passe éveillé « sur son séant » durant un très long et violent orage. Si aucune occurrence à cet épisode n’est évoquée ni dans ses notes, ni dans ces lettres, Pourtalès est la première personne vers qui Valéry s’ouvre ouvertement sur le sujet, d’abord oralement, avant d’y revenir dans la présente lettre. Derrière cette « Crise de Gêne », dont il fait le parallèle avec le concept nietzschéen de l’Éternel Retour, figure un jeune homme de vingt-et-un ans souffrant d’un amour malheureux avec une jeune baronne montpelliéraine, Mme de Rovira. Comme Michel Jarrety le rapporte dans Sur Nietzsche (p. 33), cette dernière lui « donnait le sentiment d’une véritable aliénation, en même temps que, désespéré de n’atteindre à la hauteur de Rimbaud ni de Mallarmé, il décidait de suspendre le travail des vers : il lui fallait devenir un autre, un homme nouveau qui fût totalement maître de soi-même comme de ses pouvoirs, comme un homme, ainsi qu’il le dit dans la lettre, qui pût ‘pouvoir ce qu’il voulait’ et ‘vouloir ce qu’il pouvait’ ». Cette épisode apparaît sans doute comme mythifié par le poète lui-même si l’on songe que son œuvre de jeunesse est loin de se clore à cette époque : deux importants poèmes paraissent dans Le Centaure en 1896 ainsi que deux chefs-d’œuvre en prose, l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci et La Soirée avec Monsieur Teste.

PICASSO, Pablo (1881-1973)

Lettre autographe signée « Picasso » à Max Pellequer
[Château de] Vauvenargues, « le 14.[0]4.[19]61 », 1 p. 1/4 in-4°
Trace de pliure centrale, très bon état de conservation
Filigrane : “André Chotel Paris – A.M.C”

En compagnie de Jacqueline, qu’il vient tout juste d’épouser, Picasso s’installe pour quelques jours dans sa résidence secondaire au château de Vauvenargues


« Mon cher Max,
Nous sommes depuis hier ici pour quelques jours.
Je vous envoie le chèque que vous me demandez pour ces messieurs des contributions et un autre chèque pour la B.N.C.I [Banque nationale pour le commerce et l’industrie, une des banques ancêtres du groupe BNP Paribas] de Cannes [,] montant de mon coffre ici.
Meilleurs souvenir[s] et amitiés de nous deux
Je vous embrasse
Picasso »

[Jacqueline rajoute une apostille en marge inférieure de la deuxième page]
« Je vous embrasse très fort
Jacqueline »


Banquier et amateur d’art avisé, Max Pellequer rassemble dès les années 20 une considérable collection d’œuvres modernistes. Il épouse en 1920 Francine Level, nièce du marchand et homme d’affaires André Level. C’est par l’intermédiaire de celui-ci qu’il fait la connaissance de Picasso, en 1914. Cette rencontre marque dès lors la genèse d’une indéfectible amitié entre les deux hommes. Pellequer devient l’un des plus proches intimes de l’artiste, mais aussi son banquier et conseiller financier. Durant plus de 30 ans, il acquière auprès de Picasso une incroyable collection de peintures et sculptures. La relation épistolaire qu’il entretinrent nous permet de prendre la mesure des liens qui les unissaient.

À l’écriture de cette lettre, Pablo Picasso venait d’épouser Jacqueline (née Roque), le 2 mars 1961, à Vallauris. Leur résidence principale se situait au mas Notre-Dame-de-Vie de Mougins, à Mougins, près de Cannes. Le château de Vauvenargues était devenu leur lieu de villégiature après que Picasso en eut fait l’acquisition, en septembre 1958. C’est dans le parc de cette même propriété que le peintre sera inhumé dans une ambiance délétère, le 10 avril 1973.

DORVAL, Marie (1798-1849)

Ensemble de vingt-deux lettres autographes, dont trois signées, à Alfred de Vigny
[Paris, Reims, Versailles et Rouen], 72 p. (en divers formats) in-8°, in-12 et in-24°, deux enveloppes autographes
Quelques petits défauts et bris de cachet

Remarquable ensemble de vingt-deux lettres à son amant Alfred de Vigny, datant pour l’essentiel du premier semestre 1833 – Entre déclarations enflammées, tromperies et jalousies, cette correspondance témoigne de la période d’amour la plus ardente entre les deux amants


Marie Dorval connaît ses premiers succès en tant qu’actrice dans les années 1820. Elle devient la maîtresse de Jean-Toussaint Merle, directeur du théâtre Porte-Saint-Martin, de 1822 à 1826, avant de l’épouser en 1829. Bien qu’un attachement sincère les aient toujours liés, les deux époux se donnèrent une liberté mutuelle dans leur vie de couple. La consécration artistique de l’actrice intervient en 1831, au moment de jouer le rôle d’Adèle dans la pièce Antony de Dumas, faisant d’elle l’incarnation du drame romantique : « Elle avait un talent tout passionné. L’art lui venait de l’inspiration ; elle se mettait dans la situation du personnage, elle l’épousait et devenait lui » (Th. Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt ans, Hetzel, 1858, t. 1, p. 322).
Marie Dorval avait déjà connu de nombreuses épreuves et amours déçus avant qu’Augustin Soulié ne la présente à Alfred de Vigny, en 1830. Si l’essentiel de la correspondance qui nous est aujourd’hui parvenue sont les lettres de l’actrice, on observe aisément que celles du premier semestre de l’année 1833 explicitent l’apogée de la liaison ardente unissant les deux amants. Marie Dorval voue une dévotion sans limite pour le poète, allant jusqu’à la soumission. Dans une prose sublimée par la spontanéité, elle le glorifie, s’excuse, se justifie. Vigny est lui rongé par la jalousie. De nombreux orages viennent ainsi rapidement jalonner leur relation. Marie a dû accepter, pour raisons financières, des tournées en province pour Antony entre autres, ne faisant qu’attiser les suspicions maladives de Vigny. Elle entretient des liaisons avec Alexandre Dumas, Jules Sandeau, tout en nourrissant une intimité plus qu’équivoque avec George Sand, provoquant l’ire du poète. En parallèle, les nombreuses escapades de Vigny eurent raison du feu passionnel de leur amour. La mort de Mme de Vigny, en 1838, porte le coup de grâce à une relation depuis longtemps déclinante et sans saveur.


Lettre autographe, [Paris, mardi 12 février 1833], 2 p. 1/2 petit in-8° :

PREMIÈRES DÉCLARATIONS ENFLAMMÉES : MARIE DORVAL DONNE RENDEZ-VOUS CHEZ ELLE À SON AMANT ALFRED DE VIGNY, EN L’ABSENCE DE SON MARI

« MON MARI NE DÎNE PAS CHEZ LUI TU PEUX VENIR SITÔT QUE TU LE VOUDRAS »

« Mon Alfred, on ne joue pas de tragédie ce soir aux [Théâtre] Anglais. Ce n’est pas la peine d’y aller, viens chez moi mon amour. Je suis si heureuse depuis hier ! J’ai de l’amour pour toi comme cent mille femmes. Je voudrais bien que nous puissions aller à la Porte-Saint-Martin [on y jouait Lucrèce Borgia de Victor Hugo]. Je vais tâcher. [la lettre a été interrompue, le temps d’aller chercher des places au théâtre]
Mon amour, j’ai une loge de six places. Veux-tu venir avec quelqu’un de tes amis ? 2ième de côté n° 50. On commence à 7 1/2. Je tiendrais beaucoup à ce que tu visses la fin du 1er acte. Mon mari ne dîne pas chez lui, tu peux venir sitôt que tu le voudras.
Je vais porter moi-même cette lettre.
À ce soir donc. Je vous baise, je vous rebaise comme hier. »

Cette lettre de l’actrice est la première connue succédant à la fameuse épître érotique du poète du 7 janvier 1833, souillée par lui de sa semence.
Acquise par le collectionneur Alfred Bégis pendant la seconde moitié du XIXe siècle, ce dernier la revendit à M. Chéramy. Au décès de Chéramy, le directeur du Gaulois, Arthur Meyer, fait retirer la lettre de la vente Chéramy pour être détruite par les soins des notaires Delapalme et Dutertre. C’est sans doute le célèbre marchand Charavay qui fait prendre in-extremis la photographie par laquelle nous connaissons aujourd’hui cette lettre scandaleuse du poète.

***

Lettre autographe, s.l [jeudi 14 février 1833], 1 p. in-8° :
Infime manque en marge gauche

« Cher ami, tu sais combien j’ai de désir de voir Smithson [l’actrice Harriet Smithson qui tenait alors le rôle d’Ophélie dans Hamlet, et qui épousa Berlioz la même année]. Voici M. de Custine qui vient m’enlever. Il voulait aller te prendre chez toi j’ai pensé que cela ne te serait pas très agréable mais je compte que tu viendras me retrouver n’est-ce pas mon ange ? Je te baise tant que je peux. »

***

Lettre autographe, s.l [lundi 18 février 1833], 6 p.1/4:

PASSION TOUJOURS PLUS GRANDISSANTE ET PREMIÈRES JALOUSIES RÉCIPROQUES

« QUE JE T’AIME ! QUE JE SUIS JALOUSE, QUE JE SUIS MISÉRABLE D’EN ÊTRE VENUE À COMPTER TES CARESSES, À NIER TES SOUFFRANCES »

« Cette journée qui a été bien triste pour moi a fini par le plus grand chagrin de tous, la crainte de te savoir malade. À 8h 1/4 l’impatience m’a pris ; à 8j 1/2 la fièvre ; à 9h, je suis montée avec Jenette [Jeannette, la domestique de Marie Dorval] pour ne pas rentrer sans t’avoir trouvé, sans avoir un mot de toi, de toi, mon tourment ! Mais quelle fatalité, quel malheur ai-je maintenant sur moi, que tu ne crois plus à mon amour quand j’en suis si entièrement, si cruellement possédée je t’assure mon Alfred. Oui je sens que je ne suis plus aimable, et j’en souffre horriblement et je ne suis prendre sur moi.- tu ne sais pas comme je pleure la nuit. Je deviens sauvage et méchante et cependant non, car tu n’es pas au bas de mon escalier que je dis : mon Alfred ! Mon pauvre cher ange ! et mille tendresses dont tu n’as pas l’idée et mon cœur est tout attendri du chagrin que je t’ai fait et que tu emportes avec toi. Ah que je suis malheureuse. Que je t’aime ! que je suis jalouse, que je suis misérable d’en être venue à compter tes caresses, à nier tes souffrances, à toujours douter, toujours craindre, à n’être jamais en repos avec toi ni avec moi-même. Sauve-moi de tout cela ma bonté ! Je t’aime comme on ne t’a jamais aimé, crois-le, crois-le, pour mon bonheur, pour ma vie, tu en aurais de cruelles preuves si tu m’ôtais ou si tu partageais ton amour. Mon ange écris-moi quelques fois, c’est peut-être cela qui fait tout le mal, ce sont tes lettres qui me manquent […] Tu me dis que tu viendras demain, et le soir au bal [le bal du Mardi gras au théâtre de la Porte-Saint-Martin, dont Marie Dorval était commissaire]. Ah ce bal ! je me recommande à toi mon Alfred si tu n’es pas le meilleur des hommes je suis une femme perdue. Je t’en supplie sois le plus glacé, le plus fermé à toutes coquetteries.- Je ne veux pas que tu me quittes, je veux que tu sois toujours du côté où je serai, je me promènerai avec toi, et je te les nommerai toutes [les autres actrices de la Porte-Saint-Martin, parmi lesquelles figurent notamment Juliette Drouet]. […] Pour moi je ne danserai qu’avec qui tu voudras, et je serai bien bonne pour toi. Pour M. de Custine sans doute il n’y sera pas […] Je n’ai pas mis la moindre importance à ce que j’ai fait, et c’est ta faute si ce n’est pas avec toi que j’ai été voir Smithson. Si tu étais venu aux Anglais nous l’aurions été voir ensemble dans sa loge, et ensuite ensemble chez elle [voir la lettre précédente du 14 février]. […]
Je te donne mille tendres caresses, je te baise ton front et tes mains, je te prie de me pardonner, de m’aimer et de me le dire mon cher amour pour me redonner confiance en moi et te rendre, nous rendre plus heureux. »

***

« Double » lettre autographe, s.l [mercredi 20 et jeudi 21 février], 8 p.1/2 in-8° :

SOUPÇONS DU POÈTE, CRAINTES ET REMORDS DE L’ACTRICE

« TOUS LES MOTS DE TA LETTRE SONT AUTANT DE COUPS DE COUTEAU DANS MON CŒUR… JE TOMBERAI À TES PIEDS POUR TE DONNER MA VIE POUR QUE TU DISPOSES DE MOI »

« Que je déteste ce bal ! que tu me fais peur ! que se passe-t-il donc de si horrible en toi qui te fasse pâlir de la pâleur de la mort c’est affreux. Je ne puis te voir ainsi. Je le tuerai cet homme qui t’a fait tant de mal. J’aurais voulu l’étrangler quand il s’est approché de moi ainsi [Marie Dorval a été surprise par Vigny (probablement non masqué) au moment où un homme tentait de l’embrasser]. Mais me soupçonner mon Alfred ! moi qui mourrai si je devais renoncer à toi ! moi perdre ton amour ! mais pour qui ? Mais cet homme est vieux et ridicule et il serait jeune et beau et y a-t-il quelqu’un au monde que je puisse préférer à toi ? Mais quoi ? tes injustes soupçons sur Fontaney, Maurice, M. de Custine et d’autres doivent te mettre en garde contre toi-même. – Mais qu’as-tu vu mon Dieu ! cet homme s’est approché de moi de façon à m’embrasser il est bien vrai. – Mais que me voulait-il ? Je ne le sais pas. Avait-il sa raison ? Je me suis troublée parce que je sentais ton regard sur moi, et plus troublée encore quand mes yeux se sont levés sur ton visage si pâle, que toute ma vie je le verrai ainsi. Tu as bien raison de dire que ta colère me ferait mourir – je ne la mérite pas mon Alfred. Sur ta vie qui est la mienne je n’ai point reçu de lettres. Ce serait donc une intrigue, un accord mais c’est affreux de penser cela ! Tu oublies tout. Mes »

[Marie Dorval interrompt sa lettre, écrite dans la nuit. Elle se sert d’un nouveau bifeuillet pour reprendre son propos à « 1h du matin »]

« 1h du matin
Je devrais mourir pour expier ce bal – la lettre me tue – t’avoir fait tant de mal (involontairement n’importe) et n’être pas là pour te calmer cela m’est horrible ! c’est le malheur éternel de ma vie de ne pouvoir être près de toi quand tu souffres
[…] Quel supplice ! enfin j’accepte tous les tourments de cette journée, de cette soirée, de cette nuit surtout ! Tous les mots de ta lettre sont autant de coups de couteau dans mon cœur. Oh si je te vois demain ! si je ne t’ai pas rendu malade je tomberai à tes pieds pour te donner ma vie pour que tu disposes de moi, je ne veux plus te voir ainsi. Ta figure est restée dans mon cerveau, là, et ne me quitte pas un instant – ta figure si pâle et si terrible au milieu de toute cette folie de carnaval. Ah j’ai ce bal en horreur ! je n’irai plus de ma vie au bal. Et tant de souffrances, de chagrins pour quoi ? Que j’ai de haine contre cet homme ! […]
Comme tout ce que je sens tombe froidement sur mon papier, moi je souffre, et ce que j’écris ne t’en peut donner l’idée – mais toi, toi, je te le dis, et je te vois, je te vois souffrir. L’impression que m’a causée cette lettre aujourd’hui est si profonde que je n’en pourrai revenir de longtemps – tu ne me connais pas, tu ne me connais pas.
J’espère que ce bon Soulié
[Augustin Soulié, un familier de Marie Dorval] t’aura un peu calmé. Hélas je n’ai pu t’écrire ce que j’aurais voulu, car mon mari était là, Madame Sand se faisait annoncer [George Sand venait sûrement informer Marie Dorval de sa rupture imminente avec Jules Sandeau. D’où cette note de Vigny dans Journal d’un poète : « 21 février. Madame Sand vient à minuit chez une de ses amies et veut passer la nuit chez elle. Bizarre conversation » (Pl. t. II, 1948, p. 978)]  […]
Je me suis toujours repentie de ce qu’on appelle un plaisir, cela nous a toujours coûté quelque chagrin, et tu as bien vu que toujours j’y ai renoncé de moi-même et par dégoût. »

***

Lettre autographe signée « Marie », s.l [mercredi 6 mars 1833], 2 p.1/2 in-8° sur papier bleu
Petit manque sur le second feuillet (bris de cachet) sans atteinte au texte

MARIE DORVAL SE SOUCIE DE L’ÉTAT DE SANTÉ DE MADAME DE VIGNY, VICTIME D’UNE ATTAQUE CÉRÉBRALE

« Cher enfant, je suis bien malheureuse de ce que tu me dis [Vigny rapporte dans son journal le jour-même : « ma mère, ma bonne mère a eu une attaque de paralysie sur tout le côté droit, joue, bras et jambes » (Pl., t. II, 1948, p. 979)] – je ne puis ni soutenir ton courage loin de toi, ni ranimer ton espoir puisque je ne vois rien ! –
Je te conjure mon Alfred de ne pas quitter ta mère un seul instant […] je saurai bien avoir de vos nouvelle si tu veux je pourrai aller te voir un instant rue Montaigne [les deux amants se retrouvaient au n°18 de la rue Montaigne dans une garçonnière louée par Vigny] quand tu le voudras.
Tu dois souffrir horriblement mon pauvre ami ! C’est un chagrin qui n’a point de consolation que celui de voir souffrir sa mère et de trembler pour elle !
[…] Cher ange j’ai pour toi une prière éternelle dans le cœur. Ne te laisse pas abattre au nom du ciel je t’aime aussi comme une mère et n’oublie pas que ma vie est en toi. Je baise tes mains mon Alfred.
Je vais porter cette lettre moi-même.
Marie »

***

Lettre autographe, s.l [mercredi 6 mars 1833], 2 p.1/2 in-8° sur papier bleu
Petit manque sur le second feuillet (fragment conservé, cachet de cire rouge partiellement conservé)

« RANIME-TOI, CONSERVE TA FORCE, PROMETS-LE-MOI, OU JE MEURS »

« 8h. du soir. Mercredi.
Oh ! te savoir malheureux, te voir, et ne pouvoir aller à toi ! Juge cette douleur-là avec ton cœur.
[…] Elle était donc un peu mieux puisque vous avez pu sortir ? Cela m’a fait du bien à penser – et pourtant ce soir je suis accablée de tristesse, je donnerais mon sang pour ne pas partir [la comédienne allait donner des représentations à Reims], rester au moins dans le même air que toi et regarder vos murs ! – J’adresse au ciel mille vœux pour ta mère et pour toi, je donnerais ma vie pour te sauver un malheur. Ranime-toi, conserve ta force, promets-le-moi, ou je meurs […]
Quelle misérable je suis ! Quand tu souffres ! Quand tu es malheureux je ne puis plus rien pour toi !
Jeudi, une h
[eure]
Je cours chez toi – es-tu plus tranquille ? Qu’ont dit les médecins ? Vais-je trouver un mot de toi ? Je tremble, je meurs d’inquiétude ! »

***

Lettre autographe, s.l [vers le 12 mars 1833], 1 p. in-8° sur papier bleu

« Elle est mieux n’est-ce pas cher enfant ? On vient de me le dire […] Sûrement tu viendras à cette bonne rue Montaigne prendre mes lettres et m’en donner une. Ce soir je l’enverrai chercher. Dis-moi tes espérances, que je puisse passer une bonne nuit […] »

***

Lettre autographe, s.l [vendredi 15 mars 1833], 3 p. in-8°:
Petit manque (bris de cachet) avec petite déchirure et atteinte à une lettre
[Adresse autographe :] « Monsieur de Vigny »

« 2 h. du matin vendredi
En revenant de la rue Montaigne, comme j’avais de bonnes nouvelles, j’ai fait arrêter mon fiacre en face de la maison de ta mère […] Je désirais beaucoup savoir quelles étaient les fenêtres de son appartement afin de pouvoir autant que possible pénétrer dans cette chambre, où ma vie peut-être aussi à moi, était mise en question […]
Ne sois pas tourmenté de l’heure où je t’écris car cette nuit ce n’est pas l’heure où je pleure. Non, je suis tranquille. J’avais dit au portier de la rue Montaigne d’aller savoir ce soir des nouvelles, il est venu à 8h. et a dit que cela allait de mieux en mieux. Que tu es bon de me dire que mon écriture te fait du bien dis-le moi mon ami j’en ai besoin, moi qui suis accablée du sentiment de mon impuissance.
On te portera cette lettre demain (c’est-à-dire ce matin) j’aurai des bonnes, et de chères nouvelles j’espère – et je renverrai le soir. Et aussi pour avoir peut-être une lettre de toi.
Comme je t’aime. »

***

Lettre autographe, s.l [vendredi 15 mars 1833], 3 p. in-12° sur papier bleu
Petit manque angulaire, cachet de cire conservé
[Adresse autographe :] « Monsieur de Vigny »

« Mon pauvre ami du courage – ta lettre est désolante et je tremble aussi pour toi. Voudrais-tu donc me faire mourir. Cette femme [sans doute Jenette, qui faisait la liaison entre la comédienne et le poète] dit que tu es horriblement changé. Au nom du ciel pense à moi dans ta douleur – mon Alfred […]
Mon dieu mon ami mon dieu je suis désolée et ce départ [prochain départ de l’actrice pour Reims] – c’est affreux.
Je reviendrai demain. »

***

Lettre autographe, s.l [samedi 23 mars 1833], 1/2 p. in-8° sur papier bleu
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny / rue Montaigne n°18 »

DERNIÈRE ENTREVUE AMOUREUSE, LA VEILLE DU DÉPART DE L’ACTRICE POUR REIMS

« Il est 9h on me réveille avec ta lettre, allons mon Alfred tout va bien. Je suis bien heureuse […] Je serai à deux h. chez nous [à la garçonnière de Vigny au 18 avenue Montaigne]. Mon dieu que j’avais peur de partir sans te voir ! Je pars demain peut-être à 5h […] »

***

Lettre autographe, s.l, « Samedi 30 [mars 1833], 5 p. in-8° sur papier gris clair
Petit manque (bris de cachet, atteinte à deux lettres), marges droites légèrement effrangées, quelques mots biffés
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny / rue Montaigne n°18 / Paris »

MARIE DORVAL ÉVOQUE UNE JOURNÉE TYPE DURANT SA TOURNÉE PROVINCIALE. CETTE LETTRE EST LA SEULE DE SON SÉJOUR A REIMS À NOUS ÊTRE PARVENUE

« Tu me pardonneras mon ami de ne t’avoir pas répondu à toutes tes questions. Le pouvais-je ? Avais-je assez de tranquillité d’âme pour cela ? […] Mon chagrin ne peut cesser qu’avec le tien voilà tout ce que je sais. Comment ne sens-tu pas cela ? Pourquoi veux-tu que je te parle de notre chagrin ? Mon ange [ici deux lignes raturées (par Vigny ?) : “Je n’ai pas besoin de soupirer (?) non, tu n’as pas besoin de moi”]
Je mène ici une vie de fatigue qui ne serait pas tenable un jour de plus – aussi malgré leurs cris et leurs billets jetés sur le théâtre pour me faire jouer lundi je pars.
Voici ma vie de tous les jours. Je me réveille de très grand matin. J’étudie. À 8h j’ai mes lettres. J’écris. Je me lève à 10h. Je pars avec ma femme de chambre à 11h. pour la répétition. Ce matin j’ai répété : l’Incendiaire, la Femme colère et Antony. Je mets tout le monde en scène, je règle les décors. Et on compose la musique séance tenante d’après mes indications. Je te demande si je dis des paroles ! – À près de 4h je rentre, je dîne vite. Je fais mes caisses pour le soir et je joue deux pièces.  À 11h je fais mes comptes de la recette avec le directeur et sa femme – nous faisons des paquets de contremarques jusqu’à minuit. Je rentre avec Joséphine et un garçon de théâtre qui marche devant nous avec une grande lanterne. Je soupe et je t’écris. – Et toujours ainsi. Sans jamais voir âme qui vive chez moi.
Quant à mes succès
[…] J’ai joué ce soir l’Incendiaire – jamais je n’ai vu chose pareille. Ils ont crié, pleuré. Enfin je suis bien obligée de te dire que c’est une rage. Je rejoue le rôle ce soir avec Antony et demain dimanche le même rôle avec Antony. Et puis adieu. Et bonsoir car je tombe.
Samedi 10h.
J’ai ta lettre. J’ai toutes tes lettres. Sois sûr que je respecterai ton chagrin et que je serai pour toi tout ce que tu voudras que je sois mon ami. Je sens bien à présent que c’est une amitié tendre qu’il te faut, et que l’amour avec ses jalousies, ses craintes ne ferait qu’ajouter à ton malheur. Ne crains plus rien de moi, je ne te gronderai plus jamais, je ne t’attendrai plus – et quand je te verrai j’en serai bien heureuse. Cher Alfred ! Si tu savais combien je désire ne plus être que ton amie – comme je serai bonne pour toi ! Tu me connaîtrais bien alors, tu verrais comme mon caractère est bon et gai.
[…]
Je serai mardi matin chez moi de très bonne heure. Si tu peux venir à 4 h. ou le soir ou le lendemain comment et où tu voudras je serai à tes ordres. […]
Allons adieu. Mes filles me disent qu’elles sont bien tristes de ne t’avoir pas vu. […] La tristesse qui veut bien recevoir des distractions n’est pas dangereuse.
Adieu mon ami. »

***

Lettre autographe, s.l, « Samedi 30 [avril 1833], 2 p. in-8° :
Bris de cachet (fragment conservé)
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny »
RENDEZ-VOUS AU THÉÂTRE DES VARIÉTÉS AVANT UNE SOIRÉE AMOUREUSE

« Voilà donc Monsieur comme vous êtes chez vous. Ce matin à midi 1/2  vous étiez déjà sorti. – Ainsi c’est comme cela que vous ne venez jamais à l’heure de vos rendez-vous. Où étiez-vous donc ??…
Venez-vite me rejoindre aux Variétés où je suis avec mes enfants : loge de la galerie n°33. Comme la loge n’est plus bonne passée 7 1/2  je suis obligée de partir. Moi qui voulais vous faire dîner avec moi. Quand je vous dis qu’on ne peut pas vous avoir.
Je ne te verrai pas demain matin mon ange parce que j’ai rép[étition] et des démarches pour mes affaires, à terminer. Mais le soir je serai à toi pour, et comme, et où tu voudras. J’ai eu hier la visite du Monsieur en jupon [il s’agit de Astolphe de Custine]. »

***

Lettre autographe signée « M », [juin 1833 ?], 2 p. in-8° :

JALOUSIE DU POÈTE À L’ÉGARD DE GEORGE SAND

« Mon cher ange tu as dérangé tout le bonheur de ma journée en ne venant pas ce matin. Tu l’avais promis. Madame Sand est venue à 3 h 1/2  en me déclarant qu’elle passerait toute la journée avec moi. Comme je conservais encore l’espoir de te voir arriver je lui dis que j’étais indispensablement obligée de sortir à quoi elle a répondu qu’elle ferait une visite pendant le temps de mon absence et qu’elle reviendrait dîner et passer la soirée. Cela m’a fait redouter la visite de M. Planche, ou mille autres ennuis… J’ai préféré aller au spectacle avec Mme Sand. Nous avons une loge à l’Opéra-comique au rez-de-chaussée n°18. Viens nous retrouver. Je suis bien triste mon Alfred que tu aies tant de répugnance à aller dans notre pauvre petite chambre. – Enfin nous allons bientôt la quitter.
Je t’aime mon amour de toute mon âme. Ne me fais pas de chagrin, je t’en prie, en aucune façon.
M »

On connaît la jalousie féroce que nourrit le poète vis-à-vis de la relation équivoque entre son amante et l’écrivaine George Sand. Cette dernière envoie à la même époque une longue lettre d’amour à Marie Dorval (le 18 juillet 1833) demeurée célèbre et en haut de laquelle Vigny ajoute de sa main : « J’ai défendu à Marie de répondre à cette Sapho qui l’ennuie »

***

Lettre autographe, [Versailles, 17 août 1833], 4 p. in-8° :

« TA VIE M’APPARTIENT »

« Oh ! cher pauvre petit ! mon Dieu je suis cause moi que tu n’étais pas là près de ta mère… Enfin la voilà mieux n’est-ce pas ? Je te prie de ne pas la quitter, surtout pour moi. Tu as été adorable hier, j’en ai été heureuse, et calmée […] Comme tu ne me donnes pas l’assurance de venir ici demain, je me décide à partir pour Paris ; que je puisse te voir ne fût-ce qu’un instant […] Si ta mère est très bien et que tu puisses partir avec moi, tu sais si j’en serai heureuse. Tu dînerais avec moi à Versailles et nous reviendrions ensemble après le spectacle […] surtout que jamais, jamais je ne te coûte un remords [voir notule infra]. Mais que je te vois demain le temps de te donner un bon, un long baiser […] Cher enfant viens que je te baise demain, que je te baise ou ton front, ou ta bouche, un baiser de sœur ou de maîtresse selon le temps, le lieu, la disposition où sera ton âme, cher Alfred. J’espère qu’elle sera calme, que tu ne craindras plus rien pour ta pauvre chère maman. […]
Ce que tu me dis, je te le dis, ta vie m’appartient. Tu le crois bien, n’est-ce pas mon ange ?
J’ai bien répété ce matin.

Tu as donc porté mon peignoir TOI-MÊME à la voiture. Oh que tu es donc gentil. Que je t’aurais donc baisé quand tu es entré dans ce bureau avec ton petit paquet à la main, TOI Monsieur Alfred de Vigny ! Cher Alfred ! C’est que c’est mon Alfred à moi. »

Vigny regretta plus tard amèrement d’avoir préféré aller retrouver son amante à Versailles plutôt que de rester au chevet de sa mère, qui fit fût victime entre temps d’une autre attaque. L’actrice le paiera cher.

***

Lettre autographe, [Rouen] « 21 août » [1833], 6 p. in-8° :

DES NOUVELLES DE SA TOURNÉE ROUENNAISE ET LE DÉSIR BRÛLANT DE RETROUVER SON AMANT

« ÉCRIS-MOI BIEN QUE TU M’AIMES, QUE TU ME BAISES »

« 11 h 1/2 du soir
Me voilà, me voilà, mon Alfred bien-aimé, mon cher ange, je viens à toi […] Tu sais quand je t’ai quitté – je suis rentrée chez moi il n’y avait personne. Je ne pouvais plus me soutenir, je me suis mise sur mon lit trois heures […] À dix h. du soir j’ai été répéter Antony… enfin, enfin à minuit, j’ai pu me mettre dans mon lit […] Veux-tu le savoir à présent que je t’ai dit que je t’aime et que tu sais que je me porte bien heureusement pour toi et pour moi, veux-tu savoir si ta chère Marie a été bien applaudie ? Et bien cher ange dis-leur à tout Paris, que jamais il n’y a eu d’exemple à Rouen d’un succès pareil à celui que j’ai eu ce soir ; ni Mlle Mars, ni Talma n’ont été redemandées après une première rep[résentation]. On n’avait jamais vu cela à Rouen […] Cela te fait-il plaisir ? Oh mon Alfred, tout cela aurait été à ton cœur n’est-ce pas, j’en ai joui pour toi. Je suis heureuse de te dire cela, je n’en ai été heureuse que parce que je savais que je te le dirais. J’espère que tu m’aimes tant ! J’ai été triste tout le long de la route, cela m’a fait de la peine de te quitter comme cela dans la rue, j’ai bien vu pendant tout le voyage à Versailles que tu étais bien préoccupé de ta mère, tu m’as fait un grand sacrifice de venir là mon enfant […] Je suis bien ici… le théâtre est charmant, bien éclairé. La troupe est très bonne, toutes les femmes sont jeunes et jolies, mises comme à Paris, et même mieux. Je rejoue Antony après-demain avec la Fausse Agnès […]
Ton nom a été prononcé ce soir dix fois sur le théâtre par tous ces braves jeunes gens qui ont applaudi ta chère Marie. J’ai été un peu heureuse ce soir […] Si tu avais du chagrin je me repentirais bien de te parler de tout cela, car tout cela ce n’est rien sans mon amour, sans le désir d’être quelque chose à tes yeux, qu’est-ce que tout cela me ferait ? C’est toi qui fait du bonheur de tout. Mon ange je couche dans la chambre et le lit de Paganini. Je fermerai cette lettre demain dès que j’aurai reçu ta chère tienne. Je vais dormir […] Écris-moi bien que tu m’aimes, que tu me baises, que tu m’aimais bien à Versailles, que tu seras fidèle, que tu n’iras pas au spectacle.
Jeudi matin

Point de lettre de toi cela me donne une grande inquiétude – penser qu’il faut attendre demain ! Aurais-tu trouvé ta mère plus malade, – je tremble de cela ! Adieu donc à demain, je n’ai plus le courage de te rien dire quand je n’ai point de lettre. »

***

Lettre autographe, [Rouen] « samedi soir 9 h. » [24 août 1833], 2 p. 1/2 in-8° :
Bris de cachet avec petite déchirure sans importance
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny / rue Montaigne n° 18 / Paris »

« JE T’EN SUPPLIE MON ALFRED ÉCRIS-MOI TOUJOURS, FAIS QUE JE NE SOIS PAS JALOUSE ! »

« J’ai été désolée toute la journée, jalouse. Je t’ai écrit une lettre [non retrouvée] que je fais partir avec celle-ci, car quand elle a été écrite ce matin je n’ai pas osé te l’envoyer. La voici pourtant elle te montrera quelle était mon agitation. Mais bientôt l’inquiétude a remplacé la colère, et je tremble qu’il ne te soit arrivé quelque malheur. Ah si tu m’aimes ! que jamais un jour, un jour ! ne se passe sans m’envoyer une lettre cela me tue et me jette dans des états violents que je ne puis réprimer. À la moindre crainte sur toi ou sur ton amour je perds la tête. Je t’en supplie mon Alfred écris-moi toujours, fais que je ne sois pas jalouse ! Je suis calme ce soir à l’instant où je t’écris et peut-être qu’une idée va me torturer toute la nuit. Ces palpitations que tu sais augmentent tous les jours, le cœur me bat d’une force incroyable, ce matin quand Joséphine est venue me dire que je n’avais point de lettre cet horrible battement m’a pris et m’a duré cinq minutes, c’est ainsi que je t’ai écrit cette lettre. […] Que je voudrais être à demain. Je suis obligée de fermer cette lettre si je veux qu’elle parte ce soir.
je t’adore. »

***

Lettre autographe, [Rouen] « 5 h dimanche » [25 août 1833], 3 p. in-8° :

« LE CŒUR ME BAT SI FORT QUE LA MAIN M’EN TREMBLE »

« Je perds la tête vois-tu quand je n’ai pas de lettre. Pardonne-moi pour cette fois et pour toutes les autres où je douterai de toi, tu es de même, tu es demeuré mon ange. Que tes deux lettres ce matin m’ont donc rendue heureuse ! Tout va bien quand je suis tranquille mon amour, autrement rien n’est plus pour moi, il n’y a que toi, tout n’est bien qu’à cause de toi. Je ne suis heureuse de ce qui m’arrive qu’à cause de toi. Les applaudisseurs de ce pays-ci ne sont quelque chose pour moi que parce que tu le sais et que tu en es heureux. Le cœur me bat si fort que la main m’en tremble.
Qu’est-ce donc que ce sang qui me vient là au cœur ? C’est qu’il voudrait aller à toi n’est-ce pas mon amour ? Mon cher bonheur. Je t’écris un mot seulement, il est cinq h. Je joue ce soir Les Enfants d’Édouard et la Femme colère […]
Mille baisers sur ta bouche chérie, ta bouche à moi que j’adore comme tu sais.
Qu’elle ne se pose sur rien au monde ! Je ne lui permets que le front de ta mère.
Cher Alfred à demain. »

***

Lettre autographe, [Rouen] « Mardi » [27 août 1833], « au moment d’aller jouer » 4 pp. in-8° :
[Enveloppe autographe :] Monsieur / Monsieur Alfred de V. / Rue Montaigne, n°18 / Paris
[Cachets postaux :] Rouen – 27 août 1833 [départ] / 28 août 1833 [arrivée]

JALOUSIE ET DOUTES DE L’ACTRICE, NE SUPPORTANT PAS LES AMOURS DE JADIS DE SON AMANT

« ICI L’AIR ME REND JALOUSE. TU AS AIMÉ ICI UNE AUTRE QUE MOI, CETTE IDÉE M’EST ODIEUSE ! »

« Mon ange te voilà donc encore bien malheureux ! Mon Dieu que je te plains, et comment veux-tu que te sachant si occupé de ta mère j’aille te parler de théâtre. D’ailleurs tu sauras tout quand je t’aurai dit que c’est ici une adoration pour moi […] Seulement ils ne veulent pas que je les fasse rire après, je suis obligée de commencer par la pièce gaie. Ils veulent rester dans l’émotion du drame […] Ils disent que Talma ne serait pas venue leur jouer une farce après les avoir fait frémir, que Lamartine et de Vigny ne font pas de chansons, etc… Je te réponds que j’ai fait ici une belle révolution et qu’ils vont devenir des romantiques enragés. Tout le monde me fait amitiés ici, toutes les dames sont très bien et très jolies, je dîne quelques fois chez elles ou elles viennent chez moi. Mme Thénard des Français est ici, c’est la maîtresse de mon Antony [le comédien Alexandre], je la vois souvent. […] Ici je n’ai pas mon laisser-aller de Paris. On n’ose pas. J’ai vu tout ce qu’il y a à voir dans la ville, ces vieilles maisons et ces églises. Mais ici l’air me rend jalouse. Tu as aimé ici une autre que moi, cette idée m’est odieuse ! [Vigny avait été, on le sait, en garnison à Rouen d’avril à septembre 1821] et je prends cette ville en horreur ! Je ne suis pas riche de tes lettres ici non plus, mais enfin puisque tu ne le veux pas ! […]
J’ai reçu une lettre de mon mari qui me menace de venir à Rouen – il n’est pas encore parti. Le cœur me bat toujours et surtout à 5 h. du soir et jusqu’au moment où je me couche. Le lit me calme. Je suis horriblement fatiguée, et toujours à la répétition depuis dix h. du matin. Tu ne me dis pas de revenir – ne veux-tu plus de moi, ne penses-tu plus au moment de me revoir ? Faut-il continuer ma route sans revenir ? dis, dis. »

***

Lettre autographe, [Rouen] « 28 août [1833] 5 h. du soir », « pour lui » 3 pp. in-24° :
Petit manque angulaire sans importance sur le second feuillet

« Mon pauvre ami ! Je n’ose pas me jeter au travers de tes chagrins, je n’ose pas t’écrire, que puis-je te dire puisque tu es si occupé de ta mère, tu ne me feras jamais te parler de théâtre dans ces moments-là […] Je n’ai plus de palpitations. Ne crains donc rien pour moi. Je suis brillante ici moi indigne que je suis, pendant que tu es malheureux… pardonne moi… ce n’est pas ma faute, c’est la tienne… Ah ! si tu pouvais me dire VIENS. »

***

Lettre autographe signée « M », [Rouen 28 août 1833 »,  4 p. in-8° :

DOUTES ET PEUR DE PERDRE SON « CHER ANGE »

« JE ME TROUVE INDIGNE DE TOI »

« Oh pardonne-moi cher ange ! Si je t’ai fâché pardonne moi. Mais je n’osais pas t’écrire. Je t’ai cru si occupé de ta mère, je l’ai crue si mourante, tes lettres (que je ne reçois pas tous les jours), et si courtes… si préoccupées… j’allais prendre le parti d’écrire à Soulié , pour t’éviter même la peine d’aller chercher mes lettres. Et comment avec cette idée pouvais-tu croire que j’allais causer théâtre avec toi […] Que je suis jalouse oh ! mais d’une jalousie qui ne doit pas t’offenser. Je n’ose plus parler de moi, je me trouve indigne de toi, inutile ; je me décourage, je ne puis t’écrire… Je sens que tu n’es plus à moi. Pardonne-moi de tout cela. Comme ta lettre a un air sévère ! Tu dis mon ange une fois seulement […] On vient de m’arracher de mon lit à dix h. du matin et je sors du théâtre à trois h. ne pouvant plus me soutenir […] Mon mari me dit qu’il va passer un jour à Rouen [Merle arrivera à Rouen le 30 août]. On me tourmente ici pour rester […] De tout cela c’est à toi que je viens. Je serai à Paris jeudi 5 au soir à 7 h. Je serai forcée de partir le lendemain […] Baise-moi, baise ta chère Marie qui t’aime, qui te le dira bien avec son âme jeudi. Ah ! sois tout à moi toute cette soirée.
M.
Soulié a dû aujourd’hui te porter une petite lettre de moi [voir la lettre précédente]. Dis lui de te montrer celle que je lui écris. »

***

Lettre autographe, « [Rouen] vendredi 30 [août 1833] 1833 »,  1 p. petit in-8° :
[Enveloppe autographe :] Monsieur / Monsieur Alfred de V. / Rue Montaigne, n°18 / Paris
[Cachets postaux :] Rouen – 30 août 1833 [départ] / 31 août 1833 [arrivée]

NOUVELLES REMONTRANCES DE L’ACTRICE SENTANT LES SENTIMENTS DE VIGNY POUR ELLE SE DISSIPER

« Tu vois mon cher enfant tu ne m’écris pas tous les jours – et pourtant ta mère est mieux – et ta dernière lettre était sévère. Tu vois que tu me fais de la peine. Je serai triste et malheureuse tout le jour ! Tu ne m’aimes plus tant. »

***

Lettre autographe, s.l.n.d [1833 ?],  2 p. in-8° :

LETTRE INÉDITE À LA CORRESPONDANCE

« J’ai passé toute la nuit avec de grands yeux ouverts et fatigués d’avoir pleuré. Je ne vous envoie tout ce griffonnage que pour vous prouver que je dis vrai quand je dis que je souffre. Je ne sais plus ce que je vous ai écrit, mais je désavoue tout ce qu’il peut y avoir d’emportement ou de menace dans toute cette écriture. Il m’est arrivé bien souvent de vous écrire ainsi et de déchirer après – vous verrez si j’avais raison. C’est qu’aussi le plus souvent rien ne se trouvait sous ma colère. – Aujourd’hui ce n’est pas de même. Je trouve toujours dans le fond de mon cœur le chagrin que vous m’avez donné hier soir. Vous m’avez offensée. Ma raison me confirme ce que l’instinct m’avait fait pressentir. Croyez-vous pouvoir me détromper ? Le croyez-vous ? Faites-le donc. Ce soir écrivez-moi mais je ne veux pas vous voir, je suis décidée à ne jamais vous voir quand j’aurai du chagrin, vous ne me dites plus ce qu’il faudrait me dire et votre impassibilité me donne les fureurs que vous savez et qui me font bien mal, vraiment, les mots qu’on dit pour se justifier ne persuadent pas tant que la tendresse qu’on a dans les yeux, dans la voix – je ne veux pas vous voir. »

PICASSO, Pablo (1881-1973)

Lettre autographe signée « Votre Picasso » à Max Pellequer
[Château de] Vauvenargues, « le 27.[0]4.[19]59, 1 p. in-4°
Parfait état de conservation

Picasso a recours à son ami et collectionneur Max Pellequer pour ses affaires de sécurité sociale et allocations familiales


« Mon cher Max, voici le chèque pour Union de recouvrement de sécurité sociale et allocations familiales.
J’ai envoyé à Sabartès le chèque de K. Quand j’aurais reçu de Sabartès la réponse de l’avoir remis à la Banque je vous enverrai le chèque pour les contributions.
Je vais vous écrire tout à l’heure ou demain plus longuement. Votre Picasso. »


Banquier et amateur d’art avisé, Max Pellequer rassemble dès les années 20 une considérable collection d’œuvres modernistes. Il épouse en 1920 Francine Level, nièce du marchand et homme d’affaires André Level. C’est par l’intermédiaire de celui-ci qu’il fait la connaissance de Picasso, en 1914. Cette rencontre marque dès lors la genèse d’une indéfectible amitié entre les deux hommes. Pellequer devient l’un des plus proches intimes de l’artiste, mais aussi son banquier et conseiller financier. Durant plus de 30 ans, il acquière auprès de Picasso une incroyable collection de peintures et sculptures. La relation épistolaire qu’il entretinrent nous permet de prendre la mesure des liens qui les unissaient.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF » à Jean-Gabriel Daragnès
S.l [Copenhague], « le Dimanche » [25 juin 1950], 4 p. in-folio
Traces de pliures d’époque, infimes taches rouges au coin supérieur droit de chaque feuillet

Céline donne des nouvelles de Lucette après une complication post-opératoire puis termine sa lettre en livrant des recommandations médicales pour la femme de son ami


« Mon cher Vieux,
Nous rentrons à Korsør mardi tantôt1 – Lucette sort de l’hôpital pas encore complètement guérie – mais je la soignerai là-bas. Écris-moi là-bas si tu veux bien. Son moral est excellent, souriant et infiniment courageux comme d’habitude. Je dois me garder contre son héroïsme naturel, m’en défier ! Enfin ça ira je pense bientôt. Elle est enchantée de ton peignoir. Il le fallait pour égayer le placard de Mik[kelsen] en attendant le taxi qui doit nous transporter à Korsør (150 couronnes de ma poche !) Heureusement que par toi Monnier et le Pasteur [François Löchen] nous avons un peu d’argent de poche. Ces 6 semaines ont été catastrophiques pour notre économie si précaire ! Enfin ça ira. On [a] été extrêmement gentil avec nous à l’hôpital tous infirmières – médecins – chambre à part, etc. Vraiment adorablement traités. La complication post-opératoire a été malheureuse c’est tout – méthode nouvelle – justifiée – mais qui n’a pas bien tourné avec Lucette. Le temps ! brusquement étouffant, dans ce pays toujours si froid. Et puis Lucette trop courageuse dont les mouvements ont été trop amples. Ils ont ici l’habitude des malades ratatinés, chichiteuses, engourdies. Bref sale fiasco, complications septiques considérées honteuses il y a 30 ans.
Enfin je crois qu’on va reprendre un bail avec la vie. Je vais foncer au manuscrit [Céline était alors en pleine écriture de Féerie pour une autre fois II] Comment va ta femme ? Son foie est sûrement en cause2 – Mais rien n’est plus complexe que les syndromes hépatiques et surtout les traitements de ces affections. D’abord l’abstinence de tout totale pour gommer effacer l’ardoise – y voir clair. Tuas raison.
Bien affectueusement à vous deux.
LF »


1- Le retour à Korsør a bien lieu le mardi 27 juin, date confirmée par sa lettre à Marie Canavaggia du 1er juillet. Le dimanche qui précède, comme indiqué en-tête de la lettre, ne peut donc être que le 25 juin.

2- Dans une autre lettre inédite de la même période, Céline donne des conseils d’hygiène alimentaire à Daragnès, qui sont donc également destinées à sa femme. C’est toutefois Jean-Gabriel Daragnès qui, un mois plus tard, le 25 juillet 1950, succombera à la suite d’une opération chirurgicale.

Ami et soutien indefectible de Céline pendant les années noires, le graveur et imprimeur Jean-Gabriel Daragnès (1886-1950) se fixa à Montmartre au milieu des années 1920, avenue Junot. Il connut Céline par l’intermédiaire de Gen-Paul et de Marcel Aymé, mais ne se lia avec lui que tardivement, quand l’auteur de Voyage au bout de la nuit prodigua comme médecin des soins à sa mère, gravement malade. Daragnès fut un des premiers à qui Céline écrivit après son incarcération au Danemark. Il devint ainsi son homme de confiance en France, son informateur à Montmartre, son intermédiaire avec les éditeurs, et accepta même en 1949 d’agir personnellement auprès de la Cour de justice en sa faveur. Daragnès vint deux fois au Danemark, en 1948, comme commissaire de l’exposition du Livre français à Copenhague, et ne manqua pas de rendre alors visite à l’exilé. Quand il mourut brusquement en 1950 à la suite d’une opération, Céline perdit avec lui un des ses plus solides appuis. Dans une version intermédiaire de son roman Féerie pour une autre fois, écrit au Danemark, il le présente comme « le plus grand graveur de France ».

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Deux lettres autographes signées « Jean Cocteau » à Henri Duvernois
S.l.n.d, c. 1912, 2 p. in-4°
Traces de pliures d’époque, infimes déchirures en marge inférieure de l’une des deux lettres

Deux rares lettres de jeunesse de Cocteau à son ami Duvernois et évoquant La Danse de Sophocle, son troisième recueil poétique, qu’il finira par renier


« Cher Duvernois,
Je termine “La bonne infortune” et j’arrive comme les carabiniers car je ne lis guère le journal. C’est si beau que je sentais le merveilleux malaise des larmes aux pages les moins pathétiques ! Chaque phrase émeut de déconcerte à force d’être simple et neuve ! On se retrouve sans cesse et c’est le comble de l’art !
J’ai lu de la première ligne à la dernière sans regarder autour de moi. J’étais partout où votre fantaisie m’emportait.
Je suis fier de vous serrer les mains.
Jean Cocteau »

« Cher Duvernois
On me remet à la seconde Fifinoiseau – J’emporte chez Simone [Benda] où je passe quelques jours […] Je vous écrirai tout de suite après la lecture.
Mettez-moi au pieds de Madame Duvernois.
De tout cœur
Jean Cocteau
P.S. Pas un article sur la “Danse” [de Sophocle]. C’est tout de même drôle !


Issu d’une riche famille parisienne ayant soutenu sa carrière artistique, Cocteau publie son premier recueil de poèmes à compte d’auteur en 1909, La Lampe d’Aladin, inspiré des Mille et Une Nuits. Il se fait alors connaître dans les cercles artistiques bohème, comme Le Prince Frivole. C’est d’ailleurs le titre de son second recueil de poèmes, paru en 1910. Son troisième recueil poétique, La Danse de Sophocle, parait en 1912. Il reniera plus tard ces trois travaux de jeunesse.
Plus tard, sa rencontre avec Serge Diaghilev, qu’il veut étonner, marque la première crise dans son œuvre : il renie ses recueils de poèmes et se rapproche de l’avant-garde cubiste et futuriste.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Dessin original, dédicacé à Reynaldo Hahn : « R.H. (Bininuls) »
S.l.n.d [c. 1909 ?], 1 p. in-8° oblongue à l’encre noire sur papier vergé
Pliure centrale d’époque due à la mise sous pli, annotations au crayon d’une autre main au verso

Rare dessin original de Proust, représentant quatre voiliers chahutés par les vagues


Intitulé « Le Départ (gros temps) », ce précieux dessin représente quatre petits voiliers naviguant sur de hautes vagues, presque verticales, avec chacun à leur bord deux passagers tentant de maintenir avec difficulté les focs et grand-voiles. On peut observer la minutie avec laquelle Proust s’est appliqué dans les détails, jusqu’aux plus infimes, rendant ce dessin assez abouti.

Proust pastiche Turner
Admiratif des œuvres de William Turner reproduites dans The Harbours of England de John Ruskin, Proust laisse peu de doutes quant à son inspiration, tant les analogies sont frappantes entre son dessin et les reproductions figurant dans ledit ouvrage. Ce n’est d’ailleurs pas seulement dans les livres de Ruskin que Proust a pu voir les œuvres de Turner. Kazuyoshi Yoshikawa explique que dans un passage de La Prisonnière, le narrateur, attendant le retour d’Albertine, feuillette « un album d’Elstir, un livre de Bergotte » (RTP, III, p. 55). Dans une paperolle préparatoire se référant au même passage, Proust écrit : « Je prenais simplement un livre de Bergotte » (cahier 53, f° 20v°), et avait ajouté ensuite en interligne « feuilletais un album de Turner », avant de remplacer le nom de ce dernier par celui d’Elstir. Derrière le peintre de La Recherche apparaît ainsi William Turner en figure spectrale, aux côtés de Paul-César Helleu, Claude Monet ou encore Whistler.

Si la datation des dessins de Proust est presque toujours incertaine, celui-ci est à rapprocher de la lettre-dessin n°02041 (BIP n°52, François Proulx et Caroline Szylowicz), où figure la légende “vue de Lincoln (bensonge)”, datée par Philip Kolb du [vendredi 26 novembre 1909]. Ce dessin est aujourd’hui dans les archives du Harry Ransom Center au Texas. On peut citer une autre lettre-dessin inédite signalée dans Turner dans le port de Carquethuit, de Kazuyoshi Yoshikawa, où on trouve la légende “Entrée du Port de Dulwich par Turner (insvations et bensonge)”. Ces trois dessins pourraient former une série, que Proust aurait envoyée à Reynaldo Hahn vers la même date, soit le 26 novembre 1909.

Proust évoque dans d’autres lettres des “séries” de dessins qu’il élabore pour Hahn, par exemple dans sa lettre du [21 ou 22 mai 1906] où il écrit : “Je vous ai fait trente si jolis dessins que je suis on ne peut plus fasché de les avoir perdus […] car ils constituaient une critique hardie des différentes écoles de peinture” (Corr., t. VI, p. 87).

« (Ci-joint letterch de Picquart) »
Dans l’idiome d’inspiration médiévale qu’il n’utilise qu’avec Hahn, Proust ajoute cette énigmatique légende : « Ci-joint letterch de Picquart ». Ceci indiquerait-t-il que Proust aurait écrit une lettre-pastiche dans le style des lettres de Picquart ? Une autre conjecture plausible serait la copie d’une lettre du colonel Picquart publiée dans le journal Le Siècle du 9 juillet 1898 et envoyée en coupure par Proust à Hahn (cf. Jean Denis Bredin, L’Affaire, Julliard, 1983, p. 294). À moins qu’il ne s’agisse d’une lettre au sujet du sursis des treize jours de service militaire que Proust essayait d’obtenir pour son valet de chambre en demandant la médiation de Hahn auprès de Picquart, devenu ministre de la Guerre (Corr., t. VIII, p. 187-188).

APOLLINAIRE, Jacqueline, née Kolb (1891-1967)

Deux carte-lettres autographes signées « Jacqueline » à Angelika Kostrowicka
[Paris, 4 et 6 janvier 1918], 2 p. in-8°
Déchirure à l’ouverture de la seconde lettre (signature manquante, ne reste que la lettre « J » de Jacqueline)
Petites décharges d’encres, quelques ratures de la main de Jacqueline Apollinaire

Adresse autographe au verso de chacune des deux cartes-lettres
« Madame Kostrowitzky
10 Villa Lambert
Chatou S[eine] et O[ise] »

Cachets postaux :
Bd Saint-Germain 195 Paris 120  4 janvier [19]18 7h30 et 6 janvier [19]18 18 h

DE L’ANCIENNE COLLECTION JACQUES GUÉRIN

Précieux ensemble inédit témoignant des fortes tensions entre Jacqueline Apollinaire et sa future belle-mère au moment de l’hospitalisation du poète, au début de l’année 1918


Nous avons laissé le texte de Jacqueline Apollinaire en l’état

Première lettre : le 4 janvier 1918

« Chère Madame,
Guillaume me prie de vous dire de l’excuser de n’être pas allé vous souhaiter la bonne année. l s’est couché le 30 après déjeuner, il ne s’est levé que ce matin pour aller a l’hôpital, comme il est militaire, il ne peut pas etre soigner a la maison, Le major de la place la envoyé à l’hopital où il a été trépané [Villa Molière, hôpital militaire complémentaire du Val de Grâce à Paris]. Il a une bronchite, j’espère que ce ne sera pas grave. Je l’ai eu ces trois derniers jours avec 39 de fièvre. Demain j’apporterai j’irai le voir, il a essayé de vous écrire cet après-midi mais le transport l’a tellement fatigué je suis sûre qu’il ne manquera pas de le faire demain. Je vous embrasse Jacqueline »
[Elle rajoute en marge] « Voici son adresse si vous voulez devancer sa lettre. Sous le nom d’Apollinaire. »

Seconde lettre : le 6 janvier 1918

« Chère Madame,
Malgré votre injustice a mon égard, je vous rappelle si je ne vous l’ai pas dit hier que vous pouvez voir votre fils a l’hopital de 2 à 4 H mais que pendant cette periode de fievre la visite ne pourra durer plus de cinq minutes nos deux visites sont d’ailleurs les seules autorisées.
Respectueusement. J[acqueline] »
[ajout en haut de la lettre] « Je mets ce mot pour que vous ne m’accusiez pas de vouloir éloigner Guillaume de vous. »


Gazé pendant la guerre, Apollinaire souffrait d’importants problèmes respiratoires, en plus de l’éclat d’obus qu’il avait reçu à la tempe et qui lui avait valu une trépanation, le 9 mai 1916, à la Villa Molière. Sa compagne Jacqueline, infirmière aux origines modestes, mesurait alors sans doute mieux que personne à quel point sa santé était fragilisée, sans toutefois prendre l’entière mesure du mal, puisqu’elle évoque une bronchite alors qu’il s’agissait d’une congestion pulmonaire, autrement grave. Il fut hospitalisé à l’endroit même où il avait été trépané un an et demi plus tôt, à l’hôpital militaire complémentaire du Val de Grâce.
Jacqueline informe ici sa future belle-mère de l’hospitalisation de son fils. De nature irascible et ne supportant pas que son fils vive maritalement avec Jacqueline Kolb (ils ne se marieront que le 2 mai 1918), elle n’a sans doute pas apprécié que Jacqueline ait mis tant de temps à la prévenir de l’hospitalisation de son fils. La réponse de Jacqueline dans la seconde lettre vient confirmer cette hypothèse. Il est d’ailleurs intéressant d’observer la différence de décachetage entre les deux lettres. C’est manifestement ulcérée que Madame de Kostrowitsky ouvrit la seconde, arrachant comme par une étrange coïncidence la signature de Jacqueline. La tension entre les deux femmes était telle que la mère du poète après sa mort fit mettre les scellés sur son appartement. Il était aussi celui de Jacqueline qui s’empressa de les faire retirer.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » à Maurice Noël
S.l.n.d « Mercredi » [6 mai 1942 ?], 2 p. in-8°, en-tête du Château de Montrozier (Aveyron)
Ancienne trace de trombone en marge

Intéressant ensemble comprenant cette lettre de Paul Valéry à son confrère Maurice Noël, où il est notamment question d’André Gide et de la publication de « Choses humaines » dans Le Figaro


« Mon cher confrère,
Je trouve ici votre lettre du 1er mai. Je ne sais plus rien de Paris, ni de la revue. J’ai causé avec Gide (à Marseille) qui me donne pleins pouvoirs, avant de s’embarquer pour Tunis. Je lui ai dit que je persiste dans mon attitude, la seule raisonnable, efficace et nette.
Je ne crois pas que vous deviez publier la note que vous m’avez communiquée, si elle n’émane pas de la maison même.  À mon avis, il ne faut rien dire de cette affaire jusqu’à ce que la Revue elle-même parle. Ou que le sommaire du prochain numéro marque quelque changement notable dans l’allure. Je désire que ce que je vous ai dit, à Brisson et à vous, demeure entre nous, et vous serai reconnaissant, si quelque renseignement vous parvenait de Paris qui eût de l’importance à ce point de vue, de me le donner le plus tôt possible. Je resterai ici jusqu’au 20 environ.
Disposez à votre idée des « choses humaines ». Si l’on compose ce texte dès à présent, peut-être une épreuve me parviendrait-elle ?
Je vous prie de remercier Chauvet de sa lettre et de son article, et je n’oublie pas son obligeance à Lyon.

Faites toutes mes amitiés à Brisson que j’ai été si content de revoir et croyez-moi, mon cher Maurice Noël, votre bien cordialement dévoué
Paul Valéry »


Paul Valéry séjourne alors dans le château de Montrozier sur l’invitation de ses amis Robert et Yvonne de Billy. Il est question ici d’articles rédigés par Paul Valéry, qui paraissent dans les jours suivants.
Le quotidien ouvre ses colonnes au poète et écrivain dés le début des années 30. Paul Valéry, membre de l’Académie française depuis 1925, a tout loisir d’aborder les thèmes qui lui sont chers, dans le style précis et imagé qui est le sien.

On joint :

Un tirage d’époque (11,5 x 7,3 cm) figurant Paul Valéry, André Gide et Jean Ballard en gare de Marseille
Ancienne trace de trombone en marge supérieure, annotation au verso, trace de pliure

Une lettre autographe signée de sa femme Jeannie Valéry (née Gobillard, 1877-1970)
S.l, « 9 février » [après 1950], 3 p. in-8° sur bifeuillet
Ancienne trace de trombone sur la quatrième page
Au sujet de la publication posthume des œuvres et lettres de Paul Valéry
« Après avoir rendu au Littéraire la lettre de mon mari à [Paul] Claudel pour éviter de peiner les amis Directeur et Rédacteur […] cette manière que vous avez de vous exprimer au sujet de la personne de mon mari me la rend charmante, car elle touche à ma corde la plus sensible […] Monsieur Pierre Brisson a su me montrer par ses prévenances en bien des occasions, la fidélité de son souvenir et la vivacité de son admiration à l’égard de mon mari […] J P Valéry »

Une lettre autographe signée de Jeanne Loviton (1903-1996), dite Jean Voilier, romancière et maîtresse de Paul Valéry, à Maurice Noël
[Paris] 1er décembre 1950, 2 pp. in-4°
Au sujet de l’écriture de son œuvre et son chagrin après la mort de Paul Valéry et l’assassinat de Robert Denoël
«
Je vous en veux d’avoir pu croire que la plus indépendante et libre des femmes ait manqué au respect de la liberté chez autrui […] L’œuvre que j’ai publiée est belle, puissante, humaine, elle a du souffle. Elle dépasse les petites histoires, les petits romans dont nous sommes écœurés […] Maurice, la vie m’a été affreusement dure et cruelle ces dernières années [allusion à la mort de Paul Valéry et l’assassinat de l’éditeur Robert Denoël, son amant au moment de la tragédie dont elle est publiquement accusée d’en avoir été la commanditaire], vous le savez […] J’ai besoin d’une revanche, j’ai besoin d’un succès. Si vôtre candidat [allusion à sa demande de candidature au prix Renaudot] n’a pas de chances suffisantes, vous pouvez m’aider et continuer à mon plaisir. C’est tout. […] Si je suis naïve au point de vous faire cette confiance c’est seulement pour que vous l’oubliez quand vous aurez détruit cette lettre en n’en retenant que mon amitié qui exclut tout le reste, Jean Voilier »

Deux tirages d’époque (15×10 cm et 18×13 cm) figurant le cimetière de Sète où est enterré Paul Valéry. (quelques défauts, un coin corné, annotations d’époque au verso)

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Hortense Cornu
[Camden Place, Chislehurst] 13 janvier [1875], 8 pp. in-8°, liseré de deuil
Quelques infimes décharges d’encre, sinon parfait état de conservation

Quelques jours après le deuxième anniversaire de la mort de Napoléon III, l’Impératrice évoque avec douleur l’exhumation de la dépouille qui sera placée dans le sarcophage en granit rouge d’Aberdeen offert par la reine Victoria


« Ma chère Madame Cornu,
J’ai reçu votre lettre et je vois que votre pensée était près de nous le 9 janvier [date anniversaire de la mort de l’Empereur]. C’est le privilège de l’empereur d’émouvoir par sa pensée ; en effet partout cet anniversaire a repris un caractère d’actualité et chacun pensait qu’il devait plus qu’un souvenir à cette grande mémoire. Nous avons eu, ici, une cérémonie bien touchante, il a été porté dans le sarcophage que la Reine [Victoria] a fait faire pour lui ; j’ai assisté cachée à tous, et je puis vous assurer qu’en le voyant enlever il me semblait qu’on m’arrachait le cœur ; est-ce sa dernière demeure ? Je ne puis le croire, mais il me semble que je ne pourrai jamais rentrer sans lui ! Quand j’étais en France je me souviens d’avoir dit à l’Empereur, ‘je ne me sens étrangère que le jour des morts, tout ce que j’aime, grâce à Dieu vit, et ce jour où chacun va retrouver les morts je m’aperçois que je n’ai rien sous terre’. Aujourd’hui, au contraire, si je devais rentrer en France sans lui, je serais étrangère toujours !…  Quelle singulière destinée qui fait que les cœurs les plus français, les Napoléons, doivent tous jusqu’à présent être déposés dans un cercueil étranger, deux anglais ! et un autrichien !
Je ne puis hélas vous parler d’autre chose aujourd’hui. Mon fils [le Prince Impérial] continue à travailler. Dieu veuille qu’on lui laisse finir ses études, je ne crains rien tant que les agitations stériles ; tout semble préparer son avenir ! Mais quelle tâche difficile il a devant lui ! Quand le peuple comprendra-t-il la différence qu’il y a entre ceux qui l’aiment et ceux qui l’exploitent ! Mon pauvre et cher Empereur s’est usé à la peine, et jamais on ne devinera les secrètes douleurs de ce martyr de trois ans ! Seul, il proposait cette émanation divine, le pardon des injures, et Dieu seul sait à quelles dures épreuves il a été soumis. Ma santé est assez bonne mais je ne puis me décider à sortir, les journées passent assez vite. Mon fils vous envoie tous ses souvenirs d’amitié et croyez-bien à tous mes sentiments affectueux.
Eugénie
Avez-vous lu ma lettre à l’Évêque de Troyes ? »


L’amitié sincère qui lie la reine Victoria et le couple impérial naît en 1855 lors de l’alliance entre la Grande Bretagne et la France contre la Russie, pendant la guerre de Crimée. Cette amitié résiste au temps et aux vicissitudes de la politique étrangère française, qui conduisent la famille impériale à trouver l’exil en Angleterre après la chute du Second Empire, en septembre 1870. Dans un ultime hommage au défunt empereur, Victoria fait transférer sa dépouille dans un sarcophage en granit rouge d’Aberdeen, où il repose encore aujourd’hui. À la lecture de cette missive, Eugénie n’a semble-t-il pas pu retenir son émotion, « cachée [de] tous ».

Eugénie évoque en fin de lettre son fils le Prince Impérial qui, en janvier 1875, quitte l’École de Woolwich avec le grade d’officier de l’armée britannique. Trois ans plus tard, pour lutter contre la monotonie de l’exil et faire la preuve de ses talents militaires, il s’engage, en dépit de la résistance de sa mère, dans les rangs de l’armée anglaise. Il se rend en Afrique australe pour y réprimer une révolte des Zoulous, avant de succomber dans un guet-apens, sous leurs flèches, le 1er juin 1879.

Filleule de la reine Hortense et sœur de lait de Napoléon III, Hortense Cornu (1809-1875), destinatrice de cette lettre, est l’une des fortes personnalités de l’entourage impérial. Elle est la fille d’une fille de chambre d’Hortense de Beauharnais, mère du futur empereur. Élevée près de lui, elle garde longtemps une grande influence en l’encourageant vers la politique. Républicaine, elle prend toutefois ses distances de Louis-Napoléon après le Coup d’État de décembre 1851, et ouvre elle-même un salon aux ennemis de l’Empire. Elle se rapproche cependant de l’Empereur après la campagne d’Italie, et est à nouveau admise dans sa familiarité en 1862.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel » à Reynaldo Hahn
S.l.n.d « Lundi » [7 janvier 1907]1, 8 pp. in-8° sur deux bifeuillets, écrite recto-verso à l’encre noire, papier de deuil, filigrané « L. T. & C° »
Petites annotations au crayon en marge supérieure du premier feuillet, traces de pliures d’époque dues à la mise sous pli.
Légères décharges d’encre sur le premier bifeuillet témoignant d’un pliage de Proust alors que l’encre n’était pas encore sèche.

Longue et riche lettre à Reynaldo Hahn, son « Bunchnibuls », au sujet de ses rapports avec Robert de Montesquiou et du défunt amant de ce dernier, Gabriel de Yturri

Un remarquable témoignage de relations croisées, dont chacune des personnes ici évoquées inspira Proust pour des figures majeures de La Recherche


« Mon petit Reynaldo
Je suis triste de n’être pas en état de vous dire plutôt ce que je vous écris. Si vous écrivez à Montesquiou dites-lui que la vérité est hors de son dilemme, en pleine invraisemblance pour qui ne sait pas ma vie. La vérité c’est qu’arrivé à Versailles le 6 Août, je n’ai pas pendant ces cinq mois été une seule fois capable de sortir. Je n’ai pas été une seule fois au Château, pas une seule fois à Trianon (mais du reste vous savez bien tout cela), pas une seule fois au cimetière des Gonards. Si je n’avais eu qu’un seul jour de bon je serais allé plutôt qu’au Château et à Trianon, aux Gonards, surtout M. de Montesquiou n’étant pas à Versailles, ne pouvant pas y aller, j’aurais eu un sentiment très doux en me disant que je le remplaçais[,] que je venais de sa part auprès du pauvre Yturri comme lui si souvent vint de la part de M. de Montesquiou auprès de moi. Et puis je savais par vous, par d’autres, que c’était une tombe unique d’émotion et de beauté2. Et comme je ne pense plus guères qu’aux tombeaux j’aurais bien voulu voir ce que Montesquiou avait fait là et comment son goût avait réussi à donner plus de noblesse encore à sa douleur. Quand il sera revenu à Paris ou à Versailles, je me soignerai pour tâcher de le voir un soir, mais outre que c’est impossible pour tout le monde, avec lui la difficulté avec lui3 grandit encore, car c’est la personne du monde avec qui je me gêne le plus, dans le mauvais sens du mot. Et même s’il se prête pour une fois à mes heures, la possibilité d’une crise intempestive m’empêchera d’oser lui donner un rendez-vous que j’aimerais mieux mourir que rompre, tandis que d’autres comprendraient. Vous pouvez lui dire que j’ai eu une grande joie à recevoir les Hortensias bleus que je n’avais jamais tant aimés4. Les pièces du début m’ont paru plus exquises qu’autrefois. Quant à l’Ancilla dont je vous ai appliqué ce fragment dernièrement5, c’est une chose admirable, un magnifique pendant de La servante au grand cœur6. Il me semble (mais je n’en suis pas sûr) que la pièce à Yturri a été retouchée et peut’être pas améliorée. Elle reste peut’être ce qu’il a jamais écrit de mieux mais je ne me rappelle pas que la couronne fût verte la première fois et je ne sais pas si c’est mieux ainsi7. Inutile de lui dire cela, d’abord parce qu’il s’en ficherait complètement, ensuite parce que c’est un doute très vague, et que je ne suis pas du tout sûr d’avoir raison.
Avez-vous été interrogé par les Lettres au sujet de Shakespeare Tolstoï8. Je suis trop souffrant pour répondre, je ne peux pas vous dire ce que rien qu’une lettre comme celle-ci m’épuise. Plusieurs personnes (notamment Me G. de Caillavet) m’ont écrit que votre Noël était adorable9. J’aurais bien voulu l’entendre, Bunchnibuls, et suis triste de n’avoir pas pu. Dites à M. de Montesquiou que je n’ai même pas pu aller à l’enterrement de mon pauvre oncle10.
Tendrement à vous
Marcel.
Vous pouvez dire à M. de Montesquiou que je n’ai pas été une seule fois assez bien pour voir Miss Deacon qui habitait le même hôtel11.
Dites à Montesquiou que d’ailleurs cela n’intéressera pas que je commence à aimer beaucoup les objets12. »


1- Lettre datée seulement de Lundi ; doit dater soit du lundi 31 décembre 1906, soit du lundi 7 janvier 1907 : allusion aux nouvelles que Proust a eues d’une représentation du Noël du destinataire (voir infra note n°9)

2- Dans une lettre à Montesquiou du 18 novembre 1905, Proust s’excuse de n’avoir pu assister à l’inauguration du monument en l’honneur de Gabriel de Yturri : « J’aurais voulu que mes forces me permissent de m’unir à la petite troupe… ». Décédé le 11 décembre 1921, Robert de Montesquiou est inhumé dans le même caveau que son compagnon.

3- Par lapsus, Proust répète « avec lui »

4- Les Hortensias bleus. Édition définitive avec portrait de l’auteur d’après une peinture de Laszlo. [Paris] 1906. C’est le premier volume de l’œuvre définitive du poète, paru au mois de décembre 1906 chez Georges Richard, 7, rue Cadet. La première édition de l’ouvrage parait en 1896.

5- Dans une lettre du même, le 13 décembre 1906, Proust cite quelques vers de Montesquiou avec quelques variantes

6- Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Tableaux parisiens, t. 1, éd. Claude Pichois, Pléiade, p. 100 :
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. […]

7- Allusion au sonnet In Memoriam, que Montesquiou a placé après la préface du recueil en question, pièce intitulée A la mémoire de Gabriel de Yturri. Elle commence :
Mes sentiments pour Vous sont fiers d’être éternels ;
Ils ont assez duré pour avoir fait leur preuve
Sérieux, dans la joie, et, sereins, sous l’épreuve,
Et, sans jamais mentir aux pactes fraternels.
Chacun de nous eut droit à sa verte couronne:
La mienne, je l’espère, et l’attends, sans émoi;
La vôtre, si, d’avance, ici, je vous la donne,
Recevez-la sans trouble, en la tenant de moi.

8- La revue Les Lettres avait demandé à quelques écrivains et artistes français leur opinion sur ce jugement de Tolstoï, rapporté par Georges Bourdon dans son livre En écoutant Tolstoï (1904)

9- Allusion à la représentation donnée chez Mme Madeleine Lemaire le soir du réveillon. Il s’agit apparemment de la Pastorale de Noël, mystère en un acte d’Arnous Grevan, adapté par Leonel de La Tourasse et Taurines, avec accompagnement de Reynaldo Hahn au piano.

10- Il s’agit de Georges Denis Weil, frère de Jeanne Weil-Proust. Les obsèques eurent lieu le 27 août 1906. C’est Robert Proust, le frère de Marcel, qui s’y rendit pour conduire le deuil.

11- Gladys-Mary Deacon, fille d’Edward Parker Deacon et de Florence Baldwin

12- Jeu de mots, semble-t-il, faisant allusion à la fois aux bibelots et au poème de Montesquiou intitulé Objets. Cf. Les Hortensias bleus, LXXVI de l’édition de 1896 ; LXXII de l’édition définitive de 1906.


On connaît la lettre de Hahn adressée à Montesquiou (aujourd’hui dans le fonds Montesquiou à la BnF), envoyée le lendemain ou le surlendemain, dans laquelle il fait suivre la demande de Proust :
« Cher Monsieur / J’ai communiqué votre lettre à Marcel. Je vous envoie sa réponse [la présente lettre]. Je ne l’ai pas vu depuis plusieurs jours. Il est hélas, trop vrai, que pas une fois il n’est sorti, à Versailles […] »

C’est chez Madeleine Lemaire, le 13 avril 1893, que Marcel Proust fit la connaissance de Robert de Montesquiou. Ce dernier, dépeint sous les traits du baron de Charlus dans La Recherche, personnage au caractère irascible et à verve tranchante, fit une toute autre impression à Proust lors de cette première rencontre. Dandy au profil pur, au regard fascinateur… Proust tombe sous l’admiration de Montesquiou et un courant de sympathie s’installe entre eux. . À cette admiration succède une amitié qui durera jusqu’aux derniers jours du dandy-poète, en 1921.
On ne connaît à Montesquiou qu’une seule liaison : celle avec son secrétaire tant aimé et pleuré, Gabriel de Yturri, qui meurt du diabète le 6 juillet 1905. Ce dernier fut l’unique modèle de Proust pour le personnage de Jupien dans La Recherche.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « P. V » [à Maurice Noël]
S.l.n.d, « Samedi », 1 p. in-8° oblongue
Petites froissures et infime déchirure en marge droite, papier fragilisé sur un endroit, un repentir de sa main

Paul Valéry fait parvenir un article à son correspondant au Figaro


« Mon cher M[aurice].N[oël].
Voici le morceau dur.
Si [le] Figaro le trouve trop abstrait, renvoyez-le moi. En fait d’actualité, il n’a que celle de mon anniversaire n°73…
J’aimerais, si vous l’insérez, avoir une épreuve.
En tout cas, n’oubliez pas la note !
Le malheureux auteur du livre en serait désolé.
Je suis tout vôtre
P.V »


Le quotidien ouvre ses colonnes au poète et écrivain dés le début des années 30. Paul Valéry, qui fut membre de l’Académie française depuis 1925, a tout loisir d’aborder les thèmes qui lui sont chers, dans le style précis et imagé qui est le sien.

MAUPASSANT (de), Laure (1821-1903)

Carte autographe signée « Laure de Maupassant » [à Robert Pinchon, ami intime de son fils Guy de Maupassant]
[Nice, entre 1890 et 1891], 2 pp. in-24° sur une carte de visite à son nom, liseré de deuil, d’une écriture très remplie et serrée

Émouvante carte de visite de Laure de Maupassant, évoquant avec nostalgie un passé révolu et donnant des nouvelles de son fils Guy


Nous ne transcrivons ici que quelques fragments de ce témoignage inédit :

« Veuillez agréer, cher Monsieur, mes meilleurs remerciements et mes plus chaleureuses félicitations. J’ai lu votre beau drame avec un vif intérêt, et je vous sais aussi un gré infini de ne m’avoir point oubliée, et d’être venu me chercher au fond de ma solitude1[…]. C’était un heureux temps, que celui où l’on jouait la comédie dans la maison d’Étretat2 […] L’état de votre pauvre camarade s’était beaucoup amélioré ; mais les grandes chaleurs le fatiguent […] les docteurs ne peuvent encore se prononcer en aucune manière. Il faut attendre. Agréez, cher Monsieur, mes meilleures pensées.
Laure de Maupassant »


1 – Souvent trompée par les aventures adultérines de son mari Gustave de Maupassant, Laure (née Le Poittevin) avait demandé le divorce en 1860 et ne s’était pas remariée depuis.

2 – Suite à son divorce, Laure de Maupassant et ses deux enfants (Guy et son frère cadet Hervé) déménagent à Étretat pour habiter dans le Grand Val. Dès son premier succès littéraire avec La Maison Tellier, Guy y fait construire « La Guillette », une petite maison entourée d’un balcon au premier étage.

Cette carte de visite autographe est nécessairement écrite après 1889. Laure de Maupassant faisait usage du liseré de deuil après la mort d’Hervé, le 13 novembre 1889. Évoquant ici les  «grandes chaleurs », un conjecture plausible serait l’été 1890 ou 1891. C’est également à parti de l’année 1890 que Guy de Maupassant fait l’objet d’hallucinations accompagnées d’épisodes psychotiques devenant de plus en plus sévères. Il est finalement interné en janvier 1892 et meurt, comme son frère cadet, de la syphilis, le 6 juillet 1893.

MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « François Mauriac » à Jacques Boulanger de la revue L’Opinion
[Paris] 89 rue de la Pompe, 31 oct[obre] 1920, 1 p. in-12°
Adresse autographe au verso, timbre oblitéré
Légère décharge d’encre témoignant d’un pliage de Mauriac alors que l’encre n’était pas encore sèche

Mauriac remercie son correspondant de la critique élogieuse publiée dans L’Opinion pour son roman tout récemment paru : La Chair et le Sang


« Monsieur,
L’Argus devient aveugle : des amis me parlent aujourd’hui du compte-rendu que vous avez fait de mon roman [La Chair et le Sang] ; et je ne l’avais pas eu. Je ne veux pas attendre que mon libraire m’ait fait parvenir le numéro de L’Opinion, pour vous exprimer ma vive gratitude et ma sympathie.
François Mauriac »


Publié en octobre 1920 aux éditions Emile-Paul Frères, La Chair et le Sang est l’histoire est inspirée du suicide, en 1909, de Charles Demange, neveu de Maurice Barrès, l’un des maîtres littéraires de jeunesse de Mauriac. L’écrivain revient également sur ses propres questionnements personnels et tourments amoureux.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre (minute) autographe signée « Lamartine » à Charles-Augustin Sainte-Beuve
Mâcon, [château de] St Point, 23 nov[embre] 1836, 4 pp. in-4°
Plusieurs repentirs de la main de Lamartine faisant apparaître des variantes inédites avec la lettre publiée dans la correspondance

Longue et admirable lettre de Lamartine à Sainte-Beuve
Livrant quelques réflexions métaphysiques, il donne de ses nouvelles puis évoque ses conditions à une collaboration dans le cadre d’une presse politique avec son correspondant – Le poète dresse par ailleurs les portraits sans concession de Joseph de Maistre et Félicité de La Menais


« J’ai attendu, mon cher ami, pour vous répondre, la réponse de M. de Virieu1. Il vous l’envoie, m’écrit-il hier. Donc rien là-dessus. J’ai connu moi-même beaucoup le Prophète [Joseph] de Maistre2. Je vous ferai de vive voix son portrait physique et moral. C’était une grande et simple figure de la Bible égarée dans le 18eme siècle et ne comprenant rien du 19eme, que le mouvement et le style. Honnête âme, âme Sainte, mais esprit trop aiguisé par la scolastique italienne et catholique du moyen âge et cherchant la pensée dans le paradoxe.
Je le vénère comme homme, je m’en amuse comme philosophe mais je ne prends pas ses ultra-vérités au sérieux. Il n’y a pas une des conséquences de son système social qui ne mène droit à l’inquisition ou à l’avènement de la raison humaine. Jugez du principe.
Vous m’annoncez des vers nouveaux de vous3. C’était une bonne nouvelle, rien n’est venu que l’eau à la bouche. Des vers de vous, des vers intimes et disant au cœur tout haut ce que les ennuis et les tristesses nous disent si mystérieusement à la pensée, c’est une consolation4 toujours. Or nous avons bien le soin d’être consolés. Je suis bien profondément triste non des choses extérieures contre lesquelles il y aurait encore assez de réactions dans ma poitrine, mais d’un long combat qui se passe en moi et où il faut vaincre, pour Dieu, son amour propre, son orgueil, son respect de soi même, son respect humain. Pourquoi recevons-nous deux éducations ? Une des autres, qui le reçoit à priori, une de nous-même et des choses qui nous fait homme trop tard et qui nous fait éparpiller les forces d’une vie déjà trop courte, et d’une individualité déjà trop frêle pour le développement d’une même pensée ? Vous voyez que je veux parler de la question religieuse. Toutes les autres sont légères selon moi.
J’ai reçu l’abbé de la Mennais, mais non encore lu5. C’est un grand et saint athlète qui ne craint pas d’ôter son habit pour combattre et de se montrer nu au peuple.
Je vais le lire. Vous savez que nos deux pensées, l’une excessive, l’autre modérée, ne s’accordent pas, mais nos deux consciences s’estiment toujours.
Après cela parlerons-nous de presse politique ? C’est bien vil. Cependant j’en ferai si vous voulez, organisez cela, mais à condition que vous, Ballanche, Lamenais, Toqueville, Beaumont, Carné, Pagès etc etc. nous écrirons ensemble. Car la serait une force, en moi seul il n’y a rien qu’un instinct droit et rapide des choses.
J’ai passé une triste année ici. Mes affaires de fortunes sont malades, gênées, me préoccupent et inquiètent autour de moi, bien qu’il n’y ait pas ruine. Ma luxation au genou m’a privée d’exercice et de la santé. Le conseil général du département m’a privé de loisir pour la Pensée poétique. Il n’y a que six semaines que je dérobe à mes nuits quelques heures matinales pour nos douces et fortes rêveries de jeunesse. J’ai écrit quelques milliers de lignes comme disent les anglais. J’aurais besoin d’un coup de votre cloche mêlée d’argent et d’airain pour faire vibrer à l’unisson une âme composée en partie du même alliage que la vôtre6. Mais adieu. Voici quatre pages pleines de rien. Ceci vous dit combien je vous aime car je n’ai plus le courage à répondre même une page à personne.
Lamartine »


1- Cette lettre répond à celle de Sainte-Beuve du 16 octobre. Lamartine avait transmis la demande de Sainte-Beuve concernant Maistre à Virieu le 20 octobre.

2- Joseph de Maistre était l’oncle maternel de Xavier et de Louis de Vignet. Xavier, frère aîné de Louis, avait épousé en 1819 une sœur de Lamartine, Césarine. De plus, en 1815, Lamartine avait passé quelques jours chez Joseph de Maistre, à Bissy, près de Chambéry.

3- L’épître Pensée d’août, parue le 2 septembre, et Monsieur Jean, maître d’école, qui ne paraîtra que le 25 novembre, les deux dans Le Magasin pittoresque.

4- Le recueil de Sainte-Beuve, Consolations, avait été publié en mars 1830, trois mois avant les Harmonies de Lamartine.

5- Les Affaires de Rome venait de paraître le 5 novembre et Lamenais en avait envoyé un exemplaire à Lamartine.

6- Lamartine n’a jamais renié l’influence excercée sur lui par Sainte-Beuve en 1829 ; en témoignent les deux Épîtres en vers échangées alors par les deux poètes et recueillies respectivement dans les Consolations et les Harmonies.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre signée « Lamartine » à M. Meyer
Paris, 21 mai [1842], 1 p. petit in-8° sur bifeuillet, en-tête gaufré à son chiffre
Cachets postaux

Lamartine réclame à son correspondant une étude que celui-ci lui avait promis sur les Lettres persanes de Montesquieu


La lettre est rédigée par un secrétaire de Lamartine et signée par lui :

« Je m’empresse de répondre, monsieur, à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, en vous offrant mes félicitations sur votre nouvelle position.
Je n’ai pas reçu les commentaires sur les lettres persanes de Montesquieu dont vous avez la bonté de me parler.
Je n’aurais pas manqué sans cela de vous en adresser tous mes remerciements. Veuillez, Monsieur, les recevoir ici d’avance et agréer l’assurance de ma considération distinguée.
Lamartine »


Roman épistolaire paru en 1721 rassemblant la correspondance fictive échangée entre deux voyageurs persans, Montesquieu n’avoue pas qu’il en est l’auteur, par prudence. Selon lui, le recueil est anonyme, et il se présente comme simple éditeur, ce qui lui permet de critiquer la société française de l’époque sans risquer la censure.
Il n’existe pas, à notre connaissance, d’autres occurrences à cette célébrissime œuvre de Montesquieu dans la correspondance de Lamartine.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « EL VIEJO » à sa maîtresse Jeanne Schneider
Prison de Fresnes, « QHS » 3 mars 1977, 2 pp. in-4°

Mesrine ne décolère pas contre Robert Badinter suite à l’objection de ce dernier sur la parution de L’Instinct de mort – L’Ennemi public numéro 1 n’en est pas moins enthousiaste des premiers retours des journalistes et compte sur un vaste succès éditorial


« Bonsoir chaton. Ce matin à la radio RTL… très bon ce qui a été dit par un journaliste. Il est certain que ce sera un succès littéraire… il a même ajouté que déjà dans les salons on parlait de “L’Instinct de mort” […] J’ai fait une lettre à Badinter pour le remettre à sa place ! car j’accepte la critique… mais pas d’un type comme lui, qui en plus est payé pour défendre Michel (je crois) [Adrouin, jadis complice de Mesrine]. Samedi tu me diras les premières réactions. J’attends avec impatience les résultats sur le Canada […] Je voudrais que ça marche pour voir la gueule à [Henri] Lafont et ses regrets ! Lattès me plait, car c’est un “battant” qui fonce en édition… nous avons eu raison de le choisir […] Je m’attends à des critiques terribles et même des lettres d’insultes (si elles sont signées ! je les lis toujours). En as-tu donné à tes amies ? Tu me diras les réactions OK. […] Ce matin en me réveillant je trouvais que ma cellule avait une bonne odeur… c’est ton parfum ma puce ! Très agréable… C’est un peu toi que je respire ! oui.. avec de la patience ! et j’en ai pour ça et surtout une très grande confiance en l’avenir […] Il faudra secouer les avocats pour que ça bouge. Nous ne demandons rien d’exceptionnel. Nous désirons un représentant du ministère en audience et une amélioration de notre détention, car nous ne sommes pas là pour 2 mois ! avec nos sentences à vie ! Autrement tout est OK, je suis un peu fatigué ce soir et la tête vide… eh oui ! il n’y a pas que toi mon ange.
Je te vois samedi, tout sourire !
Ton vieux voyou pose sur tes lèvres de doux bécots d’amour. Bonne nuit mon ange.
Te quiero. El VIEJO »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Les deux amants entretiennent dès lors une correspondance amoureuse. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider fini par se ranger et rompre alors que lui est toujours en prison. Mesrine ne s’arrête pas, condamne avec acharnement ses conditions de détentions et s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « EL VIEJO » à sa maîtresse Jeanne Schneider
Prison de Fleury-Mérogis, 20 janvier 1977, 2 pp. in-4°

Agacé par une convocation avec un juge, Mesrine organise une séance au parloir avec sa maîtresse pour ne pas y assister – Il termine sa lettre en évoquant son autobiographie, dont il vient de choisir le titre définitif


« Bonsoir chaton, ce soir deux lettres (lundi-mardi) et deux de la puce. Comme cela tu me retrouves “amoureux”… Je le suis toujours mon ange… mais il ne dépend que de toi pour que je l’exprime un peu plus. Tu sais petite fille, quand une lettre pass par bon nombre de mains… cela freine l’ardeur de ce que l’on aimerait écrire. Car on se sent violé dans ses pensées les plus intimes. Il est vrai que je retrouve unu amour plus prenant, car je te vois comme tu étais acant… il y a 7 ans 1/2… te je retrouve avec un rire franc… un rire libre.. pendant 7 ans 1/2 nous avons sauvegardé notre amour.. maintenant nous pouvons nous aimer… là est la différence. Et puis je te trouve désirable avec ta jolie petite gueule de voyouse et tes cheveux blancs qui te donnent énormément de charme […] Tu es de ces femmes qui font passer leur cœur avant leur ventre.. cela je le sais mon ange. Je te respecte et je t’aime, car je sais que tous les deux, cela sera toujours “blanc bleu”, nous préférons la vérité au mensonge […] Aujourd’hui j’ai reçu un avis de première audition par un juge d’Évry et cela le 1er février à 10h30. Cela tombe un mardi et j’ai écrit au juge pour lui dire que j’avais parloir avec toi à cette heure et qu’il lui faudrait venir plus tard ou pas du tout.
Donc le mardi 1er février fais en sorte de venir plus tôt et n’accepte aucun refus de parloir, ce qui ne serait pas conforme à tes droits OK.
Je ne sais pas ce que veut ce juge… c’est une commission rogatoire… encore une connerie, car je ne vois pas ! […] Tu me dis que la postface de mon livre [son autobiographie L’Instinct de mort, qui devait paraître au mois de mars suivant] est bonne… j’attends de la lire, (mais je l’ai faite avec Aïche [Me Geneviève Aïche, avocate de Mesrine] dans son ensemble)… tout au moins j’en ai donné le sens. Je te montrerai au parloir la photo que je désire te voir faire agrandir. J’aime le nouveau titre de mon bouquin… “il frappe bien”. Normalement tu as vu le juge Vuéret aujourd’hui […] Ton pirate pose ses lèvres sur les tiennes en une douce caresse d’amour. Bonne nuit “ma belle” je t’adore.. pour ton argent (sic). La bise à sale môme de mon cœur. EL VIEJO »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Les deux amants entretiennent dès lors une correspondance amoureuse. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider fini par se ranger et rompre alors que lui est toujours en prison. Mesrine ne s’arrête pas, condamne avec acharnement ses conditions de détentions et s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

GAINSBOURG, Serge (1928-1991)

Notes autographes
S.l.n.d [c. 1985-86], 1 p. in-4°
Petite mouillure en marge supérieure

Notes préparatoires de Gainsbourg pour son film Charlotte for Ever


« prénoms pour
long métrage
*herman [interprété par Roland Dubillard] producteur Koldhero
moi possible *stan [interprété par Serge Gainsbourg]
charlotte — lucienne ou lulue lucie *alice

second rôle léon [interprété par Roland Bertin]
gant de cuir bleu marine [Gainsbourg porte en effet un gant bleu marine à la main droite dans le film]
s’en référer à la photo intérieure de mon disque live long trente trois [Gainsbourg Live – 1985 au Casino de Paris, Gainsbourg porte bien un gant de cuir bleu sur la photo dépliante à l’intérieur de l’étui] »


Écrit et réalisé par Serge Gainsbourg, Charlotte for Ever sort dans les salles de cinéma le 10 décembre 1986. S’inscrivant dans la continuité de sa chanson Lemon Incest (1984, album Love on the Beat), le scandale est de nouveau retentissant pour le parallèle entre le scénario du film, traitant du rapport entre un père alcoolique et une jeune fille de quinze ans dans une atmosphère incestueuse, et la relation entre Serge Gainsbourg et sa fille Charlotte.
Ayant fait l’objet d’attaques et d’insultes alors que son film est cloué au pilori par une large partie de la critique, Gainsbourg s’en défendra dans une interview télévisée, quelques jours après la sortie officielle : « Si on rejette mon film de façon analytique, O.K. Mais quand des puritains, des pisses-copies qui pissent des maladies vénériennes… »

CÉLINE, Louis Ferdinand (1894-1961)

Notes autographes sur une coupure de presse
[Copenhague, 28 octobre 1945], 1 p. grand in-4° oblongue
Coupure de presse découpée de la main de Céline en marge supérieure.
Quelques petites déchirures, petites restaurations en marge inférieure effrangée , petit trou central sans atteinte au texte (voir scan)

Notes autographes de Céline sur une coupure de presse d’un journal danois


[Céline note la traduction du titre en marge inférieure :]
« Les libérateurs Danois à Stockholm
-Que l’on se dirait aux bons vieux jours de la Gestapo ! »

[Puis il rajoute, en deux endroits :]
« Cochon danois ! »
« Assassin ! »


Cette coupure était originellement jointe à une lettre destinée au docteur Gentil. Le 28 octobre 1945, Céline lui écrivait à propos de l’ambiance au Danemark : « Il n’ y a plus de censure ici – Tu peux le voir par la coupure que je t’envoie à propos d’une visite des maquisards Danois à Stockholm parue dans “Politiken” le plus grand journal Danois […] »

Alexandre Gentil, médecin militaire, est une des figures proches de l’entourage de Céline et de Lucette. Ils se rencontrent au Val-de-Grâce en 1914, puis au Mont-Valérien. Fortement marqué par la boucherie de 14-18, comme Céline, il revient écœuré et très critique. En 1933, Céline le recommande à son ami Charles Bonabel, chirurgien à Beaujon. Sous l’Occupation, Gentil est membre du Cercle européen, comme le fut brièvement Céline. Il héberge des collaborateurs, certains envoyés par Céline. Gentil est l’un des premiers correspondants de Céline lorsqu’il est en prison. En 1945, celui-ci lui recommande sa secrétaire, Marie Canavaggia. Gentil est directeur et propriétaire de la Clinique et Maison de Santé de Nogent-sur-Marne, spécialisée dans le traitement de la thyroïde. Ils ont de nombreux amis communs : Gen Paul, Le Vigan, Jo Varenne… et leurs confrères les docteurs Clément Camus et Auguste Bécard.

STENDHAL, Henri Beyle, dit (1783-1842)

Lettre autographe signée de l’un de ses nombreux pseudonymes « Dubois », à sœur et confidente Pauline Périer-Lagrange
[Brunswick], « ce 29 8bre [octobre] 1808 », 5 p. in-4°
Marges effrangées sur le dernier feuillet, anciennes déchirures restaurées (voir scans)
Traces de pliures, cachet de cire rouge

Remarquable lettre dans laquelle le jeune Stendhal, qui n’est encore qu’Henri Beyle adjoint aux commissaires des guerres en poste à Brunswick, décrit sa passion pour la musique, l’Italie et les femmes

« La musique me plut comme exprimant l’amour. Il me semble qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux… »

Provenant de l’une des plus prestigieuses collections stendhaliennes


« Les arts promettent plus qu’ils ne tiennent : cette idée ou plutôt ce sentiment charmant vient de m’être donné par un orgue d’Allemagne qui a joué, en passant dans une rue voisine de la mienne, une phrase de musique dont deux passages sont neufs pour moi et, qui plus est, charmants, à ce qu’il me semble ; les larmes m’en sont presque venues au yeux.
La musique m’a plu pour la première fois à Novare  [Commune dans la région du Piémont], quelques jours avant la bataille de Marengo [4 juin 1800]. J’allais au théâtre ; on donnait Il Matrimonio segreto [opéra bouffe de Domenico Cimarosa] ; la musique me plut comme exprimant l’amour. Il me semble qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. Ce plaisir est venu sans que je m’y attendisse en aucune manière, il a rempli toute mon âme. Je t’ai conté une sensation semblable que j’eus une fois à Frascati [Commune dans la banlieue de Rome] lorsque A[dèle Rebuffel, une jeune cousine dont il s’était épris] s’appuya sur moi en regardant un feu d’artifice. Ce moment a été, ce me semble, le plus heureux de ma vie. Il faut que le plaisir ait été bien sublime puisque je m’en souviens encore quoique la passion qui me le faisait goûter soit entièrement éteinte.
Tout cela me fait penser, ma chère Pauline, que les arts qui commencent à nous plaire en peignant les jouissances des passions, et pour ainsi dire par réflexion, comme la lune s’éclaire, peuvent finir par nous donner des jouissances plus fortes que les passions. Je suis tous les jours étonné du peu de plaisir que me donnent les femmes allemandes, les françaises m’ennuient, je place mon bonheur de ce genre, en Italie. Si le hazard me donnait 40 mille liv[res]. de rente, j’irais en Italie. Je présume qu’au bout d’un an ces belles romaines, ces spirituelles vénitiennes, seraient pour moi comme des Allemandes. Ces dernières ont la fraîcheur la plus parfaite, leurs couleurs sont de la santé visible, les autres ont la passion, mais la passion qu’on inspire et qu’on ne partage pas ennuie.
Dans les arts, c’est tout autre chose, il peut chaque jour y avoir du nouveau. Qui nous dit que nous ne verrons pas un musicien supérieur à Cimarosa ? Et quand il n’aurait pas tout à fait son mérite, il nous donnerait du nouveau.
Pour les autres à qui j’écris, j’arrange mes pensées : pour toi, non. J’ai remarqué que, quand une chose me gênait, quelque peu que ce fût, je finissais par ne la plus faire, et je veux t’écrire toute ma vie au-delà même, comme madame Necker
[Germaine de Staël] […]
Je crois m’appercevoir que ce bonheur est plus fort que celui que donne les passions. Si cela se confirme, je serai bien près du bonheur que je me figurais jusqu’ici dans une passion quelconque, l’Ambition, l’amour, etc. donnant continuellement des moments comme celui de Frascati.

[Il poursuit enfin en parlant de la situation de sa sœur, mariée avec un « excellent » homme, et qu’il encourage à cultiver les plaisirs artistiques. Pauline s’était mariée six mois plus tôt avec Daniel Perrier-Lagrange, le Je ne puis te parler de ta position : je ne la connais pas ; mais ayant pour mari un homme excellent, elle ne peut qu’être heureuse. Cependant, il ne t’en coûtera rien de cultiver ce côté de ton âme auquel les arts font plaisir. Si tu as le bonheur de ne pas être grosse de sitôt [phrase remplacée dans l’édition Martineau par “si rien ne t’arrête”] tu pourrais faire un tour à Turin et pousser jusqu’à Milan qui n’est qu’à trente lieues. […]
Une nouvelle raison pour vous mesdames de cultiver la sensibilité aux arts, c’est le changement total qui vous attend au milieu de votre carrière. Il faut être diablement bien à cheval pour n’être pas désarçonnée, au moment où les hommes commencent à dire de vous, ho, c’est une femme raisonnable. Je parie que cette réflexion te paraîtra outrée, c’est que tu t’es fait une âme d’artiste, tu as suivi d’avance mon conseil. Embrasse Périer pour moi. Je désire aller en Espagne. J’ai le projet d’apprendre la langue, et de revenir ensuite en Italie vers trente ans.

Dubois »


Nommé adjoint aux commissaires des guerres et envoyé à Brunswick, Stendhal est accaparé par son emploi. Il trouve néanmoins le temps de suivre des cours d’équitation, d’aller au théâtre, au café-concert, à des bals… et de tomber amoureux de Wilhelmine von Griesheim, la fille de l’ancien gouverneur de la ville, tout en fréquentant continuellement d’autres femmes. Il reçoit le 11 novembre suivant l’ordre de regagner Paris. Un médecin lui confirme sa syphilis et l’enjoint à un traitement rigoureux.
Sœur préférée d’Henri Beyle, Pauline (1786-1857) épouse en 1808 François-Daniel Périer-Lagrange. Elle réside au château de Thuellin près de Brangues où se déroulera le fait divers à l’origine du roman Le Rouge et le noir. Veuve à l’âge de 31 ans, Pauline devait se trouver dans l’embarras, son mari ayant mal géré ses biens. Elle s’en sort grâce à l’aide de son frère qui lui verse une rente et lui lègue ses modestes biens à son décès.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « Ton viejo bandido » à sa maîtresse Jeanne Schneider
[Prison de la Santé], 1er octobre 1976, 2 pp. in-4°
Petit cachet de l’administration pénitentiaire sur la première page

En pleine rédaction de son autobiographie L’instinct de mort, Mesrine adresse une lettre à sa maîtresse tout en révélant son caractère rancunier envers l’administration pénitentiaire


[Mesrine commence sa lettre sur leurs recommandations mutuelles de lecture et développe ensuite sur l’un de ses ancien codétenus]

Salut à toi gamine de mon cœur […] sais-tu que Henri le Lyonnais auteur du livre “ancien détenu cherche emploi” était avec moi au dépôt le jour de ma première arrestation en mars 73 […] rien de bien spécial sinon que j’ai la forme du siècle… il le faut pour terminer mes “petits vingt ans” autrement que dans un fauteuil roulant. Bien qu’à ce sujet j’espère leur “imposer” ma réforme avant 1996… Bien que pour 1977 j’aurai déjà du sport et je ne voudrais pas manquer cela. Surtout mon procès pour l’évasion… j’en réserve de belles au sujet de l’administration des prisons. Je vais prendre mon pied au sujet de ces fameuses réformes et des quartiers d’isolement. Là on ne pourra pas me faire fermer ma gueule. J’ai la rancune tenace… on s’en rendra compte. Eh oui ma puce… je ne changerai jamais. Toujours en révolte ! Enfin qui vivra verra ! Tu te souviens de l’article que j’avais fait publier dans Libé… un vrai rêve prémonitoire !!
Je termine et vais me mettre un peu à mon bouquin [Mesrine était en train de rédiger son autobiographie L’instinct de mort] J’en suis à notre évasion…
Mes lèvres se posent sur les tiennes… Bonne nuit petite fille et n’oublie pas… que pour changer !! “je t’adore”
Ton viejo Bandido »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Les deux amants entretiennent dès lors une correspondance amoureuse. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider fini par se ranger et rompre alors que lui est toujours en prison. Mesrine ne s’arrête pas, condamne avec acharnement ses conditions de détentions et s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « Ton pirate » à sa maîtresse Jeanne Schneider
Prison de Fresnes, « QHS » [Quartiers haute sécurité], 2 mars 1977, 2 pp. in-4°

Longue lettre à sa maîtresse, écrite la veille de la parution de son célèbre ouvrage autobiographique : L’instinct de mort


« Bonsoir mon ange. Quel merdier a déclenché mon bouquin. Ce soir sur RTL j’ai eu droit au cinéma ; de plus [Robert] Badinter s’est ouvert la gueule… Il trouve cela scandaleux qu’un éditeur ait accepté de me publier… il aurait peut-être mieux valu laisser la plume à Patrick Henry. Enfin, libre à eux de me faire de la pub ! J’ai l’impression que mes lettres d’avocat sont retardées, car il n’est pas normal qu’un “Expres[s]” soit plus long à arriver qu’une lettre normale. Si la censure joue à ce petit jeu… elle risque des emmerdements très sérieux. Car je sais faire respecter mes droits de défense […] Je t’ai trouvée “mignone” aujourd’hui… notre petite douche froide nous a fait du bien… Oui j’avais regardé tes yeux et constaté ! C’est de cette façon que je désire te voir. Tu sais que je rigole, car même si mon bouquin est interdit en France… il ne pourra pas l’être au Canada et aux U.S.A. de plus, c’est le film qui est rentable pour moi… surtout s’il se fait aux USA […] Au fait Aiche [Me Geneviève Aïche, avocate de Mesrine] a téléphoné à la Chancellerie… elle te donnera la réponse négative du directeur de l’administration pénitentiaire. Il va avoir la surprise de sa vie dans Libé ! Ce refus à tout dialogue me fait sourire… […] Oui ma puce je suis un “sale con” avec mon maudit caractère… mais j’ai aussi mon bon côté… enfin… j’espère !!! […]
Autrement rien de spécial ici. Comme je n’ai aucun programme, tout est plus simple […] Voilà mon ange… ton vieux voyou va se coucher après le match de foot […] El viejo pose sur tes lèvres de doux bécots d’amour. Je t’aime ça j’en suis certain. Bonne nuit chaton… Ton pirate »


Comprenant qu’il se passera probablement des années avant qu’une nouvelle occasion d’évasion se présente à lui, Mesrine décide d’écrire son autobiographie, L’instinct de mort, qui paraît le 3 mars 1977 chez J-C Lattès. Il le rédige dans les Quartiers de haute sécurité de la Santé et Fleury-Mérogis. Le 19 mai suivant, Mesrine est condamné à 20 ans de prison pour vols à main armée, recel et port d’armes par la cour d’assises de Paris présidée par le juge Petit.

Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Les deux amants entretiennent dès lors une correspondance amoureuse. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider fini par se ranger et rompre alors que lui est toujours en prison. Mesrine ne s’arrête pas, condamne avec acharnement ses conditions de détentions et s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

DESBORDES-VALMORE, Marceline (1786-1859)

Poème autographe : « Romance » [Seule au Rendez-vous]
S.l.n.d [après 1833], 1 p. 1/2 in-8°
Ex-libris Robert de Montesquiou, au coin supérieur gauche
Petit manque au deuxième feuillet sans atteinte au texte

Provenant des collections Robert de Montesquiou et André Rodocanachi

L’un des plus beaux poèmes de Marceline Desbordes-Valmore, chef d’œuvre de la poésie romantique, issu de son recueil Les Pleurs

« La seule femme de talent et de génie de ce siècle et de tous les siècles » (Paul Verlaine, Les Poètes maudits, 1888)


Plusieurs variantes inédites sont à observer avec la version publiée, dont une inversion des strophes 2 et 3

Titré ici « Romance », le poème tel que publié dans le recueil est intitulé Seule au rendez-vous
Au coin supérieur droit, elle dédie ce poème « pour Betzy »

« Ô menteur ! qui disait sa vie,
Nouée au fuseau de mon sort,
Criant au ciel que son envie
Était de mourir de ma mort :
Éclos sous le feu de mon ame,
Tremblant de s’y brûler un jour,
Il jeta des pleurs sur la flamme :
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

Ivres d’un bonheur solitaire,
Nos ailes ont touché les cieux ;
Mais il est enfant de la terre ;
Il y retombe curieux.
à mes yeux plein de ses traits d’Ange
Le monde est voilé sans Retour ;
mais il a changé, le ciel change ;
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

” Je n’ai fait qu’essayer de vivre,
Disait l’ange aux légers sermens :
” J’apprends tout ! j’ai trouvé mon livre
” Imprimé dans tes yeux charmans !
” Entre mon cœur et ta présence,
” Je ne peux plus porter un jour !… “
Entre nous il a mis l’absence :
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

Je sais qu’une invisible chaîne
Jette son aimant entre nous ;
Je sais où finira ma peine ;
Mais je vais seule au rendez-vous.
La route sans fleurs et sans charmes
Fuira ! Pour se rejoindre un jour,
Doit-on passer par tant de larmes ?
Ô menteur ! ô menteur d’amour ! »


Marceline Desbordes-Valmore entre dans la vie artistique par une brève carrière théâtrale sous l’Empire. C’est cependant au travers de la poésie romantique que tout son génie se révèle, au point d’en devenir une figure centrale aux côtés de ses contemporains Hugo, Vigny ou encore Gautier. Après la publication de son premier recueil Élégies, Marie et romances, en 1919, de célèbres revues et journaux de l’époque lui montrent un vif intérêt, tels La Muse Française. Dans la Revue fantaisiste du 1er juillet 1861, Baudelaire écrit à son propos : « Elle fut à un degré extraordinaire l’expression poétique de toutes les beautés naturelles de la femme ». Presque trente ans après sa mort, la poétesse est sacralisée en « maudite » par Verlaine dans la seconde édition de ses Poètes Maudits, parue en 1888. L’influence de la poésie de Marceline Desbordes-Valmore fut, on le sait, considérable pour les générations suivantes de poètes parnassiens et symbolistes. Précurseur inattendu, on lui doit de nombreuses innovations stylistiques et métriques.
On connaît en outre l’admiration de Robert de Montesquiou pour Desbordes-Valmore. Le poète lui consacre une brillante étude, en 1894, éditée chez Lemerre : Félicité – Étude sur la poësie de Marceline Desbordes-Valmore. Montesquiou fait aussi partie du collectif pour Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore (Crépin, 1896), pour lequel il écrit un remarquable discours, en tant que Président du Comité. Ardent défenseur de sa mémoire, c’est aussi lui qui prendra soin de la sépulture de la poète, au cimetière de Montmartre.

Mariée au comédien Prosper Valmore (1793-1881) en 1819, Marceline devient amante blessée par sa brève relation extra-conjugale avec le poète et journaliste Henri de Latouche (1785-1851). Ils s’écriront presque toujours et ne se reverront presque jamais. Si Latouche demeure implicitement le dédicataire de nombre des productions poétiques de Desbordes-Valmore, celui-ci semble apparaître ici comme une figure spectrale.
Ce poème, écrit sous forme de lamento, nous ramène à l’ethos du poète rattaché au courant romantique. Marceline Desbordes-Valmore, dont la voix semble exhaler des soupirs languissants, apostrophe son soupirant qui, par des accents fatalistes, finit par lui échapper. Seule au rendez-vous est issu du plus célèbre recueil de la poétesse : Les Pleurs, paru en 1833. Du point de vue de la métrique, ce sont ici quatre huitains en octosyllabes à rimes croisées. Chaque fin de strophe est renforcée par une anaphore accusatrice.

[ROPS] DANDOY, Héliodore (1831-1909)

Tirage albuminé d’époque
[Liège, c. juillet 1893], format cabinet
Contrecollé sur carton fort au crédit du photographe
Petites rousseurs éparses et piqûres, pupilles retouchées

Provenant des archives de la famille Rops

Précieuse épreuve inédite de l’artiste par Héliodore Dandoy


On connaît une variante de ce portrait, où Rops apparaît de profil, prise lors de la même séance, et dont il existe trois exemplaires connus.
Ce portrait inédit figure l’artiste en buste, de trois-quart. Élégamment vêtu comme à l’accoutumée, son regard semble fixer l’horizon.

Les frères Dandoy, Héliodore et Armand (1834-1898) sont des intimes de Félicien Rops depuis leur jeunesse. Tout deux ont réalisé des portraits de ce dernier.

ROPS, Félicien (1833-1898)

Lettre autographe signée « Fély » à Octave Uzanne
[Paris, c. 1890], 1 p. in-12 oblongue sur “Petit bleu”, d’une écriture fine et très serrée

Violente charge antisémite de l’artiste dans cette lettre à son ami Uzanne


« Mon vieux Frérot
Me voilà revenu, sur pied, affadi mais au travail.
Je serai chez moi, pour toi, car les bavardages & les cris d’oison des Parisiens me deviennent tellement odieux que je finirai par me bâtir quelque Paraclet [Saint-Esprit] en pleine Drouot. Je suis saturé de la sottise “moderne ” qui flotte & que l’on respire dans l’air d’ici. Tout cela vient du foie évidemment &  j’ai rencontré depuis le matin trois Juifs à col de loutre que mon grand-père eut fait bâtonner il y a cinquante ans devers Segëd [Szeged, ville d’origine de ses parents en Hongrie].
Chaque fois que cela m’arrive j’en suis une heure à me remettre & mon vieux sang anti sémite fait six tours. – On devrait leur remettre le collet jaune à ces voleurs. Tâche de venir nous avons besoin de causer. Veux-tu me donner rendez-vous au Cardinal à 9 heures ? Je dois me coucher de bonne heure mais c’est dans le cas où tu ne pourrais pas venir. Si tu avais quelques épreuves fait voir. Cela me remettra du cœur au ventre.
À toi mon vieux
Fély

As-tu été au bal chez [Cyprien] Godebski hier ? »

[Adresse autographe au verso :]
« [M]onsieur Octave Uzanne
72 bis rue Bonaparte / Paris »


Désignée comme représentant le mensonge, l’avarice et la félonie, la couleur jaune fut imposée aux juifs partir du XIIIe siècle sur ordonnance du pape Innocent III (et par ailleurs amplement respectée par les autorités civiles).
Le signe distinctif vestimentaire en France était la rouelle, formant une petite pièce d’étoffe. Rops sous-entend, dans cette surprenante missive, de remplacer le col de loutre, porté par les trois personnes de religion juive qu’il a croisées, par « le collet jaune. »

Il n’existe pas, à notre connaissance, d’autres occurrences aussi violemment antisémites de Rops dans sa correspondance.

BERNARD, Émile (1868-1941)

Manuscrit autographe signé « Émile Bernard »
S.l.n.d. [septembre 1936], 10 p. in-4°
Quelques repentirs, annotations au crayon et à l’encre
Deuxième feuillet effrangé en marge droite sans manque de texte

Passionnant manuscrit d’Émile Bernard sur l’art de Jacques-Louis David, contre lequel il livre un jugement sévère et Antoine-Jean Gros, dont il fait l’éloge

Nous n’en transcrivons ici que quelques fragments


[Bernard ajoute une épigraphe en marge supérieure droite du premier feuillet : « La peinture est chose mentale : Léonard de Vinci »]

« Il y a dans l’histoire de l’art des individualités néfastes. Si elles parviennent à la notoriété, leur méfaits s’étendent, tout puissants, pour produire l’étouffement et la mort des plus merveilleux tempéraments. Ces hommes de malheur réussissent généralement parce qu’à l’obturation d’une volonté aveugle ils joignent la médiocrité autoritaire. Doublement, ils ont ce qu’il faut pour triompher et régner. Au nombre de ces tyrans il faut mettre David et Ingres.
David n’avait point de dons natifs, c’était un homme de raisonnement ; il dirigeait sont œuvre comme il eut gouverné une section. L’insensibilité est son naturel, rien ne l’émeut que le devoir et la convention, c’est un ouvrier probe qui ne dépasse pas son sujet par un sentiment ou une idée : pas de génie chez David, point de ces emportements qui étonnent et restent inoubliables. Il a tout pesé, tout arrangé logiquement, froidement […]. Tout civique il reste dans sa peinture un politique qui vise à l’accomplissent de ses convictions. Il accomplit un programme ou nulle émotivité ne peut le faire sortir. Sous le nom de beau – idéal il expulse ce qui peut tenir du cœur et aux sens ; chassant de la peinture la forme vivante, le coloris et le mouvement […] Je ne méconnais point l’utile révolution que fît David dans l’art français de son temps. Certes il fallait en finir avec les polissonneries du dix-huitième siècle : La peinture était devenue malgré ses dernières saveurs exquises la négation d’elle-même et ne s’exerçait plus qu’à plaire à une aristocratie tombée de ses grandeurs […]. David eut donc le mérite d’être un censeur sévère et de vouloir remonter l’art à l’austérité. Il en sectionna la partie malade et tenta de soigner la part restée saine […] Son but était noble, mais ses moyens ne lui permirent pas de l’atteindre. Souvent ce n’est point l’auteur d’une tentative de ce genre qui en donne toute la mesure, et nous voyons que les élèves et amis de David n’ont jamais surpassé leur maître, parce qu’ils s’y étaient trop attaché ou que leur tempérament ne les poussait point au-delà de lui. Ce fut le cas de Girodet, de Guérin, de Gérard ; mais ce ne fut pas celui de Gros.
Fils d’un père et d’une mère peintres, Gros semble avoir apporté tous les pouvoirs de la peinture avec lui. À dix-sept ans et trois moi, il peint ce tableau extraordinaire “d’Eléazar refusant les viandes défendues et préférant la mort” qui est déjà un chef-d’œuvre qu’eût signé Rubens. On ne lui donne pas le premier prix de Rome que l’on réserve à un plus docile imitateur de David, mais le second. Il part alors pour l’Italie, avide de se retrouver en face des miracles de Michel-Ange, de Raphaël et du Titien […] La Sixtine eut souvent sa visite, comme le prouve le premier plan des Pestiférés de Jaffa […]
Incertain de sa route, Gros fait des portraits que malgré leur grande qualité, ne peuvent être considérés que comme des essais […] Gros, étant plus grand qu’il ne le pense, se surpassera à tel point dans ses œuvres lyriquement guerrières que ces reproduction exactes de la nature ne sembleront plus que des études froides auprès du chaleureux éclatement de son génie.
Jusqu’ici on a fort mal jugé Les Pestiférés et [Napoléon sur le champ de bataille d’] L’Eylau à cause des mauvaises places que ces toiles occupaient au Louvre. Les grandes machines de David ayant usurpé, par le prestige de leur gloire, la place qui revenait aux chefs-d’œuvre de Gros, on arriva, par le plan secondaire donné à ce grand peintre, à ternir leur éclat, à les faire presque oublier. Au Petit-Palais, sous le soleil estival, elles resplendissent et confirment l’opinion d’Eugène Delacroix, qui écrivait : “Gros est l’Homère de la peinture”. Quand on entre dans la grande salle ou s’étalent Les Pestiférés, L’Eylau et la Bataille d’Aboukir, on a véritablement le sentiment de se trouver en face d’un prodige que l’on espérait pas […] Sans doute ici rien de la vérité objective ne subsiste, seule y règne l’image agrandie de Napoléon sous ses plus généreuses apparences. En de tels combats, Gros n’a plus peint le militaire, mais le héros […] Dans l’Aboukir, le soleil même est de la bataille et ferraille de ses dards sous l’encens des fumées des holocaustes, soulevé par la mêlée où s’écrasent ces races diverses, ivres de conquêtes et de gloires : Beaux membres nus jetés hors des robes multicolores, mains désespérément accrochées en une dernière crispation à la selle ou au manteau du vainqueur […] C’est bien là le champ de bataille de l’Humanité ! […]
Et pourtant, l’artiste qui venait de renverser sans effort, en s’abandonnant à son souffle, les bons hommes en marbre de David, celui qui venait de doter la France du chef-d’œuvre le plus étonnant du dix-neuvième siècle, fut pris d’un doute voyant son ouvrage discuté, critiqué, blâmé. Subjugué par le prestige de David, il abdique et ne fit jamais plus rien que de raisonnable, c’est à dire qu’il procéda, par faiblesse, à son premier suicide, en attendant son second, le définitif, sa mort volontaire dans un bras de la Seine, à Meudon […]
C’est à cette époque qu’il fallut reconnaître la naissance d’action, de vaillance et de lutte qui descendra, après le tumulte des victoires, dans le romantisme mélancolique d’un René, réduit à se dévorer lui-même en la solitude du repos. De ces temps agités datent les plus belles conceptions de Gros : Jaffa, Aboukir, Eylau […]
Avec la chute de l’Empire, il perdit son génie et se traîna, sous les préjugés de son ancien maître, dans un art de plus en plus morne et compassé, son œuvre devint méconnaissable. Lui, qui avait été le grand classique de la peinture française, se rallia à l’académisme morne, où il nia ses qualités les plus notoires.
L’œuvre néfaste de David étant accomplie, Gros était mort pour l’art.
Il n’en demeure pas moins évident que le cris fut poussé, que trois chef-d’œuvre sans précédent enrichissent la peinture […]
En présence d’un maître aussi grand, aussi inspiré, aussi universel, je me suis rappelé ces paroles de Gluck : “Sans poésie, l’art restera toujours vain et sans raison”. Or, Gros a été un grand peintre et un grand poète ; qu’on le reconnaisse enfin.
Émile Bernard »


Artiste postimpressionniste associé à l’école de Pont-Aven, Émile Bernard fréquente Vincent Van-Gogh, Paul Gauguin et plus tard Paul Cézanne. Ses œuvres les plus radicales, empreintes d’innovations stylistiques majeures et aux influences considérables, datent des années 1887-1892. Il évolue progressivement vers le classicisme au début XXe siècle, inspiré par les maîtres anciens. Le présent manuscrit, éloge de la peinture de Gros, est à rapprocher de son évolution vers le classicisme.

DELACROIX, Eugène (1798-1863)

Lettre autographe signée « E. Delacroix » à Félix Guillemardet
[Souillac], « le 30 8bre [octobre] 1820 », 3 p. 1/2 grand in-4° très remplies
Bris de cachet sur le second feuillet avec petit manque,
Infimes trous de corrosion d’encre par endroits,
Quelques mots caviardés de sa main

Adresse autographe sur la quatrième page :
« À Monsieur Félix Guillemardet, rue Louis-le-Grand, à Paris »

Rare et longue lettre de jeunesse, évoquant son désœuvrement artistique et un désir ardent de retrouver son cercle d’amis


« Vous êtes des amis fidèles et exacts. Je vous remercie bien tous de ne pas m’oublier ; je te dois en particulier des remerciements. Au moment de rentrer pour longtemps dans la poussière d’une étude, c’est quelque chose que de sacrifier une promenade par un beau temps, pour prendre la plume pendant une heure ou deux. Mais je suis un sot et je dois juger d’après mes propres sentiments de ce que tu éprouves en écrivant à un ami. C’est un plaisir bien doux […] C’est une chose si pénible que l’absence ! avec quelle avidité on s’attache à ce papier qui vous apporte la pensée de votre ami. On prend en lisant sa lettre un plaisir d’avare […] Je ne pense jamais à aller en Italie1 sans être effrayé de ce que j’aurais à souffrir durant ce long voyage. Vous me manquez tellement depuis deux ou trois mois. De quel œil lirai-je donc vos lettres, quand je serai pour des années éloigné de vous, isolé au milieu d’une ville de silence et peuplée de tombeaux, qu’il me faudra de ferveur pour l’étude, pour adoucir cet ennui. Vous serez deux encore vous autres. Il y aura toujours des St-Sylvestre et des réunions amicales. Qu’il serait charmant de partir une caravane d’amis pour aller s’enfoncer et se faire oublier de la terre entière dans ce pays de poètes. Ma!… comme dit l’Italien : Ma et toujours Ma dans les affaires de ce monde. Si j’osais, je me marierais. Ma! je m’ennuie au milieu des requêtes, j’aimerais mieux voyager que de grossoyer… Ma!… je voudrais bien être philosophe et résister au choc de cent misères qui m’affligent, me domptent et ne méritent que le mépris d’une âme élevée… Encore une fois Ma. Ce serait pourtant par ce dernier point qu’il serait important de commencer : car lui gagné, tous les Ma qui naissent des contrariétés de cette vie perdraient tous leurs aiguillons, se dissiperaient en fumée à la première sortie d’une philosophie bien ferme et bien assise. Tu serais donc d’avis de ne pas inutilement user nos souliers sur le pavé St-Jacques, sans profit pour notre instruction. Quand nous sortons de là, nous allons nous promener et nous divertir au soleil, comme des académiciens qui ont dans leur poche leur jetons de présence et qui descendent les degrés de l’Institut avec un visage épanoui et un air de complaisance. Que dis-je : non satisfaits d’insulter la sainteté de la matière par notre paresse au travail, nous rions sans pitié de ces piocheurs vigoureux qui ne perdent pas un mot, qui couchent jusqu’à Messieurs sur le papier et qui pour rien n’y mettraient l’eau sucrée, les lunettes et l’Ave Maria s’il y en avait. Voilà des crimes : Voilà les nôtres de l’année tout entière. Et puis, ayez la fièvre, vous vous plaignez comme une femme, et cent autres faiblesses qui en dérivent. Pour en finir sur ce sujet, attendons et nous verrons si nos forces seront encore au-dessous de notre volonté.
Je suis bien aise de voir que tu apprécies Piron [Achille Piron (1798-1865), son ami d’enfance]. C’est un jeune homme sincèrement attaché à ses amis. S’il se pique quelque peu d’une légère négligence, c’est que lui-même ne néglige point, et qu’il fait tout pour leur être utile. Je me suis beaucoup attaché à lui. La dernière année que je fis au Lycée2 [Impérial, actuel Lycée Louis-le-Grand à Paris], je n’eus presque de commerce qu’avec lui : nous avons supporté ensemble les fureurs du Sieur Burnouf [Jean-Louis Burnouf (1775-1844), professeur de grecque et latin], nous avons ensemble dormi aux éternelles séances de ce flegmatique Dubos qui avait, je crois, le secret d’arrêter l’éternel sablier du temps. Durant les interminables classes, les fatigantes explications, les lectures fastidieuses de la prose de ces messieurs, nous nous consolions avec des bouts rimés, des vaudevilles et autres niaiseries qui avaient le mérite de nous amuser. Je pense toujours à ce temps avec plaisir et l’idée de Piron qui vient s’y mêler m’a fait m’attacher à lui davantage […]
Je ne te demande pas de me répondre, parce que mon arrivée à Paris ne tardera pas après ma lettre rendue. Je suis au reste assez incertain sur cet objet. Je désire ce moment avec bien de l’impatience : que cette diligence me semblera ennuyeuse : surtout par cette maudite route qui n’est qu’un enchaînement continuel d’ondulations de terrain ; monter, descendre et puis à recommencer. Je la pousserai je crois de meilleur cœur, que je ne me verrai de sang-froid lentement voiturer à travers toutes ces vicissitudes. J’arriverai pourtant s’il plaît à Dieu et nous nous embrasserons.
Je suis toujours aussi malheureux ici qu’on puisse l’être. Le temps ne cesse point ses rigueurs. La plaine n’est qu’un lac, et le vent mêlé de pluie qui assiège les montagnes me rencogne de plus en plus dans la maison3. Adieu croquis et études. Je vous regrette beaucoup. Je me venge de ces contrariétés en ne perdant pas un coup de dent à table. Je n’en sors jamais sans avoir le ventre tendu comme un tambour, et la jambe aussi alourdie que si j’avais chassé trois heures sous la pluie dans la terre fraîchement remuée. La cuisine est ma mignonne et l’objet de mon culte. Je me gorge de marrons cuits à la mode du pays, enfin comme je te le disais il y a quelque temps, je me dégrade.
[…] Je me rappelle que dans une de tes dernières [lettres] tu m’offrais obligemment [sic] ton entremise pour la location de l’atelier que j’avais en vue. Je t’en remercie bien. Je crois m’être arrangé de manière à m’en passer. Adieu, mon bon ami, porte-toi bien, n’aie pas de mauvais temps pour tes derniers jours de liberté. Ne m’oublie pas comme d’habitude auprès des tiens. Je t’embrasse tendrement.
E. Delacroix »


[1] Les résultats de Delacroix au concours et aux examens de l’École des beaux-arts contrarient ses espérances de séjour romain. En 1820, il échoue à la première partie du prix de Rome. Il trouve par ailleurs des petits travaux : dessin industriel, décoration d’appartements, costumes de théâtre ; mais la faible rente de l’héritage familial ne suffit pas à subvenir pleinement à ses besoins.

[2] Empreint de nostalgie, il évoque ses souvenirs du Lycée Impérial (actuel Lycée Louis-le-Grand) à Paris. C’est dans ce même établissement que l’artiste fait la connaissance de ses plus fidèles amis dont Jean-Baptiste Pierret (1795-1854), Louis Guillemardet (1790-1865), son frère et Félix (1796-1842) et Achille Piron (1798-1865).

[3] Durant l’automne 1820, suite à plusieurs accès de fièvre, Delacroix, alors âgé de 22 ans, se rend en convalescence à Souillac et Sarrazac (actuels départements du Lot et de la Dordogne). Il réside plus longuement dans le château de Croze, chez Raymond de Verninac, qui a épousée la sœur de Delacroix, Henriette, en 1797.

Les lettres de jeunesse de Delacroix ont ceci de particulier qu’elles ne cachent pas les sentiments – beaucoup plus réservés par la suite, dès la notoriété acquise. Elles laissent en outre un témoignage essentiel sur son caractère profond et ses ambitions futures. Le naturel l’emportant sur la pensée, sa personnalité ardente et excessive transparaît pleinement dans la présente missive. Il porte plus tard un jugement sévère sur ses lettres de jeunesse. En témoigne une note écrite dans son journal à la date du 18 janvier 1856 : « Le matin j’avais été chez mon ami [Louis] Guillemardet… Il me remet un paquet de mes lettres écrites anciennement à Félix, il est facile d’y voir combien l’esprit a besoin des années pour se développer dans les vraies conditions. Il me dit qu’il y voit déjà le même homme que je suis aujourd’hui… »

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Poème autographe signé « Alex Dumas »
S.l.n.d [après 1836], 1 p. [album amicorum] in-folio
Infimes manques angulaires, quelques rousseurs et légères brunissures

Double poème sous forme de dialogue entre l’Ange et la Vierge, issu de sa pièce de théâtre Don Juan De Maraña


[Le bon] Ange

Vierge, à qui le calice à la liqueur amère
Fut si souvent offert,
Mère, que l’on nomma la douloureuse mère,
Tant vous avez souffert,

Vous dont les yeux divins, sur la terre des hommes,
Ont versé plus de pleurs
Que vos pieds n’ont depuis, dans le ciel où nous sommes,
Fait éclore de fleurs

Vase d’élection, étoile matinale,
Miroir de pureté
Vous qui priez pour nous, d’une voix virginale,
La suprême bonté

À mon tour, aujourd’hui, bienheureuse Marie,
Je tombe à vos genoux
Daignez donc m’écouter, car c’est vous que je prie,
Vous qui priez pour nous !

La Vierge

Parlez, car mes regards parmi ces blondes têtes
Dont Dieu s’environna,
Vous cherchèrent souvent. Je vous connais, vous êtes
L’ange de Marańa

[ici Dumas livre deux strophes qui semblent inédites]

Parlez et dites nous quelles Craintes étranger
vous causent tant d’Émoi
Ange que j’ai toujours chérie entre mes anges
Que voulez-vous de moi ?

Pour Calmer au plus tôt, votre douleur amère
Dites que pouvons nous
Parlez – mon fils n’a pas de refus pour sa mère
Ni sa mère pour vous !

Alex Dumas

[En marge droite, Dumas rajoute :] « Intermède de la Vierge – Don Juan de Maraña »


Créée le 30 avril 1836 au théâtre de la Porte Saint Martin, Don Juan de Maraña ou La Chute d’un ange est une pièce d’Alexandre Dumas père. Elle se constitue en cinq actes, divisés en sept tableaux et deux entractes. Révision du mythe de Don Juan, la pièce évoque l’histoire du chevalier sévillan Miguel de Maraña, insatiable séducteur mû par les forces du mal, dont les bons et mauvais anges se disputent son âme.
Du point de vue de la métrique, Dumas utilise dans chacun de ses quatrains une élégante alternance entre l’alexandrin (dont certains sous forme de tétramètres) et l’hexasyllabe en rimes croisées. Les deux dernières strophes semblent inédites.

PIAF, Édith (1915-1963)

Lettre autographe signée « Pupuce » à Yves Montand
Metz, 5 avril 1946, 2 pp. in-4° à en-tête de l’Hôtel de Metz
Traces de pliures d’époque, petites taches
Pour une lecture plus aisée, nous avons rétabli une orthographe juste

Tendre lettre d’amour de la Môme Piaf à son amant Yves Montand pendant sa tournée dans l’Est de la France avec Les Compagnons de la chanson


« Mon chéri chéri chéri.
Voilà déjà quatre jours que nous sommes séparés, tu vois, plus que 4 jours et nous serons à nouveau réunis pour un long temps, mon tout petit, su tu savais comme tu me manques, c’est effroyable, et quand je pense que tu doutes de mon amour j’en suis [deux mots caviardés de sa main] stupéfaite. Es-tu content de ton film ? [Yves Montant venait tenir le rôle principal dans Les Portes de la nuit de Marcel Carné, sur un scénario de Jacques Prévert] Tout marche-t-il comme tu l’espère ? Moi pour mon travail je n’ai pas à me plaindre, le succès est exactement comme je le désire, et puis il y a une bonne ambiance, les compagnons de la chanson sont vraiment adorables avec moi et c’est en même temps un programme de classe, mon petit zoupinet [Odette Laure] fait un gros boum et j’en suis contente et pour elle et pour moi. Tu sais, je n’ai pu t’écrire les deux premiers jours car nous sommes arrivés le soir à huit heures et j’avoue que j’étais morte, le lendemain nous avions la radio, puis la répétition avec l’orchestre et la soirée et le lendemain départ à dix heures du matin, alors je me suis dis que mon petit homme comprendrait et ne m’en voudrait pas. Nous débutons à Nancy ce soir et j’ose espérer que tout marchera comme partout, j’ai un peu la trouille car j’ai fait une tournée avec qui tu sais et nous étions passés par Nancy, alors j’ai un peu peur d’une réaction, remarque, il y a une chose curieuse, quand j’arrive sur scène, les gens gueulent et je n’ai pas encore chanté, tu vois que ma réputation va loin… hein ! Mon grand chéri donne moi des détails sur mon [sic : ton] film, as-tu été le voir ? Je voudrais bien savoir la réaction du public enfin on verra bien hein ? Les jours passent lentement tout de même, c’est long la vie par moment, mais ne soyons pas si pessimistes et ayons du cran ! Comment va notre chez nous ? Et toi ? M’aimes-tu toujours ? Moi, mon amour va chaque jour en grandissant. J’ai voulu te téléphoner hier mais nous sommes arrivés à six heures et comme tu m’as dit que l’on venait te chercher à six heures je n’ai pas appelé, d’autant plus qu’il fallait une heure d’attente, et puis à vrai dire je n’aime pas te téléphoner, tu es tout drôle et ça me fou le cafard, je ne suis pas là pour te prendre dans mes bras, pour t’embrasser alors te sentir loin et ne pouvoir rien faire quand je ne te sens pas heureux me rend malade. Dans tes lettres je te trouve tel que je voudrais que tu sois toujours, écris moi mon tendre aimé, écris moi les belles lettres que tu sais écrire. Je te quitte mon adoré et je te supplie de croire que je t’aime, que tu es ma seule raison de vivre, que sans toi ma vie est vide, que j’ai besoin de toi comme de ma respiration, laisse moi me réfugier dans tes bras et m’endormir avec tous mes rêves.
Pupuce »


Piaf et Montand se rencontrent en 1945 sur le tournage du film Étoile sans lumière. Elle a 30 ans et lui 24. Édith est déjà une immense célébrité. Montand n’en est qu’au début et il devra beaucoup à son amante. Selon sa folle générosité, elle le couvre de cadeaux, mais aussi de chansons qu’elle écrit pour lui. Elle le fait rencontrer tout ce que Paris compte de notoriétés, dont Cocteau.
Si Piaf se livre ici a de tendres déclarations d’amour pour Montand, les deux amants en arrivent néanmoins au crépuscule de leur relation. C’est l’une de ses toutes dernières lettres d’amour à Yves, mais le verbe n’en demeure pas moins passionné. Et comme pour peut-être se rassurer elle même, elle termine sa missive par une supplique plus douce qu’à l’accoutumé : « laisse moi me réfugier dans tes bras et m’endormir avec tous mes rêves ».
À cette même époque la Môme commençait déjà à fréquenter Jean-Louis Jaubert, membre-leader des Compagnons de la chanson (dont il est question en début de lettre), avec qui elle allait entamer une tournée américaine triomphante l’année suivante.

DAUDET, Alphonse (1840-1897)

Lettre autographe signée « Alphonse Daudet » [à Timoléon Ambroy]
S.l.n.d, [Paris, c. 23 août 1870], 4 pp. in-12° sur papier vergé à l’encre brune
Ancienne mouillure sur la quatrième page en marge inférieure affectant quatre mots, ancienne trace de montage, fente à la pliure centrale

Longue et passionnante lettre aux élans patriotiques, à quelques jours de la débâcle de Sedan


« Ami très cher,
Je ne vous ai pas oublié et vous en particulier – parmi les vôtres qui me sont déjà si chers – vous êtes toujours une de mes meilleures affections. N’accusez donc point mon cœur du silence que j’ai gardé à votre endroit… Mille circonstances se sont jetées en travers de mes bonnes intentions.
De temps en temps du reste je voyais l’ami Fousson qui me donnait des nouvelles du pays… (il me semble par moment que je suis à Fontvieille ! [Commune dans le département des Bouches-du-Rhône, non loin d’Arles, où résidait Timoléon Ambroy]) –
Aujourd’hui un remord me prend : je vous envoie un bonjour tout décousu et bien triste. – quel temps !…
Voilà la France ruinée, l’empire fichu (sans rémission !), et ces horribles bêtes noires [les prussiens] qui avancent toujours… Paris se prépare à se défendre ; mais hélas !…
Moi je rage et je plume… c’est tout ce que je puisse faire. Je suis au lit depuis 40 jours. Je me suis cassé la jambe en me livrant à mes exercices gymnastiques, nautiques, etc… c’est un malheur mais [sa femme] Julia au fond n’est pas fâchée que je ne puisse pas bouger… Le fait est que si j’étais valide, j’aurais sûrement la gueule cassée à l’heure qu’il est ou sur le point de l’avoir… Que voulez vous ? c’est un nouvel instinct qui m’est poussé : l’instinct patriotique.
Si la bataille de Châlons est perdue – ce que je crains – nous irons nous abriter dans Paris. Ernest [Daudet, son frère aîné] est au Sénat transformé en ambulances qu’il inspecte. Mon beau-frère [Léon Allard] est sergent de la mobile ; il est au camp de St Maur sous Paris prêt à donner sa vie aux bêtes noires avec 18 000 autres petits parisiens de 20 ans…  Ernest a mis sa femme aux bains de mer ; moi Julia ne veut pas me quitter, et comme d’autre part je ne veux pas m’éloigner de Paris il est probable que nous y resterons… Pauvre Julia ! C’est la première fois qu’il y a dispute dans le ménage.
– mon père, ma mère et ma sœur sont partis hier pour Nîmes. Si Paris est assiégé nous ne pourrons pas les avoir ici. Papa n’est qu’un enfant, et deux femmes seules… la pauvre mère est partie toute en larmes.
Voilà la situation : à Châlons l’empereur se cache, à Paris il n’en est plus question.
– On ne veut que se défendre !…
Quel gâchis !… – Et au milieu de tout cela, voilà que je suis nommé Chevalier de la légion d’honneur. Jamais décoré du 19 août n’a été si surpris et en même temps si peu joyeux.
C’est une surprise que le ministre des beaux-arts m’a faite. Ernest avait demandé la croix pour moi, et ne m’en avait rien dit… au ministère on n’avait pas mon adresse ; et mon décret s’est promené de côté et d’autre avant de m’arriver.
Me voilà votre collègue.- J’aurais bien voulu que Louis [Ambroy, frère de Timoléon] fut notre supérieur dans l’ordre ; mais tout ce que j’ai pu faire s’est trouvé paralysé par la guerre et l’influence de Lavalette bien diminuée, sans compter que je n’ai pu qu’écrire et n’ai fait – grâce à ma jambe – aucune démarche moi-même.
Adieu, mon vieux et très cher Tim, je vous embrasse et les vôtres du fond du cœur pour Alphonse et Julia.
Alphonse Daudet
Mon fils [Léon] est un monstre charmant !
joli comme une fleur et colère comme un Daudet ! »


Les sentiments patriotiques de Daudet sont bien connus. Trois ans après la défaite de Sedan, il publie chez Alphonse Lemerre Contes du lundi, un recueil de nouvelles inspirées des événements de la guerre franco-prussienne. L’écrivain dresse des tableaux réalistes de la vie de l’époque : le peuple de Paris soumis aux privations, les événements de la Commune et la répression des Versaillais. Il relate aussi la tristesse de la perte de l’Alsace-Lorraine à travers La Dernière Classe.
Daudet se casse la jambe le 14 juillet. On peut donc situer presque exactement cette lettre en date du 23 août 1870, soit une semaine avant la tragique défaite de Sedan, qui marque la chute du Second Empire.
La fin de la lettre fait allusion à la décoration attendue par Louis Ambroy (frère de Timoléon), décoration qu’Alphonse Daudet se charge de demander par l’intermédiaire du marquis de la Valette, gendre de Rouher, ministre d’État. Les deux frères se sont distingués dans la viticulture.
Timoléon Ambroy est un ami proche et cousin d’Alphonse Daudet (madame Ambroy était une cousine de Jacques-Vincent Daudet, père d’Alphonse).

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre signée « Louis-Napoléon » à un monsieur
[Camden Place] Chrislehurst, 22 mars 1872, 1 p. petit in-8°
Tache en marge supérieure, légères taches éparses, traces de pliures d’époque

Affectueuse marque de reconnaissance du Prince Impérial auprès des français de sa génération, avec l’espoir de les retrouver un jour


« Monsieur,
J’accepte bien volontiers les vœux que vous m’avez adressés à l’occasion du seizième anniversaire de ma naissance. Soyez, je vous prie, mon interprète auprès de ceux qui ont associé leur nom au vôtre cette manifestation de fidélité et de sympathies. Ma seule ambition est de pouvoir un jour, dieu aidant, justifier les espérances des jeunes français de ma génération qui ne m’ont pas oublié.
Je vous envoie, Monsieur, à vous et à vos amis, avec mon remerciement bien sincère, l’assurance de mes sentiments.
Louis-Napoléon »


Le Prince Impérial resta toute sa courte vie durant très attaché à son pays d’origine, et ce bien que n’y ayant plus remis les pieds depuis la débâcle de Sedan le 1er septembre 1870. Il garda un regard très attentif sur les politiques menées par les différents gouvernements de la IIIe république, tout en échafaudant en parallèle de nombreux projets politiques, dans l’espoir d’un retour de l’Empire.

La lettre est dictée à son précepteur Augustin Filon (1841-1916), puis signée par le Prince Impérial.

DOSTOÏEVSKI, Fiodor (1821-1881)

Tirage albuminé d’époque par Vezenberg & Co
St Pétersbourg [1879], format cdv
Contrecollé sur carton fin au crédit du photographe
Quelques traces et taches superficielles

Mythique et rare épreuve de ce portrait de l’auteur de Crime et Châtiment


Ce portrait, resté célèbre dans l’iconographie de l’écrivain, montre Dostoïevski le regard perçant et esquissant un léger sourire.

Bon état de conservation

PAGNOL, Marcel (1895-1974)

Lettre autographe signée « Marcel » à Maurice [Escande]
Paris, 6 juin 1967, 1 p. in-4° à son en-tête
Traces de pliures dues à la mise sous pli à l’époque

Le nostalgique Pagnol envoie une tendre et amusante lettre à son ami l’acteur Maurice Escande, qui tourna pour son film Le Gendre de monsieur Poirier


« Mon cher Maurice,
Animer une soirée ! J’en suis tout à fait incapable, et je n’arrive pas souvent à m’animer moi-même !
Je regrette le beau temps du Gendre de Mr. Poirier… Il y a déjà 34 ans ; c’est une idée horrible.
Je t’embrasse,
Marcel »


Premier film réalisé par Marcel Pagnol en 1934, Le gendre de monsieur Poirier raconte l’histoire d’un un aristocrate, amateur de frivolités, jusqu’au jour où il décide de changer de vie pour se consacrer à son épouse et au travail. L’acteur Maurice Escande (1892-1973) y tenait le rôle d’Hector de Montmeyran.

HUGO, Georges (1868-1925)

Ensemble de dix-sept lettres autographes signées « Georges Hugo » ou « Georges » et un dessin original
Hauteville-House (Guernesey), Paris, Toulon et Lunel, entre 1885 et 1917, 41 p. en divers formats
Quelques petits défauts, trous, déchirures marginales, anciennes réparations, petites taches

De cet ensemble, on distingue :
-Trois lettres adressées à son père « d’adoption » Alphonse Daudet, qu’il avait l’habitude d’appeler « Mon bon vieux père »
-Dix lettres adressées à son indéfectible ami Léon Daudet
-Deux lettres adressées à un destinataire inconnu
-Deux lettres adressées à une destinataire inconnue
-Un dessin original à l’encre figurant son ami Léon Daudet et deux des frères Berthelot

Bel ensemble de lettres du petit fils de Victor Hugo, la plupart écrites entre 1885 et 1895
Certaines décrivent d’une façon captivante l’atmosphère de Hauteville-House, telle qu’elle fût laissée par son grand-père, dont l’âme semble plus que jamais imprégner les murs – D’autres dévoilent l’intimité de la famille Hugo, maintenant dépourvue de sa figure patriarcale

Nous n’en transcrivons ici que quelques fragments


Lettre autographe signée « Georges Hugo » à Léon Daudet
Hauteville-House, Guernesey, 2 septembre 1885 3 p. 1/2 in-8° sur papier de deuil, à son chiffre
Petite accident angulaire restauré au ruban adhésif et petite taches marginales

Quatre mois après la mort de son vénéré grand-père, Georges Hugo fait de captivantes découvertes à Hauteville-House

« Léon, mon bon vieux tigre, si tu savais comme ta lettre m’a fait plaisir. Depuis votre départ [Les Daudet avaient séjourné une partie de l’été à Hauteville-House en compagnie de la famille Hugo], il n’y a plus d’entrain ici. Nous ne sortons plus, il vente, il pleut, il fait froid. De sorte que voilà huit jours que nous sommes tout tristes. Je ne peux pas dire que je m’ennuie. On ne s’ennuie pas dans cette maison. Mais on manque de gaîté et d’esprit. […]
Ce sont les soirées qui sont longues. Maman [Alice Lehaene] prend un ouvrage, se met dans un coin avec moi près d’elle et nous ne disons rien. Ma sœur [Jeanne Hugo] a Bob dans ses bras et passe la soirée à le lécher et à lui enlever ses puces qu’elle dépose ensuite délicatement sur n’importe quoi. Quant à Mademoiselle Silvestre [institutrice de Jeanne Hugo] elle se dessèche dans un autre coin en cachant de temps en temps un de ces éclats de rires particuliers après avoir dit une bêtise qu’elle prend pour un mot d’esprit. Mademoiselle Grenier lit tout haut et très mal, Les Travailleurs de la mer, qu’elle n’avait jamais lus et qui sont “très intéressants”. Madame Grenier dort. – Quelque fois tante Chenay nous lit (oh ! horrible, horrible, must horrible) des lettres que son frère lui écrivait quand elle était toute jeune et qui forment dit-elle un “cours complet d’éducation à l’usage des jeunes filles de 10 à 15 ans” tu vois ça d’ici.
À 10h nous allons tous nous coucher […] Au lieu qu’auparavant nous nous endormions après de longues conversations… après des discussions interminables sur les tables tournantes. hein ! quelles discussions ! oh maladie !
Et puis nous étions réveillés par des fessées appliquées sur nos derrières par des pailles solides. Voici des réveils intelligents, au moins.
Dans la journée je visite la maison dans les moindres détails. Tu ne te figures pas tout ce que j’ai trouvé. Des cachettes à n’en plus finir, des murs tournants, des armoires à serrures secrètes, des chambres noires pleines de papiers les plus curieux, des caisses remplies de porcelaines anciennes… Si Trébuchet [cousin de la famille Hugo] était là quel œil louchant il ferait ! quel “épatant” il lancerait.
Quant à la bibliothèque elle est pleine de merveilles.
J’ai rangé hier toute la journée, les papiers qui remplissaient ce grand meuble noir ou nous avons fait cette découverte bizarre… j’ai trouvé dans ces papiers des autographes extraordinaires. Il y a du Corneille.
Quant aux dossiers de mon grand-père et à ses manuscrits “copeaux” etc. il y en a plein une armoire […]
Le lendemain de ton départ une tempête assez forte a éclaté ici et dure encore ce matin… Adieu mon bon vieux tigre. Mes respects à Monsieur et Madame Daudet. J’embrasse zézé. Ton ami
Georges Hugo »


Lettre autographe signée « Georges Hugo » à Léon Daudet
Hauteville-House, Guernesey, 14 juillet 1886 « Vive la République !! », 3 p. petit in-8° à son chiffre

Description de Hauteville-House l’été et jugement sévère sur sa tante et l’institutrice de sa sœur Jeanne

« […] La maison est toujours la même, un peu plus propre, plus confortable, “plus anglaise”, dans les chambres seulement. Les salons sont toujours ceux de Victor Hugo, et la vue aussi. Il fait bon, bien chaud. Le jardin est tout plein de fleurs. Nous avons seulement deux vieilleries insupportables, Silvestre et Chenay, ça m’embête de causer toujours avec un squelette et une gâteuse. Si nous étions ensemble, tout ça passerait […] Je passe ma journée sur la terrasse, ou devant les fenêtres qui donnent sur la mer. Je ne m’ennuie jamais ainsi […]
Georges Hugo »


Lettre autographe signée « ton Georges Hugo » à Léon Daudet
Hauteville-House, Guernesey, 25 juillet 1886, 3 p. in-8° à son chiffre
Petits trous en marge supérieure, sans atteinte au texte

George Hugo, empreint de spleen à Guernesey, trouve refuge dans la maison de son grand-père

« […] Je m’embête un peu depuis quelques jours, c’est tout le temps la même chose ici, quand on est seul. En dehors du temps consacré à la lecture ou au travail, je m’ennuie vraiment. je sors dans la ville ; mais j’y fait toujours la même promenade, je descends les escaliers, au bout de la rue, j’arrive au marché, je tourne à gauche et je monte lentement la grande rue. Je m’arrête à la poste et je reviens, toujours seul. Je rencontre les mêmes types. Je retrouve les filles que nous connaissions l’an dernier, mais je ne les reconnais jamais que quand elles sont passées en riant près de moi, qui ne comprends plus, et puis tous ces anglais me dégoûtent ; je trouve tout triste ; la propreté des rues, des boutiques devient monotone et agaçante. Je reviens alors très vite dans ma vieille maison, où je suis si bien. Tu m’as fait perdre l’habitude de voyager sans ami.
Ma mère attend Lockroy [Édouard Lockroy, qu’elle épousera en secondes noces en 1877], et comme il tarde à venir, elle est toute attristée. Je souhaite son arrivée le plus tôt possible […]
Il pleut aujourd’hui, une petite pluie fine et serrée, comme de la fumée, on ne voit pas le port, c’est très triste, très monotone, même pas de vent. Pas de bruit, les rues sont désertes, c’est dimanche. J’ai entendu tout à l’heure le son protestant de la cloche et puis des pas dans la rue, pendant dix minutes ; on se dépêchait d’aller à l’office, sans parler, maintenant on n’entend plus rien que la voix dure d’une femme qui chante des cantiques dans la maison d’en face, sur un harmonium […]
Au revoir, mon vieux […] envoie moi surtout des nouvelles de tes parents […] Ton Georges Hugo »


Lettre autographe signée « votre Georges Hugo » à Alphonse Daudet
Toulon, 27 août 1891, 3 p. in-12 sur papier brun

Georges Hugo demande son avis à Alphonse Daudet sur ses récents écrits

« Mon cher vieux père, je suis bien malade de cœur et d’esprit. J’ai écrit, dans mes moments de liberté, ces deux choses-là. Je vous les envoie, vous me direz franchement ce que vous en pensez. Si vous êtes content ou non, s’il y a progrès ou pas progrès […] Quand j’écris des choses drôles, ça me donne envie de pleurer et je m’arrête à la seconde ligne […]
Je mène une existence farouche et sauvage depuis un mois. Je suis très mécontent de mon individu
[…]
Quand aurai-je encore la joie de découvrir mon nom écrit de vos fines lettres pointues, au milieu de toute cette calligraphie de papas matelots au grosses mains durcies par la mer ? Je vous embrasse
Votre Georges Hugo »


Lettre autographe signée « votre Georges Hugo » à Alphonse Daudet
Toulon, 6 septembre 1891, 4 p. in-12

Georges Hugo tente de réconforter son cher vieux père puis évoque ses difficultés à écrire et son manque d’inspiration

« […] J’ai beaucoup de peine à écrire. Je suis forcé de m’enfermer, de fumer, de boire du café, des choses qui réveillent. Alors, j’ai des éclairs, des lueurs dont je profite avec fièvre, et puis des engourdissements… qui durent des semaines, ou je ne pense pas, je suis un bête […] »


Lettre autographe signée « Georges Hugo » à Léon Daudet
Toulon, 17 décembre 1893, 4 p. in-12

Allusion enamourée à Pauline Ménard-Dorian, qu’il épousera l’année suivante. De cet union naîtra Jean Hugo, qui connaîtra brillante une carrière de peintre
Le couple Georges Hugo tint l’un des salons les plus prisés de Paris, où il reçu, outre des personnalités politiques, les écrivains Marcel Proust, Émile Zola, Edmond de Goncourt, Jean Cocteau, Max Jacob etc.
La mère de Pauline Ménard Dorian, Aline, fut l’un des modèles de Madame Verdurin dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust

« […] Et puis tu as vu aussi ce qu’il y a de beau, de plus beau que tout au monde, en deux êtres qui se serrent éperdument l’un contre l’autre, qui se prennent doucement les mains et se disent des choses tout bas, les yeux dans les yeux […] Je suis tout seul maintenant, et très loin, mais je me sens si près d’elle, je la sens près de moi […]
Je t’embrasse mon frère chéri
Georges Hugo »


Lettre autographe signée « ton Georges Hugo » à Léon Daudet
Guernesey, 3 juillet [18]95, 3 p. 1/2 in-8° à en-tête de La Marcherie – Guernesey – Ile de la Manche – Angleterre

Évocation de la perte de son petit cheval, qui n’a pas supporté le trajet entre la France et l’île de Guernesey, puis de son fils Jean âgé de seulement un an

« […] Notre petit cheval, notre joli petit cheval, notre ami est mort. La pauvre bête a tellement souffert pendant la traversée, qui fut houleuse […] Heureusement que notre cher petit Jean rempli notre maison de cris de joie et d’éclats de rire. J’ai bien l’impression maintenant que nous sommes trois personnes de la même famille […] Pardonne cette lettre un peu enfantine […]
Ton Georges Hugo »


Lettre autographe signée « ton Georges Hugo » à Léon Daudet
[Mas de Fourques, près Lunel] , 8 juillet 1895, 3 p. 1/2 grand in-8° sur papier vergé bleu

Irruption de la belle famille de Georges Hugo dans son couple

« Mon bon Léon, nous voilà tout à fait installés, en plein soleil, dans notre jolie campagne. Existence paisible, charmante, et sans soucis.
Sans soucis ? Non pas pourtant, l’arrivée de mes chers beaux-parents a jeté un petit trouble. Je ne sais ce qui les gêne auprès de moi, mais ils ont l’attitude d’anarchistes chez des bourgeois. Rien n’est comme il faut. Les allusions pleuvent […]
Je t’embrasse, ton George Hugo »


Lettre autographe signée « ton Georges Hugo » à Léon Daudet
[Mas de Fourques, près Lunel] , 4 décembre 1895, 3 p. 1/2 grand in-8°

Évocations de sa vie à Mas de Fourques dans l’Hérault, enrichie de nombreuses anecdotes


Lettre autographe signée « Georges Hugo » à Léon Daudet
Cowes, île de Wight, 4 août 1898, 1 p. in-8°

George Hugo lance un appel d’urgence à son ami Léon Daudet depuis l’Île de Wight


Lettre autographe signée « ton Georges Hugo » à Léon Daudet
[Hauteville-House, Guernesey], sans date (c. 1890), 4 pp. in-8° sur papier de deuil, à son chiffre

Tempête sur Hauteville-House et évocation de l’ouvrage de son grand-père : Les Travailleurs de la mer

« Il fait une tempête abominable en ce moment.
La cloche du bout du port sonne tout le temps pour avertir les bateaux. Il est très tard et je suis seul éveillé dans la maison. Le vent souffre avec une violence extrême.
J’ai été obligé de mettre des cordes à mes fenêtres pour que les guillotines ne remontent pas – Il n’y a presque personne dans les rues. Pas un bateau dans le port […]
J’entends ici un tas de bruits terribles. Le look-out de verre, battu par le vent et la pluie, fait un fracas épouvantable. Je l’entends de ma chambre qui est au rez de chaussée […]
C’est pendant une de ces soirées là, au milieu d’une tempête comme celle-ci que mon grand-père a dû écrire les combats de Gilliatt… dans les Rocher Douvres [premier chapitre du livre sixième des Travailleurs de la mer]… C’est extraordinaire comme on est impressionnable et nerveux quand on se sent seul éveillé par ce temps-là et à cette heure de la nuit dans cette maison si pleine de souvenirs […]
Mes respects à Monsieur et Madame Daudet (à Monsieur Daudet, si vous pouviez entraîner tout votre monde ici comme nous serions heureux !).
Adieu mon bon Léon
Mon vieux crocodile (puisque tigre n’est plus à la mode)
Ton Georges Hugo »


Lettre autographe signée « votre fils Georges Hugo » à Alphonse Daudet
[paris], sans date (c. 1890), 1 p. in-12 sur “petit bleu” (télégramme)
Adresse autographe au verso
Petite déchirure en marge supérieure

Affectueuse lettre à son « bon vieux père »

« Mon bon vieux père,
Merci, merci pour jeudi, merci d’avoir pensé à nous. […]
Peut-on dire à Lucien de venir après le dîner ? Il a pour vous une adoration. Je ne sais que belle pitié il a trouvé dans votre regard ; cet enfant misérable et élégant vous a de la reconnaissance. Dites à notre chère Madame Daudet que nous l’aimons de tout notre cœur.
Je vous embrasse tendrement.
Votre fils
Georges Hugo »


Deux autres lettres à Léon Daudet, une à un destinataire inconnu et enfin deux adressées à une dame viennent conclure cet ensemble.

Georges Hugo évoquera les moments passés aux côtés de son aïeul dans un livre sobrement intitulé Mon Grand-père, livre de souvenirs, en 1902, puis réédité en 1931. Il meut à 56 ans en 1925, dans la misère et criblé de dettes.

CÉLINE, Louis Ferdinand (1894-1961)

Manuscrit autographe (fragment) pour son roman Nord
S.l.n.d [Meudon, entre 1957 et 1859], 1 p. in-4° au stylo à bille bleu
Petits trous d’agrafe

Précieux fragment manuscrit de premier jet pour son roman Nord


« 1092) et vlang ! referme la lourde ! malades ?.. je crois pas… mais au moins nous voici fixés !
– Tu comprends, la Vigue ?
-Oui !.. oui !.. ça va !
Y a plus qu’à retourner chez nous… oh, mais Léonard et Joseph ont bien biglé ! ils se foutent de nous… la queue entre les jambes et portant leur oreille”
eux veulent pas se montrer ! ils font signe que nous approchons… nous longeons l’étang… le purin… nous voici chez eux… ils nous font venir.
Alors ? je les stipule…
– Allez ! oust ! qu’est-ce que c’est ? il faut qu’on rentre ! »


Le présent fragment, folio 1092, très raturé et corrigé, présente de nombreuses variantes avec la version publiée du texte. On observe les marques d’une opiniâtre relecture ainsi que des améliorations apportées par Céline. Ce folio doit se rapporter aux séquences 19 à 33 du manuscrit final que l’écrivain présentera à l’éditeur, c’est à dire aux pages 762-1141.

Deuxième roman de la trilogie allemande, transposant sous forme romanesque les pérégrinations en Allemagne, à la fin de la guerre, de Céline, sa femme Lucette et leur chat Bébert, en compagnie de l’acteur Le Vigan, Nord fait suite à D’un château l’autre (1957). Sa rédaction va durer deux ans et demi, du printemps 1957 à la fin de 1959 ; le roman paraîtra chez Gallimard en mai 1960. C’est l’ultime écrit publié du vivant de Céline.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre autographe signée « Louis-Napoléon » à Édouard Frémy
Camden Place, 16 mars 1872, 1 p. 1/2 petit in-8° à l’encre noire
Traces de pliures dues à la mise sous enveloppe

Belle lettre d’exil du Prince impérial, en remerciement d’un ouvrage offert par son correspondant à l’occasion de son seizième anniversaire


« Mon cher Monsieur Frémy,
Je suis profondément reconnaissant du cadeau si utile et si beau que vous venez de me faire, et l’affectueuse intention qui a présidé à cet aimable don, m’a vivement touché. Croyez que c’est avec émotion que je relirai ces pages, qui comme vous le dites si bien, sont faites pour nous consoler, et nous faire espérer en un meilleur avenir.
C’est le cœur rempli d’une vive gratitude, que je vous prie d’agréer l’expression sincère de mes sentiments affectueux.
Louis-Napoléon »


Historien et ancien diplomate, Édouard Frémy (1843-1904) resta un fidèle de la famille impériale. Si l’on ignore de quel ouvrage il est ici question, il est peu de doute qu’il soit en l’honneur du Second empire.
L’année 1872 fut de relative quiétude pour le Prince impérial. Il est admis le 17 novembre à l’Académie militaire royale de Woolwich, après avoir passé l’examen d’entrée (27e sur 30) avec son ami Louis Conneau. Il se destine à l’artillerie, arme où débuta son grand-oncle. Sa carrière militaire est lancée.

COLETTE, Sidonie Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Votre Colette » au couple Guillermet
S.l, [15 avril 1946], 2 p. in-8° oblongues à l’encre bleue sur papier bleu ciel
Trace de pliure centrale due à la mise sous enveloppe
Marge inférieure inégalement rognée de la main de Colette, comme elle en avait l’habitude

Colette regrette de ne pouvoir faire parvenir son dernier roman L’Étoile Vesper à ses amis du Beaujolais


« Mes chers Guillermets, cela fait mal et bien de lire une lettre comme celle de Made[leine] !
Venir ? impossible maintenant. En juin il va falloir que j’aille à Uriage1, car je souffre vraiment un peu trop. On dit tant de bien de la nouvelle forme de traitement. Sept agneaux… Trente ans de mariage… Violettes et rosiers…
Je m’émeus devant votre féerie familiale et familière. Ne m’attendrissez pas trop ! Si au moins mon livre (L’étoile Vesper) avait paru à temps2, vous l’auriez eu pour votre anniversaire. Mais je ne l’espère pas avant septembre ou octobre. Et me voilà les mains vides. C’est vous qui toujours les emplissez.
Je vous embrasse. Ne me gâtez pas trop, anges donateurs que vous êtes !
Votre Colette »


1- La station thermale d’Uriage-les-Bains, dans l’Isère, où Colette se fera soigner d’une arthrite aiguë.

2- L’ouvrage paraît finalement le 3 novembre 1946 aux Éditions du Milieu du monde, à Genève.

La critique apprécie unanimement L’Étoile Vesper. Sous-titré au départ « Souvenirs », Colette se livre discrètement, au long de fragments soigneusement montés, intégrant quelques textes antérieurs. « L’Etoile Vesper est à mettre au tout premier rang, à côté du chef-d’œuvre La Maison de Claudine. L’Etoile Vesper c’est le parfait chef-d’œuvre de style, de sensibilité et de raison, l’âge venu » (Émile Henriot de l’Académie française, Le Monde, 29 octobre 1947).

Humaniste et philanthrope, Jean Guillermet (1893-1975) s’est évertué toute sa vie à faire connaître le Beaujolais. Il édite entre autres un Almanach annuel vantant les qualités de ce terroir et notamment son vin. Colette fait la connaissance de Madeleine, épouse de Jean Guillermet, à l’été 1943. Madeleine invite aussitôt Colette à séjourner dans sa demeure de Limas située près de Villefranche-sur-Saône, au cœur des vignobles beaujolais. C’est donc très naturellement que Colette, grande épicurienne et amatrice de bons vins, se lie d’amitié avec le couple Guillermet. Ils entretiennent une relation épistolaire régulière, jusqu’à la mort de l’écrivain, en 1954.

[HUGO] QUINET, Alexandre (1836-1900)

Photographie originale de Victor Hugo par Alexandre Quinet
[Veules-les-Roses, c. 1882], 11,8 x 16,4 cm
Épreuve albuminée d’époque contrecollée sur carton fort jaune
Quelques petites salissures, contrastes légèrement passés

Ce tirage est resté dans la famille Meurice jusqu’en 2023

Beau portrait de Victor Hugo à Veules-les-Roses chez son ami Paul Meurice, seul tirage d’époque


Ce portrait peut être daté de l’année 1882. Le poète est alors âgé de 80 ans. Malgré le grand âge, la pose est à la fois pleine d’énergie et de dérision. Hugo, la barbe blanche et les bras croisés, y figure plus que jamais en patriarche inébranlable.

La maison de Paul Meurice était située sur le littoral de Veules-les-Roses, en Normandie. Lors de ses séjours chez son ami, Victor Hugo loge en contrebas de la maison dans un petit pavillon, directement attenant à la plage. La présente prise de vue se situe sur la promenade longeant l’escalier de ce même pavillon.

Romancier et dramaturge français, Paul Meurice (1818-1905) est l’un des fidèles de Victor Hugo. À la mort de ce dernier, Meurice et l’autre grand ami, Auguste Vacquerie, sont nommés comme ses exécuteurs testamentaires. En 1902, Meurice s’adonne à constituer une collection autour de son ami (dessins, manuscrits, photographies) en vue de l’ouverture au public de sa maison, place des Vosges, à Paris, inaugurée le 30 juin 1903.

Tampon du photographe au verso : Adre Quinet / Photographe / 42 rue Cadet, Paris

PIAF, Édith (1915-1963)

Lettre autographe signée « Édit Piaf » à un ami
Paris, le 6 juin 1946, 1/2 p. in-4° à son en-tête pelliculé
Traces de pliures d’époque, annotation « à classer » d’une autre main

Savoureuse déclaration de la chanteuse sur sa situation amoureuse


« Cher ami,
Je vous souhaite dans la vie d’être aussi heureux que je le suis en ce moment, même avec un homme qui ne m’aime pas !
Edith Piaf »


La Môme fait-elle allusion à Jean-Louis Joubert (directeur des Compagnons de la chanson), avec lequel elle sera en couple jusqu’en 1948 ? Cette lettre n’est toutefois pas sans rappeler une réplique de la pièce de Jean Cocteau Le Bel indifférent, monologue en un acte créé en 1940 au théâtre des Bouffes-Parisiens par Édith Piaf et Paul Meurisse. Édith Piaf y interprète le rôle féminin face à un amoureux distant, à la scène comme à la vie…

PIAF, Édith (1915-1963)

Contrat original signé « Édit Piaf » et « Bruno Coquatrix »
Paris, le 29 février 1956, 1 p. 1/2 in-4°
Paraphé « B. C. » par Coquatrix sur la première page
Petites taches, traces de pliures d’époque, infimes manques sans atteinte au texte

Le mythique contrat original signé entre Édith Piaf et Bruno Coquatrix pour l’Olympia 1956


C’est pour la chanteuse la deuxième saison dans le fameux théâtre dirigé par Bruno Coquatrix. Elle y effectue trois autres séries de dates, en 1958, 1961 et 1962, et bien qu’à bout de forces, permet ainsi de sauver l’Olympia de la faillite.

C’est avec Piaf que le mythe de l’Olympia prend forme dès le milieu des années 50
Son image est ainsi devenue indissociable de la salle parisienne.

Le présent contrat fait figurer les conditions mirobolantes accordées à la chanteuse, alors au sommet de sa carrière, pour ses représentations à l’Olympia 1956.
On peut ainsi voir qu’elle bénéficie d’un cachet de 300.000 Frs par jour (une somme considérable pour l’époque) et ce, pour une durée de trois semaines.
Outre le fait qu’elle dispose de l’orchestre complet du théâtre, elle est surtout accompagnée de ses propres musiciens et bénéficie, avant chaque représentation, de trois heures de répétition avec les meilleurs équipements. En outre, toute première partie est préalablement soumise l’appréciation d’Édith Piaf.

L’autre caractéristique du théâtre, reconnaissable entre mille, est son enseigne lumineuse sur sa devanture. Ainsi, comme le stipule le contrat, la chanteuse verra son seul nom affiché sur deux lignes durant toute la durée de ses représentations.

C’est avec ses titres L’Homme à la moto, Hymne à l’amour ou encore Les Amants d’un jour qu’elle immortalise sa tournée olympienne en cette année 1956.

PIAF, Édith (1915-1963)

Pièce autographe signée « Édit Piaf »
[Paris], 23 mai 1956, 1 p. in-8° à l’encre turquoise, à en-tête du Théâtre de l’Olympia

Édith Piaf renseigne sa fiche signalétique la veille de sa première représentation à l’Olympia pour l’année 1956


La chanteuse, qui était alors en couple avec Jacques Pills (alias Roger Ducos) et avec qui elle divorce la même année, renseigne également son nom de jeune fille : Gassion.
Il s’agit de sa deuxième série de représentations dans la salle de l’Olympia, qui devait durer trois semaines, à compter du 24 mai 1956. Elle contribua largement à forger le mythe du célèbre théâtre dans les années 50.

Le 67, boulevard Lannes fut son dernier domicile. Elle y résidât de 1953 jusqu’à sa mort, dix ans plus tard.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
[Paris] 102 b[oulevar]d Haussmann, 1er février 1915 (cachet postal), 4 p. in-8° à l’encre noire sur bifeuillet vergé
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée jointe
Anciennes traces de trombone en marge supérieure de la première page et de l’enveloppe

Empreint d’affliction, Proust préfère souffrir au lit plutôt que de mener une « vie facile » et pense aux soldats mobilisés au front


« Chère Madame,
J’ai toujours cru chaque soir être en état de sortir le lendemain. Et, depuis octobre j’ai pu me lever une fois et à minuit seulement1, c’est à dire sans possibilité de vous voir. Si j’avais cru être aussi incapable de bouger, je vous aurais écrit plus tôt. Mais je ne voulais pas vous répondre qu’il m’était impossible de fixer d’avance un jour (mes crises étant si imprévues), parce que j’espérais que cela allais devenir possible. L’expérience du passé ne m’a pas découragé d’espérer un avenir qui ne lui ressemble pas. Et même maintenant, au moment où je vous écris cette lettre, j’espère encore qu’une chance me permettra de vous la porter.
En attendant, je ne cesse de penser à vous. Je mets tout mon espoir dans votre fils2 et je pense que, seule au monde, sa faiblesse aura la force de vous aider à porter votre croix. Tout ce que vous me dites du frère que vous avez perdu et que je ne savais pas rend mon chagrin plus vif encore, en me faisant mieux imaginer votre désespoir3. Mais la décision de votre plus jeune frère me navre4. Je l’admire. Mais j’aurais préféré que sa douleur se consacrât à la vôtre au lieu de l’accroître d’une telle angoisse.
En attendant qu’on se décide à me faire passer un conseil de contre-réforme qui ne saurait, je crois, tarder, je bénis la maladie de me faire souffrir, car si cette souffrance ne sert à personne, du moins elle m’évite celle plus grande que me donnerait le bien-être, la vie facile, pendant que souffrent et meurent tous ceux que ma pensée ne quitte pas.
Quand vous aurez le temps de dicter pour moi une une ligne où vous me diriez “mon frère va bien et est moins exposé, mon, fils va bien, j’ai du courage”, vous rendrez bien heureux votre respectueux admirateur.
Marcel Proust »


[1] Proust est allé ce soir-là à minuit chez Mme Edwards, ainsi qu’il le dit dans une lettre à Lucien Daudet envoyée la veille au soir.

[2]  André Carolus-Duran (1902-1972), fils de Marie Scheikévitch

[3] Il s’agit d’un des frères de Mme Scheikévitch, Victor Scheikévitch (1885-1914), avocat à la Cour, parti comme sous-lieutenant au 103e régiment d’infanterie, tombé, peu de jours après avoir été proposé comme capitaine, le 15 septembre 1914, à Tracy-le-Val

[4] Ici le plus jeune frère Mme Scheikévitch, Valentin Scheikévitch ; parti comme médecin major d’un bataillon de chasseurs cyclistes, rattaché en cours de route à l’état-major du général Lanrezac, il venait sur sa demande d’être envoyé en première ligne comme médecin-major du 2e bataillon d’infanterie (division Mangin). Il devait être cité à Neuville-Saint-Vaast.

Proust et la guerre :

Cette lettre fait directement suite à celle envoyée à Marie Scheikévitch trois semaines plus tôt, le 9 janvier. Proust avait alors appris avec effroi la mort de Victor Scheikévitch, frère cadet de sa correspondante, tué au front aux premières heures de la guerre. Il se désole ici de savoir le plus jeune frère, Valentin Scheikévitch, mobilisé à son tour.
Lorsque la guerre éclate, l’écrivain est en pleine rédaction de la suite de Du côté de chez Swann (qui avait paru en novembre 1913). Lui qui n’est pas appelé sur le front à cause de la maladie suit le déroulement du conflit depuis son appartement parisien du 102 boulevard Haussmann. La guerre, on le sait, aura une incidence directe dans le déroulé de son roman. Il fait ainsi de l’église de Combray un observatoire allemand, qui sera détruite par les Français et les Anglais.

Proust est à l’arrière tout le temps du conflit, en première place pour étudier les comportements de la société qu’il fréquente pendant la guerre. Il lit sept journaux par jour, (…) la guerre est une préoccupation constante“, (Nathalie Mauriac Dyer)

Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :

Fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896, Marie Scheikévitch (1882-1964) est dépeinte par George D. Painter comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, Anna de Noailles, Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, et bien d’autres encore.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unit Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’ils se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. S’en suit une correspondance qui dure jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connaît que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvre les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait de personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, Marie Scheikévitch se dépense beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle juge les plus capables de l’aider. C’est elle qui le recommande à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois à la veille de la publication de Swann. C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

JAURÈS, Jean (1859-1914)

Manuscrit autographe signé « Jean Jaurès »
[Paris], c. 1er avril 1905, 12 p. in-4°
Petites taches, trous d’épingle, annotations typographiques au crayon bleu par un prote

Manuscrit complet d’un article relatif à la célèbre loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, paru en une de L’Humanité du 2 avril de la même année, à quelques jours des décisifs débats à la Chambre des députés


« Plusieurs groupes républicains se préoccupent des moyens d’assurer le vote rapide de la loi de séparation des Églises et de l’État. Il en est deux et qui sont décisifs. Le premier c’est de proclamer que la majorité républicaine est résolue à aboutir, quelle n’ira en vacances qu’après le vote complet de la loi qu’elle siégera s’il est nécessaire, jusqu’au 1er mai, date de l’ouverture des conseils généraux, tous les jours et deux fois par jour.
Le second c’est de tenir ferme, comme centre nécessaire de ralliement, au texte sur lequel la commission et le gouvernement seront d’accord. Hors de là, il n’y a que chaos, impuissance, avortement. Il n’est point inutile que des contre-projets et des amendements multiples aient été déposés. Ils permettent à la commission de se rendre un compte plus exact, sur quelques points, des préoccupations de la Chambre […]
Ceux qui à cette heure proposent de soumettre toute la loi à une hâtive délibération des groupes de gauche commettent une singulière erreur de méthode. La délégation des gauches au eu compétence pour donner à l’action politique du Parlement une impulsion générale. Elle n’a pas qualité pour résoudre, en quelques heures, les difficultés d’application que soulève un problème aussi complexe que la séparation. Ce problème, la majorité républicaine de la commission l’a étudié à fond. Les divers auteurs d’amendement ou de contre-projets cèdent à une illusion bien naturelle quand ils s’imaginent apporter une solution nouvelle […] Tout ce qui tiendrait maintenant à affaiblir, à dessaisir moralement la commission, à ébranler les bases de son travail serait funeste. Et qui donc pourrait se flatter d’improviser en quelques séances de délégation un projet à l’abri de toute critique ? On n’aboutirait qu’à infirmer le projet de la commission sans être en état d’en construire un autre. Tous les systèmes se déchaîneraient et aussi toutes les intrigues. Encore une fois, il n’y a désormais pour la majorité républicaine, qu’un moyen d’aboutir. C’est de rester groupée autour de la commission à qui elle avait donné mandat. Tout autre méthode n’aboutira qu’à la dispersion, l’incertitude et le néant.
Jean Jaurès »


La loi de Séparation de l’Église et de l’État, mesure emblématique de la IIIème République, doit énormément à l’action des socialistes. Trois d’entre eux ont particulièrement contribué à la conception, à l’inflexion démocratique, et à l’adoption de la loi en décembre 1905 : le jaurésien Aristide Briand, qui en fut le rapporteur émérite, le manœuvrier qui a mené la Commission des trente-trois où il voulait la conduire, Francis de Pressensé, l’inspirateur, l’initiateur du processus législatif, et le député du Tarn, Jean Jaurès, le chef reconnu,qui a montré la voie et est intervenu dans les moments décisifs.
Durant les trois mois et demi que durent les discussions à la Chambre des députés, de la mi-mars jusqu’aux premiers jours de juillet 1905, les 44 articles de la loi de Séparation sont discutés durant 48 séances et 289 amendements sont déposés et examinés, de février à juillet 1905.

[VERLAINE] MALLARMÉ, Stéphane (1842-1898)

Souscription autographe signée à l’attention d’Emmanuel Signoret
S.l.n.d [1892], 1 p. in-8° oblongue
Traces de pliures d’époque

Mallarmé souscrit à Liturgies intimes, le recueil poétique de Verlaine paru en 1892


Après avoir renseigné son nom et son adresse postale parisienne, Mallarmé rajoute en vertical, à la marge droite, que lui soit envoyés « 3 bulletins pour 3 souscripteurs », puis signe de son élégant monogramme « S.M »


Au début de 1892, à une époque où Verlaine traine sa misère d’hôpital en hôpital, un groupe de jeunes poètes catholiques, sous la direction d’Emmanuel Signoret, lance une revue, Le Saint Graal, avec un manifeste qui se revendique de Dante, Pascal, Chateaubriand, Lamartine, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Ernest Hello, Villiers de l’Isle-Adam et Verlaine. A cette revue est associée une officine d’édition, La Bibliothèque du Saint Graal. Le premier numéro de la revue parait le 25 janvier 1892, et le premier volume publié par la Bibliothèque du Saint Graal est l’édition originale de Liturgies intimes de Verlaine.

Le 29 février 1892, Verlaine, qui sollicite souvent Mallarmé (et bien d’autres), lui écrit :
« Cher ami,
Vous n’ignorez pas sans doute qu’une souscription, etc. (bulletin ci-joint)…
Tâchez moyen, n’est-ce pas, et si fonds, envoyez à moi. Plus court. Enverrai noms à Signoret. […], Paul Verlaine »

Mallarmé souscrit donc via le bulletin envoyé par Verlaine, et fait sans doute souscrire d’autres amis.

Avec Sagesse, Amour et Bonheur, Liturgies intimes complète l’œuvre catholique de Paul Verlaine et achève ainsi sa période de rédemption post-rimbaldienne. Tiré à 375 exemplaires, le recueil s’ouvre sur « À Charles Baudelaire », dont on sait que Verlaine a nourri une admiration indéfectible toute sa vie durant.
Une deuxième édition du recueil voit le jour l’année suivante, chez Vanier.

L’amitié entre les deux poètes, scellée dès 1866, n’est donc pas récente. Le jeune Verlaine fait parvenir ses Poèmes saturniens à Mallarmé. Ce dernier lui fait cette réponse demeurée célèbre : « À présent je n’aurai pas le courage de vous réciter tous les vers que je sais par coeur des Poëmes saturniens, aimant mieux, tant que je suis hors de moi encore, me suspendre à la volupté qu’ils m’en donnent que de l’expliquer »

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée « Mesrine Jacques » et « ton viejo » en fin de lettre, à sa maîtresse et complice Jeanne Schneider
Prison de Fleury-Mérogis, 27 septembre 1976, 2 pp. in-4° d’une écriture très serrée

Mesrine évoque les tracas familiaux puis, après quelques blagues graveleuses, fait une troublante allusion à sa mort prochaine


« Nanou d’amour,
Bonsoir petite fille. Ce soir ta lettre n°2 avec celles de Mury. J’espère que ta figure a eu pour effet de faire disparaître tes boutons… bien que j’en doute. C’est un empoisonnement que tu as eu, avec toute cette charcuterie pas étonnant. La bouffe est acceptable, mais moins bonne qu’à la [prion de la] Santé. Pas assez de viande saignante ici. Cela ne vaut la gamelle du chef… côtes d’agneau et petit rosé.
Au sujet de l’appartement de Clichy. Oui ma puce il y aura la télé. Si le poste n’y est plus je t’en ferai mette un OK. N’oublie pas que tu auras pour voisine madame Lauga qui est venue à l’auberge. Je suis certain qu’elle sera très gentille avec toi. Elle fait partie des gens sincères.
Mury me donne l’impression d’être plus calme et surtout plus raisonnable que Sabrina. Je viens juste de recevoir un télégramme de madame Sacazan me disant qu’elle ignore ou est Sabrina. Car je lui avais donné l’ordre de retourner chez Sacazan en attendant les évènements. J’ai l’impression que la môme est en « cavale ». Mon ange, ne la plaint pas cette fois. C’est une petite vacherie qui va apprendre le respect de certaines choses à ses dépens. La période des cadeaux est terminée. J’attends demain, le parloir avec ma mère, pour savoir si elle a été à ses cours. Si elle a déserté aussi sur l’école – je sais où la retrouver sans grand problème. Quel dommage qu’elle n’ait pas voulu comprendre – avec l’aide que je lui avais apportée, elle pouvait tout reprendre à zéro… « non » elle a préféré continuer son merdier. Enfin… n’en parlons plus pour ce soir. Tu me parles du cadeau que tu voudrais me faire pour notre mariage, c’est moi qui en ferai l’achat. Tu peux me faire confiance elle seront dans le pas mal ! mais nous avons le temps ! il faut avant que mon divorce soit prononcé. Normalement le juge vient le 6 oct. Là je serai à peu près fixé sur la date de ma « liberté »… il faut être fou pour la perdre à peine acquise… as-tu réalisé la peine que tu allais faire aux autres nanas, qui espéraient…
Je sais « à la vache » ! que veux-tu ma belle ! le mariage va faire tomber ma côte en bourse !! le vieux tigre piégé. C’est pas sérieux. Oui tu m’as eu ! tu n’auras pas de mal à me garder fidèle et dans vingt ans pour la nuit de noces Popole et les deux orphelines risquent d’être dans l’état de « Ramsès II »…  Il leur faudra un passage au Louvre pour la remise en état de marche. Je peux toujours les faire momifier pendant qu’elles sont encore présentables… Tu vas me dire qu’avec le progrès je pourrai toujours m’en faire greffer une de jeune étalon… pour satisfaire la vielle jument que tu seras devenue ! Rigole ma puce, c’est ça que j’ai voulu tirer de tes lèvres « un sourire ». Il faut bien rire un peu… il ne me reste que vingt ans à faire ! sauf si comme me l’a prédit il y a plus de 26 ans une femme… je dois casser ma pipe avant 40 ans. Il faut que la mort se dépêche car dans trois moi le cap sera passé. Tu n’auras pas cette chance de conserver ton célibat. Petite fille ton « Z ‘eune » « Z’époux » te bise et re-bise avec amour sur tout ce qui est toi… donc à moi. Je t’adore ça c’est nouveau !! Bonne nuit chaton x
Ton viejo »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider en 1968. Elle est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leurs activités criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat).
Rentrée en France pour purger sa peine à Fleury-Mérogis au début de 1973, Jeanne apprend que Mesrine vient d’être arrêté à Boulogne-Billancourt et condamné à 20 ans de prison. Les deux amants entretiennent dès lors une correspondance amoureuse. Fatiguée de cette vie de gangster, Jeanne Schneider fini par se ranger et rompre alors que lui est toujours en prison. Mesrine ne s’arrête pas, condamne avec acharnement ses conditions de détentions et s’évade. Il tombe sous les balles de la BRI après 16 mois de cavale, le 2 novembre 1979, à l’âge de 42 ans.

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée en-tête « J. Mesrine » et « Bibi » en fin de lettre, à sa maîtresse et complice Jeanne Schneider
[Prison de Saint-Vincent de Paul, Québec], 9 août [19]72, 2 pp. in-8°

Tendre lettre de prison de « l’ennemi public numéro 1 » à sa maîtresse Jeanne Schneider, quelques jours avant sa rocambolesque évasion


« Janou chérie,
J’ai reçu ta lettre du 5 aujourd’hui ce qui est normal, la préposée au courrier a fait un petit effort ! espérons que cela va continuer?
A part cela petite fille toujours la même vie, avec les mêmes gens et le même spectacle !
On ne peut pas dire que cela rempli une vie, ni enrichi le cerveau ! Mais comme nous ni [sic] pouvons rien… eh bien ! il nous faut accepter la chose. Tu me dis que [Me Raymond] Daoust [l’un des plus grands criminalistes de l’époque] disait que sur 106 accusés de meurtre il a eu 100 acquittements. Ce n’est pas cela qu’il voulait dire car il a eu dans toute sa carrière peut-être 15 ou 20 acquittements, le reste c’était des changements d’accusation c’est à dire de meurtre. Il faisait tomber cela à homicide involontaire ! ce n’est déjà pas si mal… si le gars est coupable mais qui n’arrange rien si le gars est innocent comme nous. Enfin c’est la vie mon ange !
Cette semaine je dois passer mes radios… le cœur et les poumons… peut-être que sur ma radio du cœur ils verront inscrit le mot “janou” et me diront que c’est pour cela qu’il bat trop fort !! malgré que ton bibi sait autant contrôler ses sentiments que ses émotions !
J’espère que la maman de notre petite Fréda va mieux mais si comme tu le dis elle a le cancer, il n’y a plus rien à faire !… notre tour viendra aussi… c’est la vie de mourir. En attendant je suis bien vivant et je pose de gros bécos d’amour sur ta bouche de voyouse !
J’ai reçu une carte de Sabrina je te la fais parvenir. Je t’aime châton
Bibi »


Jacques Mesrine rencontre Jeanne Schneider au sortir de son divorce avec Maria de Soledad. Jeanne est une call-girl, dont les souteneurs ont été abattus par Mesrine, selon ses dires. Après plusieurs larcins commis en Europe, ils fuient au Québec et poursuivent leur activité criminelles. Ils passent plusieurs années en prison, et ce malgré l’acquittement du couple suite au meurtre d’Évelyne Le Bouthilier (patronne d’un motel à Percé où le couple Mesrine-Schneider avait résidé le soir de l’assassinat). Mesrine s’évade de la prison de Saint-Vincent-de-Paul avec cinq autres détenus dont notamment Jean-Paul Mercier, le 21 août 1972.

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » [à Albert Lacroix]
Paris, 13 sept[embre] 1867, 2 pp. in-8° à l’encre noire, en-tête de la Librairie Internationale
Annotation « Zola » (d’époque et à l’encre noire) d’une autre main, petits manques en marge inférieure affectant une lettre, fentes aux plis, discrètes réparations au papier Japon

Remarquable lettre du tout jeune Zola, quelques semaines avant le lancement de Thérèse Raquin, qui le fit connaître du grand public Exprimant un besoin financier pressant, l’écrivain n’en caresse pas moins de hautes ambitions pour le succès de son ouvrage

C’est dans cette même lettre que Zola annonce pour la première fois le titre définitif du livre


« Cher Monsieur,
Si je ne vous ai pas envoyé les numéros de L’Artiste
¹ qui contiennent mon roman, c’est que M. Guérin [employé de la Librairie Internationale] m’avait assuré que vous deviez avoir ces numéros à Bruxelles. Aujourd’hui encore, il me dit que votre maison de Paris vous les enverra, si vous ne les avez pas. Donc je ne m’inquiète pas de ce détail. Quant au titre, il sera d’autant meilleur, selon moi, qu’il sera plus simple. L’œuvre s’intitule dans L’Artiste : Un Mariage d’amour, mais je compte changer cela et mettre : Thérèse Raquin, le nom de l’héroïne. Je crois que le temps des titres abracadabrants est fini et que le public n’a plus aucune confiance dans les enseignes. D’ailleurs, la question du titre n’en sera pas une. Je vous avoue que j’ai besoin d’argent et que je préférerai vous vendre la propriété de l’œuvre pour un certain nombre d’années, si vous croyez pouvoir m’offrir une somme raisonnable. Dans le cas où vous ne voudriez pas acheter l’œuvre, je vous demanderais le douze pour cent sur le prix fort, payable le jour de la mise en vente. Je tiens surtout à éviter les ennuis qui se sont produits au sujet de La Confession de Claude [son deuxième ouvrage, publié également chez Lacroix deux ans auparavant]. Il est préférable que la question d’argent soit réglée sur-le-champ entre nous, sans avoir besoin de recourir plus tard à des inventaires.
Veuillez, chez Monsieur, me donner une réponse définitive au plus tôt. Je tiens à ce que ce livre paraisse en octobre. Prenez connaissance de l’œuvre, laissez-moi choisir un titre bien simple
², et faites-moi à votre tour vos conditions. Dites-moi combien vous me donneriez pour la propriété de l’œuvre pendant un nombre fixé d’années. L’affaire peut être conclue en quelques jours, et c’est ce que je désire.
En deux mots, voici le sujet du roman : Camille et Thérèse, deux jeunes époux, introduisent Laurent dans leur intérieur. Laurent devient l’amant de Thérèse, et tous deux, poussés par la passion, noient Camille, pour se marier et goûter les joies d’une union légitime. Le roman est l’étude de cette union accomplie dans le meurtre ; les deux amants en arrivent à l’épouvante, à la haine, à la folie, et ils rêvent l’un et l’autre de se débarrasser d’un complice. Au dénouement, ils se suicident. L’œuvre est très dramatique, très poignante, et je compte sur un succès d’horreur.
Une prompte réponse, je vous prie.
Votre dévoué
Émile Zola »


1- Revue hebdomadaire illustrée (de 1831 à 1904), réputée pour avoir publié des estampes et des écrivains de qualité. Le roman, d’abord intitulé Un Mariage d’amour, avait préalablement été publié en feuilletons dans la revue.

2- Le 9 novembre 1867, A. Lacroix et Verboeckhoven, libraires-éditeurs, préviennent Zola qu’ils ont le bon à tirer du titre et de la couverture de Thérèse Raquin, ajoutant : « Nous avons supprimé le mot étude qui était, d’après nous, du plus mauvais effet sur la couverture et qui, d’un autre côté, aurait pu faire tort au volume, en ce sens qu’il pouvait faire croire que votre volume était une œuvre aride et trop sérieuse et éloigner par là toute une catégorie de lecteurs. En tout cas, ce sous-titre nous a paru inutile ; n’est-ce pas votre avis aussi ? »

Le jeune Zola, alors âgé de 27 ans, laisse ici déjà entrevoir l’assurance qu’on lui connaîtra par la suite, celle d’un écrivain assez certain de son œuvre. Il n’en demeure pas moins dans le besoin, qu’il explicite sans détour à Lacroix, connu notamment pour avoir été le premier éditeur des Misérables.

« Je crois que le temps des titres abracadabrants est fini… »
L’encrage qu’implique le choix pour Zola d’appeler le livre Thérèse Raquin tend à effacer l’étape de la parution en feuilleton dans L’Artiste. L’écrivain flatte l’éditeur et définit en quelque sorte la seconde naissance du roman. Ce sens du titre, que Zola est déjà en train d’affiner, deviendra plus tard l’un de ses grands talents, accordant une importance décisive à cette amorce signifiante.

« L’œuvre est très dramatique, très poignante, et je compte sur un succès d’horreur »
En résumant l’histoire en fin de lettre, Zola nous montre qu’il est toujours très scrupuleux à s’adapter aux préférences du destinataire. Il insiste sur l’intrigue, la portée dramatique, la dimension psychologique, et enfin les innovations stylistiques. Il fait de l’hypotypose sa marque de fabrique aux moments clefs. Zola est à cette époque le seul porte-drapeau du naturalisme, courant littéraire succédant au réalisme, qu’il expose trois ans plus tôt dans sa célèbre missive à Anthony Valabrègue au moyen de la célèbre métaphore des trois écrans. Les effets de lecture qu’assure Zola sont donc ici des données aisément convertibles en termes de succès éditorial.

Thérèse Raquin est conspué par la critique, notamment par Louis Ulbach qui publie dans Le Figaro une violente charge intitulée « La littérature putride ». Le succès est toutefois au rendez-vous et Zola devient connu du grand public. Sa carrière de romancier est définitivement lancée…

NAPOLÉON III (1808-1873)

Lettre autographe signée « N » à son épouse l’impératrice Eugénie
[Camden Place, Chislehurst], le 2 août [1872], 1 p. 1/2 in-8° à en-tête de la résidence d’exil de la famille impériale
Traces de pliures d’époque, infimes rousseurs sur le second feuillet, petite fente en marge supérieure de la pliure centrale
Légère décharge d’encre de la deuxième page et sur la page opposée témoignant d’un pliage de Napoléon III alors que l’encre n’était pas encore sèche.
Filigrane “Joynson 1872”

Tendre lettre à son épouse l’Impératrice, en voyage en Écosse avec leur fils unique le Prince Impérial


« Ma chère Eugénie. Je te remercie de ta lettre du 31 juillet. Je suis bien heureux de savoir que ton voyage te plaît, que Louis [leur fils, le Prince Impérial] va bien et que vous êtes bien reçus. Tous les matins je sais par le Times ce que tu as fait la veille. Cela est très agréable.
Ici rien de nouveau […] Camden est bien triste, le temps redevient froid […]
Je serai bien content de te revoir ainsi que Louis, car votre absence laisse un grand vide et quoiqu’habitant sous le même toit nous nous voyons peu, , il est toujours bien doux de sentir près de soi ceux que l’on aime.
Je t’embrasse tendrement.
N
J’embrasse Louis aussi bien tendrement »


L’impératrice Eugénie et son fils unique le Prince Impérial sont en voyage en Écosse à l’été 1872. Eugénie est, par sa mère, d’ascendance écossaise. Cette dernière, de son nom complet María Manuela Kirkpatrick de Closeburn y de Grévignée, aristocrate d’origine écossaise et belge, est la fille de l’écossais William Kirkpatrick qui fut nommé consul des États-Unis à Malaga, et la nièce du comte Mathieu de Lesseps.

MONTIJO (de), impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à un destinataire inconnu
[Camden Place, Chislehurst], 4 février [18]73, 1 p. 1/2 in-8° sur bifeuillet de deuil à en-tête de la résidence d’exil de la famille impériale
Ancienne trace de trombone, trace de pliure centrale d’époque

Émouvante réponse de l’impératrice aux condoléances à elle adressées suite à la mort de l’empereur Napoléon III, survenue moins d’un mois plus tôt


« Je suis bien sensible à votre sympathie et aux regrets que vous m’exprimez pour celui que nous pleurons et je vous remercie de reporter sur mon fils [le Prince Impérial] l’attachement que vous lui aviez voué. Croyez à tous mes sentiments.
Eugénie »


Le 9 janvier 1873, à 10h45, Napoléon III meurt à l’âge de soixante-quatre ans, dans sa résidence de Camden Place. Près de soixante mille personnes, dont un dixième de Français comprenant une délégation d’ouvriers conduite par Jules Amigues, viennent se recueillir devant le corps et participent à l’inhumation, le 15 janvier 1873, à Chislehurst. Par la suite, sa veuve, Eugénie de Montijo, lui fait construire un mausolée à l’abbaye Saint-Michel, qu’elle a fondée en 1881. A ce jour, le couple y repose aux côtés de leur fils unique, le prince impérial Louis-Napoléon, tué à l’âge de vingt-trois ans lors d’une patrouille lors la guerre anglo-zouloue.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
[Paris], 9 janvier 1915 (cachet postal), 4 p. in-8° à l’encre noire sur bifeuillet vergé
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée jointe
Anciennes traces de trombone en marge supérieure
« R » de la main de Marie Scheikévitch sur l’enveloppe pour « Répondu »

Bouleversante démonstration d’affliction de l’écrivain suite à la disparition du frère de sa correspondante, tué sur le front aux premières heures de la guerre – Marcel Proust évoque ensuite son frère Robert, mobilisé en tant que médecin sur « la ligne de feu »


« Madame,
Je ne savais rien ! Je ne me doutais de rien. Je pensais, comme toujours, bien souvent à vous, j’y avais pensé dans les grands chagrins qui ont accablé pour moi l’été dernier, qui furent vraiment mon “avant guerre”1, puis depuis la guerre ou le cœur angoissé rassemble, même à soi les êtres préférés. Et puis, avant-hier, dans un journal j’ai vu une liste des membres du barreau… et ce nom ! J’ai eu un affreuse terreur mais j’espérais que c’était un même nom2. Et maintenant je sais. Je sais que vous, l’être entre tous que je voudrais épanoui dans la plus noble joie, que cet être-là a le cœur brisé, ma pensée ne se détache pas de cette idée, en souffre, voudrait s’en détacher et y revient encore comme on fait, comme on souffre, cent fois le mouvement qui fait le plus mal. C’est sans doute ce jeune homme que j’avais entrevu chez Larue3 ? Que j’aimerais vous voir, je suis tellement triste de votre douleur que ma compagnie ne serait une contrainte ni pour vous ni pour moi. Moi aussi j’ai un frère sur la ligne de feu, les obus allemands ont traversé tout une journée son hôpital pendant qu’il opérait, tombant sur la salle d’opération. Il est maintenant en Argonne. Moi j’ai le conseil de contre-réforme à passer et ne sais pas si je serai pris ou non. Je mets tout mon espoir en votre fils pour mettre la douceur de sa tendresse et de son charme comme le seul apaisement sur votre détresse4. Croyez que je ne cesserai plus de penser à vous avec une tristesse, une affection, un respect infinis.
Marcel Proust »


1 – Allusion au titre de l’ouvrage de Léon Daudet paru en 1913.

2 – Allusion, semble-t-il, à la notice parue dans L’Intransigeant du 5 janvier 1915, p. 2, à la rubrique Nos Échos : « Au Palais, dans le vestibule qui précède la Bibliothèque de l’Ordre, le bâtonnier, Me Henri-Robert, vient de faire placer un tableau dont le cadre noir est entouré de drapeaux tricolores. C’est celui des membres du Barreau morts au champ d’honneur.
Quarante noms, quarante, déjà ! y sont inscrits, parmi lesquels nous relevons ceux de : Simon Barboux, Victor Scheikévitch, Maurice Bizet, André Bonnet, Paul Proust […] »
Il s’agit d’un des frères de Mme Scheikévitch, Victor Scheikévitch (1885-1914), avocat à la Cour, parti comme sous-lieutenant au 103e régiment d’infanterie, tombé, peu de jours après avoir été proposé comme capitaine, le 15 septembre 1914, à Tracy-le-Val – Le Figaro du 4 janvier 1915, p. 3, publie la liste complète des quarante membres du barreau morts à la guerre.

3 – Célèbre restaurant qui était situé place de la Madeleine, prisé du tout-Paris de la Belle Époque et que Proust fréquentait régulièrement. C’est dans ce même établissement que l’écrivain fit la rencontre marquante de Bertrand de Fénelon à l’été 1902. Ce dernier faisant fi du qu’en-dira-t-on, marcha sur les banquettes pour aller chercher le manteau de Proust, épisode amical qu’il n’oublia jamais. L’écrivain retranscrivit cette preuve d’amitié dans un fameux passage de À la recherche du temps perdu.

4 – André Carolus-Duran (1902-1972), fils de Marie Scheikévitch

Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :

Marie Scheikévitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, Anna de Noailles, Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, et bien d’autres encore.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’ils se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’en suivit une correspondance qui dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connaît que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvre les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépense beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle juge les plus capables de l’aider. C’est elle qui le recommande à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann. C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Lettre autographe signée « P. Cl. » [à Joseph Desclausais]
W[ashington], le 15 mars 1933, 3 p. 1/4 grand in-8° à l’encre noire
En-tête de l’ambassade de France aux États-Unis

Violente charge christique de Claudel emporté par une foi immodérée


« Cher Monsieur,
Je reçois à l’instant votre lettre non datée et j’y réponds immédiatement.
La nécessité de la Croix pour notre salut est un des loci theologici [terme appliqué par Melanchthon aux systèmes dogmatiques protestants et retenu par beaucoup jusqu’au XVIIe siècle] les plus solidement et splendidement établis. Je ne me sens pas le courage de le reprendre et de le développer une fois de plus et me permets de vous renvoyer à n’importe quel manuel. Je croyais que vous aviez fait des études théologiques et je m’aperçois que vous en savez moins qu’un enfant de 12 ans.
Vous êtes rempli des thèses monistes… panthéistiques, les plus fortes, les plus banales et les plus vomitives. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de vous mettre deux doigts dans la bouche et d’expectorer tout cela. Votre théorie du verbe immanent, ce sont les vieilles inepties écœurantes de Lamennais, de Mickiewicz, de la femme [George] Sand etc. – Combien vous feriez mieux de vous mettre à genoux et de méditer l’Imitation [de Jésus-Christ] !
Ce que vous dites de la Croix, qui est un instrument de résurrection et non pas de souffrance a peut-être un sens pour vous, il n’en a aucun pour moi. Depuis mon enfance je suis habitué à entendre le Credo m’affirmer que le Christ a souffert sous Ponce Pilate-.
Votre lettre n’est remplie que de J – J J J J – Je crois – Je ne crois pas – J’arriverai à telle ou telle chose etc. Et vous n’entendez pas le prophète qui dit : Malheur à l’homme qui se confie à l’homme. Il arrivera dans un lieu… de désolation, totalement inhabitable.
Votre répugnance à la Croix est celle de tous les fils de Satan – les Nestoriens – les Musulmans – les Protestants – les Épicuriens modernes – et les juifs […] Vous n’admettez que les grandeurs de chien. L’Église Grecque s’est éloignée de Jésus exactement dans la proportion où elle s’est éloignée de la Croix.
Ce n’est pas… S[aint] Augustinn, N[otre] S[auveur] Jésus-Christ lui-même qui annonce sa passion, et quand S[aint] Pierre lui dit : A Dieu ne plaise ! qui lui répond : Retire-toi de moi, Satan, car tu es pour moi un objet de scandale […] C’est lui que les prophètes décrivent comme l’Homme de douleurs, vernis et non homo […] C’est lui qui sur la croix s’écrit : Sitio ! […] Ce n’est pas lui qui doit descendre de la croix. C’est vous qui êtes invité à y monter. Non pas une croix symbolique d’un accessoire de théâtre, mais la terrible et salutaire passion qui est destinée à sortir l’enfant de Dieu de sa gangrène misérable et cadavérique.
C’est la grâce que je vous souhaite.
Quant à moi je n’ai suivi ni les grecs ni les latins ni les juifs. Je n’écoute que mon glorieux patrum…
Que Dieu vous garde !
P. Cl. »


Très influencée par Arthur Rimbaud et Thomas d’Aquin, l’œuvre de Claudel est profondément marquée par la foi chrétienne, dont il dit avoir reçu la révélation le jour de Noël 1886. En marge de ses activités de diplomate, il consacre le reste de sa vie à l’étude de textes bibliques, transposés au travers de ses ouvrages et pièces de théâtre.

Écrivain et détenteur du prix de l’Académie en 1937, Joseph Desclausais est agent de Pierre Laval sous le gouvernement de Vichy. Il est condamné à quatre ans de prison après la guerre pour dénonciation à la Gestapo.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Lettre autographe signée « P. Verlaine » à Armand Gouzien
14, rue Nicolet, Paris-Montmartre, [Septembre-octobre 1871], 2 p. in-8° à l’encre noire sur papier vergé
Renfort du pli central au ruban adhésif sur le second feuillet, quelques petites décharges d’encre sur certains mots

Aux heures de ses toutes premières rencontres avec Rimbaud, le jeune Verlaine évoque la difficile grossesse de sa femme Mathilde, sur le point d’accoucher de leur fils Georges 


« Mon cher Gouzien,
Je suis véritablement navré de vous faire faux-bond aujourd’hui. Voici mon excuse. Ma femme qui est enceinte a été hier au soir et toute cette nuit horriblement souffrante et moi sur pied et sur les dents. Dans ces conditions il m’a été de toute impossibilité de me livrer à un travail intellectuel quelconque. Pour vous prouver toute ma bonne volonté, je vous envoie ci-jointe quelques l’informe ébauche de ma lettre projetée. Voyez si par hasard vous n’en pourriez rien tirer.
Je me propose de vous aller voir demain matin à l’effet de bien m’entendre avec vous sur l’esprit politique les nuances et les choses à mettre ou ne pas mettre, étant donné l’esprit de la rédaction.
Et vous pourrez compter sur la lettre d’après-demain. Ne me tenez pas trop rigueur et croyez-moi toujours bien vôtre.
P. Verlaine
14, rue Nicolet, Paris-Montmartre »


On peut dater cette lettre avec certitude entre septembre et octobre 1871, par l’adresse d’où elle est envoyée et du fait que Mathilde Mauté, 17 ans, n’a pas encore accouché. L’irruption de Rimbaud dans la vie du couple Verlaine-Mauté marque toutefois son inéluctable descente aux enfers. Après divers échanges épistolaires entre les deux poètes, Rimbaud reçoit l’hospitalité chez les Mauté le 10 septembre 1871, au deuxième étage du 14, rue Nicolet à Montmartre.  Les choses s’enveniment rapidement par les nombreuses incartades des deux compagnons. Quinze jours plus tard, Rimbaud est contraint de quitter l’hébergement des Mauté, scandalisés par son attitude. Son nouvel ami parti, Verlaine n’en devient que plus irascible, comme il le laisse entrevoir dans la présente lettre : « moi sur pied et sur les dents ».
Ses états d’ivresse et les violences physiques sur Mathilde se succèdent. À la fin d’octobre, quelques jours avant l’accouchement, Verlaine va même jusqu’à jeter à bas du lit sa femme dont une réflexion sur « l’indélicatesse » de Rimbaud lui a déplu. Le petit Georges naît le 30 octobre sans la présence de Verlaine, absent toute la journée.

Armand Gouzien (1839-1892) fut le directeur de la Revue des lettres et des arts. Verlaine y donna « Les Loups » et « Un Grognard », plus tard recueillis dans Jadis et Naguère. Il avait une assez bonne opinion de Verlaine comme journaliste, au point de l’inviter à collaborer au Gaulois, dans lequel lui-même rendit compte des Fêtes galantes.

FLAUBERT, Achille Cléophas (1784-1846)

Lettre autographe signée « Flaubert » à Charles Vacquerie
Rouen le 12 Xbre [décembre] 1838, 1 p. 1/2 in-4° à l’encre noire,
Adresse autographe : Monsieur / Monsieur Ch. Vacquerie / Chez M. Lefèvre aîné et Compie. / au hâvre [cachet postal CP. ROUEN (76) [?], 15 DEC. 1838. // LE HAVRE, 15 DEC. 183]
Quelques froissures, petites déchirures marginales

Lettre inédite du père de Gustave Flaubert, dont on ignorait jusqu’à aujourd’hui que Charles Vacquerie fut un patient


« Monsieur,

Je ne vous ai pas défendu le sirop de digitale d’une manière absolue je vous ai dit de ne point en abuser, de le quitter de temps à autre puis de le reprendre si M. Huet le jugeait convenable. Je pense dans ce moment qu’une saignée de bras vous est utile. Suivez votre régime présent et si vous passez l’hyver au hâvre, rapportez vous en à M. Huet, homme d’expérience.
Agréez, je vous prie, les salutations affectueuses / de votre très dévoué serviteur
Flaubert
[…] »


Formé à l’école de médecine de Paris à l’aube du XIXe siècle, Achille Cléophas Flaubert y effectue de brillantes études, avec pour condisciple Alexander von Humbolt. Il décide de s’installer à Rouen en 1810 avant d’y être nommé chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, en décembre 1815. Sa carrière s’y poursuit avec la prise de direction de l’école de médecine, jusqu’à sa démission en 1840. De son union avec Caroline Fleuriot naîtront six enfants, dont la moité meurt avant trois ans. Gustave né en 1821.

Charles Vacquerie (1817-1843) fait la connaissance de Victor Hugo par l’intermédiaire de son frère Auguste. À l’été 1838, il rencontre la fille aînée de l’écrivain, Léopoldine (1824-1843), lors d’un voyage des Hugo à Villequier, où les Vacquerie possèdent une maison familiale. Léopoldine et Charles se marie en 1843, ce dernier devenant donc le gendre de Victor Hugo. C’est toujours en 1843 à Villequier, lors d’une sortie en canot de course sur les seine, que les deux jeunes époux meurent tragiquement après que leur embarcation ait chaviré suite à un violent coup de vent.

[CHATEAUBRIAND] STAËL (de), Germaine (1766-1817)

Lettre signée (sans doute dictée à son fils) « Necker de Staël » à Claire de Duras
[Paris] dimanche 11 mai [1817], 3 pp. in-8°
Adresse autographe sur la quatrième page
Bris de cachet (fragment conservé), quelques rousseurs

L’une des toutes dernières lettres de Germaine Staël, à la signature crépusculaire
La Baronne évoque la Vallée-aux-Loups de son ami Chateaubriand, dont ce dernier souhaitait se séparer – Elle en profite pour faire une sévère mise au point avec sa correspondante


« L’ambassadeur d’Angleterre est venu me voir hier, my dear dutchess, et il m’a dit qu’il était persuadé qu’on trouverait parmi les Anglais quelqu’un qui achèterait la campagne de M. de Chateaubriant [sic] si l’on ne craignait pas le droit d’aubaine ; M. Egerton, possesseur de l’hôtel de Noailles dans la rue Saint-Honoré envoie pétition sur pétition à l’ambassadeur d’Angleterre relativement à cette difficulté, je ne vois si elle pourrait être surmontée.
Vous m’avez fait beaucoup de peine l’autre jour par votre manière de me parler de ma prétendue indiscrétion. Je me crois la personne du monde la plus sérieuse dans ses sentiments de quelque nature qu’ils soient ; et si j’ai donné l’idée de l’imprudence c’est si vous permettez que je le dise en me compromettant moi-même et précisément parce que j’aime mieux mes sentiments que mes intérêts ; je n’ai, Dieu merci, jamais nui à aucune personne avec qui j’ai eu des relations, et j’en ai servi plusieurs : je suis fâchée que vous m’obligiez à m’expliquer à vous, car il me semblait que l’affection que vous m’inspirez devait me révéler tout entier à vous.
Dimanche 11 mai
Necker de Staël »


C’est en février 1817 que Germaine de Staël est frappée de paralysie en arrivant à un bal, chez le duc Decazes. Cette paralysie d’origine néphrétique lui ôte l’usage de presque tous ses membres. Elle demeure toutefois pleinement consciente et reçoit chez elle ses invités. Les lettres de la baronne écrites à partir cette période et jusqu’à sa mort, six mois plus tard, seront pour la plupart dictées à son fils.

Madame de Staël ayant passé à Paris l’hiver et le printemps de 1817, elle n’échange plus avec son amie Claire de Duras que des billets. Dans cette présente lettre, elle répond à un reproche que lui avait adressé la duchesse de Duras et qu’elle considère injuste. Elle ne l’accepte pas et lui répond assez vertement. Cette brouille entre les deux amies ne tarda pas à tomber. En effet, ce n’était pas le moment de se fâcher avec Madame de Staël. Elle touchait à sa fin et chacun le savait.

Claire de Duras (1777-1828) est restée célèbre pour son roman Ourika (1823), qui analyse les questions d’égalité raciale et sexuelle. Elle est considérée aujourd’hui comme une précurseure du féminisme.
Au regard de leur correspondance, il n’est pas de doute que Madame de Staël tournait souvent sa pensée vers cette jeune amie. Claire de Duras devait ainsi représenter pour elle l’une des figures apaisantes de ses derniers instants

Madame de Staël expire quelques semaines après avoir signé cette lettre, le 14 juillet 1817. La duchesse de Duras lui survécut 11 ans.

SEMPÉ, Jean-Jacques (1932-2022)

Lettre autographe signée « Sempé » à Gérard Leman
Paris, 15 janvier [19]68, 1 p. in-4° avec enveloppe autographe
Légères froissures en marge droite, petite décharge d’encre en marge supérieure (de la main de Sempé)

Jolie lettre du dessinateur annonçant à son correspondant travailler dorénavant pour le journal L’ExpressIl dresse ensuite une liste de ses ouvrages déjà parus et enrichit sa missive d’un dessin original


« Cher Monsieur,
Merci pour vos vœux.
Recevez les miens et mes remerciements pour votre si sympathique lettre.
Je ne travaille maintenant que pour l’Express
Mais vous pouvez voir mes dessins dans les albums édités chez DENOËL
Titres :
RIEN N’EST SIMPLE
TOUT SE COMPLIQUE
LA GRANDE PANIQUE
SAUVE QUI PEUT
et MONSIEUR LAMBERT…
Si vous les connaissez déjà, il vous faudra attendre quelques mois car j’en ai un ou deux en préparation, mais je travaille tellement lentement que je ne sais jamais quand il seront terminés…
Avec mes sincères salutations
Sempé »


Déjà largement connu du grand public avec Le Petit Nicolas (paru en 1960), Sempé est invité en 1965 par Françoise Giroud à travailler pour L’Express. L’artiste, qui livre chaque semaine ses dessins à l’hebdomadaire, est alors à l’aube de sa consécration internationale. Sa collaboration avec L’Express prendra fin en 1975.

[PRINCE IMPERIAL] BASSANO, Napoléon Maret, duc de (1803-1898)

Lettre signée « Duc de Bassano » à Jean Joseph Xavier Alfred de Morton de La Chapelle, Comte de la Chapelle, qui fut l’ami et la collaborateur de Napoléon III
[Camden Place, Chislehurst] juillet 1879, 1 p. in-8° sur papier de deuil
Enveloppe jointe (oblitération au 8 octobre 1879, sans doute correspondant à une missive ultérieure envoyée par le Duc de Bassano)
Déchirure verticale sur la première page, sans atteinte au texte, quelques petites taches en marge inférieure

Émouvante réponse aux condoléances adressées à l’impératrice Eugénie pour la tragique perte de son fils, le Prince Impérial mort quelques semaines plus tôt au Zululand


« Monsieur le Comte,
Je suis chargé par sa majesté l’Impératrice [Eugénie] de vous transmettre tous ses remerciements pour les sentiments que vous lui avez exprimés dans son immense malheur.
Veuillez agréer, Monsieur le Comte, l’assurance de ma considération distinguée
Le Grand Chambellan
Duc de Bassano »


Secrétaire d’état de Napoléon III, Napoléon Joseph Hugues Maret, Duc de Bassano (1803-1898) devient grand chambellan de Napoléon III et reçoit, le 30 décembre 1855, la plaque de grand officier de la Légion d’honneur. Il est l’un rares du cercle intime de la famille impériale. Après les événements de 1870, le duc de Bassano reste attaché à l’Empereur, puis après la mort de celui-ci, à l’Impératrice, qu’il ne quitte que lorsque, âgé de plus de quatre-vingts ans sa vue étant très affaiblie et ayant une certaine peine à se conduire, il dut se retirer chez ses enfants.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Farnborough Hill, Hants, 4 novembre 1908, 4 p. in-8°, à l’encre noire sur liseré de deuil
En-tête à son chiffre orné d’une couronne

L’impératrice exilée s’émeut de voir disparaître peu à peu les anciens fidèles de l’Empire


« Chère Madame Bartholoni,
Je vous remercie, ainsi que vos enfants, de vos vœux anticipés pour le 15 novembre.
Je suis désolée d’apprendre que Kiki ne va pas bien ou, pour mieux dire, que tout en étant un peu plus forte, elle ne se lève que quelques heures par jour. A son âge, c’est bien triste d’être toujours malade. Je n’ai pas de photographie de moi-même, mais je vais m’en procurer et je m’empresserai de vous l’envoyer pour votre petit fils, comme vous me la demandez.
Le 15 novembre [la Saint Eugénie] n’est plus depuis longtemps une fête pour moi et les rangs de ceux qui me la fêtaient autrefois s’éclaircissent chaque jour, car la mort fauche tout autour de nous. Nos meilleurs amis disparaissent et, à mon, âge, on ne fait pas de nouvelles connaissances.
Nous avons eu un temps splendide mais l’hiver va commencer ; les brouillards et le froid ne peuvent tarder, hélas !
J’ai eu une lettre de Mme Gastaldi me faisant part du mariage de sa fille avec son beau-frère, dernier vœu de la pauvre morte.
Mes souvenirs à tous les vôtres et croyez à mes sentiments affectueux.
Eugénie »


Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, particulièrement remarquée à la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell, elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Prous t. L’écrivain le fréquenta activement au cours des années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon-les-Bains et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
L’auteur d’À La Recherche du temps perdu courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.

MASSENET, Jules (1842-1912)

Lettre autographe signée « JM » à sa femme Constance de Gressy, dite Ninon, ornée d’un dessin original figurant une trompette romaine
Bruxelles, 24 nov[embre] [18]81, 3 pp. in-8°
Annotations typographiques au crayon gras bleu, petites rousseurs

Belle lettre du compositeur, aux sentiments exaltés, pendant les répétitions de son opéra Hérodiade


« Ma chère amie, j’attends des nouvelles de toi, de Juliette… et je ne vois rien venir !
Les répétitions de succèdent avec le même entrain – aujourd’hui en scène pour les artistes – demain étude pour les trompettes romaines

[Massenet dessine à main levée une trompette romaine qu’il légende par divers endroits]
« pavillon » « embouchure » « 2 mètres 10 de longueur de tuyau ! » « barre d’appui sur l’épaule du Romain »

et les fanfares –
– Samedi grande répétition
artistes, chœurs, orchestre, fanfare !!!
– Jamais je n’ai écrit un ouvrage plus solide – pas une défaillance dans les effets – cela sort comme j’ai voulu – je suis même stupéfait ! –
– Dimanche je fais répéter encore les artistes sur scène – et lundi je repars pour Paris où je resterai 8 jours –
Puis, retour à Bruxelles pour les répétitions…
– Je ne parle pas du travail et je ne dis rien de ma fatigue –
– J’ai des douleurs atroces dans les reins…
– Pas de sommeil – et pas beaucoup d’appétit…
Enfin, je suis courageux malgré tout…
Je vous embrasse tendrement
JM »


Hérodiade est un opéra de Jules Massenet, sur un livret de Paul Millet et d’Henri Grémont. Inspirée de Hérodias, l’un des Trois Contes de Gustave Flaubert, l’œuvre est créée le 19 décembre 1881 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, dont il est ici question.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » [à Marianne Oswald]
L’Isle-sur-Sorgue, 15 oct[obre] [19]49, 1 p. in-4°
Traces de pliures, petites fentes aux plis

Belle lettre de Char au sujet de la diffusion de ses poèmes à la radio


« Ma chère amie,
Je suis peu souvent ici, restant accroché dans mes montagnes du Vaucluse. Je n’ai eu vos lettres que dernièrement. Votre projet m’a l’air très bien, cette lecture à la radio sera fort bonne. Je me réjouis que [Alain] Trutat soit le réalisateur de cette émission. A mon sujet il ne refusera pas de vous donner un coup de main car il connaît bien je crois ma poésie. C’est un bon copain.
Je suis toujours mal fichu, ayant peu la tête à mes livres faits ou à faire. La vie oscille sans cesse entre feu et fumier. Dommage qu’on sente tout cela
Je vous envoie ma pensée très amicale, vous savez cela. 
René Char
P.S. Dois-je vous envoyer “les menus” ? Peut-être n’avez-vous pas un double de votre travail ? »


Alain Trutat (1922-2006) est un réalisateur et homme de radio français. Il est le cofondateur de France Culture. À la libération de Paris, il rentre à la Radio française où il s’occupe, à la demande de Jean Lescure, des émissions littéraires et dramatiques. Il y réalise des émissions poétiques.

Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, est une remarquable diseuse. Elle participe à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Carte de visite autographe signée « Cl. » à Michel Alexandre Gaston Tournier
S.l.n.d, 1 p. in-24°
Légères brunissures en marge gauche

Belle carte de visite du tigre à son ami


« La nature, mon cher ami, est ce qu’elle est. Nos désirs n’y peuvent rien changer. Que nous nous y accommodions ou non, il faut continuer.
Amitiés
Cl. »


Provenance : Famille Tournier

GAINSBOURG, Serge (1928-1991)

Manuscrit autographe
S.l.n.d [années 1980], 1/2 p. in-4°
Filigrane « Marais » avec profil d’un portrait hellénique
Quelques petites taches

Curieux manuscrit de Gainsbourg pour une recette de cuisine


« Cuire pomme en robe des champs
peler
émincer truffe crue
dans un ravier
mettre crème fraîche
ciboulette
fond de veau
jus de truffe
rapper et mettre au four »


La passion de Gainsbourg pour la gastronomie n’est plus à prouver. On se souvient d’une séquence d’anthologie filmée en 1969, montrant le musicien aux côtés sa compagne Jane Birkin, Christian Millau et Roger Lamazère. Gainsbourg y admet avec enthousiasme être le cuisinier à la maison et livre ses secrets de recette du irish stew (base de viande d’agneau, servie avec des pommes de terre).

La recette ici écrite par Gainsbourg l’épicurien s’apparente à celle des pommes de terre au fond de veau, à ceci près qu’il les agrémente (sans surprise) d’une truffe rappée, comme le signe d’un raffinement supplémentaire.

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Manuscrit autographe pour Le Diable et le bon Dieu (fragment)
S.l.n.d [c. 1950], 2 p. in-4° à l’encre bleue sur papier quadrillé
Quelques légères fentes, anciennes traces de trombone

Première version du début de l’acte II pour sa pièce Le Diable et le Bon Dieu


Traitant de la nature humaine, de Dieu, du Diable, et plus largement de la question de la possibilité du Bien, Le Diable et le Bon Dieu est la septième pièce de théâtre de Sartre. Elle est créée au théâtre Antoine le 7 juin 1951 avec une mise en scène de Louis Jouvet. Le manuscrit présent correspond, avec d’importantes variantes, aux scènes I et II du quatrième tableau, qui ouvre l’acte II, et met en scène Karl et des paysans, avec une brève apparition de Goetz.
La scène est marquée par une tirade de Karl : « Vous quittez cette nuit les terres de Goetz, vous entrerez dans celles du baron de Schulheim et de là vous poussez dans celles de Nossak. Partout vos amis vous logeront : vous avez leurs noms. Dans chaque village annoncez la nouvelle : “Goetz le bâtard donne les terres de Heidenstamm à ses paysans.” […] Rendez-les fous de rage »…


Le Diable et le Bon Dieu présente un dossier générique d’une rare complexité. La pièce a connu une maturation assez longue et Sartre a souvent changé d’avis au cours de sa rédaction. Depuis la mort de l’écrivain, en 1980, les brouillons autographes de la pièce ont été rachetés presque systématiquement par la BnF. Les présents feuillets figurent donc parmi les rares manuscrits encore en mains privées.

SAGAN, Françoise (1935-2004)

Lettre autographe signée « Françoise Sagan » à « Henri »
Paris, 167 blvd Malesherbes [c. années 1950], 3 pp. in-4° à l’encre noire sur papier vergé gris
Sous chemise brune d’époque titrée « Françoise Sagan » d’une autre main

Spirituelle lettre de jeunesse, caractéristique de l’esprit de Françoise Sagan


« Supposant à priori que vous allez m’appeler Françoise, je vous appelle donc Henri.
Je trouve que vous avez eu une bonne idée, ce genre d’accostage (?) me flatte et me plaît beaucoup. De là à vous promettre des lettres intelligentes, j’hésite, mais un peu gaies, sûrement. Et cela aussi devient rare.
Je trouve ça très drôle parce que je ne vous ai vu qu’une fois et qu’au fond je n’ai rien à vous dire. Nous n’allons pas parler littérature ni des autres – en tout cas pas des autres ? Mais ces projets, voués semble-t-il à l’échec, sont les seuls intéressants au fond, et je serai ravie d’échouer avec vous de toute manière.
J’espère que vous me prouverez par votre prochaine lettre qu’il n’y a aucune raison d’échouer et que cette correspondance va être très amusante et je vous adresse toutes mes amitiés.
Françoise Sagan »


Dans cette étonnante lettre, l’écrivain semble répondre à la proposition de son interlocuteur de publier une correspondance commune. Ce type de projet, selon elle « voué à l’échec », est justement ce qui semble susciter son enthousiasme. Elle parait toutefois espérer qu’il lui prouvera que son pessimisme reste infondé et que l’expérience se révélera amusante. Sagan souligne aimer ce genre « d’accostage », terme familier en vogue dans les années d’après-guerre pour désigner le fait, pour un homme, de faire connaissance d’une femme.
L’adresse du 167 boulevard Malesherbes est celle des parents de Françoise Sagan, chez qui elle habite lorsqu’elle écrit Bonjour tristesse, alors qu’elle n’est âgée que de 19 ans. Enrichie très vite par le succès de ce premier roman puis par celui du second, Un Certain sourire, elle quitte vite le domicile familial pour mener une vie festive sous le regard fasciné de la presse et des jeunes générations.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette » à Jean Guillermet
[22 mars 1945] d’après une note au crayon, 1 p. 1/4 in-4° sur papier bleu
Traces de pliures d’époque

Colette s’impatiente de revoir ses amis du Beaujolais


« Cher Jean Guillermet,
Je suis mélancolique parce que Waterman ne m’a pas renvoyé mes trois stylos, et je ne sais à qui, ni ou, les réclamer.
Quand revenez-vous à Paris ? Je vous envoie à tous deux mes pensées bien amicales. Quand j’aurai du gruyère et tout et tout, j’essaierai de réaliser la recette de soupe à l’ognon qui est dans l’Almanach 35 [Almanach du Beaujolais, édité par Jean Guillermet].
Votre vieux ami
Colette »


Les préoccupations de Colette peuvent paraître ici bien futiles quand on sait que quelques semaines plus tôt elle est sollicitée pour défendre Robert Brasillach (qui lui-même avait fait des démarches auprès de l’Institut allemand pour sortir son mari des griffes de la Gestapo en 1941). Elle se joint à Valéry, Cocteau, Claudel et Camus pour signer la pétition demandant la grâce de l’écrivain. De Gaulle refuse de commuer la peine et Brasillach est fusillé le 6 février 1945.

Humaniste et philanthrope, Jean Guillermet (1893-1975) s’est évertué toute sa vie à faire connaître le Beaujolais. Il édite entre autres un Almanach annuel ventant les qualités de ce terroir et notamment son vin. Colette fait la connaissance de Madeleine, épouse de Jean Guillermet, à l’été 1943. Madeleine invite aussitôt Colette à séjourner dans sa demeure de Limas située près de Villefranche-sur-Saône, au cœur des vignobles beaujolais. C’est donc très naturellement que Colette, grande épicurienne et amatrice de bons vins, se lie d’amitié avec le couple Guillermet. Ils entretiennent une relation épistolaire régulière, jusqu’à la mort de l’écrivain, en 1954.

[SEDAN] NAPOLÉON III (1808-1873)

Dépêche autographe signée « Napoléon » au commandant Charles Duperré
[château de Wilhlmeshoehe, 6-8 septembre 1870], 1/2 p. in-8° sur bifeuillet
Brunissure en marge droite, trace de pliure d’époque

Dépêche historique, au cœur de la tragédie après à la capitulation de Sedan et la chute du Second Empire


« Au commandant Duperré, à Hastings Angleterre
Reçois votre dépêche. Ou est l’impératrice
J’embrasse mon fils tendrement
Napoléon »


Les circonstances dans lesquelles cette dépêche a été écrite sont, on le sait, des plus tragiques pour l’Empereur déchu et sa famille. Napoléon III est fait prisonnier après de la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870. Il est alors conduit en captivité au château de Wilhlmeshoehe, en Allemagne, où il arrive le y demeurer jusqu’au .
On peut situer presque exactement la date de cette dépêche, soit entre le 6 et le 8 septembre 1870, car Napoléon ne sait toujours pas où se trouve l’Impératrice. Il s’inquiète pour elle, et à raison. Cette dernière s’est échappée des Tuileries le 4 septembre alors que la foule a déjà envahi le Palais Bourbon. La pression populaire à Paris est telle qu’elle est contrainte de s’enfuir, craignant pour sa vie. Elle trouve refuge chez le docteur Thomas W. Evans, son dentiste américain. C’est Evans qui va organiser sa fuite vers l’Angleterre.
L’Empereur sait toutefois son fils sain et sauf. Ce dernier a pris un train pour Maubeuge le 4 septembre. Le 6, il quitte Ostende ou il passe la nuit à l’Hôtel d’Allemagne avant d’embarquer pour l’Angleterre avec le Capitaine de frégate Charles Duperré, l’un de ses quatre aide de camp. On lui conduit ensuite à Hastings, où sa mère l’Impératrice le rejoint le 8 septembre.

Officier de Marine, Charles Duperré (1832-1914) est officier d’ordonnance de Napoléon III et aide de camp du Prince Impérial de 1867 à 1870. C’est lui que l’empereur charge de conduire son fils en Angleterre après la défaite de Sedan. Il ne retrouve un commandement dans la Marine qu’en 1872 et est alors promu amiral en 1878

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre autographe signée « Louis-Napoléon » à son « cher Charlot », Charles de Morny
Paris, 10 mars 1865, 2 pp. in-8°
Ancienne trace de montage sur la quatrième page

Émouvante lettre du tout jeune Prince Impérial, alors âgé d’à peine neuf ans


« Mon cher Charlot,
J’ai été bien peiné en apprenant le grand malheur qui vient de vous arriver, et je partage bien votre chagrin parce que je sais combien votre père était bon.
Je serais bien heureux si ma lettre pouvait adoucir votre douleur, et à l’avenir je vous témoignerai autant d’amitié que l’Empereur en témoignait à votre père.
Je vous embrasse,
Louis-Napoléon »


D’une écriture déjà très appliquée, cette touchante lettre du Prince Impérial, qui n’est encore qu’un enfant, est écrite le jour même de la mort du duc de Morny à son fils Charles.
Charles-Auguste-Louis-Joseph Demorny (1811-1865) est le petit-fils naturel de Talleyrand et demi-frère de l’empereur Napoléon III. C’est l’une des « chevilles ouvrières » du coup d’état du 2 décembre 1851 et l’un des piliers du Second Empire, soutien indéfectible de l’empereur et de impératrice. Il est président du corps législatif de 1852 jusqu’à ce qu’une pneumonie l’emporte brutalement, le 10 mars 1865.

Belle signature.

BARBARA, Monique Serf, dite (1930-1997)

Lettre autographe signée « Barbara » à son amour de jeunesse Jean [Poissonnier]
S.l.n.d, 1 p. in-8° à l’encre noire sur papier gris
Filigrane “Pineider – Firenze – Roma”
Infime manque en marge supérieure, sans atteinte au texte

Troublante lettre de la chanteuse à son amour de jeunesse


« Cher Jean,
Votre mot me touche beaucoup. Je suis silencieuse, me débattant dans de sombres drames.
Je suis toujours votre amie – vous embrasse vous et votre charmante femme.
Barbara »


Jean Poissonnier, auteur-compositeur, fut l’amour de jeunesse de Barbara quand tous deux séjournèrent au château de Boisrenault dans l’Indre, en 1957. Ils restèrent proches amis, comme en témoigne cette lettre intime de la chanteuse, manifestement au milieu d’un épisode difficile de sa vie.
Reconnue comme une des plus grandes voix françaises au style de chant à la fois maniéré et dramatique, mais aussi comme auteur-compositeur hors du commun, Barbara eut une santé fragile. Morte à seulement 67 ans, elle fini sa carrière très affaiblie par une alimentation déséquilibrée, usée par les stimulants et les médicaments pris en doses massives pour calmer ses angoisses chroniques. Ses mythiques chansons telles que Dis, quand reviendras-tu ?, Nantes, Göttingen, L’Aigle noir ou encore Ma plus belle histoire d’amour figurent aujourd’hui au Panthéon de la chanson française.

CONDORCET (de), Sophie de Grouchy, marquise (1763-1822)

Lettre autographe à Jacques Pierre Brissot de Warville
S.l.n.d [Paris, peu après le 24 mars 1792], 1 p. 1/2 petit bifeuillet in-4°, à l’encre noire sur papier vergé, cachet hostie
Adresse autographe sur la quatrième page :
« A monsieur Brissot chés mr Claviere, rüe damboise »
Quelques petites taches (voir scans)

Très rare lettre de la marquise de Condorcet à Brissot
Dans cette copie d’un billet de son époux au général Dumouriez, il est fait part au chef de file des girondins des objections de Condorcet à propos d’une lettre de Louis XVI sur sa liste civile


Nous restituons la transcription ne varietur de la lettre, telle qu’elle a été écrite par Sophie de Condorcet

« Mr de Condorcet me charge d’envoyer a Mr Brissot la copie suivante du Billet qu’il ecrit a Mr Dumourier en le priant de le montrer a Mr [Étienne] Claviere [financier et spéculateur suisse, ami de Brissot].

Voici 2 petites choses qui me paraissent propres a détruire leffet de la lettre du Roi.
1° que Mr de grave soit renvoyé qui a eu la betise de s’en charger soit renvoyé pour tenir compagnie aux revetus de la confiance publique.
2° que le roi déclare non a l’assem[blée] mais dans le chateau que son intention est qua lavenir la disposition de la Liste civile soit reglée par lui dans Le Conseil.
par le 1er moyen vous apprendriés a vivre aux jeunes gens qui ne se sont pas fait une idée assés éxacte des rois constitutionnels.
par la 2de vous ecarteriés touts les confidents secrets
voila les idées qui me sont venües en cheminant sur le boulevard après vous avoir quitté pezés les dans votre sagesse et songés que la liste civile est pr La splendeur du trône et que cette splendeur ne brille pas et que le pouvoir legislatif a droit de Lexiger

il est probable si vos ministres sont capables de se conduire ainsi que nous nentendrons plus parler dans le suplement du journal de paris de la vanité de toute espece de théorie en matiere de gouvernement »


Fille aînée du marquis de Grouchy et sœur du futur maréchal d’Empire, Sophie de Grouchy, réputée pour sa beauté et son intelligence, est l’un des esprits les plus brillant de son époque. Elle est notamment connue pour avoir traduit Adam Smith. Son mariage avec le marquis de Condorcet (1743-1794), de vingt ans son aîné, la place un peu plus au centre du bouillonnement des idées des lumières. Dans leur demeure parisienne de l’hôtel des Monnaies, elle crée un des salons les plus courus de la capitale. S’y côtoient entre autres Thomas Jefferson, André Chénier, Nicolas de Chamfort, Benjamin Constant, Beaumarchais, La Fayette ou encore Madame de Staël. Le salon perdure sous la Révolution et devient même le véritable laboratoire d’idées des girondins, dont Brissot était l’un des chefs de file. La Terreur est cependant fatale pour le couple Condorcet. Le marquis est retrouvé mort dans sa cellule. Un moment dans le besoin, Sophie tiendra plus tard un salon libéral sous l’Empire et la Restauration.

Écrivain pamphlétaire et fondateur de la Société des amis des Noirs, Jacques Pierre Brissot de Warville (1754-1793) est élu à l’Assemblée législative et siège avec les Girondins, dont il devient l’une des figures de proue. Il s’oppose violemment à Robespierre, puis à Marat et Desmoulins à la Convention. Dans une veine tentative de faire fermer le club des Jacobins et de dissoudre la municipalité parisienne, il est guillotiné le 31 octobre 1793 comme chef d’une conspiration contre la République.

LE CORBUSIER, Charles-Edouard Jeanneret dit (1887-1965)

Lettre dactylographiée signée « Le Corbusier » à Charles Hary
Paris, 18 avril 1854, 2 p. in-4° à son en-tête du 35, rue de Sèvres – Paris (6e)
Petits trous d’agrafe en marge supérieure gauche sur les deux feuillets, infimes fentes aux plis

En plus de sa signature autographe, Le Corbusier a rajouté la date de sa main et a entouré quatre mots sur la deuxième page.

Importante lettre dans laquelle Le Corbusier cherche des souscripteurs pour son Poème de l’Angle droit


« Le Corbusier s’adresse à ses amis :

Cher Monsieur et Ami,
Cette lettre est une lettre circulaire adressée à un certain nombre de mes amis et connaissances. Je la signe toutefois de ma main pour vous assurer que j’ai pensé à vous réellement en tant que personne et en tant qu’ami des arts.

De quoi s’agit-il ?

Tériade, le créateur et Directeur des Éditions Verve à Paris, m’a demandé en 1947 de faire pour lui un livre dans la série des “grands livres manuscrits et illustrés par les artistes”, tels que “DIVERTISSEMENTS” de Rouault, “JAZZ” de Matisse, “LE CIRQUE” de Léger.

J’ai ainsi conçu et réalisé le “POÈME de l’ANGLE DROIT”. Cinq années furent consacrées à ce travail dans lequel je désirais inclure un ordre de pensées que les activités de la vie quotidienne ne permettent généralement pas d’extérioriser. Ces choses ne sont pas seulement au fond de mon caractère mais aussi au fond même de mon œuvre bâtie ou peinte.

Or la réalité veut qu’une édition de grand luxe comme celle-ci, réclamant pendant plus d’une année la participation d’un atelier artisanal de la valeur de celui de Mourlot, ne puisse voir le jour que par une qualité “hors-série”, par conséquent “rare” par le nombre des exemplaires mis au monde (250) aussi bien que par l’extrême exiguïté de la classe d’individus en état mental et matériel de s’intéresser à un tel ouvrage.

L’énorme travail de création du POÈME de l’ANGLE DROIT est fourni gratuitement par l’auteur, c’est à dire par moi. On ne peut pas payer la pensée exprimée sous cette forme exceptionnelle : livre grand format entièrement de la main de l’auteur. Il faut donc que vous sachiez que cet auteur n’entre pas dans le prix de revient de l’ouvrage ; sa collaboration est gratuite comme se doit d’être gratuite une joie de l’esprit. Car c’est une joie d’apprécier qu’en certains endroits de le [sic] production moderne l’argent a ses ponts nettement coupés avec l’Idée. Consolation de cette bête époque dont le “Time is money”.

Il faut encore que vous sachiez que si l’auteur a, de sa main, achevé son livre jusqu’en ses moindres détails, celui-ci toutefois ne peut être mis sous les presses de l’artisan que garanti par un certain nombre de souscriptions assurées d’avance.

Voilà donc la raison de cette lettre : je vous demande, cher Monsieur et Ami, de permettre à cette entreprise d’atteindre son but : franchir l’étape des machines à imprimer. L’éditeur attend de mon intervention un certain nombre de souscriptions récoltées dans le monde entier auprès de mes amis. Par vous, je m’adresse à vos propres amis [ces quatre mots sont entourés de la main de Le Corbusier] pendant que vous les convaincrez vous-même.

Le POÈME de l’ANGLE DROIT exige de moi cet ultime rôle d’apparence bien déplaisante : réclamer un service.

Merci d’avance,
et croyez, cher Monsieur et Ami, à mon fidèle attachement
Le Corbusier »


Architecte, Le Corbusier est aussi écrivain, dessinateur, peintre et poète. Il travaille près de huit ans au recueil qui parait l’année suivante en tirage limité (en 270 exemplaires) sur souscription chez Tériade. À cette époque, Le Corbusier s’oriente vers ce qu’il nomme « la synthèse des arts ». Dans cette lettre, il lance un appel à ses amis, et notamment Charles Hary, directeur des usines de peintures qui ont élaboré les couleurs voulues par l’architecte pour ses grandes unités de Marseille et Nantes.
Le Corbusier réalise la majorité des illustrations avant de commencer à écrire les poèmes, l’impression est confiée à Mourlot. L’ouvrage figure 20 lithographies originales en couleurs à pleine page, dont la couverture, et 70 compositions en noir en marge du texte.

BAKER, Joséphine (1906-1975)

Lettre dactylographiée signée « JBaker » au docteur Toussaint
Monte Carlo, 12 mars 1971, 1 p. in-4° avec enveloppe
Fentes aux plis

Joséphine Baker regrette de ne pouvoir assister à un banquet


« Monsieur le Président,
Je viens de rentrer de l’étranger et je trouve votre lettre à propos de votre banquet qui a eu lieu le 7. Quelle malchance pour moi car rien ne m’aurait fait plus de plaisir que d’être parmi vous.
Je vous suis très reconnaissante d’avoir pensé à moi.
Votre sincère
[signature autographe] Joséphine Baker »


Pratiquement ruinée à la fin des années 60, la princesse Grace de Monaco, amie de la chanteuse, d’origine américaine et artiste comme elle, lui avance les fonds nécessaires à l’acquisition d’une grande maison à Roquebrune. Elle l’invite à Monaco pour des spectacles de charité. Elle fut dans un premier temps inhumée au cimetière de Monaco avant que sa dépouille ne soit transférée au Panthéon, le 30 novembre 2021.

MIRÓ, Joan (1893-1983)

Lettre autographe signée « Joan » à Maria [San Lazzaro]
Folgarolas 9, Barcelone, le 23 décembre 1955, 1 p. in-4° à l’encre bleue, sur papier crème à son en-tête
Infime déchirure sur le trait de la signature (du fait de Joan Miró)

Belle lettre de Miró, alors en plein travail pour sa prochaine exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles


« Chère Maria, juste ces mots pour vous souhaiter des joyeuses fêtes et une bonne nouvelle année 1956.
À notre dernier passage pour Paris j’ai été terriblement pris en préparant ma prochaine exposition et j’ai essayé de vous téléphoner.
Merci pour votre collaboration à l’exposition de Bruxelles et à la composition du numéro de “XXième” siècle.
Embrassez le docteur [Henri] Laugier de notre part.
Nous vous embrassons affectueusement,
Joan »
[sa femme Pilar Juncosa Iglesias rajoute sa signature en bas de la lettre]


Maria Papa Rostkowska (1923-2008), épouse de Gualtieri di San Lazzaro (1904-1974), anime aux côtés de son mari la revue XXe Siècle, créée par ce dernier en 1938. Ils y accueillent nombre des écrivains et critiques d’art les plus importants de l’après-guerre. La revue analyse et soutient dans ses articles le développement des œuvres des artistes de la nouvelle École de Paris.
L’exposition consacrée à Miró se tient à Bruxelles en janvier et février 1956 avant de migrer à Amsterdam, de février à mars de la même année.
L’année 1955 marque pour l’artiste un point de bascule dans sa carrière. S’il recommence à peindre, il va presque exclusivement se consacrer à la céramique, jusqu’en 1959.

MASSENET, Jules (1842-1912)

Lettre autographe signée « J. Massenet » à Antonin Proust, ministre des Beaux-Arts
Bruxelles, mardi 13 Xbre [décembre] 1881
Ancienne trace de montage en marge supérieure

Solennelle demande du compositeur au ministre des Beaux-Arts pour assister à la toute première d’Hérodiade au théâtre de la Monnaie à Bruxelles


« Monsieur le Ministre,
La première représentation d’Hérodiade est fixée au lundi 19 décembre, au théâtre de la Monnaie à Bruxelles
Vous avez bien voulu, avec une telle bienveillance, me faire espérer l’honneur de votre présence, que je viens aujourd’hui me permettre de vous rappeler cette indigne faveur – non seulement pour moi, mais pour la ville de Bruxelles –
Veuillez,
Monsieur le Ministre,
Agréer l’expression de mon profond respect et de mes sentiments très reconnaissants.
Massenet »


Hérodiade est un opéra de Jules Massenet, sur un livret de Paul Millet et d’Henri Grémont. Inspirée de Hérodias, l’un des Trois Contes de Gustave Flaubert, l’œuvre est créée le 19 décembre 1881 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles dont il est ici question.

MASSENET, Jules (1842-1912)

Lettre autographe signée « J Masse » à sa femme Constance de Gressy, dite Ninon
Bruxelles, vendredi 5h du soir [25 novembre 1881, d’après une note manuscrite au crayon], 3 p. in-8°
Trace de pliure d’époque

Superbe lettre du compositeur sur Hérodiade, qui sera créé le 19 décembre suivant au théâtre de la Monnaie à Bruxelles


« Chère Ninon (Ninette, puisque tu me fais la gentillesse de signer ainsi) je te remercie de ton affectueuse lettre et je te gronde de n’avoir pas compris le sens de ma phrase : “c’est mon meilleur ouvrage”.
Oui, c’est peut-être le meilleur au théâtre, parce qu’il est écrit sous l’influence de Marie-Magdeleine
[Oratorio en trois actes et quatre tableaux de Massenet, crée en 1873 au théâtre de l’Odéon]
Même pays, même couleur – et cependant j’ignore encore s’il réussira –
J’ai mis un tel soin à l’orchestration – je l’ai tant travaillée ! (afin de la rendre facile, claire et nouvelle !)
Et puis tu sais que cet opéra représente tous mes œufs dans le même panier !!! –
Espérons que les œufs seront d’or ? – témoin la poule de la féerie –
Je suis très fatigué et je me réjouis de dîner avec vous, mes enfants – j’aime ce repos promis et désiré
Gros baisers
[il rajoute en marge de la troisième page] Prépare une bonne soupe pour lundi »


Hérodiade est un opéra de Jules Massenet, sur un livret de Paul Millet et d’Henri Grémont. Inspirée de Hérodias, l’un des Trois Contes de Gustave Flaubert, l’œuvre est créée le 19 décembre 1881 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles.

MASSENET, Jules (1842-1912)

Lettre autographe signée « J. Massenet » à un ami
Paris, 18 juin [18]79, 1 p. in-8°

Massenet doit se rendre à Londres mais promet de revenir à temps pour le concours de composition à Paris


« Cher et excellent ami,
Je suis si touché de votre empressement !
On m’attend à Londres et je reviendrai à Paris vendredi prochain 27 pour le concours de composition
– Si vous voulez j’irai vous voir ce jour là avant la séance – c’est à dire à 1 heure de l’après-midi.
J’aurais bien envie d’aller vous voir avant…
Merci à l’avance !!
J. Massenet
38. rue Malesherbes »


Le concours du grand prix de composition musicale dont il est ici question s’était tenu le 29 juin 1879. Il fut rendu par l’Académie des beaux-arts après exécution des cantates des cinq concurrents. Une audition préalable de ces partitions avait eu lieu la veille au Conservatoire, en présence des seuls membres du jury : MM. Ambroise Thomas, Reber, Gounod, V. Massé, Reyer, Massenet, membres de l’Institut, et MM. C. Franck, Guiraud et Paladilhe, jurés adjoints.

BOURDELLE, Antoine (1861-1929)

Lettre autographe signée « Bourdelle » à M. Thiebaut-Sissou
Paris, 9 mars 1920, 1 p. in-8° à l’encre noire, avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Traces de pliures de l’époque, quelques infimes taches

Plongé dans son travail et la création de ses œuvres, Bourdelle s’étonne de ne pas voir son correspondant lui rendre visite


« Mon cher ami,
Puisque vous m’y avez cordialement autorisé, voici des jours que je vous ai demandé de passer à votre loisir à mon atelier. Je ne vous ai pas vu et je n’ai pas eu de réponse.
Je ne fais pas d’exposition générale – je n’exposerai pas ou peu au salon. Je suis au grand labeur et cela seul m’attache.
En la franche et simple amitié,
Bien à vous
Bourdelle »


Tout en continuant d’exposer à la Société Nationale des Beaux-Arts, Bourdelle fonde en 1920 le salon des Tuileries avec Besnard et Perret. Il y expose La Naissance d’Aphrodite, l’une de ses dernières grandes œuvres entrées dans la postérité. L’artiste occupe son atelier (auquel il fait ici référence) de l’ancienne impasse du Maine à Paris de 1895 jusqu’à sa mort, en 1929. La rue est par la suite rebaptisée en son nom.

OFFENBACH, Jacques (1819-1880)

Lettre autographe signée « Jacques Offenbach » à Hortense [Schneider]
S.l.n.d, « Dimanche » [après 1855], 1 p. in-16° à l’encre noire sur bifeuillet
En-tête imprimé à son chiffre, ancienne trace de montage sur la quatrième page

Charmant billet du compositeur à sa soprano fétiche dans l’un des restaurants les plus courus du tout-Paris


« Ma chère Hortense,
Donc demain à 6 h 1/2 Café Riche – Mme [Josefine] Gallmeyer est ravie de diner avec toi – et moi donc !
Jacques Offenbach »


Compositeur allemand naturalisé français, Jacques Offenbach débute sa carrière comme instrumentiste virtuose. En 1855, il ouvre son propre théâtre, Les Bouffes-Parisiens, et commence à composer des opérettes : Orphée aux enfers, La Belle Hélène etc. Son génie sera de faire de ce genre une satire musicale et sociale, en parodiant le genre noble de l’opéra et de la bourgeoisie du Second Empire.

Hortense Schneider (1833-1920) rencontre Offenbach en 1855 et devient le soprano fétiche de ce dernier. Il lui octroi le rôle-titre de La Belle Hélène et l’impose comme la coqueluche du tout-Paris. L’opérette La Grande-duchesse de Gerolstein achève d’en faire l’une des plus grandes vedettes de son temps.
Joséphine Gallmeyer (1838-1884)  est une soprano autrichienne partagée entre l’opérette et les chansons populaires. Elle connaît un grand succès auprès du public viennois.
Le Café Riche est l’un des cafés des Grand Boulevard à la mode pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Tous les artistes s’y rendent : Baudelaire, Goncourt, Zola, Flaubert, Mallarmé, Renoir etc. Le lieu y est décrit en décrit en détails par Zola dans La Curée, deuxième volume des Rougon-Macquart.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Carte postale autographe signée « Votre P. Verlaine » à Jules Rais
[Paris, 16, rue Saint-Victor], 15 mars 1895, 1 p. in-8°, à l’encre noire
Carte timbrée et oblitérée
Adresse autographe de la main de Verlaine au verso du document
Ancienne et discrète trace de trombone

Alité et souffrant, Verlaine donne des indications détaillées à son correspondant pour le rejoindre


« Mon cher ami, Avez-vous reçu mon mot à vous adressé à Nancy ? Quoi qu’il en soit, vous avez mon adresse. J’ai la vôtre et je m’en réjouis. – Mais ce qui m’a fort affligé c’est que vous soyez venu rue St Victor et que vous ne soyez pas entré – car la clef était sur la porte… Il faut frapper très fort, à cause d’une double porte. Quant à moi, je suis alité sans pouvoir bouger du lit (abcès sous le pied gauche, toujours ! coup de bistouri, pansement, etc.)
Retrouverez ici la chambre “touchante” de la rue des Fossés St Jacques [autre adresse de sa maîtresse Eugénie Krantz]et sa bonne et charmante locataire.
Quant au 21 rue Mr le Prince, fini : Kleptomanie ! Zut alors !
Venez-donc, j’y suis toujours !!! Frappez-fort et entrez… 16 rue St Victor.
Votre P. Verlaine »


Verlaine sort de l’hôpital Bichat le 21 janvier 1895. Après une ultime et violente querelle avec sa maîtresse Philomène Boudin, il écrit à Gabriel de Yturri, secrétaire et amant de Robert de Montesquiou, qui le logera au 21, rue Monsieur-le-Prince (adresse évoquée dans la lettre). Il dit cependant : « Quant au 21 rue Mr le Prince, fini : Kleptomanie ! Zut alors ! ». Verlaine est-il en train d’avouer qu’il a volé au domicile de Yturri ? Quoi qu’il en soit, le poète loge de nouveau chez son autre maîtresse Eugénie Krantz, dans une mansarde au 16, rue Saint-Victor, près de l’école Polytechnique. Eugénie l’y soigne, comme il le dit, d’un « abcès sous le pied gauche ». Les derniers mois d’existence du poète vireront au supplice. Cette lettre est écrite dans sa dernière année de vie. Il décède au tout début de 1896, le 8 janvier.

Le traducteur et écrivain Jules Rais (1872-1943) avec correspondu avec Verlaine dans le courant de l’année 1895 pour lui proposer de collaborer à la revue L’Image. Ces échanges épistolaires et les visites du jeune écrivain avaient sans doute adouci les derniers mois d’existence du Pauvre Lélian. Jules Rais meurt en déportation à Auschwitz en 1943.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette Willy » à Alfred Diard
S.l.n.d (entre 1893 et 1906), 1 p. in-8° carrée, à l’encre violette
Trace de pliure d’époque

Colette demande à ce que lui soit envoyée une boite de Savon Velours


« Mon cher [Alfred] Diard, voulez-vous me faire envoyer de chez Roberts [célèbre pharmacie de l’époque], 5 rue de la Paix, une boîte de Savon Velours. Si c’est envoyable par la poste, ça coûtera peut-être moins qu’un colis postal ?
Meilleur souvenir
Colette Willy
Est-ce que Marie-la-Bretonne a commencé à faire les parquets à la paille de fer ? »


Écrite à l’encre violette, cette lettre est caractéristique des années durant lesquelles Gabrielle-Sidonie Colette était en couple avec Henry-Gauthier-Villars, dit Willy (1859-1931). Le destinataire de la lettre, Alfred Diard, était le collaborateur de ce dernier.

SUARÈS, André (1868-1948)

Manuscrit autographe signé « Suarès »
S.l.n.d, 1 p. in-16° oblongue
Ancienne et discrète trace de montage en marge supérieure

Bel éloge sur Botticelli, extrait de son plus célèbre récit : Voyage du condottière


« Botticelli est un inventeur de beauté qui n’a pas de maître, s’il a même un égal. On n’a pas vu beaucoup d’artistes avoir un sens si exquis de la ligne et de la forme la plus rare. Les formes de Botticelli sont des fleurs.
Suarès »


Paru en 1932, Le Voyage du condottière est le plus célèbre récit de Suarès. Écrit à la suite de ses voyages en Italie entre 1893 et 1928, l’auteur y exprime vertement ses impressions de voyage sur les lieux, les gens, les grands hommes et les artistes italiens.
On observe une variante au texte publié en fin du manuscrit : « Les formes de Botticelli sont des fleurs » n’apparaît pas dans l’ouvrage.

BERGSON, Henri (1859-1941)

Lettre autographe signée « H. Bergson » à Raphaël Cor
Paris, 22 mars 1935, 2 p. in-8°
Petite fente à la pliure centrale du second feuillet

Importante lettre inédite du philosophe en réaction à l’article du nietzschéen Raphaël Cor : De la morale bergsonienne à l’immoralisme


« Monsieur,
Je viens de lire avec grand intérêt votre article “De la morale bergsonienne à l’immoralisme”, et je tiens à vous remercier de me l’avoir envoyé, avec une aimable dédicace. Comme votre titre même l’indique, l'”immoralisme” n’a rien de commun avec la morale que j’expose : ce sont deux antipodes.
Mais je trouve intéressante la relation que vous établissez entre l’immoralisme et la question sexuelle. Sur cette dernière question je me suis expliqué moi même dans le livre dont vous parlez (page 326). –
Vous avez résumé avec une élégante précision (mais peut-être en la réduisant à une affirmation trop simpliste) la distinction que j’établis, dans le domaine moral et religieux, entre le statique et le dynamique, entre le clos et l’ouvert. D’autre part, pour ce qui concerne l’au-delà, je ne vois rien, dans mes explications, qui s’oppose à la “survivance personnelle” : il me semble, au contraire, que je l’ai affirmé dans toute la mesure où c’est possible si l’on s’en tient à la philosophie pure.
Tous mes compliments pour cette intéressante étude, avec l’expression de mes sentiments dévoués.
H. Bergson »


Henri Bergson se réfère dans cette lettre inédite à l’article De la morale bergsonienne à l’immoralisme de Raphaël Cor, paru le 1er mars 1935 au Mercure de France (vol. 258, n°881, p. 225-246). Né en 1882, Cor est écrivain et critique littéraire et collabore assez régulièrement à la revue, où il a déjà publié des essais sur Proust, Dickens et Anatole France. Il est aussi auteur des Essais sur la sensibilité contemporaine (1912), où il rapproche Nietzsche de Bergson par la médiation de Schopenhauer.
Dans son article sur la morale bergsonienne, Cor s’appuie sur Les deux sources de la morale te de la religion, publié par Bergson chez Alcan en 1932. Les pages de l’article de Cor sur l’hypocrisie de la morale sexuelle, où il présente l’amour charnel comme une figure de l’amour mystique, retiennent l’attention de Bergson, qui rappelle à Cor ses propres réflexions critiques sur le caractère aphrodisiaque de notre civilisation. Il tient aussi à répondre à Cor à propos de la survivance de l’âme personnelle (voir source infra).

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à son ami graphologue Raymond Trillat
[St Benoît-sur-Loire], 12 septembre [1942], 2 p. in-4°
Enveloppe autographe jointe

Longue lettre inédite du poète faisant allusion aux visites de la gendarmerie pour vérifier le port de l’étoile jaune à l’occasion du deuxième recensement des juifs dans le Loiret
Max Jacob termine sa lettre en citant six amusants vers holorimes


« Cher Raymond,
Refaire l’Histoire avec la graphologie et l’Astrologie – Y compris l’Histoire littéraire. S’adjoindre un type calé en histoire, un agrégé de bon poil – oui – voilà une œuvre si tu avais le temps. Procéder par morceaux : expliquer Jeanne d’Arc par le Capricorne puisqu’elle ne savait pas écrire. Je voudrais bien entendre ta conférence… Procéder à froid sans idée préconçue l’astrologie en servant les passions de l’astrologue est perdue. 
Ici visites quotidiennes à tel point qu’on a fait un rapport (délation) à la police. Mon protecteur parisien a du mal à me sortir de là. Je m’attends au pire – et j’attends le pire. Sans y croire à cause de ma confiance en mon protecteur et en Dieu. Aucune inquiétude profonde.
J’ai tant vendu de peinture que je suis obligé de m’y mettre pour faire du stock. Me revoici peintre.
C’est tout !

Je voudrais me marier, dit ma célèbre logeuse, de préférence avec un oto-rino.
Eh bien, lui dit son interlocutrice, il faut mettre une annonce dans Le Chasseur français !
A-t-elle pris oto rino pour le nom d’un gibier ?
Car rino-c’est-ros

Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l’arène à la tour Magne à Nîmes [Marc Monnier (attribué à tort à Victor Hugo)]
***
Dans ses meubles laqués, rideaux et dais moroses
Danse, aime, bleu laquais, ris d’oser des mots roses [Charles Cros, Le Coffret de santal, 1873]
***
Par le bois du Djinn, où s’entasse de l’effroi,
Parle et Bois du gin ou cent tasses de lait froid. [Alphonse Allais]

Joyeuses Pâques
Il faut se spécialiser à tout prix, émonder, couper, concentrer

Max Jacob

Il doit s’être introduit dans mon graphisme quelque signe de folie (aliénation mentale) ou maladie de l’œil. 

Peut-être seulement insuffisance biliaire.

Embrassons nous »


Il est difficile de connaître l’identité du protecteur de Max Jacob. Ce dernier n’ayant jamais dévoilé de noms, plusieurs de ses amis peuvent toutefois être considérés comme des « protecteurs » au sens où ils donnent à Max Jacob des informations cruciales car étant à des places stratégiques. En l’espèce, Max Jacob a été accusé de « complot juif » car il recevait beaucoup de monde à l’été 1942, il s’en ouvre auprès de Conrad Moricand, alors secrétaire particulier de Georges Oltramare. Jusqu’à la démission de Moricand – à la moitié de l’année 1943 – il est de fait possible de considérer Moricand comme un « protecteur ».
Max Jacob est finalement arrêté le 24 février 1944 par trois membres de la Gestapo d’Orléans. Il meurt au camp de Drancy le 5 mars suivant.

Raymond Trillat est un graphologue de référence pour Max Jacob, qu’il consultait en plus de son graphologue attitré, Jean Tuset. Notons qu’à propos des analyses graphologiques de Trillat, le poète y voyait d’ailleurs un apport de l’astrologie « je ne crois pas que ce soit par les manuels que Trillat soit parvenu à une science où il me paraît novateur… Il y a plutôt là un don de la médiumnité, mais surtout de l’observation et de l’attention » (cf. Belaval, “La rencontre avec Max Jacob”, Vrin, p. 44)

BERGSON, Henri (1859-1941)

Lettre autographe signée « H. Bergson » à Michel Georges-Michel
Saint-Cergue, 1er août 1926, 3 pp. in-8° à l’encre noire sur bifeuillet vergé

Lettre inédite en réponse à Georges-Michel, dont le dernier ouvrage a pour partie du titre le nom du philosophe


« Cher Monsieur,
Malade depuis bien des mois et particulièrement souffrant dans ces derniers temps, je n’ai pas encore pu vous dire avec quel intérêt je vous ai lu. Vos interview sont d’une fantaisie originale et singulièrement amusante, – diversement amusante d’ailleurs, car si votre interlocuteur n’a peut-être pas toujours tenu les propos que vous lui prêtez, du moins aurait-il pu les tenir : chacun de ces petits morceaux porte bien la marque d’une personnalité.
J’ai trouvé une saveur toute particulière à votre “goûter” avec Tristan Bernard, qu’on pourrait citer comme un modèle du genre. Que n’avez-vous choisi son nom, de préférence au mien, pour le titre de votre livre ? Vous auriez donné une idée plus juste du contenu, car il circule à travers ces pages un courant ininterrompu d’humour qui n’est pas, il faut bien le reconnaître, la caractéristique de mes travaux. Mais puisque vous avez voulu me témoigner votre sympathie en me faisant l’honneur de mettre mon nom en vedette, j’aurais mauvaise grâce à vous le reprocher.
Je ne puis vous dire combien j’ai été sensible à l’aimable pensée que vous avez eue de faire imprimer spécialement pour moi un superbe exemplaire du livre, ni combien j’ai été touché de la lettre que vous avez bien voulu joindre à votre envoi.
Laissez-moi vous adresser mes remerciements les plus cordiaux, et croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments tout dévoues.
H. Bergson »


Henri Bergson répond ici aimablement (en laissant peut-être entrevoir un léger agacement) à Michel Georges-Michel, qui lui avait envoyé son livre En jardinant avec Bergson, publié chez Albin Michel en 1926.
L’exemplaire dédicacé envoyé par l’auteur à Bergson est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet de Paris (côte IV-BGN-IV-52, inventaire BGN 1038).
La lettre est envoyé depuis Saint-Cergue en Suisse, où Bergson passait régulièrement ses étés depuis 1909.

PÉTAIN, Philippe (1856-1951)

Lettre autographe signée « Petain » [à Jean-Louis Forain ?]
S.l, 10 août 1918, 1 p. in-8° à son en-tête

Les inspirations artistiques du maréchal Pétain quelques jours après la victoire de l’Armée française à la seconde bataille de la Marne, au terme de la Première Guerre mondiale


« Mon cher ami,
Il me vient une idée de dessin que je vous soumets.
Le “Nach Paris” des Boches serait représenté par quelques cadavres descendant la Marne au fil de l’eau.
Peut-être l’idée vous séduira-t-elle ?
Bien cordialement à vous
Petain »


Cette lettre est sans doute adressée à Jean-Louis Forain (1852-1931), dont on connaît un dessin figurant un cadavre de soldat descendant la Marne au fil de l’eau. Ce dessin au crayon gras est intitulé « LA MARNE en juillet 1918 / NACH PARIS… ».
Cette demande du Maréchal à l’artiste intervient seulement quelques jours après la deuxième victoire de la Marne (27 mai – 6 août 1918), dernière grande bataille de la Première Guerre mondiale. Suite au traité de Brest-Litovsk, les Allemands se sont concentrés sur le front de l’Ouest. Une offensive allemande est lancée le 27 mai. Le déroulement de cette bataille est différent des autres : l’artillerie appuie de ses feux l’infanterie, l’aviation intervient par ses bombardements. Les chars français et tanks britanniques accompagnent l’infanterie sur le champ de bataille. Après trois mois et plusieurs batailles défensives et offensives, l’armée française repousse avec succès l’armée allemande.

BOURDELLE, Antoine (1861-1929)

Lettre autographe signée « Bourdelle » à un ami
Paris, 12 avril 1920, 2 pp. in-8°
Petite décharge d’encre sur la deuxième page

Bourdelle évoque l’un des bustes qu’il réalisa pour Anatole France et l’influence de Rodin sur son art


« Cher ami,
Combien je suis touché du très bel empressement à vous mettre en labeur de défendre.
Merci du secours de votre épaule qui aidera le grand labeur que je vais entreprendre […] On a insisté pour que je place à côté de l’effigie du grand prophète de Pologne celle du maître incontesté Anatole France.
Il y viendra demain matin à l’aube du grand vernissage du public = Cela sera le document direct, l’original… analysé directement sans le délicieux modèle – qui sans un instant de lassitude – parlais tout en pesant le langage de Jérôme Coignard ou celui de Maurice Bergeret.
Le buste, cette image, vous l’avez vu chez moi peut-être =
A. France y est nu jusqu’à presque mi-corps
Il a tenu à ce que son nom y soit gravé de sa propre main […]
J’ai voulu vous signaler ce nouvel arrivant = ce chef construit ou les initiés pourront étudier combien les raisons que vous dites – de ma technique apprise complétée de Rodin – s’inscrit même dans le portrait, et c’est là le point capital [qui] s’unit au sens du bloc, au sens qui porte du dedans – [qui] songe à épouser la lumière et l’espace.
Ce travail m’a valu l’amitié morale et spirituelle du maître.
J’ai donc vite songé à vous signaler sa venue tardive au salon.
Car il n’est pas au catalogue.
Encore toute ma gratitude et mon affectueuse estime.
Bourdelle
Les députés embêtés par l’autre sculpteur mettent une simple plaque au lieu de ma victoire. Mon pays ! »


Plusieurs bronzes originaux du célèbre portrait d’Anatole France par l’artiste sont aujourd’hui conservés au Musée Bourdelle et qu’au Musée d’Orsay.
L’influence de Rodin sur les œuvres de Bourdelle est considérable. Il fait ses premières armes comme praticien dans l’atelier du maître dès 1893. Son esthétique se détache de celle de Rodin au tournant des deux siècles, quand il réalise sa Tête d’Apollon. Bourdelle sera bientôt considéré comme l’incarnation d’une césure esthétique, alternative fondamentale à la politique de tabula rasa des avant-gardes et à son tour maître pour de nombreux artistes majeurs du XXe siècle.

PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Lettre autographe signée « Jacques » à Claudy Emanuelli, dite Claudy Carter
S.l.n.d [Paris, c. 1947], 4 pp. grand in-4° à l’encre bleue puis à l’encre turquoise
Traces de pliures d’époque, légères brunissures

Longue lettre à son amour passionné de jadis qui lui inspirera Les Feuilles mortes
Le poète évoque avec tendresse le quotidien avec sa fille puis laisse éclater son exaspération à l’égard de Marcel Carné, avec qui la rupture est actée
Il enrichit sa lettre d’un petit dessin figurant son portrait


« Mon cher Petit,
Si je ne t’ai pas écrit plus souvent et pour mieux dire presque pas depuis notre départ de Saint-Paul [de Vence], c’est que nous avons été plongés nous aussi dans un hiver d’une vacherie, un des plus sales hivers que j’ai jamais vu de ma vie.
Pardonne-moi de te parler de mes ennuis mais tout le temps j’hésitais : ou ne pas trop donner de nouvelles ou en donner de mauvaises.
Et comme elles n’étaient pas bonnes du tout, j’attendais que ça change mais comme cela n’a pas changé je ne voulais tout de même pas que tu puisses croire que je t’oublie et que je ne pense pas tout le temps à toi et aux difficultés au milieu desquelles tu te débats pour vivre.
Pour nous c’est très sinistre aussi.
Une seule chose heureuse, la petite Michèle qui elle aussi a l’air d’une petite mandarine avec des yeux bleus, ou d’une enfant ogresse et douce, comme dans les contes chinois… et je lui souhaite pour plus tard une petite épée de cristal… et qu’elle vive comme dans ces contes où les amoureux s’aiment et se tuent sans se faire du mal.
En attendant elle est très difficile à nourrir… et la seule vue d’un biberon avec du lait la met en transe.
Elle n’aime que dormir, se réveiller et rire, elle n’aime pas pleurer, ni crier mais quand elle mange c’est un vrai mélodrame (drame mêlé de musique)…
Pas marrant pour Janine, qui est très fatiguée, et même très malade…
Pour moi qui n’ai pu me reposer depuis que j’ai été opéré je suis lamentablement surmené, par un travail incessant de cinématographe parlant (quelle tristesse)…
Mais je suis tellement content et bien partout que je n’ai rien à foutre.
Je suis tombé dans des pièges à con :
1° pas de grands films et autres superproductions
2°… et qui de ce fait ne rapporte même pas d’argent
Avec ça des arbitrages, des lettres recommandées, des menaces de procès et Marcel Carné qui décidément a chié dans ma malle jusqu’au cadenas… je ne veux plus travailler avec lui.
Quelle fatigue… et quelle tristesse…
Ce petit homme trépignant sans cesse… et ces incessants et dérisoires sautillantes petites colères….
Et avec ça, plus il est connu, plus on parle de lui […] Je préfère prendre mes cliques et mes claques que de lui en donner une paire.
J’ai encore 2 à 3 semaines de travail sur le plan que nous préparons et j’avais accepté ce travail que par nécessité…
Tout ceci pour te dire combien le cinéma est difficile aujourd’hui ; et les producteurs se mettent en grève : quelle connerie… […]
Non seulement moi, mais beaucoup d’autres, dont Margot [Capelier] très activement, cherchons du travail pour toi… et ce n’est pas facile…
[il change d’encre pour passer du bleu au turquoise]
Voilà, Manu va passer ces jours-ci à Nice et viendra nous voir.
Écris-moi, immédiatement, je veux savoir comment tu vas… ces jours-ci je t’enverrai un peu de fric…
On compte aller à Saint-Paul bientôt et pour longtemps…. Si certaines choses s’arrangent je travaillerai pour Monte-Carlo, spectacles et ballets… Et j’ai parlé de toi à Nestor pour le spectacle, il serait d’accord.
Voila, excuse cette lettre un peu décousue, moi j’ai très mal partout et à la [fait son autoportrait dans un dessin à main levée]
Embrasse le mandarin et beaucoup de choses à son père.
Je t’embrasse
Ton ami
Jacques »


À l’écriture de cette lettre Prévert et Carné en était à leur huitième collaboration, auréolée du succès de Quai des Brumes, Les Visiteurs du Soir et Les Enfants du Paradis, leurs chefs-d’œuvre communs. Le printemps 1947 va cependant marquer une fin houleuse entre les deux hommes lors du tournage (finalement avorté) de La Fleur de l’âge, mille fois ajourné pour cause d’embarras financiers de deux producteurs (auxquels Prévert fait ici allusion). De ce tournage il ne restera rien, hormis quelques sublimes photographies d’Émile Savitry.
La rupture Carné-Prévert marque ainsi la fin de l’âge d’or du réalisme poétique et de la « bande à Carné ».

Claudy Emanuelli est une toute jeune actrice de 15 ans lorsqu’elle fait la connaissance de Prévert à la fin des années 30, lui qui est déjà au sommet de sa gloire. Il vivent une grande passion amoureuse qui prendra fin avant que le poète ne fasse la connaissance de sa seconde femme Janine Fernande Tricotet, en 1943. Cette lettre témoigne de l’affection que porte Prévert à son ancien amour pour qui il voue une grande tendresse et tente d’aider dans son parcours professionnel.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF Céline » à Charles Deshayes
Korsør, 1er septembre 1947, 5 p. in-folio à l’encre bleue
Enveloppe autographe jointe
Déchirure habilement réparée en marge supérieure du premier feuillet

Longue lettre aux accents antisémites – L’écrivain revient en détails sur les différents épisodes ayant jalonné ses affaires judiciaires, depuis son accusation de collaboration active avec le régime nazi jusqu’à sa peine de prison


« Cher ami.
Vous avez bien raison. Il ne faut rien tenter de plus… Sauf si j’avais des dizaines de millions à lancer dans l’affaire… Si j’étais nabab comme Guitry, choyé comme Montherlant, si j’avais gagné des Golcondes(1) avec le mur Atlantique(2)je pourrais gaver toute cette meute de chacals, robins, etc… Hors le fric pas de salut. Vénalité absolue. Jamais Pauvreté n’a été plus infamante qu’en ces jours. Pauvre = Coupable = Traître = Charogne = Bête à dépecer = Motus ! Jamais l’Humanité n’est tombée si bas, ni la France – même sous Mazarin. L’histoire du youtre Schwob n’a ni queue ni tête(3). 1° Bagatelles n’a jamais été interdit sous Daladier. (Il a été interdit en Zone Sud sous Pétain !)(4)
2° Denoël, non moins crapule que Schwob avait en effet ajouté cette bande, sponte sua [de son propre mouvement]. Soit 2 mensonges conjoints, deux crapules conjointes. Déconnages…
L’acte d’accusation était de la plume (de quoi je me mêle) du dénommé Guy de la Charbonnière (5) – ex résistant (?) à Vichy pendant toute la guerre, devenu diplomate on ne sait comment ? Enfila-t-il Mme Bidault ? On le prétend. Il est hideux en tout cas, imbécile, gaffeur et certainement 1/2 juif. Ses attaques forcenées, délirantes, m’ont fait d’ailleurs auprès des Danois beaucoup plus de bien que de mal. Je dois à ce petit forcené con, beaucoup. Le juge d’instruction qui a décerné contre moi le mandat d’arrêt en vertu de l’article 75 et est nommé [Alexis] Zousman(5) (Paris). Il n’était pas parait-il si défavorable… Ce Zousman n’est plus chargé de mon affaire… Quel autre ? Je ne sais pas… Je m’en fou… J’ai payé ne l’oubliez pas de 17 mois de réclusion mon refuge au Danemark, alors il faudrait qu’on apporte la preuve que je suis criminel de guerre pour qu’on m’extrade.
Les Danois ont été aussi loin que possible dans l’enquête. Ils ont envoyé à Paris un professeur de droit (maquisard danois, passé la guerre en Suède !) un juif dénommé Howitz, pour enquêter à Paris sur mon cas, trouver un fait qui leur permette l’extradition. Il est revenu bredouille… Howitz est l’auteur de la Loi Danoise contre les collaborateurs – qui est singulière et unique au monde par le fait qu’elle est rétroactive. Elle punit les faits de collaboration antérieure à 39 ! Elmquist frère du ministre de la justice danoise et avocat s’est aussi rendu à Paris pour enquêter sur mon cas : bredouille… Le g[ouvernemen]t Danois a offert par 2 fois à la justice française d’envoyer ici une Commission Rogatoire : Silence. Alors en désespoir de cause on m’a placé en liberté sur parole, ou plutôt prisonnier sur parole. Cas unique dans l’histoire du Danemark qui n’a jamais eu de réfugiés politiques de nulle part. Sauf les juifs d’Hitler qui sont citoyens du monde. C’est une autre histoire.
En vérité c’est le Solicitor General de la couronne Anglaise qui donne le ton en ces matières au g[ouvertnemen]t Danois. Il a été aussi consulté officieusement sur mon cas. Négative fut la réponse. Alors Charbonnière l’a eu dans le cul. Il s’y était pris aussi comme un manche, vitupérant, personnel, idiot. Ouf ! Toute la diplomatie française…
Les N[ouvelles] Paroles(7) sont vendues ou opportunistes tout autant que le Cheval Ailé. Tout ceci pue la police et l’enveloppe !
Que [Jean] Luchaire a de successeurs ! Comme il aurait fait merveille ! On assassine les techniciens ! Les juifs on leurs idiots comme nous. La preuve où ils en sont ! Et relisons Plutarque !
Votre bien sincère et amical
LF Céline »


1- Golconde, ville de l’Inde qui connut son heure de gloire au XVIe et XVIIe siècles comme capitale d’un sultanat musulman du Deccan. Céline fait ici allusion aux mines de diamants de Golconde.
2- Argument cocasse employé dans toutes ses correspondances de l’époque
3- René Schwob (1895-1946), auteur d’une « Lettre ouverte à Céline », Esprit, n°6, mars 1933
4- En mai 1939, avec l’accord de Céline, Denoël avait retiré de la vente les pamphlets antisémites Bagatelles pour un massacre et L’École des cadavres. Les beaux draps a été interdit le 4 décembre 1941 en zone non occupée.
5- Guy Girard de Charbonnière (1907-1990), ambassadeur de France à Copenhague depuis septembre 1945. Il avait été nommé par Georges Bidault (1899-1983), ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, et chargé par ce dernier de demander l’extradition de Céline. Voir l’article de Samedi-Soir du 14 février 1946 : « M. de la Charbonnière veut ramener Céline à Paris », et les attaques de L’Humanité du 24 juin 1946, à la fois contre « l’ordurier écrivain hitlérien » et le « distingué diplomate [qui] n’eut pas tellement à se plaindre du gouvernement de Vichy ».
6- Alexis Zousman (1908-1978) est nommé juge d’instruction en 1944. C’est lui qui lance un mandat d’arrêt contre l’écrivain qui fut arrêté en décembre 1945 à Copenhague pour être emprisonné pendant 18 mois à la Vestre Faengsel, jusqu’en juin 1947.
7- Les Nouvelles paroles française

GIONO, Jean (1895-1970)

Carte postale autographe signée « Jean Giono » à Anna Robin
Manosque, [31 août 1941] (cachet postal), 1 p. in-8° oblongue, adresse autographe au verso
Trace de pliure centrale, petites décharges d’encre

Affectueuse carte-lettre du romancier à une bienfaitrice


« Chère Anna. Je continue à vous aimer fidèlement de toute mon affection. Nous parlons souvent de vous et il ne se passe pas de jour que je ne vous remercie dans mon cœur pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je vous dois en grande partie mon bonheur. Il est sans égal au monde. Combien de fois n’avons nous pas regretté que vous soyez si loin de nous. Un mot de vous me donnerai une grande joie et aussi de vous aider si c’était nécessaire. Je vous embrasse pour nous deux.
Jean Giono »

[Adresse au verso]

« Jean Giono
Manosque

Madame Pierre Robin
Le Chaland qui passe
Montcourt – Fromonville
par Grez sur Loing
Seine et Marne »


On ignore à peu près tout d’Anna Robin, sa correspondante, à qui toutefois Giono semble ici infiniment reconnaissant.
En cette même année 1941, l’écrivain venait de publier son essai littéraire Pour saluer Melville, paru chez Gallimard. Il avait fait paraître une traduction de Melville deux ans plus tôt, coécrite avec Lucien Jacques.

[RIVIÈRE] CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Manuscrit autographe signé « Paul Claudel »
Château de Lutaines, juin 1925, 17 p. 1/2 in-4°
Quelques toutes petites taches superficielles

Manuscrit complet de sa préface pour le roman de Jacques Rivière : À la trace de Dieu


À la trace de Dieu est tiré du journal de captivité de Jacques Rivière. Paul Claudel en souligne l’idée directrice : Dieu est « un fait, une personne, une réalité en quelque sorte extérieure et concrète, se présentant à nous, s’imposant à nous avec l’autorité, le mystère, le sans gêne, l’apparence illogique et pour nous presque scandaleuse des êtres et des phénomènes naturels ». Ce qui attire Rivière dans la foi chrétienne, c’est « son homogénéité avec le réel ». Claudel met en avant les théories de Rivière sur la Providence, avec laquelle l’homme collabore, et la prière qui est « l’épanouissement suprême de notre liberté ». Il évoque une étude de Rivière, Le Catholicisme et la Société, dans laquelle il fait remarquer que l’Église catholique a toujours eu « des difficultés avec toutes les formes de la Société et de l’État, même de celles qui lui paraissaient lui emprunter leurs principes constitutifs ». Mais il est « inexact de dire qu’il y a dans le Christianisme un principe anti-social. On devrait dire plutôt qu’il contient un principe architectural si énergique et si vaste qu’aucune société actuelle n’est capable de le contenir ». Il y a cependant un point sur lequel Claudel n’est pas d’accord avec Rivière, c’est lorsque celui-ci montre chez les chrétiens « une résignation, une soumission, une indifférence à leur droit, que l’Histoire de nous montre précisément pas. Il n’y a pas de professeur au bout de la rue Soufflot qui ne soit en état de lui démontrer au contraire combien la théologie a aiguisé et délié le sens juridique ». Il pense que la vie de Rivière « est la meilleure illustration de cette Providence dont il n’a cessé de sentir la main sur lui ». Il évoque sa conversation, le jour de Noël 1913, sa captivité, les dernières années de sa vie, jusqu’à «  la convocation individuelle du 14 février 1925 ». Il conclu par ces mots : « Mon Dieu, je vous remercie pour tant de joie ! »


Paul Claudel, qui a beaucoup correspondu avec Jacques Rivière au début de sa vie littéraire, parle avec émotion d’un livre qu’il a été le premier à découvrir et qui retrace le cheminement spirituel de son auteur.
A la trace de Dieu, journal de captivité, fut publié par la NRF en 1925, peu de temps après la mort de Jacques Rivière qui y avait retranscrit son expérience de prisonnier de guerre pendant la guerre de 14-18, et partagé sa philosophie de chrétien.

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Fernand Desmoulin
Médan, 8 août 1895, 2 pp. in-8°

Affectueuse lettre d’un Zola solitaire et comme toujours plongé dans la rédaction de ses romans – L’écrivain laisse ici entrevoir quelques traits intimes de sa vie monacale et sa passion pour la bicyclette


« Mon bon ami, ma femme [Alexandrine] allait vous écrire. Vous savez peut-être que les pauvres Charpentier(1) vont venir passer une semaine ici ; et nous rêvions de vous avoir en même temps. Mais, puisque vous nous revenez en septembre, ce n’est que partie remise(2). Nous comptons absolument sur vous.
Je n’ai pas revu Charpentier, car je suis cloué ici par le travail [Zola est alors en pleine rédaction de Rome, deuxième volume de son cycle romanesque Les Trois Villes]. Ma femme l’a revu, ainsi que madame Charpentier, avant qu’ils partent pour Houlgate3 ; et elle a été navrée du deuil de ces pauvres amis. Comme vous le dites très bien, leur douleur a dû grandir, dans le repos et dans la réflexion(4). Tout cela est affreux.
Ici, nous n’allons pas trop mal tous les deux, très solitaires comme toujours, et en attendant que l’été se passe. Le temps, d’ailleurs, est affreux. Moi, je fais beaucoup de bicyclette ; et, comme vous, j’y trouve une grande distraction(5). J’ai fini par mépriser le temps, par sortir sous les averses, ce qui fait que je rentre trempé, couvert de boue. N’importe, ça me fait grand bien. Je vous attends pour que vous m’entraîniez. Je veux tenter avec vous quelques longues courses6.
Et voilà, mon bon ami. Ne broyez pas trop de noir dans les tristes circonstances où vous vous trouvez. Portez-vous le mieux possible, et à bientôt, le ménage vous attend.
Bien affectueusement à vous de notre part à tous les deux.
Émile Zola »


1- Le couple Charpentier vient de perdre Paul, leur troisième enfant, disparu brutalement à l’age de 20 ans.
2- Desmoulin, veuf depuis le 5 juin 1894, est en villégiature à Châtillon-en-Bazois (Nièvre) ; il était venu à Paris pour l’enterrement de Paul Charpentier. Le 3 août, il avait écrit à Zola : « L’autre jour, au cimetière, je vous ai cherché vainement, […] je n’ai pas pu vous dire au revoir, car je repartais le lendemain pour Châtillon où je suis encore, tout seul, et pas joyeux, je vous en réponds […] Je rentrerai au mois de septembre, et vous ? » En fait, Zola le rencontrera à Paris le 28 août.
3- La famille Fasquelle passe le mois d’août à Houlgate
4- « J’ai reçu plusieurs fois des nouvelles des Charpentier » poursuit Desmoulin dans la lettre précitée. « Je crois que le moment présent est encore plus cruel pour eux que les heures de lutte, pendant lesquelles une lueur, bien faible, mais enfin une lueur d’espoir restait encore […] C’est une succession de tristesses qui me fait passer d’étranges vacances »
5- Sa bicyclette, écrivait Desmoulin, était sa « chère consolatrice »
6- Zola faisait déjà de longues promenades. Le 31 août, son épouse écrit à Élina Laborde : « Il s’est fait cadeau d’un vélodromètre, et il a pu constater qu’en partant de la maison rue de Bruxelles, à ici, chez nous, en passant par Saint-Germain, il y a 34 kilomètres ». Passionné de photographie, Zola s’est souvent mis en scène avec sa bicyclette dans les dernières années de sa vie.

“Éditeur des naturalistes”, comme il se nommait lui-même, Georges Charpentier (1846-1905) était un proche de Flaubert, Maupassant et Zola. Il a promu les peintres impressionnistes et a constitué avec sa femme, Marguerite, une importante collection d’art.

Peintre et graveur français, Fernand Desmoulin (1853-1914) est collaborateur à La Vie moderne. Il fait avec Zola la connaissance de Georges Charpentier avec qui il se lie d’amitié.

GUITRY, Sacha (1885-1957)

Lettre autographe signée deux fois « Sacha Guitry » à un monsieur
S.l.n.d « 3 heures du matin », 1 p. in-4° à l’encre noire sur papier beige

Sollicité pour la rédaction d’un poème, Guitry répond avec humour et subtilité, puis enrichi sa lettre d’un dessin original


« 3 heures du matin – vraiment !

Monsieur
Voici le petit poème que je vous ai promis. Il ne m’a pas été possible de vous le donner manuscrit : il est trop long ! Et c’est pour la même raison qu’il n’est pas illustré. Pourtant, si je puis me permettre de vous donner un conseil, je ferai la mise en page de la façon suivante :
[Guitry dessine deux feuillets et une pendule affichant 3h du matin, puis signe]
Je voudrais bien avoir des épreuves, svp.
Avous des deux mains
Sacha Guitry »


Auteur dramatique prolifique, Sacha Guitry écrivit cent-vingt-quatre pièces de théâtre, dont beaucoup furent de grands succès. Il réalise trente-six films (dont dix-sept adaptations de ses pièces), interprétant lui-même dans la quasi-totalité dont Désiré, Mon père avait raison, Quadrille, Si Versailles m’était conté etc.

BALZAC (de), Honoré (1799-1850)

Lettre autographe signée « de Balzac » à l’éditeur Charles Motte
[Paris], « 8 8bre » [octobre 1831], 2 p. in-8°, adresse autographe sur la quatrième page
Quelques petites taches superficielles, pli central discrètement renforcé, infimes manques sans atteinte au texte
Quelques mots caviardés de la main de Balzac

Balzac fait parvenir à son correspondant ses Romans et contes philosophiques, parmi lesquels figurent La Peau de chagrin et Le Chef d’œuvre inconnu


« Mon cher Monsieur Motte, je n’ai pas perdu le souvenir des obligations que j’ai contractées envers vous – Vous m’avez donné de charmantes lithographies et je vous promis de vous faire des articles. Ils n’ont point été faits et cette conduite constituerait une sorte d’indélicatesse très éloignée de mon caractère ; mais La Mode a changé de maîtres à cette époque(1); je me suis brouillé avec Le Temps ; et les occasions de vous servir n’ont pas répondu au désir que j’en avais. Voilà l’histoire de mon manque de foi apparent ; perdonate mi.
Je n’ai pas osé vous faire demander le prix de mon album, mais voulez-vous me permettre de vous offrir un échange de nos productions ; échange auquel vous perdez, mais au moins avec le temps, la quantité de mes produits finira peut-être par équivaloir à la qualité des vôtres et ma conscience sera plus tranquille – Maintenant permettez-moi d’ajouter sérieusement que je vous offre mon livre [Romans et contes philosophiques] comme un témoignage de notre ancien voisinage(2), et comme une marque de profonde estime pour vous qui n’êtes pas le moindre artiste parmi ceux dont vous traduisez les œuvres.
Agréez mes compliments affectueux
8-8bre de Balzac.
Il va sans dire, qu’aussitôt que par ma position journalistique je pourrai vous être utile vous n’aurez qu’à demander – pour le moment, je serais en mesure à l’Artiste(3) et j’ai des amis au Messager(4). »


1- Balzac cessa de collaborer avec la revue hebdomadaire La Mode (fondée par Émile de Girardin) après décembre 1830
2- En 1826-1828, Charles Motte avait habité 13, rue des Marais-Saint-Germain (l’atelier de Delacroix était au n° 17) et avait donc été le voisin de Balzac imprimeur.
3- Le premier numéro de L’artiste, fondé par Achille Ricourt, est du dimanche 6 février 1831. En octobre 1831, Balzac était en bons termes avec Ricourt. Il n’en était plus de même en octobre 1832, le directeur de L’Artiste ayant fait reproduire Le Colonel Chabert dans Le Salmigondis sans l’autorisation de son auteur.
4- Charles Rabou et Philarète Chasles (préfacier des Romans et contes philosophiques en 1831)

Parmi l’édition des Romans et contes philosophiques envoyées ici par Balzac à son correspondant figurent entre autres :
-La Peau de chagrin
-Le Chef-d’œuvre inconnu (publié à l’époque sous le titre Maître Frenhofer)
-L’auberge rouge
-Adieu
-Le Réquisitionnaire
-El Verdugo

Ces œuvres furent rattachées quinze ans plus tard à La Comédie humaine

Charles Motte (1784-1836) est l’un des plus importants lithographes et éditeurs français pendant la Restauration.

[MANET] DAUDET, Léon (1867-1942)

Manuscrit autographe signé « Léon Daudet »
S.l.n.d [Paris, c. juin 1932], 4 pp. grand in-4° à l’encre noire sur papier vert pâle
Annotations typographiques, quelques petites taches superficielles

Nous ne transcrivons ici qu’une partie du manuscrit

Bel éloge sur la peinture de Manet, en marge d’une exposition lui étant consacrée au Musée de l’Orangerie à l’été 1932


« Il éclate à l’Orangerie des Tuileries ou se presse, depuis quelques jours une foule immense d’admirateurs et d’admiratrices appartenant à tous les milieux et à plusieurs nationalités. Là se trouvent réunies les toiles célèbres, le “Déjeuner sur l’herbe”, le “Toréador mort”, le “Balcon”, les “Danseuses espagnoles”, les toiles les plus représentatives […] de Manet, traduisant les différents aspects de cette intelligence et pénétration des choix et des genres par la couleur. Courbet, l’autre moitié du duumvirat esthétique dans la seconde moitié du dix neuvième siècle, commande aux forces, notamment à la féminine, une maîtrise égale à Titien ou des fresques antiques […] Il est à la peinture ce que Rodin est à la sculpture. Alors que Manet c’est le beau chromique, la fête de la décomposition de la lumière par le prisme, et l’usage devant lui du mot profond de Goethe : “La couleur est l’expression et la souffrance de la lumière”.
Manet est à la peinture ce que Baudelaire est à la poésie : le révélateur d’un domaine nouveau qui a su catégoriser ses correspondances, ses interférences, ses exaltations, comme l’intelligence a les siennes. Il a un vert, un bleu, un jaune, un orange qui n’appartiennent qu’à lui, alors que les lignes sont issues de Goya ainsi que quelques unes de ses compositions (Espagne… Fusillade de Quertaro [L’exécution de Maximilien] etc…). Les aspects moreaux de Baudelaire, dans ses poèmes les plus caractérisés, ont aussi ce caractère étincelant et désolé qui nous joint à la lecture, comme les toiles de Manet qui nous joignent à la vision. À mesure que Manet, visiblement né pour la joie oculaire, la plus violente de toutes, marchait vers la maladie (le tabès) et la mort, il avançait aussi vers le soleil, par l’éclaboussement lumineux de ses dernières toiles. Il me fait penser à Henri [Heinrich] Heine, atteint du même mal […].
J’ai toujours pensé que l’exaltation chromique de Manet était une conséquence de sa maladie, déjà latente en lui, bien avant qu’elle se manifeste […].
Les Académiques ont reproché et reprochent encore à Manet de “n’avoir pas de sujet”. Mais tout est sujet au peintre ivre de couleurs, comme au musicien ivre de son, comme au poète ivre de rythme […] Les Lances, tableau historique de Velasquez, ne dépassent pas les Fileuses du même, qui sont des filles ayant chaud et travaillant à des tapisseries que de belles dames au fond estiment et choisissent […].
Vermeer de Delft n’a pas de sujet : une dame en toilettes qui lit un lettre devant une carte […] une rue au bord d’un canal, voilà les thèmes habituels, d’où ressortent des tableaux inoubliables, suggérant mille pensées diverses et procurant à l’une une volupté infinie. C’est du “sujet ressassé qu’est issue ce pompiérisme [art académique].
[…]
Je songeais en regardant ces Manet – dont Zola, il faut le reconnaître, eut le premier le sentiment net – aux colèresL’Olympia huée, conspuée, traitée d’ordure innommable, d’offense à la pudeur, d’obscénité sans nom, a pris place tranquillement parmi les plus beaux tableaux du monde, aux côtés de Desnuda de Goya. Cette enfant de Paris, à la chair crayeuse par le manque de lumière des taudis, dans son petit visage fermé, buté, arrêté, mais belle de… proportion, a provoqué autant d’articles [et] d’éreintements que la Dante [allusion semble-t-il à Ugolin] de Carpeaux, ou les baigneuses de Renoir, ou le Balzac de Rodin, ou la Carmen de Bizet, ou le Tannhauser de Wagner, ou les Fleurs du Mal, ou Pelléas et Mélisande de Debussy. Mais de tous les beaux, le plus choquant, le plus irritant pour la foule ignorante et les académiques vernis…, c’est, je pense, celui de la couleur. Le vert et le bleu de Monet rendaient fous certaines personnes de ma jeunesse, comme le rouge exaspère le taureau. J’ai vu des gens sortir de table à propos du Déjeuner sur l’herbe qui leur semblait, peu chère, “de la dernière inconvenance”!…
[…] Je crois apercevoir Manet, avec sa barbe blonde et ses yeux gris, revenu d’outre tombe tout exprès pour savourer cette tardive revanche. Si vous voulez connaître l’artiste de plus près, et son entourage, lisez le joli livre d’Albert Flament [La vie de Manet, paru en 1928]… qui contient tout l’essentiel sur le magicien de la couleur.
Léon Daudet »


De juin à septembre 1932 s’est tenue au Musée national de l’Orangerie une exposition consacrée à Édouard Manet, réunissant ses œuvres les plus célèbres. Daudet, qui se livre ici au comparatisme comme approche critique, ne manque pas de louanges pour le maître. La critique de Léon Daudet est profondément novatrice pour son époque, non sans un certain paradoxe : ce sont ses options réactionnaires et la condamnation de la décadence qui lui permettent en définitive de saisir certains auteurs et artistes comme singuliers en leur siècle.

Le tome quatrième de son ouvrage Écrivains et artistes, paru en 1928, contient un chapitre entier sur la peinture de Manet.

HUGO, Victor (1802-1885)

Plaquettes d’époque pour Aux Allemands, Aux Français et Aux Parisiens
Paris, septembre et octobre 1870, 12 pp. in-8°
Marges légèrement effrangées (voir scans), quelques petites tâches

Tirages à part sous forme de plaquettes pour ses discours : Aux Allemands, Aux Français et Aux Parisiens, plus tard repris dans Actes et Paroles


On observe plusieurs variantes dans les présentes épreuves avec les versions publiées dans Actes et Paroles – Depuis l’exil, vol. III paru en 1876 chez Albin Michel.
Des propos liminaires pour chacun de ces discours, absents des présentes plaquettes, viendront s’ajouter à l’ouvrage de 1876.

Aux Allemands, en date du 9 septembre 1870 (soit quatre jours après le retour d’exil d’Hugo), parait dans Actes et Paroles vol. III au chapitre II, p. 51

Aux Français, en date du 17 septembre 1870, parait dans Actes et Paroles vol. III au chapitre III, p. 59

Aux Parisiens, en date du 2 octobre 1870, parait dans Actes et Paroles vol. III au chapitre IV, p. 65


De retour en France le 5 septembre 1870, après un exil de 19 ans, les parisiens font un accueil triomphale à l’écrivain. Il participe activement à la défense de la ville assiégée comme le démontrent ces plaquettes, aux textes puissants et magnifiques.

Bel ensemble.

RODIN, Auguste (1840-1917)

Carte de visite autographe signée « AR » à M. Drefuns
S.l.n.d [Paris, après 1880], 1 p. in-24°

Charmante carte de visite autographe signée du maître


« après midi
a samedi pour que nous puissions causer un peu cher Monsieur Drefuns [?]
AR »


On sait avec certitude que cette carte a été écrite après 1880. C’est durant cette même année que l’État achète sa sculpture L’Âge d’airain et lui octroie un atelier au Dépôt des marbres au n° 182, rue de l’Université, dans le 7e arrondissement de Paris, un lieu de travail qu’il gardera toute sa vie.

HUGO, François-Victor (1828-1873)

Lettre autographe signée « François Victor Hugo » à un ami
S.l.n.d [c. 1865-1866] « 21 avril », 1 p. in-4° sur papier de deuil
Marges légèrement effrangées, trace de pliure, ancienne trace d’onglet au verso (voir scans)

Le second fils de Victor Hugo offre l’hospitalité à un ami dans son logis de Bruxelles


« Cher et illustre ami,
On me dit que vous avez l’intention de venir passer quelques jours à Bruxelles. Nous avons un petit étage disponible dans le cottage que nous habitons, rue de l’Astronomie, 3 bis. Ma mère [Adèle Foucher] serait charmée de vous y offrir cette hospitalité du cœur que vous m’avez vous-même offerte si gracieusement à Londres. Si nous avons la bonne fortune de pouvoir vous posséder, veuillez m’en avertir vingt-quatre heures d’avance.
A vous de cœur,
François Victor Hugo »


En pleine période d’exil sous le Second Empire, la famille Hugo revient s’installer pour un temps à Bruxelles en août 1865. Ils s’installent dans une maison bruxelloise dans le quartier de Saint-Josse, 3 bis rue de l’Astronomie.

[NAPOLÉON III] DISDÉRI, Eugène (1819-1889)

Portrait de l’empereur Napoléon III par Disdéri
S.l.n.d, c. 1868, format cdv, monté sur carton souple
Crédit du photographe au verso : Disderi & Cie, Boulevard des Italiens, Paris

Célèbre et élégant portrait de plein pied de l’empereur Napoléon III, dans les dernières années de son règne


Tirage albuminé d’époque.

Le dernier empereur des français figure de plein pied dans cette pose élégante, la main contre la hanche.

Bon état.

DUMAS (père), Alexandre 1802-1870

Manuscrit autographe signé « Al Dumas » et plusieurs fois dans le texte
S.l [Naples], 18 9bre [novembre] 1862, 4 pp. in-folio à l’encre noire sur papier vergé bleu
Traces de pliures, légères éfrangures

Manuscrit complet pour l’un de ses articles parus en italien dans le journal L’Indipendente


Dans cet article, traitant du Prince Skanderberg l’Albanie, Dumas affirme qu’il veut tenir au courant ses lecteurs de la politique européenne en général. Telle était sa ligne éditoriale dans le journal L’Indipendente.
Le journal est fondé à Naples par Dumas en 1860 en soutient pour la cause Garibaldienne. Il en démissionnera quatre ans plus tard pour s’en retourner à ses affaires parisiennes.

MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « M » à André Malraux
[Paris, 6 février 1928], 1 p. petit in-8°
Petit manque en marge supérieure, sans atteinte au texte

Mauriac congratule son ami Malraux pour la parution de son dernier roman


« Mon cher ami,
Je ne peux pas retrouver votre adresse. J’espère que ce mot vous parviendra. Je tiens à vous exprimer toute ma gratitude pour les renseignements que vous me faites parvenir. J’avais déjà acheté le Gilson. Ce n’est pas pour moi, d’ailleurs : c’est un de mes personnages qui le dit.
Grasset n’aime pas votre roman [sans doute Les Conquérants, qui venait de paraître] et Paulhan l’admire beaucoup. C’est assez bon signe.
Je suis vôtre
M »


Tout laisse penser que Mauriac évoque ici Les Conquérants, tout juste paru (premier des trois romans que Malraux consacre à l’étude de la condition humaine, à travers des épisodes de la lutte révolutionnaire dans la Chine de son temps).

[POUGY] GHIKA, George (1884-1945)

Lettre autographe signée « Georges Ghika » à Liane de Pougy, princesse Ghika
Le Clos-Marie, Roscoff, 2 juillet 1924, 2 p. in-4° à l’encre bleue sur papier gris

Superbe déclaration d’amour du Prince Ghika à son épouse Liane de Pougy pour son anniversaire


« La saison, l’épuisement des petits espoirs, plaisirs et déplaisirs permis par notre amour et les entraves de ce temps, nous ont ramenés à la petite maison grise que borde la chanson liquide de la mer. Cette grande grâce, cette douceur nous est donnée d’y célébrer une joie de plus le jour de ta naissance. Il semble que ton corps nacré, ambré légèrement à cause des navigations lointaines et des alliances de tes aïeux, surgissent chaque fois, tout neufs et redonnant au monde sa lumière… Ton petit coin, dis-tu, – notre point fixé dans l’immensité et les tempêtes de la vie. Elle est en même temps grave et gaie, comme la véritable santé, comme tu es toi-même embellissant mes jours de la seule beauté que je comprenne et que je goûte encore.
Une année a passé comme  un coup de pinceau du phare devant nous. Quelques atomes un instant ont dansé dans ce rapide éclat, prieure du Carmel, femme d’un sénateur, princesse russe, etc. Les amitiés perfides ou bienfaisantes et tous les ornements, et tous les mots, et toutes les saveurs. Tout cela pour nos papilles et nos yeux vite amusés, vite déçus, emportés dans la sonde infernale ou divine et puis pour moi n’est vivifié que par ta présence que j’adore.
George Ghika »


Figure centrale parmi les courtisanes de la Belle Époque, Liane de Pougy (1869-1950) épousa en secondes noces, le 8 juin 1910, le prince roumain Georges Ghika (1884-1945), neveu de la reine Nathalie de Serbie, de quinze ans son cadet. Leur mariage fut parfaitement heureux seize ans durant, jusqu’à ce que Ghika ne la quitte brusquement, en juillet 1926, pour l’ultime conquête de sa femme (qui était ouvertement bisexuelle), une jeune artiste de vingt-trois ans, la « mignonne et délicate » Manon Thiébaut, qu’il emmène en Roumanie. Après cette séparation, Liane de Pougy retrouve son amour de jadis, Nathalie Clifford Barney (1876-1972). Elles forment avec Mimi Franchetti (1893-1943) un ménage à trois. Menacé de divorce, le prince finit par revenir, mais leur relation devient difficile et chaotique.

Liane de Pougy s’offre en 1903 un port d’attache et jette l’ancre à Roscoff et son dévolu sur le Clos-Marie, une belle maison bourgeoise sur le port, au pied de la très jolie chapelle Sainte-Barbe du XVIIème siècle. Tout au long de sa vie échevelée de courtisane, d’artiste et de muse, elle s’y réfugiera à la belle saison, prenant ses quartiers d’été loin de la nasse parisienne, recevant à sa table ses amis les plus chers, Max Jacob et Cocteau, entre autres.

MALLARMÉ, Stéphane (1842-1898)

Carte autographe signée « PAPA » à sa fille Geneviève Mallarmé
[Valvins, 12 juillet 1891], 1 p. in-8° à l’encre noire
Adresse autographe au verso : « [M]ademoiselle Geneviève Mallarmé – Châlet Suisse, route de Trouville, Honfleur – Calvados »
Légère pliure centrale

Dans l’intimité de la famille Mallarmé au travers d’une tendre lettre du poète à sa fille


« Les petits gâteaux, me prie de t’écrire ta mère, sont arrivés hier soir : des merveilles, et l’on mangerait jusqu’à l’emballage. Ceci, pour te remercier tout de suite, et te rassurer, la poste ne laissant pas le temps de longuement écrire, par ce sot dimanche.
PAPA »


C’est à partir des années 1890 que Mallarmé séjourne de façon régulière dans sa petite maison de Valvins, non loin de Fontainebleau. Il y fait faire d’importants travaux et s’y installe toute la belle saison, d’avril à octobre. De santé fragile, sa fille Geneviève (1864-1919) veille sur lui. C’est aussi en cette année 1891 que Geneviève Mallarmé séjourne à plusieurs reprises à Honfleur, dans le chalet de Marguerite Ponsot, dont la fille Éva est une de ses intimes.

[WAGNER] GAUTIER (fils), Théophile (1836-1904)

Lettre autographe signée « Théophile Gautier » au journaliste Louis Fourcaud du journal Le Gaulois
[Paris], 17 janv[ier] 1886, 1 p. in-8°
En-tête gaufré à son chiffre et son adresse : « 27 rue de Naples [Paris] »
Insolation, quelques trous d’épingles, infime manque au coin supérieur droit, décharge d’encre sur la dernière page (voir scans)

Gautier encense Wagner, disparu trois ans plus tôt, et en profite pour fustiger ses contemporains Saint-Saëns et Massenet


« Cher Monsieur,
Il faudrait bien que, dans la question du Lohengrin [opéra de Wagner crée en 1850], on finisse par dire la vérité, par parler franchement et par mettre les pieds dans le plat.
Tout cette affaire, c’est l’éternelle lutte du protectionnisme contre le libre-échange, des maître de poste contre les chemins de fer et du gaz contre l’éclairage électrique.
Les neufs s’emballent sur le côté patriotique de la question ; mais les malins savent bien ce qu’il font. Il sentent parfaitement que le jour où l’on entendra amplifiés par la magie de la mise en scène, les accords merveilleux et la mélodie vraiment humaine des œuvres de Wagner, les imitations enfantines de la jeune école musicale française s’évanouiront comme un vague murmure. Saint-Saëns et Massenet ne seront plus que des ombres effacées et [Emil] Hartmann qu’une vague fumée.
Croyez à mes meilleurs souvenirs
Théophile Gautier
P.S Il est bien entendu que cette lettre est anonyme »


Charles-Marie Théophile, connu sous le nom de Théophile Gautier fils, est le fils qu’eut Théophile Gautier avec Eugénie Fort. Il est par ailleurs l’aîné des trois enfants du poète.
Gautier fils embrasse une carrière de fonctionnaire : sous-préfet d’Ambert (1867) et de Pontoise (1870), chef du bureau de la Presse au Ministère de l’Intérieur dès 1868, puis secrétaire d’Eugène Rouher, ancien ministre de Napoléon III, il est très proche du Second empire et de la famille impériale. Il est particulièrement ami avec la princesse Mathilde. Il est lui-même un homme de lettres, qui traduit des auteurs allemands (Achim d’Arnim, Goethe, etc.)

LONDRES, Albert (1884-1932)

Carte postale autographe signée « Albert » à sa fille Florise
Bruges [14 décembre (1927 ?)], 1 p. in-8°
Au recto : Une vue de l’un des canaux de la ville de Bruges
Adresse autographe à « Mademoiselle Florise Londres – 43 r[ue] du maréchal Joffre – Vichy – Allier »

Le journaliste voyageur informe sa fille de son séjour en Belgique et lui donne rendez-vous la semaine suivante à Vichy


« Bruges – Mercredi
Suis venu à Bruxelles, Anvers et Bruges pour affaires. Serai [à] Paris demain 15.
Et Vichy [d’où Albert Londres était originaire] la semaine prochaine
Bises
Albert »


Journaliste et écrivain, Albert Londres a donné son nom au prix récompensant chaque année en France un reportage de qualité et qui reste une référence pour le journalisme d’investigation. Il est en outre considéré comme l’un des plus célèbres commentateurs du Tour de France.
Au travers de ses nombreuses missions journalistiques, Albert Londres a écrit un grand nombre de cartes postales à sa fille Florise [1904-1975] depuis diverses régions du monde. Nombre de ces cartes sont aujourd’hui détenues par des institutions.

RENARD, Jules (1864-1910)

Carte-lettre autographe signée « Jules Renard » [à Georges Moreau, directeur de La Revue Encyclopédique]
[Paris], 14 juin 1895, 1 p. 1/2 in-12°
En-tête : la silhouette d’un petit renard vert gaufré

Jules Renard s’interroge sur la possible rémunération d’un chapitre inédit de Poil de Carotte


« Cher Monsieur,
Est-ce que la Revue Encyclopédique me doit quelque chose pour le chapitre inédit de Poil de Carotte paru dans son numéro du 1er avril ?
Si non, vous pensez bien que je ne réclame pas et que je me considère encore comme votre obligé.
Si oui, voulez-vous faire porter cette petite somme à mon crédit d’abonné. Elle servira pour un réabonnement.
Croyez à mes sympathies
Jules Renard »


Roman autobiographique racontant l’enfance et les déboires d’un garçon roux mal-aimé, Poil de Carotte est publié en 1894 chez Flammarion. Le livre contient alors 43 récits. Le nombre des récits a été porté à 48 par l’adjonction de cinq textes parus en 1895 et 1896 dans L’Écho de Paris et La Revue encyclopédique (“Le Pot”, “La Mie de pain”, “La Mèche”, les “Lettres choisies”, “Les Idées personnelles”). Il est ici question de l’un de ces cinq textes.

[SATIE] JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée deux fois « Max » et « MX », aux époux Salacrou
S.l.n.d [4 juillet 1925], 2 p. in-8°

Tout juste rentré d’Italie, le poète réagit à la mort du compositeur Érik Satie


«  Les chéris chéris. Je vous aime tous les deux et je vous écris pour vous le dire en deux petits mots très courts : il y avait deux cent lettres et paquets dans un panier. Je pêche au hasard : j’en tire une puis une autre. Mais ma journée de vingt et une réponses est faite et je me repose pendant que vous êtes deux anges chéris et que vous serez bientôt des anges chrétiens ce qui sera infiniment beau. Je ne peux pas analyser le sentiment qui me prend ici : l’horrible poids de la destinée qui m’interdit les lieux où l’on pêche, les monastères orgueilleux et pompeux et les villes où l’on blesse les amis tous les soirs dans le couloir – la satisfaction de la paix des champs dans leur laideur, et la joie des visages doux de la maison de l’horreur de tous ces malheurs qu’on touche : les veuves, les parents pauvres, les maladies, les infirmités que le voyage oublie si vite dans la vie d’esthète. Si je puis parvenir à travailler, je resterai ici pour la pénitence de mes fautes. Au fond j’aime ces gens.
J’ai des amis ici.
Au revoir. Je vous embrasse. Je vais en finir avec mes cent dernières lettres. Il y a des choses terribles à « solutionner » dans ce paquet
Max
Oh ! Satie ! Cauchemar !
Le célibat et le désordre qui se paient.
Mourir seul ! seul ! sans enfants.
Je ne vous remercie plus mais la première gouache que je ferai je vous l’enverrai avec mon cœur en signature.
Mx »

Cette lettre constitue l’une des rares confidences contemporaines sur la disparition du musicien :

Érik Satie, tombé malade durant le premier semestre de l’année 1925, est hospitalisé à l’hopital Saint-Joseph. Il reçoit entre autres la visite de Max Jacob.
Après plusieurs années de consommation excessive d’absinthe, le compositeur meurt à l’age de 59 ans d’une cirrhose du foie.

Les relations entre les Salacrou et Jacob sont extrêmement affectueuses, ce qui explique l’incipit de la lettre. À la lecture du texte, on peut supposer que les Salacrou on soit acquis une gouache soit aidé à en acheter une, ce qui expliquerait le nombre important de lettres en souffrance du côté de chez Max Jacob.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe (signée d’un petit paraphe) à Laure de Cottens
Paris, 24 mars 1835, 4 p. grand in-8°
Traces de pliures d’époque
Sous chemise demi-maroquin noir moderne, titre « Chateaubriand » doré sur la tranche

Superbe lettre d’un Chateaubriand âgé et désabusé, livrant un regard sombre sur sa situation personnelle et la politique du pays, sans toutefois perdre espoir en l’avenir


« Vos lettres, Madame, me font toujours un bien que je ne puis dire. Elles sont bonnes, élevées et nobles comme vous. Je sais ce qu’il en coûte de quitter les lieux que l’on a aimés et soignés de ses propres mains. Mais la vie est un si perpétuel sacrifice que le mieux est de ne lui rien disputer et de la laisser nous emporter tout ce qu’elle nous dérobe chaque jour. Je suis toujours dans les mêmes résolutions et toujours arrêté par mes misères. Je veux toujours aller mourir hors de France, et ma première station sera certainement en Suisse, le plus près qu’il sera possible de vous, mais des affaires interminables, des arrangements qui se dérangent toujours, prolongent malgré moi mon séjour ici. Je ne m’occupe plus de politique ; je crois à une grande transformation sociale dont ni moi ni les générations qui me suivront ne verront la fin. Alors j’ai cessé de me débattre contre les décrets de la providence. Je n’ai plus de patrie, car la patrie est un lieu où l’on a des parents, des amis, des foyers paternels, et je n’ai plus rien de tout cela. Je bénirai le ciel, Madame, le jour où je pourrai vous revoir et espérer faire encore avec vous des promenades solitaires. Nous parlerons du passé qui fut meilleur et de l’avenir meilleur encore, car il sera avec Dieu.
Madame de Ch
[ateaubriand] n’a pas trop souffert cet hiver. Elle vous remercie de votre souvenir. Mille tendres hommages, Madame, ainsi qu’à toute votre famille. Je voudrais bien que cette lettre fût, pour vous, une petite consolation en quittant votre retraite [sans doute Madame de Cottens se trouvait-elle dans sa propriété de Begnin, avant de revenir à Lausanne]. Je pense qu’elle vous arrivera peut-être le jour de votre départ ! – »


L’écrivain terminait alors la rédaction des Mémoires d’Outre-Tombe, dont il avait déjà fait, l’année précédente, des lectures de la première partie chez son amie Mme Récamier. Laure de Cottens (1788-1867), fille d’une cousine germaine de Benjamin Constant, était également amie de cette dernière. Elle aida les Chateaubriand à se loger à Lausanne en 1826 et les revit souvent à Lausanne, Genève ou dans sa propriété des Begnins.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
[Paris], 16 avril 1918, 1 p. in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Petites marques de trombone, ancienne trace de montage sur onglet

Affectueuse lettre de Marcel Proust à Marie Scheikévitch dans laquelle l’écrivain doit, à regret, reporter le rendez-vous pris avec elle


« Madame,
Je ne pourrai pas venir jeudi et je le regrette beaucoup. Mais je m’arrangerai pour vous voir très prochainement car j’en ai un grand désir. Je ne vous écris que ces deux lignes parce que je souffre beaucoup des yeux.
Votre bien respectueux ami
Marcel Proust »


L’abus du travail nocturne, joint à la brûlure de constantes fumigations, avait fatigué la vue et abîmé les yeux de Marcel Proust, qui cependant, comme s’il eût su que le temps lui était compté, se refusait à tout repos.

Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :

Marie Scheikévitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, Anna de Noailles, Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, et bien d’autres encore.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’ils se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’en suivit une correspondance qui dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connaît que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvre les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépense beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle juge les plus capables de l’aider. C’est elle qui le recommande à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann. C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
S.l, 17 avril 1917, 4 pp. grand in-8°
Pneumatique, enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Petites marques de trombone, ancienne trace de montage sur onglet, sans atteinte au texte

Proust revient nostalgique et transporté de sa visite chez son ami Walter Berry, puis s’inquiète pour Reynaldo Hahn, mobilisé au front


« Madame,
Avez-vous su que si je ne vous ai pas écrit, c’était que je voulais vous voir, profiter des heures sans crise.
J’ai essayé samedi, on a dû vous dire mon téléphonage, et hier soir, où on a rien dû vous dire puisqu’on n’a pas répondu.
Je suis allé un instant chez M. Walter Berry.
C’était la première fois, j’en suis revenu avec la nostalgie du Temps perdu, des époques lointaines, et aussi du temps perdu dans mon lit ou ailleurs quand on pourrait aller aux indes ou seulement en Italie. Je ne puis oublier ni sa baigneuse indienne ni sa Chinoise aux longues paupières abaissées.
Je rentre aussi fort souffrant, dans la grêle et la pluie. Et il me semble bien peu probable que d’ici jeudi je puisse retrouver q[uel]q[ues] forces, et si, par miracle, elles me revenaient,
me dégager d’une promesse.
Je vous ai envoyé l’autre jour une lettre qu’il m’a été assez doux de voir adresser à vous chez moi, bien que cela signifie seulement que l’expéditeur ne savait plus votre numéro rue de Fourcoy, et bien que vous ne soyiez [sic] plus tout à fait la même avec moi comme je vous l’ai écrit il y a quelques temps, avec, pour réponse, un silence, qui signifiait, je pense, que vous le saviez en effet, – quant à la lettre, l’expéditeur, j’ai reconnu son écriture, c’est Reynaldo. J’espère qu’elle vous disait que tout était expliqué et qu’il va bien. Il y a bien longtemps que je n’ai de ses nouvelles par lui, mes yeux m’empêchent de lui écrire. Mais je sais bien que son Etat-Major vient d’être soumis au bombardement le plus terrible et le plus prolongé et son général a été blessé.
Votre respectueux et reconnaissant
Marcel Proust »


Walter Berry (1959-1927) avait peu de temps auparavant invité Proust à venir voir ses admirables collections de livres, peintures et objets d’art. Diplomate et juriste américain, Berry était Président de la Chambre de commerce américaine. Il semble que Proust lui ait voué une grande amitié (rien de plus, sans doute, vu l’âge de Berry). C’est d’ailleurs à son ami américain que Proust va dédier, avec son accord, Pastiches et mélanges, publié en 1919.
Principal compagnon de Marcel Proust, le compositeur et chef d’orchestre Reynaldo Hahn (1874-1947) fut mobilisé dès les premières heures de la Grande Guerre, le 2 août 1914. Combattant en Argonne en 1914, à Vauquois en 1915 et 1916, il est promu caporal le 17 avril 1917, le jour même où cette lettre fut écrite. Il reçoit au titre de ces services une citation élogieuse qui souligne « son insouciance du danger et son entrain » et rapporte qu’il a « mérité en outre la reconnaissance du 31e en glorifiant dans la musique qu’il a composée les morts du régiment »

Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :

Marie Scheikévitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, Anna de Noailles, Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, et bien d’autres encore.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’ils se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’en suivit une correspondance qui dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connaît que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvre les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépense beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle juge les plus capables de l’aider. C’est elle qui le recommande à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann. C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

[ZOLA] FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

1/ Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Émile Zola
S.l.n.d [Croisset, 26 mai 1874], 1 p. in-8° sur papier vergé
Fente au pli central, ancienne trace d’onglet

2/ Lettre autographe signée Gve Flaubert à Émile Zola
Croisset près Rouen, 3 juin [Croisset, 3 juin 1874], 4 pp. in-4°
Trois mots soulignés par Alexandrine Zola, ancienne trace d’onglet

Réunion de deux lettres sur La Conquête de Plassans, quatrième roman de la saga des Rougon-Macquart, et formant sans nul doute la critique la plus détaillée de Flaubert sur une œuvre de son ami Zola


[Première lettre]

« Mardi soir.
C’est très fort ! mon brave homme ! Je l’ai lu tout d’une haleine, & j’en suis étourdi.
Dans 8 jours je le relirai lentement ! p[ou]r voir si j’ai raison d’être enthousiasmé.
J’ai reçu un g[ran]d choc, comme d’une machine électrique.
Vous ne serez pas poursuivi. La poésie vous sauvera. Mais je comprends les terreurs du jeune Charpentier.
à dimanche une longue bavette sur votre truculent bouquin.
tout à vous
Gve Flaubert
Je trouve Barbané très médiocre de fond & de forme,« quoi qu’on dise ». Celui-là, par exemple, je ne le relirai pas. Je le sais. »

[Seconde lettre]

« Je l’ai lue, « La Conquête de Plassans ». Lue, tout d’une haleine comme on avale un bon verre de vin puis ruminée – & maintenant, mon cher ami, je cause j’en peux causer, sciemment.
J’avais peur après Le Ventre de Paris que vous ne vous enfonciez dans le système, dans le parti pris. Mais non ! Allons, vous êtes un gaillard ! et votre dernier livre est un crâne bouquin !
Peut-être manque-t-il d’un milieu proéminent, d’une scène centrale, & (chose qui n’arrive jamais dans la nature) et peut-être aussi, y a-t-il un peu trop de dialogues dans les parties accessoires ! Voilà, en vous épluchant bien, tout ce que je trouve à dire, – de défavorable – mais quelle observation ! quelle profondeur ! quelle poigne !
Ce qui me frappe, c’est d’abord, le ton général du livre, la cette férocité de passion sous une surface bonhomme. Cela est fort, mon vieux, très fort, râblé & bien portant.
Quel joli bourgeois que ce Mouret, avec sa curiosité son avarice, sa résignation (p. 183-184) et son aplatissement ! L’abbé Faujas est sinistre et grand – quel un vrai directeur ! Comme il manie bien la femme, comme il s’empare bien habilement de celle-là, en la prenant par la charité, puis en la brutalisant !
Quant à elle (Marthe), je ne saurais vous dire combien je la trouve bien elle me semble réussie, & l’art que je trouve au développement de son caractère, ou plutôt de sa maladie. J’ai parti surtout remarqué les pages 194, 215 et 227, 261, 264, 267. – Son état hystérique, son aveu final (p. 350 & sq.) est une merveille. Comme le ménage se dissout bien ! Comme elle se détache de tout à mesure et en même temps son moi, son fond. Il y a là une science de dissolution profonde.
J’oublie de vous parler des Trouche, – qui sont adorables comme canailles – & de l’abbé Bourette [Bourrette], exquis avec sa peur & sa sensibilité.
La vie de province, les jardins qui se regardent, le ménage Paloque, les Rastoil, & les parties de raquette parfait, parfait.
Vous avez des détails excellents, des phrases, des mots qui sont des bonheurs, page 89 17, « … la tonsure comme une cicatrice », 181, « j’aimerais mieux qu’il allât voir les femmes » 89, « Mouret avait bourré le poêle », etc.
Et le Cercle de la jeunesse ! Voilà une invention vraie.
J’ai noté en marge bien d’autres endroits.
– Les détails physiques qu’Olympe donne sur son frère – la fraise,
– La mère de l’abbé prête à devenir sa maquerelle 152 – et son coffre ! (338).
L’âpreté du prêtre qui repousse les mouchoirs de sa pauvre amante parce que cela sent « une odeur de femme ».
– « Au fond des sacristies, le nom de Mr Delangre… » et toute la phrase qui est un bijou.
Mais ce qui écrase tout – ce qui couronne l’œuvre c’est la fin ! Je ne connais rien de plus empoignant que ce dénouement. La visite de Marthe chez son oncle, – le retour de Mouret, & l’inspection qu’il fait de sa maison ! La peur vous prend, comme à la lecture d’un conte fantastique, & vous arrivez à cet effet-là par l’excès de la réalité, par l’intensité du vrai ! Le lecteur sent que la tête lui tourne comme à Mouret lui-même.
L’insensibilité des bourgeois qui contemplent l’incendie assis sur des fauteuils est charmante. & vous finissez par un trait sublime : l’apparition d’u de la soutane de l’abbé Serge au chevet de sa mère mourante, comme une consolation ou comme un châtiment !
Une chicane, cependant. Le lecteur (qui n’a pas de mémoire) ne sait pas quel instinct pousse à agir comme ils font Me Rougon et l’oncle Macquart. Deux paragraphes d’explications eussent été suffisants. N’importe ça y est et je vous remercie du plaisir que
vous m’avez fait.
Dormez vous sur vos deux oreilles, c’est une œuvre
Mettez de côté, p
[ou]r moi, toutes les bêtises qu’elle inspirera. Ce genre de documents m’intéresse.
Je vous serre la main très fort, & suis
(vous n’en doutez pas)
vôtre
Gve Flaubert »


Quatrième roman des Rougon-Maquart, La Conquête de Plassans parait au printemps 1874 chez Charpentier et raconte l’histoire de l’abbé Faujas, prêtre bonapartiste prêt à tout pour reconquérir la ville de Plassans tombée aux mains des légitimistes. Dans cette violente attaque contre le clergé, Zola dépeint une Église complice du pouvoir politique, manipulatrice, utilisant la piété naïve des fidèles, notamment des femmes, à travers des pratiques où la foi n’est en fait qu’un voile masquant d’autres ambitions.

Flaubert émet d’abord une brève réaction à chaud, après une première lecture, l’ayant laissé « étourdi ». Il se dit « sous le choc », et à raison, car il va, une semaine plus tard, se livrer à une critique cette fois sans réserve, allant jusqu’à citer des passages, sur le roman tout récemment paru de son ami Zola.
Notons que ce n’est pas sans une certaine appréhension que Flaubert entreprend la lecture de ce quatrième volume des Rougon-Macquart ayant succédé au très décrié Ventre de Paris. Il ne s’en cache pas, ce dernier roman lui avait déplu car s’inscrivant selon lui trop en profondeur dans la doctrine naturaliste, le « système, le parti pris » au travers du petit peuple parisien.
La Conquête de Plassans offre en effet une formule romanesque différente.
On remarque aussi que Flaubert se délecte de la façon dont la bourgeoisie est dépeinte, cette même bourgeoisie de province dont il s’était lui-même moqué dans ses précédentes œuvres : Madame Bovary et L’Éducation sentimentale.
Soulignant enfin l’emprise de l’Abbé sur le couple Mouret, et plus particulièrement sur Marthe, que la déchéance fera sombrer dans la folie, Flaubert apprécie avec quelle précision et froideur scientifiques Zola décrit les ravages du déséquilibre qui frappe les deux personnages.

[RIMBAUD] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Poème autographe signé « Paul Verlaine »
Londres, 1873, 1 p. in-8°, sur papier vergé
Marge droite légèrement effrangée, infimes manques au centre et aux angles supérieurs

Poème capital, évoquant la fuite chaotique et misérable à Londres avec Rimbaud
Verlaine fait une entorse au sonnet traditionnel et réalise ici son premier essai en vers de treize syllabes, qu‘il dédie à Ernest Delahaye

« Le passage de Rimbaud fulgure en traits de feu dans la vie et dans l’œuvre de Verlaine » (Jacques Borel)


« Sonnet boiteux

Ah vraiment c’est triste, ah, vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah ! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible !
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Épouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des Sohos
Avec des indeeds et des allrights et des hâos.

Non vraiment – c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment – cela finit trop mal, vraiment c’est triste :
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible !

Londres, 1873
Paul Verlaine »


Ce sonnet, doublement boiteux, tant par sa formulation que par l’emploi de vers de treize syllabes, marque pour la poésie de Verlaine une rupture avec le sonnet classique et de nouvelles perspectives métriques. La période est pour lui propice à ces nouvelles expérimentations, aux côtés de Rimbaud qui, derrière ces vers, apparaît comme une figure spectrale ; tant son influence esthétique sur Verlaine fut forte, et réciproquement : « Par ce feu solaire, illuminant, corrosif, Verlaine est un instant arraché à lui-même, écorché, mis à nu, et, en même temps, confronté violemment à sa face la plus profonde » (Jacques Borel). On note à deux reprises l’allusion à la ville de Sodome, cette « ville de la Bible », dont le peuple a subi la colère d’un Dieu incendiaire. L’évocation des « Sohos » par ailleurs désigne ce célèbre quartier de Londres qui, en 1872-1873, était réputé pour ses mœurs libres et sa prostitution, où nombre de communards exilés ont vécu et que les deux poètes ont bien connu.

S’il est impossible de dater formellement ce sonnet, tout porte à croire que Verlaine le compose dans la prison de Mons, à l’automne 1873. Le poète laisse ici transparaître une grande souffrance morale, rongé par l’impureté, le blasphème et les plaisirs interdits avec son compagnon d’infortune.

On connaît à ce jour trois manuscrits de ce poème, et qui présentent plusieurs variantes. Le premier, joint à une lettre à Edmond Lepelletier d’octobre 1873, est intitulé Hiver, et clôt la série Mon Almanach pour 1874 (aujourd’hui à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet). Le deuxième, qui est une mise au net, figure dans Cellulairement, recueil composé à la prison de Mons entre octobre 1873 et janvier 1875. Notre manuscrit, le troisième, a servi pour la première publication du sonnet dans La Nouvelle Lune du 11 février 1883. Ce poème figure ensuite dans Jadis et naguère, paru chez Vanier en novembre 1884. C’est aussi à cette époque que Verlaine lui attribue son titre définitif : Sonnet boiteux. Verlaine ajoutera la dédicace « À Ernest Delahaye » au dernier moment, directement sur la coupure de La Nouvelle Lune préparée pour l’impression de Jadis et naguère (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet).

« Nous nous contenterons de recommander à ceux qui se croient obligés d’aimer qu’on dépasse les limites permises de l’énervement et de la déliquescence de la pensée certaines pièces à cet égard très réussies, dans Jadis et naguère, et de vrais modèles du genre : Sonnet boiteux, À Albert Mérat, Langueur… » (Gabriel Sarrazin, La Revue contemporaine, janvier 1885).


Nous joignons :
Une lettre autographe signée de Verlaine à Philomène Boudin, dite Esther
Londres, [25 novembre 1893], 3 p. in-8°

Le poète écrit à sa maîtresse une tendre épître depuis Londres tout en faisant allusion à son tumultueux voyage dans la même ville vingt ans plus tôt, aux côtés d’Arthur Rimbaud, contribuant à la rupture avec sa première femme, Mathilde Mauté.

« Ne crains pas les femmes. D’ailleurs Londres m’a porté malheur il y a 20 ans sous ce rapport »
(Bibliographie : Correspondance de Paul Verlaine – Ad. Van Bever, Messein, t. II p. 307)

VACHER, Joseph (1869-1898)

Lettre autographe signée « Joseph Vacher » au docteur Lacassagne
[Prison de] Belley, le 30 Xbre [décembre] 1897, 4 p. in-8° sur papier quadrillé
Anciennes traces d’adhésif sur les deuxième et troisième pages sans atteinte à la lecture, quelques petits défauts

Longue lettre Joseph Vacher, l’un des premiers tueurs en série français
D’une graphie anarchique et à l’orthographe approximative, le « Jack l’Éventreur du Sud-Est » rédige ses volontés avant son tout prochain transfert pour la prison de Saint-Paul de Lyon


Personnage très instruit, Vacher commet toutefois de nombreuses entorses délibérées avec son orthographe, la conjugaison et les accords, jusqu’aux formules argotiques. Nous transcrivons la lettre telle qu’il l’a rédigée :

« Dieu – Droit – Devoir
[…]
Messieurs les Docteurs,
Pour le second plan d’actualité il me reste à vous il nous reste les petites affaires les plus sérieuses –
J’ai oublié la question (par exemple) du bonnet bi-bi ordinaire… Ce n’est pas la moins importante dans mon affaire, quoioi qu’elle pourrait paraître (à certains) insignifiante. La providence qui seul me l’a donné, comme de ses mains, comme ainsi je vous l’ai expliqué… me rappelle que quoiqu’en peau de lapin, elle en vaut bien une autre (peau de chien ou de boucain etc…) et il est tout naturel que je me soit servi à cet effet de ce que le hasard me faisait tomber le plus souvent sur la main…
J’ai réfléchi sur cette question, et comme mon affaire a une portée sur chacun je me suis dis : oui le bonnet il me le faut et aussi blanc que celui que j’ai à ma tête sur mes photografies, que j’ai eu à mon entrée… Je pensais acheter un chapeau (pas cris [gris], car il y en a pas, peut-être, mais un des plus rapprochant, mais je me suis dit : « il faut dis-je, ne pas aller plus vite que les choses, que les profètes dans mon affaire et éviter autant que possible les aboiements de mes chiens (car je ne suis pas moi aussi, sans en avoir et faire en sorte que ceux qui ont bonne voix (petit ou gros) ne se fasse entendre qu’à l’heure des matines.
Pour cela je me suis dit : Il faudrait que mes hommes, m’achète eux-mêmes le chapeau et m’apportent la casquette que je remporterais entre les mains à l’hospice, ployée, dans un comme dans un petit colis. Mais comme cette affaire est entre les mains de Dieu avant tout, je vous averti, que je demanderai 5 minutes de solitude pour visiter mon petit colis… Faites en sorte qu’il me soit le plus facile à visiter…
Qu’il soit surtout fait pas les vautres.
Je m’emporterais avec moi que la Bible de la main droite pliyee en colis. Ma chemise est lavée, bien que celle-ci se soit un peu usé elle est encore cholide… Je n’étoierais et batrai autant qu’il me sera possible avec ma brosse de la main droite mes autres effets que je dois emporter sur moi afin de laisser près du Rhône ce que j’ai ramassé près du Rhône. Je mettrai mon antique B.[ible] ployé dans une feuille blanche dans la poche de ma veste.
Mes remèdes, livres et instruments seront remis à leur place dans la caisse en carton qui a déjà servi pour eux.
Le reste – petit sac, petite caisse pour mon accordéon que j’ai à l’instruction (au bureau) y restera rangé dans mon sac. Quant à l’acordéon j’espère lui redonner de mes nouvelles. – J’emporterais mon livret militaire et mon portefeuille que je demanderai à mon départ seulement à Mr le Juge d’Instructions en lui remettant pour joindre à mon sac la caisse du docteur…
J’ai réfléchi aussi sur les lettres qu’on m’a demandées ou photografies… Comme on dit plusieurs fois (ou ne reviendrai pas) que Comme on m’a dit plusieurs fois que je reviendrais à Belley (ou ne reviendrais pas…) je me réserve d’écrire ces lettres plus tard…
En tout cas depuis que j’ai commencé à demander régulièrement à la cantine du saucisson de Lyon je n’oubli pas de comender avant en même temps du fromage blanc et du beurre de Belley : Le beurre me représente mon pays (Beaufort) et pour le dernier jour (ou l’un des derniers) j’ai envie d’en graisser mes bottes puisqu’on m’a dit un joure que je voulais les graisser déjà (car je ne les porte que depuis une quinzaine de jours) que sur le tarif il n’y avait pas de graisse de marquée. Oui j’ai bien compris c’était pour éviter le contre coup de l’effet de l’huile de Mrs les Gons [cons]
Mais celles-ci pourvu qu’elles soit graissé c’est tout ce qu’il faut car elles aussi s’endurcissait de nouveau au bureau d’Instructions à côté du fourneau de Mr Fourquet… Je crois que
c’est tout… Agréez mes sincères salutations. Vacher. »


Sergent réformé devenu vagabond, Joseph Vacher est considéré, après Martin Dumollard, comme l’un des tout premiers tueurs en série français. Bien qu’il ne fût condamné que pour un seul meurtre, il en avoua 11 et resta soupçonné d’être l’auteur d’une cinquantaine de crimes particulièrement sadiques, dont l’égorgement d’au moins vingt femmes et adolescents, par la suite mutilés et violés.
À la rédaction de cette lettre, Vacher se trouve à la prison de Belley (dans l’Ain), pour être entendu par le juge d’instruction Fouquet. Moins de trois mois auparavant, au début d’octobre 1897, il fait ses premières confessions, promettant plus de détails en échange de la publication de sa lettre d’aveux dans Le Petit Journal, le Lyon républicain (qu’il lit régulièrement), Le Progrès de Lyon et La Croix. Cela provoque un retentissement médiatique considérable de ses crimes dans la presse écrite française et étrangère. Sachant son transfert imminent pour la prison Saint Paul de Lyon, il rédige ici ses instructions au docteur Lacassagne qu’il doit retrouver aux côtés des docteurs Pierret et Rebatel chargés de l’examiner. Son cas, dès son procès (tenu en octobre 1898), fera l’objet d’un vif débat sur le thème « santé mentale et responsabilité pénale ». Le rapport du docteur Lacassagne souligne le degré d’atrocité des crimes reprochés à Vacher, et conclut : « Vacher n’est pas aliéné ; il est absolument guéri et complètement responsable des crimes qu’il a commis et avoués. » Il est finalement condamné à mort et guillotiné sur le Champs-de-Mars de Bourg-en-Bresse le 31 décembre 1898.

Le personnage de Joseph Bouvier, interprété par Michel Galabru dans le film Le Juge et l’assassin (1976), de Bertrand Tavernier, est inspiré de Joseph Vacher.

Les lettres de Joseph Vacher en mains privées sont de toute rareté

STENDHAL, Henri Beyle, dit (1783-1842)

Lettre autographe à sa soeur, Pauline Périer-Lagrange
Dimanche, [13 mai 1810], 3 p. 1/4 in-4°, adresse autographe sur la quatrième page
Bris de cachet à l’ouverture de la lettre, sans atteinte au texte, petites fentes aux plis

Le jeune Stendhal désespère de savoir Victorine Mounier lui échapper et se console dans les bras d’une autre


« Il paraît que je ne pourrai pas me dispenser d’aller faire un tour à Lyon. C’est un contre-temps très marqué pour les intérêts d’ambition. Pour les autres, tu sens si je puis m’affliger d’une destination qui me donne l’espoir de te revoir. Mais pendant mon absence, qui pressera ma nom[inati]on et, une fois nommé, qui sera là pour me faire employer à Paris et éviter la triste sous-préfecture ? Je serai C[ommissaire] d[es] G[uerres] de la place de Lyon, beau poste, mais accablé d’affaires pour lesquelles il faudra au moins trois ou quatre secrétaires que je ne pourrai pas engager, car au premier signe officiel que je suis nommé, je déserterai, non pas pour aller boire, mais pour me faire examiner. Mon ordre est du 8, j’aurais dû être à Lyon le 18 au plus tard. M. Charmat, mon ordonnateur, sera en colère d’avoir été chargé tout ce temps de l’ennuyeuse besogne de sous-ordre. Ce cruel-là me refusera la permission d’aller passer vingt-quatre heures à Grenoble. Voilà le plan du drame que je vais exécuter cet été. Je n’ai pas le temps de te parler de ta simple et charmante lettre. Tu ne  m’annonces que de mauvaises nouvelles et cependant, en lisant ta lettre, j’étais beaucoup plus occupé de la finesse et de la simplicité charmante que j’y trouvais, que du plat renard qui vient m’enlever ce qu’il n’appréciera pas et ce que j’aimais mieux que lui [allusion au mariage de Victorine Mounier]. J’ai pris, sans qu’il y parût, des renseignements sur l’homme. C’est l’égoïste le plus sec et le cœur le plus étroit que nous connaissions, me dit-on de toutes parts. Comment ton amie, à qui je fais la justice de ne pas la croire aveuglée par l’amour, ne voit-elle pas ce qui frappe tout le monde ?
Connais-tu quelqu’un à Lyon ? Envoie-moi une lettre de recommand[ati]on poste restante. J’y serai d’un beau sombre. Mes journées sont remplies ici par une femme, dont je ne suis pas amoureux, mais à laquelle je pense sans cesse. Depuis que je vois le départ sous mes pas, je ne puis plus lire, tant je pense à elle. Je crois qu’il ne faut qu’un peu d’absence à tout cela pour me remplir de la mélancolie la plus ridicule. Ce qui me le fait craindre, c’est que je ne l’ai pas. Je te conterai tout ça et tu te moqueras de moi ferme. Je me conduis comme un respectable membre de Lycée. Il me semble que je partirai d’ici à huit jours, par conséquent le commencement de juin me verra aux rives du Rhône, en grossissant le cours de mes larmes amères.
Ne dis pas mon voyage à Gr[enoble], même à nos parents. Il y a encore quelque possibilité de l’éviter. »


Les sentiments exprimés ici pour Victorine Mounier (1783-1822) ne sont pas récents. Stendhal, qui n’est encore qu’Henri Beyle,  fait sa connaissance dès 1806 à Grenoble, quand son ami Édouard Mounier lui présente sa sœur. La connaissant peu, il lui imagine mille qualités et rêve de mariage. Elle demeure toutefois un amour « désincarné ». Il écrit d’abord à son frère, dans l’espoir qu’il fera lire les lettres à sa sœur puis à Victorine elle-même, sans recevoir de réponse. Stendhal apprendra, avec dépit, le mariage de Victorine en 1811.
L’année 1810 marque pour Stendhal le début de son ascension sociale. Ayant reçu l’ordre de se rendre à Lyon le 11 mai 1810 mais qu’il décide finalement d’ignorer, il continue à fréquenter les théâtres, à lire, à se promener, et à écrire. Nommé auditeur au Conseil d’État le 1er août, il devient à l’automne inspecteur du Mobilier et des bâtiments de la Couronne. Stendhal fréquente alors des personnages puissants et vit notamment dans l’intimité de la famille du comte Daru. Il s’est acheté un cabriolet à la mode, des cachets à ses initiales, loue un appartement plus conforme à son nouveau statut. Sa situation sociale met fin à ses soucis financiers et lui fait espérer la baronnie (dont il est question au début de la seconde lettre), mais le laisse insatisfait. En mal d’amour, il dit : « Ce bonheur d’habit et d’argent ne me suffit pas, il me faut aimer et être aimé ».

Soeur préférée d’Henri Beyle, Pauline (1786-1857) avait épousé en 1808 François-Daniel Périer-Lagrange et habitait alors au château de Thuellin près de Brangues où se déroulera le fait divers à l’origine du roman Le Rouge et le noir.
Veuve à l’âge de 31 ans, Pauline devait se trouver dans l’embarras, son mari ayant mal géré ses biens. Elle s’en sorti grâce à l’aide de son frère qui lui verse régulièrement une rente et lui lègue ses modestes biens à son décès.

STEVENSON, Robert Louis (1850-1894)

Lettre autographe signée « Robert Louis Stevenson » à Hubert Smith-Stainer
Edinburgh, [Pitlochry, 6 juin 1881], 3 pp. in-8°
Lettre accompagnée de son enveloppe timbrée et oblitérée

Longue et magnifique lettre de l’écrivain voyageur depuis ses terres natales, évoquant ses difficiles campements en Californie et dans les Cévennes


Traduction de l’anglais :

« Cher Monsieur,
J’ai reçu il y a seulement quelques jours votre longue et intéressante lettre.
Je vous donnerai un point de vue sur votre livre. J’ai depuis campé en Californie où les choses sont énormément simplifiées par l’absence de pluie mais en même temps beaucoup plus difficiles à cause des rivières asséchées. Je me rappelle de certaines difficultés pour trouver de l’eau à boire ; et me repérer avec une boussole à travers d’épais « chaparral and chemises » [broussaille caractéristique d’une partie de la Californie] ne s’avère pas toujours facile ou agréable. Mais j’étais couché avec de la fièvre et passais quelques nuits très mélancoliques quand je n’arrivais pas à fermer l’œil et ne pouvais pas dire ce que je détestais le plus du brillant des étoiles ou du cri perçant des grillons ; et cuisiner devenait tout à fait impossible. Cette fièvre fut le début d’une longue maladie dont je souffre toujours. Il faudra peut être beaucoup d’années avant que je puisse refaire du camping ; et quand bien même je retrouvais ma santé, peut-être n’en trouverais-je plus le goût… En attendant, le mot même m’est délicieux à lire ou à écrire, et je m’accroche toujours à cette émotion, je me berce d’illusions en pensant que deux ou trois nuits sous les étoiles pourraient accomplir des merveilles sur ma santé.
Mille mercis pour les bontés que vous m’avez transmises dans votre courrier, croyez, cher Monsieur, à mes sincères salutations.
Robert Louis Stevenson
P.S. Vous avez tout à fait raison. Quelqu’un qui ne se serait pas prêté à l’exercice ne peut s’imaginer l’effort nécessaire à la réalisation d’un tel périple, en solitaire, et la difficulté de se tenir à l’obligation d’écrire constamment les pages de ce satané journal [allusion à son récit Voyage avec un âne dans les Cévennes]. Quand je suis arrivé à Alais [ancien nom pour la ville d’Alès] et eus pris un bain chaud, je me suis presque évanoui en dépit du réconfort apporté par le repos. »

 

Texte original :

“Dear Sir,
I received only a few days ago your long and interesting letter.
I shall make it a point to see your book. I have since camped out in California, where things are mightily simplified by the absence of rain, but made more difficult by the rivers drying up. I recal some miseries after water to drink; and tracking with a compass through thick chapparal and chemise, did not always prove either easy or agreeable. But I was laid down with a fever, and passed some very melancholy nights, when I could not close an eye and could not tell whether I most disliked the glitter of the stars or the piercing cry of the crickets; and to have to cook one’s food became quite impossible. That fever was the beginning of a long illness from which I am still suffering; it may be many years ere I shall again be fit to go a-camping: and perhaps ere health returns, the taste may have departed. In the meantime, the very word is delightful to me to write or to read; and I still cling to the feeling, I fancy a delusion, that two or three nights under the stars would work marvels for my health.
With many thanks for your kindness in writing.
Believe me dear sir, very truly yours
Robert Louis Stevenson
P.S. You are very right in what you say. No one who has not tried it can know how much of a strain it is, to push such a journey through single handed, and to keep the hungry journal up to date. When I got to Alais, and had had a hot bath, I felt almost collapsed, though with all the pleasure of rest.”


En août 1879, Stevenson entame son périple vers la Californie pour rejoindre sa promise, Fanny Osbourne, contre l’avis de sa famille. Il rencontre cette artiste-peintre américaine, déjà mariée et mère de deux enfants, à Barbizon cinq ans plus tôt. C’est en attendant le divorce de Fanny que l’écrivain mène une vie de bohème sur le port de San Francisco, vivant chichement, au gré de petits emplois, sans jamais en trouver de durable.
Les longues errances de Stevenson seront à l’origine de ses fréquentes maladies et de sa santé fragile. Il frôlera la mort en mars 1880, ne devant son salut qu’à l’attention de Fanny, qui se dévoue six semaines à son chevet. Jamais il ne se débarrassera de ce mal auquel il fait référence dans la lettre « le début d’une longue maladie dont [il] souffre toujours ». Il se sait fragile, cependant l’ivresse du voyage et de l’aventure ne le quittent pas. Ainsi se berce-t-il « d’illusions en pensant que deux ou trois nuits sous les étoiles pourraient accomplir des merveilles sur [sa] santé ».
Les deux amants se marient le 19 mai 1880 et retournent en Écosse à l’été suivant. Menant une vie paisible avec son épouse sur ses terres natales, Stevenson est à l’été 1881 en pleine rédaction de l’un de ses chefs d’oeuvre : L’Île au trésor.

Dans un long post-scriptum, l’écrivain revient sur cet épisode décisif que fut pour lui l’automne 1878. Entre son amour inconditionnel pour Fanny Osbourne et les menaces de son père de lui couper les vivres s’il persiste dans cette idée d’union avec une femme déjà mariée, Robert Louis qui n’a pas 28 ans et n’est toujours pas autonome financièrement est en proie au doute. Il décide de partir s’isoler au Monastier-sur-Gazeille, en Auvergne. C’est le point de départ d’une randonnée qu’il effectue en compagnie d’une ânesse, et jusqu’à l’épuisement. Le spectre de Fanny Osbourne est omniprésent. Elle est la principale motivation de ce périple durant lequel il tient un journal publié l’année suivante sous le titre Voyage avec un âne dans les Cévennes.

Cette lettre, bien que rédigée depuis sa demeure d’Edimbourg et selon toute vraisemblance le 5 juin, fut envoyée depuis Pitlochry, à 150 km plus au nord, là où Stevenson résida du 6 juin au 2 août 1881.

SAND, George (1804-1876)

Manuscrit autographe signé « G Sand » pour son roman Consuelo [fragments]
[Nohant et Paris, entre fin 1842 et début 1843] 27 p. in-8° (13,5 x 20,5 cm)
Quelques taches, mouillures et salissures

Précieux manuscrit formant la dernière partie de Consuelo, l’un des plus grands romans du XIXe siècle


Le manuscrit présenté se compose comme suit :

– Chapitre 105, qui constitue le début de la seizième et dernière partie du roman
Soit 10 p. in-8° [manque une page]
– Chapitre 106
Soit 10 p. in-8° [manque une page et demie]
– Conclusion
Soit 7 p. in-8° [manquent les toutes premières lignes de la conclusion, soit une demi-page]

Les pages manquantes mentionnées supra figurent aujourd’hui dans une seule et même collection particulière.

Consuelo fut publié en livraison dans la Revue indépendante (cofondée par Sand) du 1er février 1842 au 25 mars 1843, en 16 « parties », représentant 105 chapitres (il y eut une erreur de numérotation par la Revue indépendante entre les chapitres 19 et 29) et une conclusion.

Le manuscrit du roman fut démembré dès le XIXe siècle. Des fragments existent au musée de La Châtre, à la Bibliothèque de l’Université d’Ottawa, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, et dans des collections particulières.
Les manuscrits de Consuelo ne sont que très rarement mis en vente publiquement. On relève celui de la collection Sickles, vendu en avril 1989, puis celui de la collection Cortot, en octobre 2019.

Le manuscrit présenté est écrit à l’encre brune au recto des feuillets (souvent doubles), très remplis, d’une écriture de premier jet, rapide et serrée. Il est jalonné d’abondantes ratures, corrections et suppressions. Quelques passages sont ajoutés, laissant constater plusieurs variantes avec le texte définitif.

Œuvre majeure de l’écrivaine, Consuelo raconte l’ascension sociale d’une bohémienne qui deviendra cantatrice et compositrice reconnue. Le personnage se révélera par la force de son talent dans le milieu très masculin de la création musicale, mettant à mal les stéréo types de la féminité et faisant du roman une œuvre avant-gardiste, à l’image de son autrice.

« George Sand est immortelle par Consuelo, œuvre pascale. C’est notre Meister, plus courant, attachant par l’aventure, et qui va au plus profond de la musique, comme fait l’autre par la poésie » (Alain, Propos de littérature).

RAVEL, Maurice (1875-1937)

Lettre autographe signée « Maurice Ravel » à Maurice Emmanuel
[Le Belvédère, Montfort-l’Amaury (S. & O.)], « 14/10/[19]22 », 4 p. in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée (découpée en marge supérieure gauche)
Annotation « à Maurice Emmanuel » d’une autre main

Célèbre et importante lettre dans laquelle Ravel réagit aux critiques sur La Valse, sa première œuvre majeure de l’après-guerre, tout en y expliquant sa signification artistique


« Cher Monsieur,
En rentrant à Montfort(1), je trouve votre aimable lettre, et celle de M. Bleuzet(2). La partition que vous allez recevoir indique en effet les intentions de l’auteur. Ce sont les seules dont il faille tenir compte. Ce « poème chorégraphique » est écrit pour la scène. La 1ère en est réservée à l’opéra de Vienne, qui le donnera… quand il pourra.
Il faut croire que cette œuvre a besoin d’être éclairée par les feux de la rampe,tant elle a provoqué de commentaires étranges. Tandis que les uns y découvraient un dessein parodique, voire caricatural, d’autres y voyaient carrément une allusion tragique – fin du second Empire, étant de Wien après la guerre, etc.
Tragique, cette danse peut l’être comme toute expression – volupté, joie – poussée à l’extrême. Il ne faut y voir que ce que la musique y exprime : une progression ascendante de sonorité(3), à laquelle la scène viendra ajouter celle de la lumière et du mouvement.
Je pense que Durand a dû vous envoyer la brochure de Roland-Manuel, dans laquelle vous trouverez, mieux que je saurais vous les donner, tous les renseignements que me demande de votre part M. Bleuzet.
Veuillez croire, cher Monsieur, aux sentiments cordiaux de votre dévoué
Maurice Ravel »


[1] Ravel revenait de Hollande où il avait pris part au festival de musique française contemporaine organisé au Concertgebouw d’Amsterdam du 27 septembre au 1er octobre.
[2] Louis Bleuzet (1871-1941), hautboïste, secrétaire de la Société des concerts du Conservatoire.
[3] En 1928, Maurice Ravel fera une « progression ascendante de sonorité » encore plus marquée avec Le Boléro.

La Valse, poème chorégraphique pour orchestre, fut composé par Ravel entre 1919 et 1920 et créé publiquement le 12 décembre 1920 par les Concerts Lamoureux.
Sa genèse remonte cependant à l’année 1906. En accord avec Serge de Diaghilev, Ravel en visage de composer pour le ballet une Apothéose de la valse en hommage à Johann Strauss. La Première Guerre mondiale l’oblige toutefois à reporter ses projets et fait changer de trajectoire le compositeur dans ses ambitions initiales. L’évocation romantique et fastueuse de la cour viennoise du XIXe siècle, si bien représentée par les Valses de Johann Strauss II, est remplacée par l’image d’un monde décadent.
Ravel compose La Valse avec acharnement, comme un exutoire, et l’achève en moins de cinq mois, défigurant sciemment la valse viennoise tout en dépeignant un « tourbillon fantastique et fatal ». Refusée par les Ballets russes en 1920 lors d’une première audition qui marque la rupture définitive entre Ravel et Diaghilev, et en dépit des critiques mitigées, l’œuvre connaît malgré tout un immense succès au concert et est finalement adaptée pour le théâtre, en 1929, pour les ballets d’Ida Rubinstein.

La Valse porte la référence M.72 dans le catalogue des œuvres du compositeur établi par le musicologue Marcel Marnat.

POTOCKI, Jean (1761-1815)

Lettre autographe signée « Jean Potocki » à Firmin Didot
Tulczyn en Podolie [province Russe après le deuxième partage de la Pologne de 1793] 1er décembre [1810], 1 1/4 p. in-4°
Apostille autographe, de la main de Firmin Didot, en marge supérieure de la première page :
« Reçue le 11 avril 1811 / répondue le 16 avril, 1811 »
Quelques petites rousseurs

Admirable lettre dans laquelle Potocki fait parvenir ses derniers ouvrages à son imprimeur, tout en lui rappelant son souci d’exactitude en vue de leur publication


« Monsieur,
J’ai eu l’honneur de vous adresser de Petersbourg un exemplaire de mon Atlas Archéologique. Je vous en enverai un second fait avec plus de soin. Je seroi charmé que cet ouvrage fut connu en France.
Je vous envoye maintenant un exemplaire corrigé de mes principes de Chronologie. Je vous prie de le comuniquer à Messieurs de l’institut qui doivent avoir recu de moi quatre exemplaires que je n’avois pas eu le tems de corriger(1). Quant à la mise au jour de cet ecrit (qui est plustot un cahier qu’un volume), je l’ai confiée à Mr Gide(2) qui etant dans le commerce de la librairie peut etre connu de vous. Je lui ai beaucoup recommande d’employer quelque savant à cette édition, car vous jugez bien que de telles choses ne peuvent etre corrigées par un Prot. Si vous vouliez y donner quelques soins je vous en aurois une obligation extreme.
Je m’aper[ç]ois tout les jours qu’il est difficile de voir clair dans les sciences quand on est aussi loin du foyer des lumieres. Et ce foyer est là ou vous etes. Mais tout est compensé, car nous avons ici tout le tems de la meditation, qui est le veritable element des conceptions.
Ou en est on chez vous, pour l’inscription de Rosete. Je me propose d’envoyer à l’institut un travail sur la partie coptique(3).
Veuillez bien ne pas interrompre la correspondance que vous aves bien voulu commencer avec moi, et adresses vos lettres au Consul General.
Agreez les assurances de mon estime
Le Comte Jean Potocki
Ce 1. Decembre
A Tulczyn
dans le gouvernement de Podolie »


[1] Potocki avait adressé, le 17 août 1810, ses Principes de chronologie pour les temps antérieurs aux Olympiades à l’Institut de France : « J’ai l’honneur de vous adresser le résultat de mes recherches sur l’ancienne Chronologie […] Je me persuade, qu’à travers les fautes de la rédaction, votre indulgence démêlera facilement, les marques évidentes d’un travail obstiné » (lettre aujourd’hui conservée par l’Österreichische National Bib. A Vienne).
[2] Théophile Étienne Gide (1768-1837), imprimeur. En 1813 et 1814, il éditera des fragments de Manuscrit trouvé à Saragosse.
[3] La pierre de Rosette avait été découverte en 1799. Son travail sur la « partie coptique » n’a pas été retrouvé.

Personnage éclectique, dont le talent ne se limite pas aux qualités littéraires, les nombreux voyages de Potocki l’ont fait historien, archéologue, géopolitologue, ethnologue ou encore linguiste. Deux œuvres couronnent son génie : L’Atlas archéologique de la Russie européenne (1797-1805) et Manuscrit trouvé à Saragosse (plusieurs versions françaises entre 1797 et 1811, deux jeux partiels de placards hors commerce imprimés à St-Pétersbourg en 1804-1805, deux versions partielles publiées à Paris en 1813 et 1814).
L’Atlas, dont il est ici en partie question, s’apparente à ce que nous appelons de nos jours un atlas historique, soit l’évolution historique et géopolitique d’une zone géographique par des cartes. Son auteur envisage ce projet comme un but ultime

Jean Potocki : chronographe

La chronologie de l’Antiquité apparaît comme une suite logique de ses recherches d’historien de l’Antiquité et de ses lectures érudites. Pour s’y retrouver en effet, Jean Potocki a besoin de traiter la synchronie : ce sont ses « cartes cyclographiques », et la diachronie : ce seront ses « chronologies », qui vont constituer l’essentiel de ses recherches, une fois installé dans sa retraite studieuse et solitaire d’Uladowka. C’est à partir de 1803 qu’il entreprend un nouveau travail sur la chronologie des périodes antiques : Principes de chronologie pour les temps antérieurs aux Olympiades (six tomes publiés de 1813 à 1815) dont il est aussi question dans cette lettre


Nous joignons :

Une longue lettre autographe [minute] de Firmin Didot à Jean Potocki, qui croisa celle de ce dernier (supra), envoyée six semaines plus tôt
Paris, 30 janvier 1811 – 2 p. in-12°, d’une écriture très serrée

« Vos recherches sont très lumineuses et en général jettent un grand jour sur l’histoire »

« […] Vous m’avez fait l’honneur de m’adresser ainsi que le rouleau qui l’accompagnoit et qui renfermoit la 2eme edition de Votre Atlas historique […] Votre Atlas e[s]t intéressant la Carte m’en paroit bien faite, et quelque jours nous la ferons graver à la suite de plusieurs de vos ouvrages, tels que l’histoire ancienne de Podolie, celle de Wolhynie et en general de tout ce que vous avez ecrit sur l’ancienne histoire de la Russie, qui n’est pas assez connue ici. Vos recherches sont très lumineuses et en général jettent un grand jour sur l’histoire […] Didot émet ensuite de petites objections historiques sur les Principes de chronologie de son correspondant, témoignant ainsi de l’attachement dévoué que porte l’éditeur sur l’œuvre de l’écrivain.

Est-il nécessaire de rappeler l’insigne rareté des lettres autographes de Jean Potocki ?
Sur les 199 lettres que compte la correspondance, trois seulement se trouvent en mains privées, dont celle-ci.

PISSARRO, Camille (1830-1903)

Lettre autographe signée « C. Pissarro » à Théo Van Rysselberghe
[Bruges, Hôtel du] Singe d’Or, 3 juillet [18]94, 2 p. in-8° sur papier quadrillé

Belle lettre de Pissarro à son ami Van Rysselberghe, aux premières heures de son exil en Belgique – Le maître en profite pour faire quelques repérages des alentours avant de se mettre au travail


« Mon cher Théo
Deux mots pour vous demander des nouvelles de votre santé et celle de Madame Van Rysselberghe. J’espère que l’effet des terribles méduses n’aura pas de suite ; ma femme est
partie ce matin avec [notre fils] Félix.
J’avais presque envie de ne pas le laisser accompagner ma femme tellement il est fatigué des suites du bain, j’espère que cela se passera vite, c’est l’estomac qui est affecté.
Cela vous a-t-il fait le même effet.
Je viens de parcourir les environs pour me faire la main et l’œil, j’ai trouvé des choses charmantes, aussitôt que Félix sera ici nous allons nous mettre sérieusement à l’œuvre.
J’ai encore dans l’oreille le bruit des vagues et la couleur de la mer dans l’œil vous avez dû avoir de beaux effets hier soir.
Nous sommes arrivés juste au moment où une trombe s’est abattue sur Bruges, vous avez dû en jouir dans votre vigie.
Ma femme m’a bien recommandé de vous écrire combien elle avait été sensible de toute l’attention que vous avez pour nous et m’a prié de vous souhaiter le bonjour, moi et Félix bien entendu nous y joignons en cœur.
Poignée de main mon cher ami, et nouvelles sans tarder n’est-ce pas ?
De cœur
C. Pissarro »


Ses sympathies pour les idées anarchistes et libertaires obligèrent Pissarro à se réfugier en Belgique, suite à l’assassinat du président Sadi Carnot une semaine auparavant, le 25 juin. Il était alors recherché par la police comme d’autres anarchistes non-violents.
Théo Van Rysselberghe, l’une des figures de proue du divisionnisme, était lui aussi acquis aux mêmes idées. Pissarro trouva en lui un point d’appui lors de son exil belge, renforçant ainsi leur amitié. Il sera rejoint par Van Rysselberghe à Bruges quelques jours plus tard, comme en témoignera Pissarro dans une lettre à sa femme le 6 juillet suivant.

Pissarro mentionne Félix, son troisième fils, peintre comme lui, qui l’accompagnait régulièrement sur ses lieux de travail. Il mourra prématurément à Londres, trois ans plus tard, à l’âge de 23 ans.

MAO, Zedong (1893-1976)

MAO Zedong [Citations du Président Mao]
Édition originale du Petit Livre rouge, en premier état, avec le point superflu sur un caractère (corrigé dans l’édition suivante)
[Pekin], Zhong guo ren min jie fang jün zong zheng zhi bu bian zhun. [Département de politique générale de l‘Armée Populaire de Libération], [mai 1964], 250 p in-16, (13,8
x 10 cm).
Broché sous couverture blanche avec sa couverture de vinyle rouge incisée du titre à froid.
Portrait héliogravé de Mao (sous serpente détachée), un avant-propos du Général Lin Biao en fac-similé, 2 pages de préface et 2 pages de table
Quelques salissures sur la chemise intérieure ; quelques taches et rousseurs


L’édition originale du Petit Livre rouge

Premier tirage (d’un format légèrement plus grand que les réimpressions ultérieures) avec le coup de pinceau supplémentaire au feuillet fac-similé de Lin Biao et comprenant toutes les caractéristiques de Lei Han.
Mention manuscrite en chinois sur le titre à l’encre bleue donnant la date de l’édition 1964, ainsi qu’un cachet à l’encre rouge de Gao Xing Zhong. L’édition, tirée entre 50.000 et 60.000 exemplaires, contient les citations les plus importantes de la pensée de Mao réunies en trente chapitres.
Cet ouvrage n’était pas destiné à la vente. Il devait servir de guide à tous les membres de l’armée. Les exemplaires revêtus de la couverture de vinyle rouge étaient destinés aux troupes régulières. Au moment de la Révolution culturelle d’août 1966, cette couverture rouge devint le symbole de la Chine Populaire et tous les exemplaires en furent alors revêtus.
Membre de l’armée Rouge, Commandant en chef des forces chinoises pendant la guerre de Corée puis nommé Ministre de la Défense en 1959, Lin Biao était l’homme le plus im portant de la Chine après Mao. Lin Biao fut à l’origine de cet ouvrage et rédigea un feuillet en fac-similé reprenant trois phrases du journal du héros de la Révolution Lei Feng : «Lisez les livres de Mao, suivez son enseignement et agissez selon ses ordres». Des rumeurs de complot d’assassinat contre Mao par Lin Biao l’obligèrent à fuir la Chine. Son avion fut bombardé au-dessus de la Mongolie le 12 septembre 1971. Après cette date, on demanda à chaque citoyen possesseur du Petit livre rouge d’arracher de leur exemplaire ce feuillet ainsi que la préface faisant mention du nom du traître. Ces pages ne furent plus jamais réimprimées.

Exemplaire enrichi d’un feuillet ex-dono collé sur la garde (département de la jeunesse de l’Armée populaire de Chine et daté Juin 1964) et d’un feuillet volant rose, glissé dans la couverture, de recommandations politiques du comité révolutionnaire de l’usine sidérurgique de Kong.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée « Al. de Lamartine » [minute] à Stéphanie de Virieu
Paris, 14 avril 1841, 3 p. 1/2 in-8° sur papier vergé

Lamartine pleure la mort de son ami d’enfance Aymon de Virieu


« Hélas ! Je savais notre perte affreuse depuis deux jours. Que puis-je vous dire que vous n’ayez pas présumé de moi, en le sentant par vous-même ? N’était-il pas aussi mon frère, et plus que bien des frères. Je perds en lui autant que vous-même, tout le passé, tout ce qui me restait d’affection, de jeunesse dans ma vie. Je n’ai plus d’ami que dans mes souvenirs et dans le ciel.
Ce que M. de Miramon [beau-frère de Virieu] et vous me dites de ses derniers moments est consolant pour ceux qui croient fermement comme nous à la réunion dans l’éternité. Mourir avec cette pensée rendue sensible et présente dans la prière et dans une foi ce n’est presque pas mourir, ce n’est que partir le premier. Il l’a eue, et j’en suis heureux comme vous. C’est aussi cette pensée qui nous soutiendra dans notre reste de chemin bien morne et bien solitaire.
Quand Mme de Virieu pourra entendre un mot venant du dehors, je vous prierai de lui parler de moi et de mon dévouement absolu aux souvenirs, aux désirs, aux affection que notre ami a laissés autour d’elle et en elle sur cette terre. Mon seul bonheur sera de lui témoigner en eux qu’il a un frère ici-bas.
Adieu, Mademoiselle. Vous avez été longtemps le témoin d’une amitié qui ne finit pas par la mort de l’un des deux amis, soyez assez bonne pour ne pas en laisser effacer en vous toutes les traces et pour permettre que je les retrouve toujours dans le cœur et quelques fois dans le souvenir des deux personnes qu’il aima le plus, Mme de Virieu et vous.
Al. de Lamartine »


Aymon de Virieu (1788-1841) a sans doute été l’ami préféré de Lamartine. Cette affection fut exprimée par le poète romantique dans plusieurs lettres : en 1808 « je t’aime de toute mon âme et je suis pour la vie ton plus tendre et sincère ami », en 1839-1940 « Tout m’est indifférent, excepté nous » ; « Je t’aime de plus en plus à mesure que le vide se fait autour du cœur ».
La mort brutale de son ami, survenue le 7 avril, bouleversa l’écrivain. Virieu, qui depuis toujours avait reconnu en Lamartine l’un des génies du romantisme, était son confident. Le poète lui livrait ses pensées, ses ambitions et lui demandait son avis pour des décisions essentielles ou ses essais littéraires.
Lamartine ne s’épancha que très peu sur la disparition de son ami, hormis dans la présente lettre, seul témoignage sans détour de sa tristesse.
La présente lettre fut conservée par Lamartine pour ses archives. On connaît la lettre envoyée à Stéphanie de Virieu (dont l’adresse de la destinataire et le cachet postal figurent sur la quatrième page) publiée dans la correspondance générale. Il n’y a pas de variante entre les deux textes.

LACLOS (de), Pierre Choderlos (1741-1803)

Lettre autographe signée « P. Choderlos Laclos » à Nicolas de Condorcet
Paris, 16 juin 1793, 2e [an 2] de la République, 1 p 1/4 in-4° sur bifeuillet vergé
Adresse autographe sur la quatrième page (de la main de Laclos) :
« Au Citoyen Condorcet, député à la Convention… »
Quelques petites taches, anciennes mouillures et rousseurs, bris de cachet (fragment de papier conservé)

En plein tumulte révolutionnaire, l’auteur des Liaisons dangereuses sollicite une entrevue auprès de Condorcet afin de faire démentir une calomnie le concernant


« Le citoyen Alquier, en me chargeant de vous remettre, Citoyen, la lettre que j’ai laissée chez vous aujourd’hui, m’avait fait espérer que vous voudriez bien me recevoir et m’entendre. Votre séjour habituel à Auteuil, où les circonstances m’empêchent d’aller vous chercher, me force de commettre une sorte d’indiscrétion, en réclamant de vous un rendez-vous dans votre maison de Paris, comme le seul moyen, de tenir la promesse que vous avez bien voulu faire au Citoyen Alquier. Je me reproche, jusqu’à un certain point, d’abuser ainsi de votre temps ; mais quelque mépris que m’ait donné pour les calomnies, en général, la longue habitude d’être calomnié, vous concevrez aisément que je cesse d’en juger ainsi quand on parvient à les faire répéter par des personnes telles que vous. Je vous prie instamment de me faire savoir le jour et l’heure où vous pensez me recevoir ; j’enverrai demain matin, chez vous, chercher la réponse que je vous demande en grâce d’y laisser.
P. Choderlos Laclos »


Nous joignons :

La lettre autographe signée de Charles Alquier à Condorcet (envoyée la veille), offrant son entremise pour établir un rendez-vous entre les deux intéressés
S.l, « Ce 15 » [juin 1793], 1 p. grand in-8°

« Je pars pour Versailles, mon cher collègue […] j’ai à mon tour un bon office à vous demander, et vous êtes vous-même intéressé à ne pas refuser, puisque je vous offre l’occasion de réparer une erreur, et que vous n’êtes pas destiné à en commettre. Je vous ai parlé de Mr de Laclos qui est mon ami depuis quinze ans, je ne lui ai pas caché que vous aviez quelques préventions contre lui, et comme je m’y attendois, il offre de les détruire : je vous prie donc de recevoir et d’entendre Mr de Laclos, et je vous remercie d’avance du bonheur que j’aurai à vous entendre dire du bien de mon ami lorsque vous l’aurez connu. Ce 15. Alquier »


Interné le 2 avril 1793 à la prison de l’Abbaye sur mandat d’arrêt du Comité de sûreté car soupçonné d’être orléaniste, Laclos obtient une relative remise en liberté (il subira sa captivité à son domicile) le 10 mai suivant. Cette libération intervient semble-t-il grâce à l’intervention d’Alquier, membre du Comité.
Les rapports entre Laclos et Condorcet, tous deux picards, dateraient de l’année 1785, mais surtout depuis 1789 et aux Jacobins. Leurs relations étaient restées toutefois purement formelles, comme le montre notre lettre. C’est à la suite de « calomnies » à son encontre, non précisées mais que Condorcet avait paru approuver, que Laclos, par l’intermédiaire de son ami Alquier, sollicite un rendez-vous auprès du mathématicien.
Ne disposant que d’une semi-liberté, Laclos ne pouvait se rendre à Auteuil. On peut penser que l’entrevue eut lieu entre les deux hommes – ce qui reste toutefois conjectural – et n’eut pas d’autre conséquence, car tous deux étaient suspects et menacés.

Les lettres autographes signées de Laclos sont d’une rareté proverbiale

KAHLO, Frida (1907-1954)

Pièce autographe signée « Frida Kahlo »
Mexico, 2 août 1947, 1/2 p. in-4°, avec enveloppe autographe

Rare déclaration de Frida Kahlo, certifiant cinq de ses dessins à l’encre pour un ami


Traduction de l’espagnol

« À qui de droit :
Les dessins que transporte de son plein droit Monsieur Arthur Sidon et les personnes l’accompagnant sont des orignaux de moi, et sont des présents que je leur ai faits, ils sont donc exempts de droits [de douane]. (Il y en a cinq, à l’encre).
Frida Kahlo »

Texte original

“A quien corresponda:
Los dibujos que llevan en su poder los S[eño]res Arthur Sidon son originales míos, y son un obsequio que yo les hago, así que están excentos [sic] de derechos. (Son cinco, a la tinta).
Frida Kahlo”

Frida rajoute sur l’enveloppe (au verso de laquelle son nom est imprimé en pleines lettres sur le rabat) :

« Sr Arturo Sidon
Presente
De parte de Frida Kahlo »


La présente attestation était probablement destinée à faciliter le passage de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. En effet, si l’enveloppe (à l’attention de son ami) indique « Arturo », Frida américanise le prénom de ce dernier sur le document.
L’artiste avait, en cette même année, réalisé l’une de ses œuvres demeurées les plus célèbres : Autoportrait aux cheveux lâchés

Signalons qu’une infime proportion des écrits de l’artiste portent sa signature complète « Frida Kahlo », cette dernière ayant signé la plus grande partie de ses lettres « Frida ».

HUGO, Victor (1802-1885)

Brouillon autographe d’un fragment de poème
S.l.n.d. [Guernesey, c. 1854], 1 p. in-12° sur papier pelure bleu
Marges gauche et inférieure effrangée

Précieux copeau autographe de premier jet contenant trois strophes du poème Tout le passé et tout l‘avenir, paru dans La Légende des siècles


[Nous transcrivons le fragment du poème tel qu’il paraît en 1877]

« Ils bravent l’océan plein de magnificence
Où flottent le mystère et la toute-puissance ;
Ils souillent le gouffre irrité ;
Sans prendre garde au vent qui s’épuise en huées,
Ils lèvent leur bannière au milieu des nuées,
Ces drapeaux de l’immensité !

Ils ont pour dieux la force et la ruse aux yeux louches ;
Ils font chanter des chants aux trompettes farouches
Dont nous, esprits, nous frissonnons,
Et rouler, balafrant la nature sacrée,
Sur les champs, sur les blés, sur les fleurs que Dieu crée
La roue horrible des canons.

Les générations meurent pour leur caprice.
Ils disent au tombeau : Prends l’homme et qu’il périsse !
Ô nains, pires que les géants !
Ils ouvrent cette nuit que nul rayon ne perce ;
Ils y font brusquement tomber à la renverse
Les pâles cadavres béants ! »


Écrits par intermittence entre 1855 et 1876, les poèmes de La Légende des siècles sont publiés en trois volumes au cours des années 1859, en 1877 et en 1883. Hugo contemple le mur des siècles, vague et terrible, sur lequel se dessinent et se mêlent toutes les scènes du passé, du présent et du futur, et où défile la longue procession de l’humanité. Porté par un talent poétique estimé comme sans égal où se résume tout l’art de Hugo, ce recueil, la « seule épopée moderne possible » pour Baudelaire, est un sommet de la poésie française.

Notre copeau présente d’importantes variantes avec le poème paru en 1877 dans la Nouvelle série de La Légende des siècles, il comporte 106 strophes dans sa version définitive.

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Lettre autographe signée « Edmond de Goncourt » à une dame
S.l, 5 7bre [septembre] [18]93, 2 p. in-8°

Goncourt s’attire les foudres de Madame Daudet et rêve de Sarah Bernhardt pour le rôle-titre de sa prochaine pièce de théâtre Faustin


« Chère Madame,
Je vous écris sous un sentiment de tristesse. Blanche [Blanche Passy, amie d’enfance de son frère Jules] est en train à grands coups de marteau, de fermer ses caisses qui rempliront un wagon, et le départ de cette pauvre folle que j’ai vue gamine me remplit d’ennui. Et je sens par ce départ la maison qui se décolle. Il y a une remplaçante dont au bout de huit jours Pélagie [Pélagie Denis, sa nouvelle domestique] est déjà fatiguée, écœurée…
J’ai passé cinq semaines chez les Daudet qui ont été toujours très charmants, mais à mon retour j’ai reçu une lettre légèrement furibonde de Mme Daudet, à propos d’une interview du Figaro où j’avais dit que l’homme de lettres devait rester célibataire ; enfin le courroux de mon amie s’est un peu calmé.
Je pars demain pour [le château de] Jean d’Heurs, avec le désir d’en être revenu, et de me trouver en octobre.
Je n’ai pas eu de crises depuis mon retour […] j’ai travaillé beaucoup et sur les huit tableaux que doit avoir la Faustin [La Faustin-pièce, qu’il écrivit à l’été 1893], j’en ai fait six.
Ah si vraiment j’avais pour interprète Sarah Bernhardt, il y a un beau rôle pour elle !
Donnez-moi ces jours-ci des nouvelles…
Votre bien affectionné
Edmond de Goncourt »

Nous joignons :
S.l.n.d [Paris, vers le 18 juillet 1896], 2 p. in-12°

Une lettre autographe signée de Gustave Geoffroy à Léon Hénnique, écrite dans les jours qui suivirent la mort de Edmond de Goncourt

« Cher ami,
Vous avez très bien fait de m’envoyer au cimetière. [Eugène] Carrière m’a accompagné.
Nous avons fait réunir les restes du père et de la mère, le cercueil de Jules est resté intact, et il y a donc maintenant, sans creusement nouveau, une place pour Edmond de Goncourt. L’inhumation est fixée à mercredi 5 août 8h du matin. Mais d’ailleurs le marbrier doit vous voir. J’écris à Daudet et à [Gustave] Toudouze en même temps qu’à vous. Je crois nécessaire que vous vous entendiez avec Daudet pour régler les invitations à la famille et aux amis.
Si vous avez besoin de moi, un mot, et je passerai chez vous, ou ailleurs, demain dimanche, le soir.
Affectueusement votre
Gustave Geoffroy
Toudouze était bien 40, rue de Petersbourg ? Si je me trompe, écrivez-lui ou voyez-le. »


Goncourt commence la rédaction de Faustin à l’été 1893. Il semble satisfait de sa pièce, comme en témoigne une lettre à Daudet au début du mois de septembre : je crois vraiment la pièce originale ». Il achève la rédaction le 28 septembre, épuisé et malade. Toujours à Daudet, il confie « Sur le 8eme tableau de la Faustin qui n’était qu’ébauche, et que j’ai terminé malgré tout, je vous écris en rangeant mes papiers qu’en cas de malheur je vous prierai de parachever ».

« Il y a un beau rôle pour elle ! »
Goncourt propose en effet le rôle à Sarah Bernhardt le 17 octobre suivant. Commencent alors les ennuis, difficultés et déceptions alternés qui sont le lot de tous les projets théâtraux, et qui dureront jusqu’à la mort de l’écrivain, laissant en suspens cette Faustin qui ne sera jamais jouée, à son grand désespoir.
La pièce ne sera publiée qu’en 1910 dans la Revue de Paris par Léon Hennique, président de l’Académie Goncourt.

L’écrivain meurt d’une embolie pulmonaire fulgurante à Draveil dans la villa de son ami Alphonse Daudet. Il est inhumé auprès de son frère cadet Jules à Paris, au cimetière de Montmartre. Assistent à son enterrement Montesquiou, Barrès, Poincaré, Clemenceau, Tristan Bernard, François Coppée, Heredia, Catulle Mendès, Schwob, Jourdain, la princesse Mathilde, entre autres. Émile Zola prononce son oraison funèbre.

GIACOMETTI, Alberto (1901-1966)

Lettre autographe signée « Alberto Giacometti » à David Thompson
Paris, 28 août 1956, 3 p. in-8°

Belle lettre immersive du maître, au cœur de la création de ses chefs d‘œuvre


Pour une lecture plus aisée, nous avons transcrit la lettre avec une orthographe juste

« Cher Monsieur Thompson
Je vous remercie votre très gentille lettre et pardonnez-moi de n’avoir pas répondu plus vite, je n’ai pas encore envoyé la petite tête parce qu’elle était exposée à Berne, maintenant elle est de retour et je vais la donner à Foisset pour vous l’envoyer donc vous pouvez être sûr de la recevoir.
Je veux toujours faire les deux grandes sculptures et cela j’espère encore pendant cet hiver.
J’ai commencé plusieurs sculptures que je vais travailler pendant les prochains mois et celles-ci devraient me rendre possible de faire les grandes. A cause de la sculpture je suis obligé de négliger la peinture et le dessin pour le moment, donc je ne veux pas penser à faire en même temps des peintures pour votre nouvelle salle mais je vous dirai quand j’aurai des nouvelles peintures.
Pour le moment la seule chose qui compte pour moi c’est d’arriver à faire les sculptures que j’ai commencées.
C’est plus difficile que jamais et le temps passe trop vite et je ne suis pas encore prêt pour le voyage de Pittsburgh mais peut-être que cela sera-t-il possible un jour. Je vous écrirai dès que j’aurai quelque chose de nouveau.
J’envoie à madame Thompson et à vous même aussi de la part d’Annette toutes mes affectueuses salutations
Alberto Giacometti »


Si l’année 1956 fut harassante de travail pour Giacometti, cette lettre permet d’en prendre toute la mesure. De nombreux projets jalonnèrent la saison, à l’image de la biennale de Venise (dont Giacometti était le représentant pour la France), ou encore la Kunsthalle de Berne durant laquelle il exposa, entre autres, Grande figure [socle haut]. En marge de celle-ci et toujours en 1956, l’artiste est également sollicité par la Chase Manhattan Bank pour un projet de monument. Il fait aussi la rencontre d’Isaku Yanaihara, qui lui servira de modèle tant pour la peinture que la sculpture, jusqu’à l’obsession.
Giacometti modèle cette année-là Figure féminine debout, qu’il moule en argile dans diverses versions. Dix d’entre elles, réalisées entre janvier et mai, sont exposées dans le pavillon français de la Biennale de Venise de 1956, intitulées Les Femmes de Venise, même si certaines sont montrées pour la première fois à Berne la même année, dont neuf sont ensuite coulées en bronze (aujourd’hui à la Fondation Beyeler).
David Thompson (1899-1965), ingénieur américain, a fait fortune dans la finance lors de la Grande dépression. Fervent admirateur et très bon client de Giacometti, sa collection d’art moderne comprenait aussi des œuvres de Paul Klee, Jean Dubuffet, Joan Miró et Henry Moore.

GAUGUIN, Paul (1848-1903)

Lettre autographe signée « Paul Gauguin » à un collectionneur
S.l.n.d [Paris, 1er ou 2 novembre 1893], 1 p. 1/2 in-8°
Petite décharge d’encre et infimes rousseurs en marge gauche

De retour de son premier voyage à Tahiti, Gauguin lance son exposition chez Durand-Ruel


« Monsieur, J’ai reçu aujourd’hui la visite de monsieur Thaülow [Fritz Thaulow son beau-frère] qui m’a remis une carte de vous. Vous voudriez – dit-il voir mon exposition avant la lettre. Cela devient assez difficile parce que je dois les porter [ses toiles] mardi chez Durand-Ruel et cette fin de semaine je ne suis pas certain d’être à la maison. Mais lundi je serai toute la journée chez moi 8 rue de la Grande Chaumière – L’exposition ouvrira le 9. Agréez monsieur l’assurance de mes sentiments distingués.
Paul Gauguin. »


Après deux années d’une vie de bohème et d’un travail passionné dans les îles du Pacifique Gauguin rentre en France et arrive à Marseille, le 4 août 1893. L’artiste est sans le sou. Désireux d’organiser une exposition de ses œuvres tahitiennes au plus vite, il va alors faire jouer ses relations, notamment auprès de Degas, dont le soutien lui permettra d’exposer chez les Durand-Ruel, rue Lafitte, durant un mois. Le vernissage est prévu pour le 4 novembre.
Gauguin se démène et imagine déjà un vif succès, l’argent coulant à flot, et la protection d’un marchand parisien ; ses œuvres tahitiennes sont sublimes. Il commet toutefois une grosse erreur, fixant lui-même les prix de ses œuvres à des sommes trop élevées – entre 2 et 3000 francs, soit près de dix fois les prix pratiqués avant son départ – prétendant alors faire monter sa cote.
Le vernissage est repoussé au 9 novembre et le tout Paris des arts est convié : journalistes, marchands, critiques, collectionneurs, hommes de lettres, et les peintres Pissarro, Monet, Renoir et bien sûr Degas.
Gauguin expose en tout quarante-quatre toiles dont La Orana Maria (Ave Maria), Manao tupapau (L’Esprit veille), Metua rahi no Tehamana (Mes Aïeux de Tehamana), ou encore Nafea faaipoipo (Quand te maries-tu ?), demeurées parmi ses œuvres les plus célèbres.

Il est anxieux et joue gros. Le soir du vernissage, la galerie Durand-Ruel est comble mais Gauguin comprend vite que la partie est perdue et qu’il ne vendra rien, ou presque. Charles Morice raconte : « Dans la vaste galerie où flambait aux murs sa vision peinte, il regardait le public, il écoutait. Bientôt il n’eut plus de doute : on ne comprenait pas. C’était la séparation définitive entre Paris et lui, tous ses grands projets étaient ruinés, et, blessure peut-être pour cet orgueilleux, la plus cruelle de toutes, il devait s’avouer qu’il avait mal combiné ses plans. »
Incompréhension et prix trop élevés, l’exposition chez Durand-Ruel est un désastre financier. Seules huit toiles sont vendues. La presse se montre néanmoins, dans l’ensemble, très enthousiaste quant au travail du peintre : Mallarmé, Cardon, Darien et Mirbeau furent unanimes, saluant l’œuvre d’un grand maître.
Dix-huit mois plus tard, Gauguin repart pour son deuxième et dernier voyage sur les terres du Pacifique…

On joint :
Le fac-similé du catalogue de l’exposition chez Durand-Ruel, avec la préface de Charles Morice et la liste des œuvres
1 vol. (13,8 x 21,2 cm), demi chagrin bordeaux à coins, dos à nerfs, titre doré.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Poème autographe signé « Paul Eluard »
S.l.n.d, 2 p. in-folio sur papier vélin fin vert pâle
Encadrement sur mesure (63,8 x 43,5 cm)
Légères brunissures aux marges

Manuscrit complet de l’un des quatre poèmes publiés dans Facile, chef-d’œuvre du surréalisme témoignant du parfait “ménage à trois” artistique entre Paul Éluard, son épouse Nusch et Man Ray

Provenant de la collection Christian Genet


A LA FIN DE L’ANNÉE, DE JOUR EN JOUR PLUS BAS, IL ENFOUIT SA CHALEUR COMME UNE GRAINE.

« I
Nous avançons toujours
Un fleuve plus épais qu’une grasse prairie
Nous vivons d’un seul jet
Nous sommes du bon port

Le bois qui va sur l’eau l’arbre qui file droit
Tout marché de raison bâclé conclu s’oublie
Où nous arrêterons-nous
Notre poids immobile creuse notre chemin

Au loin les fleurs fanées des vacances d’autrui
Un rien de paysage suffisant
Les prisons de la liberté s’effacent
Nous avons à jamais
Laissé derrière nous l’espoir qui se consume
Dans une ville pétrie de chair et de misère
De tyrannie

La paupière du soleil s’abaisse sur ton visage
Un rideau doux comme ta peau
Une aile salubre une végétation
Plus transparente que la lune du matin

Nos baisers et nos mains au niveau de nous-mêmes
Tout au-delà ruiné
La jeunesse en amande se dénude et rêve
L’herbe se relève en sourdine
Sur d’innocentes nappes de petite terre
Premier dernière ardoise et craie
Fer et rouille seul à seule
Enlacés au rayon debout
Qui va comme un aveu
Écorce et source redressée
L’un à l’autre dans le présent
Toute brume chassée
Deux autour de leur ardeur
Joints par des lieues et des années

Notre ombre n’éteint pas le feu
Nous nous perpétuons. »

« II
Au-dessous des sommets
Nos yeux ferment les fenêtres
Nous ne craignons pas la paix de l’hiver

Les quatre murs éteints par notre intimité
Quatre murs sur la terre
Le plancher le plafond
Sont des cibles faciles et rompues
À ton image alerte que j’ai dispersée
Et qui m’est toujours revenue

Un monotone abri
Un décor de partout

Mais c’est ici qu’en ce moment
Commencent et finissent nos voyages
Les meilleures folies
C’est ici que nous défendons notre vie
Que nous cherchons le monde

Un pic écervelé aux nuages fuyants au sourire éternel
Dans leurs cages les lacs au fond des trous la pluie
Le vent sa longue langue et les anneaux de la fraîcheur
La verdure et la chair des femmes au printemps
La plus belle est un baume elle incline au repos
Dans des jardins tout neufs amortis d’ombres tendres
Leur mère est une feuille
Luisante et nue comme un linge mouillé

Les plaines et les toits de neige et les tropiques luxueux
Les façons d’être du ciel changeant
Au fil des chevelures
Et toujours un seul couple uni par un seul vêtement
Par le même désir
Couché aux pieds de son reflet

Un couple illimité.
Paul Eluard »


Ce poème, titré À la fin de l’année, de jour en jour plus bas, il enfouit sa chaleur comme une graine, long de 66 vers et en deux parties, figure entre L’Entente et Facile et bien.

Livre d’art icône publié pour la première fois le 24 octobre 1935 par l’imprimeur-éditeur Guy Levis Mano, Facile est tiré en 24 exemplaires sur Japon Impérial. S’en suivront 200 exemplaires hors commerce sur vélin puis un tirage limité à 1250 exemplaires.
Né d’une collaboration artistique entre Man Ray, Paul Eluard et son épouse Nusch, l’ouvrage magnifie le corps de cette dernière par le verbe du poète et la lumière du photographe. Après son recueil Au défaut du silence, où Gala était omniprésente, Éluard compose ces quatre poèmes évoquant Nusch, auxquels font écho, par un subtil jeu de mise en page, douze photographies de Man Ray représentant Nusch entièrement nue. Son corps n’y apparaît jamais dans sa totalité selon un procédé propre à l’Homme-Lumière. L’ouvrage contribua au réveil de l’érotisme dans l’art des années 30.

À propos de Facile, Pierre Emmanuel écrit dans Le Je universel chez Paul Éluard (G.L.M, 1948) : « Identique à soi-même dans son intarissable création de soi, la femme est aussi comme le signe ou, mieux : la condition de l’identité de toutes choses. Il faudrait citer presque entièrement certains poèmes de Facile pour donner la juste idée de « l’entente » qui s’établit entre l’érotisme féminin et les énergies fécondantes de la terre – entre les gestes de la femme et les mouvements de l’humaine destinée… »

Les poèmes manuscrits de ce recueil, l’un des plus emblématiques du poète, sont fort rares.

[EINSTEIN] BERGSON, Henri (1859-1941)

Lettre autographe signée « Henri Bergson » à Jean Becquerel
Paris, 24 sept[embre] 1922, 16 pages in-8° avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Quelques annotations typographiques au crayon gras

Lettre capitale et en grande partie inédite sur les enjeux et l’interprétation de la théorie de la relativité – Une intervention du philosophe qui continue aujourd’hui encore à nourrir de nombreuses controverses


Nous n’en transcrivons ici que quelques fragments

« Monsieur et cher collègue,
J’ai bien tardé à répondre à la lettre, si intéressante et si importante, que vous avez bien voulu m’adresser. C’est qu’elle est allée me chercher de divers côtés, et m’a atteint en Suisse, à un moment où j’étais pris, à Genève, par le travail de « Coopération intellectuelle » qui nous avait été confié par la Société des nations. Me voici de retour à Paris ; je profite de mes premiers instants de liberté pour vous écrire. Le passage essentiel de votre lettre est naturellement celui qui concerne le voyage en boulet. Laissez-moi reprendre ce que j’ai dit dans mon livre [Durée et simultanéité, paru à l’été 1922] en y joignant quelques explications complémentaires.
Il y a d’abord deux remarques importantes à faire.
Si l’on se place en dehors de la Théorie de la Relativité, on conçoit un mouvement absolu et, par là même, une immobilité absolue ; il y aura dans l’univers des systèmes réellement immobiles. Mais, si l’on pose que tout mouvement est relatif, que devient l’immobilité ? Ce sera l’état du système de référence, je veux dire du système où le physicien se suppose placé, à l’intérieur duquel il se voit prenant des mesures et auquel il rapporte tous les points de l’univers. […]
2° Si l’on se place en dehors de la Théorie de la Relativité, on conçoit très bien un personnage Pierre absolument immobile au point A, à côté d’un canon absolument immobile ; on conçoit aussi un personnage Paul, intérieur à un boulet qui est lancé loin de Pierre, se mouvant en ligne droite d’un mouvement uniforme absolu vers le point B et revenant ensuite, en ligne droite et d’un mouvement uniforme absolu encore, au point A. Mais du point de vue de la Théorie de la Relativité, il n’y a plus de mouvement absolu ni d’immobilité absolue […] Paul une fois lancé dans l’espace n’est plus qu’une représentation de l’esprit, une image — ce que j’ai appelé un « fantôme » ou encore une « marionnette vide ». C’est ce Paul en route (ni vivant ni conscient, n’existant plus que comme image) qui est dans un Temps plus lent que celui de Pierre. […] Le Paul qui sort du boulet au retour du voyage, le Paul qui fait de nouveau partie alors du système de Pierre, est quelque chose comme un personnage qui sortirait, en chair et en os, de la toile où il était représenté en peinture : c’était à la peinture et non pas au personnage, c’était à Paul référé et non pas à Paul référant, que s’appliquaient les raisonnements et les calculs de Pierre pendant que Paul était en voyage. […] Je ne voudrais pas clore sans saisir l’occasion qui s’offre à moi de vous dire combien m’a intéressé et instruit votre beau livre sur « Le principe de relativité » et la « Théorie de la gravitation » , – livre indispensable à tous ceux qui ont le souci d’approfondir la théorie d’Einstein. Veuillez, Monsieur et cher collègue, agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués et dévoués
H. Bergson »


En faisant paraître Durée et simultanéité (aux éditions Alcan, durant l’été 1922), Bergson prenait un risque qu’il ne mesurait sans doute pas lui-même. Le propos de cet essai était de discuter les enjeux philosophiques de la théorie de la relativité. Les critiques de ses collègues scientifiques ne se sont pas fait attendre. Celles d’Einstein au premier chef, déplorant les « bourdes » ou les « boulettes » du philosophe. En France, c’est Jean Becquerel qui ouvre le feu avec une lettre adressée directement à l’auteur, et dont ce document constitue la réponse.
Becquerel occupe à l’époque une chaire de physique appliquée au Muséum d’histoire naturelle. On lui doit un manuel intitulé Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation (Gauthier-Villars, 1922), ce qui fait de lui un des premiers introducteurs de la théorie einsteinienne dans le contexte français. Deux sources permettent de se faire une idée de la teneur de la lettre de Becquerel : son article publié l’année suivante (« Critique de l’ouvrage Durée et Simultanéité de M. Bergson », Bulletin scientifique des étudiants de Paris, 10 (2), mars-avril 1923), et l’extrait qu’en donne Bergson lui-même dans le premier des trois appendices ajoutés à l’édition 1923 de Durée et simultanéité – appendice qui contient également, à quelques lignes près, l’intégralité de sa réponse. Bergson choisit alors de conserver l’anonymat de son correspondant afin d’éviter de donner l’impression d’une « polémique » (selon l’entretien du 30 décembre 1923 avec Jacques Chevalier). Il se contente d’évoquer « une lettre, fort intéressante, qui nous fut adressée par un physicien des plus distingués ».
La discussion se cristallise sur un point précis : l’interprétation du ralentissement des horloges en mouvement prévu par la théorie. Le célèbre « paradoxe des jumeaux » attribué à Paul Langevin fournit une version imagée du problème, dans le cadre d’un récit à la Jules Verne : un astronaute (ici « Paul »), embarqué pour un « voyage boulet », se retrouverait, à son retour, plus jeune que son frère jumeau demeuré sur Terre (ici, « Pierre »), comme si le temps s’était écoulé moins vite pour lui ! Dans sa lettre, Becquerel insiste sur le fait que la théorie de la relativité parle bien de temps effectivement mesurés de part et d’autre par les observateurs en mouvement relatif. Bergson réitère, en le précisant, l’argument développé dans son livre, à savoir que les différences portent moins sur des temps réels que sur des temps fictifs, c’est-à-dire des temps attribués aux autres observateurs qui acquièrent du même coup le statut de simples images, ou « fantômes ». Ainsi la « dilatation » des durées associée au ralentissement des horloges en mouvement n’est qu’un « effet de perspective ». Bergson est conduit à cette conclusion par une interprétation stricte du principe de relativité : entre deux observateurs en mouvement relatif, il existe une « symétrie parfaite », chacun pouvant se considérer immobile ou mobile par rapport à l’autre. De multiples confirmations empiriques, ont depuis donné objectivement tort au philosophe, mais la question du statut du temps en relativité, comme celle de la pertinence des arguments échangés, continue à alimenter les débats philosophiques contemporains. Cette lettre constitue en ce sens une pièce maîtresse du dossier.

[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « G.S. » à Eugène Delacroix
[Paris] Cachet postal [23 décembre 1841], 1 p. 1/2 in-8°, à son en-tête, gaufré « G.S »
Adresse autographe sur la quatrième page (cachet de cire) : « Monsieur Delacroix rue des Marais S[ain]t Germain, 17 »

Riche lettre de Sand à son ami Delacroix sur ses envies d’écrire « quelques pages sur la peinture », les Femmes d’Alger, son mépris pour l’école ingresque et autres actualités artistiques


« Vous avez bien fait, cher ami, de ne pas venir à l’Opéra. C’était ennuyeux à crever malgré la beauté et la pompe du spectacle. J’espère que vos truffes vous auront donné de meilleures inspirations musicales que la reine de Chypre n’en a donné à Mr Halevy.(1)
Venez ce soir comme vous me l’avez promis. J’ai à vous parler sur des matières artistiques !!! [le mot est entouré par Sand d’un triple trait de plume]. Sans plaisanterie, j’écris quelques pages sur la peinture, et j’ai besoin de vous pour savoir si je ne déraisonne pas. (2)
Bonjour et bonne nuit. Il est 6h du matin. Vous devriez venir dîner avec nous. Nous avons embelli notre existence d’un pot-au-feu quotidien et avec le dîner de l’anglais(3) et du bon café c’est supportable.
G.S.
La Lélia(4) avec son moine et son mort, me frappe et me plaît de plus en plus, c’est ce qui m’a mise en veine d’écrire sur la couleur et ce qu’il faut entendre par la forme. Avec ça j’ai vu vos femmes d’Alger(5) ce matin. Si vous m’encouragez, je suis capable de faire le prochain salon dans notre revue [La Revue indépendante], et vous savez que je ne caponnerai pas [ne se montrera pas lâche] avec tout cette école silhouettiste(6) qui se dit en possession du dessin ».


[1] La Reine de Chypre, opéra en cinq actes de Halévy sur un livret de Saint-Georges, a eu lieu la veille, le 22 décembre 1841. À l’inverse de George Sand, Richard Wagner, qui fut également présent à la première, jugea la musique « noble, émue et même nouvelle et exaltante », même s’il critique les défaillances d’Halévy qui aboutirent à une orchestration simple.
[2] Dans Horace, que George Sand est alors en train d’écrire, elle met en scène un rapin, élève de Delacroix, mais on n’y trouve pas les « quelques pages sur la peinture ». S’agit-il  d’un article destiné à la Revue indépendante – qu’elle vient de créer – mais auquel elle aurait renoncé ? Le mot écrit en post-scriptum confirme bien qu’il s’agit d’une réflexion esthétique qui porte sur la « couleur » et la « forme ».
[3] Allusion possible à un restaurateur ou à un traiteur anglais fréquenté par George Sand.
[4] Lélia avec son moine et son mort est la troisième œuvre offerte par Delacroix à George Sand pour les étrennes de 1842. Il s’agit d’un pastel représentant Lélia agenouillée près du cadavre de Sténio, pendant que le moine Magnus, « dans l’ombre, adossé avec raideur au mur de la grotte, dardait sur elle ses yeux étincelants ». Le sujet a été traité plusieurs fois par Delacroix.
[5] Il s’agit des Femmes d’Alger dans leur appartement, tableau présenté au Salon de 1834, où il fait sensation. Synthèse d’orientalisme et de romantisme, ce tableau exprime une profonde « mélancolie » pour le poète et critique d’art Baudelaire.
[6] George Sand désigne l’école d’Ingres en parlant « d’école silhouettiste ». On connaît l’adversité entre les deux peintres qui anima la scène artistique du XIXe siècle. L’écrivaine avait résolument pris le parti de Delacroix, celui de la « forme » et de la « couleur ».

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à Laure de Cottens
Genève, 12 juillet 1831, 3 p. in-8°
Annotation ancienne d’une autre main en marge supérieure gauche de la première page, en référence à la première publication de la lettre
Petites décharges d’encre

Tendre missive à son amie Laure de Cottens


« J’allais vous écrire, Madame, pour vous remercier, lorsque j’ai reçu votre lettre. Oui, pour vous remercier de votre doux et gracieux accueil et vous dire en même temps tout le plaisir que j’ai eu à vous revoir(1).
Venez vite habiter votre retraite : il ne me faudra que deux heures pour me rendre auprès de vous(2). Vous voyez que j’avais raison. On se retrouve dans la vie ; et quand le cœur ne change point, qu’importe la fuite des années !
Je vous attends donc, Madame. Je meurs d‘envie d’être votre nouveau voisin, comme je suis déjà votre vieil ami.
Chateaubriand »


[1] Honorant sa promesse, Chateaubriand est allé à Lausanne porter les Études Historiques à Madame de Cottens
[2] Outre sa résidence à Lausanne, Mme de Cottens possédait une propriété à Bénins près de Nyon, non loin de Genève

Amie de Chateaubriand, Laure de Cottens avait failli épouser son cousin éloigné Benjamin Constant. Elle habitait Lausanne et était la fille de la femme de lettres suisse Constance Constant d’Hermenches, dont le père avait été général au service de la France et qui fut liée d’amitié avec les Lameth, la duchesse de Biron, madame de Genlis, ou encore le général de Montesquiou.
Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand évoque brièvement madame de Cottens, « femme affectueuse, spirituelle et infortunée ».

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe à Léonce de Lavergne
Paris, 6 août 1838, 3 p. 1/2 petit in-4° sur bifeuillet
Timbre sec « Weyne » en marge supérieure

Remarquable épître de Chateaubriand évoquant avec romantisme son séjour dans le Midi et plus particulièrement Golfe-Juan, sur les traces du « dernier pas » de Napoléon, genèse des Cent-jours qu’il reprit longuement dans ses Mémoires d’outre-tombe


« Je relis, Monsieur, en arrivant à Paris, la bonne, aimable et longue lettre que j’ai reçue de vous en courant les chemins de notre aimable Languedoc. Quoi vous auriez accepté une place dans une pauvre catèdre ? … Combien j’aurais été heureux ! mais pourtant le temps ne vous aurait-il pas manqué ? Je n’ai pu voir ni St Rémy, ni St Gilles ; j’ai vu Aigues-Mortes, merveille du treizième siècle, coincée toute entière sur nos rivages. J’ai aperçu la Camargue qui seule mériterait un voyage exprès et où l’on retrouverait des villes oubliées. Enfin que voulez-vous ? J’ai couru, j’ai passé vite. Ne vaut-il pas mieux avoir peut-être laissé derrière moi quelques regrets que la fatigue de ma personne ?
Je ne voudrais pour rien au monde avoir causé de l’ennui à mademoiselle Cécile et Honorine.
J’ai vu hier un moment madame Récamier et M. Ballanche.
Vous avez bien voulu leur écrire, ils sont charmés de vous ; ils voudraient vous voir à Paris. M.B est à la campagne, j’irai déjeuner chez lui un de ces jours pour lui parler de vous comme vous le méritez et je ne sais ce que je donnerais pas pour que quelque chose de convenable put vous amener à Paris. J’aurai l’honneur de vous écrire aussitôt que je saurai ce qu’il y a de possible. J’ai terminé ma course par le Golfe Juan ; j’y suis arrivé la nuit. Vous jugez ce que devaient être pour moi cette nuit, le ciel, cette mer solitaire et silencieuse ; j’avais devant moi les îles de Lérins où la civilisation chrétienne a commencé et je foulais cette grève où Bonaparte a imprimé son dernier pas.
Tous mes respects, je vous prie à madame votre mère, mes hommages à mademoiselle [Honorine] Gasc et si vous voyez madame de Castelbague, ayez la bonté de me rappeler à son souvenir.
M. Contrias de l’académie des jeux floraux et Moniot maire à Toulouse voudront-ils bien agréer les remerciements sincères que je vous prie de leur offrir. Aurais-je bientôt un petit mot de vous, Monsieur ?
Rue du Bac n°112 »


C’est sur les conseils de ses médecins que Chateaubriand effectue un périple dans le Midi au début de l’été 1838. L’écrivain, alors âgé de soixante-dix ans, en profite pour documenter la rédaction de ses Mémoires mais ne s’attarde pas dans les Bouches-du Rhône, ayant en ligne de mire Golfe-Juan, point de départ des Cent-jours le 1er mars 1815.
Les sentiments éprouvés par Chateaubriand à l’égard de l’empereur sont complexes. S’il travailla comme ambassadeur au service de ce dernier pendant le Consulat, l’assassinat du duc d‘Enghien crée un point de rupture entre les deux hommes. Sa fascination pour l’empereur n’en demeure pas moins forte, au point qu’il se rend sur ses traces à Golfe-Juan à la fin du mois de juillet 1838, comme relaté dans la présente lettre, vingt-trois ans après le début des Cent-jours. Comme il le relatera dans Mémoires d’outre-tombe : « Je quittais la plage, dans une espèce de consternation religieuse, laissant le flot passer et repasser, sans l’effacer, sur les traces de l’avant-dernier pas de Napoléon ».

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » à Marianne Oswald
[Paris] 7 mai 1960, 1 p. 1/2 grand in-4°

Tendre lettre révélatrice de la pudeur du poète qui désire se tenir éloigné de tout « éloge tapageur » le concernant


« Chère Marianne,
notre conversation m’a été agréable. J’ai été sensible que tu comprennes les bien simples motifs qui me tiennent éloigné d’un certain nombre de manifestations qu’affectionne notre temps. Ce n’est pas par orgueil que je me refuse à paraître, à dire, à parler, mais par une espèce de pudeur – ou d’interdit intime – qui, je crois, doit être attachée à la conduite du poète, valorisant ainsi le peu qu’il exprime sous forme de poèmes, dans ses moments les meilleurs. Bien entendu, ceci ne vaut que pour soi. Chacun reste libre d’agir comme il l’entend.
Si ton projet de film à la télévision se réalisait, ce ne pourrait être que dans ce sens, sans ma présence physique, en contumace, si j’ose dire, et sans éloge tapageur de ma poésie et de ma personne.
Ton tact m’en répond.
Tu t’es fait l’interprète de M. Albert Olliver auprès de moi. Je te prie de le remercier et de lui transmettre mes meilleures pensées.
Bien amicalement à toi
René Char »


René Char, bien qu’il n’ait jamais été dupe de sa réussite, savait en outre qu’il était celui que l’on adorait citer. Souvent plébiscité par un entourage en relations étroites avec les médias, dont son amie Marianne Oswald (1901-1985) faisait partie, il s’est toujours et obstinément refusé à être mis sous le feu des projecteurs.

CAILLEBOTTE, Gustave (1848-1894)

Lettre autographe signée « G Caillebotte » à Claude Monet
S.l.n.d, Vendredi [Petit-Gennevilliers, après 1887 ?], 3 pp. in-8° à l’encre brune
Sur bifeuillet vergé, filigrane « Delta Mille Fine »

Caillebotte donne rendez-vous à son ami Monet à Vernon, près de Giverny, espérant aussi y retrouver Renoir


« Mon cher ami,
Nous passerons à Vernon mardi – nous y dînerons – Je compte sur vous pour dîner.
Je ne sais pas où on dîne mais vous aurez tous les renseignements au bateau.
Nous n’arriverons pas beaucoup avant l’heure du dîner car nous partirons de Poissy le où nous couchons lundi soir.
J’espère que Renoir sera avec nous.
Donc arrangez-vous de toute façon pour venir et même nous accompagner. Les occasions de se voir n’étant pas si nombreuses que cela.
Avez-vous travaillé ?
Moi j’ai couvert beaucoup de toiles et gâché pas mal de couleur. Si l’année continue à être passable comme temps je finirai peut-être par avoir travaillé.
Tout à vous
G Caillebotte »


Les deux peintres s’étaient liés d’amitié dès l’année 1882, époque à laquelle ils partageaient le même atelier. L’horticulture, en plus de la peinture, fut l’autre passion commune des deux amis. Ainsi expérimentaient-ils sur leurs toiles mais aussi dans leurs jardins respectifs, à Giverny et au Petit-Gennevilliers.

Caillebotte, outre son œuvre picturale prodigieuse, n’eut de cesse d’entretenir les liens entre les impressionnistes et ce, même après la rupture du groupe en 1887. Il organisait de nombreuses expositions, achetait discrètement des toiles à ses amis, les aidaient quand ces derniers étaient dans le besoin, à l’image de Monet ou Pissarro. Caillebotte parvint à tisser des liens de profonde amitié avec la plupart des impressionnistes, comme en témoigne sa riche correspondance, alors même qu’il s’éteint à seulement 45 ans.

BOURDELLE, Antoine (1861-1929)

Lettre autographe signée « Ant. Bourdelle » [à André Fontainas]
Paris, novembre 1928 [en réalité écrite le 25 décembre], 4 pp. in-4°
Quelques corrections et ratures, de la main de Bourdelle
Ancienne réparation d’une déchirure au ruban adhésif sur le second feuillet
Petit manque marginal sans atteinte au texte

Longue lettre inédite de l’artiste évoquant ses œuvres et sa carrière, en marge de la plus grande rétrospective lui ayant été consacrée de son vivant, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles
Il enrichit sa lettre d’un dessin original représentant l’un de ses bustes de Beethoven


« Mon très cher et grand ami,
J’ai lu d’un seul trait votre livre [Mes souvenirs du symbolisme, La Nouvelle revue critique, 1928] qui est capital. J’ai connu la plupart des poètes.
J’ai parlé à Verlaine une fois.
[Bourdelle donne ensuite son avis sur les poètes contemporains et récemment disparus]
Mon cher ami – Je crois que vous serez heureux de ne conclure votre conférence à propos de mon œuvre à Bruxelles – le 1er ou deuxième jour, qu’après avoir vu cet ensemble qui s’assemble tout neuf.
Il ne m’avait pas été donné de voir, à moi le premier, l’ordre, le calme d’assemblage du tout. Du presque tout car il y a environ là-bas la moitié de mon œuvre avec dans les esprits – des critiques d’art du pays – si enthousiasmés qu’ils font des erreurs inévitables. L’un croit que mon œuvre capitale dans mon vouloir c’est Beethoven.
Et bien cher ami – Les deux Beethoven qui sont là-bas – sont le résultat : L’un celui qui est au Luxembourg – et qui est en plus grand format mais le même modèle à Bruxelles – est un travail, d’une heure tout à fait à mes débuts. Le deuxième celui aux grands cheveux est qui fait masse avec son socle est de même une improvisation.
[Bourdelle enrichit son propos d’un dessin original à l’encre figurant la tête de Beethoven sur son socle]
Le Beethoven plus haut bien plus haut dont je n’ai hélas plus que la photo fut détruit par deux élèves !!!!! idiots ou crapules les deux sans doute. Et je n’ai pu le recommencer faute de vie aisée et libre hélas ! De plus il y a des PRÉPARATIONS de figures d’un Beethoven entières = pas achevées car le temps m’a manqué – mais que je n’abandonne pas + voilà aussi des précisions que personne [d’autre] que vous ne connaît pour l’instant en Belgique.

Pour ce qui est des quelques pastels et peintures = exposition qui m’importe peu à moi – dont l’activité appartient au rude métier d’Architecte-sculpteur car toutes les architecture sont de moi – toutes. Un mot serait bon tout de même pour établir en passant que mon œuvre de peintre n’est pas rassemblée à Bruxelles. J’ai à mon acquit dans un tas de maisons et familles plus de deux cent grands portraits peints ou au pastel. Car je dois dans une dure carrière laisser 10 ans au moins la sculpture contractant des rhumatismes aux mains dans le métier de sculpteur pour y revenir deux fois invinciblement alors que la sculpture me donnait la misère – et que mes immersions dans l’illustration pour la maison Goupil et dans les portraits pastels m’apportaient une large aisance.
On n’a pas l’air de connaître là-bas mes fresques des Champs Elysées, alors que T’Serstevens a écrit et il n’est pas le seul, qu’il regarde ces fresques comme le sommet
décoratif de France depuis la mort de [Pierre Puvis] de Chavannes.
Mais prise en la masse des articles parus la réussite de l’ensemble des travaux est pour moi fantastique, inattendue.
J’ai l’amour du calme et de la grâce, mais je suis poussé par le pain à gagner à exécuter les commandes – je ne me suis jamais lancé de parti pris dans l’ouragan de l’épopée. Pensons ami à l’outillage d’ateliers, à payer le loyer, l’appartement. On verra tout cela un jour. Les études faites à mon gré.
Mes plus durs travaux se rangent lentement en bataille et quelques-uns vont nous précéder en Belgique ou nous suivre.
Avez-vous lu les articles ? Celui de C. Bernard, celui de L. Daudet, celui ce matin 23 nov[embre] de Le Goffic, au petit parisien. Ils ont vu l’exposition.
Enfin cher ami je termine ma longue lettre écrite à bâtons rompus. Hélas, J’ai le deuil et la mort du peintre ami Mathieu Verdilhan [décédé le 15 décembre 1928]
La vue partout sur la lumière c’était un cœur divin ce garçon là et un talent tout pur. J’avais pu l’ôter de dans l’ombre il a vécu 7 à 8 ans heureux, aimé. Mais un ami de moins c’est au cœur un peu moins d’aurore.
À vous tous
Votre Ant. Bourdelle
[Il rajoute, en marge de la première page]
Cher ami
Le mieux pour me trouver serait de 4 heures à 5 heures 18 impasse [du Maine] Nous serions heureux si [vous] venez déjeuner ou dîner, après nous l’avoir dit par téléphone afin que je vous évite mon régime spartiate sans sel sans viande Brrr !!!
Téléphone lettré 35-65 »


En 1928, Bourdelle est célébré comme l’un des plus grands sculpteurs de son temps, et la rétrospective au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles qui lui est consacrée cette année-là (3
novembre 1928 – 3 janvier 1929) permet d’en prendre toute la mesure.
Ses Beethoven, ici évoqués, restent sans doute, aux côtés de Héraklès archer, les plus connus de son œuvre prolifique. Ses premières sculptures figurant le compositeur furent ébauchées dès l’année 1888, à partir desquelles nombre de variantes furent produites. Il opte pour la pureté, la rigueur des formes. Bourdelle devient l’un des précurseurs de la sculpture monumentale du XXe siècle qui suscitera l’admiration, notamment celle d’Auguste Rodin.
Son travail est considéré comme l’incarnation d’une césure esthétique, alternative aux avant-gardes de l’époque et aura une influence décisive sur les générations d’artistes qui lui succéderont.

Poète et critique d’art originaire de Bruxelles, André Fontainas (1865-1948) travaille à partir de 1889 au Mercure de France où il sert de lien entre les poètes belges symbolistes et français. Il conserve la rubrique poésie jusqu’à sa mort. Son amitié avec Bourdelle débute en 1921. Il publie le premier livre dédié à l’artiste, sobrement intitulé Bourdelle, paru chez Rieder en 1930.

BLIXEN, Karen (1885-1962)

Lettre autographe signée « Karen Blixen » à l’écrivain et aventurier américain Negley Farson
Rungstedlund, Rungsted Kyst, 20.12.1957, 3 pp. in-8° sur papier baryté, en anglais

En première page
Tirage argentique (signé par le photographe Lindequist) représentant Karen Blixen et son chien sur le seuil de la porte d’entrée de Rungstedlund, sa résidence danoise

Touchante lettre de Karen Blixen, revenant avec nostalgie sur son passé en Afrique


Traduction de l’anglais

« Cher Negley Farson.-
Merci beaucoup pour votre aimable lettre et pour votre charmant et réjouissant livre [Last Chance in Africa] que je lis avec le plus grand intérêt. Il me semble que je suis d’accord avec vous dans presque tout ce que vous y racontez ! – Comme j’aurais souhaité, quand vous écrivez que vous étiez en compagnie de David Waruhiu [sans doute un membre des Kikuyus], que vous m’ayez aussi eu pour invitée ! – Il y a tellement de choses dont je voudrais vous parler à tous les deux.- J’ai bien sûr commencé par vos chapitres sur l’Afrique.- Je viens de recevoir trois lettres de trois de mes anciens serviteurs, que j’ai quittés il y a 25 ans. Ce sont des gens fidèles. Et je peux dire moi-même que la plus grande passion de ma vie a été mon amour pour les africains !
Hélas, je n’ai pas pu leur procurer autant de bien que je l’aurais souhaité. Pourtant, Sir Philip Mitchell [Gouverneur du Kenya de 1944 à 1952], lorsqu’il a dîné avec moi ici au Danemark, m’a dit que cela aurait pu être une bonne chose, voire nécessaire, si j’eusse pu rester au Kenya !– J’espère que nous nous reverrons,- Faites mois savoir s’il y a une chance que vous veniez au Danemark. Avec mes salutations les plus sincères.
Bien à vous
Karen Blixen »

Texte original

“Dear Negley Farson.-
Very many thanks for your kind letter and for your charming and delightful book [Last Chance in Africa] that I am reading with the very greatest interest. I seem to agree with you in almost everything you say! – How I wish, when you write that you had David Waruhiu to stay with you, that you had invited me with your house as well!- There are such a lot of things about which I should like to talk with you and him.- I did, of course, start with your chapters of Africa.- I have just had three letters from three of my old servants, whom I left 25 years ago. They are faithful people. And I can say myself that the greatest passion of my life has been my love for the Africans! Alas, I was not able to do them much good. Still Sir Philip Mitchell [Governor of Kenya from 1944 until 1952], when he dined with me here in Denmark, told me that it might have been a good, even a useful thing if I had been able to stay on in Kenya!-
I hope that we shall meet again,- please let me know if there is any chance of your coming to Denmark.
With my sincerest regards.
Yours ever
Karen Blixen”


D’origine danoise, Karen Blixen s’installe avec son mari Bror von Blixen-Finecke en Afrique orientale britannique pour y créer, en 1914, une plantation de café. Ils divorcent en 1925. Elle fera une description de ses dix-sept années passées au Kenya dans son livre Out of Africa, paru en 1937 (en français : La Ferme africaine, 1942 – Gallimard).
L’écrivain dresse de touchants portraits de ses serviteurs dans son ouvrage. Ils lui restèrent fidèles et conservera avec eux des liens épistolaires, comme en témoigne cette lettre. Elle finit par rentrer au Danemark en 1931 pour rejoindre le domaine familial de Rungstedlund.
Ruinée, sentimentalement désespérée et après avoir dû quitter sa ferme et l’Afrique, Karen considère à ce moment-là son expérience de ferme africaine comme un échec total. Pour combler le vide de sa vie, elle se met à écrire en anglais, au seuil de la cinquantaine. « Personne n’a payé plus cher son entrée en littérature », dira-t-elle plus tard.

Les lettres de Karen Blixen sont peu communes

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « VH » à Léon Gatayes
[Paris], 29 mai 1843 (cachet postal), 1 p. in-8°
Adresse autographe de la main d’Hugo sur la quatrième page
Traces de pliures d’époque, infimes taches

Victor Hugo requiert un service auprès du célèbre harpiste Léon Gatayes avant la représentation de son drame historique Les Burgraves


« Envoyez-lui, mon cher camarade, au Théâtre-Français [la Comédie-Française], vers trois heures, le jour où on jouera Les Burgraves
Bien à vous, et toujours à vous
VH  »


Les Burgraves est un drame historique de Victor Hugo représenté pour la première fois à la Comédie-Française le 7 mars 1843. Il s’en suivi 33 représentation consécutives cette année-là ((ce qui est le signe d’un relatif succès quand on sait que les pièces qui ne rencontraient pas leur public pouvaient être supprimées de l’affiche du jour au lendemain après une unique représentation).

Léon Gatayes (1805-1877) est un harpiste, compositeur et critique musical français. Il compte parmi ses élèves Juliette Récamier.

Lettre inédite

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Paule Sandeau
Croisset près Rouen, dimanche [26 août 1860], 1 p. in-8°sur bifeuillet vergé bleu
Traces de pliures d’époque dues à la mise sous enveloppe, quelques petites taches, légère fente à la pliure centrale

Facétieux et dragueur, Flaubert s’impatiente de n’avoir pas reçu de réponse de sa correspondante 


« Eh bien, c’est joli ! voilà trois semaines que j’attends une lettre de vous [Flaubert a fait parvenir une lettre à sa correspondante le 5 août]. pas de nouvelles, rien !
Comment ! Je me transporte à Bellevue [le couple Sandeau y possède une propriété] afin de jouir de la vôtre (Pardon).
J’endure une chaleur africaine & la soif comme dans le désert. Je me rabats sur l’institut etc. [Jules Sandeau a été nommé conservateur adjoint de la bibliothèque Mazarine] enfin j’ai passé une journée abominable à courir après vous – vainement – & vous ne me dites pas que vous en êtes un peu fâchée.
Vous qui ne passez pas votre journée à écrire, – envoyez moi une très longue lettre.
Je m’ennuie de vous. J’ai bien envie de voir vos jolis yeux, votre jolie bouche & je vous baise les deux mains très longuement. Voilà tout ce que j’avais à vous dire, depuis que je suis
tout à vous
Gve Flaubert »


Très proche de Jules et Paule Sandeau, Flaubert entretient une riche correspondance avec le couple jusqu’à sa mort, en 1880. On ignore si Paule Sandeau et Flaubert furent amants.Les formules équivoques employées dans cette lettre pourrait ne laisser aucun doute si l’on ne connaissait le ton séducteur de l’écrivain auprès de la gente féminine.

Caroline Commanville, la nièce de Flaubert, témoigne dans ses souvenirs :

« Quant à sa femme [Paule Sandeau], malgré l’énormité de l’appendice qu’elle portait au milieu du visage, et une voix nasillarde, c’était plutôt une belle personne, agréable, grande, élancée, de gestes lents et gracieux ; elle tenait on ne peut mieux son salon, causant avec tous et au courant de tout. Elle m’avait prise en affection et aurait voulu m’avoir souvent chez elle ; me mener dans le monde était son désir. Ma grand-mère résista toujours et son refus de me laisser l’accompagner à un bal des Tuileries me fit verser des larmes, j’avais alors dix-sept ans. Dans le désir de s’occuper de ma personne, il y avait, je l’ai deviné depuis, le désir d’afficher son intimité avec mon oncle. Jusqu’où cette intimité est-elle allée, je ne saurais le dire. Elle fut certes très coquette avec lui, mais lui, je crois, se défiait d’elle ; il avait en quelque sorte peur de l’ascendant que pourrait prendre sur lui une femme de ce caractère ambitieux » (Heures d’autrefois, éd. Matthieu Desportes, Univ. de Rouen)

Maxime Du Camp, ami de jeunesse et intime de Flaubert, adresse une lettre à ce dernier dans des termes nettement plus explicites :

Le 5 août 1861, il écrit : « J’ai vu plusieurs fois la mère Sandeau avant mon départ [pour Baden-Baden] : elle a vraiment beaucoup d’affection pour toi, et elle m’a touché, elle a remué mon vieux cœur par la bonne façon dont elle parle de toi. Elle est bien bonne femme, douce et serviable ; mais je suis de ton avis, il y a ce sacré nez ; depuis que tu m’en as parlé, il me semble plus long qu’autrefois. Je crois que cela lui ferait plaisir de casser une croûte de sentiment avec toi. Baste ! fais un effort et casse-là, nez en plus ou nez en moins, qu’est-ce que cela fait ? Baise-la en levrette, le chignon cachera le pif. » (Pléiade III, Appendice I, p. 840).

[HUGO] HUGO, Adèle (fille) (1830-1915)

Copie autographe d’une lettre de Victor Hugo, de la main de sa fille Adèle, à Émile Allix
Hauteville-House, 29 7bre [septembre] 1861, 1 p. 1/4 in-8°
Petites tache, brunissures

Copie d’une lettre de Victor Hugo, rédigée de la main de sa seconde fille Adèle
Par une demande solennelle à Fabre Geffrard, l’écrivain tâche de d’obtenir un poste clef dans un hôpital d’Haïti pour le médecin ami de la famille Hugo : Émile Allix
Cette copie de lettre est adressée de ce dernier, comme l’atteste le petit mot écrit à son attention au verso du document


« Monsieur le Président,
Permettez-moi d’appeler votre haute et bienveillante attention sur le désir qu’aurait M. le docteur Émile Allix de se fixer à Haïti. M. Émile Allix quoique très jeune encore
[il n’avait que 25 ans en 1861], s’est déjà fait un nom dans les deux hospices de Bruxelles, enfance et vieillesse qu’il a desservi pendant plusieurs années, il y a eu des succès très remarqués, notamment dans la grave et difficile opération de la trachéotomie et il compte aujourd’hui parmi nos jeunes médecins les plus distingués. S’il se pouvait qu’il fût placé par vous, Monsieur le Président, à la tête d’un des hôpitaux ou hospices d’Haïti, il y rendrait de véritables services, et je suis convaincu qu’avant peu vous me remercierez de vous l’avoir recommandé, comme je vous remercie aujourd’hui de vouloir bien écouter ma recommandation.
Voyez, je vous prie, Monsieur le président, dans cette recommandation même, une preuve de l’intérêt profond et fraternel que m’inspirent votre généreux peuple et votre jeune république. Avoir délivré un peuple et rétabli cette république en sera là un grand honneur dans l’histoire ; c’est à vous, Général, que cet honneur revient.
Recevez, Monsieur le Président,
L’assurance de ma haute considération,
Victor Hugo
[Adèle Hugo fille] »

[Au verso du feuillet, Adèle rajoute un mot à l’attention d’Émile Allix :]

« Mon vieux que n’es-tu ici ! Que de choses j’aurais à te dire si je m’étais écouté ! Je te dis bonsoir, et je me souhaite une bonne nuit qui va [m’] emmener dès que j’aurai la tête sur l’oreiller. Je suis dans le cas de dormir douze heures pour reprendre le temps que je n’ai pas dormi sur mer la nuit passée.
Ton ami de tout cœur

Ch. [compagnon d’honneur] V. »


Brillant médecin spécialisé en pédiatrie, Émile Allix est un intime et médecin personnel de Victor Hugo, ainsi que de sa famille. Il est un des rares proches que Victor Hugo tutoyait dans ses lettres. C’est lui qui, en 1868, assiste Adèle Hugo (mère) dans ses derniers instants.

Le poste sollicité ici par Victor Hugo n’a pas abouti. Allix, après avoir occupé un poste à Bruxelles, revient à Paris en vue d’y poursuivre son activité de médecin. Son diplôme belge n’étant pas reconnu en France, il passe, pendant l’année universitaire 1866-1867, les examens qui lui permettent d’obtenir le diplôme de docteur en médecine de la Faculté de médecine de Paris.

Comme l’atteste le petit mot amical au verso de la lettre, Victor Hugo, tout juste revenu d’un périple en mer, avait repris cette année-là ses habitudes de voyage annuels avec Juliette Drouot. Ces séjours sont des moments de création intense pour Victor Hugo, aussi bien pour ses romans et ses poèmes que pour ses dessins

Adèle Hugo est la cinquième enfant et la seconde fille de Victor Hugo et Adèle Foucher (appelée aussi Adèle Hugo). Elle est la seule qui survécut à son illustre père, mais dont l’état mental, très tôt défaillant, lui valut, à partir de 1872, de longues années d’internement en maison de santé.

STAËL (de), Germaine (1766-1817)

Billet autographe à Claire de Duras
S.l.n.d, “Dimanche” [après 1815], 1 p. in-12°

Chaleureux petit billet à sa « Dear duchess », Claire de Duras


« êtes-vous arrivée dear duchess, comment est votre santé ? voulez-vous me voir à 4 heures – allez-vous ce soir chez M[a]d[am]e de La Châtre ? enfin vous verrai-je c’est tout le but de mes questions –
Dimanche – »


Romancière, essayiste, actrice et philosophe de la politique, Germaine de Staël a été la femme la plus illustre de son temps — de celui des années tourmentées de la Révolution, du régime napoléonien et de la Restauration à ses débuts.

Elle laisse inachevées ses Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, publiées à titre posthume en 1818.

Claire de Duras (1777-1828) est restée célèbre pour son roman Ourika (1823), qui analyse les questions d’égalité raciale et sexuelle. Elle est considérée aujourd’hui comme une précurseure du féminisme. Ses amitiés avec Chateaubriand et Germaine de Staël lui ouvrit les milieux littéraires parisiens.

Les deux femmes entretinrent une correspondance affectueuse durant les dernières années de vie de Germaine de Staël. Cette dernière, à l’état de santé déclinant, s’attachait à voir aussi régulièrement que possible sa « Dear duchess », comme elle s’amusait à l’appeler. Notons que Madame de Staël avait plaisir à employer des anglicismes dans sa correspondance avec les gens qu’elle chérissait.

Marie Charlotte Louise Perrette Aglaé Bontemps (1762-1848), dite la Comtesse de la Châtre – dont Vigée Le Brun fit un somptueux portrait à l’aune de la Révolution française – est la fille de Louis Dominique Bontemps (1735-1866), premier valet du roi Louis XV et gouverneur du Palais de Tuileries.

[LAMARTINE] LAMARTINE (de), Valentine (1821-1894)

Lettre autographe signée « Valentine de Lamartine » à Victor de Laprade
Paris, 31 mai 1872, 4 pp. in-8° sur papier de deuil

Longue et précieuse lettre de la nièce d’Alphonse de Lamartine en remerciement d’un ouvrage dédié à la poésie de son illustre oncle par son ami Victor de Laprade


[Nous n’en transcrivons ici qu’une partie]

« Cher Monsieur et ami,
[…] Je suis si heureuse du travail que vous voulez bien faire encore pour cette grande et chère mémoire que vous venez de glorifier dans de si belles pages [La Poésie de Lamartine, Didier & Cie, 1872]. Merci, merci de vous assouvir ainsi à mon travail, dernier culte que je puisse rendre encore à celui qui a été le Bonheur et la gloire de ma vie – Votre nom uni au sien portera Bonheur à mon livre […]
Il n’est pas besoin que je vous dire combien je compatis à vos souffrances […] Je pensais l’autre jours à vous en trouvant dans la correspondance avec M de Virieu [Aymon de Virieu, ami d’enfance de Lamartine], si pleine de trésors, cette pensée si vraie et profonde « Il n’y a pas moyen d’être impassible pour le corps ! Je crois en vérité que l’âme a plus d’empire sur ses propres douleurs ; elle a des consolations que le corps n’a pas ! » et il ajoute plus loin – Heureux l’homme qui croit ! […]
Veuillez, cher Monsieur et ami me rappeler en souvenir de Madame de Laprade et recevoir l’assurance de sentiments affectueux […]
Valentine de Lamartine »


Née le 17 mars 1821 à Saint-Amour, Valentine est une des six enfants de Cécile de Cessiat, la sœur d’Alphonse de Lamartine. Celle-ci, veuve très tôt, en 1827, se rapproche de son frère qui, privé d’enfant depuis le décès de Julia, tente de combler le vide de sa maison en y accueillant ses nièces. Au dire des témoins, Valentine est ravissante, « de grands yeux noirs, grande, élégante, la taille fine, la démarche gracieuse, la voix aimable autant que le sourire », selon Marie-Renée Morin. Restée célibataire, Valentine sert de secrétaire à un Lamartine déchu et vieillissant. Le 31 août 1867, Lamartine l’adopte et prend des dispositions pour qu’elle puisse joindre son nom à celui de Cessiat. Légataire universelle, elle se consacre à la gloire du poète, elle édite sa correspondance. Elle meurt le 16 mai 1894 au château de Saint-Point où elle repose près du poète.

Lamartine est décédé le 28 février 1869, soit un peu plus de trois ans après l’écriture de la présente lettre.

Victor de Laprade (1812-1883) est un poète et homme de lettres français. Ses poésies sont inspirées par Chateaubriand et Lamartine. Il édite La Poésie de Lamartine en 1872 chez Didier & Cie.

HUGO, Victor (1802-1885)

Manuscrit autographe (copeau)
S.l.n.d [Hauteville-House], 2 p. in-8° oblongues
Déchirures avec manques

Précieux manuscrit de travail d’où surgissent quelques strophes de premier jet pour son monumental poème Dieu, publié à titre posthume


Le présent copeau (c’est ainsi que Victor Hugo avait lui-même adopté cette métaphore pour ces morceaux de papiers sur lesquels il travaillait ses poèmes et romans) fait figurer un fragment de la troisième partie du poème Dieu – L’Océan d’en haut. Le passage en question correspond au discours du corbeau :

« Allumant des blancheurs sur la cime des monts,
Et pénétrant d’un feu mystérieux les choses,

Il vient, et l’on voit l’aube à travers ses doigts roses ;
Et tout rit ; l’herbe est verte et les hommes sont doux.
L’autre surgit a, l’heure où pleurent à genoux.
Les mères et-les sœurs, Rachel, Hécube, Électre ;
Le soir monstrueux fait apparaître le spectre ;

Sur tout cet univers que l’ombre veut proscrire,

L’aurore épanouit son immense soutire !

[…]

L’ombre hurle Arimane et le jour dit Ormus ! »

Ce manuscrit de premier jet offre de nombreuses variantes avec la version publiée.
Au verso, un autre manuscrit de travail, également de la main de Victor Hugo.


Commencé dès 1855 (Hugo en lut des passages à ses amis et à sa famille cette année-là), le poème a connu à peu près le même destin que La Fin de Satan. Cependant, à la différence de ce dernier, Hugo y puisera parfois des groupes entiers de vers pour les réutiliser dans d’autres projets. Dieu fait partie avec La Fin de Satan et La Légende des siècles d’un immense ensemble destiné à décrire les trois faces de l’Être. Le poème se présente sous la forme d’une quête intérieure et mystique.
Le poème fut publié de manière posthume en 1891.

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « G Sand » [à Charles Duvernet]
[Nohant], 11 juin [18]61, 1 p. in-8°, à l’encre bleue sur papier vergé
En-tête gaufré à son chiffre « G S »

Affectueuse lettre de George Sand à son indéfectible ami Charles Duvernet


« Cher ami,
J’aurais déjà été te voir sans une petite indisposition qui m’a prise en arrivant [du 9 au 12 juin, Sand souffre de l’estomac. Le docteur Dachy a été appelé deux fois]. Il faut toujours payer un tribut au changement de régime et de climat. J’espère en être quitte avant que Berthe [fille de Charles Duvernet, dont George Sand est la marraine] ne retourne à Nevers, et embrasser ainsi toute ta nichée. J’ai beaucoup à te raconter de mes voyages et rencontres. J’ai vu [Sylvain] Bernardet [dont Sand avait reçu la visite le jour même] et je ferai de mon mieux pour m’arranger avec lui. À toi de cœur et à vous tous.
G. Sand »


Charles Duvernet (1807-1874) était un ami d’enfance de George Sand. Cette amitié s’est maintenue tout au long de leur vie, jusqu’à la mort de Charles. Ils échangent une abondante correspondance. Ils ont en commun l’intérêt pour la littérature et particulièrement pour le théâtre – Charles a monté une troupe de comédiens amateurs à La Châtre ; il a écrit des pièces qui ont été jouées au petit théâtre de Nohant.
George Sand lui a dédié son roman Horace (1841).
C’est lors d’une visite chez Charles, au château du Coudray, le , que George Sand fait la connaissance de Jules Sandeau, qui deviendra son amant durant quelques mois.

FRANCE, Anatole (1844-1924)

Lettre autographe signée « Anatole Fr. » à Claudius [Popelin]
Hotel Kwartz, Hohwald, par Barr, Alsace Lorraine, 17 avril [1882, d’une autre main au crayon], 1 p. in-8°
Sur papier vergé à en-tête du Sénat
Ancienne trace de montage sur la quatrième page

Le galant Anatole France souhaite donner une lecture de l’un de ses plus célèbres poèmes à de « jolies demoiselles »


« Mon cher Claudius,
sois assez aimable pour faire copier mes vers des Étrennes aux dames, [éd.] 82 Âmes obscures [paru dans son recueil Les poèmes dorés en 1873] et me les envoyer immédiatement. Il y a de jolies demoiselles qui me les demandent avant leur prochain départ et je ne puis me rappeler une seule strophe.
Nous faisons ici de belles promenades, mais il pleut et le temps est frais.
Tout à toi, à Étienne, à Fernand, à Noël,
Anatole Fr. »


Étrennes aux dames est un almanach de textes et de poésies publié par la librairie Charavay (où Anatole France y avait ses habitudes) en quatres volumes, au cours des années 1881, 1882, 1883 et 1884. Dans ces publications figurent des textes de Anatole France, Alphonse Daudet, Théodore de Banville, Judith Gautier, entre autres.

HUGO, Victor (1802-1885)

Manuscrit autographe
S.l.n.d [1841], 1 p. oblongue in-8°
Au verso d’une lettre de l’imprimeur de Béthune et Plon, se plaignant d’un incident à propos d’une loge qui lui était réservée au Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Notes autographes sur la Rome antique et aphorismes sur l’amour


« à Rome on parle d’abord le vieux salien, puis le latin des douze-tables, ensuite celui de Caton-le-Censeur [Caton l’Ancien], enfin la langue de Cicéron, de Salluste et de César – »

« l’amour doit toujours augmenter ou diminuer
(code des cours d’amour)
l’amour a coutume de ne pas se loger dans la main de l’avarice (id.) »


On sait la production poétique de Victor Hugo parsemée d’inspirations de l’antiquité, et plus particulièrement l’Empire romain. On retrouve de nombreuses occurrences à cette époque, à commencer par son premier recueil de poésie : Les Feuilles d’automne (1831).

Quant à « l’amour », est-il besoin de rappeler l’omniprésence de la thématique qui fut, à n’en pas douter, la plus chère au poète toute sa vie durant ?

Ces pensées du grand homme semblent inédites

BERNARD, Claude (1813-1878)

Lettre autographe signée « Claude Bernard » à [Mayer Goudchaux?] Worms
S.l.n.d, 1 p. 1/2 in-12 sur papier vergé, à son chiffre gaufré en-tête
Trois petits manques angulaires sur le second feuillet, sans atteinte au texte

Le père de la médecine expérimentale demande à son correspondant ses récentes études sur le choléra


« Mon cher Mr Worms
Je vais un peu mieux. Si vous pouvez venir une de ces matinées (vendredi ou samedi) m’apporter les renseignements expérimentaux sur le choléra que vous avez eu l’obligeance de me promettre, je vous en serai bien reconnaissant.
Votre tout dévoué
Claude Bernard »


Considéré comme le fondateur de la médecine expérimentale, Claude Bernard a en particulier laissé son nom au syndrome de Claude Bernard-Horner. On lui doit les notions de milieu intérieur et d’homéostasie, fondements de la physiologie moderne.

Ce billet est vraisemblablement adressé à Mayer Goudchaux Worms (1807-1881), médecin attaché au service de santé de l’armée en Algérie, puis médecin en chef de l’école militaire de Saint-Cyr.

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Berger de la Magne
Médan, 19 juin [18]81, 1 p. in-8° sur papier de deuil
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée jointe
Petites fentes aux plis avec réparations discrètes au ruban adhésif

Zola accuse réception de l’ouvrage de son correspondant et regrette de ne pouvoir en parler dans l’un de ses articles du Figaro   


« Monsieur
J’ai à vous remercier de l’aimable envoi de vos Récits nouveaux des premiers siècles chrétiens, que je viens de lire avec beaucoup d’intérêt. Les opinions religieuses du Figaro m’empêchent malheureusement d’en parler ; mais je tenais à vous complimenter de ce résumé historique qui est excellent.
Croyez-moi votre dévoué confrère.
Emile Zola »


C’est par le journalisme, dès le début des années 1860, que Zola entra dans la littérature. Sa longue collaboration avec Le Figaro commença dès la fin des années 1870 pour se terminer avec l’Affaire Dreyfus. À l’écriture de cette lettre, l’écrivain était alors en pleine rédaction de Pot Bouille, dixième volume de la saga des Rougon-Macquart.

[LOTI] MISTRAL, Frédéric (1830-1914)

Lettre autographe signée « F. Mistral » à Pierre Loti
Maillane, 23 avril 1889, 2 p. in-8°

Mistral adresse ses compliments à Pierre Loti et son épouse Blanche Ferrière pour la naissance de leur fils Samuel – Il en profite pour remercier son confrère pour l’envoi de ses Japoneries orientales et lui adresse en retour son recueil poétique Les îles d’or


« Mes compliments de bienvenue au fils de Pierre Loti et de Blanche de Ferrière,
à Samuel Viaud
que Dieu bénisse !
Et mes félicitations au lieutenant de vaisseau Julien Viaud [Pierre Loti] – pour ses Japoneries d’automne rapportées si fraîchement de la mer orientale… un vrai charme de lecture
et longuement ainsi !
F. Mistral
J’ai signé, chez Lemerre (il y a bien un mois) un exemplaire de mes Îles d’or pour l’aimable commandant [Pierre Loti] du frère Yves »


Le , Blanche Ferrière donne à Loti son seul fils légitime, Samuel Loti-Viaud dit Sam Viaud

Japoneries d’automne, publié en 1889, est un ouvrage rassemblant les impressions de voyage de Pierre Loti, qui voyagea à plusieurs reprises au Japon entre 1885 et 1901.

On note que Mistral s’amuse ici à nommer son correspondant par trois noms différents. En fin de lettre, il fait allusion au roman de Loti : Mon frère Yves, récit semi-autobiographique paru en 1883.

Les îles d’or (Lis Isclo d’or en langue d’oc) est un recueil de poésies de Frédéric Mistral, publié en 1875.

RENARD, Jules (1864-1910)

Lettre autographe signée « Jules Renard » [à Georges Moreau, directeur de La Revue Encyclopédique]
[Paris], le 22 mai 1896, 1 p. in-8° sur bifeuillet vergé, filigrane « Original Oxford » orné d’un écusson
À son en-tête du « 44, rue du Rocher », figurant un petit renard vert gaufré

L’écrivain remercie son correspondant pour un article à venir dédié à ses Histoires naturelles, recueil illustré par Félix Vallotton


« Cher Monsieur,
Puisque vous voulez bien parler des Histoires naturelles dans La Revue encyclopédique, vous serait-il agréable de reproduire un des dessins ou les deux dessins qui forment la couverture de
[Félix] Vallotton ?
Si oui, je vous ferai communiquer les clichés par Flammarion.
Je pars lundi prochain pour la campagne où j’espère travailler pour La Revue encyclopédique. Auriez-vous l’obligeance de donner, puisque je suis abonné, mon adresse ci-dessous au service des envois.
Croyez-moi bien amicalement vôtre.
Jules Renard »

[Jules Renard ajoute son adresse postale]
« à Chaumot par Corbigny » [puis George Moreau rajoute :] « fait »  


Histoires naturelles est un recueil de textes courts de Jules Renard, paru en 1894 chez Flammarion et illustré par Félix Vallotton. Il s’agit d’une série de portraits de la faune et la flore, tantôt poétiques, tantôt narratifs. Le recueil est mis en musique par Maurice Ravel en 1906, sous le même titre, et porte la référence M.50 dans le catalogue des œuvres du compositeur établi par Marcel Marnat.

GIONO, Jean (1895-1970)

Lettre autographe signée « Jean » à Blanche Meyer
[Manosque] vendredi soir [automne 1949], 3 p. in-8°

Tendre lettre de l’écrivain à son amour secret Blanche Meyer, qui lui inspira les héroïnes de ses plus célèbres romans, dont Pauline de Théus dans Le Hussard sur le toit


« Chère Blanche,
J’espère que vous faites un bon retour. Je dis « vous faites » car à l’heure où je vous écris, vous êtes encore en route, vous êtes même si je ne m’abuse aux prises avec cette entrée de Marseille dont vous tremblez par avance. Entrée de Marseille dont moi aussi je parle comme je parlerais de l’Entrée de l’Enfer. Lasciate ogni
 speranza (ce qui, en bon français signifie Laissez toute espérance !). Je vous imagine donc en train de pénétrer dans les cercles de l’enfer au milieu des camions et des tramways. Cela se passe dans ces lointains bleuâtres et maléfiques que j’aperçois de la fenêtre de mon bureau du temps que je vous écris. Tout au moins puis-je espérer qu’il ne pleut pas là-bas où vous êtes. Il ne pleut pas ici non plus, mais quelle différence avec Grenoble. Le gréoulx boisé qui sent le champignon et la feuille morte. Ici le pays sent aussi le camion. Manosque n’est qu’une sorte de prolongation de Marseille et son parfum est d’huile lourde et d’essence brulée. Je me souviens du bruit de la pluie sur les feuilles et de ces grands gestes à la fois désespérés et amoureux que les grands arbres déploient sous la pluie d’automne.  Ces élancements de branches qui s’avancent comme le bras du compagnon s’avance à l’épaule de l’ami. Ces ramures qui s’ouvrent lentement de toutes leurs feuilles comme mains qui donnent. Où est cette épaule d’ombre vers laquelle s’avance avec tant d’amitié la belle ramure lourde de pluie ? À qui donne cette main de feuillage et que donne-t-elle ? J’aimerais recevoir d’elle si large et si fraiche une grande cargaison de bonheur et de paix.
Ici au courrier j’avais d’abord, le programme de Moby-Dyck qu’on joue à Paris
[au Théâtre Hébertot] avec grand succès ! Il contient un extrait de Pour saluer [Pour saluer Melville, essai paru en 1941, en hommage à l’auteur de Moby Dick(où se trouve un extrait authentique comme vous savez d’une lettre que vous m’écriviez de Nyons – en 1940 !!!). Si bien que vous êtes sur le programme. Je vous l’enverrai. Je joins aussi à ma lettre un morceau de la couverture de l’édition allemande de Triomphe de la vie… [essai paru en 1941] mais vous voyez qu’il annonce les aventures du Hussard Angelo [héro du Hussard sur le toit, qui allait paraître en 1951] et Faust au village [recueil de nouvelles publié en partie entre 1949 et 1951, et à titre posthume en 1977].
Ne tardez donc pas à les taper. Travail, travail, travail. Le sauvetage est pour moi de tourner les regards et le cœur vers une œuvre de plus en plus belle si possible. Me donner à l’œuvre. Mais, rien ne sera possible sans votre aide et votre affection.
Mes amitiés à Louis et Solaine.
Je vous embrasse
Jean »


Amour secret de Giono de 1939 jusqu’à la mort de ce dernier en 1970, Blanche Meyer aura eu une influence considérable sur l’œuvre de l’écrivain. Elle est celle qui se cache derrière les traits d’Adelina White dans Pour saluer Melville, ou encore la jeune Pauline de Théus dans Le Hussard sur le toit. Giono l’avouera, c’était « elle », ou des « morceaux d’elle ».
A peine Blanche est-elle partie, Jean l’imagine dans sa lettre dans la mauvaise circulation. Puis entre badinage et magnifique métaphorisation par la nature de ses sentiments amoureux, il lui dit toute sa tendresse.

L’une des très rares lettres de Giono à Blanche Meyer encore en mains privées.
La quasi-totalité de leur correspondance amoureuse a été cédée en 1975 au Edwin J Beinecke Book Fund (Université de Yale).

GUYOTAT, Pierre (1940-2020)

Manuscrit autographe
S.l.n.d, 6 p. in-folio

Précieux manuscrit de travail, d’une écriture serrée et chaotique – L’écrivain y fait surgir de nombreuses idées autour de ses thèmes les plus chers comme le sexe, la drogue et la mort


Nous ne transcrivons ici que quelques fragments du texte :

Le premier folio parle l’utilisation des drogues, puis au verso Guyotat poursuit par la « descente », après consommation

 « Boire, me droguer, le meilleur système pour s’en sortir
Marc : sa crainte + ou moins indignée de la proposition d’Abraham (‘on joue une pièce ensemble ; mais on conclut ensemble avant !’) […]
Marc : son ‘gout’ du Dada, du ready-made, des ‘graphies’, de la littérature telle que la mienne aujourd’hui (a-t-il lu EEE ?), encore des garde-fous contre l’échéance de la pratique littéraire totale. 10 jours très riches humainement, merdiques matériellement (sexe compris), comme d’habitude.
Raisons de la note de T.Q : C’est que je ne perde pas mon temps à me démarquer… éloges rétrogrades qui sont faits de moi…
Le ‘fait’ que je deviens peut-être un ‘drogué’
d’où son ‘silence’
Tout tourne autour de ce sexe, image, membre du passé et pouvoir le devenir du futur.
Chambre Marolles :… [le mâle dans une chmabre ouverte plein d’outils et où ‘règne’ un grand buste noir de Beethoven. […] »

Deuxième folio traite entre autres de la bande dessinée et des envies de l’auteur de se prêter son exercice

 « -Que se passe-t-il dans la tête et la main de celui qui dessine un cul ou un triangle mâle (bande différent)
-La queue froide
-Bande dessinée et lutte de classes :
-Pierre Joubert, Farfadette […]
-Idéologie dominante-marxiste
-Au bord d’elles
-Je n’en lisais que les illustrations : Littérature aristocratique
(Marabout Junior)- importance de cette littérature illustrée dans la fixation (le ‘fixe’) des fantasmes […]

‘Les 7 boules de cristal’ cf le curée… :
Faire un conte pour enfants : l’enfant volé, puis, à la limite de la prostitution maligation
Je suis infantile : à la fois l’aventure et la sécurité familiale. Le tric infantile revient à l’armée
Le corps est la prison de l’homme : il ne peut sortir qu’en merde et autre liquides. À décelopper : Le symbolisme des humeurs…
L’inconscient judéo-chrétien, ouais ; mais l’inconscient romain pré judéo-chrétien… ?
[…] Ma famille – à la différence de celle de Fano, par exemple – ne voit en moi que lorsque je gagne de l’argent.  
Primo, suceur, enculé  (trouver une femme) et payé, et libre
Puis enculer non libre et non payé
-L’excuse, la raison adulte de ma production de ces derniers jours (6 jours sur 14)
C’est Daniel, cela vaut bien un drame […]
Photos de moi in n°3 de Luna Park – Chuck Berry
[…]
– E.E.E : Rédigé ‘sur le dos’ de 3 corps
– Mes écrits : j’y sexmoralise au maximum le monde […] »

Le troisième folio est quant à lui très composite. Guyotat traite de divers thèmes, de façon souvent décousue

 « Daniel : Le laisser maintenant agir, l’inquiéter
AMB : Ne pas oublier la version dactylographiée en 1970 sur laquelle sont les corrections et ajouts préliminaires à P.
L.I : Tout le rapport de certitudes littéraires – matérialistes
Un défense contre cet éclatement actuel […]
Le 2e texte (le ‘lyrique’, T.Q, A.P) tend à lyriciser le 1er E.P.Q
Du texte, toujours, ne pas tomber, sauf exception, dans le panneau ‘engagé’
Auto sabordage :
Des petits trucs biographiques, symptôme d’une antinomie
Me faire sortir du trou : j’en sortirai, mais ailleurs
Les grandes phrases d’Artaud : seul peut en écrire de telles et presque sans cesse, celui qui ne s’est pas mis sur le dos le harnachement d’un grand œuvre […]
Dans quelle posture attendre la mort ?
Jean de la Fontaine : Très beau garçon, très pute […]
Il enfonce des portes ouvertes et, comme tous, ne se parle qu’à lui-même »


Guyotat utilise ici des abréviations pour parler de ses œuvres :

E.E.E : Éden, Éden, Éden (paru en 1970)
A.M.B : L’autre main branle (paru en 1973)
P. : Prostitution (paru en 1975)
E.P.Q : Encore plus que la lutte des classes (texte audio enregistré en 1976)

Auteur sulfureux, légende noire de la littérature moderne, Guyotat a été continuellement nourrie d’un érotisme obsessionnel. Éden, Éden, Éden fut interdit à la vente aux mineurs à sa sortie, en 1970.
Ses manuscrits de travail en mains privées sont rares.

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Trois lettres autographes signées « Guy de Maupassant » au Dr Despaigne
Paris, octobre, novembre et décembre 1891, 9 p. 1/2 in-8° et in-12°

Bouleversant témoignage de Maupassant, dressant avec lucidité le terrible constat de son état de santé, quelques jours avant son internement
Ces trois lettres inédites figurent parmi les dernières rédigées par l’écrivain


Introduction

Nous présentons ici trois lettres inédites de Maupassant au docteur Despaigne. Celles-ci comptent parmi les tous derniers autographes que l’on connaisse de l’écrivain, précédant de seulement quelques semaines son internement à la clinique du docteur Blanche, d’où il n’écrira plus. Témoignages majeurs sur sa détresse physique et mentale, ces lettres, inconnues jusqu’en 2023, viennent ainsi compléter un maillon manquant des dernières semaines de Maupassant « libre ».
On ne sait que peu de choses sur le Dr. Gaston Despaigne (1860-1918). C’est par l’intermédiaire du docteur Jacques-Joseph Grancher (1843-1907) que Maupassant est présenté à ce jeune médecin au printemps de 1891. Le docteur Despaigne, qui avait publié sa thèse Études sur la paralysie faciale périphérique en 1888, représentait donc un nouvel espoir pour Maupassant, qui dès l’automne 1889 commença à présenter les premiers troubles de paralysie générale, conséquence aggravante de la syphilis. Hélas, l’écrivain ne pouvait que constater l’accentuation des terribles symptômes de la maladie.
A l’automne 1891, il est atteint de délires et pertes de mémoire de plus en plus fréquents, si bien qu’il se sait condamné. Il rédige son testament le 14 décembre.
Dans la nuit de 1er au 2 janvier 1892, il fait une tentative de suicide avec un pistolet, (son valet François Tassart avait enlevé les balles). Il saisit alors un coupe papier et tente de s’ouvrir à gorge.
Tous les médecins tombent d’accord, une nouvelle crise suicidaire peut survenir à chaque instant, Maupassant doit être hospitalisé.
Un infirmier le prend en charge dans sa résidence cannoise et lui passe une camisole de force. Il est interné le 7 janvier 1892 dans la clinique du docteur Blanche. Après un calvaire interminable, et atteint d’une paralysie générale, il succombe le 6 juillet 1893.

Afin d’en préserver leur caractère inédit, nous ne publierons que quelques fragments.


Lettre 1

« Mes yeux, on l’air de ceux d’un fou »

Carte-lettre autographe signée « Maupassant » au docteur Gaston Despaigne
[Paris], 24 rue Boccador, [22 octobre 1891], 2 p. in-12°,
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Trace d’ancienne mouillure en marge supérieure

L’écrivain évoque les symptômes syphilitiques qui le ravagent

« Mon cher Docteur
Y-a-t-il un contrepoison à la morphine. J’ai passé une nuit folle sans pouvoir rester au lit, allant de place en place, comme après ma piqure de cocaïne. Mes yeux, on l’air de ceux d’un fou. Ma mémoire disparue
[,] le regard si vague que j’écris les yeux fermés, et le gauche louchant.
Quant aux pilules elles m’ont piqué tout le ventre sans aucun résultat
[…] J’ai une migraine atroce, si violente que je ne puis rester couché […] Comment calmer l’agitation à laquelle je suis en proie. Je vous serre la main.
Maupassant »

L’écrivain est en ce mois d’octobre 1891 dans son appartement Parisien du 24 rue Boccador. Son état de santé s’aggravant, il ne sort que très peu. Sa visite, cinq jours plus tôt, chez la princesse Mathilde (sa seule sortie notable du mois), laisse un témoignage pour le moins révélateur. Elle écrit à son neveu le comte Primoli : « Dieu qu’il est changé ! Cela m’a fait beaucoup de peine. Il bredouille en parlant, exagère les moindres choses et se croit guéri ! ». D’autres témoignages de la fin du mois d’octobre viennent accréditer que son entourage le trouve profondément changé, tant d’un point de vue physique qu’intellectuel.
François Tassart, son domestique, note au même moment dans son journal : « L’éminent professeur [le Dr. Grancher] vient de lui envoyer le docteur D[espaigne], car il est en proie à un malaise invincible. Après un temps de conversation cordiale, le médecin se retire et je continue mon rôle de garde-malade jusqu’à 4 heures du matin ».
Devant rejoindre Cannes, comme il l’annonce à sa mère le 19 octobre, Maupassant doit y renoncer.


Lettre 2

« Écrasé par des trains, mordu par des chiens enragés, poursuivi par des assassins »

Lettre autographe signée deux fois « Guy de Maupassant » et « Maupassant », au docteur Gaston Despaigne
Chalet de l’Isère, route de Grasse, Cannes, [30 novembre 1891], 6 p. in-8°,
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée

Lettre terrible et pathétique dans laquelle Maupassant s’inscrit en faux avec les recommandations de son médecin
À l’image du narrateur dans Le Horla, personnage autodestructeur constamment torturé, il livre les détails les plus sordides sur son état mental et physique

« Mon cher Docteur
Vous me conseillez toujours le chloral et je vous ai toujours répondu que le chloral ne m’avait jamais fait dormir. Cet été sur le même conseil donné par
[le docteur] Grancher j’en ai bu une fine dose infinitésimale dans un jaune d’œuf battu. À peine le médicament eu-t-il touché mon estomac que j’y sentis une brulure terrible. Je quittais mon lit et marchais toute la nuit dans ma chambre. Le lendemain saignement de l’intestin. Quant au sulfonal c’est l’opium des grands cauchemars. Il a failli me tuer à Florence. J’en prenais tous les jours pour dormir. Or je me réveillais trois heures après écrasé par des trains, mordu par des chiens enragés, poursuivi par des assassins. Il en résultat une constipation féroce, puis, une nuit dix écoulements de sang par l’anus avec des mucosités […] Les médecins de Florence me croyaient perdu […].
Quant aux lavages au sel dans les fosses nasales ils me mettent encore dans un état de folie et de malaise physique invraisemblable
[…] Je passe une existence atroce dans cette lutte où je suis vaincu […] Mon cerveau chantonne des bêtises jour et nuit, ma mémoire s’en va et je perds les yeux […]. Je n’ai plus de salive car tout mon corps est salé comme un poisson mort. Rien ne me purge, rien ne me rafraîchit, je ne peux rien manger ni rien rendre. Et je halète car mes poumons sont secs comme le reste.
C’est la plus grande folie que j’ai commise.
Il n’y a pas de remède.
Bien cordialement à vous, mon cher docteur.
Guy de Maupassant
[…] »

[Puis Maupassant rouvre sa lettre à « Minuit », afin de donner un état des lieux sur l’instant à son médecin

« Minuit
Je rouvre ma lettre à minuit. La salivation est revenue depuis neuf heures du soir, épouvantable non de la salive mais des colles filant comme du macaroni et salées comme la mer. Quand je les fais couler d’un verre dans l’autre elles sont deux minutes à glisser. Si j’avalais je revomirais tout. C’est odieux d’être dans cet état
[…] et me voici dans une situation de détresse où je n’ai jamais été.
Les piqures de morphine que m’a ordonnées Dr Grancher me font dormir quelques heures, mais avec de telles crises rien n’a de pouvoir
[…] L’état où j’étais à Paris, vous l’avez vu. Il n’était rien auprès de celui d’ici […]
Maupassant »

L’écrivain se remémore ici sa fuite en Italie, et plus précisément son séjour à Florence, pendant la semaine du 26 septembre 1889, sur laquelle il livre des détails sordides le concernant.
Il contredit les prescriptions de son médecin et celles de ceux l’ayant précédé, persuadé qu’elles lui sont nuisibles. L’étaient-elles vraiment ? Plus loin dans sa lettre, il fustige les lavages des fosses nasales au sel (remède courant et inoffensif) qui, selon lui, sont la cause de tous ses maux. Maupassant semble ici se livrer à de la paranoïa, convaincu qu’aucun médicament ne produit son effet. C’est en réalité la syphilis qui suit son cours, inexorablement et cette lettre, pathétique, nous en dépeint les détails les plus terribles.


Lettre 3

« S’il faut aller dans une maison de santé j’irai »

Lettre autographe signée « Guy de Maupassant » au docteur Gaston Despaigne
Chalet de l’Isère, route de Grasse, Cannes, [2 décembre 1891], 1 p. 1/2 in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée

Dernière lettre de Maupassant au docteur Despaigne, un mois avant sa tentative de suicide et son internement

« Mon cher Docteur
Les accidents du sel s’aggravent si épouvantablement
[…] Je ne peux ni manger sans souffrances terribles ni aller à la selle. Ma tête est dans un état d’inflammation qui touche à la folie.
Et dire que j’étais guéri en arrivant à Paris.
Bien cordialement
Guy de Maupassant
Parlez-en sérieusement à notre ami
[Dr.] Grancher.
S’il faut aller dans une maison de santé j’irai
[…] »

Dans un ultime accès de lucidité, Maupassant parait ici se résoudre à son futur internement. Après sa tentative de suicide dans la nuit du 1er au 2 janvier suivant, le célèbre psychiatre Émile Blanche jugea nécessaire de le faire venir à Paris, puis de l’interner dans sa clinique de Passy, où Maupassant fut hospitalisé dans la chambre 15, qui allait devenir son seul univers (et d’où il n’écrirait plus), jusqu’à sa mort dix-huit mois plus tard.
On ne connait que des propos rapportés le concernant pendant cette longue période d’agonie, à l’image de ces lignes de Goncourt dans son journal, en date du 17 août 1892 : « Maupassant a la physionomie du vrai fou, avec le regard hagard et la bouche sans ressort », puis du 30 janvier 1893 « Maupassant est en train de s’animaliser ».

Ainsi finit Maupassant qui avait prophétisé :
« Je suis entré dans la vie littéraire comme un météore et j’en sortirai comme un coup de foudre. »
Cette lettre vient s’ajouter aux rares écrits de Maupassant de décembre 1891, les derniers que l’on connaisse de lui.

[BARBÈS] De LAVETIER

Tirage albuminé par de Lavetier
La Haye, 29 août [1869], format cdv

Rare épreuve de Babès avec envoi autographe


Ce tirage représente l’un des plus célèbres portraits d’Armand Barbès par le photographe de Lavetier.
A verso, Barbès ajoute de sa main :

« à Jules Claretie
Souvenir de sa bonne visite
La Haie, 29 août
[18]69 »


Très bel état de conservation

[DUMAS] Ferdinand DUGUÉ (1816-1913)

Manuscrit autographe signé « F Dugué »
S.l.n.d [1870], 2 p. in-8°
Quelques ratures et corrections de la main de l’auteur

Fameuse éloge funèbre d’Alexandre Dumas père par Ferdinand Dugué, au nom de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques


« Messieurs,
La Commission des Auteurs et Compositeurs Dramatiques m’a délégué ce grand honneur d’adresser en son nom un dernier adieu à l’homme illustre qui a rempli le monde de sa renommée et j’accomplis avec respect ce devoir douloureux, tout en regrettant qu’un voix plus autorisée que la mienne ne se fasse pas entendre au bord de cette fosse.
Tâche difficile, messieurs !… que dire, en effet, de celui qui a tout dit ? […] Comment peindre celui qui s’est peint et raconté lui même en tant d’esquisses et de portraits qui de populaires vont devenir historiques ? […] et puis, il faut bien l’avouer, l’imagination hésite et se glace devant ce critique formidable qui s’appelle la mort !…
Ce que je veux dire pourtant, ce qu’il importe de dire avant tout, c’est le regret poignant qui s’échappa de toutes les bouches, la douleur inouïe qui remplit tous les cœurs, lorsque éclatât cette lugubre nouvelle : Dumas est mort ! Vous vous en souvenez n’est-ce pas ? et l’émotion cruelle de sa perte nous accable encore tous […] Pour la France déjà si terriblement éprouvée [allusion au Siège de Paris], ce fut comme une calamité nationale, comme un nouveau et dernier désastre… irréparable, celui là !… […]
Ah…! C’est que son génie se doublait de bonté ! C’est qu’avant de l’admirer on l’aimait !… […] Il y a bien une louange qui est bien à la taille de Dumas, c’est celle qu’on peut faire de son cœur ! […]
Notre brave Dumas ! Ne vous semble-t-il pas, en vérité, qu’il soit encore là au milieu de nous, dominant de sa tête puissante la foule recueillie ? Son franc sourire s’épanouit, sa large main se tend vers les nôtres et nous croyons en sentir la mystérieuse étreinte….
Et ce n’est pas une illusion, messieurs, c’est une réalité ! De ce tombeau noir où l’ont descend nos mains pieuses, où l’accompagnent nos prières, un rayon se dégage, un espoir s’envole… D’Artagnan a vaincu la mort !… Le maître, si cher à nos cœurs, revit tout entier dans le fils qui continue son œuvre et agrandit sa gloire !…
F. Dugué »


Dumas décède le 5 décembre 1870 après un accident vasculaire l’ayant laissé paralysé en septembre de la même année. Ses obsèques ont lieu le 8 décembre à Neuville-lès-Pollet. Après la Guerre de 1870, son fils fait transporter le corps à Villers-Cotterêts en avril 1872. Le transfert de sa dépouille au Panthéon est effectuée le 30 novembre 2002, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

DUMAS (père), Alexandre 1802-1870

Lettre autographe signée « A Dumas » au « Patriarche de Jérusalem »
S.l, 15 avril [18]47, 2 p. 1/2 in-8°, avec enveloppe autographe (contrecollée au verso du second feuillet)
En-tête gaufré d’un petit écusson et d’une couronne, petites fentes au pli

En proie à de graves difficultés financières et poursuivi par ses créanciers, l’auteur des Trois Mousquetaires requiert la procuration de Madame Dumas afin d’emprunter une forte somme d’argent


« Cher et très illustre Patriarche,
J’ai reçu vos lettres, et si quelque chose avait pu augmenter les ennuis au milieu desquels je me suis trouvé, par deux banqueroutes successives qui m’ont fait perdre près de 80,000 f ce serait que vous ayez cru un instant que mes retards dépendaient de ma volonté.
Je vais enfin me dégager de ma maison de plusieurs dettes dont elle était chargée. Et je veux emprunter dessus trente ou quarante mille francs – seulement j’ai besoin de la procuration de Mad[am]e Dumas [Ida Ferrier] pour faire ce prêt – elle doit le recevoir aujourd’hui… Alors je pourrai par le retour du courrier lui faire passer trois mille francs et ayant quelque argent devant moi m’entendre avec un banquier.
Je ne puis pas vous dire cher Patriarche à travers quelles luttes j’ai passé depuis mon retour – tous les créanciers de deux hommes que mad[am]e Dumas connaît bien elle même et qui se nomment Mr Laurey et Bethune sont tombés sur moi et ce n’est qu’en travaillant 18 heures par jour que j’arrive – non pas à faire face à tous – mais à me soutenir.
Que Mad[am]e Dumas fasse donc passer sans retard cette procuration à Dommange – et le premier argent touché sera pour elle.
Adieu cher Patriarche, croyez mieux de moi…
J’espère demain ou après demain envoyer en attendant mille francs à mad[am]e Dumas
Tous les respects du cœur
A Dumas »


Le père des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo a toujours vécu au dessus de ses moyens. Grâce à des rentes généreuses suite à la publication de ses chef d’œuvres, il fait bâtir le château de Monte-Cristo à Port-Marly, en 1846. En parallèle, sa femme Ida Ferrier, de laquelle il est séparé, lui demande une pension. Fêtes organisées avec le tout Paris, train de vie dispendieux, l’écrivain dépense plus qu’il ne gagne, et la révolution de 1848 va le ruiner. Il se voit privé de ses rentrées habituelles (arrêt du théâtre et des feuilletons pendant plusieurs mois) et est contraint de vendre son château après en avoir profité moins de deux ans.
En cette année 1847, Dumas commençait la rédaction du Vicomte de Bragelonne, la fameuse suite des Trois Mousquetaires.

DEGAS, Edgar (1834-1917)

Carte-lettre autographe signée « Degas » à Albert Bartholomé
[Paris, 16 décembre 1899], 1 p. in-12°, adresse autographe au verso
Petit manque marginal dû à l’ouverture, sans atteinte au texte

Degas convie son ami sculpteur Bartholomé à dîner en compagnie de Forain et Rouart


« Lundi, mon cher ami, les [Jean-Louis] Forain viennent dîner avec les jeunes [Henri] Rouart.
Êtes-vous libre ?
Amitiés
Degas
Samedi »


Comptant parmi les sculpteurs les plus importants de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, Albert Bartholomé (1848-1928) fut un des intimes de Degas. C’est lui qui réalisa le bas relief sur le tombeau de ce dernier.
Degas qualifie ironiquement son ami le peintre Henri Rouart de « jeune », compte tenu qu’il est le plus âgé du groupe.

[ZÜRN] BELLMER, Hans (1902-1975)

Lettre autographe signée « Bellmer » à Marc Duprat
[Octobre 1970 ?], vendredi soir, 2 pp. in-8°
Petites taches, traces de pliures

À quelques jours du suicide de Unica Zürn, Bellmer tente de se réconcilier avec celle-ci par l’intermédiaire de leur ami commun et psychiatre Marc Duprat


« Mon cher Duprat !
J’espère que ce mort n’arrive pas trop tard ! Il s’agit de quelques précisions que je voudrais vous donner à propos de votre intention d’écrire à Unica.
Vous ai-je donné l’adresse des amis à Berlin qui sont seuls à connaitre l’adresse d’Unica ? La voici :
Monsieur R.W. SCHNELL
BERLIN-CHARLOTTENBURG 9
STÜLPNAGEL STR. 3
ALLEMAGNE-OUEST
Schnell et sa femme ne seront de retour à Berlin qu’à partir du 28 octobre.

1) En écrivant, essayez de donner l’impression que vous écrivez quasi à mon insu !

2) Donnez à Unica votre impression personnelle que je (moi, Bellmer) regrette sincèrement d’avoir provoqué cette affreuse rupture d’une façon aussi brutale. Que, sans doute, si elle revenait chez moi, je la recevrais les bras ouverts et les larmes aux yeux.

Evidemment sa réponse va être : « dites à ce vieux qu’il aille se faire foutre ailleurs… etc – mais il s’agit de guérir un peu sa blessure et il est possible qu’un passage dans le sens indiqué peut y aider.

A bientôt ! Mais prévenez-moi par un petit mot, avant de venir ! Et ne venez pas trop tard si nous voulons faire un tour !
Votre ami
Bellmer »


[On joint :]
Un lettre autographe signée dictée par Hans Bellmer (pneumatique) annonçant au même le suicide de Unica Zürn la veille – [Paris, 20 octobre 1970], 1 p. in-12°

« Cher Monsieur Duprat
Je suis chez Monsieur Hans Bellmer aujourd’hui et par cette lettre il me demande vous annoncer une bien triste nouvelle.
En effet Unica étant à Paris dès dimanche s’est suicidée le lundi matin en se jetant du 5e.
Vous serez bien aimable de passer voir Hans dès que vous le pourrez.
p/p Bellmer
Mardi à 18h »


Un couple maudit :
Les deux artistes se rencontrent en 1953. Peintre et écrivaine allemande, Unica Zürn travaille aux côtés de son compagnon Bellmer, pose pour lui, mais souffre déjà à de graves troubles dépressifs et schizophréniques. Ils vivent ensemble rue Mouffetard à Paris, cependant leur relation sera troublée par les problèmes de santé mentale d’Unica, qui fera des tentatives de suicide et sera internée à plusieurs reprises.
De plus en plus malade, Unica est internée à trois reprises entre 1969 et début 1970 à l’hôpital psychiatrique Maison-blanche à Paris. Elle écrit en avril suivant une lettre de rupture à Bellmer. Notre lettre a selon toute vraisemblance rédigée quelques jours avant le suicide de Zürn. Le 19 octobre 1970, sortant de la clinique où elle était internée, elle se rend chez Bellmer et se tue en se jetant par la fenêtre de son appartement.

BRAQUE, Georges (1882-1963)

Lettre autographe signée « G Braque » à un « cher ami »
Paris le 4 juin 1943, 2 pp. in-8°
Trace de pliure centrale, petit manque en marge inférieure, sans atteinte au texte

Belle lettre de Braque annonçant la sortie prochaine d’un livre à lui consacré et métaphorisant sa vision de la peinture


« Mon cher Ami
Nous ne vous écrivons pas souvent mais Tess porte et apporte des nouvelles, ce qui nous fait plaisir de savoir ce que vous faites. C’est bien de savoir que vous n’êtes plus menacé d’une opération. D’autant que
[ce] sont quelques ménagements cela ne vous empêche pas de travailler. Nous espérons voir bientôt ce que vous avez fait.
De mon côté je crois que je n’ai jamais autant travaillé que durant cette période. J’étais même arrivé à un point où j’ai dû prendre quelques semaines de repos à la campagne que je prolonge ici.
La vie artistique ici comme vous le savez
[est] bien animée.
Expositions, concerts, publications sont en abondance. On prépare sur moi un livre avec texte de Paulhan [Braque le patron,
éd. Les Trois Collines, 1946] qui sera suivi de mes réflexions.
Voici la dernière que j’ai noté
” La nature ne nous donne pas le goût de la perfection, on ne peut la concevoir ni mieux ni plus mal “
Pascal a dit on plaint celui qui perd un œil mais personne ne souhaite en avoir trois et Erik Satie
[dont Braque était un ami intime] à propos de l’amélioration de la race chevaline souhaitait pour le cheval une cinquième patte pour freiner.
Je crois que cela a quelque rapport avec la peinture.
Nous vous envoyons pour vous deux mille bonnes choses.
G Braque »


Même s’il dit n’avoir « jamais autant travaillé que durant cette période », la Seconde Guerre mondiale inspire à Braque ses œuvres les plus graves. C’est cloîtré dans son atelier que l’artiste se consacre au thème des Intérieurs avec un retour en force du noir qui donne une impression de dépouillement et de sévérité. La guerre est pour Georges Braque synonyme d’austérité et d’accablement. À ce moment-là, « il n’y a guère de place pour l’émulation dans la vie de Braque : ni concours, ni discussion, ni travail en commun. C’est dans le secret qu’il entreprend ». Une femme assise devant un jeu de cartes, vue de profil, titrée La Patience, illustre à cette époque son état d’esprit.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre dictée à sa femme Marianne et signée par lui « Lamartine »; à Louis de Jacquelot
Paris, 8 9bre [novembre 1840], 2 p. in-8°
Adresse autographe sur la quatrième page, bris de cachet
Annotation au crayon d’une autre main en marge supérieure de la première page et en marge inférieure de la seconde

Belle lettre de Lamartine au sujet de la situation politique à l’automne de 1840


« Pardon, mon cher monsieur., de n’avoir pas répondu plutôt à votre bonne et admirable lettre. J’en ai été bien reconnaissant, je vous assure, et je vous remercie du fond du cœur des sentiments qu’elle exprime(1).
Les circonstances graves dans lesquelles nous sommes trouvés m’ont fait sortir, à mon grand regret, de mon calme habituel en politique pendant mon séjour à la campagne. Je n’ai pu voir sans émotion l’abîme vers lequel on nous entraînait avec tant de rapidité ; je n’ai pu retenir un cri d’alarme(2). La sympathie des hommes de cœur et d’intelligence comme vous, m’est d’autant plus précieuse que c’est la seule à laquelle j’aspire, merci donc de celle que vous m’exprimez si bien.
Vous avez mille fois raison de vous plaindre, mais ce n’est pas un tort irréparable et dans la première édition des remerciements qui sera réimprimée, je réparerai ma faute bien involontaire, je vous le promets(3).
Adieu donc, mon cher monsieur, Mme de Lamartine vous remercie de vos démarches et de votre bon souvenir, moi je vous renouvelle l’assurance de mes sentiments dévoués et de ma haute estime.
Lamartine »


1- Jacquelot avait félicité Lamartine pour ses quatre articles sur La Question d’Orient, Le Ministère, parus dans Le Journal de Saône-et-Loire et repris par La Presse.

2- Lamartine fait sans doute allusion ici au troisième ministère Soult, dominé en fait par François Guizot, ministre des Affaires Étrangères . Il mène une politique conservatrice et favorable à la bourgeoisie d’affaires à qui profite le scrutin censitaire, le développement de la grande industrie, du crédit, du commerce et des moyens de communication, sans l’accompagner de mesures sociales propres à améliorer la situation du prolétariat urbain. Moins belliciste, Guizot poursuit une politique de rapprochement avec la Grande-Bretagne. La politique étrangère de Thiers en Égypte a, en effet, accru la menace d’un conflit franco-britannique.

3- Jacquelot avait dit au poète son regret d’avoir constaté que, si le « Toast des Gallois et de Bretons », écrit à sa demande, figurait bien dans les Recueillements poétiques parus en mars 1839, la dédicace qu’il attendait y manquait. Quant à la promesse faite ici par Lamartine, elle ne fut jamais tenue.

Le nom de Jacquelot de Boisrouvray [1798-1881] n’apparaît guère dans les biographies générales de Lamartine, pourtant celui-ci n’est pas inconnu des spécialistes lamartiniens. Son nom reste associé aux Recueillements poétiques dans lesquels on trouve le fameux « Toast » (dont il est ici question) rédigé par Lamartine en hommage à l’amitié inter-celtique : au faîte de sa gloire, Alphonse de Lamartine avait été sollicité pour se joindre à la délégation française en partance pour Abergavenny, près de Cardiff, le sachant proche de cette région anglaise depuis son mariage célébré en 1820 avec la britannique Mary-Ann Birch. Si la grande figure du romantisme français déclina l’invitation, un de ses amis, Louis de Jacquelot du Boisrouvray, présent parmi le groupe des sept Français qui firent le déplacement, était parvenu à le convaincre de rédiger une pièce en vers qu’il se chargerait de lire au cours du dîner de clôture. Lamartine s’exécuta et lui confia un Toast porté dans un banquet national des Gallois et des Bretons à Abergavenny dans le pays de Galles… Le manuscrit de Toast est conservé au château de Saint-Point [ancienne demeure de Lamartine], ainsi que quelques lettres de Jacquelot à Lamartine.

FINI, Leonor (1907-1996)

Lettre autographe signée « Leonor Fini » [à Gérard Leman]
S.l., « le 29 janvier » [19]68, 1 p. in-4° au feutre rouge
Trace de pliure en marge supérieure

Jolie lettre de l’artiste, ornée d’un bel imprimé de couleurs, au sujet de deux ouvrages à elle dédiés


« Monsieur
Il existe chez Pauvert éditeur un livre sur moi texte de Brion et plusieurs reproductions
[de dessins] – dont certains en couleurs. Vous pouvez le commander dans toutes les librairies.
En octobre sortira une grande monographie sur moi à
[la maison d’édition] la Guilde du livre – en Suisse.
Je vous souhaite une bonne année
[19]68
Leonor Fini »


L’artiste fait ici référence à deux ouvrages la concernant :

Le premier est Leonor Fini est son œuvre, par Jean-Jacques Pauvert, éd. Marcel Brion, paru en 1962
Le second est Leonor Fini, La Guilde du livre, éd. Constantin Jelenski, paru en 1968 comme indiqué dans la lettre

Importante figure du surréalisme, Leonor Fini fut une artiste très prolifique dans les domaines de la peinture, la gravure, la lithographie, la décoration de théâtre et l’écriture.
De nombreux poètes, écrivains, peintres et critiques vont lui consacrer des monographies, essais, préfaces d’expositions ou poèmes

STAËL (de), Germaine (1766-1817)

Lettre autographe à la Claire de Duras
S.l.n.d, 1 p. in-8 oblongue
Quelques salissures au verso

Charmante billet de Madame de Staël à sa chère amie la duchesse de Duras     


« Vous avez bien eu raison de m’écrire car j’y allais – est-ce bien fait de ne rien refuser et de le désirer plus – venez ce soir chez moi en allant au bal je vous en prie cela me fera honneur après du duc – »


Romancière, essayiste, actrice et philosophe de la politique, Germaine de Staël a été la femme la plus illustre de son temps — de celui des années tourmentées de la Révolution, du régime napoléonien et de la Restauration à ses débuts.

Elle laisse inachevées ses Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, publiées à titre posthume en 1818.

Claire de Duras (1777-1828) est restée célèbre pour son roman Ourika (1823), qui analyse les questions d’égalité raciale et sexuelle. Elle est considérée aujourd’hui comme une précurseure du féminisme. Ses amitiés avec Chateaubriand et Germaine de Staël lui ouvrit les milieux littéraires parisiens.

GUITRY, Sacha (1885-1957)

Manuscrit autographe
S.l.n.d, 5 p. grand in-folio à l’encre noire
Pliure centrale

Intéressant manuscrit de premier jet du dramaturge au style composite    


Sacha Guitry s’essaye ici au poème en prose, sur divers sujets.
Sur la première page, il fait un bel éloge de la ville de Pau :

« Pau,
Dans une ville qui s’endort, c’est une ville qui s’éveille.
Un casino tout blanc, tout neuf, qui semble
avoir été construit la veille. Un hôtel qui promet
d’être moderne – énorme ! – À peine commencé,
rougeâtre, avec des yeux d’aveugle. On le bâtit auprès
de vieux hôtels célèbres ou des monarques ont passé,
où dans les chambres, on voit encore des cheminées
– dont on se sert ! Et d’où l’on voit sortir entre
onze heures et midi des anglais de naguère,
de vieux anglais rhumatisants,
auxquels on n’a pas dit qu’on avait eu la guerre
et qui meurent à Pau – depuis quatre-vingt ans ! »

***

Puis l’auteur de Si Versailles m’était conté… donne un regard très personnel sur la restauration des châteaux

« Les vieux châteaux que l’on restaure
on a souvent bien tort
de les restaurer trop
ça leur donne un côté « métro »
Qui leur enlève tout leur charme
J’ai vu des salles d’armes
Et des salles de fêtes
Qui semblaient avoir été faires
en 1929
Un vieux donjon qui est
tout neuf
Rend inquiet ! »

***

Il évoque ensuite la ville de Bâle au travers de laquelle passe le Rhin

« Le Rhin, à Bâle, ce n’est pas un fleuve, c’est une catastrophe. Il passa en bouillonnant, verdâtre de colère, et les maisons, sur les deux rives, ont l’air ‘avoir été miraculeusement épargnées dans le désastre.
Les villes ne sont pas traversées par des fleuves, comme on pourrait le croire. Elles sont été construites là, d’abord sur l’une des deux rives – et puis, un jour, s’apercevant qu’un ville au bord d’un fleuve n’est qu’une demi ville, et, ne se contentant plus de leur reflet dans l’eau, elles ont reproduit ce reflet sur la rive opposée.
Bâle parait avoir été traversée de force par le Rhin – et même il a creusé de grands trous dans les murs. Ce sont les ponts. »

***

Sur un autre feuillet il aborde le fascisme italien :

« Je ne suis pas fasciste. Je dois du reste avouer que je ne sais pas exactement ce que cela signifie – mais je crois bien que pour être fasciste, il faut être italein [Sic – Guitry inverse délibérément deux lettres dans le mot] d’abord. Chaque peuple a ses besoins et j’ai l’impression que le fascisme est spécifiquement italein. Et c’est pourquoi je comprends mal ceux qui considère chez nous que c’est une menace, un danger pour la France. Ou bien alors, si le fachisme n’est pas spécifiquement italein, c’est l’amour de son pays. Et dans ce cas je les comprends moins bien encore ceux de chez nous qui le considèrent comme un danger »


Ce manuscrit semble entièrement inédit.

Auteur dramatique prolifique, Sacha Guitry a écrit cent-vingt-quatre pièces de théâtre, dont beaucoup furent de grands succès. Il a également réalisé trente-six films (dont dix-sept adaptations de ses pièces), jouant dans la quasi-totalité d’entre eux. Son attitude pendant l’Occupation est sujette à de nombreuses controverses.

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée de son étoile à son « Jeannot » [Jean Marais]
S.l.n.d [1940], 1 p. grand in-4°
Infimes salissures en marge supérieure gauche

Tendre lettre à son amant Jean Marais pour lequel il voue un amour indéfectible, en dépit des vicissitudes de la vie et du chaos de la Seconde Guerre mondiale


« Mon Jeannot
Inutile de te décrire le réveil après ton départ. Tu te le représentes ! Mais je garde bon espoir en ton étoile et en le nôtre et je ne laisserai pas chômer la chance.
Ta petite maquette
[pour les décors de Britannicus] me tient compagnie et Cola aboie devant. J’ai décidé de tenir le coup et je le tiendrai même si c’est dur. Mes yeux me brûlent encore. J’irai chez l’occultiste lundi. Pour les impôts c’est grave et l’homme que nous avons ici va s’arranger pour que cela ne me ruine pas. De toute manière c’est énorme. Mon Jeannot ce n’est rien à côté de ta tendresse et de notre bonheur de vivre l’un contre l’autre de près comme de loin. Je vais laisser passer cette semaine très lourde à cause du théâtre. Ensuite je m’organise afin d’aller te voir coute que coute. J’adore et je te bénis. ☆ »


Jean Marais est mobilisé sur le front aux premières heures de la Seconde Guerre mondiale. En Mai 1940, l’Allemagne envahit la France, Cocteau se réfugie à Perpignan. Après l’armistice du 22 juin 1940, le régiment de Marais s’étant volatilisé, le tandem Cocteau – Marais rentre à Paris, sous occupation allemande. Comme Sacha Guitry et bien d’autres, Cocteau décide de remonter sur les planches avec la reprise des Parents terribles, pièce vite interdite car, selon le journal collaborationniste Je suis partout, « Cocteau incarne la décadence qui a fait vaciller la France ».
Marais et Cocteau resteront unis jusqu’à la mort de ce dernier, en 1963.

[POUGY] GHIKA, George (1884-1945)

Lettre autographe signée « Georges Ghika » à Liane de Pougy, princesse Ghika
S.l, 2 juillet 1923, 1 p. in-4° à en-tête d’une petite couronne, à l’encre bleue sur papier violet

Belle déclaration d’amour du Prince Ghika à son épouse Liane de Pougy pour leur treizième anniversaire de mariage


« Anniversaire – 2 juillet 1923
D’une voix juste soutenant la plus juste des causes
Je me vante d’un privilège
Celui de t’avoir eue et de t’avoir gardée
Toi dont l’allure est mon avance même
Le rythme de mon pouls et de mon pas
Ma vie est une roue éclatante et légère
Elle roule et bondit
Entre le ciel et les cailloux où brillent les micas
Et ses rayons sont des tubas annonciateurs
De la gloire vivante et tendre de nos jours
Georges Ghika »


Figure centrale parmi les courtisanes de la Belle Époque, Liane de Pougy (1869-1950) épousa en secondes noces, le 8 juin 1910, le prince roumain Georges Ghika (1884-1945), neveu de la reine Nathalie de Serbie, de quinze ans son cadet. Leur mariage fut parfaitement heureux seize ans durant, jusqu’à ce que Ghika ne la quitte brusquement, en juillet 1926, pour l’ultime conquête de sa femme (qui était ouvertement bisexuelle), une jeune artiste de vingt-trois ans, la « mignonne et délicate » Manon Thiébaut, qu’il emmène en Roumanie. Après cette séparation, Liane de Pougy retrouve son amour de jadis, Nathalie Clifford Barney (1876-1972). Elles forment avec Mimi Franchetti (1893-1943) un ménage à trois. Menacé de divorce, le prince finit par revenir, mais leur relation devient difficile et chaotique.

FINI, Leonor (1908-1996)

Lettre autographe signée « Leonor Fini » [à Gérard Leman]
[Saint-Dyé-sur-Loire] « le 22 mai » [1979], 4 pp. in-folio
Enveloppe autographe oblitérée jointe

L’artiste surréaliste rejette avec véhémence tout honneur la concernant
Elle en profite pour recommander à son correspondant plusieurs ouvrages à elle dédiés


« Cher Monsieur,
Vous êtes bien aimable mais je déteste les ‘honneurs’. Je les refuse et ceux qui les acceptent deviennent plus ou moins suspects pour moi. –
Je vous excuse car vous ne me connaissez pas
. Procurez-vous donc I° le livre de L. Fini édition Clairefontaine… Vilo Paris. – C’est épuisé – mais la II édition ‘enrichie’ sortira à la rentrée. Vous pouvez trouver aussi au Musée de Poche 122 blvd Raspail la réédition récente (avec mauvaises reproductions – hélas) avec texte de Xavière Gauthier et notes biographiques éclairantes. –
Je vous signalerai d’autres publications ‘éclairantes’ en préparation.
Je vous signale aussi un beau livre à l’édition du Regard – 67 rue de Montorgueil – très beau texte – livre de dessins très récents. Je vous indique cela parce que il n’y aura pas d’exposition de moi cet été (il y en a eu
[et en] a eu 2 à Paris cet hiver nov[embre] Et dec[embre] de peinture et de dessins.
En octobre (vers la fin d’octobre) il y aura presque sûrement une exposition de livres (édition d’arts et gravures…) 46 rue du Bac. Je dirai de vous envoyer une invitation. Voilà. Et quant aux ‘honneurs’ j’en ai accepté une : d’être présidente d’honneur de l’École du chat (comité de défense des Bêtes libres)
Avec mes pensées amicales
Leonor Fini »


Importante figure du surréalisme, Leonor Fini fut une artiste très prolifique dans les domaines de la peinture, la gravure, la lithographie, la décoration de théâtre et l’écriture.
De nombreux poètes, écrivains, peintres et critiques vont lui consacrer des monographies, essais, préfaces d’expositions ou poèmes.

DUMAS (père), Alexandre 1802-1870

Lettre autographe signée « AlexDumas » à M. Bouquié
S.l.n.d [c. 1852], 1 p. in-12° sur bifeuillet
Petit manque sur le deuxième feuillet (bris de cachet), infimes taches
[La ponctuation, quasi absente, est ici restituée pour une lecture plus aisée]

Dumas souhaite convier quelques dames pour une soirée


« Mon bien cher,
Je comptais vous voir hier – ces messieurs sont venus dîner en pique-nique chez moi, chacun  s’était chargé de vous prévenir, tous ont oublié.
Voulez-vous que nous soupions ce soir – Vous plaît-il d’amener ou Adèle ou quelqu’autre – Je préviendrai Charlotte – ou plutôt vous la préviendrez  et nous passerons de bonnes heures ou bien si vous l’aimez mieux Elisabeth et Nathalie
Venez donc me voir et nous ferons à votre volonté
A vous, AlexDumas »

[adresse autographe au verso du second feuillet]
« Monsieur Bouquié
Port Scarbeck [Schærbeek] rue du midi
n°2 Bruxelles »


Cette lettre a vraisemblablement été écrite lors de l’exil de Dumas à Bruxelles, aux côtés de Victor Hugo. Les deux écrivains avaient protesté contre le coup d’État de Napoléon III. C’est aussi à cette époque que Dumas commence l’écriture de ses Mémoires.

[NAPOLÉON] DAVOUT, Louis-Nicolas (1770-1823)

Lettre autographe signée « L Davout » à son épouse, Aimée Leclerc
Osterode [actuelle Ostróda en Pologne], 16 avril [1807]. 5 pp. 3/4 in-4° sur papier azuré
Légère effrangure sur la cinquième page en marge gauche, sans atteinte au texte

Longue et superbe lettre du maréchal Davout, écrite lors de la campagne de Pologne, au défit de l’armée Russe, quelques semaines après la victoire à la bataille d’Eylau


« Je reçois ta lettre du 3 avril, ma bien bonne petite Aimée. Je ne conçois point comment tu ne m’as pas encore fai[t] un mot de réponse sur la prière que je t’ai faite de louer un hôtel à Paris. Je désire que tu prennes ce parti-là. La petite maison de l’Orangerie [les Davout occupaient alors ce logement, aux Tuileries] n’étant plus tenable, tu aurois trop à souffrir du bruit des ouvriers dans le moment de tes couches pour que je ne désir[asse] point vivement t’en voir sortir. Je serois plus tranquille si tu te rendois à mes réitérées sollicitations. Il ne faut pas conclure de mon changement de quartier général qu’il y ait des événements de guerre, nous sommes ici comme dans la plus profonde paix et il n’y a plus d’apparence que les Ru[s]ses pense à la troubler : il leur en couteroit trop. Je suis venu ici, l’empereur en étant parti, parce que j’en ai eu l’autorisation, Ditterswald étant un mauvais endroit [le maréchal Davout était auparavant cantonné à Dietrichswald, actuellement Gietrzwald en Pologne, près d’Olsztyn]. Je te donne ces explications sachant, ma petite Aimée, que tu es ingénieuse à te tourmenter. J’ai reçu hier une lettre de ce pauvre général Dumas qui m’annonce la mort de sa femme [Mathieu Dumas venait de perdre son épouse Adélaïde Julie Delarue]. C’est une grande perte pour lui et toute sa famille. J’ai eu une lettre de mon beau-frère [le frère de la maréchale Davout, le général Nicolas-Marin Leclerc Des Essarts, chef de l’état-major de la division Friant dans le 3e corps de la Grande Armée] du 29 mars, il me mande : “Est-ce que vous avez parlé de moi à S[a] M[ajesté] ? Vous avez mandé à ma sœur que j’aurois bientôt ce que je désirois”. Il me semble, ma petite Aimée, ne t’avoir point écri[t] cela , j’ai pu te mander que je profiterois de la 1re occasion pour exprimer ce désir et qu’il ne dépenderoit pas de moi qu’il ne fût bientôt réalisé, mais voilà tout – le fait est que j’ai eu occasion de parler de Beaumont, que l’empereur regrette que sa mauvaise santé l’ait empêché de faire la campagne, mais je n’ai pas eu l’occasion de pousser plus loin la conversation. J’ai vu avec plaisir que l’empereur étoit convaincu du mauvais état de santé de mon beau-frère. Les détails que tu me donnes sur notre Joséphine me sont d’autant plus agréables que je vois qu’elle te fai[t] passer des moments heureux et que tu es sans inquiétude sur les suites de sa dentition. J’envoie mille caresses à cette chère petite. J’ai rempli tes intentions pour la jument laissée à Francfort-sur-le-Mein Lorsque tu recevras cette lettre elle sera dans un herbage à Mayence et là elle y attendra mes deux autres juments que j’ai envoyées à Berlin. [Le maréchal Davout traite ensuite d’un projet d’acquisition de maison avec prés, et d’un possible envoi de fonds de sa part vers le 20 mai.] Peut-être que d’ici à cette époque j’aurai l’occasion de parler à l’empereur de tes embarras et de ta gêne. S’il y avoit jamais nécessité de l’entretenir de cela je le ferois, connoissant sa bienveillance, ainsi tu peux acheter cette maison… Tu as pris le bon parti de ne pas paroître vouloir l’acheter, c’est le moyen d’en faire l’acquisition à sa juste valeur… J’imagine que tu n’oublies pas de toucher mes appointements de maréchal qui sont de 3333 f. 33 c. par mois. Je t’ai laissé une autorisation à cet égard. Je ferai tes commissions près de Desessart. Nous ignorons ici si les intentions pacifiques de notre empereur prevaudrons sur les intrigues de nos éternels ennemis, mais dans tous les cas nous sommes plus en état que jamais de les faire triompher par nos armes – les armées sont plus nombreuses, bien disposées et bien reposées, et pour ce qui regarde le corps d’armée que je commande, il est, comme tous les autres, animé… du meilleur esprit et en outre il y a 3 régiments de plus. Mille choses à ta bonne mère et à M[adam]e Friand. Tranquilise-la sur son mari qui, ne pouvant faire la guerre aux Russes, la fait au gibier du pays [le beau-frère de la maréchal Davout, le général Louis Friant, qui s’illustra à Eylau à la tête de l’avant-garde du 3e corps].
Pour toi, ma chère petite Aimée, reçois mille et mille baisers de ton amoureux et fidèl[e] sposo [fidèle époux, en italien] L. Davout ».


Seul maréchal d’empire demeuré invaincu, Louis-Nicolas Davout, duc d’Auerstaedt, participa aux campagnes d’Égypte (1798-1800), d’Italie (1800), d’Autriche (1805-1809), de Prusse (1806), de Pologne (1807), de Russie (1812, où il fut le seul à ramener les survivants e son corps d’armée en bon ordre). Il s’affirma constamment comme un stratège et tacticien hors pair, un meneur d’hommes, et remporta des batailles décisives, ce qui lui valut la dignité de maréchal en 1804, puis les titres de duc d’Auerstaedt en 1806 et de prince d’Eckmühl en 1809. Napoléon Ier eut également recours à lui pour diverses missions délicates comme l’occupation de la Pologne en 1807-1808 et celle d’une partie de l’Allemagne de 1809 à 1812, ou encore comme ministre de la Guerre chargé de reconstituer une armée sous les Cent-Jours. Il se montra toujours d’une rectitude morale exemplaire : ainsi, après la chute de l’Empire, il fut l’un des rares à témoigner en faveur du maréchal Ney, puis, après deux ans de disgrâce, usa de son crédit retrouvé pour faire réhabiliter des généraux des Cent-Jours en assumant personnellement leurs actions menées alors sous ses ordres.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette de Jouvenel » à sa « chère Sacha »
[Paris, 1923], 2 pp. in-4°
Papier à en-tête « 69, boulevard Suchet, Auteuil 06-27 »
Traces de pliures, infimes rousseurs

Colette annonce la sortie prochaine du Blé en herbe et regrette de ne plus disposer d’édition en grand papier pour sa correspondante   


« Ma chère Sacha,
Vous voilà donc atteinte d’une bibliophilie aigüe. Ce n’est pas moi qui la découragerai : je ne m’en défends que pour de sévères mesures préventives.
Je ne possède aucune Claudine à l’École sur grand papier ; pas même, je crois, une seule édition originale des “Claudine”. On m’a signalé une
1ère édition, mais sur papier ordinaire, rue de Châteaudun, et je n’ai pas couru le chercher. “Le Blé en herbe” va bientôt paraître, et je vous l’enverrai, mais je n’ai retenu, hélas, que deux « grands papiers », un pour Sidi[Henry de Jouvenel, son deuxième mari], un pour moi. Le reste appartient déjà à des amateurs, c’est-à-dire à vous. Croyez-moi toujours sympathiquement à vous
Colette de Jouvenel »

[elle rajoute en marge supérieure de la première page] « Je vous renvoie la liste des livres »


Claudine à l’école, roman semi-autobiographique, avait paru en 1900, d’abord sous la signature de Willy, puis attribué à Colette, son épouse d’alors. D’un style naturel alors nouveau pour l’époque, il suscita un véritable scandale.
Le Blé en herbe, paru en 1923, qui conte l’initiation sentimentale et sexuelle (par des routes différentes mais convergentes) de deux adolescents parisiens, a choqué lors de sa sortie par son anticonformisme.

A partir de novembre 1916, les Jouvenel s’installent dans un petit hôtel particulier, au 69 boulevard Suchet, dans le 16ème, à la limite d’Auteuil et du Bois de Boulogne. Après leur rupture et le départ d’Henry de Jouvenel, en 1923, Colette y vivra jusqu’en 1926

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à un ami
St Benoît-sur-Loire, Loiret, 23 fév[rier] 1926, 2 p. grand in-8°

Longue lettre inédite du poète – tout récemment revenu de son fameux voyage en Espagne – dans laquelle il se livre sans détour en tant que critique d’art


« Cher ami,
Je me demande si j’ai répondu à votre lettre du 30 janvier. En tout cas je vous dois des remerciements pour la rapidité avec laquelle vous avez aidé mon voyage en Espagne et la part que vous avez à mes joies. Je vous parlerai un jour de ce voyage. Sachez que j’y ai fait une conférence ! une conférence sur le sens des Évangiles, rien que ça ! oh ! ce n’était pas calotin du tout, ni scientifique, ni évangélique, c’était visuel[e]ment intéressant. Sachez aussi que j’ai vu en 8 jours assez de peinture pour en être rassasié. Mais je veux seulement répondre à votre lettre. L’église de ma gouache est celle de Landivisiau, près de Morlaix et mes costumes sont de ce pays aussi.
[Jules] Depaquit était un conteur inouï, un homme d’un esprit inventif et mordant bien qu’enfantin. Je sais qu’il a fait des tableaux, j’en ai peu vus ; les dessins sont des caricatures, plus fortes que celles qu’on voit généralement et d’une invention parfois exquise. Il y a de bons Depaquit. Je ne crois pas qu’il ait rien fait aux dettes de lui-même (ce qui est la marque des grands artistes). Il y a des amateurs, des collectionneurs de Depaquit : Je suis à mon aise pour dire que je ne serai pas de ceux-là ; il y a là trop de clarté, aucun mystère, aucune humanité vraie. Comparez avec [Honoré] Daumier ou même avec l’ancêtre direct : Caran d’Ache. Caran d’Ache allait plus loin à qui y pense ? Depaquit n’est d[an]s son dessin ni mordant, no mordu.
[Suzanne] Valadon est une grande artiste qui sent profondément et a une très grande science. Elle n’a pas la place qu’elle mérite. Voilà mon avis – mais n’attendez pas une force de verdict à mes modestes opinions.
J’ai vraiment un grand désir de vous voir et je me sens votre ami de tout cœur
MAX JACOB
Je vous signale un bourgeon bien intéressant : Mlle André Ruellan 50 rue Vercingétorix »


Max Jacob avait été invité à faire une conférence par la Société des conférences à Madrid et à intervenir à la Résidence des Etudiants à Madrid par José Bergamin. De nombreux communiqués seront édités sur ce séjour. En 1934, José Bergamin publiera dans sa revue Cruz y raya les deux conférences prononcées : « Le vrai sens de la religion catholique » et « Les dix plaies d’Egypte et la douleur ».
André Level contribua à financer ce voyage de 1926. Notre lettre, adressée à un ami, semble remercier son soutien – par l’achat d’une gouache (Eglise de Landivisiau), sans doute. Il s’agit d’une relation d’affaire de Jacob qui a sollicité des renseignements, en particulier sur Depaquit – ami de l’époque montmartroise de Jacob – et à qui l’auteur recommande Andrée Ruellan, peintre, compagne de Jean Aurenche à l’époque.

Le poète ne manque pas de saluer les œuvres de Suzanne Valadon, cette « grande artiste », jadis modèle pour entre autres Renoir, Toulouse-Lautrec, qui est devenue l’une des figures majeures du post-impressionnisme et de l’École de Paris.

MASARYK, Tomáš (1850-1937)

Lettre autographe signée [en tchèque] « Masaryk » à un militant politique
S.l, 21 décembre 1893, 2 p. 1/4 in-8° sur deux feuillets séparés
Fentes aux plis, petite tache en marge inférieure du deuxième feuillet, annotation typographique sur la quatrième page

Le fondateur de la République Tchécoslovaque livre un poignant témoignage lors de ses débuts politiques


Traduction du tchèque :

« Si tous les hommes de confiance ont la volonté d’emprunter la voie libre, aucun conflit n’interviendra. Je pourrais être invité à la réunion à laquelle assistera un membre du parti pour que l’on s’y mette d’accord sur une issue à cette situation embarrassante. […] Si le parti se retourne contre moi, il s’oppose aux hommes de confiance, comme au vote de confiance qui m’a été accordé. […]
Hier des étudiants m’ont prié de quitter l’université. […] J’aimerais donner une leçon à ce terrorisme. Face à note indifférence, il est difficile de décider de ce qu’il vaudrait mieux, et surtout, il est difficile de décider parce qu’on ne peut pas compter sur des attaques directes, mais sur la confusion et l’absence de loyauté…
Masaryk »


En cette fin d’année 1893, Tomas Garrigue Masaryk venait de renoncer à son mandat de Reichstag autrichien. Il y avait représenté, au sein du parti des jeunes Tchèques, l’aile modérée, plaidant pour une autonomie élargie des territoires satellites de l’empire des Habsbourg. Il en vient ici à quitter la scène politique face à la pression grandissante des radicaux. Il ne devait y revenir qu’en 1907 (après avoir fondé le Parti réaliste, en 1900).
Cette lettre témoigne de l’embarras causé par le départ de Masaryk à l’intérieur de son parti. Il a l’intention de faire taire les radicaux qui causent du tort à ceux qui avaient reçu, comme lui, la confiance du peuple.
Il devient le premier président de la République tchécoslovaque, de l’indépendance du pays en 1918 à sa démission en 1935.

[FLAUBERT] Paul NADAR (1856-1939)

Tirage postérieur représentant Flaubert en buste
[Paris, c. 1910], format cabinet, contrecollé sur carton fort au crédit du photographe
Parfait état de conservation hormis un très léger défaut sur la partie droite du portrait
Annotation à la plume au verso « Flaubert », d’une main inconnue
Cachet humide au verso « E. Hautecœur – 35 avenue de l’Opéra – Paris »

Très rare et mythique portrait de l’écrivain par Nadar, pendant les années de rédaction de L’Éducation sentimentale 


L’iconographie de Flaubert est pour le moins restreinte. On ne connaît que quatre portraits photographiques de l’écrivain :
-Deux clichés par Étienne Carjat en plans italiens, pris lors de deux séances différentes
-Un portrait de profil par Giacomo Borelli, sans doute pris lors de l’exposition universelle de 1867, que Flaubert a visitée
-Un portrait par Félix Nadar, de buste en trois quarts (celui ici présenté)

Paul Nadar, fils de Félix Nadar (1820-1910) avait commencé à collaborer avec son père dès 1886. Ce tirage postérieur reprend donc celui pris par Félix entre 1865 et 1869.

Les portraits photographiques de Flaubert sont d’une insigne rareté

Quand Flaubert meurt, le 8 mai 1880, on ne connaît pas son visage. C’est une exception dans un siècle où la figure de l’artiste s’est multipliée par la gravure et la photographie. L’absence d’image résulte de la volonté expresse de l’auteur : il a refusé, avec constance, de livrer sa tête au public.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Marie Scheikévitch
Cabourg, [5 septembre 1912], 3 p. 1/2 grand in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Petites marques de trombone, ancienne trace de montage sur onglet, sans atteinte au texte

La toute première lettre connue de Proust à Marie Scheikévitch
L’écrivain s’émeut de l’éloge fait par sa correspondante sur son article, tout récemment paru dans le Figaro : « L’Église de village », et dont certains fragments seront repris dans Combray, l’année suivante, à la publication du premier volume de La Recherche
Manifestement troublé, il termine sa missive en citant Verlaine et Baudelaire


« Madame,
J’ai reçu hier de l’écriture de Jean Cocteau, sous deux enveloppes similaires, deux brouillons de dépêches, adressées pareillement 112, boulevard Haussmann, et par symétrie sans doute (car il sait si bien que je demeure 102) ; l’une signée Jean était assez obscure ; l’autre était claire, chaleureuse, charmante, et je suis tout ému de prononcer pour la première fois votre prénom et votre nom, en disant qu’elle était signée « Marie Scheikévitch »(1).
Je suis si heureux de penser que cette page, cette description d’église à laquelle j’attachais plus d’importance depuis que je savais que vous la liriez(2), vous l’avez trouvée, comme vous disiez si bien, « organisée et dense ». Je ne savais pas si, dans les allées et venues de ce mois de septembre, vous auriez ce jour-là le Figaro et j’avais presque envie de vous l’envoyer avec ce vers de Verlaine :
Et qu’à vos yeux si beaux, l’humble présent soit doux(3).
Je pense aussi, par le soleil enfin revenu que je vois à sept heures du soir (ce qui est pour moi le levant) « rayonner sur la mer », aux vers de Baudelaire :
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre…
… mais aujourd’hui tout m’est amer(4),
Et rien,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Merci, Madame.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre ?…(5)
Heureusement que je n’ai pas de mémoire et que j’oublie extrêmement vite les êtres qui m’ont plu(6). Daignez agréer, Madame, mes bien respectueux hommages.
Marcel Proust »


1 – « Un jour que M. Jean Cocteau déjeunait chez Mme Scheikévitch, il avait lu ensemble, dans le Figaro du 3 septembre 1912, un charmant et brillant article de Marcel Proust, écrit à propos de La Grande Pitié des Églises de France, qui venait de paraître, intitulé L’Église de mon village [L’Église de village]. Ils avaient décidé d’en complimenter l’auteur, et ils avaient rédigé deux dépêches que M. Jean Cocteau s’était chargé de mettre à la poste, et, se souvenant que Proust était absent de Paris, il avait préféré lui envoyer sous enveloppe […] » Lettres, p. 127, note 1.

2 – Proust fait allusion, semble-t-il, aux deux entretiens qu’il eut avec Marie Scheikévitch à Cabourg, au cours desquels il a dû lui annoncer la prochaine apparition de son article dans le Figaro.

3 – Verlaine, Green (Romances sans paroles, Aquarelles), quatrième vers de la première strophe :
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit si doux

4 – Baudelaire, Chant d’automne, cinquième strophe. Proust n’ose ajouter, après le premier vers de la strophe, les mots qui suivent : Douce beauté. Il omet une partie du vers suivant :

[Et rien] ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre

5 – Verlaine, L’espoir luit comme un brin de paille (Sagesse, IIIe partie), dernier vers

6 – Proust prend ses précautions. Dans une lettre à Reynaldo Hahn, quinze jours plus tôt, il écrit : « J’ai eu une seconde entrevue avec Mme Scheikévitch. Et comme ici [Cabourg] je suis très dépourvu, la moindre femme agréable me trouble un peu et je lui manifeste malgré moi une sorte de sympathie que je ne soutiens pas ensuite ».

Une intime de Proust ayant joué de ses relations pour la parution du premier volume de La Recherche :
Marie Scheikevitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, d’Anna de Noailles, de Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, entre autres.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’il se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’ensuivit une correspondance qui dura jusqu’en 1922, année de la mort de l’écrivain. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connait que 28 lettres de Proust à elle adressées.
Elle lui ouvrit les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépensera beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle jugeait les plus capables de l’aider. Ce fut elle qui le recommanda à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann : C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

BORGES, Jorge Luis (1899-1986)

Carte-lettre autographe signée de ses initiales à Ricardo Güiraldes
[Buenos Aires, 7 décembre 1926], 1 p. petit in-8°
Adresse autographe (de la main de Borges) et compostage au verso :
Sr don Ricardo Güiraldes – La Porteńa – San Antonio de Areco [la grande propriété rurale des Güiraldes]
Rousseurs et petites taches

Güiraldes reçoit de Borges une affectueuse épître pour la récente parution de son roman devenu culte : Don Segundo Sombra


Traduction de l’espagnol

« Avec déjà un pied sur l’étrier et littéralement sur le point de me perdre dans la pampa, puisque je pars à Vértiz (F.C.S. au cas où) ce soir, je vous informe à la hâte que [Ricardo] Sáenz Hayes doit déjà être en train de se vanter de la capture prochaine du père ou du témoin de Don Segundo. J’ai déjà informé S[áenz] H[ayes] de votre résignation et de vos remerciements… »

Texte original

«Ya con un pie en el estribo en literales vísperas de empamparme, porque me voy a Vértiz (F.C.S. por si acaso) esta noche, le garabateo rápidamente que ya Sáenz Hayes estará ufanándose de la pronta captura del padre o testigo de Don Segundo. Ya le avisé à S.H. su resignación y agradecimiento…»


Témoignage d’affection entre deux des plus grandes figures littéraires argentines du 20e siècle, Borges dira plus tard avoir toutefois préféré l’amitié qui le liait à Güiraldes plutôt que ses écrits. Dans une interview accordée à Osvaldo Ferrari, Borges revient sur Don Segundo Sombra, qui le rappelait à la « visible bonté » de son ami, mais aussi la pampa, les gauchos, thèmes auquels Borges est resté très attaché toute sa vie durant.

Ricardo Güiraldes (1883-1927) était issu d’une riche famille aristocratique de Buenos Aires. Il voyagea dans le monde entier, s’imprégna de littérature française moderne et fut l’une des figures de l’avant-gardisme argentin. Il est resté connu pour son roman Don Segundo Sombra, dont il commença la rédaction à Paris ; cette œuvre, qui dépeint la vie d’un gaucho, est l’une des œuvres-maîtresses du criollisme, mouvement littéraire régionaliste exaltant le particularisme ethnique et géographique hispano-américain.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Télégramme à Marie Scheikévitch
[Le vendredi 21 septembre 1917], 1 p. in-8° oblongue
Télégramme à l’adresse : « Madame Scheckevvitch [sic] Trianon Palace Versailles », cachet postal « Versailles 21-9 17 »
Légère déchirure marginale (sans atteinte au texte), petites rectifications autographes

Beau télégramme dans lequel Proust répond à une invitation à se rendre au Trianon Palace de Versailles – Il termine son message en citant Agrippa d’Aubigné et Verlaine


« Madame,
Venir samedi est pour moi une joie mais pas une certitude [.] Ma santé si détestable en ce moment me prive souvent à la dernière heure des plaisirs les plus désirés. [.] Je compte bien venir [.] N’osant me citer moi-même je cite Aubigné et Verlaine
Une rose d’automne est plus qu’une autre exquise(1)
Ah ! Quand refleuriront les roses de septembre
(2)
Respectueusement
Marcel Proust »


Proust s’est-il rendu à l’invitation de Marie Scheikévitch ?
Marie Scheikévitch, comme le rapporte Philip Kolb, se serait basée sur ce télégramme pour situer au mois de septembre 1917 une visite que Proust lui fît au Trianon Palace à Versailles. Elle l’évoque ainsi : « Je le revois, en ce soir de septembre arrivant au Trianon-Palace, dans l’automobile di général Zankévitch […] » (Souvenirs d’un temps disparu, Plon, p. 156).
Il semble toutefois que Proust n’ait pas pu se rendre à Versailles à ce moment-là. En effet, rien n’indique, dans ses lettres de la fin du mois de septembre, que Proust se soit effectivement rendu à l’invitation. Au surplus, il propose à Montesquiou de venir se promener avec lui « à la campagne, que je n’ai pas vue depuis tant d’années […] » (lettre du 10 octobre suivant).
Du reste, le général Zankévitch amena Proust à Versailles dans son automobile au mois d’avril 1918 (lettre inédite à Guiche).

1- Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, livre IV, Les Feux, vers 1233
2- Paul Verlaine, Sagesse, IIIe partie, III, dernier vers du sonnet

Marie Scheikevitch (1882-1964) est la fille d’un riche magistrat russe et collectionneur d’art installé en France en 1896. George D. Painter la dépeint comme « une des maîtresses de maison les plus intelligentes et les plus en vue de la nouvelle génération ». Protectrice d’artistes et d’écrivains, elle fréquente les salons puis fonde le sien. Elle est l’amie de Jean Cocteau, d’Anna de Noailles, de Reynaldo Hahn, de la famille Arman de Caillavet, entre autres.
Un sentiment d’une qualité toute singulière unissait Marcel Proust à Marie Scheikévitch. Bien qu’il se soient croisés brièvement en 1905 dans le salon de Mme Lemaire, c’est en 1912 qu’ils font réellement connaissance. Il s’ensuivit une correspondance qui dura jusqu’en 1922, année de la mort de l’écrivain. Se voyant « presque tous les jours » comme elle le dira plus tard (les amis s’écrivant d’autant moins qu’ils se voient davantage), on ne connait que 28 lettres et un télégramme de Proust à elle adressés.
Elle lui ouvrit les portes de son salon, fréquenté par tout ce que Paris comptait d’illustres personnalités dans les lettres et les arts, si bien qu’il lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite femme charmante, d’un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu’un seul des deux eût réussi à plaire ».
Fervente admiratrice de l’écrivain, elle se dépensera beaucoup au moment de la publication du premier volume de La Recherche, s’ingéniant à mettre Proust en relation avec les personnalités parisiennes qu’elle jugeait les plus capables de l’aider. Ce fut elle qui le recommanda à son amant Adrien Hébrard, l’influent directeur du journal Le Temps, pour lui obtenir la fameuse interview du 12 novembre 1913 par Élie-Joseph Bois, à la veille de la publication de Swann : C’est le premier article d’envergure publié dans la grande presse et consacré à La Recherche. Pour l’en remercier, Proust lui adressera une dédicace capitale (récemment acquis par la BnF) lors de la publication de Swann.

Les télégrammes de Proust sont peu communs

BELLMER, Hans (1902-1945)

Lettre autographe signée « HB » à Joë Bousquet
Revel, mardi 11 sept[embre] 1945, 1 p. in-4° sur papier rose

Bellmer s’émeut de retrouver sa Poupée, six ans après avoir été séparée d’elle pendant la Seconde Guerre mondiale
Il évoque en outre la préparation de son livre sur l’Anatomie et s’enthousiasme du projet en commun avec le poète sur une version amplifiée de la « justification de la sodomie »


« Mon très cher ami !
Dès le moment où je vous ai quitté, l’autre jour, avant la fin de ma lettre précédente, ma vie a été sans dessus dessous : pensez ce que c’est d’être, de nouveau après six ans de séparation, parmi mes affaires : photos en couleurs immenses, livres qui me sont chers, notes, dessins, tableaux, objets, la Poupée, vêtements d’elle et d’autres, lettres, souvenirs, choses impondérables et émouvantes.
J’ai dû passer trois jours à Castres. Et, avec tout cela, je suis accroché avec obstination au texte de L’Anatomie, pour que cela se termine finalement. Mais quelle difficulté, mon français raide et artificiel. Tant pis, faisons une vertu de cette faiblesse, me dis-je pour ne pas désespérer.

Quand j’ai reçu et lu votre texte exquis qui inaugure la Justification de la Sodomie, j’avais de quoi nourrir mon désespoir individuel : oui, c’est comme cela qu’il faut que la pensée se pense et le mot s’écrive, aisément. (Moi j’écris comme une poupée articulée).
C’est un grand enthousiasme et je suis heureux que vous voulez me confier la publication de la “Justification” amplifiée. Ce sera un document de premier ordre et d’une portée encore mal calculable. J’aimerais vous dire : négligez tout le reste en faveur de cet ouvrage-confession-expérimentale. La poésie est un fait.
Aujourd’hui je ne vous parlerai pas en détail de vos pages. (La question “musculature et vision” est d’une importance première et sera à contrôler très froidement).

Je tâcherai de trouver un moyen (portrait) de continuer à vous voir à Carcassonne. Un de vos collègues d’école, homme d’affaires exubérant, Mr [Marcel-Yves] Toulzet, m’a demandé assez sympathiquement, de faire le portrait de sa femme et de sa fille. – Voilà donc de nouveau un début à Carcassonne !
Ce mot est trop court ! Il faut que je me mette au labeur !
Affectueusement votre
HB »


Le destin de Bellmer durant la Seconde Guerre mondiale fut pour le moins singulier. Résidant à Paris depuis 1938, il est arrêté en tant que ressortissant allemand et donc suspect aux yeux des autorités. Emprisonné au camp des Milles près d’Aix-en-Provence aux côtés de Max Ernst, il parvient ensuite à se réfugier dans la clandestinité. L’artiste avait créé sa Poupée en 1934, et c’est donc non sans émotion qu’il exprime ici ses retrouvailles avec son œuvre restée la plus célèbre. Il évoque en outre à Bousquet son désir de continuer son projet illustré sur L’Anatomie, qui plus tard deviendra son célèbre ouvrage illustré Anatomie de l’image, paru en 1957.

Bellmer et Bousquet se connaissent depuis peu mais la compréhension mutuelle entre les deux surréalistes est déjà à son apogée. L’artiste approuve ici sans réserve le texte du poète sur sa « justification de la sodomie », conséquence sans doute pathétique mais bien réelle qu’eut la blessure sur la sexualité de Joë Bousquet, grabataire depuis la Grande Guerre. Il ne cache d’ailleurs pas son enthousiasme de se voir proposer par le poète un projet en commun sur la « justification amplifiée » du texte, qui ne verra cependant pas le jour.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « R. Char » à Marianne Oswald
S.l.n.d, 2 p. in-8° oblongue

René Char refuse ostensiblement de se montrer à la télévision sous quelque forme que ce soit, mais encourage néanmoins son amie Marianne Oswald à y réciter ses poèmes


« Chère Marianne,
Je suis sensible – crois-le – à ta pensée que je viens de lire dans ta lettre cueillie au passage, mais, hélas !, la perspective d’un film m’est si odieuse (même avec toi) que j’ai juré mes grands dieux de ne pas m’y prêter jamais. Tu ne te vexeras pas, je sais, de ma réserve – à mon égard – Tu las comprendras, mon amie. Lis mes poèmes, ils sont écrits pour cela, mais ne me demande pas de me montrer, ni d’étaler mon existence poétique… sur un écran de télévision. Impossible réellement !
Je t’embrasse très amicalement
René Char
P.S. Je t’ai appelé au téléphone à l’hôtel St Martin à l’Isle, lundi matin, mais tu n’y étais plus. »


Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, est une remarquable diseuse. Elle participe à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « R. Char » à Marianne Oswald
S.l.n.d [1957], 1 p. in-8° oblongue

Le poète laisse champ libre à son amie Marianne Oswald pour réciter ses poèmes choisis à paraître chez Gallimard


« Chère Marianne,
Je m’excuse de ne pas t’avoir écrit plus tôt mais j’ai été et suis encore réellement mal fichu. Je t’appellerai au téléphone ou t’enverrai un message ces jours-ci, dès que je serai moins podagre. Cela m’embête que tu puisses être retardée par moi.
Je te fais confiance, tu le sais
René Char
P.S. Un choix de mes poèmes va sortir chez Gallimard à la fin du mois. Tu pourras puiser dedans facilement.
Je me réjouis de ton bon travail au cinéma. »


Char fait ici référence à son ouvrage Poèmes et prose choisis, paru chez Gallimard en 1957.

Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, est une remarquable diseuse. Elle participe à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

STALINE, Joseph (1878-1953)

Lettre autographe signée « J. Staline » à Marietta Sergeevna Shaginyan
S.l, 20 mai 1931, 1 p. in-folio à l’encre rouge, en russe

Très rare lettre du tyran russe, en tant que Secrétaire Général du Parti Communiste, venant en aide à l’activiste communiste Shaginyan


Traduction du russe :

« Chère camarade Chaguinian !
Je dois m’excuser auprès de vous de ce que je n’ai pas la possibilité, à l’heure actuelle, de lire votre œuvre, ni même de lui donner une préface. Il y a trois mois j’aurais encore pu satisfaire votre demande (je l’aurais fait avec plaisir), mais maintenant – croyez-moi – je suis privé de la possibilité de la satisfaire en raison d’une surcharge quotidienne de travail pratique qui dépasse les prévisions.
En ce qui concerne l’accélération de la sortie de « Hydrocentale » et votre protection contre les attaques hors de mesure d’une critique “critique” – alors je le ferai sans faute. Dites-moi seulement concrètement sur qui je dois faire pression pour que l’affaire bouge de son point mort.
J. Staline. 20/V/31 »

Texte original :

“Уваж. тов. Шагинян !
Должен извиниться перед Вами, что в настоящее время не имею возможности прочесть Ваш труд и дать предисловие. Месяца три назад я еще смог бы исполнить Вашу просьбу (исполнил бы ее с удовольствием), но теперь – поверьте – лишен возможности исполнить ее ввиду сверхсметной перегруженности текущей практической работой. Что касается того, чтобы ускорить выход « Гидроцентрали » в свет и оградить Вас от наскоков со стороны не в меру « критической » критики, – то это я сделаю обязательно. Вы только скажите конкретно, на кого я должен нажать, чтобы дело сдвинулось с мертвой точки.
И. Сталин 20/V/31”


Au début de l’industrialisation massive de la Russie, Staline écrit à l’auteur de propagande Marietta Shaginyan : il lui propose d’assurer la sortie de son livre et de supprimer toute réaction hostile à celui-ci ! Cette lettre autographe signée, d’une insigne rareté, est un nouveau témoignage de la toute-puissance du tyran soviétique.

Le regard ouest occidental, sans doute biaisé par la contribution soviétique à la victoire des Alliés en 1945, a sans doute minimisé l’effroyable dictature que fit subir Staline à la Russie et au bloc soviétique. Rappelons donc le parcours de Iossif Vissarionovitch Djougachvili, plus connu sous le vocable de Joseph Staline. D’insurgé bolchevik anonyme de la Révolution d’octobre, Staline est devenu en quelques années le dirigeant despote de l’URSS. Instaurant un régime de terreur et la dictature personnelle la plus aboutie de l’ère moderne, il est considéré par les historiens comme le plus grand criminel de masses de tous les temps, responsable à des degrés divers de la déportation et de la mort de près de vingt millions d’âmes.

Pour se hisser à la tête de cet Empire, Staline fit montre d’un sens politique exceptionnel : intriguant, manœuvrant, et s’appuyant sur la bureaucratie toute puissante du Parti et de son appareil policier. Installé au sommet de l’État, il instaure un climat de terreur sans précédent, supprimant tout opposant, truquant les procès, recourant de façon incessante à la propagande et encourageant un délire de dénonciations en tout genre.

En 1931, année où cette lettre fut rédigée, Staline vient de commencer ce qu’il appela la « collectivisation » des terres, plans quinquennaux abolissant en réalité la propriété privée et affamant son peuple. Les révoltes paysannes qui suivirent seront noyées dans le sang.

C’est précisément le sujet du roman Hydrocentral dont il est question dans cette lettre. Marietta Sergeevna Shaginyan (1888-1982), la destinataire de cette missive, fut écrivain et militante soviétique d’origine arménienne. Elle fut l’un des «Compagnons de voyage» des années 1920 dirigés par les Frères Sérapion et devint l’un des écrivains communistes les plus prolifiques de l’époque, expérimentant la fiction satirico-fantastique. Le contenu d’Hydrocentral était justement lié aux objectifs économiques et politiques de Staline à l’époque. Marietta Shaginyan fut l’un des auteurs soviétiques les plus intéressants pour le système stalinien : elle était lue et adhérait à la ligne du parti communiste.

Derrière les mots, et au-delà de leur sens premier, plusieurs idées apparaissent, et en filigrane, la personnalité de leur auteur, le tout puissant Staline :

« Dites-moi seulement concrètement sur qui je dois faire pression »

Ce qui apparait très nettement en effet dans cette lettre c’est l’œuvre de propagande menée par Staline pour servir sa personne et son régime. En offrant son soutien à un message officiel, et en proposant, comme on peut le lire la suppression de toute personne opposée et de toute voix dissidente : «En ce qui concerne l’accélération de la sortie de « Hydrocentale » et votre protection contre les attaques hors de mesure d’une critique “critique” – alors je le ferai sans faute ». La « critique critique » ne doit pas exister en URSS ! Cette lettre illustre parfaitement l’organisation mise en place et contrôlée par Staline pour la suppression des libertés fondamentales en Russie, et de la liberté d’expression en tout premier lieu.

Plus terrifiant encore à noter : le trait de caractère de J. Staline sous-jacent à cette lettre : son souci absolu et constant de TOUT contrôler, sa mainmise sur les moindres détails. Considérons qu’il est alors l’un des homme les plus influents du globe. Malgré tout il pratique l’intervention directe, dans une affaire d’un degré d’importance apparemment faible, prenant la plume pour répondre personnellement à la sollicitation d’un auteur de roman, et lui proposer directement ses services. « Je dois m’excuser auprès de vous de ce que je n’ai pas la possibilité, à l’heure actuelle, de lire votre œuvre, ni même de lui donner une préface ».

Ses biographes, et notamment Montefiore, ont beaucoup insisté sur ce comportement et cette façon de diriger. Doté d’un cerveau prodigieux, capable d’abattre deux dizaines d’heures de travail par jour, le Petit Père des Peuples voulait instaurer une proximité avec chaque écrivain, chaque général, chaque directeur d’usine… tout ceci dans un seul but : conserver son influence, contrôler, et maintenir une infernale pression de dissuasion sur tout opposant potentiel. C’est également de ce travail quotidien impressionnant dont il est question dans ce courrier. « Je suis privé de la possibilité de [vous] satisfaire en raison d’une surcharge quotidienne de travail pratique qui dépasse les prévisions » s’excuse Staline.

Son implication dans les publications littéraires en dit long également sur le système soviétique. Le travestissement de la vérité en un message officiel répond véritablement à une volonté de lavage de cerveaux. Pour reprendre les mots d’Andreï Jdanov « Les écrivains doivent devenir des ingénieurs des âmes. »

Paranoïaque, en quête d’une emprise absolue, Staline parvint à tout maîtriser. Averti de toutes les tentatives qui pouvaient se préparer contre lui dès l’instant où celles-ci commençaient à s’organiser, Staline avait compris, avant Adolf Hitler, la nécessité d’une police d’état – la Guépéou – lui permettant de contrôler collaborateurs et dirigeants. Hitler copia Staline et la Gestapo s’inspira très étroitement de la Guépéou.

Les lettres de Joseph Staline sont d’une insigne rareté.
Celles rédigées à l’encre, tel que c’est la cas ici, le sont encore davantage, puisqu’à compter de 1933, Staline n’écrira plus qu’au crayon. Nous sommes ainsi en présence de l’une des dernières lettres écrites à l’encre.

En effet, ainsi que l’explique Yves Cohen dans son article Des lettres comme action : Staline au début des années 1930, paru en 1997 dans Les Cahiers du Monde Russe, une rupture manifeste s’opère dans l’écriture de Staline entre les années 1931/1932 et 1933. Avant ce basculement, les lettres de Staline sont écrites à l’encre (diversement verte, noire ou violette) et d’une graphie cohérente et serrée. Après cela, Staline rédige ses missives au crayon, systématiquement, donnant une impression d’écriture grasse, et n’écrivant parfois plus qu’un seul mot par ligne. Ce changement d’écriture étant l’incontestable signe d’un basculement mental dans l’esprit du tyran soviétique.

Le suicide de son épouse Nadejda Allilouieva, au Kremlin, le 8 novembre 1932, poussa encore Staline à d’infinis et constants délires paranoïaques.

STENDHAL, Henri Beyle, dit (1783-1842)

Lettre autographe signée de son pseudonyme « D’Arlimpe » à sa sœur, Pauline Périer-Lagrange
Paris, 10 décembre [1810], 3 p. 1/2 in-4°
Traces de pliures d’époque, petit trou de papier provoqué par le décachetage (fragment conservé, voir photos), quelques légères rousseurs.

Longue et superbe lettre de Stendhal à sa sœur et confidente Pauline Périer-Lagrange
D’un rythme haletant et mêlant le français à l’anglais, l’écrivain lui raconte ses dernières soirées passées à tenter d’attirer en vain l’attention de Victorine Mounier, dont il est tombé éperdument amoureux


« Je parie que d’après toutes mes lettres sur la b[aronnie] tu me crois devenu un vilain ambitieux aux joues caves et ridées, à l’œil envieux, etc… Pas du tout. Je suis plus joufflu que jamais, et j’ai fait avant-hier un trait de jeune homme sensible que je veux te conter pour me relever dans ton esprit. Donc, je dînais chez M. le Comte de Jaubert. Je trouvai à côté de moi M. Amdée P[astoret]. C’est un de mes collègues. Je me livrai donc sur le champs aux douceurs d’une reconnaissance, et nous parlâmes Gr[renoble] tout le temps du dîner. Je trouvais ce dîner long, parce que j’avais trois soirées: deux de plaisir et une de devoir. Quand M. A[médée] eut bien parlé de Gr[enoble], il me parla de la manière dont il était revenu, et me dit qu’il avait fait la route très lentement, parce qu’il était avec sa mère and the miss(1)…, qui lui avaient même fait les plus grands éloges de Thuellin(2) et de la maîtresse de maison. At the name of this once so beloved girl, all my sentiment were awackened(3) . J’eus donc l’adresse d’apprendre from him that this very evening(4), il allait avec this miss to a box(5) qu’il avait loué aux Variétés, pour voir la Chatte merveilleuse qui fait courir tout Paris(6). Je n’eus rien de plus pressé que de courir moi-même me débarrasser mon costume et gagner, aussi vite que mon cheval pouvait aller, le théâtre où j’espérais la voir. J’arrive: plus de billets, excepté de quatrième galerie (ce sont des espèces de sixièmes loges où se trouvent messieurs les laquais). J’y grimpe, et, à l’aide d’une lorgnette, je découvre the brother(7) au fond d’une loge, sur le devant de laquelle étaient six femmes. Je ne puis jamais l’apercevoir distinctement. Tantôt, à un geste aimable, je croyais que c’était une femme en spencer noir ; un instant après, un chapeau bleu me semblait être elle. Je m’éborgne complètement. Je parviens à coups de poings à sortir de ce gouffre élevé et je descends aux premières, en séduisant successivement trois ouvreuses de loges. Aux premières, on m’offre une place à vingt pas d’elle. Je n’osais jamais la prendre. J’espère que voilà la timidité du sentiment véritable. Elle ne m’a pas vu depuis quatre ans, elle ne m’a, je crois, jamais vu en grand deuil; mais raison me disait tout cela, mais comme la raison n’est pas ce qui règle l’amour, je refusais la place des premières. Elle était unique. Je fus obligé de remonter aux secondes, d’où je la lorgnais à perdre les yeux, à travers le vasistas d’une loge. Impossible; je ne pus jamais la reconnaître. Je n’abandonnais cependant la place que lorsqu’elle sortit. Je courus tout triste à une de mes soirées et ai été obligé de faire mensonge sur mensonge pour m’excuser aux deux autres. Toutes mes courses au théâtre sont d’autant plus méritoires qu’il était horriblement rempli et que toutes les ouvreuses, inspecteurs, etc…, avaient redoublé de sévérité. Car le gros rat et les deux souris de Cendrillon, changés en un cocher et deux petits laquais gris souris, font pâmer tout Paris et, réellement, c’est une bêtise charmante. C’est aussi ce que je pense de ma soirée. Je veux cependant la voir.
Pour peu que ma vie actuelle dure et que tu ne viennes pas à Paris, je crois que mon cœur s’ossifiera tout à fait. Je suis comme ce célibataire qu’on pressait de se marier; je n’aime point ou presque point et ne suis point aimé. Et dans cette société, on n’est ridicule, quand on a quelque usage, que par l’expression d’un sentiment dont vous ne pouvez vous défendre. On prend l’habitude d’afficher la dureté pour échapper au ridicule du tendre. Adieu, écris-moi donc sur ton voyage qui n’est, je l’espère, que différé, et pousse ferme le maj[orat]. C’est fort essentiel, parce que nous sommes trop nombreux, qu’il faut qu’il y ait un triage et que les titres se feront.
D’Arlimpe
Mille amitiés à Périer, et à Mme Tivollier mes respects. Presse l’envoi du linge, des serviettes. Je vis d’emprunts en attendant.
Dis moi if she is pretty; she is said not pretty(8), mais je ne puis croire que les sentiments que je lui ai connus ne soient pas exprimés par quelque trait, et c’est une beauté pour qui sait la voir »


Les années 1810-1811 marquent pour Stendhal le symbole de son ascension sociale. À l’automne 1810, il est nommé Inspecteur du Mobilier et des bâtiments de la Couronne. Il fréquente alors des personnages puissants et vit notamment dans l’intimité de la famille du comte Daru. Il s’est acheté un cabriolet à la mode, des cachets à ses initiales, loue un appartement plus conforme à son nouveau statut. Sa situation sociale met fin à ses soucis financiers et lui fait espérer la baronnie (dont il est question au début de la lettre), mais le laisse insatisfait. En mal d’amour, il dit : « Ce bonheur d’habit et d’argent ne me suffit pas, il me faut aimer et être aimé ».

« Elle ne m’a pas vu depuis quatre ans »
Ses sentiments exprimés ici pour Victorine Mounier ne sont en effet pas récents. Ce sont des retrouvailles : il fait sa connaissance, dès 1806, à Grenoble, quand son ami Édouard Mounier lui présente à sa sœur. La connaissant peu, il lui imagine mille qualités et rêve de mariage. Elle demeure toutefois un amour « désincarné ». Il écrit d’abord à son frère, dans l’espoir qu’il fera lire les lettres à sa sœur puis à Victorine elle-même, sans recevoir de réponse. Il apprendra, avec dépit, le mariage de Victorine en 1811.

Sœur préférée d’Henri Beyle, Pauline (1786-1857) fut sa confidente et son alliée dans les dissensions familiales.


1- Allusion à Victorine Mounier

2- Cette ancienne maison forte, du milieu du XVème siècle, a été sans cesse agrandie au fil du temps. Le château fût rendu célèbre pour avoir appartenu à Mme Beyle, soeur de Stendhal, entre 1807 et 1816. L’auteur y séjourna régulièrement.

3- “Au nom de cette fille jadis tant aimée, tous mes sentiments de réveillèrent”

4- “D’apprendre de lui que le même soir”

5- “Cette demoiselle dans une loge”

6- La Chatte Merveilleuse ou La Petite Cendrillon est une folie en un acte de MM. Marc-Antoine Désaugiers et Gentil, jouée pour la première fois le 12 novembre 1810 au Théâtre des Variétés. La pièce, décalque du conte de Perrault, fit courir le tout Paris à telle point que le théâtre fit salle comble chaque soir.

7- “Le frère”

8- “Dis-moi si elle est jolie; on dit qu’elle n’est pas jolie”

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Ton G. » à Louise Colet
[Croisset] Samedi soir [26 juin 1852.], 4 pp. in-4°, enveloppe autographe jointe avec cachets postaux et sceau de cire rouge
Traces de pliures, petite trace de rouille sur la page 4, infime manque en marge supérieure du deuxième feuillet

Longue et remarquable lettre sur la vie à Paris, Alfred de Musset, la poésie et la prose, et sur l’avancement laborieux de Madame Bovary


« Je viens d’écrire trois lettres, une à Trouville, à un capitaine, pour avoir 60 litres de rhum anglais, une à Henriette Collier pour qu’elle te ou me renvoie ton album et une au sieur [Maxime] Du Camp. Il y a, je crois, revirement. À propos de l’Ulysse de Ponsard il m’a écrit de but en blanc et il recommence a déplorer amèrement, c’est le mot, que je ne sois pas à Paris où ma place était entre Ponsard et Vacquerie. Il n’y a qu’à Paris qu’on vit, etc. , etc. Je mène une vie neutralisante. Je lui ai répondu strictement et serré sur ce chapitre. Je crois qu’il n’y reviendra plus et qu’il ne montrera ma lettre à personne. Je m’y suis tenu dans le sujet, mais je l’emplis. Ma lettre a quatre pages ; en voici un paragraphe que je copie et qui te donnera une idée du ton : “C’est là qu’est le souffle de la vie, me dis-tu. Je trouve qu’il sent l’odeur des dents gâtées, ton souffle de vie. Il s’exhale pour moi, de ce Parnasse où tu m’invites, plus de miasmes à faire vomir que de vertiges. Les lauriers qu’on s’y arrache sont un peu couverts de merde, convenons-en.
Et à ce propos, je suis fâché de voir un homme d’esprit renchérir sur la marquise D’Escarbagnas, laquelle croyait que “hors Paris, il n’y avait point de salut pour les honnêtes gens”. Ce jugement me paraît être lui-même provincial, c’est-à-dire borné. L’humanité est partout, mon cher monsieur, mais la blague plus à Paris qu’ailleurs, j’en conviens”, etc.
Ton long récit de la visite de Musset m’a fait une étrange impression. En somme, c’est un malheureux garçon. On ne vit pas sans religion. C es gens-là n’en ont aucune, pas de boussole, pas de but. On flotte au jour le jour, tiraillé par toutes les passions et les vanités de la rue. Je trouve l’origine de cette décadence dans la manie commune qu’il avait de prendre le sentiment pour la poésie.
Le mélodrame est bon où Margot a pleuré.
ce qui est un très joli vers en soi, mais d’une poétique commode. “Il suffit de souffrir pour chanter “, etc. Voilà des axiomes de cette école ; cela vous mène à tout comme morale et à rien comme produit artistique. Musset aura été un charmant jeune homme et puis un vieillard ; mais rien de planté, de rassis, de carré, de serein dans son talent ni sa personne (comme existence j’entends). C’est que, hélas ! Le vice n’est pas plus fécondant que la vertu. Il ne faut être ni l’un ni l’autre, ni vicieux, ni vertueux, mais au-dessus de tout cela. Ce que j’ai trouvé de plus sot et que l’ivresse même n’excuse pas, c’est la fureur à propos de la croix. C’est de la stupidité lyrique en action, et puis c’est tellement voulu et si peu senti. Je crois bien qu’il a peu écouté Melaenis. Ne vois-tu donc pas qu’il a été jaloux de cet étranger (Bouilhet) que tu te mettais à lui vanter après l’avoir repoussé (lui, Musset) ? Il a saisi le premier prétexte pour rompre là les chiens.
Il eût été plus fort de ta part de souscrire à sa condition et puis, le soir de la lecture, de lui répondre par ses maximes “qu’il faut qu’une femme mente”, et de lui dire “mon cher monsieur, allez à d’autres, je vous ai joué”. S’il a envie de toi il lira ton poème ; mais c’est un pauvre homme pour taire l’aveu que les petits journaux l’empêchent de tenir sa parole. Sa lettre d’excuse achève tout, car il ne promet encore rien ; ce n’est pas franc. Ah mon Dieu ! mon Dieu ! quel monde !
Voilà plusieurs fois que je t’écris et que je ne pense pas à te parler de l’article de Melaenis. Si tu crois que Monsieur Nefzer fera l’article, ça vaudrait mieux. Tâche de le savoir. Si non, nous rarrangerons un peu le tien et le reverrons.
Je n’aime pas tes corrections aux Résidences royales (nous verrons cela plus tard), ni ton sonnet. Tu mériterais bien que je te tirasse (excusez le subjonctif) les oreilles pour ton réintroniser, expression de droit canonique que tu me fourres là ! Tu emploies quelquefois ainsi des mots qui me mettent en rage. Et puis le milieu du sonnet n’est pas plein. Il faut que tous les vers soient tendus dans un sonnet, et venant d’une seule haleine. La pièce de Bouilhet sur Pradier avait, dimanche dernier, 12 vers de faits. Il a dû supprimer le commencement qui était mauvais. Il m’apportera, j’espère, demain la chose finie.
Je suis harassé. J’ai depuis ce matin un pincement à l’occiput et la tête lourde comme si je portais dedans un quintal de plomb. Bovary m’assomme. J’ai écrit de toute ma semaine trois pages, et encore dont je ne suis pas enchanté. Ce qui est atroce de difficulté c’est l’enchaînement des idées et qu’elles dérivent bien naturellement les unes des autres.
Tu me parais, toi, dans une veine excellente ; mais médite davantage. Tu te fies trop à l’inspiration et vas trop vite. Ce qui fait, moi, que je suis si long, c’est que je ne peux penser le style que la plume à la main et je patauge dans un gâchis continuel que je déblaye à mesure qu’il s’augmente. Mais pour des vers c’est plus net, la forme est toute voulue. La bonne prose pourtant doit être aussi précise que le vers, et sonore comme lui.
Je lis dans ce moment une charmante et fort belle chose, à savoir Les États de la Lune, de Cyrano De Bergerac. C’est énorme de fantaisie et souvent de style.
Peux-tu me dire l’époque à peu près précise de la lecture de ton prix ? Je pense avoir fini ma première partie à la fin du mois prochain. Nous irons à Trouville 15 jours au mois d’août. Si mon voyage à Paris se trouvait entre ces deux époques, ça m’arrangerait.
Adieu, chère femme bien-aimée, je t’embrasse sur le coeur. À toi, à toi. Ton G.
Sais-tu que ton récit de la visite de Musset est crânement bien écrit, sans que tu t’en sois doutée peut-être ; ça empoigne. »


Flaubert commence par désapprouver le crédit que l’on donne à la vie parisienne, clamant son goût pour l’isolement, lui, qui aime à se donner l’ethos d’un martyr de l’art voué à vivre loin du tumulte centralisé. Incitant Colet à le rejoindre en province, il lui écrit dans sa lettre du 14 août 1853 : « Aimons-nous en l’Art ! » Peut-être pouvons-nous ici lire la quête perpétuelle de perfection de l’écrivain. Et peut-être pouvons-nous anticiper la suite de la lettre, dans laquelle, d’une part, il critique sévèrement la poésie de son amante, de facture romantique, et, d’autre part, évoque son propre acharnement : « J’ai écrit toute ma semaine trois pages, et encore dont je ne suis pas enchanté. » Nous y reviendrons.

Quoique renonçant à la conception contemporaine de la famille et « pas fait pour le bonheur, ni peut-être pour l’amour » (lettre à Louise Colet du 2 décembre 1846), il entretient avec Louise Colet (1810-1876), poétesse et romancière, une liaison passionnée à partir de 1846. Muse et maîtresse, certes, Colet est également sa correspondante épistolaire privilégiée. Ce lien n’avait pourtant rien d’évident de prime abord : la poétesse charismatique inspire ce que Flaubert désapprouve : l’entre-soi du petit milieu littéraire, avec ses tourments et manigances.

A partir de 1849, les ruptures se succèdent, jusqu’à la dernière, en 1855. S’ensuit une double vengeance : Colet raille publiquement Flaubert dans Lui (1858), pointant son « monstrueux orgueil », tandis que Flaubert s’emploie à dénigrer l’œuvre de son ancienne maîtresse, ses propos ne sortent toutefois pas de son cercle privé. Cela ne reste pas sans conséquences. En effet, son succès littéraire de l’époque, la popularité du « petit cercle colétien » a été presque effacé de la postérité ; ce n’est qu’en 2014 que ses romans – pourtant loués par Victor Hugo – sont réédités pour la première fois.

Le paragraphe à propos d’Alfred de Musset (1810-1857) souligne l’aversion de Flaubert pour l’idéalisme et le sentimentalisme de la première vague du romantisme, dont Musset est l’un des chefs de file. La qualification de « malheureux garçon » fait certainement référence à la célèbre Confession d’un enfant du siècle (1836), roman d’inspiration autobiographique dans lequel Musset développe le « mal du siècle », sentiment de mélancolie, d’angoisse généré par la nostalgie des temps précédant l’émergence d’une société matérialiste et vidée de toute spiritualité.

C’est ainsi que les propos de Flaubert à l’égard de Musset accusent volontiers cette mise en scène auctoriale familère aux romantiques. Il n’empêche que nous y décelons aussi une certaine exaspération de la part de Flaubert, à voir les yeux de son amante se détourner : « Ai-je été jaloux, moi, dans tout cela ? – Il se peut. » (« Lettre à Louise Colet » (12 juillet 1852). Rappelons que trois semaines auparavant, Colet relatait dans son memento sa rencontre avec Musset : « il arrive à une heure, essoufflé, toussant, crachant, ayant l’air gris ; je lui offre un verre d’eau sucrée, il demande un verre de vin. Je lui dis que je n’en ai que de très médiocre, il me dit que le vin qu’il préfère est le vin bleu. Il avale un grand verre du vin que j’ai pour Henriette à 12 sous le litre. » Au-delà des divergences littéraires et de la rivalité pour le cœur de Colet, des descriptions similaires de l’aristocrate alcoolique contribuent à la répugnance de Flaubert à l’égard de Musset.

D’ailleurs, le roman Lui, que nous évoquions, semble ouvertement inspiré de l’amour triangulaire liant les trois écrivains : une belle romancière tiraillée entre Léonce, romancier misanthrope, et Albert poète déchu alcoolique. L’extrait du memento de Colet cité ci-dessus est repris tel quel dans l’œuvre.

Rappelons néanmoins que Flaubert, contrairement à ce que l’héritage littéraire nous en dit, ne rejette pas catégoriquement le romantisme ; il a même signé l’une de ses dernières lettres avant de mourir « Gustave, la dernière ganache romantique » (lettre à Léon Hennique, 2 février 1880), et il a regretté que Madame Bovary soit devenu l’œuvre archétypale du roman dit réaliste – il a toujours récusé des termes tels que réalisme et naturalisme.

Œuvre archétypale du réalisme, bien parce que l’instauration du decorum et la volonté de « faire un livre sur rien » (« Lettre à Louise Colet » (16 janvier 1852), ne trouveraient que difficilement d’égal dans le romantisme, y compris de la seconde vague – en font par exemple partie les romans phares de Hugo.

Quand Balzac, duquel Flaubert se dit aux antipodes, rédige sept versions du Père Goriot (1834) en quarante-deux jours – ne nous y méprenons pas, cela ne signifie pas que tout le travail de la genèse et de l’évolution de l’œuvre n’a duré qu’un mois et demi ! –, Flaubert, quant à lui, prend presque cinq ans pour écrire Madame Bovary, labeur qu’André Versaille résume ainsi dans La Bêtise, l’art et la vie. En écrivant Madame Bovary (1991) : « Il écrit deux pages par jour, dont il détruit les deux tiers le lendemain. (…) Lui, c’est la sensation ; éprouver la sensation, et lentement, parvenir à la restituer. »

Nous connaissons tous l’anecdote du brouillon de l’incipit de Madame Bovary plus long que le roman lui-même. En effet, l’écrivain est convaincu qu’il n’y a qu’une et unique bonne façon d’écrire les choses ; nous comprenons alors la quête perpétuelle du « style juste », un style qui exige que « toutes les phrases soient différentes et, en même temps, que les mots ne puissent être changés quand ils [sont] dans une phrase. », d’après Yvan Leclerc dans Flaubert. Vie et travaux (2005).

Enfin, nous pouvons nous amuser de la mention d’États [et Empires] de la Lune (1655) de Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655). En effet, ce roman relate des aventures sur la lune et le soleil où la rêverie et l’imaginaire viennent pallier le manque de connaissances scientifiques. Cela nous semble fort loin du travail d’observation auquel s’adonne Flaubert pour décrire de manière on ne peut plus réaliste la société de son temps.

[ZOLA] FLAUBERT, Gustave, (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gus Flaubert » à Émile Zola
[Croisset, 25 juillet 1876], 3 p. in-8°

Très belle lettre à Émile Zola au sujet, entre autres, de l’Histoire d’un cœur simple, L’Assommoir, et de leurs amis en commun


« Je suis content de vous savoir au bord de la mer, et vous reposant. Ne faites absolument rien ! reposez-vous Le travail n’en ira que mieux quand vous le reprendrez.
Franchement, vous aviez besoin de repos répit. et à la fin de la f de l’hiver, nous commencions à nous inquiéter de vous.
Votre ami, présentement, pioche comme un bœuf. Jamais je ne me suis senti plus d’aplomb. Mais « l’Histoire d’un cœur simple » ne sera pas finie avant trois semaines. – Après quoi, je préparerai immédiatement mon Hérodiade (ou Hérodias)(1). & j’ignore tout ce qui se passe dans le monde ne vois personne, ne lis aucun journal, – excepté « La République des Lettres » dont le numéro du 16 m’a exaspéré, à cause de l’article sur Renan. Le connaissez-vous ? Comme j’aime mes amis je ne veux rien avoir de commun avec ceux qui les dénigrent aussi bêtement. Donc j’ai écrit à l’excellent Catulle(2), pr le prier 1° de rayer mon nom de la liste de ses collaborateurs & 2° de ne plus m’envoyer sa feuille. – Qu’on ne soit pas de l’opinion de Renan, très bien ! Moi aussi, je ne suis pas de son opinion ! Mais ne tenir aucun compte de tous ses travaux, lui reprocher les cheveux rouges qu’il n’a pas, & sa famille pauvre en l’appelant domestique des princes, [illis.] voilà je ce que je n’admets pas ! – Ma résolution est bien prise, je ne veux plus rien avoir de commun avec j’abandonne avec joie & définitivement ces petits messieurs-là. Leur basse envie démocratique me soulève le cœur de dégoût. – & ils ont des Doctrines philosophiques & Politiques ! C’est un grand mot pourtant « La République des Lettres » ! & qui pourrait être une belle chose. – Mais qu’ils en sont loin !
N’en parlons plus, hein ?
Je me souviens de Piriac(3). – C’est en face l’île Dumez [Dumet], une île toute pleine d’oiseaux – & de Guérande aussi – il doit y avoir dans l’église des bas-reliefs assez curieux représentant de bons Diables, à fourche et à ailes ? Mes souvenirs remontant à 1846, sont vagues(4).
Vous remercierez pr moi Charpentier de m’avoir envoyé ce livre anglais dont j’ai besoin.
Combien de temps encore restez-vous en Armorique ? Moi, je ne bougerai d’ici que pr aller à la Ière de Daudet. & probablement je ne rentrerai à Paris que fort tard, afin d’aller plus vite dans ma petite drôlerie juive.
Tourgueneff m’a écrit les mêmes choses qu’à vous. Je l’attends vers la fin du mois prochain. – J’ai reçu hier de notre jeune ami Maupassant une épître fort agréable, & pleine du détail de ses lubricités – canotières, avec une grosse femme(5).
Voilà, je crois, toutes les nouvelles.
Empifrez-vous de coquillages ! Ça rend gai. Amitiés & respects à « toute la Société ».
& à vous, mon vieux solide
une très forte poignée de main
de votre
Gve Flaubert
Nuit du 25 juillet.
___

J‘ai eu la Vertu de ne pas lire L’Assommoir dans La R. des Lettres, n’en connaissant point le commencement.
Quand votre roman y sera fini, j’imagine qu’il y aura descente du côté financier(6). »


1- La forme « Hérodiade », la plus commune, est héritée de la Bible, et se rencontre notamment chez l’historien Flavius Jusèphe et dans la Vie de Jésus de Renan. Flaubert a pu trouver la variante « Hérodias » dans l’ouvrage de J. Derenbourg, Essai sur l’histoire et la géographie de la Palestine.

2- Catulle Mendès dirige la République des lettres, qui paraît du 20 décembre 1975 au mois de juin 1877.

3- Zola séjournait à Piriac, en Bretagne, du 17 juillet au 6 septembre, en compagnie de l’éditeur Charpentier.

4- Flaubert se trouvait à Piriac le 20 mai 1847

5- « L’épitre » en question de Maupassant, non retrouvée, est arrivée l’avant-veille, le 22 juillet, ainsi que Flaubert le dit à sa nièce ce jour là.

6- La République des lettres avait repris la publication de L’Assomoir dans son numéro du 9 juillet. Les six premiers chapitres avaient paru dans Le Bien public, du 13 avril au 7 juin.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette de Jouvenel » à Charles Sylvestre
[Paris, 21 mars 1922], 1 p. in-4° oblongue, enveloppe autographe jointe
Infime manque en marge droite, sans atteinte au texte

Charmante lettre de Colette, alors directrice littéraire du journal Le Matin


« Monsieur et cher confrère, vous m’avez fait grand plaisir. Hormis mes proches, personne ne s’avise que Colette a été sainte ! Comment va la chienne ? Je manque de temps pour écrire, mais non de mémoire, ni de sympathie !
Colette de Jouvenel »


Colette fait en 1909 la connaissance de Henri de Jouvenel (1876-1935), homme politique et journaliste, qu’elle épouse en 1912 et qui l’engage à donner quelques billets et reportages au journal Le Matin. Elle en deviendra la directrice littéraire à partir de 1919. L’écrivain répond ici à une lettre à elle adressée par Charles Sylvestre, lui ayant souhaitant sa fête (6 mars).

Charles Sylvestre (1889-1948) est un romancier d’inspiration régionaliste. Ami de Charles Maurras, il collaborera à l’Action française.

CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Manuscrit autographe signé « Paul Claudel »
S.l, 4 janvier 1951, 2 p. in-4°
Quelques corrections de la main de Claudel, légère mouillure en marge supérieure du feuillet

Passionnant manuscrit sur son oratorio dramatique : Jeanne au bûcher, pour lequel il collabora avec Arthur Honegger 


« J’ai toujours été attiré par cette forme primitive du drame, appelée dithyrambe, dont Les Suppliantes d’Eschyle demeurent le seul exemple subsistant. Un personnage unique, je veux dire seul doué de visage, parle au milieu d’un demi-cercle de voix qui, de par l’assistance qu’elles constituent, l’invitent, le contraignent à l’expression. Tout poète a connu cet horizon auditif, ce bruit confus de propositions entremêlées d’avance, génératrices de l’expression et préposées à l’écho. Le chœur grec lui a donné plus tard une forme en quelque sorte liturgique et officielle qui se perpétue dans nos églises […]
Schopenhauer, mal compris par Wagner, a dit profondément que la musique est l’expression de la volonté à la recherche d’une forme, ou disons d’une réponse. Ce n’est point répondre que s’associer à ce soulèvement obscur des forces élémentaires. Tout le monde est conscient du discord douloureux entre l’aire du chant et celle de la parole. C’est de ce discord même qu’Honegger et moi avons essayé de tirer un élément de drame et par là d’émotion.
Jeanne est attachée à son poteau qui représente la foi. Elle est enracinée à une certitude immuable. Elle ne fait plus qu’un avec elle. Autour d’elle, s’étageant dans la nuit, il y a les rangées superposées de ce peuple à qui a été livrée pour un être à la fois l’émanation et l’hostie. Ainsi dans l’amphithéâtre antique ces vierges livrées au bêtes. Et Jeanne aussi en effet à la première scène du drame est livrée aux bêtes.
Mais peu à peu elle prend le dessus, de rien chargée que de son sens, répond à une oreille de plus en plus attentive et qui s’est mise à comprendre. Tout ce qu’elle a fait, toute cette entreprise qu’obéissant à l’inspiration d’en haut […] Et peu à peu l’ambiance se transforme. Ce n’est plus le doute, l’injure, les cris de l’incompréhension et de la haine. C’est la foi, c’est l’enthousiasme. “Il y a la joie qui est la plus forte – il y a l’espérance qui est la plus forte. Il y a l’amour qui est le plus fort”. – Le feu prend de toutes parts comme dans le cantique de Saint-François […]
Et toute la pièce se termine par ces paroles trois fois répétées à une profondeur de solennité sans cesse accrue : 
Personne n’a un plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’il aime
4-1-51
P. Claudel »


Le manuscrit de Jeanne au bûcher a disparu. Il ne reste aujourd’hui qu’une dactylographie du texte (aujourd’hui à la Fondation Paul Sacher à Bâle en Suisse), et notre manuscrit évoquant cette œuvre passionnante.
Oratorio lyrique en 11 scènes de Paul Claudel et Arthur Honegger, la première version pour orchestre de Jeanne au bûcher fut donnée le 12 mai 1938 à Bâle, en Suisse, sous la direction de Paul Sacher avec Ida Rubinstein dans le rôle de Jeanne. La première représentation française eut lieu au Théâtre municipal d’Orléans, lieu ô combien symbolique, le 6 mai 1939. L’œuvre connut autant de succès qu’en Suisse et Ida Rubinstein fut encensée par toutes les critiques.

Dans Jeanne au bûcher, la structure du dithyrambe, que l’on retrouve tout au long du théâtre claudélien, n’a jamais été plus évidente. Claudel fait une passion de l’histoire de Jeanne d’Arc, dont l’aventure est spirituelle. Il lui faut consentir à une mort horrible. C’est ce passage du sacrifice subi au sacrifice consenti qui intéresse Claudel et qu’il explique dans le présent manuscrit.

On joint :
Le livret original (18,2 x 32 cm) de la première représentation française au Théâtre municipal d’Orléans du 6 mai 1939, tiré à 500 exemplaires (notre exemplaire est le n° 186)

PAGNOL, Marcel (1895-1974)

Notes poétiques autographes de premier jet
S.l.n.d, 3 p. in-4° sur deux feuillets provenant d’un cahier d’écolier
Marges légèrement effrangées, petite pliure en marge inférieure du second feuillet
Quelques corrections et mots caviardés

Précieuses notes préparatoires d’un poème de jeunesse


« Les fleurs si riches
Les fleurs si claires
Les voici mortes de ton mépris

L’ombre s’
Mais toi rieuse tu danses au château
Les pentes du coteau
Le soir remonte au flanc des coteaux
mais toi sans honte tu danses au château
d’un cœur épris
Les fleurs si claires, d’une si grand prix
Les voici noires de ton mépris…
La boue épaisse est leur linceul
[…]
La robe infâme
Fit naître ton émoi
Ainsi ton âme
Ne fut jamais à moi !

Adieu ma vie, adieu beaux jours
[…]
Adieu moulin d’un bel amour
Qui est fini !
Pourtant peut-être
[Etc..] »


Le manuscrit présenté se compose de deux versions préparatoires d’un même poème, qui semblerait inédit.
Pagnol se détache ici de tout académisme poétique, couchant des vers au gré de son inspiration, et se reprenant à de nombreuses reprises.

On ne connaît que très peu de poèmes de l’écrivain, qu’il composa surtout dans sa jeunesse au lycée Thiers de Marseille. Les présents feuillets pourrait dater de cette époque.
Il publiera, en janvier 1914, quelques-uns de ses poèmes dans la revue Fortunio, cofondée avec des amis.

Plus tard, il dira : « Ce que j’admirais dans la poésie, c’était la difficulté vaincue, et je pensais tout simplement que les prosateurs s’étaient résignés à écrire en prose parce qu’ils n’étaient pas capables de trouver des rimes »

SUPERVIELLE, Jules (1884-1960)

Tirage photomécanique d’époque avec dédicace autographe, signé deux fois, « Jules Supervielle » et « J.S » [à Marcelle Auclair ?]
S.l., 22 déc[embre] 1952, 23,5 x 17,3 cm
Partielle transcription (au stylo à bille) de la dédicace, d’une autre main, au verso

Beau tirage dédicacé de l’écrivain, citant certaines de ses œuvres les plus célèbres


« À Madame Marcelle
Son vieil ami
Jules Supervielle
22 Déc. 1952
et aussi de la part des Voleurs d’enfants
Shéhérazade
La Belle au Bos
Robinson
J.S »


Sur ce portrait élégamment contrasté, l’écrivain y apparaît vêtu d’une large veste, lisant la revue Saisons.
Il cite ici certains de ses écrits les plus célèbres :
Les Voleurs d’enfants
(1926)
Shéhérazade
(1949)
La Belle au bois (1932)
Robinson (1949)

On connaît une variante de ce portrait, pris lors de la même séance, où l’écrivain figure de face, et dont un tirage également dédicacé se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque des Pyrénées Béarnaises.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Camden Place, Chislehurst [janvier 1873], 8 p. in-8°, papier de deuil
Traces de pliures d’époque, annotations « 1 » et « 2 » d’une autre main, petit manque marginal sur le dernier feuillet (sans atteinte au texte)

Longue et bouleversante lettre de l’impératrice, écrite seulement quelques jours après la mort Napoléon III
Dévastée par la douleur, Eugénie n’en reste pas moins pleine de rancœur à l’égard de ceux ayant ostensiblement tourné le dos à l’empereur depuis la défaite de Sedan


« Ma chère Madame Bartholoni,
Vous avez passé près de nous les derniers jours de l’année.
Je les croyais bien tristes, mais aujourd’hui après notre affreux malheur, je vois qu’ils étaient heureux ! Vous souvenez-vous ? combien nous avions de l’espoir ! Mais Dieu n’a pas voulu m’épargner cette dernière douleur.
Je ne sais encore si j’ai la force de la lui offrir car je sens quelque fois mon cœur plein de révolte. Le calme viendra avec la résignation ; je la demande de tout cœur.
Monsieur Bartholoni vous aura dit mon émotion en le voyant parmi les fidèles qui ont voulu rendre un dernier hommage à mon bien cher Empereur.

J’ai bien pensé que ce coup si imprévu avait altéré votre santé. Soignez-vous bien car plus que jamais nous avons besoin de nos amis.
La mort si rapide de l’Empereur a, pour ainsi dire, réveillé la conscience publique car il a fallu qu’il mourut pour qu’on pût mesurer les souffrances morales et physiques qui ont déchiré son cœur, avant de l’arracher à notre tendresse. Que doivent se dire ceux qui ont insulté un malheur si dignement supporté.
La croix que j’ai attachée le 15 août sur la poitrine de M. Bayard doit lui brûler le cœur, s’il lui reste une conscience.

Les médecins anglais, après avoir constaté sa maladie, n’ont eu tous deux qu’un seul cri : « cet homme est plus qu’un héros pour avoir supporté de telles douleurs cinq heures à cheval ! ».
Oui mon cœur se déchire et ma raison se révolte contre de telles infamies, mais la haine ne désarme même pas devant une tombe !
Je vous dis adieu car cela me fait mal de penser à un passé si douloureux et à un présent si désolé !
Nos souvenirs aux enfants et croyez à tous mes sentiments affectueux.

Eugénie »


Le 9 janvier 1873, à 10h45, Napoléon III meurt à l’âge de soixante-quatre ans, dans sa résidence de Camden Place. Près de soixante mille personnes, dont un dixième de Français comprenant une délégation d’ouvriers conduite par Jules Amigues, viennent se recueillir devant le corps et participent à l’inhumation, le 15 janvier 1873, à Chislehurst. Par la suite, l’impératrice Eugénie lui fait édifier un mausolée à l’abbaye Saint-Michel, qu’elle a fondée en 1881. A ce jour, le couple y repose aux côtés de leur fils unique, le prince impérial Louis-Napoléon, tué à l’âge de vingt-trois ans lors de la guerre anglo-zouloue.

Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, particulièrement remarquée à la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell, elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement au cours des années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon-les-Bains et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Camden Place, Chislehurst, 10 10bre [octobre 1873], 4 p. in-8°, papier de deuil
Enveloppe autographe (de la main de l’impératrice) complète avec ses timbres et oblitérée
Légère mouillure sur la quatrième page

L’impératrice s’émeut du procès en cours du maréchal Bazaine, fidèle de l’Empire mais néanmoins l’un des principaux responsables de sa chute lors de la guerre franco-prussienne de 1870


« Vous comprendrez, ma chère Madame Bartholoni, les émotions qui m’ont empêché de répondre plus tôt à votre lettre pour le 15 novembre !
Nous avons suivi ce procès inutile et impolitique avec le plus vif intérêt.
Monsieur le Duc d’Aumale a recherché un singulier piédestal.
Le dévouement surtout ne se comprend pas au point de vue de l’armée, mais quand on veut une part de popularité malsaine, on ne sait ni absoudre ni condamner.

De tristes jours commencent pour vous ; chaque heure pour ainsi dire réveille un souvenir, mais je ne veux pas vous attrister en vous parlant d’une époque que vous avez aussi dû vous retracer !
Je vous remercie de vos vœux pour l’année qui va commencer, ainsi que de votre lettre pour le 15 et de celle de Marie.
Nos souvenirs à M. Bartholoni et aux enfants et croyez à tous mes sentiments affectueux.
Eugénie »


Le 6 octobre 1873, Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), préside au Grand Trianon de Versailles le conseil de guerre qui juge le maréchal Bazaine (1811-1888), commandant en chef des armées pendant la guerre franco-prussienne de Ce dernier tentera d’expliquer sa capitulation à Metz du 27 octobre 1870 (ayant contribué à la défaite sans appel de la France), en vain.
Sur les instances du duc d’Aumale qui vient de le condamner à mort, le Président de la République Mac Mahon (1808-1893) commue sa peine en vingt ans de détention et supprime la dégradation qui était prévue.

Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, l’un des ornements de la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell (1833-1910), elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), qui fut député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement dans les années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.

[PRINCE IMPÉRIAL] Gösta FLORMAN (1831-1900)

Portrait du Prince Impérial par Gösta Florman, tirage albuminé d’époque
[Stockholm, 1878], format carte de visite
Contrecollé sur carton fort au crédit du photographe, recto – verso
Liseré rouge légèrement frotté par endroits (voir scans)

Superbe portrait du Prince Impérial par Florman, l’un des plus beaux que l’on connaisse de lui


Pris un an avant son tragique décès en Afrique australe, ce portrait du Prince Impérial est l’un des plus élégants que l’on connaisse de lui. Il y figure en buste, de trois quart, élégamment vêtu ; de son regard émane une impression de force mêlée de douceur.

Épreuve aux contrastes intactes.

[VALÉRY, Paul] Henri MANUEL (1874-1947)

Portrait de Paul Valéry, épreuve gélatino-argentique d’époque
[Paris, années 20], format cabinet (9,7 x 13,8 cm)
Tirage contrecollé sur carton fort (10,6 x 16,7 cm) au crédit du photographe
Annotation “Valéry” d’une main inconnue en marge supérieure gauche du carton fort
Quelques rayures superficielles, petites griffures en marge droite du tirage

Beau et rare portrait de Paul Valéry par Henri Manuel


Le poète et académicien y apparaît de profil, le regard profond et mélancolique qu’on lui connaît, et plus que jamais visible sur ce tirage.
C’est au 27 rue du Faubourg-Montmartre que Henri Emmanuel installe son studio au début du 20e siècle, se spécialisant dès lors dans le portrait des personnalités des mondes politique et artistique.
Le photographe immortalise Paul Valéry par un autre tirage resté très célèbre, pris lors d’une autre séance, toujours en buste, mais apparaissant cette fois de face avec un nœud papillon.

[SCHUMANN, Clara] Fritz LUCKHARDT (1843-1894)

Portrait de Clara Wieck-Schumann, tirage albuminé d’époque
[Vienne, c. 1870], format carte de visite (5,8 x 9,2 cm)
Contrecollé sur carton fin au crédit du photographe (6,4 x 10,5 cm)
Nom de la compositrice inscrit au verso, d’une main inconnue

Célèbre portrait de la pianiste et compositrice par Fritz Luckhardt


Dans ce célèbre portrait, la compositrice y apparaît en buste de trois quarts, le visage serein.
C’est à cette époque que Clara Schumann eut sa plus grande période de production, après la mort de son mari, entre 1856 et 1875.  Elle accompagne dès lors  des vocalises et récitals au piano.

Tirage peu commun en si bon état de conservation.

[LISZT, Franz] Ferenc KÓZMATA (1846-1902)

Portrait de Franz Liszt par Ferenc Kózmata, tirage albuminé d’époque
[Budapest, c. 1965], format carte de visite (5,5 x 9,2 cm)
Contrecollé sur carton fin au crédit du photographe (6,4 x 10,5 cm)
Nom du compositeur inscrit au verso, d’une main inconnue

Beau portrait de Liszt en soutane par Kózmata


Le père de la technique pianistique moderne y apparaît de buste, tourné de trois quart, le regard sérieux et la mâchoire serrée.
De nombreuses médailles et et décoration ornent sa soutane. Il s’était retiré à Rome en 1861 après avoir rejoint le tiers-ordre franciscain en juin 1857. Il recevra en 1865 la tonsure et les quatre ordres mineurs de l’Église catholique, lui donnant en France le qualificatif d’abbé.

On connaît une légère variante de ce portrait, prise lors de la même séance, où Liszt y apparaît légèrement plus de profil.

[RUBINSTEIN, Anton] Julius Cornelius SCHAARWÄCHTER (1847-1904)

Portrait de Anton Rubinstein, tirage albuminé d’époque
[Berlin, c. 1847], format carte de visite (6 x 9,3 cm)
Tirage contrecollé sur carton fin (6,7 x 10,5 m)
Quelques infimes rousseurs, nom du compositeur inscrit au verso
Crédit du photographe au timbre sec (signature) sur le tirage ainsi qu’au verso

Portrait peu commun du jeune Rubinstein


Le prodige du piano y apparaît le visage de trois quart au regard sérieux.

C’est à partir de 1844 que Anton, sa mère et son frère, Nikolaï, s’installent à Berlin où il étudie la composition et la théorie avec Siegfried Dehn. Il rencontre à cette époque Felix Mendelssohn et Giacomo Meyerbeer, qui le soutiennent.

Bel état de conservation.

[HUGO, Victor] Charles GALLOT (1838-1919)

Portrait de Victor Hugo par Charles Gallot, tirage albuminé d’époque
[Paris, 12 avril 1885], format cabinet (10,5 x 14,3 cm)
Contrecollé sur bristol bleu-gris au crédit du photographe (10,8 x 16,5 cm) – [1 Boulevard Beaumarchais]
Quelques petits défauts du temps et griffures, bristol légèrement frotté aux angles, ancien trou d’épingle en marge supérieure du tirage. Beaux contrastes.

Rare épreuve du dernier portrait de Victor Hugo vivant, cinq semaines avant sa mort


Très émouvant portrait du grand homme, les mains jointes et le regard pensif, cinq semaines avant son décès, le 22 mai 1885.
C’est dans son hôtel particulier « La Princesse de Lusignan », qui était situé au 50 avenue Victor Hugo à Paris, que Charles Gallot pris ce dernier cliché du poète.

Trois jours avant sa mort, Victor Hugo écrit cette dernière pensée : « Aimer, c’est agir », restée l’un de ses plus célèbres aphorismes.

Bien que ce portrait d’Hugo ait été reproduit à de nombreuses reprises dans quasiment tous les ouvrages lui étant consacré, et ce depuis 1885, les épreuves originales n’en demeurent pas moins rares.

[PRINCE IMPÉRIAL] Elliott & Fry

Portrait du Prince Impérial Elliott & Fry, tirage albuminé d’époque
[Londres, s.d], format carte de visite (6,1 x 8,8 cm, contrecollé sur carton mince : 6,4 x 10,5 cm)
Quelques légères taches superficielles
Crédit du photographe au verso

Élégant portrait du Prince Impérial tiré en son hommage après sa mort tragique en Afrique australe


On situe ce tirage circa 1875. Louis-Napoléon y apparaît le regard clair et déterminé.
Remarquons l’erreur commise par le photographe en légende du tirage : le Prince Impérial ayant été tué le 1er et non le 2 juin 1879. Cette erreur fut reproduite à plusieurs reprises sur d’autres tirages du jeune prince par ce même photographe :

« Prince Louis Napoleon
Killed 2nd June, 1879, on the Hyotoyozi River,
South Africa »

Bon état de conservation.

[PRINCE IMPÉRIAL] H. Marres

Photomontage sur tirage albuminé d’époque
S.l.n.d, format cabinet
Tirage 10 x 13,5 cm, contrecollé sur carton fort, au crédit du photographe (10,8 x 16,5 cm)

Rarissime photomontage figurant la mise à mort du Prince Impérial par les Zoulous, en Afrique australe


Le Prince Impérial y apparaît gisant à même le sol, entouré de guerriers zoulous et mit à mort par ces derniers.

Au début de l’année 1879, et après avoir demandé avec insistance son incorporation aux troupes britanniques d’Afrique australe, le Prince Impérial finit par obtenir gain de cause. Lors d’une mission de reconnaissance le 1er juin 1879, après une halte au bord d’une rivière où sa patrouille se croit en sécurité, cette dernière est surprise par des guerriers zoulous. Une fusillade éclate et deux soldats britanniques perdent la vie. La troupe s’enfuit à cheval. Le prince tente de regagner sa monture en courant. La sangle de selle, qui fut utilisée par son père lors de la bataille de Sedan et que le prince tenait à utiliser, est hors d’usage et cède sous son poids. Il chute alors violemment. Son bras droit est piétiné. Il n’a plus pour arme qu’un pistolet, qu’il ne peut manipuler que de la main gauche. Il succombe transpercé de dix-sept coups d’iklwa. Les guerriers éviscèrent et mutilent les corps des deux soldats morts au début de l’attaque mais épargnent celui du prince, seul homme à s’être battu. Ils se contentent de le déshabiller et de lui prendre ses armes. Le chef des guerriers ordonne qu’on lui laisse sa chaîne d’or, où pendent deux médailles et un cachet de cornalines en souvenir de sa grand-mère, la reine Hortense, transmis par son père. Les guerriers zoulous, qui portent des amulettes autour du cou, respectent celles du prince. En hommage, ils restituent ses objets personnels et son uniforme.

Ce photomontage semble inédit, nous n’en n’avons pas retrouvé de publications dans la bibliographie consacrée au Prince Impérial et à sa famille.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre autographe signée « Louis Napoléon » à son ami Pierre de Bourgoing
Camden place, 23 octobre 1870, 2 p. in-8° sur bifeuillet
Deux ratures de la main du Prince Impérial, trace d’onglet sur la quatrième page

Rare missive du Prince Impérial, alors âgé de 14 ans, aux tout premiers jours de l’exil, moins de deux mois après la défaite de Sedan


« Mon cher Bourgoing,
Je n’ai pas besoin de vous dire combien j’ai été touché de votre bonne lettre, cette nouvelle marque d’affection, ainsi que de cette bonne amitié que vous m’avez montrée dans les bons et dans les mauvais jours ; je vous la rends vous le savez, de tout mon cœur.
Nous sommes établis dans une assez jolie maison de campagne aux environs de Londres, à Chislehurst, dont vous ignorez à coup sûr le nom(1) ; Conneau(2) est arrivé hier au soir, il est plus grand que jamais ; je ne savais pas jusqu’ici que l’exil faisait allonger les jambes, mais à présent j’en ai la conviction et la preuve.
Je passe ma journée à travailler, à faire de lo[ngues] grandes promenades à pied ou à cheval(3).
J’ai été voir la Tour de Londres qui est très curieuse à visiter(4), la ville elle-même est assez belle, mais malgré tout l’Angleterre aura beau faire elle ne vaudra jamais la France !
Adieu mon cher Bourgoing Pierre, assurez de mes sentiments d’affection M. et Mme de Bourgoing. Que de choses nous aurons à nous dire quand nous nous reverrons(5) ! Je vous embrasse, votre affectionné ami.

Louis-Napoléon »


[1] Le 24 septembre 1870, l’Impératrice et le Prince impérial s’installèrent dans une maison située à Chislehurst, dans le comté de Kent, et appelée Camden Place, du nom du célèbre antiquaire, lord Camden, qui y avait demeuré au début du XVIIe siècle. « Le Prince y entrait un enfant pâle et mélancolique ; il en sortirait, huit ans plus tard, un fier et hardi jeune homme, rayonnant d’intelligence, débordant d’énergie, heureux de vivre, ivre d’action » (Augustin Filon).

[2] Louis Conneau (1856-1930), – fils du sénateur et médecin de Napoléon III, Henri Conneau -, fit partie de la petite pléiade de camarades, parmi lesquels le jeune Louis Napoléon choisit ses amitiés définitives. Après la chute de l’Empire, il suivit le Prince impérial en exil. Il devait occuper à Camden Place la chambre située au-dessus de celle du fils de l’Empereur déchu.

[3] M. Jean-Claude Lachnitt décrit, dans sa biographie du Prince impérial, le programme d’une journée : « Lever à six heures, petit déjeuner à l’anglaise, puis travail toute la matinée jusqu’à onze heures. Après le déjeuner, exercices physiques, le plus souvent promenade à cheval ou jeux de plein air ».

[4] Le Prince visita la Tour de Londres en compagnie d’Augustin Filon, de la duchesse de Mouchy et de la princesse Pauline de Metternich, toutes deux amies proches de l’Impératrice.

[5] Louis ne revit Pierre de Bourgoing qu’en décembre 1871.

Après la capitulation de Sedan, le Prince Impérial fut conduit le 4 septembre à Maubeuge, le jour même où l’impératrice Eugénie quittait les Tuileries dans des conditions tragiques.
Le 6 septembre, le jeune Louis-Napoléon arriva sur le sol anglais, à Hastings ; il y fut rejoint par sa mère, le 8 septembre, et par son répétiteur, Augustin Filon, le lendemain.
Il fut très vite décidé de chercher une demeure autre que le Marine Hotel, résidence de “fortune”, où les circonstances les avaient conduits. Le choix se porta sur une vieille bâtisse aux briques rouges, d’un charme certain, dont le village – suprême consolation – abritait une église catholique : Camden Place, à Chislehurst.

[NAPOLÉON III] FLAMANT, Louis Emmanuel

Photomontage sur tirage albuminé d’époque
S.l.n.d, format cabinet (10 x 13,5 cm)
Petite tache superficielle en marge droite supérieure du tirage

Fameux photomontage figurant la mort de Napoléon III, entouré de sa famille et de ses proches à Chislehurst, leur demeure d’exil


Ce photomontage est tiré ici plus large que de coutume, mesurant 10 x 13,5 cm et collé sur carton fort, au crédit du photographe (10,8 x 16,5 cm)

Le Prince Impérial est ici représenté un genoux à terre, tenant la main de son père, gisant.
L’impératrice Eugénie de Montijo se tient quant à elle juste derrière son fils. On peut distinguer son portrait par Franz-Xaver Winterhalter, accroché au mur, témoignant du souvenir d’un passé révolu.

Puis un peu en retrait figurent, de gauche à droite :
Eugène Rouher (1814-1884), ancien ministre d’État de Napoléon III, il prit la direction effective du parti bonapartiste en 1873
Henri Conneau (1803-1877), père de son meilleur ami du Prince Impérial, Louis Conneau, et confident de Napoléon III. Premier médecin de l’Empereur, député de la Somme, sénateur.
Félix Fleury (1815-1884), proche de l’empereur, grand écuyer de la couronne, puis sénateur.
Lucien Corvisart (1824-1882), baron, petit neveu du 1er médecin de Napoléon 1er. Médecin ordinaire de l’Empereur et adjoint au 1er médecin, Henri Conneau.
Firmin Rainbeaux (1834-1916), ancien exuyer de Napoléon III, fidèle à l’empereur et dévoué à l’impératrice.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Pauline Sandeau
[Paris], mercredi, 3 h [20 mars 1867], 1 p. in-8° sur papier vergé
Petite déchirure au pli inférieur, réparation au scotch

Le truculent Flaubert donne un rendez-vous à sa « chère » Pauline Sandeau


« Ah ! Sapristi ! comme il est difficile de se rencontrer, ma chère amie.
Nous qui vous attentions aujourd’hui, nous en sommes tout « marrys ! »
Je ne serai pas par chez moi vendredi dans l’après-midi, parce que j’ai un rendez-vous avec un commissaire de police, p[ou]r des renseignements littéraires. Mais j’y serai tout l’après-midi de samedi et en venant à 4 heures vous trouverez ma nièce [Caroline Commanville] qui rentrera p[ou]r vous recevoir.
Mille tendresses de votre vieux fidèle
Gve Flaubert »


Flaubert était très proche du couple Sandeau avec qui il entretint une riche correspondance, tant littéraire qu’amicale, jusqu’à sa mort, en 1880.
Cette lettre peut être située au 20 mars, car Flaubert écrit à sa nièce Caroline, dans sa lettre du 13 mars, qu’il l’attend la semaine suivante ; elle quitte paris avant le jeudi [28 mars 1867], d’après une lettre de Flaubert à elle adressée ce jour là.
Caroline Commanville, la nièce de Flaubert, sa « chère Caro », est la fille de la sœur de l’écrivain, morte quelques jours après l’avoir mise au monde, et délaissée presque aussitôt par son père. Elle fut élevée par sa grand-mère et par son oncle. Mariée à 17 ans à un riche négociant de Dieppe, Ernest Commanville, elle resta toujours pour Gustave Flaubert la fille qu’il n’avait jamais eue.

Bien que publiée à plusieurs reprises, l’autographe de cette lettre n’en est pas moins demeuré inédit auprès des universitaires. On note en effet quelques légères variantes d’ordre sémantique au regard de sa dernière publication, dans la Pléiade.

[PRINCE IMPÉRIAL] BIZOT, Adrien (1848-1929)

Lettre autographe signée « Adrien Bizot » au Prince Impérial
Melun(1), 20 septembre 1878, 4 p. in-8°
Petites déchirures au plis, légère tache sur la première page, quelques petites insolations

Longue et remarquable lettre adressée au Prince Impérial par l’un de ses trois amis intimes, Adrien Bizot
Ce dernier nourrit, à l’instar du Prince, l’espoir d’un retour de l’Empire en France


« Monseigneur,
J’ai voulu attendre le départ de Conneau pour venir vous dire avec quelle joie j’ai reçu communication de la lettre que vous aviez écrite à Louis(2). Il m’en coûtait trop de renoncer au charmant voyage que vous vouliez bien nous offrir, et en même temps je ne voulais rien faire à la légère, désirant ne pas perdre, par mon imprudence, les petits avantages d’une position que j’ai choisie avec l’intention de rendre, dans ma sphère bien modeste, le plus de services que je pourrai au Prince.
J’ai été droit au Soleil ; je me suis d’abord adressé à mon Général de division ; il a été charmant, m’a félicité chaudement d’avoir su inspirer à Votre Altesse une affection assez sérieuse pour qu’elle désire m’avoir elle dans une excursion aussi intéressante, mais en même temps m’a fait remarquer que par le temps qui court, je risquais fort de me voir remercié à mon retour en France, de quelque façon que je m’y prenne, ne pouvant et ne voulant pas, du reste, me cacher en quoique ce soit !
J’ai été au ministère à Paris, là, m’a-t-on dit, on ne me refuserait et on ne m’accorderait rien ; le ministre n’étant jamais sûr de son lendemain ne ferait rien qui pût rendre encore plus instable une position des plus branlantes ; en outre, m’a-t-on dit, le moindre accroc me ferait rappeler immédiatement, et me ferait refuser à perpétuité toute demande de congé à l’étranger ! – Dois-je ajouter à toutes ces raisons que j’ai le malheur d’être atteint d’une maladie grotesque, qui fera rire le Prince, mais qui me fait plutôt pleurer ! J’ai la coqueluche, Monseigneur, et ce depuis un mois ! Conneau vous dira à quelles extravagances de toux je me livre parfois et ajoutera que dans ces moments critiques ma conversation n’a rien d’attrayant ! Les médecins, réunis en assemblée consultative, déclarent que dans cinq ou six semaines je serai débarrassé de cette tuile, mais il n’en est pas moins vrai qu’à l’heure qu’il est je ne suis pas bon à grand-chose, sinon à continuer philosophiquement le travail régulièrement monotone de l’Etat-Major d’une division … même de cavalerie.
Dans ces conditions, Monseigneur, et un peu consolé de mon absence forcée, par les récits que me fera Conneau à son retour, j’ajourne au commencement de novembre(3) mon voyage près de votre Altesse.
Il reste cependant bien entendu, que si pour une raison ou pour une autre vous désiriez me voir de suite, dans un délai de huit jours je serai près de Votre Altesse, et ce avec une permission régulière, que je saurais toujours obtenir.
J’ai mon travail annuel à faire, et mes inspections générales successives, jointes au splendide déplacement !!!!! de la revue de Vincennes(4) ne m’ont pas encore permis de le commencer : c’est une étude intéressante, sur une période d’exploration faite par une division de cavalerie indépendante, et j’avoue que je désire y donner tous mes soins ! Peut-être si je ne suis pas trop mécontent de mon œuvre, demanderai-je au Prince la permission de lui communiquer mon travail lorsque j’aurai l’honneur de le voir en Angleterre !
Conneau vous racontera nos conversations, nos soirées à Meaux ; il vous dira combien nous avons parlé de vous, et avec quelle impatience nous scrutons l’avenir qui ne nous parait pas couleur de rose !
Vous rappelez-vous, Monseigneur, une phrase que vous m’avez dite en 1875 (5): “On me parle d’attendre ! Soit ! Mais pendant ce temps le pays se pourrit et je ne veux pas commander une nation lâche et énervée”.
Certainement je ne croyais pas à ce moment vous voir être à ce point dans la vérité : hélas aujourd’hui plus que jamais le français ressemble à l’écrevisse cuite : il devient rouge et marche à reculons, et dire que six mille braves gens déterminés, bien armés, bien commandés et n’hésitant pas, feraient de Paris ce qu’ils voudraient ! Triste pays, triste temps ! Mais patience, le soleil d’Austerlitz n’est pas mort !
Je m’arrête là pour aujourd’hui, Monseigneur : avec quelle impatience je vais attendre le retour de Conneau, pour recueillir tous les récits qu’il aura à me faire : il vous redira, Monseigneur, combien je vous aime ; j’espère qu’il n’apprendra rien au Prince ce qui suit qu’il n’a pas un ami plus fidèle, un serviteur plus absolument dévoué que son vieux et reconnaissant sujet.
Adrien Bizot
Il reste entendu, Monseigneur, si mon plan ne vous déplaît pas, que j’irai en Novembre vous demander l’hospitalité pendant une semaine à Chislehurst ; à partir du 1er Novembre je serai à vos ordres, et d’avance je me suis arrangé de façon à ce qu’on ne puisse me refuser cette permission »


1- Adrien Bizot se trouvait alors en garnison à Melun, en tant que capitaine à l’Etat-Major de la 4e division de cavalerie

2- Lettre du 6 septembre 1878 à Louis Conneau (d’après une note établie par Adrien Bizot, recensant la correspondance du Prince à lui adressée).

3- Adrien Bizot se rendra finalement en Angleterre à la fin du mois de novembre.

4- Le 15 septembre 1878, le Maréchal Président de la République passa en revue, sur le champ de manœuvre de Vincennes, le 4e corps d’armée, les troupes stationnées dans le gouvernement de Paris et la 4e division de cavalerie.

5- Adrien Bizot, installé alors à Oran en qualité de commandant de troupes actives, s’était rendu à Camden Place en mars 1875. Une correspondance entre les deux amis, la première datée du 6 avril 1875 (Bizot), la seconde écrite très probablement en mai (Prince impérial), évoque ce séjour.

Adrien Bizot est le Fils du général de génie Michel Bizot, tué au siège de Sébastopol (1855), et de Sophie de Lochner, ancienne sous-gouvernante du Prince impérial.
« Bizot fit partie de cette trinité de soldats qui était si chère [au Prince], qui revient si souvent dans ses lettres, qui est dans ses pensées jusqu’au dernier jour : Bizot, Conneau, Espinasse »
(Le Prince impérial, souvenirs et documents – Augustin Filon, 1912, p. 57).

[NAPOLÉON III] Levitsky – LeJeune

Portrait de l’empereur Napoléon III par [Levitsky succession] LeJeune, tirage albuminé d’époque
[Londres, c. 1865], format CDV
Quelques défauts superficiels, pupilles retouchées

Fameux portrait de l’empereur, en buste de trois quart


L’un des célèbres portrait de l’empereur, qui pourrait se situer au cours de l’année 1865, dans les dernières années de son règne.

Provenance :
H.W Mason

[EUGÉNIE de Montijo, impératrice] W&D Downey

Portrait de l’impératrice Eugénie par W&D Downey
Tirage albuminé d’époque
[Londres, c. 1871], format CDV
Crédit du photographe au verso, quelques très léger défauts sans importance

Élégant portrait de l’impératrice, le regard mélancolique


On situe ce portrait aux alentours de l’année 1871, soit environs un an après l’arrivée de la famille impériale au Royaume-Uni, contrainte à l’exil après la terrible défaite de Sedan.
L’impératrice y apparaît en buste, assise de trois quart vers la droite, le regard mélancolique et songeur, un éventail à la main.

Tirage peu commun, bon état de conservation.

[SECOND EMPIRE] La famille impériale et son entourage

Dix-neuf tirages albuminés d’époque
Famille impériale et son entourage, format CDV
Crédits des photographes au recto et / ou au verso

Nous croyons important de signaler que certains portraits ici présentés, parmi lesquels ceux de Corvisart, du duc de Padoue, du prince Bonaparte en uniforme ou encore celui de l’abbée Deguerry, sont d’une insigne rareté.

Exceptionnelle réunion de dix-neuf tirages albuminés d’époque offrant un large panorama de la famille impériale, son cercle proche et ses partisans



La famille impériale

Photographie représentant le Prince impérial en tenue de grenadier de la garde, debout, entre ses parents, 1865 ; format cdv (Levitsky)
Petite insolation en marge inférieure du montage, crédit du photographe au recto du tirage

***

L’entourage familial
(Dans le sens des aiguilles d’une montre)

1/ MURAT Joachim, Joseph, Napoléon (1834-1901). 4e prince Murat. Cousin de l’Empereur, général de Brigade, circa 1860 ; format cdv. (Disdéri)
Crédit du photographe au recto et verso. Angles inférieurs gauche et droit du carton légèrement rognés.

2/ BONAPARTE Napoléon-Charles (1839-1899). Prince. 9e enfant de Charles-Lucien Bonaparte et de Zénaïde Bonaparte. Il servit dans l’armée française et prit part aux campagnes du Mexique et de 1870, circa 1860 ; format cdv. (Levitsky).
Crédits du photographe au recto et au verso

3/ MURAT Joachim, Joseph, André (1828-1904). 3e comte Murat. Petit-neveu du roi de Naples. Député au corps législatif, puis à la Chambre. Président du groupe de l’Appel au Peuple, circa 1860 ; format cdv. (Disdéri)

4/MONTIJO Maria-Manuela (de) (1794-1879). Comtesse de Montijo. Grand-mère maternelle du Prince impérial ; format cdv. (Disdéri)

***

Le cercle intime
(Dans le sens des aiguilles d’une montre)

1/ CONNEAU Henri (1803-1877) Père de son meilleur ami, Louis Conneau, et confident de Napoléon III. Premier médecin de l’Empereur, député de la Somme, sénateur, circa 1860 ; format cdv. (Franck)
Crédits du photographe au recto et au verso

2/ MARET Napoléon, Joseph, Hugues (1803-1898) Duc de Bassano. Fils du ministre de Napoléon 1er. Diplomate, sénateur et grand chambellan de l’Empereur. Le 20 juin 1879, informé par lord Sydney – dépêché par la reine Victoria – de la mort du Prince impérial, il eût le triste privilège d’annoncer la tragique nouvelle à l’impératrice Eugénie, circa 1860 ; format cdv. (Disdéri).
Crédit du photographe au verso. Petit défaut en marge supérieure du tirage, sans atteinte au personnage.

3/ CORVISART Lucien (1824-1882) Baron. Petit neveu du 1er médecin de Napoléon 1er. Médecin ordinaire de l’Empereur et adjoint au 1er médecin, Henri Conneau. Il dressa avec le docteur Larrey, le 11 juillet 1879, au retour des cendres de l’infortuné Prince mort au Zululand, le procès-verbal de l’identification de son corps, circa 1860 ; format cdv. (Crémière)
Crédit du photographe au verso

***

Les fidèles
(Dans le sens des aiguilles d’une montre)

1/ ROUHER Eugène (1814-1884) Ancien ministre d’Etat de Napoléon III, il prit la direction effective du parti bonapartiste en 1873, circa 1860, format cdv. (Disdéri)
Crédit du photographe au verso

2/ NOAILLES Antoine, de (1841-1909) Duc et prince de Poix, duc de Mouchy, grand d’Espagne de 1ère classe, administrateur de société, député de l’Oise et maire de Mouchy, circa 1860 ; format cdv. (Lejeune)
Petits défauts superficiels, crédits du photographe au recto et au verso

3/ MURAT Anna (1841-1924) Princesse. Duchesse de Mouchy, amie intime de l’impératrice Eugénie, circa 1860 ; format cdv. (Lejeune)
Crédits du photographe au recto et au verso

4/ PADOUE Ernest, Louis, Henri Arrighi de Casanova (de) (1814-1888) Duc. Sénateur, ministre. Sous la Troisième République, il fut l’un des chefs les plus actifs du parti bonapartiste et prit la parole le 16 mars 1874 lors du rassemblement qu’il avait organisé, avec 7000 invités, pour la majorité du Prince impérial ; format cdv. (Disdéri)
Angles légèrement rognés. Crédits du photographe au recto et au verso

5/ NELATON Auguste, Jean, Baptiste (1807-1873) Chirurgien de l’Empereur, membre de l’Institut, sénateur, il opéra le Prince impérial de la hanche en 1867, circa 1860 ; format cdv (Disdéri)
Crédits du photographe au recto et au verso

***

L’armée
(Dans le sens des aiguilles d’une montre)

1/ CAMBRIDGE, Duc de (1819-1904) Commandant en chef de l’armée britannique, il agréa la requête du Prince impérial d’accompagner les troupes anglaises au Cap, circa 1860 ; format cdv (Maull & Polyblank).
Crédit du photographe au recto et au verso

2/ CANROBERT François, Certain (1809-1896) Maréchal, sénateur du Lot de 1876 à 1879 et de la Charente de 1879 à 1894, il prit place dans le groupe de l’Appel au peuple, circa 1860 ; format cdv (Disdéri).
Crédit du photographe au recto et au verso

3/ BOURBAKI Charles, Denis, Sauter (1816-1897) Général de division, aide de camp de l’Empereur (1869), il commanda la garde impériale pendant la campagne de 1870. Gouverneur de Lyon et commandant du 14e corps. Soutien indéfectible du Prince impérial, après l’avoir été de son père, qui envisagea, en 1873, de s’appuyer sur sa fidélité pour renouveler le « vol de l’Aigle ». La mort de Napoléon III, le 9 janvier 1873, mit fin brutalement à ce projet, circa 1860 ; format cdv (L. Pierson)
Crédit du photographe au recto et au verso

***

Le clergé
(Dans le sens des aiguilles d’une montre)

1/ DARBOY Georges (1813 – exécuté par la Commune à Paris, le 24 mai 1871) Evêque de Nancy (de 1859 à 1863), archevêque de Paris (de 1863 à 1871) et grand aumônier de l’Empire. Il donna la communion au Prince impérial, le 7 mai 1868, circa 1860 ; format cdv. (Bertall & Cie)
Crédits du photographe au recto et au verso, petite tache en marge gauche du montage

2/ BONNECHOSE Henri Marie Gaston, de (1800-1883) Archevêque de Rouen et cardinal, il participa, à la demande du Prince impérial, aux travaux de rédaction d’un projet de constitution en 1878. Le Prince sollicita également le concours de son ami Tristan Lambert et du journaliste Eugène Loudun. Ce « comité » œuvra dans la plus grande confidentialité, circa 1860 ; format cdv. (Pierson).

3/ DEGUERRY Gaspard (l’abbé) (1794 – exécuté par la Commune à Paris, le 24 mai 1871). Curé de la paroisse de la Madeleine. Il fut chargé de faire l’instruction religieuse du Prince impérial et de le préparer à sa 1ère communion, circa 1860 ; format cdv
Crédits du photographe au recto et au verso

[BAUDELAIRE] BRACQUEMOND, Félix (1833-1914)

Gravure à l’eau forte représentant le poète
[Deuxième édition des Fleurs du Mal – Mars 1861], 1 p. in-12° sur vélin in-8°
Signée par Félix Bracquemond et Eugène Delâtre
Marges rognées (le nom de Baudelaire gravé par Bracquemond en dessous de la gravure a été coupé), monté sur vélin moderne

Épreuve de premier état ayant figuré en frontispice pour la deuxième édition des Fleurs du mal


La deuxième édition, en partie originale, est tirée à 1500 exemplaires ; 4 exemplaires sur Chine, et quelques exemplaires sur Hollande et vélin fort que Baudelaire fit tirer à ses frais ; et augmentée de trente-cinq poèmes nouveaux, ne contient pas les pièces condamnées en 1857.

On joint :
Une gravure sur acier tardive (1 p. in-8°) d’après un portrait de Nadar (figurant dans les Œuvres complètes chez Calmann-Lévy – Paris, 1880), imprimée sur papier vergé. Quelques rousseurs.

[SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)]

Lettre autographe signée « Christian Chapuis » à Jean-Paul Sartre
Maîche [Doubs], 21 juin 1954, 4 p. in-8°
Cette missive a probablement été envoyée chez Gallimard, la maison d’édition de Sartre
Une apostille, d’une autre main, en marge supérieure droite du premier feuillet, indique en effet l’attention à laquelle cette lettre est destinée.

Long et dérangeant épanchement d’un adolescent que la lecture de Sartre semble avoir beaucoup troublé


« C’est un séminariste qui vous écrit, mais, je vous en supplie, lisez sa lettre et répondez-lui. je dis que je suis séminariste, mais je devrais bien plutôt dire que je suis un adolescent au séminaire car depuis bientôt un an j’ai perdu la foi.
J’ai lu deux de vos livres : “La Nausée” et “Le Mur”. Ce dernier m’a beaucoup plu. Il m’a semblé que je me retrouvais un peu dans l’enfance d’un chef. Non que je sois fils de patron (mon père est ouvrier) mais je crois que j’ai déjà éprouvé des impressions analogues à celles de Lucien.
Lorsque j’étais enfant (j’aurais bientôt dix sept ans) il me semblait que je vivais un rêve et que tout d’un coup, j’allais me réveiller. D’autres fois je croyais que mes parents n’étaient pas mes vrais parents et que j’étais un enfant volé. […] Je passais ma sixième dans une inconscience remarquable. En cinquième je me pris pour un saint et j’étais plein de ferveur enfantine.
Mais vinrent les grandes vacances. J’allais bientôt avoir quinze ans. Je fis connaissance peu à peu avec mes sens. Le soir au lit, je rêvassais. je ne m’amusais pas encore avec ma verge mais j’imaginais être martyrisé. Les premières fois, il y arrivait un moment ou j’éprouvais une drôle de sensation. Ensuite, j’avais envie d’uriner mais je n’y arrivais pas. Peu à peu, je m’aperçus que cela avait des rapports avec ma verge. Entre temps un livre m’était tombé entre les mains : “Satan conduit le bal” [roman de Georges Anquetil paru en 1925]. Ce roman décrivait comment l’on battait les femmes dans les chambres de flagellation. Ce livre me troubla beaucoup.
Pendant ma quatrième je m’excitais et trouvais le plaisir en m’imaginant d’être esclave. Au début, je rêvais d’être esclave d’un homme ou d’une femme puis, quelques mois plus tard d’une femme ou d’un enfant. Pendant les grandes vacances dernières, assez souvent, je me faisait lier dans des positions douloureuses par mon frère (11 ans). Il se figurais [sic] que je jouais tout simplement au prisonnier avec lui.
Au début de cette année scolaire, j’entrai en troisième (j’avais presque seize ans). je commençais à perdre la foi.
Pour m’exciter je pensais être esclave, mais esclave d’une jeune fille.
C’est aux vacances de Noël que j’achetais Le Mur. Au deuxième trimestre, je ne rêvais plus tant être esclave. Je rêvais tout simplement de m’amuser avec une fille.
Aux vacances de Pâque j’achetais “La Nausée”.
Le soir avec mon frère je connu un un plaisir plus parfait. Nous jouions aux cartes. Celui qui perdait était esclave de l’autre. Mais mon frère n’aimait pas être mon maître.
Maintenant voici où j’en suis.
Je n’ai plus envie de me tuer. Je n’ai jamais eu ni ami, ni amie. Je n’ai jamais vu de femme nue et je ne sais même pas comme elles sont entre les cuisses. (J’ai déjà bien acheté certaines revues mais on ne voit pas le principal).
Mon grand rêve pour les vacances c’est de trouver un adolescent de mon âge et de jouer parfois avec lui. Je serais son esclave, son jouet. Il me battrait, me ferait souffrir. Je m’adonnerait de faire toute sorte de chose (lui lécher sa verge pour l’exciter par exemple).
Que peut-on encore faire entre homme ?
J’ai lu dans “Intimité”, un chapitre du “Mur” qu’un homme reste couché deux heures avec une femme. Est-ce que cela est possible ? Est-ce que le jus ne part pas avant. Croyez vous que l’on risque beaucoup de mettre une fille enceinte en couchant avec elle ? etc-ce qu’elle y trouve beaucoup de plaisir et serait vite d’accord de coucher ?
Est-ce que je ne risque rien en étant “esclave” ? Est-ce que je suis pédéraste ? Est-ce que je peux trouver un adolescent qui prenne plaisir ) faire de moi son jouet et son esclave ?
Vous voudrez bien m’excuser de toutes ces questions assommantes et idiotes. Je vous en supplie, répondez-y le plus tôt possible. Je vous salue bien respectueusement et vous admire. Ch. Chapuis.
Voici mon adresse (ce n’est pas la réelle à cause de mes parents).
[…]
P.S. Si vous le voulez bien, donnez-moi votre adresse. Je voudrais aussi savoir ou je pourrait [sic] trouver les photos d’une femme vraiment nue […]
P.S. Croyez-vous qu’on puisse bander tous les jours et plus sans que cela porte atteinte à la santé ? Combien paie-t-on ordinairement pour coucher avec une femme ? Dans un bordel ou chez une particulière. »


Il nous semble que cette lettre se passe de tout commentaire.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max » [à Estelle Isch-Wall]
S.l.n.d [avant 1923], 1 p. in-4°
Lettre incomplète, le début manque

Douce lettre de conseils du poète à sa filleule


« […] ne m’aimez pas mieux de loin – c’est très blessan ce que vous m’écrivez là. Que faire pour vous rendre très heureuse, quoi, sinon vous donner un bon conseil : ne restez jamais inoccupée. Je n’appelle pas être inoccupée l’état de méditation, bien entendu. Il faut vous atteler à une grande besogne énorme, vous coucher fatiguée, recommencer le lendemain. Ne jamais penser à soi même et toujours au bien qu’on peut faire autour de soi, par la plume ou autrement. Je ne vous dis pas d’être dame patronesse [sic] ce qui est ridicule mais il y a toujours moyen. Quand on est arrivé à s’oublier on est très heureux.
Vous êtes foncièrement bien portante et cette angine ne sera rien.
La lecture est un élément de bonheur quand on lit très lentement en prenant des mots ou en s’intéressant à telle ou telle science. Ne restez pas inactive : ne soyez pas enfant gâtée.
Vous êtes une charmante filleule que son parrain aime énormément.
Max »

Max Jacob rajoute au verso : « ne pas s’ennuyer une minute »


Estelle Isch-Wall, née en 1898, est la cousine et petite filleule de Max Jacob. Elle épousera le peintre Louis Latapie (1891-1972) avant de s’éteindre prématurément en 1923, à l’âge de 25 ans.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à Marcel Thiébaut
Monastère de St Benoît-sur-Loire, 16 mai 1924, 2 p. in-8° sur bifeuillet gris
Traces de pliures d’époque dues à la mise sous enveloppe

Max Jacob salue l’analyse faite de son dernier ouvrage par Marcel Thiébaut, directeur des édition Calmann-Lévy


« Mon cher confrère,
Je suis profondément touché de votre offre et rien ne peut me flatter davantage que de me voir dans une maison que j’ai été habitué à respecter et à aimer dès l’enfance.
En principe, j’accepte avec joie… il y a des contingences, hélas sur lesquelles je dois songer et sur lesquelles je vous écrirai.
L’analyse que vous avez eu la courtoisie de m’envoyer m’a fait un grand plaisir. Vous avez le don de lumière : vous avez dégagé le caractère de mes héros mieux que je ne l’ai fait moi même et l’essentiel du livre vous l’avez mis nettement en relief dans un esprit d’équité bien rare chez les critiques.
De toute façons, merci, mon cher confrère et recevez, je vous prie, mes très distinguées salutations avec l’assurance de mes sentiments de confraternité bien sympathiques et dévouée.
Max Jacob
P.S. n’êtes vous pas le descendant de ce général Thiébaut qui sous Napoléon 1er écrivit ses aventures en Espagne avec tant de talent. »


Max Jacob fait, en début de lettre, allusion à une possible acceptation de sa part d’être publié aux éditions Calmann-Lévy, et dont Marcel Thiébaut est alors le directeur. Cette proposition restera toutefois sans suite, Max Jacob étant sous contrat chez Gallimard depuis 1923.
Il est ensuite très vraisemblable que Thiébaut ait salué la parution de L’Homme de Chair et l’homme reflet, paru à la fin de mars 1924, et ce pour quoi Jacob le remercie vivement dans cette lettre.

Il n’existe pas d’occurrence Thiébaut dans la correspondance de Max Jacob, à l’exception de cette lettre.

CAMUS, Albert (1913-1960)

Lettre autographe signée « Albert Camus » à Jean-Louis Barrault
S.l [Paris] Mardi 6 octobre 1953
Traces de pliures dues à l’envoi d’époque

Émouvante lettre écrite à son ami Jean-Louis Barrault après la reprise du Livre de Christophe Colomb de Paul Claudel, au Théâtre Marigny


« Cher Barrault,
J’étais heureux, samedi soir en sortant du Marigny. Heureux d’une bonne et étrange manière, et plein d’une affectueuse admiration. Je disais : “Voilà, de retour, notre plus grand metteur en scène.” J’aurais dû dire : le seul que nous ayons. Et il y avait un peu de ce sentiment dans la salle de ce soir-là, parmi le public pourtant si prompt à applaudir la médiocrité sur commande. C’était là peut-être le bonheur dont je parlais : Voir la supériorité du talent et de l’invention reconnue, saluée pour ce qu’elle est, sans rivale, et triomphant par les moyens les plus francs et les plus droits.
Je ne t’étonnerai pas en disant que je ne suis pas fou de la pièce. Ce n’est, il s’en faut, ni le Soulier(1), ni le Partage(2). Mais tu en as fait un merveilleux livre d’images dont on peut être et, dont je suis, fou. Ta plus grande création, peut-être, avec Le Soulier et le Procès(3). Quelle prestesse, quelle invention constante, quel bonheur calculé dans les formes, les places, les lumières et dans le rythme, surtout dans le rythme, oui, où seul peut triompher le grand, le vrai metteur en scène. Tu vois, je suis enthousiaste… Et pas seulement enthousiaste, mais aussi ému, et vaguement fier, oui, c’est idiot, fier de je ne sais quoi. De toi et de vous sûrement (aussi vrai que tu n’es pas mon fils). Peut-être aussi de ce pays, de ce Paris, de notre génération, et pourtant Dieu sait si je suis parfois découragé. Mais justement l’occasion d’aimer et d’admirer, quand elle est rare, vous mouille le cœur. On a envie de dire merci et, comme tu vois, on le fait.
Et maintenant, courage pour la suite. Tu sais bien que cette bataille-ci ne connaît que des armistices, jamais de paix. Mais tu es armé. Embrasse Madeleine [Renaud] la Catholique, si belle et si simplement touchante dans Isabelle. Bravo à tous… Je te serre la main, très affectueusement.
Albert Camus

[Camus rajoute en bas à droite de la deuxième page]
Pardon !
Ce sont mes boutons de manchette. »


1- Le Soulier de satin est une pièce de théâtre de Paul Claudel mise en scène par Jean-Louis Barrault le 27 novembre 1943 et dont l’exécution complète dure environ onze heures.

2- Partage de midi est un drame en trois actes de Paul Claudel, écrit pour trois puis quatre personnages en 1905, créé dans une version modifiée le 16 décembre 1948 au Théâtre Marigny par la compagnie Renaud-Barrault.

3- Le Procès est un roman posthume de l’écrivain Franz Kafka paru en 1925 et adapté au théâtre par André Gide en 1947. Jean-Louis Barrault y joue le rôle de Joseph K.

Au delà de ses mots tantôt enthousiastes, tantôt touchants, cette lettre nous éclaire sur l’une des grandes passions de Camus : le théâtre, domaine dans lequel il multiplia les expériences. Il commença tout d’abord comme animateur de troupe à Alger du Travail de l’Équipe, théâtre populaire monté sous l’égide du PC de 1936 à 1937, puis acteur itinérant et occasionnel, dramaturge, adaptateur…
La collaboration théâtrale entre les deux amis se limita toutefois à la mise en scène par Barrault de L’État de siège, crée le 27 octobre 1948 au théâtre Marigny.

BERNHARDT, Sarah (1844-1923)

Carte autographe signée « Sarah Bernhardt » à une dame
S.l.n.d, 2 p. in-8° oblongues

Sarah Bernhardt donne rendez-vous à sa correspondante


« Madame
Je suis à vous demain de une heure et demie à deux heure 1/2. Vous plaît-il venir déjeuner sans prévenir après-demain. Enfin le jour qu’il vous plaira. Chez moi avant trois heures ou au théâtre après cinq heures.
Je suis heureuse Madame, de vous renouveler l’expression de mon amitié.
Sarah Bernhardt »


Belle carte à son chiffre et sa devise « Quand même »

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel » à Robert de Billy
S.l [Paris], entre le 11 et le 14  janvier 1912, 4 p. in-8°
Filigrane : « Imperial Diadem »
Trace de pliure d’époque

Proust s’est endetté après avoir perdu au jeu à Cabourg et en Bourse


« Mon cher petit
Je vous écris un mot qui a l’air idiot et après lequel vous pourrez néanmoins me dire ce que vous voulez et que je ferai. Mais voici : j’ai non seulement tellement dépensé mais “fait jouer” pour moi à Cabourg, que je suis en déficit très gros au Crédit Industriel et à la Banque R.
[Rothschild]. J’ai trouvé un peu d’argent pour attendre un peu, et j’espère ne pas avoir de difficultés pour mon terme. Mais ce sera tout juste. Inutile de vous dire que si vous aviez besoin d’argent, il me serait facile de vendre une valeur et de vous en envoyer le montant. Mais comme je viens précisément de me livrer à cette opération avec une Bourse déplorable, j’aimerais mieux ne recommencer que si cela était utile. Or je suppose qu’il vous est absolument indifférent que j’envoie cet argent. Je vous supplie de ne pas croire qu’il y a nonchalance de ma part et indifférence. Si vous me dites de le faire je le ferai instantanément. Et ce n’est pas parce que j’aurais distrait 500 fr. de l’équilibre instable de mes dettes (quel style !) que cela changera grand chose. Mais enfin, tâchant d’être raisonnable, peut’être serait-ce mieux pas en ce moment. Surtout ne me renvoyez pas les précédents 500. Vous me les rendrez quand vous viendrez, ou me feriez un plaisir sentimental en ne me les rendant jamais et en me donnant l’illusion d’entretenir une dame avec qui vous auriez vous les relations amoureuses. Vous ai-je jamais dit pour Lord Kitchener qu’une compétence distinguée de la côte normande m’avait dit : « je crois bien que oui »(1). Que pensez-vous de Me Depret ?(2)… et de son époux ?(3)
Tendrement à vous
Marcel
Il me semble que l’Angleterre est moins chaude pour nous. Quel ennui ce serait. Et voilà le Times qui a l’air de prendre le parti de l’Allemagne »(4).


Contraint de rentrer à Paris le 1er octobre 1911, à la fermeture du Grand hôtel de Cabourg et après y avoir perdu au jeu, Proust fit faire acheter des Rand Mines par l’intermédiaire de son secrétaire d’alors, Albert Nahmias. Les placements boursiers de Marcel Proust s’avèrent désastreux. Il y fait même presque explicitement allusion dans A La Recherche du temps perdu (voir Albertine disparue, Pléiade vol. 4. 219 et 1119).

Rappelons enfin que c’est Robert de Billy, préalablement diplomate en poste à Londres de 1896 à 1899, qui fit découvrir l’œuvre de John Ruskin à Marcel Proust en lui offrant en 1898 un exemplaire de La Bible d’Amiens.

1- Horatio Herbert premier Vicomte de Kitchener of Khartum (1850-1916), qui avait fait l’expédition du Nil en 1884-1885, gouverneur de Suakim (1886-1888), maréchal en 1909. – En marge d’un passage de La Prisonnière (conversation entre Brichot et Charlus), Proust note : « Insister sur ce que l’homosexualité n’a jamais empêché la bravoure, de César à Kitchener » (III, 1087, p. 303).

2- Il s’agit sans doute de la seconde épouse Mme Maurice Depret, née Germaine Aubry.

3- Maurice Depret, né le 11 juin 1863, secrétaire d’ambassade de 1890 à 1902, en disponibilité le 8 novembre 1903. Il avait épousé en premières noces Mlle Pérouse (Tout Paris, 1897, p. 146).

4- Allusion, semble-t-il , à l’entrefilet paru dans Le Journal du 11 janvier 1912, page 4, sous le titre La Chute du cabinet Caillaux et l’Opinion en Europe : M. Caillaux est un homme qui a une énorme confiance dans son jugement et dans son habileté à conduire les conversations difficiles. Cette confiance peut paraître déplacée, car il a diminué le prestige de la diplomatie française et ranimé contre la France des animosités mal éteintes […] Il n’y a pas de place dans le gouvernement des nations pour des hommes tels que Caillaux. Ils sont non seulement un danger pour les nations qu’ils représentent, mais pour le monde civilisé. La France a évité le danger de guerre ; il faut que le ministère fût bien équilibré pour qu’elle ait échappé au danger Caillaux »

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Manuscrit autographe préparatoire pour Les Mots
S.l.n.d [c. 1953-1955], 1 p. in-4°
Quelques ratures et passages biffés. Nous ne transcrivons ici qu’une partie du feuillet.

Précieux manuscrit préparatoire inédit pour Les Mots, l’un des plus denses que l’on puisse trouver du chef-d’œuvre autobiographique de Sartre


« Je ne ressentais rien, toute mon énergie s’absorbait à produire cette mutation dans cette mue. Je fus atteint de distraction chronique ; possédé par mon absence, nulle part je ne me sentis présent tout à fait. Par comédie, par zèle, j’avais été l’enfant le plus sage ; par indifférence, je devins plus docile encore, je me prêtai aux éponges, aux brosses, au gant de crin :  pendant qu’on me bouchonnait, j’écoutais en moi-même le bruit des marteaux qui battaient le fer. Je gagnais tout à cette nouvelle imposture : jusque-là, quand je faisais le héros, je n’oubliais jamais que c’était un jeu, que j’étais un mal-bâti. Bref, je n’y croyais pas. Mais je croyais à ma vocation : cette certitude était d‘autant plus aveugle, d’autant plus inébranlable qu’elle m’était plus étrangère. En parant l’écrivant des plumes du héros. Mais quand. Lorsque je fis forgeais l’alliage du héros et de l’écrivain, je donnais à celui-ci les vertus de celui-là, à celui au second les vertus du premier, au premier la réalité du second. Ma valeur n’était qu’imaginaire : elle devint ma vérité future, je passai du jeu au bovarysme. À considérer les choses du dehors, il va de soi que je ne sortais pas du rêve : héroïsme, génie, vocation, tous ces mots enfantins perdent leur sens dans l’univers des adultes. Mais, au-dedans, il n’en était pas de même :
Je devins quelqu’un, un Autre
[…] »


Sartre commence à rédiger le livre qui deviendra Les Mots (initialement titré Les Affections du cœur) en 1952-1953, puis l’abandonne en 1956 avant de le reprendre et de le publier en 1963. On connaît plusieurs textes préparatoires fragmentaires (de un à une dizaine de feuillets pour le plus long), qui sont conservés à la BnF et ont été publiés dans l’édition de la Pléiade dans une rubrique intitulée « Vers Les Mots »
Le manuscrit que nous présentons ici demeure toutefois l’un des plus précieux que l’on puisse trouver par sa densité thématique.

Sartre et le « bovarysme » :
On notera que cette occurrence ne figure pas dans le texte définitif des Mots. Sartre, on le sait, nourrissait un fort intérêt pour Madame Bovary, ayant lu l’œuvre de Flaubert à de nombreuses reprises. Madame Bovary s’inscrivait pour le jeune Sartre dans un projet de vie, entre le défi aux adultes et la comédie enfantine (Sartre et la tentation Bovary – F. Noudelmann)

Enfin, il est intéressant d’observer l’unité de ce feuillet, avec un ‘début’ et une ‘fin’, contrairement à d’autres fragments isolés que l’on trouve du même auteur.

MAURRAS, Charles (1868-1952)

Lettre autographe signée « Charles Maurras » à Louis-Xavier de Ricard
S.l, 31 décembre [1892], 15 p. in-8° montées sur onglet dans une reliure de Michel Kieffer
Lettre reliée sous demi-maroquin à bandes, filets dorés sur les plats. Dos lisse, titre doré. Reliure par Michel Kieffer (années 30), en parfait état.
La reliure est enrichie d’une lithographie originale représentant un portrait de Charles Maurras par Auguste Leroux

Longue missive inédite de 15 pages du jeune Maurras, deux ans avant qu’il n’amorce sa conversion au principe monarchique – Cette lettre, capitale, tant par la variété des sujets qu’elle aborde que par leur profondeur, laisse déjà entrevoir le socle futur de la pensée maurassienne 


« Monsieur et cher confrère
Me pardonnerez-vous ? Il y a cinq grandes semaines que je songe à répondre à la lettre excellente que vous avez voulu m’écrire le 23 novembre dernier. Je profite du jour de l’an pour vous mander enfin, avec mes meilleurs souhaits de bonne année, cette réponse dont je vous suis redevable depuis si longtemps.
La fin rapide du Langdocian nous a fort chagrinés [Frédéric] Amouretti et moi ; mais c’est une fin transitoire, et ceci nous rassure bien. Vous allez reprendre la campagne avec une revue, sur un plan plus large et dont les résultats seront plus heureux. Le Langdocian était d’ailleurs excellent. Avec la Cigale d’Oc, il tenait la tête de la presse d’Oc et je ne pense pas que son action ait été inutile. Vous aviez des détracteurs à la fois très intelligents et très ardement dévoués à l’idée fédéraliste. […]
Les gens de la Revue Bleue ont pu d’aventure [lire] mon article en ce moment. Ils le tiennent en réserve pour plus tard. Il paraîtra dans quelques semaines ou quelques mois. Pauvre article ! Tendre fédéralisme à l’eau de rose. Il sera probablement intitulé séparatisme ou décentralisation et il est bien certain que je n’y ai pas dit le quart de mes pensées. Vous aurez une épreuve la veille du jour où il devra paraître.
M. Ferrari est, en effet, le plus charmant des hommes. Mais il a, comme beaucoup de sceptiques d’aujourd’hui, une sorte de fanatisme, de « religion du scepticisme » qui est, assurément, la plus grande chinoiserie que je connaisse. Un sceptique sincère devrait arborer les esprits religieux, convaincus et un peu sectaires : car ne lui donnent-ils pas le plus savoureux et le plus vivant des spectacles ? Mais non. La tolérance, la modération, la peur de conclure, voilà leurs dieux à tous, qu’ils s’appellent Masuard ou Ferrari […] Pour moi, qui ait à cœur de réparer l’oubli bien involontaire où j’ai laissé Au bord du… et Autour des Bonaparte. Je parlerai bien volontiers – à la Baguette de France, peut-être ! – de votre Esprit politique de la Réforme. Malgré des désaccords sans doute très graves, – je vous avoue que le protestantisme est un peu ma bête noire, – il ne sera pas difficile de trouver là-dessus des conclusions communes, c’est-à-dire fédéralistes.
Je suis tout à votre disposition pour des renseignements et des documents sur votre idoles romane, et même sur le mouvement littéraire à Paris. Je ferai en sorte de vous les envoyer dès le reçu de vos questions par retour du courrier. Passerez-vous bientôt à Paris ? Ayez la bonté de nous prévenir, afin que nous organisions qque chose. Les jeunes qui nous viennent, [sont] de plus en plus nombreux. Hier soir, nous avons eu une réunion au café Voltaire. Radiguer y est venu. Il a fait un excellent effet. Nous tacherons de continuer la campagne de concert. Car il faut à tout prix que des septentrionaux se joignent à nous. Autrement, nous serons accablés sous la vielle imputation de séparatisme. Je la méprise infiniment pour ma part, car je me sens français autant que provençal, mais je la redoute pour notre idée.
Ne serait-il pas excellent de capter notre mouvement de réprobation qui se forme contre la finance cosmopolite en nous intitulant : Le parti national de la fédération – ou, si parti national rappelle trop Boulanger, le parti de la fédération nationale. Quel que soit le mot choisi, il serait important de nous montrer chauvin par quelque côté. Nous y gagnerons la répression d’une accusation dangereuse et un concours nouveau, celui de l’esprit national qui se réveille. J’aimerais assez que, sans nous confondre avec les antisémites ni les déroulédistes, nous pressions qque chose de leur devise : La France aux Français, quitte à ajouter la province aux provinciaux, la Commune aux membres de la communauté. Car je suis communaliste, autant que fédéraliste, étant originaire d’une de ces petites communes du midi qui jusqu’en 1789 ont formé des espèces de Républiques indépendantes ? Quelle émotion j’ai eue l’été passé à feuilleter les registres des assemblées municipales de mon Martigues ! Et ce que je suis humilié d’entendre raisonner mes compatriotes d’aujourd’hui, abaissé par cent ans de pseudo-liberté ! Mais ils se relèveront, et j’ai formé là-bas un petit noyaux « localiste » très ardent et très passionné.
Je reviens à la question nationale qui me passionne aussi beaucoup. Dites-moi, s’il vous plaît, votre opinion à cet égard. Il ne s’agit pas d’une alliance, mais d’une précaution à prendre contre une objection trop facile.
Sur le fond de la question, je vous avoue que je suis antijuif sans être antisémite. Les juifs, à mon sens, forment un état dans l’état : c’est le seul qui subsiste aujourd’hui dans notre France unitaire et centralisée, et de là vient son danger. Sous le régime fédératif, on pourrait rendre aux juifs leur nationalité, en prenant contre eux quelques indispensables précautions. Mais nous discuterons ces choses, dans nos assemblées de province, et lorsque que le fédéralisme aura triomphé. Il s’agit aujourd’hui de marcher ensemble et de chercher nos alliés où nous pourrons.
Amourette a lâché La Libre Parole [journal antisémite lancé par Édouard Drumont en avril 1892], depuis de long mois. Le journal est vraiment très hostile au midi. Mais il ne l’est point à l’idée fédéraliste. Dumont ne perd jamais une occasion de foudroyer la centralisation napoléonienne. Comment cela s’arrange-t-il avec son ancien bonapartisme, je n’en sais rien, ni peut-être lui-même.
Je ne voudrais pas non plus que me idées nationalistes vous fissent croire que je sois le moins du monde hostile à l’alliance latine. Je crois à la fédération des peuples romans, parmi lesquels je tiens à comprendre la Grèce. La Grèce est ma chimère et mon rêve de tous les jours. L’esprit latin tout seul me semble sec et rude, un peu « protestant » passez-moi l’expression, et j’incline à penser qu’italiotes et Gaulois, Hellènes, Ioniens appartenaient tous à la même souche pélagique. Je n’admets pas ou du moins j’incline infiniment à rejeter la théorie néo-latine de la formation du français et je fais grec – au grec mystérieux, un peu sauvage et rustique, retrouvé par un érudit de mes amis que j’estime et honore fort, – une part très considérable… grec ou latine – disons méditerranéens pour y comprendre les arabes et les Phéniciens. Nos peuples sont les premiers dans le passé – et peut-être qu’il dépend de nous qu’ils soient relevés d’ici peu et en état de tenir tête à l’invasion anglo-germaine qui commence à courir le monde. Fuore Barbaro ! Romanisme, fédéralisme, tout cela, du moins, n’y nuira pas.
Pardon, n’est-ce pas, de ces amplifications. Vous les jugerez un peu jeunes, comme je fais. Mais n’est-ce pas l’expression du sentiment qui nous anime et ne sont-ce pas des phrases pareilles qui nous vaudront peut-être un jour l’adhésion de tous nos « pays » ? Il me surprend beaucoup que Socrate et Jésus n’aient pas suffit à réhabiliter les bavards… […]
Je pense qu’il n’y a plus que deux termes possibles dans le cas où nous sommes : césarisme ou fédéralisme. Et comment le césarisme durerait-il ? Je sais très bien qu’il y a la « dictature ouvrière » dont Barrès a parlé, le marxisme qui vous écœure et que je hais aussi – mais où sera la force pour l’organiser ? Je vois beaucoup de forces destructrices. Je n’en aperçois point de créatrice, hormis celle que nous tentons de mettre en mouvement.
A vous mon cher confrère, en mes meilleurs souhaits de bonne année.
Charles Maurras »


Provençal influencé par la pensée de Mistral, Charles Maurras fit partie jusqu’en 1892 du Félibrige, mouvement pour la renaissance de la langue d’oc. Il fut ensuite sensible aux idées de Barrès, de Renan et d’Anatole France. À l’écriture de cette lettre, l’écrivain mène une ardente campagne fédéraliste à l’intérieur du Félibrige. On ne connaît pas d’occurrence plus ancienne sur les sujets qu’il aborde ici, tel le boulangisme ou le marxisme. Pas encore royaliste (il se sera en 1895), cette période est pour le jeune Maurras à la croisée l’engagement politique et intellectuel de sa pensée.
Charles Maurras exerça une très grande influence sur la vie intellectuelle française tout au long du XXe siècle, et encore de nos jours.

Louis-Xavier de Ricard (1843-1911) est un poète, écrivain et journaliste. Originaire de Marseille, il fut l’éditeur de La Revue du progrès, dans laquelle fut publié le tout premier poème de Verlaine, Monsieur Prodhomme, en 1863.

LEVI, Primo (1919-1987)

Ensemble de deux lettres signées « Primo Levi » à Roland Stragliati
Turin, 19 et 29 juin 1980, 8 p. in-4°, avec une enveloppe autographe

Très rares lettres de Primo Levi pour la traduction en français de son roman La Clef à molette – L’écrivain fait part à son traducteur de très nombreuses remarques, parfois de désaccords, sur certaines subtilités et expressions de la langue italienne pour la version française du roman


En 1978, Primo Levi écrit le roman La chiave a stella (La Clé à molette), un livre qui est un dialogue, lors d’un séjour dans une ville russe, entre l’auteur et un technicien turinois, qui est envoyé en déplacement dans le monde entier pour l’installation de machineries industrielles, dans le cadre des grands projets d’ingénierie, où dans les années 1960 et 1970 les entreprises italiennes sont souvent impliquées. Pour l’auteur, la fierté du travail bien fait est nécessaire à une vie épanouie. Primo Levi doit alors faire face aux critiques de la gauche, car son approche élégiaque du travail comme moyen d’épanouissement personnel néglige les aspects les plus sordides de l’exploitation ouvrière, ainsi que toute critique sociale. Néanmoins, le livre lui vaut le prestigieux prix Strega (équivalent au prix Goncourt en France), en 1979, et un succès auprès des lecteurs à l’avenant.

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Carte-lettre autographe signée « Maupassant » [à Jacques Normand ?]
24 rue Boccador, [Paris, 24 février 1891], 2 p. in-12° oblongues
Date rajoutée d’une autre main sur la deuxième page (probablement par le destinataire), petite tache en marge inférieure droite de la deuxième page sans atteinte au texte

Témoignage inédit de l’écrivain, laissant apparaître les symptômes toujours plus violents de la syphilis, contractée pendant ses jeunes années


« Mon cher ami,
J’irai au [Théâtre du] Gymnase tantôt, et j’y resterai si je peux.
Il faut d’ailleurs que je rendre à quatre heures, la Princesse Mathilde m’ayant annoncé qu’elle viendrait prendre une tasse de thé chez moi.
Quant au dîner, voulez-vous me permettre de ne vous répondre que selon l’état ou je me sentirai tantôt. Mais je ne crois pas que ce soit possible, tant j’ai la tête malade. Je vous en prie ne me faites jamais écrire même un billet […].
Je vous serre cordialement la main.
Maupassant »


Comme le témoigne l’abondante correspondance adressée à ses différents médecins en ce début d’année 1891, Maupassant est en proie à de nouveaux symptômes de la syphilis, toujours plus aggravants. L’écrivain se montre irascible et n’arrive plus à travailler. Durant ses dernières années, se développent en lui un désir exagéré pour la solitude, un instinct de conservation maladif, une crainte constante de la mort et une certaine paranoïa. Guy de Maupassant commence en 1890 L’Âme étrangère, qu’il ne finira jamais.

La même année, il écrit : « Cette impossibilité de me servir de mes yeux… fait de moi un martyr… Je souffre atrocement… certains chiens qui hurlent expriment très bien mon état… Je ne peux pas écrire, je n’y vois plus. C’est le désastre de ma vie. »

Maupassant annonce ici assister aux répétitions de Musotte, pièce écrite en collaboration avec Jacques Normand, au théâtre du Gymnase. La première eut lieu quelques jours plus tard, le 4 mars, et fut un succès.

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Colette » [à Jacques de Marsillac]
La Treille muscate – Saint Tropez [années 30], 2 p. in-4° avec enveloppe autographe

Colette demande une trêve en tant que rédactrice de chroniques théâtrales dans le quotidien Le Journal


« Cher ami, nous y voilà.
Que ne puis-je dire « J’y suis, j’y reste » ! J’inaugure mon séjour par une petite maladie d’arrivée, quelque chose comme une grippe au ralenti, qui n’est pas absolument désagréable. Avertissement donné par l’état général.
Aussi demandé-je, cette année, un petit temps qui ressemble aux vraies vacances, et je n’enverrai de [sic] la copie au Journal qu’à partir du 15 août. Croyez que cette restriction m’est nécessaire. Au surplus, je ne saurais recommencer, sans risque de monotonie, des chroniques provençales qui ont donné leur jus. Et je trouverai fort juste que le Journal réplique à mon abstention par… une abstention.
Tâchez de venir bientôt.
Venez, et les coude sur la table inventons quelque chose qui m’autorise, sans quitter le Journal ami, à être dans ses colonnes autre chose que la critique théâtrale. C’est un affreux métier. Au bout de quatre ans je crie « Pouce ! ». Ne fais-je pas mieux d’avouer ma fatigue que de la mal déguiser ? Venez vite. Mangeons la rascasse farcie, la daube de bœuf, les raviolis, la sardine grillée.  Que notre cher Guimier [Pierre Guimier, rédacteur en chef du Journal] vous accompagne, – et toutes les grâces de Dieu. Je vous embrasse, cher ami. Maurice Goudetek [troisième et dernier conjoint de Colette] est quelque part par là, dans l’eau, ou bien avec les électriciens, car, est-il besoin de vous le dire ? Le moteur de l’eau a sauté. Mais je garantis les sentiments de Maurice, qui vous est très attaché.
Colette »


Au crépuscule de sa carrière dans le music-hall, Colette se lança dans le journalisme, multipliant chroniques et reportages. Cet aspect de son activité joua un rôle essentiel dans la maturation de son écriture. Elle se dit cependant lasse dans cette lettre de quatre ans de chroniques et souhaiterait renouveler son apport au Journal.

Pierre Guimier (1887-1856) succède à François-Ignace Mouthon en 1930 à la tête du quotidien Le Journal et s’entoure d’une équipe comprenant Gérard Dubot, Raoul Barthes et Jacques de Marcillac, rédacteur en chef, tandis que Lucien Descaves occupe toujours la rubrique littéraire, point fort du Journal.

GRACQ, Julien (1910-2007)

Lettre autographe signée « J. Gracq » [à Ariel Denis]
S.l, 5 août [1969], 2 p. in-8°
Année rajoutée d’une autre main au crayon

Longue et importante lettre, en remerciement pour un mémoire à lui consacré, dans laquelle l’écrivain revient sur ses influences littéraires et l’évolution de son œuvre


« Cher Monsieur
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre mémoire, et je suis heureux-sans être du tout surpris- qu’il vous ait permis de passer votre examen dans les meilleures conditions possibles.
Je ne crois pas que je ferais miennes les critiques de M. [Jean-Louis] Leutrat, qui tiennent sans soute surtout à sa modestie, car le petit livre qu’il a écrit sur moi est très dense et nourri [Julien Gracq, Éditions universitaires, 1966]. Quant au thème de l’attente, qui avait été le sujet du mémoire de M. Leutrat, il ne pouvait pas concerner directement un travail portant sur les paysages. Je n’ai rien trouvé… qui me semblât réellement inexact : j’ai tout au plus été surpris (peut-être à tort) par le rapprochement entre Le Rivage des Syrtes et les livres de science-fiction. Peut-être aussi l’exposé est-il parfois exagérément coupé par des citations ; mais ici je sais bien qu’il y a des exigences proprement universitaires.
Il est certain que Pouchkine et Tolstoï ont dû avoir plus d’influence sur mes livres que [Dino] Buzzati, [allusion au Désert des Tartares de Buzzati, paru en 1940] dont je n’ai lu le livre qu’assez peu de temps avant la parution du Rivage des Syrtes, alors que le livre était pratiquement terminé.
Si je considérais votre travail, ou si je m’efforçais de le considérer, car c’est bien difficile, d’un point de vue objectif, c’est plutôt une émotion peut-être qui me frapperait (car j’ai beaucoup plus conscience que vous, forcément, du temps qui s’est écoulé d’un livre à l’autre, temps qui pour moi n’est pas cadre chronologique un peu abstrait mais maturation ou vieillissement).
Il me semble que du Château d’Argol au Balcon en forêtil a dû y avoir quelque évolution visible – même dans la façon de voir ou de présenter paysages. Mais sans doute cet angle qui était possible, aurait-il donné à votre travail une dimension exagérée, ou nui à sa précision.

L’essentiel est pour moi le sentiment que vous avez lu et que vous êtes entré dans ces livres d’une manière très juste et très sensible, et que vous avez su le montrer d’autant mieux que vous disposiez d’un jeu de références déjà très ample (parmi lesquelles je ne suis pas du tout choqué que figure aussi le cinéma).
Je vous remercie donc très sérieusement et très cordialement de m’avoir consacré ce très sérieux travail, et d’avoir eu la gentillesse de me le communiquer. Peut-être n’en avez-vous que peu d’exemplaires : veuillez me dire dans ce cas si je dois vous le renvoyer – sinon je le conserverai et le reverrai.
Agréez, cher Monsieur, avec mes remerciements, l’expression de ma sympathie bien vive.
J. Gracq »


Avec Le Rivage des Syrtes, publié en septembre 1951, Gracq renoue avec l’écriture romanesque. L’histoire de la déclinante principauté d’Orsenna, l’atmosphère de fin de civilisation qui l’imprègne (et qui transpose sur le mode mythique les époques de la montée du nazisme et de la drôle de guerre), le style hiératique de l’auteur séduisent la critique qui encense ce roman à contre-courant d’une production littéraire dominée par l’éthique et l’esthétique existentialistes. Le roman est par ailleurs souvent comparé au Désert des Tartares de Dino Buzzati dont la traduction française a été publiée quelque temps auparavant, mais Julien Gracq réfutera le fait qu’il ait pu être influencé par le roman de l’écrivain italien, et évoquera comme source d’inspiration La Fille du capitaine de Pouchkine.
Paru en pleine rentrée littéraire, Le Rivage des Syrtes fait partie des romans sélectionnés pour le prix Goncourt, pour l’obtention duquel il fait bientôt figure de favori. Conformément à ce qu’il avait annoncé, Gracq refuse le prix. Il est le premier écrivain à agir ainsi, ce qui engendre une importante polémique dans les médias.

[BAUDELAIRE] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Lettre autographe signée deux fois « Paul Verlaine » à Léon Deschamps
Paris, le 23 août 1892, 3 p. in-12° sur bifeuillet quadrillé
Parfait état de conservation

Verlaine souscrit au projet d’un monument en l’hommage à Baudelaire, sans manquer de lui renouveler son indéfectible admiration


« Mon cher Deschamps, merci des cinq balles remises avant-hier.
Voici mon adhésion, ci-contre.
Envoyez donc moi une table des matières, et réservez-moi, if possible, 1 eau forte…
Annoncez que je travaille à un recueil d’Élégies, compléments de Chansons pour elle et d’Odes en son honneur, à paraître chez Léon Vanier etc, etc.
Venez donc me voir. Pour quelque temps encore ici, éruption de sang, furoncle, indépendant du rhumatisme antique et du diabète décidément patent.
Tous les jours de 1 à 3, Broussais salle Lasègue, 30 / 96 rue Didot.
Et tout à vous
P. Verlaine
Envoyez-moi deux ou 3 des prochaines plumes où il y aura « O mademoiselle etc. »

« Paris 23 avril 92
Parbleu ! mon cher Deschamps.
Baudelaire fut mon plus cher fanatisme et est, c’est-à-dire restera l’une de mes meilleures admirations.
A vous de cœur
Paul Verlaine »


Le 1er août 1892, Léon Deschamps (1863-1899) lance dans la revue La Plume une souscription pour un monument en hommage à Baudelaire. Rodin accepte d’en exécuter l’œuvre, en médaillon ou en buste. Verlaine accepte quant à lui de participer à la souscription, malgré ses éternels soucis financiers. Il profite de sa lettre pour annoncer à Deschamps qu’il travaille à son nouveau recueil Élégies (1893), complément de Chansons pour Elle (1891) et Odes en son honneur (1893), autant de recueils inspirés de ses relations orageuses et passionnées avec ses maîtresses Philomène Boudin et Eugénie Krantz.
Dès septembre cependant, Ferdinand Brunetière (1849-1906), défenseur du classicisme rationaliste du XVIIe siècle et ardent opposant aux écoles littéraires de son époque, fustige le projet dans la Revue des deux mondes. La polémique durera plusieurs mois, faisant finalement échouer le projet.

« Baudelaire fut mon plus cher fanatisme »
On connaît l’indéfectible admiration de Verlaine pour Baudelaire. Bien qu’il n’ait jamais rencontré son idole, le tout jeune poète, 23 ans à l’époque, fera partie du fameux cortège funéraire du 2 septembre 1867.
Il écrira deux articles relatant l’évènement : l’un publié au lendemain des obsèques ; l’autre, sous forme de « tribune libre », pour La Plume du 19 octobre 1890.
Au mois de mars de cette même année 1892, Verlaine fait paraître son recueil Liturgies intimes à la Bibliothèque du Saint-Graal, avec pour poème d’ouverture le célèbre « À Charles Baudelaire ». La première strophe est suffisamment acerbe pour comprendre ce qui liait les deux poètes :
« Je ne t’ai pas connu, je ne t’ai pas aimé,
Je ne te connais point et je t’aime encor moins :
Je me chargerais mal de ton nom diffamé,
Et si j’ai quelque droit d’être entre tes témoins »

[CHAR] ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « Aragon » (minute), à René Char
[Paris, 10 août 1946], 1 p. 1/2 in-4°
Petit manque à l’angle supérieur droit sans atteinte au texte, traces de pliures, marges gauche et inférieure légèrement effrangées

Lettre acerbe de Louis Aragon à René Char, énumérant ses griefs en six points


« Mon cher Char –
1°/ nous n’avons jamais reçu de lettre de toi
2°/ je ne sais si tu as mêlé à cette affaire l’histoire de l’année dernière pour calmer l’irritation d’Elsa et si cela s’est montré efficace ; mais, auprès de moi qui n’ai pas acquis, dans la résistance ou ailleurs, ton sens de la sérénité, ton sens commode de la sérénité, tu ne pouvais pas sereinement qu’ajouter cette singulière excuse au fait de nous laisser tomber avec désinvolture (c’est-à-dire, sans donner trouver le temps d’un coup de téléphone), ait pu me mettre, oh, sans dramatiser comme tu dis, d’une excellente humeur ?
3°/ Sur ce point : je n’ai pas pu répondre l’an dernier à ta lettre, parce qu’elle contenait une demande absurde, sur laquelle je ne savais même pas comment m’expliquer avec qui la formulait. Elle s’adressait non à moi, mais à un communiste, prié comme tel de faire une chose qui est contraire aux règles élémentaires, de se mêler de ce qui ne le regarde pas ; et j’avoue qu’une certaine affection pour toi, pas tout à fait effacée, m’a retenu de t’écrire ce que je pouvais seulement t’écrire, l’abîme d’erreur et d’indigence sur le rapport possible mesurant l’abîme d’ignorance devant moi, les interprétations possibles de toute lettre, préjudiciables non à moi ; j’ai préféré ne pas t’écrire. Il est bien inutile d’invoquer ici et tant pis si cela me coûte aujourd’hui Ceci dit, j’apprécie de loin que tu prennes de l’intérêt du Parti l’intérêt du Parti
Tu n’es pas juge de ma façon de le servir. Et ceci dit, ne dramatisons rien : de ma présence ou de mon absence il ne dépendait pas qu’il y ait ou non mort d’homme. Le faire résonner, en parallèle avec notre malheureuse petite affaire, est assez déloyal.
4°/ Bien entendu, tu n’étais pas obligé par quelques mots dits à dîner, qui nous avaient simplement (des gens très fatigués, pas jeunes, et n’ayant pas spécialement à payer à cette occasion tel ou tel pêché) amenés à bouleverser nos projets de repos, l’emploi du pauvre temps comme volé qui s’appelle nos vacances – tu n’étais pas obligé à disposer de ton temps à toi en fonction de nous. Mais enfin, cela valait un coup de téléphone. Rien d’autre. Sans dramatiser. Et tout ce que je savais de toi, d’il y a quinze ans comme de plus récentes lectures me mettait à mille lieux de te croire capable de muflerie.
5°/ Tu m’épargneras de mêler à tout cela Mme Char, qui ne peut de tout ceci juger que par toi.
6/° Je n’admets pas qu’on me fasse la leçon, j’admets encore moins qu’on prétende la faire à Esla. Et le ton olympien de ta lettre me prouve que s’il en est qui se perdent, ce n’est qu’à l’image des coups de pied au cul.

Aragon 

6 r. Victorien Sardou XVIe »


Le couple Aragon-Triolet entreprend un voyage en Provence en août 1946. L’écrivaine avait le projet d’un roman sur la Résistance et Char, qui avait eu d’importantes responsabilités régionales dans le maquis, avait visiblement accepté de lui donner certains renseignements ou contacts dans sa région. Elsa et Aragon font le déplacement à L’Isle-sur-la-Sorgue, mais Char leur fait faux-bond, retenu par la préparation d’un projet de film (Le Soleil des eaux) ; il les prévient par un message de sa femme qui arrive apparemment trop tard. D’où la remontrance d’Aragon sur la “muflerie” de Char, et sa volonté de défendre Elsa, qui avait de son côté envoyé à Char une lettre furieuse. Bref, une banale et fâcheuse histoire de rendez-vous manqué, de malentendu et de susceptibilité froissée.

Dans le rejet d’Aragon, on note les divergences politiques des deux écrivains : Char, qui a été chef de maquis pendant la Résistance, s’est employé à soutenir et à aider ses anciens compagnons après la Libération. Pour cela, comme il l’a fait toute sa vie, il sollicite des amis et des relations qui pourraient leur apporter une aide ou une recommandation. Il s’agit d’un devoir d’amitié, de solidarité après l’épreuve. Le fait que Char s’adresse au communiste Aragon, cela incite ce dernier à refuser la demande de Char, justement au nom du Parti. Il lui signifie d’une part que le Parti a ses règles, et que d’autre part il n’a pas à juger de la façon dont Aragon « sert les intérêts du Parti ». Aragon se soumet aux directives du parti alors que Char a toujours parlé en son nom propre.

Dans une lettre du 9 août 1946 à Aragon, Char explique les causes de son départ précipité de L’Isle -ur-la-Sorgue : « Je t’ai écrit et fait déposer une lettre à votre domicile […] je vais donc te répéter et transcrire les adresses de camarades qualifiés dans le Vaucluse pour fournir à Elsa des faits de Résistance dignes de son livre en préparation »
Triolet renchérit dans une lettre également en date du 9 août : « Je me demande ce que nous avons fait, Louis et moi, pour mériter un pareil manque d’égards »
Char finit par répondre à la lettre, le lendemain 11 août : « Mon cher offensé, je t’accuse réception de ta petite crise. Quant au coup de clairon final tu me permettras simplement de trouver déplacé et obscène le rapprochement fanfaron de mon cul et de ton pied […]. Je te juge bêtement dangereux parce que pas encore adulte mais follement persécuté »

CHAR, René (1907-1988)

Tirage argentique d’époque avec envoi autographe
[L’Isle-sur-Sorgue], 1960, 1 p. in-8°
Cachet au verso : Photo-cine – Irisson – L’Isle-sur-Sorgue

Élegant portrait du poète avec un affectueux envoi à son amie Marianne Oswald


René Char aparait le regard serein, fixant droit l’objectif et entouré d’une élégante écharpe
Il ajoute de sa main :

« A Marianne, son ami proche
R.C. 1960 »


Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, était une remarquable diseuse ; elle collabora à ses émissions radiophoniques ou télévisées consacrées à la poésie.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Jules Sandeau
[Paris] samedi [28 février 1863], 1 p. in-8° sur bifeuillet
Ancienne trace d’onglet sur la quatrième page

Flaubert se prépare à aller visiter sa « petite maman » après avoir aidé son ami Bouilhet pour son drame Faustine


« J’irai vous dire adieu, – demain matin. Je parts [sic] demain soir ou lundi matin. [Flaubert partira le mercredi 4 mars]Ma petite maman me réclame.
Bouilhet a promis les corrections de sa Faustine pr. [pour] la fin de la semaine prochaine. Nous sommes l’un & l’autre exténués. Voilà quatre nuits que je ne ferme l’œil.
Adieu. à demain. de 11 heures à 1h ? est-ce votre heure ? ou bien de vers de 3 à 6 . – ce quo m’arrangerait mieux. à vous toujours.
Gve Flaubert »


Flaubert, éternel célibataire qui jamais ne voulu se marier, vécu toute sa vie avec sa mère dans leur maison de Croisset, jusqu’à la mort de cette dernière en 1872. On sait, en outre, qu’il lui vouait une très tendre affection.

Faustine est un drame en cinq actes de Louis Hyacinthe Bouilhet (1822-1869), paru en 1864 chez Michel Lévy Frères à Paris. Il ne sera joué au théâtre de la Porte-Saint-Martin que le 20 février 1864, mais le manuscrit est remis à Marc Fournier avant le 7 ou 14 mars 1863.
Écrivain consciencieux, mais manquant d’originalité, son nom serait oublié si la correspondance de Flaubert ne le remettait constamment en mémoire. Il souffla à celui-ci l’idée de “Madame Bovary”. Flaubert a réuni après la mort de son ami ses “Dernières Chansons”.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Poème autographe, en l’honneur de Gabriel Péri
S.l.n.d [après 1945], 1 p. in-folio (30,9 x 20,9 cm)
Traces de pliures d’époque

Bouleversant poème de Résistance, issu du recueil Au rendez-vous allemand, en l’honneur de Gabriel Péri


« Un homme est mort qui n’avait pour défense 
 Que ses bras ouverts à la vie
 Un homme est mort qui n’avait d’autre route
 Que celle où l’on hait les fusils
 Un homme est mort qui continue la lutte
 Contre la mort contre l’oubli

Car tout ce qu’il voulait
 Nous le voulions aussi
 Nous le voulons aujourd’hui
 Que le bonheur soit la lumière
 Au fond des yeux au fond du cœur
 Et la justice sur la terre

Il y a des mots qui font vivre
 Et ce sont des mots innocents
 Le mot chaleur le mot confiance
 Amour justice et le mot liberté
 Le mot enfant et le mot gentillesse
 Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
 Le mot courage et le mot découvrir
 Et le mot frère et le mot camarade
 Et certains noms de pays de villages
 Et certains noms de femmes et d’amies
 Ajoutons-y Péri
 Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
 Tutoyons-le sa poitrine est trouée
 Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
 Tutoyons-nous son espoir est vivant »


Circulant d’abord clandestinement pendant la guerre, ce poème fut publié en 1944 dans l’un des plus célèbres recueils du poète : Au rendez-vous allemand. Il sera par la suite repris
dans l’Humanité, Parrot, Paul Éluard, 1953, p. 147, le Sang des poètes et le recueil 84, Gabriel Péri.
Grande figure de la Résistance, Gabriel Péri (1902-1941) entra à l’Humanité en 1934. Membre du Comité central du Parti communiste (1929), député de Seine-et-Oise en 1932, il devint, en 1936, vice-président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre. Animateur des Cahiers clandestins du parti communiste pendant l’occupation, il fut arrêté en mai 1941 et fusillé par les allemands au Mont Valérien le 15 décembre de la même année.
Ce poème apparaît comme la célébration d’un martyr, il exalte parallèlement les valeurs de la vie et souligne la fraternité à laquelle elles invitent. A l’image de tout le recueil, Éluard perpétue le souvenir et appelle à la Résistance.

SADE, Donatien-Alphonse-François, Marquis de (1740-1814)

Lettre autographe à son épouse, Renée-Pélagie de Montreuil
[S.l], 1er avril, [Prison de Vincennes], 1 p. 1/2 in-12°
Petites taches en marge inférieure

Le Marquis demande à son épouse qu’elle lui apporte livres, victuailles et onguent pour ses hémorroïdes


« Commission pour le 14 avril sans faute parce qu’il m’est impossible de les attendre un jour plus tard.
Tout de suite et sans attendre le 14. Les voyages de Bougainville… et pour moi. Douze volumes au moins de la liste de livres de Mérigot dernièrement envoyé. J’avais un paquet de six volumes tout prêt à lui renvoyer. Il n’en recevra pas un (tant) que je n’aie ces douze volumes là. Je vous en donne une parole d’honneur. Pour le 14. De la grande bougie. J’en manquerai le 12. Les douze grandes serviettes et 6 torchons sans faute, ainsi que la veste du linge … surtout le linge si je pars.
Du sirop de guimauve.
Six belles plumes d’un sol moitié en fin moitié en gros.
Un ruban de tête.
Un joli petit peigne à friser. Un bâton à la moelle et pour quinzaine un excellent quartier de chevreuil ou une hare de sanglier ou rien si vous voulez. Ce 1er avril. Je vous salue.
L’onguent que vous avez envoyé est pour les hémorroïdes … envoyez bien à la térébenthine je vous conjure car je souffre comme un damné et quand je suis ainsi je ne peux pas absolument me relever sans crier. Surtout les soirs. »


Sade, durant son emprisonnement, lisait continuellement. Il consultait le catalogue du libraire Mérigot le jeune, à l’angle du quai des Augustins (aujourd’hui quai des Grands-Augustins) et de la rue Pavée (aujourd’hui rue Séguier). Après avoir choisi des livres d’histoire, des ouvrages scientifiques, les textes des philosophes, des récits de voyages, il en passait commande à son épouse.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Carte postale autographe signée « Paul » et contresignée par Nusch, à madame Grindel (Jeanne-Marie Cousin, mère de Paul Éluard)
[Nice, 19 novembre 1934] (cachet postal), 1 p. in-8° oblongue
Au recto, composition humoristique en couleurs sur le principe du collage, comprenant un dessin de “L’Amour blessé” en visite chez le médecin, sur un char du carnaval, collé au milieu d’une vue photographique de Nice
un pli angulaire marqué

Rare réunion de signatures du couple mythique dans une tendre carte postale adressée à la mère du poète


« Ma chère mère,
J’ai reçu ton mandat (le 17). Je t’en remercie beaucoup. Nous restons ici, par conséquent.
Je vais un peu mieux. Toujours mal à l’œil. Je l’écrirai bientôt une longue lettre.
Nos baisers les meilleurs
Nusch Paul »


Maria Benz, alias Nusch, avait rencontré Paul Éluard quatre ans plus tôt aux abords des Galeries Lafayette, à Paris. Ils se marient le 21 août 1934, soit quelques semaines avant l’envoi de cette carte.
Nusch Éluard sera dès lors une figure permanente de l’œuvre de son mari, jusqu’à sa mort prématurée en 1946.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » [à Edgar Quinet ?]
H.H. [Hauteville-House, Guernesey], 7 juillet [1858 ?], 1 p. in-8° sur bifeuillet vergé bleu
Traces de pliures d’époque, légère tache transparente sur le dernier feuillet, petites corrosions d’encre

Hugo clame avec véhémence son opposition au protestantisme, symbole selon lui d’étroitesse et d’intolérance en Angleterre


« J’ai été absent, Monsieur. 
De là le retard de ma réponse. 
Je prends l’intérêt le plus vif aux grandes questions indiquées par vous si vaillamment abordées dans votre intéressant journal. Nous sommes en désaccord partout, non sur la base, la liberté, mais sur le moyen, le protestantisme. Je le vois en Angleterre, hélas, étroit et intolérant, et profondément ennemi du progrès. Tenons-nous-en à la philosophie. 
Une lettre est nécessairement écourtée et incomplète. Vous êtes un esprit élevé. Je serai heureux s’il m’est jamais donné de causer avec vous de ces hautes questions. Croyez à ma cordialité. 
Victor Hugo »

Cette lettre pourrait être adressée à Edgar Quinet. Ce dernier publia en 1858 un ouvrage à caractère autobiographique, Histoire de mes idées, dans lequel il associait notamment l’idée de protestantisme à l’idée de progrès. Victor Hugo depuis 1851, dénonçait au contraire le rôle conservateur de la religion protestante, en prenant l’exemple de l’Angleterre. Les deux hommes, républicains convaincus, vivaient alors en exil loin de la France impériale.

BERGSON, Henri (1859-1941)

Lettre autographe signée « H. Bergson » à un ami
Paris, 2 mars 1920, 3 p. 1/2 in-8°

Longue et riche lettre inédite de Bergson sur la philosophie, la religion et l’art

Nous n’en transcrivons ici qu’une partie


« Mon cher ami,
Voilà bientôt deux mois que je me propose de répondre à votre aimable lettre. Mais j’ai été, et je suis encore, extrêmement fatigué. Je voulais vous dire que j’ai déjà échangé des lettres avec Monseigneur Söderblom au sujet de la fondation Olaus Petri. Il me serait impossible de trouver en ce moment le temps de faire des conférences et surtout de les préparer. Depuis bien des années je pense au problème religieux ; mais je ne veux rien dire ni écrire là-dessus tant que mes vues ne seront pas tout à fait au point(1).
J’estime qu’en matière philosophique l’imprécis ne compte pas, et qu’il faut être trois fois sûr de ce qu’on apporte au public si l’on veut obtenir de lui un commencement d’adhésion.
Je vous sais toujours avec le plus grand intérêt. Récemment encore je lisais un article de vous sur Herbert Spencer(2) […]. Combien j’aime cette critique par le dedans, qui participe de la philosophie et de l’art(3), et qui commence par se placer au centre (sans toujours le dire au lecteur) pour rayonner de là vers divers points de la périphérie !Elle n’aboutit pas – heureusement pour elle – à ces effets un peu gros par lesquels on obtient tout de suite la faveur du grand public. Mais elle finira par s’imposer.
Quoique je tienne l’avenir pour imprévisible, je ne crains pas me tromper en faisant cette prédiction-là.
[…] Je suis heureux de l’apprendre et très impatient de vous lire. Que ne publiez-vous cette étude dès à présent ! Elle viendrait à point pour redresser bien des erreurs, – dont quelques-unes, hélas !, ne sont pas involontaires. Et surtout elle apporterait de la doctrine à une interprétation qui ne peut manquer d’être personnelle et suggestive.
Bien sympathiquement à vous
H. Bergson »


1 – Bergson se consacrera à la question de la religion quelques années plus tard, en 1932, dans l’un de ses plus célèbres ouvrages : Aux deux sources de la morale et de la religion.

2 – Bergson écrira que la philosophie de Spencer « visait à prendre l’empreinte des choses et à se modeler sur le détail des faits. Sans doute elle cherchait encore son point d’appui dans des généralités vagues ».

3 – Dans La pensée et le mouvant (1938), le philosophe pose la question : « A quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? »

Le philosophe développera sur le thème de la religion douze ans plus tard dans Les Deux Sources de la morale et de la religion, son dernier ouvrage.

TRENET, Charles (1913-2001)

Lettre autographe signée « Charles Trenet » à Louis Cousseau, journaliste au Canard enchaîné
[La Varenne Saint-Hilaire], 11 octobre 1961, 2 p. in-4° à son en-tête
Traces de pliures d’époque

Belle et longue lettre du « fou chantant » au sujet de plusieurs de ses chansons


« Cher Louis Cousseau,
Merci à vous et au Canard [enchaîné] qui parlez si gentiment de mon Kangourou.
Merci pour le folklore !
En réalité j’ai apporté en Avril dernier douze chansons nouvelles et le récital actuel n’est qu’une reprise [il s’agit de Récital 1961 – Théâtre de l’Étoile, paru chez Columbia]
Merci de rester sur votre faim, ça prouve que vous avez un rude appétit. J’ai écrit une chanson “Les Soldats” que par pudeur je ne chante pas.
Écoutez là en disque. Je pense qu’elle vous plaira.
L’inquiétude dans la vie ? Je crois qu’il vaut mieux essayer de la dissiper et justement vos copains d’Algérie, sous les drapeaux, m’écrivent souvent pour me remercier du petit réconfort que leur donnent mes refrains.
Vous citez des noms d’auteurs que j’aime beaucoup. Je les ai cités avant dans “Moi j’aime le Music Hall”.
Chacun de nous à sa manière et [sic] tache d’exprimer sa nature.
Pour ma part je pense que la vie ne soit pas être subie mais dirigée sereinement.
Ce n’est pas en hurlant sa grisaille qu’on la fera changer de couleur.
Vous avez vingt cinq ans ? Bravo ! Moi aussi (depuis 23 ans) et je vous souhaite de tout cœur de les garder “longtemps, longtemps… après que etc etc…” [allusion à sa chanson L’Âme des poètes]
Amicalement à vous et à tous ceux du Canard
Charles Trenet
Bien entendu cette lettre n’est pas écrite pour être publiée. Ça m’a fait plaisir de vous dire tout ça. »


On reconnaît ici l’énergie du chanteur-poète qui semble répondre à quelques questions posées par son correspondant, sans toutefois oublier de se livrer à quelques notes d’humour.

Trenet évoque ici l’un de ses titres les plus célèbres : Moi j’aime le music-hall, paru sur l’album Chanson claires : 10 chansons nouvelles (chez Columbia).

Louis Cousseau fut plusieurs années journaliste, il a notamment collaboré au Canard enchaîné comme critique dramatique de 1960 à 1962.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Paule Sandeau
[Croisset], samedi [16 novembre 1867], 3 p. in-8° sur papier vergé bleu
Traces de pliures d’époque, quelques légers frottements, ancienne trace d’onglet sur le dernier feuillet

Admirable lettre de Flaubert, alors en pleine rédaction de L’Éducation sentimentale


« Si je vous écrivais chaque fois que je pense à vous, je me ruinerais en timbres-poste. Comment d’ailleurs ne songerais-je pas à votre jolie mine, puisque je l’ai là, devant moi, clouée sur mon armoire aux pipes ! Je voudrais bien la voir en nature. C’est tout ce que j’ai à vous dire.
Que faites-vous ? Que lisez-vous ? etc. Et votre cher fils ?
Vous devez maintenant être revenue à l’Institut ?
Comment va madame Plessy ? On m’a conté qu’elle était ou avait été très malade.
Quant à votre ami, il espère, à la fin de janvier, avoir terminé la seconde partie de son roman
[L’Éducation sentimentale]. Comme il m’embête ! Comme il m’embête ! Après celui-là, bonsoir ! Je dirai adieu aux bourgeois pour le reste de mes jours(1).
J’oubliais de vous remercier de votre dernière lettre qui était ravissante. Le mot est bien usé, n’importe ! Ici, je le maintiens bon. Pourquoi est-on si attaché à vous ?
Une de vos prédilections m’est revenue à la pensée, dernièrement, en lisant, dans le dernier volume de Michelet
(2), son jugement sur Rousseau(3). Ce jugement-là(4) (qui est le mien et que, par conséquent, j’admire) a dû vous choquer. Car vous aimez ce vieux drôle, autrement vous ne seriez pas femme. À toutes les objections que l’on fait contre lui, on vous répond qu’il avait « tant de cœur » ! Moi aussi, j’en ai, mais je n’ai pas précisément toutes ses habitudes, ni sa descente(5) – ni son style, hélas !
Nous ne nous sommes pas vus depuis que votre ami Feuillet a publié Camors
(6). Je trouve cela très remarquable. Jamais il n’a si bien fait.
Et votre époux ? « a-t-il quelque chose sur le chantier » ?
Je voudrais bien produire une œuvre qui vous enchantât, car vous êtes une des personnes dont j’estime le plus le goût – malgré votre voisinage à l’Académie
(7)
Envoyez-moi quelques fois votre écriture.
Je vous baise les deux mains aussi longtemps que vous le permettrez.
Gve Flaubert »


1- Flaubert pesta toujours contre le milieu bourgeois en particulier et dont il était issu. Il aurait voulu le voir se comporter autrement, surtout dans le domaine artistique, qui était si cher à son esprit. On connait l’une de ses célèbres citations à ce sujet : « J’appelle bourgeois quiconque pense bassement ».

2- Histoire de France au XVIIIe siècle (t. XIX, Louis XV et Louis XVI) venait de paraître.

3- Michelet dresse dans son ouvrage un portrait peu flatteur de Rousseau : « Il [Jean-Jacques Rousseau] veut qu’on ait dans chaque État un Code moral […]. Il faut que chacun déclare, confesse, articule sa foi (et sous peine de mort, dans le Contrat social). La discordance de Rousseau avec l’Encyclopédie et l’esprit même du siècle, là, était tranchée, terrible. Là commence un cours nouveau d’idées qui ira tout droit à la Fête de l’Être suprême. – Puis, la réaction l’exploite, de Robespierre à De Maistre »
Flaubert approuve cette critique assassine sur Rousseau et renchérit dans une lettre adressée à Michelet, écrite quatre jours avant la nôtre : « Quant à votre jugement sur Rousseau, je puis dire qu’il me charme, car vous avez précisé exactement ce que j’en pensais. Bien que je sois dans le troupeau de ses petits-fils, cet homme me déplaît. Je crois qu’il a eu une influence funeste. C’est le générateur de la démocratie envieuse et tyrannique. Les brumes de sa mélancolie ont obscurci dans les cerveaux français l’idée du droit ».

4-  Dans sa jeunesse, Flaubert a lu les Confessions, avec admiration. Mais son jugement change quand il aborde les écrits politiques de Rousseau, qu’il a lus et annotés pour L’Education sentimentale, vers 1864.

5- Rousseau souffrait vraisemblablement d’une hernie inguinale de la vessie, qui l’obligeait à porter une sonde.

6- Monsieur de Camors, d’Octave Feuillet, paru en 1867.

7- L’Académie française est aux yeux de Flaubert un cénacle de bourgeois. On se souvient de sa stupéfaction et de son ironie à l’égard de la candidature de son ami Baudelaire six ans plus tôt.


L’Éducation sentimentale est le fruit de trois essais de jeunesse de Flaubert. Ainsi de janvier 1843 à janvier 1845 il produit une première Éducation sentimentale qui succédait à la rédaction de Novembre, achevé le 25 octobre 1842 , et à une toute première ébauche de jeunesse intitulée Mémoires d’un fou en 1838.
Le roman définitif est le fruit de presque cinq longues années de travail sans relâche, rédigé à partir de septembre 1864 et achevé le 16 mai 1869 au matin.

« Après celui-là, bonsoir ! Je dirai adieu aux bourgeois pour le reste de mes jours »
La bourgeoisie au sens large, évoquée ici par Flaubert, s’incarne dans son roman par le personnage de Jacques Arnoux. Il représente le bourgeois parvenu. Arnoux est aussi, en quelque sorte, la preuve d’un certain affaiblissement de la petite bourgeoisie. Il est infidèle à sa femme malgré toute la bonté que celle-ci lui porte. C’est un spécialiste de l’arnaque, signe d’un succès sans scrupule.

VOLTAIRE, François-Marie Arouet, dit (1694-1778)

Lettre autographe signée « de Voltaire » [à George-Conrad Walther]
Château de Lunéville [dans l’actuel département de Meurthe-et-Moselle], 6 avril 1748, 3 p. in-8°
Traces de pliures dues à l’envoi d’époque, quelques rousseurs et salissures

Voltaire prépare depuis Lunéville la première publication de ses Œuvres chez l’éditeur Walther


« J’ay reçu l’honneur de votre lettre qui a croisé la dernière que je vous adressay de Lunéville. Il ne me reste que vous faire des excuses de l’empressement que j’ay eu à vous représenter des engagements que vous êtes disposé à remplir avec tant d’exactitude. Pardonnez à un homme amy de la paix cette chaleur qu’il met à la conserver, et cette crainte qu’il a de voir son ouvrage détruit. Je compte absolument monsieur sur votre parole, et quand même vous ne pouriez à Pâques donner que la moitié de la somme stipulée, vous trouverez auprès des contractans touttes les facilitez que méritent votre probité et votre envie sincère de vous acquiter. Je ne doute pas qu’en ce cas l’autre moitié ne suivît bientôt et je me flatte même que vous pourrez donner le tout à Pâques, afin de vous débarasser entièrement de cette malheureuse affaire qi troubloit si cruellement deux maisons respectables. Je ne cesseray de me croire très heureux d’avoir contribué à cet accomodement malgré les difficultez qui m’ont toujours traversé, et je me flatte que j’ay acquis par là quelque droit à votre estime et à votre affection. Si je peux obtenir de vous ces sentiments, ils ajouteront à la joye que me donne votre conciliation. Vous pouvez monsieur d’adresser, tous les papiers, billets de change, ou les pouvoirs que vous jugerez à propos. Je n’abuseray pas de votre confiance, je mettray tout en règle, je vous enverray les quittances et décharges valables. Tout sera fait dans le meilleur ordre.
Ayez seulement la bonté d’adresser vos paquets sous l’enveloppe de Mr de la Reinière fermier général des Postes de France à Paris. Pour plus de sûreté et de diligence, j’adresse cette lettre par la même raison à l’intendant de votre armée en Flandres.
J’ay l’honneur d’être avec le zèle le plus inviolable
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
de Voltaire »


C’est à la demande de Voltaire que George Conrad Walther, imprimeur royal à Dresde, s’engage dans l’impression des oeuvres toujours renouvelées, augmentées et corrigées du philosophe en exil. Les Œuvres de M. de Voltaire Nouvelle édition revue, corrigée et considérablement augmentée par l’Auteur parut entre 1748 et 1754 en huit volumes sort des presses de Breitkopf, à Leipzig, l’imprimeur de Walther ; une deuxième édition Walther parut en 1752, portant les dernières corrections de Voltaire.

Voltaire publie la même année Zadig, son premier conte philosophique qui traite de la destinée humaine, du bonheur et du destin. Il est peu apprécié du couple royal. Déçu, désabusé, il se retire un an, avec Emilie du Châtelet, à la cour du roi de Pologne Stanislas, à Lunéville, d’où cette lettre est envoyée.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Louis Suchet d’Albufera
[Paris, 26 mai 1908], 4 p. in-8°, liseré de demi-deuil
Date de réception du composteur du 27 mai 1908 avec mention « r[épond]u » de la main du destinataire

Touchante lettre de l’écrivain à celui qui lui inspira le modèle de Robert de Saint-Loup dans La Recherche – Avec tout l’art de brillant épistolier qu’on lui connaît, Proust tente ici d’obtenir de son « informateur » des notes sur les soirées et repas mondains auxquels ce dernier a récemment assisté


« Mon cher Louis, quand j’ai reçu ta gentille communication, j’allais justement t’écrire pour te dire que je n’étais pas dupe de ta charmante phrase “que tu ne me rendais aucun service en faisant cela” [Marcel Proust avait demandé à Louis Suchet d’Albufera des notes sur les soirées et repas mondains auxquels il assistait, pour pouvoir les transmettre au directeur du Figaro, Gaston Calmette]. C’est l’élégance des cœurs généreux et délicats quand ils rendent de grands services comme toi, de dire que ce n’est aucun service. Mais les cœurs reconnaissants (et le mien a ce mérite, je crois, s’il n’en a pas d’autre) ne voient là-dedans qu’une délicatesse de plus qui redouble leur reconnaissance. Sois donc remercié deux fois, pour ta gentillesse, et pour ta simplicité.
Pour les choses Murat, si je les ai le soir même, ou même le lendemain si ce lendemain Le Gaulois et le New York n’ont encore rien mis
[le New York Herald publiait une édition à Paris], cela m’est tout de même utile. Je ne suis pas censé savoir que les Murat le communiquent de leur côté. J’ai supprimé ton nom de la liste des convives. J’y ai vu celui du M[arqu]is d’Avaray qui doit être le “fils du duc” comme dit Robert de Rothschild. Mais je suppose que tu ne le connais pas ou trop peu pour me le faire rencontrer. Et puis je t’ai gardé une dent en ce qui concerne les “faire rencontrer” quand il s’agissait de personnes qui me tenaient à cœur comme Melle de K., Melle de S. etc. Ce n’est pas pour une chose aussi indifférente qu’un gigolo* indifférent que je te le demanderai [le « gigolo » auquel Proust s’intéresse ici est le vicomte d’Avaray, Bernard de Bésiade, neveu du duc d’Avaray, Hubert de Bésiade, et non le fils de celui-ci, le marquis d’Avaray, Antoine de Bésiade].
J’aimerais beaucoup savoir comment vont les choses dont nous avons parlé l’autre soir. J’ai l’intention d’écrire de ce côté [à Louisa de Mornand]. Est-ce mieux ? Est-ce moins bien ? Merci encore mon cher Louis et crois à ma profonde reconnaissance que je suis bien impatient de pouvoir te témoigner. Et crois que ce n’est pas une phrase.
Tout à toi.
Marcel Proust
As-tu pensé à dire
[à] dire à madame d’Albufera que loin de t’avoir “lâché”, je n’avais jamais été aussi complètement ton dévoué ami.
P.S. Me voilà pris d’une crise de rhumatismes : charmante diversion à mes malaises habituels !
»


Louis Suchet d’Albufera fut le confident des années créatrices de Proust (l’écrivain commença la rédaction de La Recherche dès 1907). Descendant du maréchal d’Empire par son père et de Lucien Bonaparte par sa mère, une Cambacérès, marquis puis duc (1925) d’Albufera, Louis épousa en octobre 1904 Anna Masséna. Marcel Proust semble l’avoir rencontré en 1903, par l’intermédiaire de Bertrand de Fénelon ou d’Antoine Bibesco : ils nouèrent alors une amitié sincère qui, malgré le caractère complexe de l’écrivain, dura plus de quinze ans. Si Marcel Proust lui faisait parfois peu charitablement sentir sa propre supériorité intellectuelle, il lui reconnaissait des qualités de cœur, et se montra avec lui d’une grande gentillesse. Louis d’Albufera fut ainsi longtemps son ami le plus proche après Reynaldo Hahn : ils partagèrent leurs joies et leurs peines les plus intimes, et Marcel Proust fut admis dans le secret de la relation du marquis avec une jeune femme du demi-monde, Louisa de Mornand (modèle de Rachel dans La Recherche), à laquelle Proust fait également allusion dans cette lettre.

« Entre 1903 et 1908, Proust fut le confident, l’intermédiaire, la boîte à lettres entre les amants (Louis Suchet d’Albufera et Louisa de Mornand), passa des vacances près d’eux, fit son possible pour favoriser la carrière d’actrice de Louisa, et eut la tâche délicate de ramener la jeune cocotte à la raison dans les circonstances difficiles, au moment du mariage d’Albufera (avec Anna Masséna) notamment, ou lors de ses périodes d’inconduite » (Françoise Leriche, article « Albufera », dans Dictionnaire Marcel Proust, pp. 52-53).

Marcel Proust finira par se brouiller avec Albufera en 1919 à cause du pastiche de Saint-Simon dans lequel il étrilla la famille Murat, alliée aux Albufera.

CASSATT, Mary (1844-1926)

Lettre autographe signée « Mary Cassatt » au critique d’art Achille Segard
Villa Angeletto – Grasse, 14 avril [1913, d’après une inscription d’une autre main], 6 p. in-8° sur papier de deuil

Émouvante et précieuse lettre de l’artiste américaine revenant sur l’ensemble de sa carrière, ses succès et ses regrets, à l’aune de l’ouvrage à elle dédié – sa première biographie – que s’apprête à publier le critique d’art, Achille Segard


« Cher Monsieur, Je vous avais bien dit que je ne savais pas écrire. Certes oui je crois votre livre* très beau mais mettez-vous à ma place, je n’ai jamais été gâtée, et comment croire à tout ce que vous dites de bien de ma peinture ? Si j’avais gardé un peu de ce que j’ai fait, cela m’aurait permis de me voir en mieux. La seule fois que je me suis vue avec les autres, c’était chez Mme Havemeyer** et je ne faisais pas trop mauvaise figure. Je vous ai dit une fois que vous écriviez sur la peinture comme un peintre et c’est vrai. J’ai répété à Renoir ce que vous disiez sur son originalité et sur sa joie de peindre, cela lui a fait très grand plaisir, et j’étais bien contente de lui faire plaisire [sic], mais j’ai passée [sic] bien vite sur le fait que vos lignes sur lui se trouvai[en]t dans un livre sur moi, car je crois qu’il ne me trouve pas du tout à la hauteur.
Excepté Degas et Pissarro, tous ont eu cette opinion sur moi. Maintenant, Renoir trouve que Pissarro était en-dessous de tout ! Je suis ahurie quand je les trouve [sic] si peu de jugement – Comment faire. Je ne puis plus aller à Paris en ce moment cela serait perdre tout ce que j’ai gagné ici, malgré qu’il fait froid ici des tempêtes de neiges hier, mais bien moins froid qu’à Paris – Encore une fois, croyez que je trouve votre livre très beau, mais avoué [sic] qu’il y a de la vanité de ma part d’accepter cela. Et puis je voulais être un si grand peintre, Titien ou Rembrandt, rien que cela.
En même temps que votre lettre, j’ai reçue [sic] une lettre de monsieur Stillman*** qui me dit qu’en dix ans d’ici mes tableaux se vendront plus cher que les Degas !!! Et puis de New York et aussi de ma famille viennent des lettres demandant des explications sur les cubistes et autres farceurs, on ne parle que de cela là-bas. Je fais la tête – Je suis si peu connue que je comprends que vous avez trouvé difficilement un éditeur. L’autre jour, je reçois une lettre d’une journaliste, elle trouve que ma peinture mérite un article pour elle, et me convie à prendre le thé au Ritz, pour parler de cela, persuadée qu’elle est la première à me connaître, elle est américaine, bien entendu.
Néanmoins, je crois que votre livre se vendra. Peut-être que je me trompe, mais d’abord c’est si bien écrit, clairement, et on a tout de même une certaine curiosité sur mon compte. Nous vivons dans une période d’anarchie, en art ; aussi, il me semble en littérature, et on achète les tableaux tellement sans jugement, et on spécule tellement sur les tableaux, et on ne voit pas la différence entre la réclame et la vraie renommée – Depuis la vente Rouart**** n’importe quoi de Degas se vend à de grands prix, des choses indignes de lui, et heureusement Renoir fait fortune, lui qui ne pouvait vendre ses belles toiles, il travaille même dans son lit.
Si je pouvais vous causer, vous verrez que je sais parfaitement que vous avez fait un beau livre, de mesure, et sobrement, et que je suis très heureuse de la place que vous me donnez, peut-être tout de même dois-je survivre – Aussitôt que je peux je rentrerais mais je ne puis fixer une date il faut que le beau temps revienne à Beaufresnes*****. Croyez cher Monsieur à mes sentiments très amicals [sic] et reconnaissants. Mary Cassatt. »


* Un Peintre des enfants et des mères. Mary Cassatt. A. Segard. Ollendorff. Mai 1913

** Louisine Waldron, épouse de l’industriel américain Henry Havemeyer, qui avait entamé avec lui une des plus importantes collections d’art au monde. Elle eut recours aux conseils de Mary Cassatt à la fin des années 1880.

*** Le banquier américain James A. Stillman, qui, retiré à Paris en 1909, demanda à Mary Cassatt de le conseiller pour l’enrichissement de sa collection d’art.

**** La collection de tableaux et dessins d’Henri Rouart fut dispersée en deux ventes, les 16-18 décembre 1912 et 21-22 avril 1913.

***** Le château de Beaufresnes, situé sur la commune de Mesnil-Théribus, fut acquis par Mary Cassatt en mars 1894.

Convoquant le souvenir de ses amis Renoir, Degas, Pissarro, Mary Cassatt revient au fil de ces lignes, à cœur ouvert, sur sa peinture, son œuvre de créatrice, sur les impressionnistes et cet art émergeant qu’elle ne comprend pas : le Cubisme
Repérée par Degas au Salon de 1874, Cassatt – rare figure féminine de l’impressionnisme – fut considérée de son vivant comme la plus grande artiste américaine. La lettre ici présentée, aux accents testamentaires, témoigne du crépuscule créatif de l’artiste. En effet, dès l’aube de l’année 1914, frappée par la cataracte, Cassatt doit renoncer définitivement à la peinture.

A la lecture du livre que Segard lui consacre, Cassatt se montre honorée et humble : « Comment croire à tout ce que vous dites de bien de ma peinture ? » et évoque avec dédain l’émergence du courant cubiste conduit par Picasso : « … viennent des lettres demandant des explications sur les cubistes et autres farceurs. » et son incompréhension du monde artistique culturel : « Nous vivons dans une période d’anarchie, en art ; aussi, il me semble en littérature. »
Tel le survol d’une vie, l’inventaire final d’une existence consacrée au Beau, l’artiste américaine témoigne avec émotion de sa place dans l’histoire de l’art : « Et puis je voulais être un si grand peintre, Titien ou Rembrandt, rien que cela. »

Mary Cassatt fait partie des Trois Grandes Dames de l’impressionnisme (selon la formule de Gustave Geoffroy) aux côtés de Berthe Morisot et Marie Bracquemond.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « A. G. » [à Élie Allégret]
Uzès [1er janvier 1892, annoté d’une autre main au crayon], 6 p. in-8°
Marge du dernier feuillet effrangée, traces de pliures d’époque

Longue et belle lettre de jeunesse, aux profondes confidences, à son précepteur et ami


« Mon ami,
Cette lettre ne t’arrivera pas le jour de l’an, mais au moins tu sauras que, le jour de l’an, j’ai pensé à toi, – puisque c’est aujourd’hui et que je t’écris.
Tu m’as envoyé la meilleure des lettres ; je comprends sans cesse un peu plus combien profondément je te suis attaché, et c’est tout spontanément – (pas beaucoup plus ce jour-ci pourtant que tous les autres) que je fais des vœux de chrétien et d’ami pour tout ce que tu veux faire. Tu n’es pas heureusement un de ceux à qui on veuille souhaiter seulement le bonheur, car tu ne places pas ton bonheur où le placent “les autres” – Je n’insiste pas là dessus, car nous nous entendons bien. Au moins puis-je faire de vifs et sincères souhaits pour le bonheur de votre futur ménage.
J’aimerais énormément causer avec toi, car nous avons vraiment l’un et l’autre trop de choses à nous dire pour qu’une lettre ne devienne pas d’une ridicule insuffisance. Nous avons pris l’un et l’autre l’habitude de vivre le plus possible dans le moins de temps possible. – Autrement dit, d’employer le mieux possible son temps. Aussi pour ma part j’ai terriblement évolué depuis que je ne t’ai vu. Ton agitation, rien qu’à y penser, me donne mal à la tête ; je te plains d’autant plus que je sors à peine de la plus lassante des vies. Je courais du matin au soir, et le soir j’étais si agité encore que je ne retrouvais plus le sommeil. Mais tandis que des devoirs acceptés te guidaient, ce qui me guidait, moi, c’était une fantaisie seule ou bien les ridicules devoirs du monde. Heureusement, j’ai lâché tout ça, car je commençais à me mépriser moi-même, à force de me traîner parmi des gens que je n’estime pas. Je crois décidément qu’il ne faut s’inquiéter du jugement que de ceux que l’on estime et, pour les autres, ne pas s’inquiéter de leur plaire – et c’est très difficile quand on vit au milieu d’eux.
Maintenant je suis à Uzès où je travaille à me désencombrer la cervelle de tous les faux biens que j’y avais entassés au hasard. J’ai commencé de me reprendre l’avant-veille
de Noël et j’étais déjà tranquille à peu près, pour goûter un excellent Noël. Maintenant, je lis, j’écris et je médite
. J’écris le soir le résumé de mes pensées du jour. C’est une méthode dont j’use chaque fois que je me sens perdu dans les choses, et que j’abandonne sitôt que je me suis retrouvé. Rien ne te dira mieux mes plus intimes pensées que de te copier ceci que j’écrivais les soir de mon arrivée ici.

Aucune chose ne vaut l’inquiétude qu’on se donne pour elle. Car bien peu de choses valent qu’on s’en occupe, et ces quelques là ont en elles une sûreté qui repose. On ne s’inquiète que loin de Dieu ; car pour toutes choses, elles passeront avant que nos désirs s’en soient rassasiés, ou bien elles resteront lorsque nous ne les désireront plus.
Les faux biens vous abusent ; on ne recherche plus Dieu parce qu’on
ne voit pas qu’on est pauvre. On se croit riche parce ces biens sont nombreux : on en a tant ! On ne les compte plus.

Il n’y a qu’un bien qui fasse riche, c’est Dieu. Et comme ce bien est unique, on sait bien quand on le possède ou quand on ne le possède pas ; on le compte facilement ; il est unique ; il vous remplit ; et c’est pour cela qu’il repose. Ô mon Dieu, quand donc viendra l’heure où tu m’occuperas tout entier.
Ce que tu me dis du livre de [Gaston] Frommel me fait plaisir. J’ai déjà relu l’étude sur [Pierre] Loti et celle sur [Paul] Bourget – et sois bien sûr que je lirai les autres car j’ai trouvé déjà dans celles ci un réel profit et un vif intérêt. Je regrette seulement, – et c’est certainement là un défaut, un grand défaut du livre, – qu’il n’ait pas paru il y a quatre ans – ou bien qu’il s’occupe de personnalités dont l’intérêt s’est déjà beaucoup épuisé et qui déjà ont un peu fait place à d’autres – (j’en excepte [Charles] Secrétan, qu’on commence seulement à aimer et aimer de plus en plus dans la jeunesse des lycées et de la Sorbonne).
D’ailleurs ce défaut d’actualité ne s’apercevra plus dans quelques années, car les types qu’à choisi ton ami sont importants et les études sur eux bien remarquables.
Nous n’irons pas je crois sur la Corniche – mais tout simplement à Montpellier.
Au revoir – à quand ?…
mais j’ai bon espoir.
Ton ami A.G »


Une grande ambition littéraire s’affirme à cette époque charnière pour le jeune André Gide ; celle-ci se définissant comme une morale. Il vit alors une période d’exaltation religieuse — qualifiée « d’état séraphique ». Il puise abondamment dans la Bible, les auteurs grecs, et pratique l’ascétisme.

Élie Allégret (1865-1940), pasteur protestant, est invité en 1885 par Juliette Rondeaux, veuve de Paul Gide et mère d’André Gide, au château de La Roque-Baignard pour devenir le précepteur de son fils et diriger à la fois ses lectures et son éducation religieuse. Gide aima passionnément ce dernier, et fit des voyages avec lui, notamment en Afrique.
L’écrivain entretint
une relation avec le quatrième fils de son précepteur (Marc Allégret), quelques années plus tard.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Farnborough Hill, 17 novembre 1892, 3 p. in-8° sur papier de deuil, enveloppe autographe

Témoin des fastes et des guerres de l’Empire, l’impératrice déchue observe avec espoir le rapprochement de la France avec l’ancien adversaire de la campagne de Crimée


« Chère Madame Bartholoni,
Le 15 novembre(1) n’est plus une fête pour moi comme autrefois en France, mais elle reste une occasion de rapprochement et je vous remercie de vos vœux affectueux.
L’emballement aux fêtes Franco-Russes a été général.(2)
Jamais on s’est tant embrassé et tant armé en Europe. Pourvu que ce soit un gage de paix !
Mes souvenirs à tous les vôtres et croyez à mes sentiments affectueux.
Eugénie
Je vous prie de remercier ma filleule de son aimable lettre. »


1/ La Sainte Eugénie était célébrée le 15 novembre. Sous l’Empire, à l’occasion de cet évènement, de grandes réjouissances étaient organisées

2/ Les fêtes franco-russes, commencées le 18 octobre 1893, durèrent 16 jours et furent le prétexte de manifestations grandioses et populaires à Toulon, Marseille, Lyon et Paris. Elles célébraient l’alliance politique et militaire avec la Russie tsariste, « contrepoids » nécessaire à la « Triple-alliance », conclue entre l’Empire allemand, la Double monarchie austro-hongroise et le Royaume d’Italie le 20 mai 1882.

Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, l’un des ornements de la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell (1833-1910), elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), qui fut député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement dans les années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.

PISSARRO, Camille (1830-1903)

Lettre autographe signée « C. Pissarro » à Noël Clément-Janin
Paris, 19 fév[rier] 1892, 1 p. et demi in-8°, avec enveloppe

Merveilleuse lettre du maître en réponse à une chronique parue en marge d’une exposition de ses œuvres chez Durand-Ruel
Pissarro se livre en détail sur sa technique de peinture et termine sa lettre avec feu par une évolution chronologique des artistes auquel son mouvement artistique est rattaché


« Monsieur
Je vous suis bien reconnaissant de l’article que vous avez bien voulu consacrer à l’exposition de mes œuvres et surtout la franchise que vous me prouvez en m’écrivant la lettre accompagnant l’Estafette [journal dans lequel parut la chronique en question].
Je n’ai rien à ajouter à votre manière de comprendre mes œuvres au point de vue philosophique, cela est conforme à mes idées, de même la division des tons qui me permettent de donner plus d’intensité tout en conservant l’unité à l’ensemble en restant toujours clair et lumineux.
Cependant il s’est glissé quelques erreurs bien compréhensibles pour quelqu’un qui n’est pas tout à fait du bâtiment et surtout qui ne se trouve pas à même de connaître les secrets du métier, tout individuel de l’artiste.
Ainsi, c’est une erreur de croire que les aspérités servent à accrocher les rayons lumineux, non, vraiment c’est absolument indépendant à la lumière ; d’ailleurs le temps nivellera ces empâtements et je fais souvent mon possible de les enlever.
Je ne peint pas avec le couteau, ce serait impossible de diviser la couleur, je me sers de pinceaux de marthe fins et longs et c’est, hélas ! justement ces longs pinceaux qui occasionnent, malgré moi, ces rugosités.
Autre réflexion que je vous prie de me pardonner et qui sont d’une grande importance ; je ne comprends pas du tout votre manière de concevoir l’évolution artistique nous concernant ?… nous n’avons rien en commun avec Th. Rousseau, Harpigny, Bastien-Lepage, Roll, Binet, Raphaël Collin, non là n’est pas la marche, surtout Bastien Lepage que nous n’avons jamais pu comprendre ! Notre voix commence au grand peintre anglais Turner, Delacroix, Corot, Courbet, Daumier, Jongkind, Manet, Degas, Monet, Renoir, Cézanne, Guillaumin, Sisley, Seurat ! Voilà notre marche. 
Recevez Monsieur, mes sympathiques salutations et toute ma reconnaissance pour votre bonne volonté.
Votre dévoué
C. Pissarro. »


Pissarro envoie ici ses remerciements à son correspondant pour une chronique parue dans le journal L’Estafette, en marge d’une exposition de ses peintures chez Durand-Ruel.
Bien que l’artiste apprécie la compréhension « philosophique » de Janin pour son œuvre, et plus particulièrement sur la division des tons, il le désapprouve néanmoins avec le plus grand tact sur les aspérités qui ne permettent pas « d’accrocher les rayons lumineux ». S’en suit un remarquable développement du maître sur sa technique de peinture, comme il ne l’a que très rarement exprimée dans toute sa correspondance.
Pissarro tient ensuite à rectifier la façon dont Janin conçoit « l’évolution artistique » le concernant, ses amis et lui-même. En effet, Janin semble dans son article vouloir rattacher les impressionnistes aux peintres de l’école de Barbizon et du naturalisme. L’artiste lui objecte fermement cette appartenance, et tout particulièrement celle à Bastien-Lepage, que lui et ses confrères n’ont « jamais pu comprendre ! ».
Enfin, Pissarro termine sa lettre par une superbe liste chronologique des maîtres auxquels son courant appartient, « notre marche » dit-il.

ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « Aragon » à Max-Pol Fouchet, directeur de la revue Fontaine à Alger
[S.l] Samedi 31 mai [1941], 4 p. grand in-4°
Ancienne trace de trombone sur le premier feuillet et petit trou d’épingle.
« 41 » ajouté d’une écriture plus grosse au crayon (il s’agit vraisemblablement d’une mention portée par Max-Pol Fouchet pour l’archivage de la lettre)

L’une des plus importantes lettres du poète écrite sous l’occupation et enrichie d’un poème, véritable manifeste d’un renouveau poétique de la Résistance


« Samedi 31 mai 41
Cher ami, je me sens terriblement en reste avec vous, bien que les lettres disent moins que les poèmes, et que j’aie essayé de vous parler de mon mieux, et sur ce qui me tient le plus à cœur par ces 4 poèmes(1) dont j’ai le sentiment qu’ils ont pris bien de la place dans le dernier Fontaine. C’est de ce dernier Fontaine, qu’il faut pourtant que je me décide à vous parler. Je l’ai tant fait ici avec tous les gens de rencontre, qu’en plus de la difficulté d’écrire les choses au lieu de les dire j’ai aussi la honte de me répéter pour la centième fois.
C’est une très grande réussite, un élargissement qu’on pouvait croire irréalisable de votre horizon. Le brillant de ce sommaire est-il une promesse de ce qui suivra, je veux le croire et tout le monde le prend ainsi. C’est le danger qu’il y a [à] de tels coups d’éclat : voilà qu’il vous faut vous maintenir à ce niveau, ne pas descendre au-dessous de vous-mêmes. Et cela à cause de la confiance croissante qui vous est faite de toutes parts, dirai-je de la mienne ? Vous voilà chargé de mission. De la mission la plus haute qui soit. Jamais la poésie, la culture française dont nous sommes les indignes dépositaires n’ont été à l’épreuve d’une époque pareille à celle-ci. Il faut pour en retrouver l’exemple remonter au Moyen Âge, et alors la France n’était pas une unité constituée, ni notre langue la cristallisation de toutes les grandes idées du monde. Les épreuves de notre pays sont celles des temps les plus noirs, mais ce qui est mis aujourd’hui est un million de fois plus précieux que ce qui risquait alors de disparaître et qui a survécu. Je ne sais si ce que je dis-là ne sonne pas disproportionné, mais que m’importe ! et la place que je crois voir assignée à une revue comme F[ontaine] à l’heure qu’il est, il se peut que ce ne soit qu’un rêve de ma part. Mais je rêve alors, et je rêve bien.
Ainsi suis-je bien fâché d’en être réduit avec vous au piètre truchement de la correspondance. Ah, si nous pouvions parler ensemble… Mais enfin, il faut se résoudre à la vie telle qu’elle est. Le certain est le désir profond que j’ai de vous aider de toutes les façons dans votre tâche, et pas seulement avec cette fausse générosité du collaborateur qui met de temps en temps un poème sous enveloppe, et allez donc. Le malheur veut que je ne sois pas riche et que je ne puisse vous offrir que de faire la retape autour de moi. Je la fais, d’ailleurs, et si vous m’envoyez encore des prospectus j’arriverai peut-être à faire mieux. J’ose à peine vous dire que par ailleurs de nombreuses et vieilles expériences, vingt-trois ans à faire des revues(2), me donnent l’illusion que le cas échéant cette expérience peut se communiquer. Mais sachez que si cela vous intéresse je suis capable de vous écrire non seulement ce que je trouve bien dans F[ontaine], mais aussi ce que je peux y trouver ou mal, ou absent, ou insuffisant. Le voulez-vous ? Dans ce dernier numéro par exemple, il faut voir toute la rudesse de mon amitié au fait que sans attendre votre réponse je vous dirai qu’à mon sens il y a un déséquilibre frappant entre la revue anthologique et les chroniques absentes, les notes insuffisantes et surtout pas assez systématiques, ne rendant pas compte du mouvement intellectuel dans l’intervalle qui sépare deux Fontaine. Vous savez que les gens, c’est un fait, vont toujours, le sommaire lu, à la fin des revues chercher cette mine de renseignements, de petits faits, de critiques, qui prolonge, amplifie le son des poèmes et des proses, les lie à la vie même de l’esprit. Il y a bien déjà tentative en ce sens chez vous. Mais tentative seulement. Voyons, il n’est pas paru que ce dont vous parlez, en deux mois. Il y a eu toutes sortes d’efforts, de pensées, d’erreurs, de démarches poétiques ou philosophiques que vous laissez filer dans l’ombre, sur lesquelles au numéro suivant il sera bien tard pour revenir. Le redoutable, si on s’en tient à la partie anthologique, si large que [ce] soit le choix des collaborateurs, c’est qu’on risque de pratiquer seulement une sélection, de prêter les mains à la création d’un milieu littéraire, peut-être distingué, mais une chapelle tout de même. Ce qu’il faut, n’est-ce pas pratiquer, grâce à l’arme réelle qu’est Fontaine, entre autres, le rassemblement de défense nationale de l’esprit, si j’ose dire, le groupement de toutes les forces susceptibles de pratiquer, suivant l’expression classique, la défense et l’illustration de la langue française ?
Oui, je vous propose de vous y aider. Mais encouragez m’y, mon ami ! et comme sans attendre je vais vous prouver que rien n’est de ma part platonique, je veux aborder une question, peut-être un peu à côté, mais qui a pour moi son importance. Je vous demande de m’aider à être le lien entre vous et d’autres, à éviter que la désirable émulation entre gens qui ont les mêmes buts dégénère en rivalité. Voyez-vous, ne vous fâchez pas, et considérez que ce que j’en dis, mon âge et l’expérience de chat échaudé de l’univers-en-bouteille surréaliste me donnent des droits de me mêler de ce qui semble ne pas me regarder. En bref, je voudrais établir la fraternité entre Fontaine et Poésie 41. La vraie fraternité. Je sais que vous ne pouvez avoir rien contre cela. Mais pour aller plus avant il faut vouloir positivement les moyens de fonder cette fraternité. Tout à fait en dehors de Pierre Seghers(3), que j’ai vu ces jours-ci, je vous envoie deux poèmes de lui que je vous demande de publier dans F[ontaine], pas seulement pour la raison déjà dite mais parce que je trouve ces poèmes magnifiques, et qu’ils seront pour F[ontaine] une aide et un ornement. Tel que je connais Seghers qui ne publie de poèmes de lui-même dans sa revue qu’autant qu’on le talonne et on l’y force, il ne vous les aurait pas envoyés, et pas par dédain ou mauvais esprit, mais par une modestie incroyable. Ce serait chic à vous de lui donner ce coup d’épaule qui lui donnerait un peu de confiance en lui, et il en a besoin. Comprenez bien que jamais je ne vous écrirais cela si je ne trouvais d’abord ces poèmes très beaux. Particulièrement le second (qui n’a pas de titre, et ce serait très bien d’écrire à Seghers pour lui en demander un).
Je vais aussi me permettre de vous rabattre un autre gibier poétique. Dans la même enveloppe (je mets à part cette lettre, et les poèmes sous une seconde enveloppe), je mets deux poèmes de Jacques d’Aymé, dont vous aurez peut-être vu la signature au dernier P[oésie] 41. C’est un grand ami à moi, et c’est moi qui avais donné ce Poème de Novembre à Seghers. À mon sens, ce que je vous envoie de lui est très supérieur à ce que P[oésie] 41 a publié. Le nom de Jacques d’Aymé hier inconnu risque très vite de briller, je pense bien faire en donnant à Fontaine la possibilité de s’associer à cette naissance d’un poète. Les Préludes que je vous envoie parleront [sic, pour plaideront ?] mieux que moi [de] la cause de ce fds [enfant ?] du Quercy, qui exprime comme pas un le grand espoir que nous portons :

Lorsque nos yeux pourront revoir
La longue naissance du monde
Il se peut que nos yeux succombent
Éblouis par tant de miroirs
Et vaincus par tant de revanches.
Peut-être que nos bras ouverts
Se casseront comme les branches
Se cassent au vent d’hiver ?


C’est cette maîtrise du langage et de la tradition d’oc qui dépassent très singulièrement ce qu’en écrivent pompeusement ceux qui ne la possèdent pas ! et je pense, je dois dire, aux
Cahiers du Sud(4)Enfin, de toutes mes forces, je voudrais que vous aimiez ces Préludes, et ce poète.
À part cela (et je dois dire que ça m’a fait encore mieux sentir comme j’étais en retard avec vous) je viens de recevoir un mot de Jean R[oire](5) (dites-lui que je l’ai reçu, que je lui fais mes amitiés ainsi qu’à Yvonne(6), pour ma femme et pour moi). Il me dit votre dessein très ambitieux, et très magnifique, de consacrer le no suivant de F[ontaine] au thème de l’Europe française, et me demande si je ne peux pas écrire très vite un article pour cela. Je dois vous dire que je trouve cette entreprise, ce thème, d’une actualité admirable, telle même qu’on craint d’être incapable de remplir un cadre pareil. Ce serait avec fierté que je vous y aiderais. Si vous le voulez, et s’il y en a le temps. Si vous me le demandez, vous, mon cher Max, je le ferai tout de suite, dans les dimensions et les délais que vous pourriez m’assigner par l’avion de retour. Je voudrais écrire de l’influence qu’au moyen-âge les poètes de France ont eu sur l’Allemagne et l’Italie particulièrement, et au-delà, la naissance des grands symboles de l’amour sur la terre de France, de la civilisation de l’amour qui précède les grandes philosophies de la lumière sur les routes de l’Europe, et qui viennent de chez nous. Le tout mêlé à quelques idées sur l’art fermé d’alors, et ses similitudes avec la poésie que nous imposent les événements d’aujourd’hui(7). Enfin, ce serait à écrire et non à raconter. Mais peut-être préférez-vous espacer mon nom dans vos sommaires ? Ne vous gênez pas pour me le dire.
Oh, il y a mille et une choses que je voudrais encore vous dire. Cette lettre est déjà interminable. Je remets cela à la fois prochaine. Et puis la poste est mal faite pour l’essentiel : je vous le dis, on ne peut l’écrire qu’en vers.
Bien amicalement
Aragon »


Cette lettre, la première – et sans nul doute la plus importante – des neuf connues du poète à Max-Pol Fouchet, directeur de Fontaine, commente une partie de son importante contribution passée et à venir à la revue algéroise, puis rend compte de ses attentes tant idéologiques qu’éditoriales. Dans un excès d’optimisme, sans doute, Aragon se veut partie prenante à la revue, mais ses illusions seront sérieusement émaillées dès la seconde moitié de la même année. Cette brouille entre le poète et son correspondant deviendra définitive quelques mois plus tard. Elle s’explique, en partie, par l’émergence de phénomènes de concurrence entre les revues littéraires (Fontaine et Poésie 41) et la crainte de Louis Aragon de voir se fragmenter le champ poétique hostile au régime de Vichy.

Une écriture de la Résistance
Le conflit de 1939-1945 marque un tournant décisif dans l’écriture d’Aragon. En effet, son écriture poétique prend les formes d’un engagement patriotique. Qu’il s’agisse des poèmes composés durant la “drôle de guerre” et réunis en 1941 dans ‘Le Crève-cœur’, ou d’autres écrits pendant l’occupation nazie et assemblés en 1944 dans ‘La Diane française’, le poète dénonce dans les deux cas le conflit et témoigne d’un lyrisme profondément marqué, provenant aussi bien de la souffrance d’être séparé de son épouse que des affres de la guerre.
Il n’aura alors de cesse de dénoncer les crimes nazis et d’encourager les Français à s’unifier autour un but commun : La Résistance.

1- « Le poème interrompu », « Zone libre », « Richard II quarante » et « Elsa je t’aime » font l’objet d’une prépublication dans la revue Fontaine , no 13 (mars 1941, p. 220-225). Peu après, ils sont repris, selon un ordre différent, dans Le Crève-Cœur, dont l’achevé d’imprimer est du 25 avril 1941.

2- C’est-à-dire en 1918, année où Aragon signe ses premiers textes dans Nord-Sud et dans S.I.C. Indéniablement depuis lors il a non seulement donné à de nombreux périodiques une collaboration sans cesse abondante et diversifiée, mais il a “fait” des revues, au sens où il les a conçues, animées, réalisées.

3- Fin septembre 1940, séjournant auprès de Joë Bousquet à Carcassonne, Aragon reçoit la visite du poète Pierre Seghers, de dix ans son cadet, qui devient son ami dévoué et proche.. Jusqu’alors directeur de Poètes casqués, où Aragon a fait paraître, dans le numéro d’avril, « La Rime en 40 », Pierre Seghers fonde une nouvelle revue, Poésie, à laquelle Aragon apporte une contribution régulière, parallèlement à la revue Fontaine.

4- Les Cahiers du Sud naissent en 1925, de la refonte de la revue littéraire Fortunio qui avait été créée dès 1913 à Marseille autour de Marcel Pagnol, puis de Jean Ballard. André Gaillard, proche des surréalistes, est l’artisan de cette transformation. Dans les années 30, la revue Chantiers de Carcassonne, animée par Joë Bousquet, va tisser des liens étroits avec Les Cahiers du Sud. Tandis qu’Aragon exprime ici des réserves sur cette revue, Joë Bousquet y collabore régulièrement depuis 1928-29. En 1942, il y écrit notamment un article sur Fontaine et Les Cahiers du Rhône.

5- Jean Roire s’était lié d’amitié avant la guerre avec Aragon, qu’il avait rencontré au Parti communiste français. De 1936 à septembre 1939, il travaille à Regards, hebdomadaire illustré, comme secrétaire de rédaction, avec Pierre Unik. Lisant dans la vitrine d’un libraire algérois l’éditorial du no 10 (juillet-août 1940), « Nous ne sommes pas vaincus », et aussitôt séduit par le ton, il s’était alors présenté à Max-Pol Fouchet qui l’avait immédiatement engagé comme administrateur de la revue Fontaine.

6- Yvonne Génova, professeur de philosophie et collaboratrice de la revue Fontaine pour la partie critique, était la compagne de Jean Roire. Elle avait été révoquée brutalement, sans traitement, par le gouvernement de Vichy, dès septembre 1940.

7- Ce passage éclair dans quelles intentions et circonstances précises Aragon entreprend d’écrire « La leçon de Ribérac ou L’Europe française » dont la parution en juin 41, dans le numéro 14 de Fontaine à Alger, augmente l’influence de la revue par son retentissement en France.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » à Marianne Oswald
S.l, 11 janvier 1950, 1 p. grand in-4°
Déchirures aux pliures, deux petits manques angulaires sans atteinte au texte, infimes taches

Par une courte et percutante autobiographie dans le cadre de son portrait à la radio, le poète évoque sans détour ses faits d’armes pendant la Seconde Guerre mondiale


« Chère Marianne
Vos lettres viennent seulement de me parvenir car je suis un peu par monts et par vaux tous ces temps ci. Je me réjouis de votre succès en Allemagne dont j’avais eu par un ami qui en revient des échos. Merci de votre courage et de votre amitié. Que voulez-vous dire à la radio sur moi ?
Ces trucs là sont toujours une exhibition de tripes. Je crois que vous me connaissez assez pour improviser un portrait n’est-ce pas ? Pour le reste je suis né en 1907 à L’Isle-sur-Sorgue – Vaucluse. Je me suis bien emmerdé jusqu’à 20 ans, beaucoup [trop] mal présenté au monde sous l’aspect d’un élève de lycée révolté et souvent puni. Puis j’ai “gagné” ma vie en veuvant de la chicoré et du whisky à Marseille (j’avais 18 ans !), j’ai traversé la Méditerranée et vécu en Tunisie. Revenu, je me suis occupé de la terre que j’aime bien et de matériaux de construction que j’aime moins. Voilà pour l’estomac.
Sous les nazis, le maquis, puis à l’État-Major. Interallié à Alger en fin de débarquement.
J’ai tué quelques salauds par nécessité miliaire et civique en 1940-44. Je ne m’en vante pas, il y a trop de survivants qui les prolongent et les surpassent en saloperie. À présent je suis contre la peine de mort qui n’arrange rien.
Fraternellement à vous
René Char
P.S. Pour l’instant on m’applique un traitement en clinique, contre mes troubles de circulation. Je pense que dans qqs jours ça ira mieux et qu’on pourra se voir. »


Pendant l’Occupation, René Char, sous le nom de « Capitaine Alexandre », participe, les armes à la main, à la Résistance, qu’il nomme « école de douleur et d’espérance ». Il commande la section atterrissage parachutage de la zone Durance. Son quartier général est alors installé à Céreste dans les Basses-Alpes. C’est dans le maquis que le poète compose son plus célèbre recueil : les Feuillets d’Hypnos.

Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, était une remarquable diseuse. Elle participait à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « Fr » au prêtre Jacques Laval
[S.l], 7 février [1938 ?], 4 p. grand in-8°

Longue lettre dans laquelle l’écrivain parle à demi-mots de son homosexualité et de ses tentations


Mon cher petit Jacques,
Je devine à travers vos deux lettres bien des difficultés, bien des luttes. Elles ne sont pas nouvelles pour vous… Ce qui est nouveau, c’est de n’être pas pris, porté, par un milieu, par un règlement, par la mécanique du séminaire ; c’est de tenir votre rôle dans le drame secret que sont nos vies, seul et sous le regard d’un Dieu qui n’est pas toujours et à tous les instants « sensible au cœur ». Je ne suis pas sûr que l’arrangement de votre vie, tel que le décrivent Claude et Bruno sont le meilleur pour vous… mais peut-être est-il le seul supportable ?
Mon cher Jacques vous avez raison de croire que je vous aime, mais vous vous faites sur moi de grosses illusions. On a beau dire qu’on ne vieillit pas : si ! le cœur se dessèche. Je souffre moins, je ne souffre plus par le cœur. Je souffre mais, je ne souffre plus des abaissements et des misères charnelles, « on durcit par place… on pourrit à d’autres »
[…] C’est par ce qu’il y a en vous de dangereux, de périlleux, c’est par le côté le plus exposé de vous-même que vous ferez sans doute le plus de bien. Pour moi j’ai l’impression qu’il ne me reste que des gestes, un certain ton de ma jeunesse… ah ! n’ayez pas de chagrin quand on me juge trop sévèrement. Dites-vous que mon drame n’est pas d’être méconnu, mais au contraire de donner de moi une idée qui ne correspond pas à l’être que je suis réellement et dont la misère ferait peur à ces petits prêtres dont vous me parlez et qui me font trop d’honneur en me jugeant sur un certain plan.
Mon drame c’est d’avoir aimé par-dessus tout la sincérité et d’avoir abouti à ce mensonge de ma vie – car je suis lié par mes attitudes anciennes, par mes livres pieux. Dieu me punira en posant sur ma figure le masque que je hais le plus au monde : celui de Tartuffe… Et pourtant, il ne faut pas scandaliser… il faut se taire, n’est-ce pas ?
[Il lui parle ensuite de son neveu Bruno Gay-Lussac, qui lui a apporté un roman qui l’a étonné, mais il conseille de ne rien attendre de lui] « ce petit être fermé et glacé, sans la moindre tendresse. Pour moi, je l’ai toujours classé avec les frigidaires. Et je l’aime tout de même de tout mon cœur »
Cher Jacques croyez-moi aussi souvent que vous en aurez envie. Priez pour moi qui ne suis pas dans une bonne passe. (Je ne suis jamais dans une bonne passe !…) Les théologues me rassurent quand ils me disent que l’enfer, c’est la haine éternelle…je conçois le désespoir éternel, mais non la haine…
Adieu, cher petit Jacques – que Dieu vous garde – que le Christ qui vous aime, vous rende en amour tout ce que vous faites pour les pauvres, pour les enfants, pour les malades, ses cancéreux, ses hommes de lettres !
De tout mon cœur
Fr »


Bien qu’elle transparaisse au travers de plusieurs de ses correspondances, Mauriac s’est employé à dissimuler son homosexualité jusqu’à sa mort. Elle a en outre été une composante majeure de sa sensibilité et a marqué son œuvre, comme le révèle la Biographie intime de François Mauriac 1885-1940, par Jean-Luc Barré (2009), qui décrit une tendance homosexuelle longtemps gardée secrète.

Jacques Laval (1911-2002) commence sa carrière ecclésiastique en tant que prêtre au Diocèse de Reims (1937-1943) avant d’intégrer l’ordre des dominicains. Il occupe au début des années 1950 le poste de directeur du secteur culturel de la télévision du Vatican. Il était en relation avec de nombreux écrivains et artistes, et notamment François Mauriac. Son homosexualité ne lui vaudra jamais d’être exclu de l’église.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie », à Marie-Thérèse Bartholoni
Camden Place, Chislehurst, 16 mars 1880, 4 p. in-8°, papier de deuil

Très émouvante lettre de l’impératrice, évoquant son départ prochain pour le Zululand
Écrite le 16 mars, jour anniversaire de la naissance de son fils, cette missive annonce le pèlerinage que la mère endeuillée s’apprête à entreprendre en Afrique australe, sur les traces du Prince impérial, mort héroïquement le 1er juin 1879


« Ma chère Madame Bartholoni,
Merci des vœux que vous faites pour moi au moment de mon départ !
Vous me dites que vous comprenez le sentiment qui me guide et me fait entreprendre, malgré toutes les émotions et les fatigues, ce long voyage ! Si peu le comprennent malheureusement dans notre temps de profond égoïsme, que j’aime à le voir approuvé.
On vous a dit la vérité en vous assurant que je ne voyais personne.
Je serais, du reste, hors d’état de faire des adieux. J’espère, à mon retour, ou être plus forte ou n’avoir plus besoin de compter sur mes forces, de sorte que je vous prie de remettre à ce moment-là votre visite. J’espère aussi voir vos enfants quoique vous ne m’en parliez pas.
Vous craignez, et je vous en remercie, de me faire constater la solitude de mon foyer, mais mes propres malheurs ne sauraient changer l’intérêt que je leur porte.
Mes souvenirs à tous les vôtres et croyez à mes sentiments affectueux.

Eugénie »


Le prince impérial Louis-Napoléon Bonaparte (fils unique de Napoléon III et d l’impératrice Eugénie) est cadet, en Angleterre, de l’Académie royale militaire de Woolwich. Dans un élan bonapartiste, dont il est le dernier l’illustre descendant, il demande avec insistance son incorporation aux troupes britanniques d’Afrique australe pour participer avec ses camarades au combat contre les Zoulous. La reine Victoria l’y ayant finalement autorisé, il embarque en février 1879. Le , il participe à une mission de reconnaissance. À cheval avec quelques hommes, il arrive au lieu-dit Itelezi, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Dundee. Lors d’une halte au bord d’une rivière où elle se croit en sécurité, la patrouille est surprise par des guerriers zoulous. Une fusillade éclate et deux soldats britanniques perdent la vie. La troupe s’enfuit à cheval. Le prince tente de regagner sa monture en courant. La sangle de selle, qui fut utilisée par son père lors de la bataille de Sedan et que le prince tenait à utiliser, est hors d’usage et cède sous son poids. Il chute alors violemment. Son bras droit est piétiné. Il n’a plus pour arme qu’un pistolet, qu’il ne peut manipuler que de la main gauche. Il succombe transpercé de dix-sept coups d’iklwa.

A la fin de mars 1880, soit moins d’un an après la mort tragique de son fils, Eugénie décide d’entreprendre, contre l’avis unanime de son entourage, un pèlerinage en Afrique du sud afin de se recueillir sur les lieux où son fils a perdu la vie. Elle entreprend ce voyage incognito sous son nom habituel de « comtesse de Pierrefonds ».

Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, l’un des ornements de la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell (1833-1910), elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), qui fut député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement dans les années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.

[RIMBAUD] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Les Hommes d’Aujourd’hui
Édition originale, n°318, 4 p. in4°
Librairie Vanier, n°244 – Paris 19 quai St Michel
Pli renforcé au papier Japon, infimes déchirures marginales. Quelques décharges d’encre d’époque sur le dernier feuillet.

Exemplaire d’épreuve, avec corrections autographes de Verlaine, rectifiant notamment une citation du sonnet Voyelles 


Célèbre frontispice en noir réalisé par Luque et représentant Rimbaud barbouillant des voyelles.

Plaquette imprimée et publiée chez Léon Vanier (Paris, janvier 1888).

Les exemplaires d’épreuves de ce numéro mythique sont d’une insigne rareté, on en compte en effet moins de cinq. Celui-ci, provenant de la collection Jean Hugues, l’une plus des prestigieuses collections rimbaldiennes du XXe siècle, n’en est que plus précieux.

[ZOLA] FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Votre vieux Gve Flaubert » à Emile Zola
Croisset, dimanche [15 février 1880], 3 p. in-8°
Ancienne trace de montage sur la quatrième page

Réaction à chaud de Flaubert après sa lecture de Nana
Sans doute la plus emblématique de toutes ses lettres adressées à son ami Zola


« Mon cher Zola,

J’ai passé hier toute la journée jusqu’à 11 h. 1/2 du soir à lire Nana. – Je n’en ai pas dormi cette nuit, & j’« en demeure stupide ».
Nom de Dieu ! quelles couilles vous avez ! quelles boules !
S’il fallait noter tout ce qui s’y trouve de rare & de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. Les mots nature foisonnent ; et la fin, la mort de Nana, est michelangelesque !
Un livre énorme, mon bon !
Voici les p. que j’ai cornées (dans l’excès de mon enthousiasme, – & à une première lecture)
33.                       (82, 87, un peu de longueur ?
45, 46.                             ou plutôt de lenteur.) 51-52.      134.
79.         141.                     205. Mignon ! avec ses
105.        146.                         fils ! ineffable de
108.        156.                         Beauté !
126.        173
130.        192 (adorable)
195 id.
La vision de Me d’Anglars !
239.
256. Mais ce qui précède : la nuit passée dans les rues est moins personnelle. – Il était du reste, le plan donné, impossible de faire autrement. Car il fallait amener le « couchons-nous » – qui est excellent.
Tout ce qui regarde Fontan, parfait.
295.
Tout le ch. X.
377 ! « viens donc ! viens donc ! »
N.B. 401 « entre Le Havre & Trouville », impossible ! mettez Honfleur
415. plein de grandeur, épique, sublime !
427. La paternité de tous ces messieurs, adorable.
459.
Le suicide de Georges & sa mère arrivant en même temps : ce n’est pas du mélodrame (bien que certainement on le le dira dira que c’en est). – Car l’effet résulte des caractères – & des événements ingénieusement combinés.
483. très grand, très gd !

489.-90. Comme c’est vrai & intense !
500.
504. rien de plus haut.
XIVAu-dessus de tout ! – Oui ! nom de dieu ! sans pareil

Maintenant, que vous ayez pu économiser les mots sal grossiers, c’est possible. que la table d’hôte des tribades « révolte toute pudeur » je le crois ! Eh bien ? après ! merde pr les imbécilles ! – c’est nouveau en tout cas, & crânement fait !
Le mot de Mignon « quel outil » & tout le caractère de Mignon, du reste, me ravit.
Nana tourne au Mythe, sans cesser d’être réelle. C’est Cette création est Babylonienne.
Dixi.
& là-dessus, je vous embrasse.
Votre vieux
Gve Flaubert

Dite à Charpentier de m’envoyer un exemplaire car je ne veux pas prêter le mien.
Il doit être content, le jeune Charpentier ? voilà un petit succès assez chouette, il me semble ? »


Cette missive, dernière lettre majeure à caractère littéraire du « père spirituel des naturalistes » à son ami Zola, est écrite moins de deux mois avant sa mort. Comme à son habitude, Flaubert se livre sans retenue à des commentaires d’une grande précision, tantôt élogieux, tantôt plus critiques. Il va corner les pages de l’exemplaire envoyé par Zola quelque jours plus tôt, correspondantes aux passages l’ayant particulièrement marqué.
Véritables réactions d’un orfèvre de l’écriture, Flaubert note les sentiments, les noms. Il s’intéresse aux scènes, aux personnages secondaires et à la technique de composition.

Publié trois ans après L’Assommoir, Zola poursuit un tableau où s’imbriquent illusions et réalité crue. Nana est l’héroïne éponyme du neuvième volet de la saga des Rougon-Macquart, paru en 1880. Le roman eût un succès considérable en librairie, même si certains de ses contemporains traitèrent l’auteur d’écrivain pornographique. La jeune lorette, avivant toutes les concupiscences, offre à l’encan son ostentatoire sensualité. A l’instar des demi-mondaines que le ­Second Empire enfante – telles Blanche d’Antigny, Valtesse de La Bigne, Hortense Schneider ou Cora Pearl (dont Zola s’est fortement inspiré) –, Nana joue son destin dans le lit de ses amants. L’écrivain compose un roman aussi moral qu’amoral et s’adresse aux deux extrémités d’une société viciée sous le Second Empire. Mais son héroïne débridée n’a rien d’une femme libre.

Mère – hérédité toujours –, elle périra délaissée, ruinée, contaminée par son fils qu’elle voulait accompagner dans ses derniers instants.

Le tableau dressé par l’écrivain pour la mort de son héroïne relève d’une saisissante hypotypose, qualifiée ici par Flaubert de « michelangelesque » :

« Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue, envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri… »

Célèbre lettre, presque systématiquement reproduite dans les ouvrages consacrés aux deux écrivains.

[ZOLA] FLAUBERT, Gustave (1821-1880)


Lettre autographe signée « Votre Gve Flaubert » à Émile Zola
[Paris, 17 décembre 1874], 1 p. in-8°
Ancienne trace de montage

Convocation au sommet pour le prochain dîner du « groupe des cinq »


« Mon cher ami,
Tourgueneff, de Goncourt & Daudet seront dimanche chez moi dans l’après-midi pour s’entendre avec vous sur le jour prochain de notre festival.
Donc je vous convoque – & suis
Votre
Gve Flaubert
Jeudi
Rien du gymnase ! Problème !
»


Le premier dîner de cet « entre soi » fut le dîner Flaubert, appelé ensuite dîner des Auteurs sifflés ou dîner des Cinq, qui eut lieu le 14 avril 1874. Les Cinq – Goncourt, Flaubert, Zola, Tourgueniev et Daudet – se retrouvèrent d’abord dans divers restaurants, puis, plus tard, chez l’un d’entre eux. Tout à la fois cénacle de la bonne chère, réunion d’amis et tribune littéraire, ce groupe des cinq se retrouve autour de repas qui sont autant de moments de vie, de rires et d’excès.

La mort de Flaubert, en mai 1880, brisa la sociabilité du groupe qui eut de la peine à se reconstituer.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Lettre autographe signée « P Verlaine » à Jules Rais
[Paris] 39 rue Descartes, 2 janvier [18]96, 1 p. in-12° sur papier vergé
Petites taches

Dernière lettre connue de Verlaine, d’une écriture très hésitante, une semaine avant sa mort

PROVENANT DE LA BIBLIOTHÈQUE DU COLONEL SICKLES


« Cher ami,
Oui, j’adhère à votre journal. Imprimez-moi parmi collaborateurs et m’écrivez détails/
Très, très souffrant. Au lit et au lait. C’est pourquoi je vous écris si peu et si mal.
A vous de cœur.

P Verlaine
39 rue Descartes »


Cette lettre est une réponse à une sollicitation de Jules Rais qui annonçait à Verlaine, dans un courrier de la fin de décembre 1895, la création imminente de la revue L’Image et invitait le poète à collaborer :
« J’en suis secrétaire de rédaction. Des graveurs sur bois l’illustreront afin de lutter contre les procédés industriels et de rendre au livre sa beauté de jadis. Goncourt, Zola […] ont promis leur collaboration. Roger Marx en est. On annonce Huysmans, Geffroy, Descaves, Mendès, Barrès, etc. Des fonds permettront de faire appel aux grands en même temps que l’on accueillera les jeunes. Votre adhésion serait des plus précieuses, votre nom une garantie de succès… »

Cette sollicitation affectueuse et admirative a probablement adouci les derniers jours du poète. Il trouve ici la force, en dépit d’une écriture très hésitante, d’y répondre favorablement. Il s’agit vraisemblablement du dernier témoignage écrit qui nous soit parvenu de Verlaine qui meurt six jours plus tard.  Les missives envoyées par le poète après le 2 janvier seront de la main de sa maîtresse, Eugénie Krantz.


On joint :
[VERLAINE] Léon Vanier (1847-1896)
Les Hommes d’Aujourd’hui

Exemplaire de la seconde édition (1896), 4 pp. in-4°
Librairie Vanier, n°244 – Paris 19 quai St Michel
Marge inférieure très légèrement éffrangée, petit manque inférieur gauche sans atteinte au texte (voir scan)

Célèbre et bel exemplaire représentant Verlaine accroupi tenant une lyre de fantaisie
Bois gravé colorié au pochoir illustrant le fascicule n° 244 des Hommes d’aujourd’hui. Paris, Vanier, 1885. La biographie qui accompagne la caricature est de Paul Verlaine lui-même.
Cet exemplaire est celui de la seconde édition, publié en 1896 après la mort du poète.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Lettre autographe signée « P. Verlaine », enrichie d’un poème autographe signé, à Émile Bally
Paris, 31 janvier 1894, 3 p. in-12
Fentes au plis

Récemment revenu de sa dernière tournée de conférences en Angleterre, Verlaine annonce sa rupture avec sa maîtresse Philomène Boudin, dite Esther, et joint le sonnet « Toast » à son courrier


« Cher Monsieur Bally,
Il y a longtemps que je me promets de vous écrire. J’en ai été empêché par toutes sortes d’ennuis dont… une séparation d’avec une personne de qui le caractère ne cadrait plus avec le mien
[Philomène Boudin] et une petite, mais très agaçante reprise de mon mal de jambe.
J’espère que nous saurons vous trouver en meilleure santé que moi.
Quand comptez-vous passer par Paris ? Il serait exquis pour l’époque à laquelle je dois aller « lecturer » :
Genève, Lausanne et Fribourg correspondît avec celle de votre « tour » dans votre pays.
En parlant de « tour », Mr
[Théodore] London vous a-t-il communiqué mon article du Figaro intitulé : Un tour à Londres ?
Je vous envoie un petit poème que vous voudrez bien remettre à Mr London avec tous
[mes] compliments à lui, à sa sœur et à son frère – et un sonnet que je vous prie d’agréer.
[…] Je vous serre la main.
P. Verlaine
187 rue St Jacques »

[Sur un feuillet séparé, Verlaine dédit son poème Toast à son correspondant]

« Toast.
à S. Em. Bally

Or vous m’aviez parlé français.
Je vous en aime d’autant mieux
Que vous êtes un Français vieux
Puisque Genevois, et je sais

Qu’en ces lieux où j’eus un succès
Immérité même es milieux
Où les paradoxes sont dieux
Mieux en français qu’en tels accès

Plus accessibles Racine
Qu’on ne le croit en tel endroit…
Et je vous pousse ce coup droit : 

« Prosit » à la langue divine
Que je parle et que nous parlons
« Prosit » à nous en des toasts longs ! 

30 Janvier 1894
Verlaine »


Eugénie Krantz, l’autre maîtresse de Verlaine, éclaire ce dernier sur les infidélités de Philomène Boudin durant l’année 1893. Il envisageait sérieusement de l’épouser. Leur rupture prendra effet en décembre 1893. Le poète s’installe alors avec Eugénie au 187, rue Saint-Jacques, dans une modeste chambre au cinquième étage.

Émile Bally, professeur genevois, sert d’interprète à Verlaine lors de sa tournée de conférences en Angleterre. Il fait partie du groupe d’artistes et de jeunes poètes qui a accueilli Verlaine, aux côtés, entre autres, de Théodore London, jeune pasteur.

Le poème « Toast » figure dans Poèmes divers. On note une variante avec le sonnet publié, au début du premier tercet : « Plus accessibles à Racine » devient « Inaccessibles à Racine »

RIMBAUD, Arthur (1854-1891)

Lettre autographe signée « Rimbaud » à sa famille
Aden, 10 septembre 1884, 4 pp. in-8° à l’encre noire sur papier vergé
Sous chemise demi-maroquin noir moderne

Des anciennes collections de Louis Barthou et de la Baronne Alexandrine de Rothschild, provenant de la vente Bernard Loliée

Empreint de fatalisme, Arthur Rimbaud témoigne de sa difficile existence à Aden
L’une de ses plus belles lettres de voyage encore en mains privées


« Mes chers amis,
Il y a longtemps que je n’ai reçu de vos nouvelles : j’aime cependant à croire que tout va bien chez vous et je vous souhaite bonnes récoltes et long automne. Je vous crois en bonne santé et en paix comme d’ordinaire.
Voici le troisième mois de mon nouveau contrat de six mois, qui va être passé. Les affaires vont mal, et je crois que fin décembre j’aurai à chercher un autre emploi, que je trouverai d’ailleurs facilement, je l’espère. Je ne vous ai pas envoyé mon argent parce que je ne sais pas où aller, je ne sais pas où je puis me trouver prochainement, et si je ne pourrai pas employer ces fonds dans quelque petit trafic lucratif.
2° Il se pourrait que, dans le cas où je doive quitter à Aden, j’aille à Bombay, où je trouverai à placer ce que j’ai à fort intérêt sur des banques solides, et je pourrai presque vivre de mes rentes : 6.000 roupies à 6% me donnerait 360 roupies par an, soit 2 francs par jour, et je pourrais vivre là-dessus en attendant des emplois.
Celui qui n’est pas un grand négociant pourvu de fonds ou crédits considérables, celui qui n’a que de petits capitaux, ici risque bien plus de les perdre que de les voir fructifier, car on est entouré de mille dangers, et la vie, si on veut vivre un peu confortablement, vous coûte plus que si vous ne gagnez, car les employés en Orient à présent son aussi mal payés qu’en Europe, leur sort u est même bien plus précaire, à cause des climats funestes et la vie énervante qu’on mène. – Pour moi je suis à peu près acclimaté à tous ces climats, froids ou chauds, frais ou secs, et je ne risque plus d’attraper les fièvres ou autres maladies d’acclimatation, mais je sens que je me fais très vieux très vite, dans ces métiers idiots et ces compagnies de sauvages ou d’imbéciles.
Enfin, vous le penserez comme moi, je crois, du moment que je gagne ma vie ici, et puisque chaque homme est esclave en cette fatalité misérable, autant ici qu’ailleurs où je suis inconnu ou bien où l’on m’a oublié complètement et où j’aurai à recommencer ! Tant donc que je trouverai mon pain ici, ne dois-je pas y rester, tant que je n’aurai pas de quoi vivre tranquille et il est plus que probable que je n’aurai jamais de quoi, et que je ne vivrai ni ne mourrai tranquille. Enfin, comme disent les musulmans : C’est écrit ! – C’est la vie, elle n’est pas drôle.
L’été finit ici fin septembre, et dès lors nous n’aurons plus que 25 à 30 centigrades dans le jour et de 20 à 25 la nuit, c’est ce qu’on appelle l’hivers ici. Tout le littoral de cette sale mer Rouge est ainsi torturé par les chaleurs. Il y a un bateau de guerre français à Obok où sur 70 hommes composant tout l’équipage 65 sont malades des fièvres tropicales, et le commandant est mort hier. Encore à Obok, qui est à quatre heures de vapeurs d’ici, fait-il plus frais qu’à Aden. Mais ici c’est très sain, et c’est seulement énervant par l’excès des chaleurs.
Et le fameux Frédéric, est-ce qu’il a fini ses escapades ; qu’est-ce que c’est que ces histoires ridicules que vous me racontiez sur son compte ? Il est donc poussé par une frénésie de mariage, cet homme-là. Donnez-moi des nouvelles de tout cela.
Bien à vous,
Rimbaud.
Maison Bardey, Aden. »


Au début de mars, Rimbaud quitte Harar, en Abyssinie : la ville où il travaillait est devenue « inhabitable, à cause des troubles de la guerre » (lettre à sa famille, 24 avril 1884). Après six semaines de « voyages dans les déserts » (même lettre), il arrive à Aden, au Yémen, vers le 20 avril. La maison Bardey, qui l’employait, a connu de graves difficultés financières et a fermé ses deux comptoirs, à Harar et à Aden. Durant quelques mois, il vit de ses économies : si l’on en croit ce qu’il écrit à sa famille le 5 mai, il a mis de côté « douze ou treize mille francs ». L’horizon s’éclaircit dans la seconde quinzaine de mai. Son employeur, Alfred Bardey, est allé chercher des fonds à Marseille et les activités vont reprendre. À la mi-juin, Rimbaud et Bardey signent un nouveau contrat, qui les engage pour six mois, du 1er juillet au 31 décembre 1884.

La chaleur est insupportable à Aden, durant les mois d’été. Les Européens qui n’y sont pas habitués tombent malades. Rimbaud résiste. Le rude Ardennais a gardé son tempérament et l’expatrié son sens de l’acclimatation. Pourtant le mal du pays le rejoint. Il attend avec impatience les lettres qui lui viennent de France et le courrier lui paraît désespérément lent entre les continents. Dans la lettre qu’il adresse à sa famille le 10 septembre 1884, il s’enquiert des « récoltes » de fin d’été : comme chaque année, sa mère, Vitalie, et sa sœur, Isabelle, ont accompli la transhumance saisonnière, pour venir travailler aux champs, passant de leur résidence de Charleville à leur propriété de Roche, à une quarantaine de kilomètres. C’est là qu’elles sont, en septembre 1884, de là qu’elles informent Rimbaud de leurs occupations.

Mais ce qui fait l’importance singulière de la lettre du 10 septembre 1884 et qui fait d’elle un document exceptionnel, c’est le sentiment qu’elle exprime, de fatalisme intégral. Comme s’il avait à tirer les conclusions de tout ce qu’il raconte à sa famille, de tout ce qu’il subit dans les contrées où il est venu dans l’espoir de gagner sa vie, Rimbaud, comme à l’écart des questions pratiques, commerciales, climatiques qu’il développe dans la lettre, dit ce qu’il comprend de la vie, du sens de la vie : « chaque homme est esclave de cette fatalité misérable » à laquelle, là ou ailleurs, il ne peut échapper. Ce sens de la fatalité, et de la « fatalité misérable », formulé ici, loin de l’Europe, l’était déjà dans ce grand texte programmatique, ou prémonitoire, qu’est Une saison en enfer. Et si radicale qu’ait été la rupture et si réel que soit l’éloignement de quelqu’un qui voulait fuir tout sentiment, et tout héritage philosophique, l’idée de l’homme « esclave » de la fatalité lui revient comme l’œil de Caïn, dont il a vérifié la présence, « autant ici qu’ailleurs ».

« J’exècre la misère », écrivait Rimbaud, dans l’« Adieu » d’Une saison en enfer. Il imaginait alors qu’il pouvait s’affranchir de la loi chrétienne, de la malédiction de son baptême. La vie, la misère et la fatalité l’ont rattrapé, au point qu’il n’a plus qu’à citer le credo d’une autre religion, celle « des musulmans » : « C’est écrit ». Il est resté l’homme sans Dieu qu’il était au sortir de l’adolescence, sauf lorsqu’il s’agit d’entendre ce que disent les religions de la misère universelle et du destin tragique de toute créature humaine.

Dès lors qu’il n’y a que « la vie », et que celle-ci n’est « pas drôle », autant vivre « ici qu’ailleurs », écrit Rimbaud, avant d’ajouter : « mieux vaut même ici qu’ailleurs ». Mais le pense-t-il vraiment. L’attention qu’il accorde à sa famille, à tout ce qu’il a quitté et dont, suivant un paradoxe existentiel bien connu, l’éloignement le rapproche, suggère un autre sentiment. On connaît cette terrible logique de la nostalgie, que les romantiques ont célébrée et qui n’est qu’une manière de vivre l’insatisfaction : le sapin, dans les neiges, rêve du soleil d’Orient et palmier d’Égypte de frimas septentrionaux. C’est le sens de la vie de Rimbaud, que cette lettre et le propos qu’elle tient, banalisant la misère humaine, laissent transparaître.

D’où l’attention qu’il accorde à sa famille, aux activités de sa mère et de sa sœur, auxquelles il a pris l’habitude de s’adresser en les appelant, au masculin ; « chers amis », comme si le cercle auquel ses lettres sont destinées devait naturellement s’élargir. Une attention qui se porte sur les travaux des champs, les récoltes, et sur les comportements erratiques de son frère, Frédéric, son aîné d’un peu moins d’un an : Frédéric est né le 3 novembre 1853, Arthur le 20 octobre 1854.

À la fin de la lettre – in cauda venenum -, Rimbaud parle sans aménité de son frère, « le fameux Frédéric », comme il l’appelle avec une ironie méprisante : « fameux », au sens où le cadet sait à quoi s’en tenir sur l’aîné, au sens aussi où la réputation de Frédéric l’encombre : « ça me gênerait assez, par exemple, que l’on sache que j’ai un pareil oiseau pour frère », écrira-t-il dans une autre lettre à sa famille, le 7 octobre de la même année.

Frédéric cherche à tout prix à se marier. Rimbaud lui-même, lorsqu’il s’imagine un avenir heureux, songe au mariage. Mais Frédéric se ridiculise. Il se démène au point de paraître « possédé par une frénésie de mariage ». Il faut imaginer surtout qu’il exerce cette frénésie dans les bas-fonds de la société ardennaise, ce qui déclenche la fureur maternelle : Vitalie s’opposera de toutes ses forces au mariage de son fils aîné, au point d’en référer à la justice. Rimbaud ne partage peut-être pas de tels préjugés sociaux, du moins dans leur acception provinciale et bourgeoise, mais il a d’autres raisons de mépriser son frère, qu’il considère comme un être inférieur, ontologiquement. Et il prend sa mère et sa sœur à témoin de cet atavisme : « c’est un parfait idiot, nous l’avons toujours su, et nous admirions toujours la dureté de sa caboche » (lettre du 7 octobre 1884). Il faut peser le poids de ce « nous » et de ce « toujours », pour imaginer la puissance d’un mépris qui puise ses origines dans l’enfance, comme il faut opposer cette façon de répudier un frère aîné, indigne de remplacer le père absent, à l’image que nous montre la photographie prise à Charleville en 1866, où les deux frères apparaissent en premiers communiants, dans la trompeuse ressemblance de leur jeune âge, ouvrant leurs grands yeux sur l’horizon de la vie, une vie qui allait installer entre eux le gouffre infranchissable de l’incommunicabilité. David Le Guillou a donné toute la mesure de cette incommunicabilité dans un bel essai romancé sur « l’autre Rimbaud », comme il appelle le frère d’Arthur (L’Autre Rimbaud, Paris, L’Iconoclaste, 2020).

On comprend qu’Isabelle, en communiquant en 1896 le texte des lettres de Rimbaud à son futur mari, Paterne Berrichon, ait fait l’économie du dernier paragraphe de la lettre du 10 septembre 1884, dont le texte publié fut donc longtemps incomplet. Le désaccord avec Frédéric était sans doute consommé, mais elle répugnait à diffuser de tels secrets de famille, à un moment où, après la mort d’Arthur, Frédéric et sa descendance étaient appelés à porter le nom de Rimbaud.

Au même moment, à Paris, paraît un livre de Verlaine : Les Poètes maudits, chez Vanier…

RIMBAUD, Arthur (1854-1891)

Manuscrit autographe signé deux fois « Rimbaud », destiné à Armand Savouré
Harar, 30 mars 1890, 1/2 p. in-4° à l’encre, Filigrane “R Turner Chafford Mills”
Pliures, petites taches, petite déchirure réparée en marge inférieure droite, sans atteinte au texte

Reçu de Harar destiné à Armand Savouré, le dernier avant que Rimbaud ne cesse toute activité avec celui-ci
L’un des deux derniers reçus signés deux fois encore en mains privées


« Extrait de compte n°7,
Monsieur Savouré

Je vous dois : report de compte n°6 th 5 325. –
Reçu au cpte des cartouches : 23 janvier en piastres th 500.
10 février en piastres th 600.
11 février 443.13 café th 2 661.16.
Emballage 50 th 42.5.
Total thalaris 9 129.4.

Vous me devez :
1er février 90 ½ courrier Aden th 3.
22 février 50 th 3.
30 mars 50 th 3
2% commissions sur th 380 h th 76.4.
Réductions… sur 444… café th 211.
Total th 296.4.
Balance à V/crédit fin mars th 8 833.
Bal 9 129.4.
Harar 30 mars 90
Rimbaud.

Donné ordre à Mr. Vian à Aden de payer ladite somme de 8 833 à Mr. Savouré personnellement. Courrier n° 89 et suivant. 28 mars 1890.
Rimbaud
»


On connaît vingt-deux reçus autographes de Rimbaud datant de son dernier séjour au Harar (1888-1981), dont la moitié se trouve dans des collections publiques (neuf à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, deux à Charleville). Ce reçu, demeuré inédit, est l’un des plus longs existants (soixante-quinze mots), et l’un des rares à être signé à deux reprises.

L’extrait de comptes n°7 fait suite à six autres, numérotés de la même manière, qui ont été publiés. Il est vraisemblablement le dernier de la série. Rimbaud écrit une lettre assassine à Savouré moins d’un mois plus tard : « Je n’avais nullement besoin de vos ignobles cafés, acheté au prix de tant d’ennuis avec les Abyssins […] ».

La dernière grande aventure rimbaldienne : le désert et les armes

Avant de rejoindre l’Afrique en 1878, Rimbaud arpente l’Europe : Londres, Bruxelles, Stuttgart, Naples, Milan, Liverpool, Vienne, Rotterdam, Stockholm… Il envisage de travailler à Alexandrie, mais finit par devenir contremaître à Chypre. Par la suite, il enchaîne les petites tâches comme surveillant du tri de café, ou acheteur de café à Harar.
Parallèlement, en Afrique, il porte un œil attentif à l’exploitation du musc, de l’ivoire et du caoutchouc. Puis, comme nous le savons bien, il se lance dans le trafic d’armes, à Tadjourah (actuel Djibouti), en octobre 1885. Il continue en prenant la tête d’une importante caravane jusqu’à Ankober, traversant les déserts, les terres volcaniques, pour proposer sa marchandise à Ménélik II (1844-1913), alors roi du centre de l’Éthiopie, bientôt celui du Harar. Les faveurs du souverain abyssinien sont sollicitées par les Européens : après l’ouverture du canal de Suez, nombreux sont ceux à vouloir établir un port sur la mer Rouge.
Chrétien et souhaitant des armes pour étendre son pouvoir, Ménélik est tout à fait disposé à négocier à ce sujet. Il accueille donc avec plaisir tant les cadeaux de diplomates que les offres de négociants, dont Rimbaud fait partie. Ce dernier effectue son troisième et dernier voyage au Harar de mai 1888 à avril 1891.

[RIMBAUD] CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » à Marianne Oswald
L’Isle [sur-la-Sorgue], 25 avril [19]68, 1 p. 1/4 in-8° oblongue
Trace de pliure centrale

Belle lettre à son amie Marianne au sujet de leur amitié et évoquant Rimbaud


Chère Marianne,
Pourquoi mesurer l’amitié – ou douter d’elle – avec nombre de lettres échangées ? Nous rêvons sous la ceinture d’un enfer qui nous laisse bien peu d’air frais pour respirer librement et écrire comme nous aimerions avant d’être enfouis !
Je me doute bien que tu te bats et travailles avec toute ton énergie et ton cœur. Je pense à toi avec amitié.
R. Char
P.S. Mais oui : tu peux dire les poèmes que tu voudras, de moi, dans tes émissions, en premier : “Elisabeth, petite fille” et
[Char rajoute au verso de la lettre]
Plus que jamais je comprends Rimbaud d’être “parti”…»


Cette fin de lettre rappelle inévitablement « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud », extrait de son recueil Fureur et mystère, paru en 1948.

Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, était une remarquable diseuse. Elle participait à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

[RIMBAUD] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Les Hommes d’Aujourd’hui
Édition originale, n°318, 4 pp. in-4°
Librairie Vanier, n°244 – Paris 19 quai St Michel

Fameux exemplaire représentant Rimbaud peignant des voyelles


Édition originale de cette publication en deux feuillets avec le célèbre texte de Paul Verlaine.
En une, xylographie en couleurs représentant Rimbaud en bébé jouant avec des voyelles, en référence à son poème du même nom.
Tel que paru, d’une parfait fraîcheur aux couleurs intactes.
Rare document, d’autant plus dans cet état.

[RIMBAUD] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Lettre autographe signée « Votre P Verlaine » à l’abbé Louis Le Cardonnel
Paris, 9 fév[rier] [18]86, 2 p. 1/4 in-8° sur papier de deuil
Traces de pliures, petites taches

Verlaine est à la recherche du manuscrit des Illuminations


« Mon cher Le Cardonnel
On ne vous voie plus ; que devenez-vous donc ?
Combien j’aimerais à vous voir !
Tâchez d’avoir le plus tôt possible les Illuminations et apportez-les-moi en toute hâte.
Très pressé
[en] vue [d’] une édition probable de Rimbaud complet[e].
– Hélas 15 ans tout ce que cette femme intelligente
[Mathilde Mauté] n’en détient ou a [deux mots caviardés] détruit.
Ma situation se fonce ou se défonce, au choix. Je ne sais vraiment où je vais, c’est ce qu’on appelle ne plus vivre. Une inquiétude animale que berce je ne sais quel zutisme qui est peut-être l’espoir en tel lieu.
Je travaille ferme cependant ? Voici presque les mémoires d’un veuf sur le « marbre », et je termine deux autres volumes en prose dont la seconde série des Poètes Maudits.
[…]
Apportez donc enfin les vers et à très bientôt, n’est-ce pas ?
Votre P Verlaine »


L’ensemble des poèmes formant les Illuminations est remis par Rimbaud à Verlaine lors de leur dernière entrevue, en février 1875, à Stuttgart. Quelques mois plus tard, Verlaine transmet un dossier de « poèmes en prose » (qu’il n’intitule pas encore Les Illuminations) à Germain Nouveau, selon une lettre de Verlaine à Ernest Delahaye. Le manuscrit est ensuite rendu à Verlaine, qui le remet à son beau-frère, Charles de Sivry. Ce dernier le conserve de nombreuses années avant de le donner à Louis Le Cardonnel, qui le confie à l’un de ses amis, Louis Fière. C’est de chez celui-ci que Verlaine parvient finalement à le faire envoyer chez Gustave Khan, directeur de la revue La Vogue, qui l’y publie en mai et en juin 1886.
Verlaine prend les traits d’un « Pitoyable frère » dans le poème « Vagabonds », issu du recueil en question.

Les Mémoires d’un veuf paraissent la même année chez son éditeur, Léon Vanier. L’autre ouvrage auquel Verlaine fait allusion est peut-être Louise Leclercq, publié également en 1886.

La deuxième édition des Poètes maudits paraît, quant à elle, en 1888. S’y ajoutent trois portraits en plus de ceux de Corbière, Rimbaud et Mallarmé : Desbordes-Valmore, Villiers de l’Isle-Adam et Verlaine lui-même, sous l’anagramme de Pauvre Lélian.
Enfin, il est intéressant de noter que Verlaine accuse ici ouvertement son épouse de détenir ou d’avoir « détruit » des manuscrits de Rimbaud.

RILKE, Rainer Maria (1875-1926)

Lettre autographe signée « RM Rilke » à Eduard Korrodi
[Glion] le 20 mars 1926, 8 pages in-8 à l’encre bleue
Petites fentes aux marques de pliures, infimes déchirures sans atteinte au texte, quelques décharges d’encre

Une des plus merveilleuses lettres de Rilke, d’une importance capitale
Véritable testament poétique rédigé la même année de sa mort à l’adresse de son ami Eduard Korrodi, qui prononcera son éloge funèbre

Arrivé au crépuscule de sa vie, le poète évoque pêle-mêle la réception critique réservé à ses ouvrages, ses souvenirs, l’influence de la Suisse sur son œuvre, ses inspirations, puis s’exprime sur ses œuvres passées et poèmes en langue française à paraître, Vergers et Quatrains Valaisans


« Cher Monsieur Korrodi,
Si, dans l’affaire qui m’a tracassé récemment, vous n’avez pu jouer qu’un rôle, d’ailleurs efficace, d’intermédiaire, la grande obligeance de vos lignes a préparé à ma cause un véritable tremplin. Je saute donc (non sans avoir pris d’abord un peu d’élan).
Vous savez (j’ai presque honte de souligner sans cesse le même fait) que je ne lis jamais, en règle générale, ce que l’on publie sur mes livres (pour ne pas devoir abandonner ma position centrale à l’intérieur de mon travail) ; je n’aurai donc pas vu d’avantage certains petits calices où s’éventait, semble-t-il, tout espèce de lies, et que me tendaient des journaux et des revues allemandes (à l’occasion de l’impression de quelques poèmes écrits en français). Le goût de ces liqueurs néanmoins doit avoir été fort déplaisant, puisque, de plusieurs côtés, de jeunes amis ont tenu à m’offrir leurs forces et leurs armes pour me justifier ou me défendre. Dans un cas particulier, j’ai même accepté un service de ce genre ; en effet, dans un certain article que l’on mit sous mes yeux, l’attaque était si curieusement déplacée qu’elle semblait viser, plus que moi, tout un groupe de personnes à qui je ne dois depuis longtemps que bienfaits. Pour le reste, le bruit qu’avait fait un incident aussi secondaire devait finir de lui-même, comme tout bruit.
Mais j’ai eu entre les mains cette semaine les dernières épreuves de ce livre de vers français qui va paraître prochainement dans la collection
« Une œuvre, un portrait » (aux éditions de la Nouvelle Revue française). Je ne sais si la modeste apparition de ce petit choix va renouveler et aggraver les reproches qui m’ont été adressés. Mais dès aujourd’hui, cher Monsieur Korrodi, je vous demande la faveur de faire de vous le complice et le défenseur des vraies raisons qui sont à l’origine de cette production marginale et de sa publication. L’absurde apparaît, pour le moins, superflu ; et c’est dans cette rubrique de l’absurde superflu que je serai forcé de ranger les hypothèses auxquelles mes essais pour arracher à une langue qui n’est pas originellement la mienne un accent qui me soit propre, ont donné lieu.
Après tout (n’est-ce pas ?), personne n’est tenu de savoir quelle importance de plus en plus grande la généreuse hospitalité de la Suisse devait prendre après ces années d’interruption et de très profond trouble, pour la poursuite de ma vie et de mon travail ; et je me demande si je suis tenu, à mon tour, à m’exprimer sur ces rencontres ? J’ai jugé suffisant d’en présenter, un à un, les résultats. Il faut compter parmi eux, après les
Sonnets à Orphée et le recueil des Élégies [de Duino], cette réunion de vers français à laquelle eût parfaitement convenu le titre « Nebenstunden » (choisi par la Reine Christine de Suède pour certains cahiers). « Heures marginales » : mais dans lesquelles ne s’en imposait pas moins un sentiment essentiel. Le sentiment de ce pur et grandiose paysage d’où m’était venu, dans des années de solitude et de concentration, un secours incessant et inépuisable. Depuis ces premiers essais juvéniles où cherchaient à transparaître des influences de ma partie pragoise, je ne m’étais plus jamais senti entraîné à célébrer directement dans un poème un lieu vécu, à le « chanter » ; et voilà que dans la troisième année de mon installation là-bas, s’éleva en moi une voix valaisanne, si forte, si autonome que la langue involontaire s’imposa avant même que je lui en eusse accordé le moindre droit. Il ne s’agit pas ici d’un travail intentionnel, mais d’un étonnement, d’une soumission, d’une conquête. De la joie de faire ses preuves sur un paysage de mieux en mieux compris ; et de découvrir une possibilité d’échanges dans le domaine de la sonorité, de ses accents propres.
Enfin, s’il faut tout dire, du plaisir de se retrouver plus jeune, presque jeune, dans l’usage d’une seconde langue dont on n’avait fait jusqu’alors qu’un usage passif ou pratique, et dont la crue (ainsi qu’on l’avait éprouvé, jeune, avec la sienne propre) se mettait à vous porter, maintenant, dans l’espace de la vie anonyme.
Ainsi donc, de naissance, ce livre de poèmes et d’abord un livre suisse, et j’ai trouvé juste à côté du titre Vergers, choisi par des amis, le titre du groupe de poèmes le plus long, autour duquel s’étaient rassemblés les autres vers, les Quatrains valaisans, figure aussi sur la couverture.
La publication de ces poèmes n’a pas été plus intentionnelle que leur naissance. Et là, je dois sans doute avouer un peu de faiblesse. Certes, quand j’en confiais quelques-uns à Paul Valéry pour sa belle revue
Commerces, je jugeais presque invraisemblable qu’aucun pût satisfaire aux exigences de la revue. Même quand l’inattendu se fut produit et que la Nouvelle Revue française me demanda d’autres vers, j’étais encore loin de prévoir où cette docilité m’entraînerait. S’il en résulte aujourd’hui la parution imminente d’un choix (dû à mes amis) de mes vers français, c’est qu’une série de circonstances m’ont converti à cet accord et à ce risque. Le désir, avant tout, d’offrir au canton du Valais le témoignage d’une reconnaissance plus que privée pour tout ce que j’ai reçu (du pays et des gens).
Ensuite, celui d’être plus visiblement lié, à titre de modeste écolier et d’immodeste obligé, à la France et à l’incomparable Paris, qui représentent tout un monde dans mon évolution et mes souvenirs. Et, à l’arrière-plan, la pensée que ne pourrait guère réussir jamais pour ma poésie ce qui vient d’être atteint pour la prose des
Cahiers de M. L. Brigge : une transposition vraiment fidèle et légitime.
Par Maurice Betz : en préparation chez Émile-Paul frères, Paris, rue de l’Abbaye 14. La connaissance que l’on prend de mon travail par cette traduction risque finalement d’être mieux complétée par mes vers français (même si on ne voit en eux qu’une « curiosité ») que par tout effort pour donner de la structure allemande de mes poèmes adultes une imprécise approximation française.
Ici prend fin, autant que je peux voir, ma ronde autour de ma « cause », dont je n’ai nullement voulu faire, en tournant autour, une place fortifiée ; bien plutôt la révéler enfin telle qu’elle est, dans son ouverture, sa candeur et, si l’on peut dire, sa lyrique rusticité.
Il fallait bien déposer quelque part, pour demain ou après-demain, l’étalon qui aidera les esprits ordrés à donner au produit
Vergers sa juste place dans le contexte de ma vie. Ceux qui se scandalisent de ce petit livre, je n’ai rien à faire avec eux ; avec ceux qu’il étonne, je me sens lié par ma propre surprise heureuse.
Mais à vous-même, cher Monsieur Korrodi, je me sens, au moment de vous quitter, plus particulièrement lié par la conviction que, dans votre vieil et sincère intérêt pour moi, s’il se fût agi de trouver des arguments, votre intuition vous eût suggéré à peu près ceux que j’énumère ici.
A quoi s’ajoutent toutes les autres raisons de mon attachement durable et reconnaissant.
Votre dévoué
RM Rilke
PS : La « Revue de Genève » me fait l’honneur de publier dans son numéro d’avril dix ou douzes pièces des
Quatrains Valaisans. Le titre du petit volume, dans la série « Une œuvre, un portrait » est : Vergers suivi des Quatrains valaisans.
Et encore une chose : le livre ci-joint qui selon « la répartition des rôles » la plus stricte relève de votre domaine de compétence, a dû être ces temps derniers recommandé à votre attention et à votre appréciation. Je l’avais déniché fin janvier dans une petite mercerie à Glion avant même qu’il ne reçoive la reconnaissance d’un prix littéraire (le prix des « Amis des lettres françaises ») et il m’a réservé le soir même ce genre de surprise intense qu’on associe rarement à un nom nouveau et à un premier livre. Lisez-le sans tarder »


Cette lettre de huit pages a été écrite par Rilke le 20 mars 1926, lors de son avant-dernier séjour dans au sanatorium de Val-Mont, à Gelon, dans le Valais, où il reviendra une dernière fois quelques mois plus tard pour y mourir le 29 décembre 1926. (D’une épine de rosier qui aurait provoqué une septicémie, dit une légende, et plus vraisemblablement d’une leucémie qui l’affaiblissait depuis plusieurs années.)

Le poète autrichien vient de publier pour la première fois des poèmes qu’il a composé en français, et c’est ce choix qu’il entend défendre et expliquer à Eduard Korrodi. Ce dernier, en effet, s’en est étonné dans le journal où il règne sur le cahier culturel (le « Feuilleton », en allemand) de la Neue Zürcher Zeitung, fondée en 1780 et considérée dans le monde entier comme le quotidien suisse-allemand de référence. De 1914 jusqu’à sa mort en 1950, Korrodi exerce sa fonction de critique en « pape de la littérature », voire en « procureur fédéral » (dixit Max Frisch).

[BAUDELAIRE] CARJAT, Étienne (1828-1906)

Tirage d’époque [aux sels d’argent] sur papier albuminé
[Paris, entre fin 1861 et début 1862]. Timbre humide « Et. Carjat »
(25,1 x 18,5 cm) Contrecollé sur carton avec timbre sec du photographe (31,8 x 24,9)
Angles du montage découpés sans atteinte au tirage, pupilles retouchées et quelques petits points noircis dus aux retouches du photographe ; annotations au stylo bille au verso

Le chef-d’œuvre d’Étienne Carjat, seul tirage d’époque connu


Ce saisissant portrait, le plus célèbre sur les seize photographies connues du poète, cristallise l’essence même de son aura et de son œuvre. De cette photographie, Ivanovitch Ourousof écrit dans le Tombeau de Baudelaire :
« Baudelaire vu jusqu’à mi-corps avec un vêtement flasque et flottant, un col de chemise non empesé, une cravate de couleur unie nouée mollement. Figure rasée, cheveux se faisant rares et courts, ramenés sur le front. Aspect maladif et pauvre. Très belle photographie. »

Ami du poète, le photographe est aussi caricaturiste et directeur de périodiques. Il accueille de Baudelaire des textes dans son hebdomadaire Le Boulevard. Surtout, il laisse de lui de magnifiques portraits photographiques, pris au cours de trois séances, à la fin de 1861 ou au début de 1862, en 1863 et en 1866. Lors de la première séance, Étienne Carjat prend trois clichés différents, où Charles Baudelaire apparaît dans trois poses successives : debout, assis, et, comme ici, en buste — le plus intense avec son cadrage rapproché dramatique. Ces portraits font l’objet d’une annonce publicitaire de mise en vente publiée dans Le Boulevard du 12 janvier 1862.

A ne pas confondre avec la photoglyptie publiée postérieurement dans la série Galerie contemporaine, ce tirage d’époque (du vivant de Baudelaire), infiniment plus rare, est probablement le seul encore conservé.

Le timbre à l’adresse de la rue Laffitte permet de situer ce tirage entre le moment où est pris le cliché et celui où Étienne Carjat déménage rue Pigalle, en 1866. Il installe en effet son premier studio au n° 56, rue Laffitte, à Paris, en 1861, mais, faisant face à des ennuis d’argent et à des disputes avec ses associés Georges-Mathurin Legé et Sosthène Bergeron-Danguy, il est contraint de leur vendre en 1866 son atelier et son fonds. Legé et Bergeron utilisent alors un timbre sec conservant le nom de Carjat mais avec le leur ajouté.

Ce portrait est devenu le plus célèbre du poète
« C’est une grande épreuve qui n’a rien à envier aux portraits de Nadar, ni l’extraordinaire assise de la figure, ni le clair-obscur dramatique qui creuse les traits, donnant au regard une intensité presque insoutenable tant elle est douloureuse » (Cat. Nadar, 1994, p. 84)
Baudelaire a beau fortement désapprouver la photographie, ses carnets rapportent de fréquentes visites chez Carjat. Baudelaire en dit : « Cela [le portait] n’est pas parfait, parce que cette perfection est impossible, mais j’ai rarement vu quelque chose d’aussi bien » (cité d’après cat. Carjat, 1983, p. 22)

Le précieux exemplaire de la mère de Charles Baudelaire
Provenance : Caroline Dufaÿs puis Baudelaire, puis Aupick (1794-1871), avec qui le poète entretint des relations souvent houleuses mais passionnelles et en tout cas étroites.
Puis Félicité Baudelaire, née Ducessois (1812-1902), par succession. Elle est veuve du demi-frère de Charles Baudelaire, Alphonse (1805-1862). Charles Baudelaire, qui la critiqua sur le tard, fit mine de la courtiser dans ses jeunes années pour agacer Alphonse, et lui marqua ensuite longtemps de la sympathie. Elle reçut une partie des biens de Caroline Aupick en 1871, et les souvenirs baudelairiens qui s’y trouvaient passèrent ensuite entre les mains des enfants de son frère Félix Ducessois (1826-1897) — Félicité n’ayant pas eu d’enfant. Puis Henri et Louise Ducessois (neveux de Félicité), puis Geneviève et Raffael Ducessois.

ARAGON, Louis (1897-1982)

Poème autographe signé « Aragon »
S.l.n.d, 1 p. in-8° oblongue

Bouleversant poème extrait de La Diane française


« Dune petite fille massacrée

Vous pourrez revenir ce sera vainement
Surenchérir l’enfer et la bête féroce
Vous pourrez enfoncer la porte avec vos crosses
Allemands

Vous n’éveillerez pas cette enfant. Elle est morte
Avant d’avoir ouvert tout à fait ses grands yeux
Rien ne la tirera du rêve merveilleux
Qui l’emporte

Dans ses cheveux défaits elle dort. On croirait
Vraiment qu’elle va respirer qu’elle respire
Dans ses petites mains la nuit met son empire
En secret

Elle ne porte plus le poids de sa mémoire
La rose pour mourir a simplement pâli
Doucement doucement doucement elle oublie
Vivre et voir

Aragon »


« D’une petite fille massacrée » est écrit à la mémoire de Jeannie Chancel, fille de Jean et Mady Chancel, résistants de Saint-Donat et amis du couple Aragon. Au lendemain d’un parachutage de matériel dans la nuit du 14 au 15 juin 1944, supervisé par Jean Chancel et auquel Aragon et Elsa participent, les Allemands organisent une opération punitive dans le village : ils y mènent pillages et massacres. La fillette, âgée de treize ans, malade, ne peut pas s’enfuir avec la plupart des habitants. Restée chez des amis, elle est violée et meurt, le 24 août suivant d’une méningite.

Cette tragique existence trouve un écho dans chaque trissyllabe qui clôt son quatrain d’alexandrins, mimant une mort aussi prématurée que brutale.

Ce poème est l’un des six inédits intégrés au recueil La Diane française. Il laisse apparaître en filigrane le poème de Rimbaud « Le Dormeur du val » ; on n’ignore pas l’admiration du résistant pour le Voyant.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « R. Char » à Marianne Oswald
[S.l.n.d], 1 p. in-4°
Petites taches sans atteinte au texte, traces de pliures, infimes déchirures au plis

Dans une jolie lettre aux tonalités poétiques, Char fait parvenir ses textes à sa diseuse 


« Chère Marianne,
Si vous avez passé dimanche parmi les arbres c’était bien pour eux comme pour vous. Voici vos textes dont vous allez avoir besoin. C’est vivant comme un nid sur la fourche d’une branche. Non, c’est cela : parler l’encrier jeté par la fenêtre. Ne soyez pas mécontente. Ça pétille comme un feu de fine écorce.
On se voit ces jours-ci. Je vous appelle quand c’est possible.
A vous
R. Char »


Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, est une remarquable diseuse. Elle participe à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

VERDI, Giuseppe (1813-1901)

Lettre autographe signée « GVerdi » à M. Cartier
Busseto, 25 juillet 1898, 1 p. in-8° sur bifeuillet vergé

Rare écrit en français de Verdi


« Mon cher Monsieur Cartier,
N’ayant pas depuis longtemps entendu parler de l’affaire Mollien, je vous avais écrit hier. Aujourd’hui je viens de recevoir votre billet, et je m’empresse de vous envoyer la signature que vous me demandez.
Recevez mes compliments distingués
GVerdi »


On remarquera l’écriture hésitante de Verdi, ici dans les dernières années de sa vie. Il devait s’éteindre trois ans plus tard à l’age de 87 ans.

Les lettres de Verdi écrites en français sont peu communes.

GENET, Jean (1910-1986)

Fragment de poème autographe
S.l.n.d [Paris, prison de la Santé – 1943], 1/4 p. in4°
Marge gauche légèrement effrangée

Précieux fragment de poème de prison rattaché à « La Parade », de premier jet et inédit dans sa version manuscrite


Canaille oserez-vous me mordre une autre fois ?
Retenez que je suis le page du Monarque.
Vous roulez sous ma main comme un flot sous ma barque.
Votre houle me gonfle, ô ma caille des bois.

ma caille emmitouflée et morte écrasée sous mes doigts.


L’œuvre versifiée de Genet se traduit par six longues pièces rassemblées dans un recueil de 1948 sobrement intitulé Poèmes.
De très loin le plus composite des poèmes publiés dans le volume, et le dernier qui convoque l’univers carcéral, « La Parade » (dont le titre est aussi celui d’une des plus énigmatiques Illuminations de Rimbaud) est composé de huit pièces partiellement autonomes, qui furent sans doute presque toutes écrites en 1943.
Ce fragment est composé d’un quatrain à rimes embrassées et d’un monostique. On note immédiatement la présence d’une ponctuation, presque entièrement absente (seuls deux virgules et un point final subsistent) dans le recueil paru en 1948 et repris tel quel dans l’édition de la Pléiade, ainsi qu’une variante : « et morte » devient « écrasée ».
On remarque enfin que la césure à l’hémistiche dans le monostique ne fait pas apparaître de virgule, à l’inverse de la version publiée.

ZOLA, Alexandrine (1839-1925)

Lettre autographe signée « Alexandrine E. Zola » à Gabriel Thyébaut
[Paris], 7 8bre [octobre] 1906, 8 pp. in-8° à l’encre violette sur papier de deuil

Long et bouleversant témoignage d’Alexandrine Zola, veuve inconsolable après le décès de son époux Émile, son « cher ami », dont l’âme imprègne plus que jamais les murs de leur ancienne maison de Médan


« J’ai été bien longue, mon cher ami, pour répondre à votre si bonne et si affectueuse lettre. Je ne m’étais pas imaginée que déjà vous seriez reparti si vite, et je m’en voulais de n’avoir pu aller vous dire bonjour à la mairie […].
Et comme vous, je ne me plains pas de l’été car il se prolonge d’une superbe manière ; et j’en suis satisfaite, quoi que n’ayant pas eu le temps d’en jouir beaucoup, car je ne puis m’en aller en Italie, cette année, je laisserai beaucoup trop de choses émouvantes derrière moi. […].
Le pèlerinage du quatrième anniversaire a été merveilleux, nous avons eu du monde à ne pouvoir se remuer dans ce désolant jardin, qui ne reprend vie que pour quelques heures depuis la terrible catastrophe. Je suis navrée que l’assistance n’ait pas su encore organiser cette douloureuse maison, où je crois toujours mourir à chaque marche, lorsque je monte à ce cabinet de travail dans lequel la vie est partie aussi, et dont l’inscription sur la hotte de la cheminée reste : « Nulla dies sine linea ». Hélas ! mon cher ami l’a suivi jusqu’au dernier jour ; et lorsque je vois le vide partout, je me sauve désolée de n’avoir pu garder tout cela. Son atelier, le billard, notre chambre tout, tout enfin, qui est encore si plein de lui, et si vide en même temps. Et, cependant, si j’avais gardé cette maison, après moi qui sait ce que serait devenue cette maison ? Je me reprends ainsi, en me disant que le destin l’a voulu ainsi et que peut-être était-ce la seule façon de la conserver toujours à sa mémoire. Il faut trouver des raisons sans cesse, pour ne pas s’en aller avant d’attendre la fin naturelle.
Mais qu’est-ce que je fais de tant ouvrir ainsi mon cœur pour vous attrister plus que vous ne l’êtes déjà ; excusez-moi cet instant de faiblesse, ce n’est qu’avec ceux que l’on aime que ces choses arrivent.
Merci de vos paroles si consolantes mais trop flatteuses pour le peu que je fais, je voudrais faire davantage si cela m’était possible.
J’espère d’après ce que m’a dit M. Mesureur
[directeur de l’Assistance publique] que cette pauvre maison reprendra un peu d’existence avec tous les petits êtres que l’on allait y mettre. Les travaux commenceront en janvier prochain […]
Je vous serre les mains
Alexandrine E Zola »


Émile Zola achète la célèbre maison en 1878 grâce aux gains de son roman L’Assommoir. La demeure est agrandie à son idée avec la construction des tours Germinal et Nana. Bien que le couple s’installe au 21b rue de Bruxelles à Paris en 1889, ils conservent la maison de Médan jusqu’en 1902. Zola semble énormément apprécier l’endroit et y écrit huit de ses romans dont Germinal, Nana, La Bête humaine et Au Bonheur des dames.
C’est également à cet endroit que se forme le mythique groupe de Médan, réunissant Émile Zola, Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans, Henry Céard, Léon Hennique et Paul Alexis.
Depuis 1903, soit un an après la mort de l’écrivain, s’y tient un pèlerinage en son honneur, ici évoqué par Alexandrine.
En 1905, elle fait donation de la propriété à l’Assistance publique en vue d’y réaliser un établissement hospitalier de convalescence.

Gabriel Thyébaut, intime du couple Zola :
Thyébaut fait la connaissance du couple Zola dans le courant de l’année 1881. L’écrivain est alors en pleine rédaction de son roman Pot-Bouille. Thyébaut devient alors, selon les mots mêmes de Zola, « le grand jurisconsulte et conseil juridique des Rougon-Macquart »
Devenu intime des Zola, il connait très bien la maison de Médan et y sera convié à d’innombrables reprises pour des dîners en petit comité.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « V.H. » au pasteur Nathanaël Martin-Dupont
Hauteville House, 3 7bre [septembre 1868], 1 p. in-12° sur papier de deuil
Encre légèrement pâlie, petit trou sur le deuxième feuillet sans atteinte au texte

Victor Hugo pleure la mort de son épouse Adèle


« Oui, noble cœur, j’aime.
Oui, noble esprit, je crois.
Au seuil de ma maison, à Hauteville, vous avez lu : Ama
[aime], crede [crois]. La grande âme qui est dans la grande clarté voit que je pleure, et sait que j’espère.
Votre ami. V.H. »


Ce billet est écrit en réponse aux condoléances envoyées par le pasteur Martin-Dupont pour la mort de Mme Victor Hugo.
Adèle Foucher Hugo succombe une semaine plus tôt d’une congestion cérébrale à Bruxelles, le 27 août 1868. Elle est inhumée à Villequier auprès de leur fille chérie Léopoldine, disparue tragiquement dans une noyade en 1843. Proscrit par le Second Empire, Hugo ne pourra suivre le cercueil de sa défunte épouse que jusqu’à la frontière franco-belge.

KEROUAC, Jack (1922-1969)

Lettre dactylographiée, signée deux fois « Jack » et « Jack Kerouac » à Granville H. Jones
[Northport, New York, 22 novembre 1960] 2 p. in-4°, en anglais, enveloppe oblitérée jointe
Traces de pliure, petite tache en marge inférieure de la deuxième page

Magnifique lettre en partie inédite évoquant pêle-mêle son mythique roman Sur la route et la critique dont il a fait l’objet, sa foi en l’écriture, son dégoût de la célébrité et sa vision sur l’évolution de la société américaine 


[Traduction de l’anglais]

« Cher Grandville,
Votre thèse m’a été donnée par Jas Benenson. C’est un volume impeccable, la frappe, les bibliographies exhaustives, tout l’ouvrage. C’est la seule chose qui m’ait rendu heureux depuis trois ans, depuis la publication de Sur la route et l’écœurement d’être « célèbre » qui s’en est suivi (être exploité de tous les côtés) et bien sûr la nausée des critiques bidons et pire encore la nausée des enthousiasmes fallacieux fondés sur de mauvaises raisons (comme ceux qui « m’admirent » d’être aussi « dingue & irresponsable » etc.).
Ce que vous avez écrit à mon sujet a restauré ma foi dans ma propre écriture. Ce que vous dites, je le savais (sans vanité), je l’ai toujours su. Mais personne ne l’avait dit à voix haute ou ne s’était soucié de le dire. Et je commençais à être terriblement découragé par la scandaleuse absence d’honnêteté de la critique.
Tous mes amis écrivains sont malades d’envie en regardant votre page de titre. Maintenant je vais me faire attaquer de TOUS les côtés. Mais comme dit Jimmy B., c’est la reconnaissance universitaire qui va vraiment prendre soin de moi dans mes vieux jours (plein de fric et d’amour), PAS l’admiration passagère pour les mauvaises raisons de la part des mauvais penseurs.
La vision de l’Amérique est aujourd’hui détruite par le mouvement beatnik qui n’a plus rien à voir avec la « beat generation » que j’ai présentée, c’est un mouvement envahissant d’intellectuels dissidents à la dérive et même à présent anti-américains, toutes sortes de gens qui se font appeler « beatniks » et affichent leur haine de l’Amérique sur des banderoles.
Ce sur quoi vous avez écrit est, disons, l’œuvre du jeune Kerouac. Celle qui vient maintenant, après, c’est celle du Kerouac ce la maturité. Ce sera très différent, plus dur, plus amer parfois, plus amer que les dernières choses de [Thomas] Wolfe dans You Can’t Go Home Again ou que « l’amertume » du pauvre [Walt] Whitman dans Specimen Days. Mais je change. Je suis au milieu de ma vie à présent et plus un étudiant enthousiaste qui éprouvait des sentiments lyriques pour l’Amérique. Comme dit [James] Joyce, il y a d’abord le Lyrique, puis le Dramatique, puis l’Épique. J’espère que c’est le cas pour moi aussi.
Bon, je voulais simplement vous remercier et vous remercier et vous remercier et aussi vous dire que vous avez restauré mon amour de l’Amérique qui est finalement revenu pour que je découvre un de ses vrais amoureux, mais je me suis mis à discourir. Mais merci à vous et pour le bel exemplaire de la thèse, que je vais soigneusement garder sur mon étagère, et j’espère pour vous qu’elle sera publiée un jour par une presse universitaire.
Oui, et mon « individualité » est telle, aujourd’hui, que je crains le pire entre les camps des soi-disant adorateurs de l’Amérique et ennemis de l’Amérique, les communistes qui détestent l’Amérique et le F.B.I qui « l’aime ». Aïe. Mais qu’ils aillent se faire foutre, je continuerai mes petites écritures. Et je vais me trouver une cabane dans les bois, où je puisse admirer tout simplement et ne pas me mêler aux discussions sur les « problèmes de société », – où je puisse admirer la bonne vielle étoile du soir… qui se penche sur l’Iowa ce soir comme toujours, n’est-ce pas ? En dépit de ce dont je parle dans cette triste lettre de gratitude & de honte (honte de ne pas être à la hauteur de ce que vous avez écrit à mon sujet)
A plus tard
Jack […] »


[Version originale]

“Dear Granville,
Your thesis was given to me by Jas. Benenson. It is such a neat volume, I mean the typing, the exhaustive bibliographies, the whole works. It is the only thing too that has made me happy in three years, since the publication of On the Road and the subsequent sickeningness of ‘being famous’ (being used by everybody and his uncle) and of course the nausea of phoney criticisms based on the wrong reasons (as for instance those who ‘admire’ for being so ‘wild & irresponsible’ etc.)
What you’ve written about me has restored my faith in my own writing
. What you say, I knew (not being vain), always knew. But no one ever said it out loud, or cared to say it. And I was becoming terribly discouraged by the scandalous lack of critical fairness.
All my fellow writers look at your title page green withe envy […] it’s the Academic recognition that will really take care of me in my old age (beans money & beans love), NOT the temporary admiration for the wrong reasons coming from the wrong thinkers.
The vision of America is being destroyed now by the beatnik movement which is not the ‘beat generation’ I proposed any more, but a big move-in from intellectual dissident wrecks of all kinds and now even anti-American, America-haters of all kinds with placards who call themselves “beatniks”.
What you’ve written about let’s say is the work of Kerouac the Younger. What comes now, after this, is that of Kerouac the Elder. It will be quite different, harsher, bitterer at times […] But I’m changing. I’m middle aged now and no longer an enthusiastic college boy lyrically feeling America. As Joyce says, first comes the Lyric, then the Dramatic, then the Epic. I hope for me too.
Well I only wanted to thank you and thank you and thank you and also for restoring my love of America which has finally come around for discovering one of her real lovers, but I rambled on like this. But thank you, and for the fine copy of the thesis, which I treasure on my shelf, and I hope you get it published with some university press someday.
Yes, and my “individuality” is such, today, that I fear for the worst between the camps of America-lovers & America-haters so called, the communists who hate America, the FBI who “love” it. Ouch. But fuck em, I’ll go on scribbling. And get a cabin in the woods too, where I just admire the same old eve star… which droopeth on Iowa tonight just as ever, right? no matter what I talk about on this sad letter of beholdenness & shame (shame that I might not live up to what you wrote about me)
Later
Jack […]”


Publié en septembre 1957, Sur la route suscite autant de critiques virulentes que d’éloges dithyrambiques qui affectent durablement son auteur. Kerouac devient le fer de lance d’une génération baptisée « Beat Generation ». En tant que père symbolique de la contreculture américaine, il exerce dès lors une influence artistique considérable sur de nombreux créateurs. Cette lettre donne la mesure de ce que Kerouac est en train de révéler dans une solitude quasi absolue, dont on ne peut trouver l’exemple aux États-Unis que chez Edgar Poe et Herman Melville avant lui : Le pressentiment de l’achèvement de la culture et de la clôture de l’espace américains, un renouvellement de la littérature conçue comme action secrète et angélique.
Lorsque l’on parle des pages dactylographiées de Kerouac, celles-ci ont plus que pour quiconque valeur d’autographe à part entière, tant sa machine à écrire (avec laquelle il rédigea Sur la route) demeure inséparable de son personnage. C’est avec sa complicité qu’il exprima le meilleur de ses réflexions au travers de ses lettres les plus abouties, dont celle-ci.

Grandville H. Jones était alors jeune étudiant au Carnegie Institute à Pittsburg et venait de consacrer sa thèse à l’écrivain (la première jamais écrite) sous le titre Walt Whitman, Thomas Wolfe and Jack Kerouac : Common origins and common aims.

VERDI, Giuseppe (1813-1901)

Lettre autographe signée « GVerdi » à John Palven, en italien
Busseto, Sant’Agata, 4 Giugno [juin] 1897, 1 p. in-8°, avec enveloppe autographe
Petits trous de punaises rouillés aux angles, sans atteinte au texte

Verdi souhaite faire réparer son pianoforte


[Traduction de l’italien]

« Busseto.
Sant’Agata 4 juin 1897
Cher ami,
Si vous venez à Busseto, je serai heureux que vous puissiez réparer mon Pianoforte.
Je vous préviens cependant que lundi et mardi je ne serai pas à Sant’Agata et qu’il serait bon que vous m’écriviez de nouveau pour me donner le jour précis de la semaine à venir où vous serez à Sant’Agata.
Je vous remercie
G. Verdi »

[Texte original]

« Busseto.
Sant’Agata 4 Giugno 1897
Egregia,
S’Ella viene a Busseto mi farà piacere dare una riparata al mio pianoforte.
L’avverto però che nelle giornate di lunedì e martedì io non sarò a Sant’Agata e sarebbe bene ch’Ella mi scrivesse ancora per darmi il giorno preciso nell’entrante settimana in cui sarebbe a Sant’Agata.
La ringrazio.
G.Verdi »


Le piano-forte est un instrument de musique à cordes frappées, joué avec un clavier. Succédant au clavecin (instrument à cordes pincées), c’est l’ancêtre du piano moderne (instrument à cordes frappées). Prononcé piano-forté, les écritures piano forte et pianoforte sont également correctes.

Romanza per pianoforte reste une œuvre célèbre dans le répertoire de Verdi.

NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Lettre autographe signée « Nadar » à Ernest Vaughan du journal L’Aurore
Marseille, 26 8bre [octobre] [18]99, 2 page in-12 à sa devise en-tête « Quand Même »
Enveloppe autographe jointe

Intéressante lettre de Nadar concernant un article pour L’Aurore et relatif au manque de mobilisation française auprès des Boers – Le photographe fait le parallèle avec sa propre mobilisation en 1848 dans la légion Polonaise


Cher Monsieur Vaughan,
Me permettez-vous de m’adresser à vous pour me tirer d’un ennui ?
J’ai envoyé, il y a plusieurs jours [en] recommandé à Clemenceau un article signé : un volontaire de la légion polonaise en 1848 et relatifs à la présente carence de tout volontaire français à côté des Boers de 99.
Je priais Clemenceau s’il n’utilisait l’article de me le faire retourner d’urgence, vu l’actualité, ayant sa place ailleurs. Sans réponse de notre ami, je vous serais vraiment reconnaissant s’il vous était possible de me faire au plus vite rentrer en possession. Agréez, cher monsieur, l’expression d’une sympathie qui ne date pas d’hier.
Nadar
Et puis je ne vois plus Clemenceau dans mon Aurore de tous les jours. Serait-il malade ?…”

BERGSON, Henri (1859-1941)

Aphorisme autographe signé « H. Bergson »
S.l.n.d, 1/4 p. in-8°

Important aphorisme inédit du philosophe


« Dès qu’on aime ce qu’il y a de meilleur dans la vie, on devient indifférent à la mort

H. Bergson »


On trouve bien peu de phrases sur la mort dans l’œuvre de ce philosophe de la vie. Et chacune a frappé les commentateurs. C’est le cas de cet aphorisme, qui ne manque pas de surprendre. Il marque par sa profondeur et sa singularité. Certes, on y retrouve des aspects de L’Évolution créatrice (1907) et surtout d’un passage précis des Deux sources de la morale et de la religion (1932, ch. 3, PUF, coll Quadrige, p. 277).

PUCCINI, Giacomo (1858-1924)

Lettre autographe signée « G Puccini » à son ami et agent Antonio Bettolacci
S.l.n.d [Torre del Lago, c. 1900], 3 p. in-8°, en italien
Papier bruni, anciennes traces d’encadrement et de montage

Belle lettre de Puccini évoquant son opéra Tosca


« Caro Bettolacci,
Eccomi a Torre [del lago].
Vorrei vederti – tu mi dirai: sai dove sono – ma ora già mi trovo in piena baraonda e il mio occhio fino e vigile deve gettare lampi per i miei passaporti se mi succedono guai.
Vorrei parlarti circa il caro? – riempimento – Zone – cancellami – quanto? Come? Pensi farli?
Il marchese è di casa? – tu avrai istruzioni in proposito e me le comunicherai – avvertili da domani.
Domenica vado a Pistoia per tornare la sera alle 9, devo collaudare le campane di Tosca.
Lunedì hai occasione di venire al lago? Io resterò tutta la giornata in casa.
Tutto core del tuo
G Puccini »

[Traduction]

Cher Bettolacci,
Me voilà à Torre [del Lago],
Je voudrais te voir, peux-tu me dire quand : tu sais où je suis […]
J’aimerais te parler des dépenses – sièges complets – zones – annulations; Combien? De quelle manière ? Penses-tu que nous devrions le faire?
Le marquis est-il rentré chez lui ? Tu auras certainement des instructions à ce sujet et tu pourras m’en parler à partir de demain
Le dimanche, j’irai à Pistoia et je reviendrai à 9 heures du soir, je dois affiner les cloches pour Tosca.
Auras-tu la chance de le visiter lundi? Je reste à la maison toute la journée.
De tout cœur à toi
G Puccini »


Le compositeur fait allusion aux “campane di Tosca” (cloches de Tosca). Il s’agit des cloches de l’église de San Martino de Bargecchia, dont il imite le carillon dans son opéra Tosca, crée en 1900.
Puccini avait une villa à Torre del Lago en Toscane (province de Lucques), d’où se tient un festival d’opéra chaque année depuis.

GAUTIER, Théophile (1811-1872)

Poème autographe signé « Théophile Gautier »
[S.l.n.d], 1 p. in-8° à l’encre noire sur papier vergé bleu
Pliures, résidu de cachet de collection, infime manque au coin supérieur gauche

Célèbre poème paru dans son recueil Émaux et camées, sommet de l’esthétique romantique préfigurant le mouvement parnassien

« Gautier, c’est l’amour exclusif du Beau, avec toutes ses subdivisions, exprimé dans le langage le mieux approprié » (Charles Baudelaire, L’Art romantique – Théophile Gautier)


« Denier vœu

Voilà longtemps que je vous aime :
L’aveu remonte à dix-huit ans ! –
Vous êtes rose, je suis blême ;
J’ai les hivers, vous les printemps.

Des lilas blancs de cimetière
Prés de mes tempes ont fleuri,
J’aurai bientôt la touffe entière
Pour ombrager mon front flétri

Mon soleil pâli qui décline
Va disparaître à l’horizon,
Et sur la funèbre colline
Je vois ma dernière maison.

 Oh ! que de votre lèvre il tombe
Sur ma lèvre un tardif baiser,
Pour que je puisse dans ma tombe
Le cœur tranquille, reposer !

Théophile Gautier »


« Dernier vœu » est le trente-deuxième des trente-sept poèmes qui composent le recueil Émaux et camées, demeuré le plus célèbre du poète. Comme la plupart des autres poèmes, « Dernier vœu » est construit d’octosyllabes en rimes croisées. Si la célébration du printemps et de la mort plane sur tout le recueil, elle est ici plus présente que jamais.
Bien que les premières pièces relèvent de l’esthétique romantique, l’essence de la conception parnassienne du poète évolue au fur et à mesure des publications, on n’en compte en effet pas moins de cinq entre 1852 et 1872.

La première publication de ce poème apparaît dans l’édition définitive [1872] du recueil.
Le 17 mai 1866, Gautier demande à Carlotta Grisi de copier sa « pièce de vers des Marronniers » et de lui envoyer cette copie, car il ne se souvient plus bien du texte. Gautier promet à Carlotta, en échange, une autre pièce de vers. Carlotta lui envoie cette copie le 22 mai et rappelle à Gautier sa promesse, concernant « l’autre poésie ». Gautier lui envoie le texte de celle-ci, avec ses remerciements, le [24 mai] : « […] pour votre peine vous aurez une autre poésie ». Cette « autre poésie » est « Dernier vœu », dans une version du poème sans titre (semble-t-il) et en 3 strophes (le poème, tel que publié pour la première fois dans l’édition définitive d’Emaux et Camées, en comptera 4).

Manifeste de l’Art pour l’art préfigurant le parnasse
Émaux et Camées fait partie des manifestes de l’Art pour l’art : le culte de la beauté, la perfection de la forme guident le poète, qui choisit de ne retenir du monde que les fugitives visions de grâce qu’il entrevoit, même au travers de la mort.

Gautier, le « poète impeccable »
Bien que le Parnasse s’emploie à tenir cette promesse de l’Art pour l’art, Gautier entend mettre à l’œuvre dans sa poésie une sensibilité à nulle autre pareille. L’homme secret et rêveur, merveilleux distillateur de poésie pure, mène alors une quête passionnée vers la perfection. Il fait l’admiration de grands poètes de son époque tels que Mallarmé ou Baudelaire ; ce dernier, dans sa dédicace des Fleurs du Mal, le qualifie de « parfait magicien des lettres françaises » et de « poète impeccable ». Il conquiert aussi Wilde, outre-Manche, et les musiciens Berlioz, Gounod et Fauré, qui font la célébrité d’Émaux et Camées en en mettant des textes en musique.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » à Marianne Oswald
[S.l.n.d], mardi, 1 p. in-4°
Petites taches sans atteinte au texte

Char organise un rendez-vous avec sa diseuse


« Chère amie,
Je ne suis libre qu’à des heures où il doit être difficile de me voir (le matin jusqu’à 10 heures).
J’ai pour 4 ou 5 jours encore de montage d’un petit film qui me prend le plus clair de mon temps. Après j’aurai plus de temps.
Si nous pouvons parler par exemple jeudi à 9 h 1/2 le matin donnez-moi votre acord et je viendrai. Sinon plus tard.
Bien à vous
René Char »


Marianne Oswald (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, est une remarquable diseuse. Elle participe à ses émissions radiophoniques et télévisées consacrées à la poésie.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « Louis Destouches (LF Céline) » à Léon Daudet
[Paris, mai 1936], 8 pp. grand in-4°
Petites décharges d’encre, infimes déchirures marginales, annotation typographique sur le premier feuillet

Célèbre lettre à Léon Daudet, quelques jours après la parution de Mort à crédit. D’un ton solennel, Céline développe en détail sur son style d’écriture, évoque Voyage au bout de la nuit, ses origines, la critique…
L’une des plus importantes lettres sur son travail littéraire


« Cher Maître, la critique (en général) fait preuve contre mon nouveau livre d’une partialité écœurante. Il s’agit de me faire payer cher le succès du “Voyage” (acquis en grande partie grâce à vous). Tous les moyens sont bons pour me faire passer pour un rusé, un farceur, un maniaque, enfin et surtout, bien plus grave encore, pour un ennuyeux !… Rien n’y manque ! On ne me lit même pas. Le siège est fait ! Il s’agit de nuire le plus possible et de propos délibéré. Sans aucune élémentaire probité morale ou artistique. Évidemment tout ceci est classique. Dans un art quelconque, les ratés forment une proportion de 999/1000e – tout ce qui n’est pas nettement raté provoque une révolution, un déluge de haine. Bon. Mais il me peinerait beaucoup que ce mascaret bilieux vous empêchât au moins de me lire. Je me suis très sincèrement appliqué à cet ouvrage [Mort à crédit], énormément à vrai dire. J’y ai passé depuis quatre ans mes jours et mes nuits en plus de ma misérable pratique au dispensaire (1500 francs par mois). Je ne suis pas riche, j’ai une fille et une mère à ma charge. Le Voyage m’a rapporté environ 1200 francs de rente mensuels. Je situe tous ces chiffres parce qu’ils disent bien les choses telles qu’elles sont. Sur “Mort à crédit” je me suis crevé littéralement. Je l’ai fait le mieux que j’ai pu. Si ceux qui se permettent si lâchement, si impunément de me “piloriser” possédaient le vingtième de ma probité et de mon application, le monde deviendrait aussitôt un édénique séjour, et j’avoue alors que ma littérature deviendrait injuste. Mais nous n’en sommes pas là !
On me fait aussi, profondément je crois, le grief de rompre avec toutes les formes académiques, classiques, consacrées, j’écris dans une sorte de prose parlée, transposée. Je trouve cette manière plus vivante. Ai-je le droit ? Cette forme a ses règles, ses lois, terrible aussi. Vous le savez bien. Que d’autres essayent. Ils verront.
J’ai effacé mon travail derrière moi. Mais il existe. Autre chose, on me reproche aussi, de n’être point latin, classique, méridional (caractères bien définis… élégance… mesure… joliesse… etc…) Je suis très capable d’apprécier les diverses beautés du genre, mais bien incapable de m’y soumettre !…
Je ne suis pas méridional, je suis parisien, breton et flamant de descendance.
J’écris comme je sens.
On me reproche d’être ordurier, de parler vert. Il faut alors reprocher ceci à Rabelais, à Villon, à Brughel à tant d’autres…
Tout ne vient pas de la Renaissance.
On me reproche la cruauté, systématique – que le monde change d’âme, je changerai de forme. D’où me viennent tous ces puristes soudains ? Je ne les vois pas s’élever contre les films de gangsters ! contre “Détective”, contre tant de pornographies qui sont-elles sans excuses. C’est que ces puristes sont aussi des lâches. Ils ne risquent rien surtout anonymement, à vider leur petit fiel contre un auteur solitaire, ils risquent trop contre les formidables intérêts du film ou d’Hachette. Lèches-bottes d’un côté ou farouches défenseurs moraux, selon l’intérêt du bifteak. Sont-ils jaloux de mon expérience vivante ? Évidemment, je n’ai jamais été au lycée. J’ai fait mes bachots, ma médecine, tout en gagnant ma vie. On apprend beaucoup par ce moyen. C’est peut-être ce qu’on me pardonnerait le moins facilement.
Enfin, je suis médecin. On hait les médecins, leur expérience aussi.
En écrivant les livres du genre que vous savez, je risque beaucoup, d’être éliminé de partout, de perdre mes emplois. Je ne fais pas de littérature de repos.
Enfin on me reproche ce qu’on appelle la confusion. L’autre ne me trouve pas vraisemblable !
J’écris dans la formule Rêve éveillé. C’est une formule nordique. Ah ! comme je serais heureux que vous me réserviez un article, non pour me louer (cette demande ne serait digne ni de vous ni de moi) mais pour définir clairement comme vous seul pouvez le faire, avec votre immense autorité, ce qui existe et ce qui n’existe pas de mon livre.

Croyez-moi toujours cher maître très sincèrement reconnaissant et amical
Louis Destouches (LF Céline) »


Au printemps de l’année 1936, une vive polémique éclate autour de Mort à crédit, paru le 12 mai chez Denoël. Une large majorité de comptes-rendus s’avère défavorable ou hostile. Aucun des défenseurs du livre n’avait le prestige ou l’enthousiasme de ceux qui avaient fait l’éloge du premier roman de l’écrivain. Les deux critiques laudatives les plus illustres de Voyage au bout de la nuit viennent de Descaves et Daudet. Cependant, quant à Mort à crédit, ils ne se prononcent pas, bien que Céline dresse ici un véritable argumentaire auprès de Daudet et qu’il touche à toutes les cordes censées l’émouvoir. La demande de l’écrivain d’avoir son soutien n’aboutira pas. Il ne cachera d’ailleurs pas son amertume auprès d’Henri Mahé dans une lettre du 29 mai : « La critique a été immonde, droite ou gauche, je fais l’union du summum de la haine envieuse […] Daudet et Descaves se sont cette fois-ci foireusement dégonflés »

Point de bascule dans l’œuvre célinienne

Cette critique, défavorable dans son ensemble, atteint d’autant plus Céline qu’il s’est « crevé littéralement ». Il a le sentiment profond que ce second roman surpasse le premier dans la réalisation de son projet artistique. Il pensait son ouvrage si réussi qu’il n’avait pas prévu de démarche promotionnelle, à l’exception des exemplaires imprimés nominalement pour Descaves et Daudet. Les critiques, de gauche comme de droite, se déchaînent. On lui reproche un vocabulaire empruntant plus que jamais au langage populaire, mais aussi une propension à rabaisser l’homme. Les écrivains ne le reconnaissant plus pour leur pair, Céline est profondément blessé du feu nourri d’attaques contre son roman. Certains biographes y voient la raison de l’interruption de sa production romanesque ; après cet échec, l’auteur se consacrera pour un temps à l’écriture de pamphlets.

Le recours à la notion de “Rêve éveillé” marque la séparation de Céline avec le Freudisme

L’œuvre de Freud l’occupe profondément lors de l’écriture de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, mais il subit peu après une importante évolution idéologique : il en vient à rejeter Freud, quoique conservant un temps la notion de « rêve éveillé », selon les termes de Léon Daudet dans un ouvrage ainsi titré en 1926. Selon lui, Céline y trouve « une caution qui lui permet de continuer à valoriser une vie psychique en marge de la conscience, un “délire”, sans avoir à se référer à Freud, mieux : en l’attaquant » (Henri Godard, Céline, Romans, vol. I, p. 1390).

[RIMBAUD] Paul VERLAINE (1844-1896)

Lettre autographe signée deux fois « P Verlaine » et « P.V », à Émile Bally
Paris [1er juin 1894] – (cachet postal), 3 p. 1/2 in-8° avec enveloppe timbrée et oblitérée
Déchirures aux pliures consolidées au papier japon, infimes manques angulaires, brunissures
Légère décharge d’encre de la deuxième page sur la page opposée témoignant d’un pliage de Verlaine alors que l’encre n’était pas encore sèche

Le nostalgique Verlaine est à la recherche du Coin de table, souvenir d’un passé tumultueux aux côtés de Rimbaud


« Cher Monsieur Bally,
[Verlaine commence par présenter ses condoléances suite à la mort de quelqu’un puis répond aux ambitions poétiques de son correspondant] Figurez-vous que je suis au lit depuis un mois, sans pouvoir faire un pas dans la chambre. (Toujours la même jambe gauche !). Or j’ai un tas de paperasses, sur ledit lit, un peu éparpillées partout […]
Elle est très bien [l’épitre poétique d’Emile Bally], autant que j’en puis juger, moi ignorant l’allemand mais connaissant parfaitement les deux Faust par les traductions de Gérard de Nerval, de Blaze de Bury et d’un traducteur très exact, parait-il, dont le nom m’échappe en ce moment. Les vers sont bien rimés, dans le genre encore un peu classique qui sied là. En un mot vous pouvez à bon droit risquer une conférence (est-il temps encore ?)
Un service, si vous pouvez ?
Je vous ai-je crois, déjà parlé d’un amateur de Manchester
[Richard Crowley], mort il y a quelques temps, possesseur d’un grand tableau du maître Fantin-Latour, titré : Coin de table, et représentant, au dessert, autour d’une table amusamment garnie de vaisselles fines et de fleurs, quelques poètes fumant pour la plupart, de buste, grandeur nature.
J’y figure, en compagnie de Rimbaud, Valade, d’Hervilly et trois ou quatre autres, assis ou debout.
Le propriétaire est mort vous disais-je, et son père aurait hérité de cette œuvre qui date de 1872. Si ce monsieur existe encore, s’il est encore en possession du tableau, en cas contraire quel est l’acquéreur actuel de ce tableau ? Voilà ce qu’il m’importerait beaucoup de savoir. Pourriez-vous m’aider dans cette tâche. […] Verlaine »


Troisième d’une série de quatre « portraits de groupe », le tableau de Fantin-Latour avait pour projet initial de rendre à Baudelaire un hommage semblable à celui qu’il avait auparavant rendu à Delacroix. Ce portrait de groupe, aujourd’hui au musée d’Orsay, date du premier semestre 1872 et représente les poètes présents aux dîners des « Vilains Bonshommes », qu’Edmond Maître avait présenté au peintre. Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan, Pierre Elzéar, Émile Blémont et Jean Aicard y figurent. Albert Mérat avait refusé de poser en compagnie d’Arthur Rimbaud après l’incident survenu lors du dîner du 2 mars 1872.

Le tableau est exposé au Salon de 1872 sous le numéro 604. En dépôt chez le célèbre marchand d’art Durand-Ruel, ce dernier expose l’œuvre dans sa galerie rue Le Pelletier en septembre 1872. Le tableau est ensuite exposé dans la galerie londonienne du marchand en novembre de la même année sous le titre « a Few Friends » (n°22). C’est à cette même époque que Verlaine et Rimbaud, qui séjournent à Londres, se revoient sur le fameux tableau. Verlaine le relate à Edmond Lepeltier dans une lettre datant de novembre 1872 :
« […] Rien de neuf ici, si ce n’est la présence, entr’autres tableaux français (Manet, Monet, Harpignies, Renoir, etc.) du Coin de Table de Fantin. Nous sortons de nous revoir. Ça a été acheté 400 livres (10.000 fr.) par un richard [Crawley] de Manchester. Fantin for ever ! »

Richard Crowley achète en effet l’œuvre auprès de la galerie londonienne de Durand-Ruel le 16 novembre 1872 pour la somme de 200 livres. Elle reste dans la collection de la famille jusqu’en 1897.

MODIGLIANI, Amedeo (1884-1920)

Lettre autographe signée « Modigliani » au marchand d’art Léopold Zborowski
[Nice, Nuit du 31 décembre 1918 au 1er janvier 1919], 2 pp. in-8°
Papier bruni, traces de pliures, encre pâlie sur certaines lettres, petites déchirures marginales

Très rare lettre de Modigliani écrite d’un ton facétieux lors du réveillon du nouvel an


« Minuit juste.
Mon cher ami.
Je vous embrasse comme j’aurai
[voulu] si j’avais pu… le jour de votre départ.
Je fais la bombe avec Survage
(1) au Coq d’or.
J’ai vendu toutes les toiles.
Envoyez vite l’argent.
Le Champagne coule à flot.
Nous vous souhaitons, à vous et à votre chère femme
(2) les meilleurs vœux pour la nouvelle année.
Resurrectio Vitae.
Ic incipit vita nova.
(3)
Il novo Anno !
Modigliani »
[Survage ajoute « bonne année ! » en russe puis, en français, « Vive Nice vive la première nuit de la première année »]


Cette lettre est envoyée depuis Nice, où Modigliani séjourne sous l’impulsion de son mécène, Léopold Zborowski. Ce dernier réussit à convaincre le peintre de partir pour la Côte d’Azur en compagnie de Soutine et Foujita, où il retrouve Cendrars, Survage et Paul Guillaume. L’artiste et sa compagne, Jeanne Hébuterne, enceinte de leur fille, y resteront un an. C’est à cette occasion il se remet à peindre avec entrain. Quelques-unes de ses plus belles œuvres ont été réalisées au cours de ce séjour, dont Nu debout, Jolie laitière, Garçon à la veste bleu, mais aussi deux des trois paysages qu’on lui connaît, et dans un style très cézannien.

Fait remarquable de cette période méridionale pour Modigliani : il est pour la première fois heureux, malgré sa maladie – qui l’emportera un an plus tard – et ses soucis financiers. Il a des projets, une considération optimiste de l’existence, s’amuse, et fête la nouvelle année avec Survage au Coq d’Or, un cabaret russe de Nice.

Le facétieux Modigliani ira même jusqu’à taquiner Zborowski en lui disant avoir « vendu toutes les toiles ». Il n’en est rien. Dans la lettre suivante, adressée au même, le peintre lui lancera « Vous êtes un ballot qui ne comprend pas la blague. Je n’ai rien vendu du tout. ».
Survage, plus tard, précisera d’ailleurs que le champagne n’était en réalité que du « gros rouge ! »

1- Léopold Survage (1879-1968) est arrivé à Paris en 1908. Il est proche d’Apollinaire, de Férat et sa cousine la baronne d’Œttingen, dont il devient l’amant. Ami de Modigliani, il passe quelques jours à ses côtés à Nice, loin de Paris et de la grosse Bertha qui pilonne la capitale à la fin de la guerre, et pour que Modigliani trouve un climat plus propice au travail. Survage est l’un des fondateurs de la Section d’or.

2- Anna Zborowska (1885-1978) épouse Zborowski en 1914. Elle a souvent posé pour Modigliani, mais aussi pour Vallotton, Utrillo, Derain, Foujita ou encore Kisling.

3- Modigliani écrit par erreur « Ic » pour « Hic ». On y lit une allusion transparente au début de la Vita Nova, de Dante : « ici commence la vie nouvelle ». Cette nouvelle année sera la dernière complète que vivra le peintre.

GARCÍA LORCA, Federico (1898-1936)

Dessin original intitulé « Poesia »
S.l.n.d, 1 p. in-8° sur bifeuillet extrait d’un ouvrage
Marge gauche légèrement effrangée

Touchant dessin du poète, sobrement intitulé « Poesia »


Ce dessin à la plume figurait à l’origine dans Segunda antología poética de Juan Ramón Jiménez, paru en 1922. García Lorca l’avait orné de deux dessins, probablement dans l’intention de l’offrir à un de ses amants.
Le premier dessin (celui-ci) ouvrait le chapitre « Poèmes d’amour »

Cette œuvre, de laquelle émane une grande délicatesse, représente un jeune homme, comme souvent dans les dessins du poète, et observé par une demi-lune personnifiée. Ses lignes, qui se caractérisent par des lignes courbes, confirment le sens esthétique et la sensibilité du poète, sa vitesse mentale ainsi que son originalité, son intuition, son hypersensibilité et sa créativité.

Deux générations de poètes espagnols :

Juan Ramón Jiménez et García Lorca se sont rencontrés à Madrid en 1919. Federico était arrivé dans la capitale espagnole avec une lettre d’introduction de Fernando de los Ríos adressée au poète de Moguer. Quand il est arrivé à Madrid, Federico était très jeune, et Juan Ramón évoque, bien des années plus tard, cette présence comme celle de celui qui est devant un enfant très spécial, presque magique, un « garçon de la lune ».

MARTIN DU GARD, Roger (1881-1958)

Lettre autographe signée « Roger Martin du Gard » à un critique
Porquerolles, 30 juin 1922, 6 pp. in-8°
Emboitage et chemise en demi-maroquin brun et cartonnage, titre et auteurs dorés.
Ex-libris d’Angré Gutzwiller à sa devise « In Silentum »

Longue et merveilleuse lettre inédite traitant de son parcours littéraire, de ses influences et plus largement de son roman fleuve Les Thibault


« Monsieur, je vous avoue que c’est la première fois que je n’éprouve pas une répugnance invincible à donner qqs renseignements sur moi. Mais je me souviens de l’article très remarquable, un des meilleurs que je connaisse, que vous avez écrit sur mon ami André Gide, lequel se trouve actuellement ici auprès de nous, et qui m’a redit l’estime qu’il vous porte. Je me décide donc à vous envoyer, au courant de la plume, quelques précisions biographiques dont vous ferez l’usage que vous voudrez. De cette lettre, écrite sur la plage, avec une plume qu’un mois de bains de mer ou de soleil ont passablement rouillée !
Né en 1881. 41 ans – « Bourgeoisie parisienne », depuis plusieurs générations !… […] À 18 ans, mes livres de chevet étaient les lettres de Flaubert et « Guerre et Paix ». J’ai toujours trouvé la forme habituelle du roman français, étriquée, essoufflée […] J’ai toujours été porté vers les œuvres longues […]
Depuis la guerre, « Les Thibault » […]. C’est mon attraction depuis toujours. L’amitié de Copeau, l’amitié de Gide, une seconde et importante rencontre aussi avec l’œuvre de Dostoïevski, n’ont fait que m’enraciner davantage dans mon sol.
Je ne puis vous parler des « Thibault, » comme vous le voudriez
[…]. Qu’on me laisse travailler tranquille. Ce n’est déjà pas si commode d’exécuter sans trop de défaillances, pendant dix ans peut-être, un plan conçu d’avance, dans un assez grand détail. Je puis vous dire ceci, en effet : le plan sur lequel je travaille prévoit 13 parties, sont 13 volumes au moins (je n’ai osé en annoncer que 7 ou 8 dans mon avertissement) […] Ce plan que j’ai mis plus d’un an à équilibrer, est assez précis, assez détaillé, assez ordonné, pour constituer à l’œuvre une armature solide et permettre de travailler 10 ans de suite sans, je l’espère du moins, compromettre l’unité de l’architecture ; mais je me suis appliqué à le laisser assez élastique pour subir des modifications […]
Une chose que je vous saurais grand gré de dire si vous en avez l’occasion, c’est que « Les Thibault » ne « prouveront » rien ; qu’il n’y a aucun conflit théorique d’idées […] Je voudrais que la pensée fût absente de ce livre. Des êtres, des êtres sans plus. Si je réussi à les évoquer devant vous avec toute la complexité que je vois en eux, l’œuvre vaudra quelque chose. Si je n’y parviens pas, si je ne sais pas donner la vie à ces êtres qui existent jusqu’à présent pour moi seul, faillite complète […].
Roger Martin du Gard »


Cette longue lettre, écrite durant l’été 1922, est très certainement adressée à un critique littéraire. « Le Pénitencier », deuxième chapitre des Thibault, a paru le 20 mai de la même année et c’est vraisemblablement en réponse aux questions de son correspondant que l’écrivain procède tout d’abord à un court résumé de son parcours, puis à ses influences littéraires, enfin à un curriculum vitae de sa propre œuvre. Martin du Gard ne sortait que rarement de sa réserve et sa pudeur l’empêchait de donner des détails sur sa personne, comme il l’admet en début de lettre. Il ne se cache pas de critiquer le « roman français », concept qu’il tente de renouveler au travers de la saga des Thibault.

« Je me suis appliqué à le laisser assez élastique pour subir des modifications »

Force est de constater qu’il ne s’agit pas tant d’une lettre de Martin du Gard que d’une lettre sur ses œuvres. L’écrivain prend alors le parti de la réserve en mettant en avant son œuvre avant sa propre personne, ainsi qu’il l’explique : « Qu’on me laisse travailler tranquille », et de poursuivre sur une présentation détaillée des Thibault.

Il évoque très largement l’architecture de son roman fleuve, l’évolution permanente qu’il lui insuffle. En effet, s’il est déjà préétabli, l’écrivain fera évoluer le « plan » au cours des années suivantes, en y laissant cette élasticité permettant des modifications ultérieures, modifications qui feront partie intégrante du rendu final. Le dernier volume, Épilogue, paraîtra en 1940.

C’est suite à la parution de L’Été 1914 (1936), avant dernier roman du cycle, et malgré quelques polémiques au retentissement considérable, que Roger Martin du Gard reçoit le prix Nobel de littérature.

LISZT, Franz (1811-1886)

Photographie originale par Julien Ganz
Tirage albuminé d’époque (1882), format cabinet (14,5 x 10,5 cm)
Contrecollé sur carton fort au crédit du photographe (16,5 x 10,8 cm)
Liseré doré rouge foncé sur la tranche
Annotation « Liszt » au verso d’une main inconnue

Saisissant portrait inédit en médaillon du musicien


On connaît plusieurs variantes prises le même jour. Toutefois, aucune d’entre elles ne montre Liszt regardant fixement l’objectif. Son portrait n’en est ici que plus intense.

Bel état de conservation hormis quelques traces d’un ancien montage aux marges, petites griffures, et petits manques aux angles inférieurs du carton fort.

[HUGO] Juliette DROUET (1806-1883)

Lettre autographe signée « Juliette » à Victor Hugo
S.l, 12 février 1849, 4 pp. in-8°
Emboîtage sur-mesure en demi maroquin bleu, lettres dorées
Cachet de collection sur le premier feuillet, rajout de la date d’une autre main au crayon gras

Déclaration enflammée à son amant Victor Hugo, avec de nombreuses allusions érotiques


« Bonjour, mon doux petit homme, bonjour, bonjour avec le soleil et l’amour, bonjour.
Il est probable que vous êtes encore enfoui dans vos draps et sous vos couvertures mais je saurai bien vous trouver si vous voulez me laisser attenter à votre pudeur de représentant et d’ex pair de France. J’ai été étonnée hier de la facilité avec laquelle vous avez consenti à sacrifier votre soirée pour une gueulardise au risque de vous ennuyer comme un spectateur de l’île de tohu-bohu. Ceci m’a prouvé que vous vous apparteniez un peu plus que je ne croyais et qu’il suffisait seulement de vous payer de la viande pour avoir vos faveurs qu’à cela ne tienne je vous en fournirai de la viande et des chaires fraîches même si vous en usez.
Puisque vous ne rougissez pas de mettre en action sur vous-même et par vous-même cette infâme devise : Exploitation de l’homme par l’homme… pour l’homme. Je demande à être votre complice. Je vous achète toutes vos soirées à raison d’une bâfrerie tragaldabesque pour chaque. Je m’y ruinerai mais ça m’est égal. D’ailleurs un peu plus tôt un peu plus tard, j’aime mieux que ce soit tout de suite. En tout j’aime le genre violent et expéditif. Courte et bonne voilà comme j’entends la vie. Maintenant que je connais votre tarif je ne m’en priverai pas puisque mes moyens me le permettent. Je ne vous demanderai même pas de vous livrer au dessous du cours. Je veux au contraire tout à la hausse rien à la baisse.
Juliette »


C’est lors d’une lecture de Lucrèce Borgia, où elle interprète la princesse Negroni, que Juliette Drouet rencontre son auteur, Victor Hugo. Très vite ils deviennent amants et la vie de l’actrice va obéir au calendrier du grand homme. Elle se soumet à une double contrainte, interdiction de sortir sans lui, et rédaction quotidienne de ce qu’il appelle sa « restitus », l’état de sa santé, ses sentiments et occupations. Elle abandonne sa carrière théâtrale pour se vouer à son amant en victime consentante. Leur relation est orageuse, leur jalousie réciproque. Juliette, pour se consoler, lui envoie des lettres, parfois plusieurs par jour. Leur couple perdure pendant près de cinquante ans, jusqu’à la mort de Juliette, en 1883.

GENET, Jean (1910-1986)

Manuscrit autographe de premier jet
S.l.n.d [1971], 4 p. 1/2 in-4°
Nombreux repentirs

Manuscrit complet pour Après l’assassinat, en réaction au meurtre de George Jackson, et dont l’ensemble prend l’allure d’un véritable plaidoyer pour la cause noire américaine


« Hier, c’est-à-dire quand la vie de George Jackson paraissait encore possible, j’ai parlé de son livre comme meurtre et je ne me doutais pas que le meurtrier serait descendu par la police américaine. Cet assassinat de Jackson par la police américaine, quel que soit le niveau d’autorité qui l’a décidé, c’est un coup monté : il a pu partir des salons de Reagan ou d’un bureau de simples gardiens, la cible restait la même : un Nègre qui pense, qui écrit ce qu’il pense, dont le livre est l’annonce et la préparation d’une révolution noire.
[…] Les Blancs peuvent rire de sa naïveté, Jackson était en effet naïf, c’est-à-dire neuf, c’est-à-dire nouveau, c’est-à-dire dangereux. Maladroits, les blancs l’ont tué. Ils ne l’ont pas grandi, par sa mort ils lui ont enfin donné ses proportions exactes, pourtant incalculables, trop vastes. […] Il n’y a jamais eu, il n’y a pas, il n’y aura jamais de victimes. Si Jackson est responsable de sa démarche révolutionnaire, de son livre et de sa mort, les policiers américains sont responsables, de la même façon, de l’assassinat de Jackson. Les Noirs américains sont responsables et non victimes quand ils acceptent de faire la guerre au Viêt-Nam, à Saint-Domingue, en Bolivie, pour ce que les Américains blancs appellent la grandeur de l’Amérique. Ils sont responsables quand ils acceptent même la plus petite parcelle des bénéfices de l’impérialisme qui s’enrichit des dépouilles des peuples dévastés. L’Europe fait partie aussi de ce vampirisme. Il n’y a qu’un moyen de prouver sa liberté pour une liberté toujours plus grande, c’est d’entrer dans la révolution […] comme tout homme et toute femme qui refusent d’asservir et d’être asservi. […]
Jonathan et George Jackson, Angela Davis, les Panthères noires, les mouvements révolutionnaires noirs ou blancs, ont porté au plus haut degré ou la trahison ou le combat démasqué, donc la conscience d’être responsable.
[…]
Qu’est-ce que la prison ? C’est l’immobilité. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » (Baudelaire.) […] Même s’il m’est difficile ici de dire comment le monde sera changé, croyez bien qu’on y travaille. Nous ne négligerons rien. Cela nous gêne peut-être de dominer de moins en moins les Noirs, mais c’est qu’ils ne l’acceptent plus. Ils comptent sur leur propre force, non pour nous dominer mais pour nous regarder droit dans les yeux. Ils changent aussi le langage qui n’obéira plus à la définition des maîtres. […]
Qu’était le corps de Jackson dans cette cellule. Ni plus ni moins qu’un autre dans cet espace […]
Il faut porter notre attention sur David Hilliard (huit ans de prison), sur Angela Davis, accusée de complot et de tentative de meurtre, et de tous les Noirs emprisonnés – dans la prison ou dans le ghetto – qui risquent, à tout moment, d’être assassinés comme George et Jonathan Jackson, ou gâchés par le monde blanc. En fait, il faut apprendre à trahir les Blancs que nous sommes. »


George Jackson meurt dans la prison de San Quentin le 21 août 1971. La version policière veut qu’il ait été abattu suite à des menaces envers un gardien avec un revolver alors qu’il tentait de s’évader, ayant profité d’une émeute pour fuir la cour de quartier, pourtant sous haute surveillance. Cependant, les événements officiels ne s’accordent pas avec les conclusions tirées d’une enquête menée par la suite, tant et si bien qu’aujourd’hui encore, le mystère plane autour des circonstances de sa mort. En effet, le procès de Jackson devait avoir lieu deux jours plus tard, procès pour lequel il s’était activement préparé. Au terme de ce procès, lui et ses deux camarades sont reconnus innocents pour d’un crime commis près de deux ans plus tôt, le 13 janvier 1970.

Ce texte s’avère un complément indispensable aux écrits de Genet sur Jackson. Il s’inscrit dans la continuité d’un article publié peu avant, qu’il convient de lire ensemble. Le tout est écrit dans la perspective d’un ouvrage collectif en hommage au « frères de Soledad » et, plus généralement, à l’ensemble des prisonniers politiques noirs.

L’engagement politique de Genet prend toute son envergure à partir de 1970. Le 25 février, une responsable du Black Panther Party, sollicite son soutien. Genet refuse de signer des pétitions mais propose de mener des campagnes sur place, aux États-Unis, pour les Panthères noires. Durant deux mois, il partage leur vie et, en leur compagnie, sillonne inlassablement le territoire américain, donnant d’innombrables conférences dans les universités ou devant la presse.

Superbe document de travail dans lequel explose la révolte de Genet pour la cause noire américaine.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Le Vte de Chateaubriand » au littérateur Abel (1757-1836)
Paris, le 29 7bre [septembre] 1815, 4 pp. in-8°
Plusieurs repentirs de la main de Chateaubriand sur les deuxième et troisième pages
Ancienne trace de montage en marge, cachet de collection sur le quatrième feuillet

Exceptionnelle lettre de l’écrivain évoquant son discours de réception à l’Académie et la fureur qu’il provoqua chez l’empereur Napoléon


« Je vous remercie, Monsieur, du manuscrit que vous avez bien voulu me communiquer. Il y a quelque chose de vrai dans la note de votre auteur [J.E. Chetwode] ; mais la phrase citée se trouvait dans mon discours même, et venait à la suite d’un morceau très vif contre les Régicides. Ce fut un morceau et un autre, où je réclamais la liberté de la pensée, qui amenèrent les fureurs de Buonaparte et ses nouvelles menaces de me faire fusiller, si jamais mon discours était prononcé en public.  J’avais reçu l’ordre du duc de Rovigo de me présenter pour candidat à l’institut, sous peine d’être enfermé pour le restant de mes jours à Vincennes.
Ne voulant occuper aucune place sous l’assassin du duc d’Enghien, et forcé de me présenter pour occuper celle de
[Marie-Joseph] Chénier, je fis mon discours de manière qu’on serait obligé de me défendre de le prononcer malgré l’éloge de droit don chaque récipiendaire était obligé de couronner son discours. Je réussi dans ce dessein, mais je pensais y perdre la vie ; et l’on se rappelle tout le bruit que cette affaire de l’institut fit dans le temps à Paris.
Je pense donc Monsieur, que l’anecdote racontée par M. Chetwode étant presque entièrement controuvée, elle peut être supprimée sans inconvénients.
Pour mon compte, je désire que l’on parle de moi le moins possible. C’est à vous Monsieur, de suivre là-dessus votre sentiment ; et je vous renouvelle encore mes remerciements pour votre politesse et la délicatesse de votre procédé envers moi.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le
Vte de Chateaubriand »


Chateaubriand revient ici en détails sur son discours d’élection à l’Académie française. Marie-Joseph Chénier (frère du poète guillotiné pendant la Révolution) meurt le 10 janvier 1811. Sa mort laisse vacante une place à l’Institut, dans la « seconde classe », affectée à la langue et à la « littérature française ».
« Membre de la IIe Classe », voilà qui ne disait rien au public. Chateaubriand était donc médiocrement soucieux d’un honneur qui n’ajouterait rien à son illustration. En outre, dans tous les cas, il ne pouvait lui convenir de remplacer Chénier, car il se verrait forcé de faire l’éloge d’un homme qui avait poursuivi de ses railleries Atala, voté la mort de Louis XVI et traîné le catholicisme dans la boue.

Le discours est lu en avril 1811, devant l’Académie, non par l’auteur lui-même, comme quelques voix l’ont demandé, mais en son absence, et par l’un des membres de la Commission. Entre éloge de la liberté, attaques contre le pouvoir, revendication du droit de l’écrivain à s’exprimer sans entraves, le discours prend des tournures de pamphlet anti-empire
Après un court débat demeuré secret, a lieu un scrutin décidant, à la majorité, que le discours ne peut être admis. Chateaubriand, qui attend dans une pièce voisine, est aussitôt prévenu de cette décision. Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, l’un des familiers de l’empereur, court rapporter cet incident, à ses yeux plus politique que littéraire. Il est porteur du discours, dont Napoléon a immédiatement connaissance. Grande est son irritation, et pour cause, il prend à son compte l’entièreté du propos, donc des attaques. Chateaubriand se voit interdit d’occuper son siège ; il le fera seulement après la Restauration.

Une inimitié datant de l’assassinat du duc d’Enghien

Les relations personnelles du grand écrivain et Napoléon Bonaparte se gâtent sous l’Empire, Son admiration pour Bonaparte est totale depuis 1800, il est même affecté premier secrétaire d’ambassade à Rome. Cependant, Chateaubriand bascule dans la défiance dès l’exécution du duc d’Enghien, en 1804. Il donne immédiatement sa démission et passe dans l’opposition à l’Empire.

Chateaubriand reviendra très largement sur ces épisodes dans ses Mémoires d’outre-tombe, volumes III et IV.

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

Lettre autographe signée « Charles » à sa mère, Madame Aupick
[Paris], 1er juillet 1853, 3 p. in-8°
Petite réparation ancienne au scotch sur le bris de cachet, sans atteinte au texte

Remarquable lettre introspective à sa mère où il est question de volonté, clé de voûte de la création baudelairienne 


« Vendredi –
Je m’attendais bien vaguement à une petite surprise, mais je ne croyais pas que ce fût aussi beau. – Franchement, je suis très enchanté, et je conçois que dans deux ou trois jours, ayant tous les moyens de réparer une fainéantise de six mois, je n’aurai guère d’excuses.
– Quant à la question d’amour-propre, elle est nulle. – Il n’y a pas d’amour-propre possible avec ceux que nous aimons et qui nous aiment. –
Seulement, tu as été prodigue ; – il est possible que je n’accepte qu’une partie de ce que tu m’offres ;par exemple, je ne ferai peut-être payer la chambre le loyer que pour trois mois ; la question de santé, – je m’y connais assez, – peut se résoudre avec quelques drogues et quelques bains de vapeurs.
– Je n’ai maintenant plus qu’une seule inquiétude, c’est que mes créanciers ne se soient permis de bousculer mes précieux paquets et mes malheureuses paperasses, peut-être de les détruire. –
Le 15 juillet, je t’écrirai à Barèges, poste restante,
[ville d’eau et lieu de villégiature du couple Aupick] et il est possible que d’ici là j’aie pu rétablir un peu mes affaires. – Cependant, je ne dois pas me faire d’illusions, j’étais dans une belle situation aux approches du jour de l’an, et il faudra beaucoup d’adresse pour réparer ce qui est gâté.
J’ai à publier quatre volumes de fragments, je n’ai de traité que pour un seul, dont j’ai mangé l’argent. – Retrouverai-je un éditeur ? Pourrai-je rendre à celui-ci la confiance qu’il a perdue ? Je ne saurai tout cela que dans deux moi peut-être. – J’ai de plus la prétention de faire deux drames
[La Fin de Don Juan et L’Ivrogne], et je passe pour incapable de concevoir une donnée dramatique. – Qu’arrivera-t-il, je l’ignore. – Ce qu’il y a de bien certain, c’est que je ne veux plus rien donner au hasard dans ma vie, et que je prétends que la volonté en occupe toute l’étendue. – Je te remercie de tout mon cœur.
À trois mois.
Charles
Quant à Monsieur Aupick, je te supplie de ne pas faire de zèle, – et même d’être muette. »


On sait dans quelle situation financière Baudelaire a passé une grande partie de sa vie. Ainsi sollicita-t-il à de nombreuses reprises sa mère, avec qui il entretenait une relation fusionnelle. Cette lettre fait suite à un envoi plus généreux que d’habitude pour l’aider, ce qui n’est pas coutume.
En évoquant la publication de « quatre volumes de fragments », Baudelaire a de claires ambitions éditoriales : Il souhaite en effet réunir les critiques dans différents journaux et revues qu’il a publiées antérieurement pour en faire des livres. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il pense également aux Fleurs du Mal. Faisant ensuite référence à des projets pour le théâtre, Baudelaire ne se rêvait pas exclusivement en poète, comme il le rappelle dans Mon cœur mis à nu : « Étant enfant, je voulais être tantôt pape, mais pape militaire, tantôt comédien. Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations. »
Baudelaire ne se fait cependant guère d’illusion sur son talent : « je passe pour incapable de concevoir une donnée dramatique ». Il se détache ainsi d’un certain bovarysme. Il n’en reste pas moins que si la poésie n’est pas le théâtre, nous pouvons déceler quelque théâtralité dans son œuvre, ainsi que l’explique Roland Barthes dans son introduction du « Théâtre de Baudelaire » (1964) : « Cette théâtralité puissante, elle n’est qu’à l’état de trace dans les projets de Baudelaire, alors qu’elle court largement le reste de l’œuvre baudelairienne. Tout se passe comme si Baudelaire avait mis son théâtre partout, sauf précisément dans ses projets de théâtre. »
Enfin, le poète, loin de mettre cette difficulté au compte du hasard, cherche à s’y soustraire. Le tout repose ainsi sur la « volonté », clé de voûte de sa conception de la création. « Paysage », dans les Fleurs du Mal (deuxième édition, 1861), premier poème de la section « Tableaux parisiens », en fait d’ailleurs l’éloge, par une quasi-sacralisation de la volonté créatrice. En témoigne l’incipit : « Je veux » et les vers « Car je serai plongé dans cette volupté, / D’évoquer le Printemps avec ma volonté », qui mènent le poème entier. Baudelaire fait de la création une mission divine.
En post-scriptum, Baudelaire fait aussi allusion à ce qui nous permet de faire l’hypothèse d’une perspective d’apaisement de ses relations avec son beau-père.

CEZANNE, Paul (1839-1906)

Lettre autographe signée « Paul Cézanne » à Octave Mirbeau
Aix [en-Provence], 11 juillet 1903, 2 pp. in-8°
Fente en marge inférieure à la pliure centrale

Rare lettre de Cézanne, éternel insatisfait, à la recherche perpétuelle de la perfection dans sa peinture


« Mon cher Mirbeau
Je viens de recevoir une lettre de mon fils qui m’a mis au courant de l’intérêt que vous me portez. Votre point d’appuis moral m’est trop précieux pour que je vous en remercie.
Je continue à chercher à développer par le dessein
[sic] et la couleur l’idée d’art que je crois avoir.
Il me sera sans doute donné malgré mon âge avancé de vous revoir et ce sera une grande joie pour moi de pouvoir causer avec vous de cette donnée d’art qui préoccupe tant de bons esprits.
[Il procède à plusieurs repentirs dans la formule de politesse] Veuillez me agréer croire mes bien cordialesment à vous salutations.
Paul Cezanne

[Il rajoute au dos du premier feuillet] Avec tous mes remerciements »


Autant que l’on sache, le peintre et le critique ne se sont rencontrés qu’une seule fois, à Giverny, chez Claude Monet, le 28 novembre 1894. À l’invitation de Monet, qui a pris l’initiative de la rencontre, Mirbeau répond avec enthousiasme, mais non sans une certaine crainte. En effet, il connaît de réputation le caractère sauvage du peintre provençal : « Nous irons mercredi, c’est entendu […] Mais, sapristi, que Cézanne n’oublie pas de venir, car j’ai un violent désir de le connaître ».
Pourtant, malgré les nombreux séjours de Cézanne en région parisienne au cours des années suivantes, aucune autre rencontre n’est attestée, ce qui ne manque pas d’étonner. La timidité légendaire doublée de sauvagerie du peintre, qui fuyait les contacts et faisait preuve, en société, d’une maladresse déconcertante, contribue sans doute à expliquer qu’il n’ait apparemment fait aucun effort pour revoir son admirateur.

Cette lettre est officiellement motivée par une missive de son fils, Paul, qui a dû rencontrer Mirbeau dans des circonstances que nous ignorons. C’était là une nouvelle occasion d’attirer sa bienveillante attention sur des recherches artistiques : « le dessin et la couleur », « l’idée d’art que je crois avoir ». – Ainsi Cézanne révélait-il à son ami Zola, plus de vingt ans auparavant, dans une lettre, qu’il « [s]’ingéni[ait] toujours à trouver [s]a voie picturale ». Peintre en quête perpétuelle d’un absolu par le contact primitif et organique, il a les traits de l’artiste torturé éternellement insatisfait, si bien qu’il finit par détruire une importante partie de son œuvre.
Les lettres de Cézanne sont rares, celles faisant allusion à son art le sont d’autant plus ; ainsi avait-il peut-être du mal à formuler clairement, au moyen des mots, des tâtonnements liés à une évolution de sa sensibilité esthétique plus qu’à des théories rationalisables. Toujours est-il qu’il manifeste son vif désir de revoir Mirbeau.

Cézanne apparaît tant comme un continuateur de l’esprit classique français qu’un innovateur radical par l’utilisation de la géométrie dans ses portraits, natures mortes et nombreux paysages. Il est considéré comme le « père de l’art moderne »

ARAGON, Louis (1897-1982)

Manuscrit autographe sur sa vision de la poésie
S.l.n.d [années 50], 6 pp. in-4°
Marques de pliures, nombreuses corrections

Réflexions sur la poésie révolutionnaire – Aragon reprend, entre autres, un poème de Nerval intitulé Politique


« La poésie est avec le peuple. Elle est contre les tyrans. De tout temps.
Mendiant Homère
Gueux François Villon
Dante l’exilé

Les thèmes de la poésie avec le peuple
La prison
La répression sanglante
La lutte contre la guerre
La construction du socialisme – Utopie – Lamartine / Hugo

De négatif en positif

Le passage du pessimisme à l’optimisme de la victoire
UN GRAND POÈTE LE PROLÉTARIAT

Deux sources à notre poésie révol[utionnaire] contemporaine
L’une la poésie écrite, l’héritage / plein d’approbations généreuses
L’autre le folklore
A côté de Babeuf, le poète athée Sylvain Maréchal
Sous la restauration et Louis-Philippe parmi les meilleurs poètes de la bourgeoisie
Gérard de Nerval
Petrus Borel

Mme Desbordes-Valmore

Béranger

Plus tard 1848
Développement industrie qui força la bourgeoisie française à revoir la méthode forte Empire

Ceci transforme le plus grand poète de ma période antérieure Victor Hugo en un véritable poète révolutionnaire.
Il devient le chantre de 1830 et insurrection contre l’Empire
Châtiments
Napoléon le Petit

Et avec incompréhension commune
Horreur de la répression
Défense de Communards

Depuis 600 ans la guerre
Il a été [Victor Hugo] le dernier des grands poètes que le peuple ait lu

Pourtant Arthur Rimbaud
Mains de Jeanne-Marie [Poème d’Arthur Rimbaud, hymne à la gloire des femmes de la Commune]

La guerre qui a fait naître le Feu a réveillé le folklore

[…]

Desbordes-Valmore
Lyon 1834

Nous n’avons plus d’argent pour enterrer nos morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles ;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.

Le meurtre se fait roi. Le vainqueur siffle et passe.
Où va-t-il ? Au Trésor, toucher le prix du sang.
Il en a bien versé ! mais sa main n’est pas lasse :
Elle a, sans le combattre, égorgé le passant.

Dieu l’a vu. Dieu cueillait comme des fleurs froissées
Les femmes, les enfants, qui s’envolaient aux cieux.
Les hommes… les voilà dans le sang jusqu’aux yeux.
L’air n’a pu balayer tant d’âmes courroucées

Elles ne veulent pas quitter leurs membres morts.

[…]

La poésie est avec le peuple
Elle est contre les tyrans
De tout temps elle vient du peuple
Ses origines /
Homère
François Villon
Hans Sachs

Dante l’exilé
Si les seigneurs ont su se l’attacher
Si Racine et Shakespeare
Ce n’était que dans le temps où le

Pouvoir de la classe possédante était

Un instrument de progrès
Citation de Robespierre et prévision des temps actuels
Au XIXe déjà les grands poètes de la Bourgeoisie reflètent des contradictions et les plus grands, les plus généreux sont du côté du peuple.
En France / Hugo – Rimbaud
En Russie / Nekrassov – Pouchkine
En Angleterre / Shelley – (Marx)
En Allemagne / Büchner – Heine

[…]

Gérard de Nerval
Préface aux Odelettes 
Remarquez une chose, c’est que les Odelettes se chantaient et devenaient même populaires, [en] témoigne cette phrase du Roman Comique : ‘Nous entendîmes la servante, qui, d’une bouche imprégnée d’ail, chantait l’ode du vieux Ronsard’ :
Allons de nos voix
Et de nos luths d’ivoire
Ravir les esprits

[…]

Ce thème du prisonnier
Dans Petrus Borel, dont frère tué en 1830, sur les barricades, quand lui-même emprisonné par Charles X prison des Andelys
Oiseaux ! oiseaux que j’envie
Votre sort et votre vie

RAPPROCHER – TEMPS DU MÉPRIS »


Ces réflexions datent vraisemblablement des années 50, époque où Aragon écrivit une longue critique de l’article Littérature française de la Grande Encyclopédie soviétique. Il y passe en revue les erreurs et insuffisances de cet article, et en réécrit  des pans entiers. Par ailleurs, le travail d’Aragon a été publié dans Les Annales n° 17 de 2015, en même temps que sa correspondance avec Romain Rolland.
Cette critique  a nécessité un peu d’organisation et un caractère systématique, même pour un érudit comme Aragon. Ces six pages peuvent donc être mises en relation avec ladite critique. Les rapprochements historiques opérés, la mise en perspective des écrivains avec les mouvements sociaux et historiques plaident pour une proximité avec celle-ci.

DALÍ, Salvador (1904-1989)

Dessins originaux et poème autographe
S.l.n.d [c. 1935], 1 p. in-8° (16 x 20,5 cm)
Quelques petites taches

Abondantes études, soit huit dessins, enrichies d’un poème érotique inédit


Magnifiques dessins réalisés à la mine de plomb, certains surréalistes, d’autres représentant des visages ou encore une scène de masturbation et de fellation.
Le peintre a de plus enrichi ses études d’un cadavre exquis, qu’il nomme « poème descriptif », à notre connaissance demeuré inédit à ce jour.

Dalí a laissé libre cours à sa pensée dans ce poème, intitulé « éclosion imperceptible de la nutrition ». Comme à son habitude, il écrit dans un français phonétique :

« ge pique ta nuque
ge coupe ton pique
ge nuque ta coupe
ge
j’avale ton mal
ge vide mon mal
J’avale ta male
[…] »

L’année 1935 est une période charnière dans le processus de création du maître catalan. Dalí se heurte aux limites posées par les cadres surréalistes et à l’impossibilité d’approfondir ses connaissances sur les mécanismes psychiques. Il entreprend alors une introspection, débouchant sur la paranoïa.

Il travaille cet aspect de lui-même et étudie le comportement d’individus atteints de sévères troubles mentaux, particulièrement ceux qui ont trait à la paranoïa. Découlera de ces recherches la « méthode paranoïa-critique », ou « M. P.-C. », dont le principe est d’ouvrir son esprit aux choses de l’invisible, de l’inconscient, par l’étude des biais paranoïaques présents en chacun de nous. En peinture, cela s’exprimera par l’image double, voire multiple, à laquelle il restera attaché l’essentiel de sa vie.

ARTAUD, Antonin (1896-1948)

Lettre autographe signée « Antonin Artaud » à Adrienne Monnier
Hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, 4 mars 1939, 2 p. in-4° avec enveloppe
Petites taches, traces de pliures d’époque

Délirante et célèbre lettre du poète, souvent reproduite et longtemps restée le seul texte connu d’Artaud pour la période 1938-1942


« Melle ADRIENNE MONNIER
Les amis des livres
7 rue de l’Odéon 7
Paris

Asile de Ville-Evrard, 4 mars 1939

ADRIENNE MONNIER

Le Livre de Monelle

Ma chère Adrienne,
Je n’ai pas encore eu le temps de répondre à ta dernière lettre. Et quand je dis le temps, je veux dire que je ne me suis pas trouvé jusqu’ici en humeur de le faire car il m’est arrivé entre temps un avatar des plus désagréables, et j’ai été transféré de Sainte-Anne à Ville-Evrard avec quelque chose de plus que de la brusquerie. Mais depuis je me suis ressaisi et je te réponds. –
– Oui, cette histoire des sosies est vieille comme les siècles, et tous les grands personnages à travers l’histoire se sont trouvés des doubles réels, qu’ils leur ressemblassent physiquement ou non, et qui jouaient leur rôle à leur place, pour le commun du peuple, et seuls les Initiés connaissaient le personnage réel. Tout cela, pour les non-Initiés qui ne savent pas que la vie est entièrement truquée, tient du roman et de la fable. C’est ainsi que j’ai entendu dire chez les Initiés cette énormité incroyable que ce n’est pas le véritable Nicolas II qui aurait été assassiné à Ekaterinenburg par les Bolcheviks et que le Tzarévitch serait encore vivant. C’est ainsi qu’on alimente les rêves des concierges. Mais pour qui sait que la vie est entièrement truquée par les Initiés, celui-là trouvera que les concierges n’ont pas tort. Et d’ailleurs les concierges ne pensent ce qu’ils pensent que parce qu’ils voient tout ce qu’ils voient ; Et n’est pas concierge qui veut !
C’est ainsi que tous les Initiés savent que Von Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne a été assassiné à Paris dans la nuit du 7 au 8 décembre 1938 et Mr Edouard Daladier est le seul à ne pas le savoir. Et c’est un sosie de lui qui a pris son nom et qui s’est fait réexpédier en vitesse de Varsovie à Berlin par R. Beck, lors de son voyage en Pologne. – Tu n’avais pas besoin de me confirmer le fait. Il y a longtemps que je suis au courant de cette histoire, que tout le monde connaît d’ailleurs mais que personne n’a eu le droit de dire, paraît-il, sous peine de se voir exécuter par la police des Initiés. La puissance du papier imprimé est très forte, je suis de ton avis et celle des Initiés sur l’esprit du grand public est aussi très forte pour qu’on ait réussi à cacher un fait aussi énorme que l’« exécution »  à Paris du ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, et pour qu’on ait réussi à accréditer ce mensonge que l’homme de paille payé par les Initiés, qui le remplace, est ce Von Ribbentrop qui a signé la Déclaration franco-allemande du Quai d’Orsay. –
D’ailleurs toute l’histoire du monde est ainsi. Beaucoup des grands évènements du monde n’ont pas été provoqués par ceux à qui l’histoire les attribue. Ni Joffre ni Gallieni n’ont gagné la bataille de la Marne, mais de Langle de Cary y fut pour beaucoup. Et dans le domaine de la création littéraire, artistique ou philosophique c’est encore pire. J.S. Bach n’est pas l’auteur des œuvres qui lui sont attribuées. Il les vola à un autre et les signa de son nom. Les œuvres signées J.S. Bach sont d’un caractère musical unique en occident et l’ont sait d’ailleurs qui les a faites, mais les Initiés ont jeté l’interdit sur le nom de leur inouï créateur. De même le mystère Shakespeare est une histoire d’Initiés. Et tu sais pourquoi et comment. De même la fameuse « Guerre des Deux Roses » qui fut ignorée de ses contemporains. Et les envoûtements en oubli ne furent pas pour rien dans cette ignorance stupéfiante. –
Maintenant toi qui est une grammairienne et une linguiste consommée explique-moi donc le sens psychologique exact de l’expression suivante : « J’AI LA TÊTE PRÈS DU BONNET » car à y réfléchir ce n’est pas si simple que cela. Et pourquoi ne dirait-on pas aussi : « j’ai le cœur près du bonnet », puisque pour certaines sectes occultes, c’est le cœur qui tient lieu de tête, et la tête n’existe pas. – Voir artère coronale. En ce qui me concerne moi le cœur pour le peu qu’il m’en reste est certainement près du bonnet, car sans lui il aurait sauté.
Certains Mayas à Mexico m’ont parlé de l’artère coronale dans la tradition des Mayas du Yucatan, telle qu’elle a été recueillie par les Mayas Quichés. Et à ce propos qu’a-t-on fait de mon livre : Le Voyage au Pays des Tarahumaras. Les Tarahumaras sont au nord et les Mayas au sud, c’est entendu, mais c’est le Mexique et j’ai écrit un livre sur le Mexique, on l’a publié et je n’ai même pas vu l’édition. Ça fait le 4eme qu’on m’escamote. Si vous croyez que ça peut continuer, vous vous trompez, ÇA NE PEUT PLUS. –
Les choses sont allées trop loin et il va falloir renverser les choses et cela Monelle est ce que vous avez vu ;
Tu as raison, toutes les déesses de l’antiquité étaient des menteuses, par exemple Bogaïlla mais elles mentent mal et leurs mensonges ne les mèneront pas loin car elles ont fini par se cocufier elles-mêmes, et elles sont toutes actuellement en pleine déperdition. Et c’est le noyau même chez chacune d’elles qui est irrémédiablement gangrenée. Tout cela est une passe pour rien.
Une création à recommencer.
Antonin Artaud.

[Il rajoute en marge de la première page]
Je n’ai pas d’argent et pas de timbres pour mes lettres, en général Et mes Editeurs me doivent beaucoup d’argent !

[Il rajoute en marge de la deuxième page]
ET CE SERA LA PREMIÈRE FOIS DANS LA RONDE DE TOUS LES MONDES QU’UN ÊTRE À L’ÉTAT INCARNE AURA GAGNE LES VÉRITÉS DERNIÈRES. »


Artaud a été sujet à d’intenses douleurs physiques attribuées à une syphilis héréditaire contre lesquelles il a lutté pendant une grande partie de sa vie, douleurs qu’il palliait avec des médicaments et drogues. Il a passé ses dernières années interné dans différents hôpitaux psychiatriques. Le 22 février 1939, le docteur Longuet, au centre psychiatrique de Sainte-Anne, écrit : « Syndrome délirant de structure paranoïde, idées actives de persécution, d’empoisonnement, dédoublement de la personnalité. Excitation psychique par intervalle. Toxicomanie ancienne. Peut être transféré. »  Dans la foulée, l’écrivain rejoint l’hôpital de Ville-Evrard, où il restera un peu moins de quatre ans, sans  recevoir le moindre traitement, son état étant considéré incurable.

Il écrit de nombreuses lettres durant cette période. La deuxième est adressée à Adrienne Monier, écrivaine et éditrice, le 4 mars, soit à peine trois jours après son arrivée. Cette missive écrite à chaud évoque les « Initiés » et « non-Initiés ». Aux yeux de sa correspondante, Artaud transforme ce que les psychiatres nomment « accès de délire » en une véritable richesse imaginative.

« Tous les grands personnages à travers l’histoire se sont trouvés des doubles réels (…) et seuls les Initiés connaissent le personnage réel »
Dans cette lettre, Artaud, en proie à des délires paranoïaques, envisage deux mondes parallèles qui se superposent, l’un étant celui des « Initiés » et l’autre celui des « non-Initiés ». Le second est une vie « complètement truquée » par les « Initiés », une copie factice et manipulée, quand le premier est la réalité stricto sensu. Par « Initiés », il faut comprendre ceux tirant les ficelles d’un complot visant à persécuter l’écrivain. Cela prend d’autant plus sens quand on sait qu’il conçoit la folie comme une invention de la société destinée à exclure ses détracteurs.

« Un illuminé révolutionnaire » (docteur Chanès)
La lecture parallèle de la lettre d’Artaud avec le « Certificat de quinzaine du 14 mars 1939 » du docteur Chanès nous donne une clé de compréhension intéressante en ce que nous avons une interprétation supposément rationnelle, pour ainsi dire, des propos littéralement délirants de l’écrivain. Ainsi lisons-nous dans ce certificat que les « Initiés » sont effectivement « les gens au pouvoir, à la tête de la politique, de la police, de l’administration, etc. », avec le diagnostic qu’Artaud est « un poète qui a voulu réaliser sa conception révolutionnaire du monde. »

En commentaire de cette lettre, publiée dès avril 1939 dans La Gazette des amis des livres (n° 6-7), Adrienne Monnier révélera : « C’est la première fois de ma vie que je reçois une lettre d’Antonin Artaud. J’étais bien sûre de ne lui avoir, personnellement, jamais écrit. Mais après avoir lu tout ce qu’il raconte, je me demande avec inquiétude si mon double n’a pas fait des siennes… et si les choses n’ont pas été diablement loin, puisque nous en sommes à nous tutoyer. »

« Il va falloir renverser les choses et cela Monelle est ce que vous avez vu »
Écrivain et traducteur, Marcel Schwob (1867-1905) publie Le Livre de Monelle en 1894. L’ouvrage devient rapidement un incontournable, et même une sorte de bible officieuse et pour les symbolistes et pour les surréalistes. Durant l’entre-deux-guerres, il s’avère un véritable manifeste anarcho-mystique, l’objet d’un quasi-culte. Ainsi, Schwob inspire Artaud dans l’écriture de L’ombilic des limbes (1925) et sa première participation à La Révolution surréaliste, revue fondée en 1924 par Aragon et Breton, entre autres. Artaud et Schwob se rejoignent sur l’inversion des valeurs religieuses, célébrant l’apothéose de l’infamie allégorisée sous les traits d’un Antéchrist. Tel est le retournement qui s’opère dans Héliogabale ou l’anarchiste couronné (1934). On retient aussi des deux écrivains la recherche perpétuelle d’une certaine dramaturgie, Schwob ne manquant pas de rappeler à son lectorat qu’il est « comme au théâtre ».

BEAUMARCHAIS (de), Pierre-Augustin Caron (1732-1799)

Lettre autographe signée « Beaumarchais » au comédien Préville
Paris, le 31 mars 1784, 2 pp. in-8°, à l’encre noire sur papier vergé avec filigrane
Adresse autographe sur la quatrième page, quelques ratures
Traces de pliures inhérentes à l’envoi, manque au deuxième feuillet (bris de cachet) sans atteinte au texte, infimes rousseurs, ancienne trace d’onglet

Magnifique lettre de Beaumarchais annonçant la levée de la censure pour sa pièce Le Mariage de Figaro, moins d’un mois avant la première représentation officielle

« Les esprits étaient alors agités par diverses causes : […] la tenue prochaine des états généraux et l’affaire du collier, la Cour plénière et le Mariage de Figaro… » (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, t. 1)

Provenant de la bibliothèque Raphaël Esmerian


« Paris ce 31 Mars 1784
Nous nous sommes trompés tous les deux, mon vieil ami. Je tremblais que vous ne quittassiez le théâtre à Pâques ; et vous, mon vieil ami, vous étiez dans l’opinion que le Mariage de Figaro ne pouvait pas se jouer.
Mais il ne faut jamais désespérer de garder un acteur que le public adore ni de voir vaincre un auteur courageux qui croit avoir raison et qui ne se dégoûte pas par les dégoûts.
J’ai, mon vieil ami, le bon du Roi, le bon du Ministre, le bon du lieutenant de Police. Il ne manque plus que le vôtre pour voir un beau tapage à la rentrée. Allons mon ami. C’est bien peu de chose que ma pièce ; mais la voir au théâtre est le fruit de quatre ans de combats ; voilà ce qui m’y attache.
Quel mal ils m’ont fait ! Ces méchants ! Deux ans plus tôt, mon ami Préville aurait assuré le succès de mes cinq actes. Aujourd’hui le charme qu’il répandra sur un moindre rôle fera bien regretter qu’il ne joue pas le premier !
On me conseille l’étude et les répétitions sans éclat ; et nous sommes convenus d’agir, mais sans rien dire. D’azincourt et La Porte se sont chargés d’écrire à tout le monde, en recommandant le silence, afin que notre bonne fortune ne finisse pas encore une fois par en devenir une de capucin.
Je vous salue, vous honore et vous aime.
Beaumarchais »


Comédie en cinq actes de Beaumarchais écrite en 1778, Le Mariage de Figaro est lue à la Comédie-Française en 1781, donnée en privé en 1783, mais dont la représentation officielle publique n’a lieu que le 27 avril 1784 au théâtre François (aujourd’hui théâtre de l’Odéon), soit un mois à peine après notre lettre.

« C’est bien peu de chose que ma pièce ; mais la voir au théâtre est le fruit de quatre ans de combats » :
Des années durant, la pièce est censurée. Louis XVI la qualifie « d’exécrable, qui se joue de tout ce qui est respectable » et assure que « [s]a représentation ne pourrait qu’être une inconséquence fâcheuse, sauf si la Bastille était détruite ».
En mars 1784, c’est l’avis positif du sixième censeur, Bret, qui est entériné par un « tribunal de décence et de goût », présidé par le baron de Breteuil. La première du Mariage de Figaro à la Comédie-Française, le 27 avril 1784, est un triomphe, que confirment les soixante-sept représentations qui suivirent la même année.

La genèse d’une gronde populaire qui préfigure la Révolution de 1789
Chef-d’œuvre du théâtre français et universel, la pièce est considérée comme l’un des signes avant-coureurs de la Révolution française. En effet, elle dénonce ouvertement les privilèges de la noblesse et du clergé, la société inégalitaire et de la justice vénale de l’Ancien Régime.
Le paroxysme de cette satire politique et sociale est le célèbre monologue de Figaro (acte V, scène 3), morceau de bravoure s’attaquant à l’ordre établi et dont tout le monde connaît le plus célèbre passage : « Noblesse, fortune, un rang, des places […] Qu’avez-vous fait pour tant de biens. Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ». C’est tout l’édifice social de l’Ancien Régime qui est remis en question. La pièce sonne le glas d’une société fondée sur la naissance et les privilèges.

Deux ans après sa première représentation, la pièce est adaptée en opéra par Mozart sous le titre Le nozze di Figaro. En 1789, Danton dira que Figaro a préparé les esprits pour la Révolution française.
Préville (1721-1799), acteur fétiche de Beaumarchais, s’était déjà vu confier le rôle-titre pour sa pièce Le Barbier de Séville, en 1775. Vieillissant à l’heure de la première représentation officielle du Mariage de Figaro, il incarne finalement Brid’oison, personnage, secondaire, pour laisser l’habit de Figaro à Dazincourt (1747-1809).

L’une des plus belles lettres de la correspondance de Beaumarchais

APOLLINAIRE, Guillaume (1880-1918)

Poème épistolaire autographe signé « Guillaume Apollinaire », à André Billy
Nîmes, le 22 mars 1915, 1 p. in-8° à en-tête du Café Tortoni
Traces de pliures, petites taches, infime déchirures marginales, annotations typographiques

Savoureuse épître poétique improvisée depuis le Café Tortoni de Nîmes, où le poète avait ses habitudes


« De l’École et de la Roulette
Tu me fais un tableau charmant
Mais pour toi combien je regrette
O Billy ton emmerdement

Tu t’en iras bientôt j’espère
Près des Cocteau près des Romains
Peut-être y verras-tu Royère
Auquel je baise les deux mains

Car c’est un cœur et c’est une âme
et c’est un poète en un mot
Sur son beau front brille une flamme
Dans sa main fleurit un rameau

Mais moi pour l’Hellespont antique
Ne suis pas parti cette fois
Il fait un soleil électrique
Voici venir le plus doux mois »


Il est toujours émouvant, même quand le texte est connu, de découvrir sa première version manuscrite. C’est le cas pour ce poème faisant partie d’un échange épistolaire entre Apollinaire et son ami André Billy (1882-1971) pendant la guerre de 14-18, en mars 1915, dévoilés sauf erreur après plus de cent ans. On note immédiatement l’absence de ponctuation, chère au poète.
Au 6e vers il faut bien lire : près des Cocteau et non près de Cocteau, comme transcrit dans la Correspondance générale, tome 2, 1915, p. 221. Ce n’est pas un détail, nous y reviendrons.

Correspondance en poèmes épistolaires avec celui qui fut, deux ans plus tôt, dédicataire du poème L’Émigrant de Landor Road dans le recueil Alcools.
Billy, en mars 1915, était resté à Paris, où il s’embêtait, alors que Wilhelm de Kostrowitzky à la suite de son engagement volontaire faisait ses classes à Nîmes dans l’artillerie et usait abondamment du papier à lettres du café Tortoni où il avait ses habitudes. André Billy, qui taquinait aussi la muse, était journaliste et dès août 1915 il allait publier dans le Mercure de France une partie de leur « Correspondance poétique », en prenant soin cependant de ne pas écrire les noms en clair. Le numéro en bleu en marge du manuscrit est probablement destiné au Mercure. André Billy avait ainsi commenté cette publication quasi sur le vif : « De jeunes écrivains, arrachés par la guerre à leurs occupations favorites, ont adopté un usage charmant : ils correspondent en vers, ce qui prouve au moins, on en conviendra, un moral de tout repos. /Nous avons sous les yeux un certain nombre de ces épîtres poétiques. Souhaitons que quelqu’un, plus tard, les réunisse toutes. Elles constituent de précieux documents littéraires et psychologiques. ». C’est dire que ces poèmes écrits vite sans aucun doute étaient cependant plus ou moins clairement destinés à une publication. Les auteurs avaient conscience de la valeur de témoignage de ces échanges et soignaient leurs textes. Dès 1923, André Billy publia cette correspondance dans son Apollinaire vivant, avec ses propres poèmes qui éclairent les allusions d’Apollinaire : leurs amis communs, le cévenol Léo Larguier, qui sera blessé en septembre 1915 et siégera plus tard comme Billy à l’Académie Goncourt, le jeune Cocteau, Jules Romains. : des noms qui deviendront célèbres au XXe siècle. Ce poème empreint de nostalgie et de mélancolie est loin de manifester le moindre enthousiasme pour la guerre.

Si l’on y regarde de plus près, il ne manque pas d’ironie. Billy, en attente d’une affectation dans l’administration, encaserné dans une école, se plaint en badinant de son inaction à Paris, meublée par le jeu de la « roulette » qu’on a quelque peine à imaginer. Apollinaire lui oppose son souhait de le voir rejoindre les Cocteau, les Romains, c’est-à-dire tous ceux qui pour une raison ou une autre ne sont pas au front. Cocteau s’engagera plus tard pour être finalement réformé pour raison de santé ; Jules Romains ne fit pas la guerre. Quant à Jean Royère, né en 1871, il n’était pas mobilisable. Sa présence dans l’énumération est curieuse, on peut soupçonner Apollinaire d’avoir cédé à la contrainte de la rime en « ère »…. tout en rendant hommage à un écrivain qu’il admirait. Il s’apprêtait quant à lui à être envoyé dans les Dardanelles, ce qui ne se fit pas.  Entre ces deux vrais amis, l’humour du premier, qui « en rajoute » sur son sort, peut-être pour masquer sa gêne d’être en compagnie des « embusqués » comme l’ironie du second restent sur un mode plaisant. Le 26 avril, Apollinaire écrira à Billy : « Je te le dis, André Billy, que cette guerre/C’est Obus-Roi/Beaucoup plus tragique qu’Ubu mais qui n’est guère/Billy crois-moi/Moins burlesque, ô mon vieux, crois-moi c’est très comique ». L’humour a tourné au noir…

Ces échanges témoignent entre autres de la nécessité pour les soldats éloignés de leur milieu intellectuel et affectif de garder le contact pour supporter la séparation. Si Apollinaire en mars 1915 n’avait pas encore connu le front, il savait déjà que la mort rôdait.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée deux fois, « Des » et « Louis », puis en-tête « Destouches » , à son avocat Thorvald Mikkelsen et à sa femme, Lucette Destouches
Prison de Københavns Fængsler, 22 août 1946, 2 pp. in-4°, papier rose de l’administration pénitentiaire
Annotation typographique “132” en haut de la première page

Longue et bouleversante lettre de prison, entre rage pour sa condition et tendresse pour sa femme


« Mon cher Maître, vous me voyez encore tout navré et repentant de vous avoir si fort indisposé par ma lettre absurde à propos de mon chat Bebert ! Vous metterez [sic] j’espère tout ceci sur le compte de la folie et aussi des heures longues de l’emprisonnement où certaines idées tout à fait grotesques s’emparent de l’esprit et puis de la plume… Quelle idiotie ! À mon âge ! Oubliez je vous en prie cette absurdité. Je demeure, avec raison alors je crois, tout à fait anxieux des suites de votre démarche auprès du Ministère. Quelle suite y ont donné ces messieurs ? Pensent-ils à donner une suite ? Pensent-ils à quelque chose ? Pensent-ils ? C’est de DESCARTES le fameux mot qui domine toute la raison française « Je pense donc je suis ». Ces messieurs sont-ils ? Tout est là. Et bien fidèlement. DL.
Mon petit mimi, tu penses que je ne me fais aucune illusion sur mon degré de solitude. Pardi ! j’en aurais des volumes de « solitude » à raconter. Tu dis que K
[aren] (1) te déteste. Et moi l’Hidalgo [Juan Serra] donc ! Te souviens-tu qu’il n’est venu qu’une fois rue Marsollier [adresse familiale de la famille Destouches] pour m’annoncer que toute ma fortune était confisquée (2). Avec quelle joie ! K[aren] ne l’a capturé et maintenu que par jalousie de moi ! C’est un vieux jeu qui prend toujours. Joins-y l’alcool, la fainéantise et puis l’âge. Mais tout ceci est normal, vétilles amusantes d’habitude on n’approche de tout cela que bien décidé à n’en prendre que ce que l’on trouve agréable. Ne pas dépendre de tout ce sale marécage de chichi fastidieux tout est là. Hélas, centuple idiot criminel que je suis, d’avoir perdu et mon indépendance et perte suprême, ma liberté !M’as-tu jamais vu avec une seule illusion sur le monde les hommes et les femmes – A moins que je ne le décide par agrément ? Tout ce que tu penses je le pense et par 1000 ! L’horreur de la prison fait le reste et je t’assure à fond. Je n’ai plus malheureusement assez d’années, de mois à vivre pour dégueuler tout ce que j’ai avalé en ces mois de rancœur, d’humiliation et de haine – une haine à mort – au-delà de la mort – pour cette effroyable injustice que je prends avec le sourire, que je subis gentiment.  Toutefois vers novembre j’aurai assez ri. Un an cela suffit. Tu suis combien je hais les cafouillages. Je me hais de tant cafouiller. Les élections seront faites en France (3). Si je ne suis pas sorti d’ici, je demanderai à rentrer. Que je reste indéfiniment enfermé à Fresnes ou ici quelle différence ? Encore là-bas on sera forcé de me donner une raison précise. On me jugera, les choses iront dans un sens. Ici rien. Je suis enfermé dans un nuage derrière des barreaux. Tout se contredit se modifie. C’est du joujou de mots sur place. Une seule chose est inflexible – la clef. Notre ami a fait des miracles. Je l’ai encombré de ma triste personne au-delà de toute patience humaine. Il me tarde aussi de le libérer. Je ne souffre pas, mais j’ai honte et je m’ennuie. Je m’ennuie du cafouillage, du balbutiage. Personne ne me dit jamais noir sur blanc pourquoi on me tient bouclé et pour combien de temps. Jusqu’à la prochaine guerre ? Jusqu’à ma mort naturelle ? ou que je demande à rentrer ? Cela plutôt je pense – il faudrait qu’une autre hystérie universelle se déclenche, que ces chiens d’hommes soient absorbés par un autre massacre. Nul autre salut pour moi, pour nous. En attendant pense bien à tes mains à ton physique à ton métier. Ne sois la boniche la cendrillon de personne. Cela à aucun prix. C’est déjà assez de la vie, servante en plus, c’est beaucoup trop. Je surveille tes mains – Mange des friandises – Les ultra-violets sur tout le corps semblent te faire du bien. Il faut une cure tous les 3 mois dans ces pays à soleil pâle. Et de la viande rouge. Ma seule dernière joie et de te voir coquette et fringante. Je hais la détresse, la mienne m’écœure assez. Prend encore 5 ou 6 kilos, au moins. Prend au moins 300 couronnes par mois du compte. Il le faut, de l’élégance – du prestige – des muscles – de la lutte – et de la garcerie – totale comme le disait Lesdain (4)totale. Surveille les journaux, je ne les ai pas encore. Bises à Bebert et à Lucette mignon. Louis »


Traqué, emprisonné, accusé de trahison, Louis-Ferdinand Céline ne comprend pas, s’insurge, se défend, attaque. Entre février et octobre 1946, il est détenu à la prison de l’Ouest de Copenhague (Københavns Fængsler), ne cesse d’écrire, se défend tous azimuts, lit beaucoup et travaille intensément à son prochain roman, la suite de Guignol’s band, Féerie pour une autre fois.

(1) Karen Marie Jensen, danseuse et ancienne maîtresse de Céline qui a placé en 1942 les fonds de l’écrivain sous forme de lingots d’or, dans une banque de Copenhague

(2) Cette mention d’adresse situe le souvenir évoqué entre juin 1939 et février ou mars 1941. Mais on ne sait sur quelles informations pouvait s’appuyer Juan Serrat à cette époque pour annoncer à Céline qu’il était ruiné, à moins qu’il ne s’agisse de l’ouverture de son coffre à la banque Lloyds de Paris par les autorités allemandes le 14 mars 1941.

(3) Les éléctions législatives auront lieu le 10 novembre, d’où le parti communiste sortira encore renforcé.

(4) Jacques de Lesdain, évoqué notamment dans D’un château l’autre (p. 234). Céline fait probablement allusion ici à des propos entendus à Sigmaringen.

A partir du 16 août, le lendemain de son retour en cellule, Céline dispose d’encre pour écrire, et cela jusqu’au bout de novembre. Avec sa nouvelle hospitalisation coïncidera le recours, à nouveau, au crayon à papier.
Il apparaît donc que seules les lettres de prison écrites entre mi-août et fin novembres 1946 l’ont été avec de l’encre.

GAUGUIN, Paul (1848-1903)

Lettre autographe signée « Paul Gauguin » à Daniel de Monfreid
[Tahiti], novembre 1895, 3 p. 1/4 in-4°
Quelques taches, rousseurs, déchirure sur les plis

Foisonnante lettre ouvrant sur son second voyage en Polynésie, le dernier chapitre de sa vie – Gauguin évoque pêle-mêle son installation à Tahiti, sa vie de débauche sexuelle et financière, ses envies de peinture et sa famille, restée en Europe


« Mon cher Daniel
À l’heure où je reçois votre aimable lettre je n’ai pas encore touché un pinceau si ce n’est pour faire un vitrail dans mon atelier. Il m’a fallu rester à Papeete en camp volant, prendre une décision ; finalement me faire construire une grande case tahitienne dans la campagne. Par exemple c’est superbe comme exposition à l’ombre, sur le bord de la route et derrière moi une vue de la montagne épastrouillante. Figurez-vous une grande cage à moineaux grillée de bambous avec toit en chaume de cocotier, divisée en deux parties par les rideaux de mon ancien atelier. Une des deux parties forme chambre à coucher avec très peu de lumière pour avoir de la fraîcheur. L’autre partie a une grande fenêtre en haut pour former atelier. Par terre des nattes et mon ancien tapis persan. Le tout décoré avec étoffes, bibelots et dessins.
Vous voyez que je ne suis pas trop à plaindre pour le moment.
Toutes les nuits des gamines endiablées envahissent mon lit ; j’en avais hier trois pour fonctionner. Je vais cesser cette vie de patachon pour prendre une femme sérieuse à la maison et travailler d’arrache-pied, d’autant plus que je me sens en verve et je crois que je vais faire des travaux meilleurs qu’autrefois.
Mon ancienne femme
[Teha’amana] s’est mariée en mon absence et j’ai été obligé de cocufier son mari, mais elle ne peut habiter avec moi, malgré une fugue de 8 jours qu’elle a faite.
Voilà l’endroit de la médaille ; l’envers est moins rassurant. Comme toujours quand je me sens de l’argent dans la poche et des espérances je dépense sans compter, me fiant à l’avenir et à mon talent, puis j’arrive vite au bout du rouleau. Ma maison payée, il va me rester 900 F et je ne reçois de France aucune nouvelle ce qui me fait un peu peur […]
Au reçu de ma lettre voyez Lévy rue St Lazare 57 et dites-lui que je suis très inquiet et de mon argent et de mes affaires de tableaux
chez lui.
Si vous êtes à Londres, écrivez à Mollard.
On me dira : Pourquoi allez-vous si loin – Mais quand je suis absent tout près comme en Bretagne par exemple c’est la même chose.
[…]
Je vois dans votre lettre que vous avez été dans le midi et que vous vous êtes occupé de divorce. Mais vous ne me dites pas comment cette affaire s’est terminée. Que d’ennuis on se crée fatalement avec le mariage cette stupide institution.
[…]
Voyez ce que j’ai fait du ménage : j’ai filé sans prévenir. Que ma famille se démerde toute seule car s’il n’y a que moi pour l’aider !!!
Je compte bien finir mon existence ici dans ma case parfaitement tranquille. Ah oui, je suis un grand criminel qu’importe. Michel-Ange aussi et je ne suis pas Michel-Ange.
Bien le bonjour à vos amis et à Annette
Tout à vous grandement
Paul Gauguin
J’écris par ce courrier à Schuffenecker »


Du port de Marseille, Gauguin embarque sur L’Australien, un bateau à vapeur, pour arriver à Tahiti le 9 septembre 1895. Déçu par les transformations de la petite ville occupée par toujours plus de colons entre sa dernière installation et la nouvelle, il décide de s’en éloigner de 13 kilomètres pour s’installer au plus près de la nature, à Punaauia. C’est ici que se trouve sa nouvelle case traditionnelle tahitienne, de bambou et feuilles de palmier, construite avec l’aide des locaux, dont il fait ici la description détaillée.
Il évoque aussi, sans la nommer, Teha’amana, une toute jeune fille qu’il a épousée lors de son premier séjour (elle avait alors 13 ans), mais qui pendant l’absence du peintre entre 1893 et 1895 se maria avec un autre homme, Ma’ari. À son arrivée en cet automne 1895, Gauguin lui fait signe, elle redevient sa vahinée.  Les noces ne durent pourtant qu’une semaine, durant laquelle Gauguin se vante d’avoir « cocufié » ledit Ma’ari : « Mon ancienne femme s’est mariée en mon absence et j’ai été obligé de cocufier son mari ».
Le peintre se garde ici de dire que Teha’amana aurait été horrifiée par les plaies syphilitiques recouvrant ses jambes. Elle s’enfuit et retourna chez son Ma’ari.

Dès lors, Gauguin profite plus que jamais des plaisirs de la chair, dépense sans compter et multiplie les aventures avec « des gamines endiablées ».
Le peintre se trouve déjà aux abois financiers à peine deux mois après son installation : « Comme toujours quand je me sens de l’argent dans la poche et des espérances, je dépense sans compter, me fiant à l’avenir et à mon talent, puis j’arrive vite au bout du rouleau ».
Il épouse quelques mois plus tard Pau’Ura pour sortir de cette « vie de patachon pour prendre une femme sérieuse à la maison », ainsi qu’il l’écrit.

Si la première période tahitienne (1891-1893) reflète une découverte de la culture, il s’ouvre avec la seconde sur une nouvelle approche : « je me sens en verve et je crois que je vais faire des travaux meilleurs qu’autrefois ». Gauguin peint un monde mythique où fusionnent les traditions religieuses orientales, occidentales et océaniennes, passées et présentes. Ses tableaux sont les reflets d’un monde auquel il croit, un monde idéal qu’il met en scène. Gauguin se montre enfin très direct avec son correspondant, alors en proie aux affres d’un divorce conflictuel : « Voyez ce que j’ai fait du ménage, j’ai filé sans prévenir. Que ma famille se démerde toute seule car il n’y a que moi pour l’aider !!! ». En dépit des violents propos qu’il tient envers sa famille, il est évident que la pensée de ses enfants n’a jamais quitté Gauguin. La mort prématurée de sa fille préférée, Aline, en 1897, le terrasse de chagrin.

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe à Eugène Delacroix
Nohant, 25 Xbre [décembre] [18]52, 4 pp. grand in-8°

Longue et riche lettre d’une écriture serrée de l’écrivaine à son ami Delacroix au lendemain du coup d’État de Napoléon III – Elle évoque les rixes parisiennes et la possibilité d’une guerre civile, puis fini sa lettre par la demande d’un tableau au maître pour son fils Maurice


« Cher ami, je comptais bien que j’irai vous souhaiter la bonne année à Paris avec Maurice Maurice. Mais au milieu de ces événements, j’ai pensé qu’il valait mieux aller rejoindre Maurice à Nohant, que de l’appeler à Paris. Ce n’est pas que je craignisse pour ma personne à Paris. Je ne suis pas très peureuse, vous le savez, mais, au milieu des éventualités d’une guerre civile, il vaut mieux être chez soi, pour préserver sa responsabilité au milieu des conflits possibles. Je savais bien que les habitants de la Vallée Noire, loin de se révolter, trouverait bon ce qui s’est fait. Mais l’orage pourrait venir de plus loin, et quoi qu’on en dise, les partis ne résonne guère.
Je suis donc revenue ici le 4 décembre, et nous y avons été fort tranquilles, sauf le chagrin d’apprendre les malheurs où se sont jetés les pauvres paysans du midi, prétendus socialistes. Le mot est bien ronflant pour eux, et je veux être pendue s’ils savent ce que cela veut dire. Je crois bien plutôt que loin d’être poussés par des idées ils ne le sont que par des intérêts mal entendus. S’il y a, comme les journaux le disent, des gens assez lâches pour les exciter et pour les abandonner ensuite, cela ne mérite pas de pitié. Mais nous ne voyons pas encore clair dans ses récits, qui n’entend qu’une cloche entend qu’un son. On pourra juger quand on saura. Nous voici donc dans une phase nouvelle, renouvelée du passé comme tout ce que nous faisons depuis longtemps. Espérons qu’on donnera du travail et de l’instruction à ceux qui en manque. Si l’on agit ainsi, les questions de l’avenir ne seront plus nécessairement résolues par des coups de fusil et de canon, triste et inévitable solution du passé et du présent… quel temps d’amertume et de mélancolie pour les pauvres artistes chercheurs d’idéal sur la terre ! Où sont les nymphes et les faunes de la peinture, les bergeries de la littérature par ce temps de émeutes et d’electoris ? Où retrouverons-nous nos paisible divinités ? Aussi faites-vous des monstres terribles foudroyé par l’Apollon vainqueurs.
À propos de peinture, n’oubliez pas, chers amis, que je vous ai demandé les étrennes de Maurice. Envoyez-moi une de vos moindres bribes qui sont des trésors pour nous, et soyez gentils au point de m’envoyer cela par les messageries Nationales, tout emballé, pour le 1er janvier ; à fin qu’il ait sa surprise.
Donnons-nous ses petites joies de famille pour nous consoler des agitations du dehors. Si la belle Lélia que vous avez commencée n’est pas finie, gardez-la-moi pour plus tard, et envoyez-moi un truc, un Lyon, un cheval, une odalisque, ce que vous voudrez, ce que vous aurez de sec dans un coin de vos bahuts. Mais pauvres humble 200 Fr. vous seront porté aussitôt après le 1er janvier, parce que je touche quelque sous Paris à cette époque-là. Ne me dites pas que vous n’en voulez pas. Qu’est-ce que ça vous fait de vendre à moi ou un autre, puisque j’irai le chercher chez votre Marchand de tableau, si vous ne vouliez pas me le vendre directement ?
Comment va votre coffre ? Mon pauvre vieux ? Le miens est fort endommagé, mon foie me fait cruellement souffrir et m’ôte le sommeil. Enfin c’est comme Dieu voudra. Écrivez-moi et penser à mon petit envoi. Je vous enverrai bien Monsieur Leblanc pour vous épargner l’ennui de l’emballage et de l’adresse, mais c’est lui qui a fait une scène tragique ou plutôt comique, à votre cordon de sonnette. C’est un brave digne homme, mais un peu fou, je crois, et j’aime autant, s’il est dans ses frasques, vous en épargner la rencontre. Faites donc faire une petite caisse sous l’œil de Jenny est adressé à Monsieur Édouard Davenat conducteur à Châteauroux pour Madame Sand. Vous enverriez cela aux messageries par votre portier qui retirerai le numéro d’enregistrement, vous le garde riez, en cas de réclamation affaire, si le paquet ne m’arrivait pas. Songé que ce n’est pas un envoi d’allumette, et qu’une chose de vous, mérite ses précautions.
Bonsoir, cher ami, Maurice et Solange, et Lambert, et Monceau vous disent des choses tendres ou respectueuse chacun selon son mérite, et je vous embrasse de cœur »


Après quelques distances prises l’un vis-à-vis de l’autre suite à des divergences politiques, décembre 1851 et le coup d’État de Napoléon III semble rapprocher les deux artistes dans une quête pacifique. L’échec de la Révolution de 1848 marque l’arrêt de l’activité militante de George Sand et l’amorce des désillusions. Le bonheur des peuples est-il une utopie, un idéal inaccessible ? L’avenir lui donne malheureusement raison, elle se contente de s’éloigner de Paris en rentrant à Nohant dès le 4 décembre pour échapper aux éventualités d’une guerre civile. George Sand décide alors toutefois de prendre fait et cause pour les condamnés et prisonniers politiques. Elle entreprend de multiples démarches en leur faveur, au cours des mois de janvier et février 1852. Elle écrit plusieurs lettres à l’Empereur qui finit par lui accorder deux audiences dont la première a lieu le 30 janvier 1852.

CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » à Marianne Oswald
S.l.n.d, 1 p. in-8° oblongue
Trace de pliure centrale

Char doit reporter un rendez-vous


« Impossible de me trouver à l’Isle[-sur-la-Sorgue] avant la fin du mois. Remettons cela en février, plus tard. Ce n’est pas indispensable tout de suite d’ailleurs.
Je te ferai signe à Paris dans qqs [quelques] jours.
Affection
René Char »


Marianne OSWALD (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, était une remarquable diseuse ; elle collabora à ses émissions radiophoniques ou télévisées consacrées à la poésie.

LE CORBUSIER, Charles-Edouard Jeanneret dit (1887-1965)

Lettre autographe signée « Le Corbusier » à Jean Guinand
Vichy le 13 mars 1941, 2 p. in-8°
Manque central de texte sur les deux pages (voir scans), habile réparation

Rare lettre de l’architecte envoyée depuis Vichy


« Mon cher Guinand,
Reçu hier, pour la première fois de vos nouvelles (du 10/3/41)

Je suis ici sur la brèche, faisant l’impossible pour apporter au [……………..] d’effort sur ce qui nous intéresse
Ce n’est pas facile ! Bien des positions sont prises.
Je ne peux encore rien vous préciser.
Je ne sais pas, d’autre part comment plus tard se dispersent les services. Vous savez d’ailleurs ou peut être ne le savez pas que Vichy ne nourrit pas son homme. Vie horriblement chère et (soldes) façon militaire pour qui posent entre eux des problèmes insolubles.
Ceci n’est pas pour vous décourager mais aussi pour ne pas se bercer d’illusion, surtout si comme vous me le faites deviner, vous êtes chargés de famille […]
Je note votre adresse et soyez assuré, qu’à l’occasion je reprendrai le contact pour vos réformes
Bien cordialement
Le Corbusier »


Le Corbusier réside à Vichy et travaille au Queen’s hôtel. Déjà désabusé de ne pas avoir trouvé un travail à la hauteur de sa réputation, il n’a que des missions qui ne le rémunèrent guère. La famille Guinand sont des proches de sa famille et notamment de sa mère. Il ne s’agit ici pas de crèche à proprement parler mais plutôt d’une demande d’un membre de sa famille pour trouver du travail ou proposer des réformes.

VERDI, Giuseppe (1813-1901)

Lettre autographe signée « GVerdi »
Genova, 18 febb. [Février] 1890, 1 p. in-8° sur bifeuillet
Insolations, traces de montage sur le 4ème feuillet, les deux feuillets sont collés

Billet de Verdi au sujet d’une affaire concernant une dame


Traduction de l’italien

« Cela ne vaut vraiment pas la peine, mais puisqu’elle le veut ainsi, que sa volonté soit faite.
Prenez soin de vous et croyez-moi vôtre
De
GVerdi »

Texte original

« Non ne vale proprio la pena… ma poiché Ella così vuole – sia fatta la volontà sua
Si conservi sano e mi creda Suo
Da
GVerdi »


Belle signature

ZOLA, Emile (1840-1902)

Épreuves corrigées de son roman La Bête humaine
Paris, janvier 1890, 45 placards imprimés au recto, soit 38 in-plano, 5 in-folio et 2 in4°.
Parfait état de conservation malgré quelques effrangements à la marge supérieure des premiers placards, quelques piqûres de rousseurs

Précieux jeu complet d’épreuves, abondamment corrigé de la main de Zola, pour l’édition originale de son chef-d’œuvre La Bête humaine


La Bête humaine en gestation

Les placards de ce jeu d’épreuves font état de l’avancée de l’auteur dans l’écriture de son chef-d’œuvre. Emile Zola s’est adonné à une relecture méticuleuse de toutes les lignes, affinant le style, caviardant et corrigeant pour une plus grande justesse de ton et de rythme. Ainsi, le tout est abondamment annoté, à l’exception des placards n°35 à 38. Les corrections les plus importantes se trouvent sur les placards n°2 à 13 et 40, qui correspondent aux chapitres I à IV et XI. Aussi, Georges Charpentier a ajouté des apostilles au crayon sur les vingt-neuf placards et deux mentions indiquant à Zola de désormais respecter la division paginée.

Ces épreuves présentent un état d’avancement intermédiaire entre le manuscrit et le texte publié. En témoignent certains extraits :

– « Roubaud, près de sa femme écoutait, en fixant également sur elle des yeux vacillants. Il y eut une minute de mortelle angoisse » devient « Près de sa femme, Roubaud écoutait, en fixant également sur elle ses gros yeux pâles » puis, dans la version définitive, « Près de sa femme, Roubaud écoutait, en fixant sur elle ses gros yeux vifs ».

– « Seulement, ce matin-là, Roubaud dut reprendre haleine, comme si sa respiration lui manquait, à la suite d’un saisissement inutile. Il hésitait, il chercha avant de se rappeler ce que lui avait dit son collègue » devient « Seulement, ce matin-là, Roubaud, hésitant, dut chercher, avant de se rappeler ce que lui avait dit son collègue ».

Notons également un grand soin accordé à la typographie, preuve d’une relecture méticuleuse et exigeante.

Le placard n°40 comprend un ajout important de dix-sept lignes, dans lesquelles l’auteur naturaliste valse avec le registre lyrique. Amour et mort s’invitent :

« – Dis, mon chéri, pourquoi donc ai-je peur ? Sais-tu, toi, quelque chose qui me menace ? 
– Non, non, sois tranquille, rien ne te menace. 
– C’est que tout mon corps tremble, par moments. Il y a, derrière moi, un continuel danger, que je ne vois pas, mais que je sens bien… Pourquoi donc ai-je peur ? 
– Non, non, n’aie pas peur… Je t’aime, je ne laisserai jamais personne te faire du mal… Vois, comme cela est bon d’être ainsi, l’un dans l’autre ! 
Il y eut un silence délicieux. » 

Le roman

La Bête humaine, dix-septième volet de la saga des Rougon-Macquart, est écrit entre mai 1889 et janvier 1890 et sort en librairie chez Georges Charpentier la première semaine de mars 1890, après une parution en feuilletons dans l’hebdomadaire La Vie populaire du 14 novembre 1889 au 2 mars 1890. Comme Germinal (1885), il cible un aspect de la sphère industrielle et prolétaire de la fin du XIXe siècle.

Dans ce roman judiciaire, les principaux personnages sont des meurtriers. Émile Zola a amalgamé plusieurs faits divers bien réels, dont probablement les crimes de « Jack l’éventreur », brossant une fresque pessimiste, violente et monstrueuse, où l’on se tue pour des motifs aussi divers que la cupidité, la jalousie ou même la folie héréditaire. En menant cette narration et s’interrogeant sur le remords, il inscrit son œuvre dans les discussions contemporaines sur le sens moral et social des crimes. Il a nourri son travail de la lecture de Crime et Châtiment de Dostoïevski (traduction française parue en 1885) et d’ouvrages de criminologie par Cesare Lombroso, Prosper Lucas et Gabriel Tarde. Il en profite pour faire la satire d’une magistrature inféodée au pouvoir par le personnage du juge Denizet. L’erreur judiciaire qu’il commet souligne les limites de la justice rendue par les hommes et l’impossible infaillibilité de toute méthode rationnelle.

Le lectorat est saisi par la rencontre entre tradition et modernité, par l’alliage époustouflant entre archaïsme des instincts et avancée technique. La locomotive prend des traits humains et devient un individu à part entière, jusqu’à la tragique « bête aveugle et sourde qu’on aurait lâchée parmi la mort ».

Enfin, à cette part lyrique s’ajoute une dimension fantastique, ainsi que l’explique Henri Mitterrand : « La Bête humaine survit par ses aspects fantastiques, par l’intensité de ses leitmotive et de ses rythmes, et par la perfection de quelques-unes de ses pages – les dernières, par exemple – où s’harmonisent étonnamment les extravagances de l’action et la modernité baroque du décor ». 

Les reliques littéraires d’Emile Zola sont très rares en mains privées. En effet, selon le vœu du romancier, Alexandrine Zola, son épouse, a placé la quasi-totalité de ses documents manuscrits sous la garde de la nation en 1904. Ainsi, c’est à la BNF que se trouvent les précieux dossiers et un grande partie des épreuves corrigées des Rougon-Macquart et des Trois Villes.

MERMOZ, Jean (1901-1936)

Poème autographe de jeunesse
S.l.n.d, 1 p. in-4°
Fente à la pliure centrale, petites réparations

Beau poème de jeunesse de Jean Mermoz, dont le seul titre anticipe déjà la destinée de l’auteur


« Je suivais lentement le sentier de Ma Vie
Loin du Monde perdu et noyé dans l’Envie
Confiant en mon âme éprise d’Harmonie
Je suivais lentement le sentier de Ma Vie

Mon cœur n’avait pas une souillure de Fange
N’ayant jamais connu la Haine qui démange
Comme un nouveau-né enveloppé de langes
Mon cœur n’avait pas une souillure de Fange

L’Art était mon unique et ardente Volupté
L’Idéal mon But, le Beau mon Dieu athée
Glorifiant la Nature, créatrice Bonté
L’Art était mon unique et ardente Volupté

Je renaissais enfin à la Vie au Printemps
Le Passé s’éteignait dans les cendres du Temps
Les jours d’amertume étaient moins fréquents
Je renaissais enfin à la Vie au Printemps. »


Le poème relate un chemin vers la renaissance de la voix poétique grâce à l’art. Si la première strophe prend des allures rimbaldiennes, la tension entre le spleen – « perdu et noyé », « Le Passé s’éteignait dans les cendres du temps » et l’idéal – deux dernières strophes – n’est pas sans rappeler Baudelaire. On sait l’admiration de Mermoz pour ce dernier.
Ainsi, à l’image du « Balcon » de Baudelaire, Mermoz applique l’antépiphore sur chacune des quatre strophes de « Ciel ».

Enfin, bien que ce poème suive les grandes lignes de la prosodie – quatrains écrits en alexandrins rimés –, on remarque des prises distance avec la tradition : non-alternance entre rimes féminines et masculines, un « e » caduque comme oublié dans le décompte des syllabes aux vers « L’Art était mon unique et ardente volupté » et « Glorifiant la Nature créatrice de beauté ».

CHAR, René (1907-1988)

Poème autographe signé « René Char »
S.l.n.d, 1 p. in-4°
Déchirures aux pliures, déchirure centrale, taches, réparations au scotch au verso

Célèbre et affectueux poème de Char au titre éponyme de son ouvrage Élisabeth, petite fille, paru en 1958


« J’ai vu tes yeux bleus de vingts [sic] jours
Donner un frisson clair aux feuilles
De l’ormeau qui ferme le parc
Où bientôt tu trottineras.

J’ai vu ton père se grandir
En t’élevant sur sa poitrine,
Et ta mère se définir
En baisant tes joues d’algue douce.

Dans le berceau conciliant
Où tu rougis petite aurore,
Élisabeth, je te découvre
Comme la rose des sous-bois.

Et je suis heureux de cela,(1)
Moi, qui marche sous la pluie fine.

_René char

(1) variante : Je suis heureux de cela »


Elisabeth doit être la fille de l’écrivain et essayiste Jacques Dupin. René Char le remarqua dès ses débuts et le rencontra en 1947. Sa fille Elisabeth naquit en 1954 date à laquelle fut écrit ce poème. Ainsi, ces deux quatrains suivis d’un distique inspirent tendresse et renouveau.

L’édition original fut à limitée à 75 exemplaires. Plaquette minuscule in-32 (89 x 80 mm). Brochée.

HUGO, Victor (1802-1885)

Brouillon de poème autographe pour Les Nouveaux Châtiments
S.l.n.d [Guernesey, 1859], 1 p. in-8 carrée (140 x 145 cm)
19 vers très engagés, biffés d’une croix, Victor Hugo a porté le titre « Copeaux » au verso
Petites corrosions d’encre

Précieux brouillon d’un poème à charge à l’encontre de Napoléon III, paru dans Les Nouveaux Châtiments


« Tu n’échapperas point. Fais ce que tu voudras.
Fais-toi, dans le prétoire et dans la sacristie.
Chanter un Te Deum en guise d’amnistie
Par Troplong courtisane et Sibour courtisan
Chache-toi sous les Oui du pauvre paysan
Qui ne sait que le soc, la bêche et la faucille.
Qu’importe O traître ! à bout portant mon livre te fusille !
La vérité sinistre ouvre son feu roulant ;
L’histoire montre ton nom noir, plus croulant, plus sanglant.
Plus hideux, plus criblé que le mur de Grenelle ;
Nous mettons devant toi le siège, va, crénélé
Ton empire caverne, ô l’empereur bandit !
Ferme ta forteresse et reprends toi, c’est dit,
Nous l’allons écraser de nos vers projectiles.
Fais en d’abord sortir les bouches inutiles,
Veuillot, Jacquot, Nisard, tous ces bavard mangeurs.
Si chétifs que ton vers dans ses ongles vengeurs
Prend à regret leurs noms, strophe, et que tu les lâches.
Trouvant les uns trop vils et les autres trop lâches ! »


Après la première édition des Châtiments, parue à Genève, New York et dans une version expurgée à Bruxelles en 1853, Victor Hugo rédige ce poème à Guernesey en 1859. Il s’adresse ouvertement à Napoléon III. Le poème est publié pour la première fois à Paris en 1910, dans l’édition posthume dite « de l’imprimerie nationale », réalisée par Ollendorff.

L’aspect du poème sur ce copeau, est presque celui d’une mise au net. Victor Hugo l’a déposé sur le papier d’une graphie plus appliquée que celle de ses brouillons de travail. Le texte comporte toutefois quelques corrections, moins d’une dizaine de biffures. Il est cependant plus court que la version définitive, ne comptant en effet que dix-neuf vers contre vingt-huit. Les neuf vers supplémentaires seront intercalés entre le premier et le deuxième vers de cette version. Ce poème présente par ailleurs des variantes significatives par rapport à l’édition publiée. Ainsi, le mot « prétoire » est utilisé à la place de « Sénat » dans :
« Fais-toi, dans le prétoire et dans la sacristie. 
Chanter un Te Deum en guise d’amnistie »

Certains vers seront aussi rabotés, comme « Qu’importe O traître ! à bout portant mon livre te fusille » et « L’histoire montre ton nom noir, plus croulant, plus sanglant », où disparaîtra « Qu’importe » et où « L’histoire montre… » sera remplacés par « Qu’il s’enferme dans son fort ».

TOURGUENIEV, Ivan (1818-1883)

Lettre autographe signée « Y. Tourguenieff » à la princesse Troubetzkoy
Courtavenel, 24 août 1857, 1 p. in-8°

Rare lettre du grand romancier russe au sujet des préparatifs d’un mariage


« Chère princesse, je vous prierai d’avoir la complaisance de nous fixer, à [Louis] Viardot et à moi, le jour où vous nous permettrez de venir à Bellefontaine. – C’est Viardot qui m’a dit de vous faire cette demande car pour moi, je serais arrivé sans crier gare. – Il m’a demandé en même temps, s’il pouvait venir en redingote -(son habit étant resté à Paris).
J’ai cru pouvoir lui dire que la redingote ne vous effaroucherait pas. – Nous voici donc attendant un mot de vous, – seulement ; nous ne pourrions pas venir le 1 le 2 ou le 3 septembre – car [Afanassi] Feth (le poète) se marie le 2 à Parus et je suis son garçon de noce.
Voici mon adresse au château de Courtavenel, près de Rozay en Brie, Seine et Marne.
Je dis mille choses à tous les votres et vous prie de croire à mon entier dévouement.
Y. Tourguénieff »


Tourgueniev emménage près de Paris dans le château de Courtavenel, propriété des Viardot, où réside le compositeur Charles Gounod, auteur de l’opéra Faust. Il y fréquente George Sand. Le romancier se voit contraint de quitter la France à l’appel de Nicolas 1er exigeant le retour de tous les russes expatrié. Il sera retenu en Russie pendant la guerre de Crimée jusqu’en 1856. Cette lettre est donc écrite à son retour de Russie, soit un an après la fin de la guerre.

 

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Lettre autographe signée « Edmond de Goncourt » à Charles-Philippe de Chennevières-Pointel
S.l, 5 février [18]87, 1/2 p. in-8° avec enveloppe autographe oblitérée
Taches éparses, trace de pliure centrale

Edmond de Goncourt remercie son correspondant de l’avoir cité, ainsi que son frère Jules, dans un ouvrage tout récemment paru


« Cher ami,
Je vous remercie du fond du cœur de la gentillesse et de l’amitié des paroles avec lesquelles vous parlez des deux frères dans vous souvenirs et regrette vivement que les paresses de la vieillesse creusent des séparations entre des gens faits par leur goût d’art et peut-être aussi par leur réactionnarisme, faits pour vivre un peu coude à coude.
Mes amitiés
Edmond de Goncourt »


Edmond de Goncourt fait vraisemblablement ici référence à l’ouvrage de Charles-Philippe de Chennevières-Pointel  Souvenirs d’un directeur des beaux-arts, Paris, éd. L’Artiste, 1883-1889

GONCOURT (de), Jules (1830-1870)

Lettre autographe signée « J. de Goncourt » à une dame
Château de St Gratien, 29 juillet [18]68, 1 p. in-8°
Déchirure en marge centrale du deuxième feuillet, sans manque et sans atteinte au texte

Rare lettre d’affection de Jules de Goncourt pour le mariage de la fille de l’une de ses connaissances


« Madame,
Nous sommes bien sensibles au témoignage d’affection que vous nous donnez en nous envoyant, comme à des amis de la famille, la bonne nouvelle du mariage de votre fille. L’amitié sincère et pleine d’estime d’action que nous avions tous deux pour Mademoiselle Claire, ce qu’elle nous semblait mériter de la vie, font que nous la félicitons de cœur sur une si convenable union et un bonheur dont elle était si digne. Et ne craignez pas, que dans cette séparation et cet isolement ou la dernière fille qui part laisse le foyer maternel, nous oublions la mère.
Nous avons trouvé la carte de votre fils en touchant à Paris ; dont nous sommes partis depuis une quinzaine de jours, mais ou nous espérons le revoir dans une semaine.
Ce serait pourtant bien gentil de serrer la main de M. d dans cette grande et bonne journée.
Nous sommes toujours, Madame, dévoués à vous et aux vôtres de souvenirs et de pensée.
J. de Goncourt »


Jules de Goncourt est un écrivain français, à l’origine de l’académie Goncourt, qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre est écrite à quatre mains avec son frère, Edmond de Goncourt. Leurs ouvrages appartiennent au courant du naturalisme.

NERVAL (de), Gérard (1808-1855)

Lettre autographe signée « Gérard de Nerval » à Pierre Bocage
[Paris], « ce mardi » [19 octobre 1852], 1 p. in-8°, adresse autographe au verso avec oblitération postale
Petites déchirures anciennement réparées au ruban adhésif, tout petit manque en marge inférieure gauche sans atteinte au texte

Fidèle en amitié, Nerval tente de proposer les services de son ami l’acteur Pierre Bocage à Arsène Houssaye, alors directeur de la Comédie Française


« Mon cher Bocage,
J’ai enfin mis la main sur Houssaye ; il m’a paru fort irrésolu. Je ne crois pas que sa lettre soit une défaite, mais il craint les autres. Il m’a demandé quels rôles vous pourriez jouer qui ne soient pas tenus. Je lui ai parlé du Tartuffe, du Misanthrope, du Père de famille, d’une foule d’autres, tenus il est vrai, mais où vous pouvez vous produire à votre tour, ainsi que des pièces nouvelles. Je n’ai pu obtenir une réponse précise mais il me semble que la cause n’est pas perdue si vous vous y prenez bien. Voyez-le chez lui, Je lui parlerai encore de tout ça et de la nécessité d’avoir le dernier des grands acteurs, dont la génération semble s’éteindre
Votre bien affectionné.
Gérard de Nerval »


Pierre Bocage (1799-1862) est un des grands acteurs de la période romantique. Il devient ensuite directeur du théâtre de l’Odéon où il fait jouer Le Chariot d’enfant de Nerval et Joseph Méry, en mai 1850. Quelques semaines après la création de la pièce, Bocage est relevé de ses fonctions de directeur pour des raisons politiques. Désœuvré, celui qui fut jadis brillant interprète dans Le Tartuffe et Le Misanthrope se met à errer de théâtre en théâtre. On voit ici que Nerval, fidèle en amitié, propose les services de Bocage à Arsène Houssaye, qui dirige la Comédie-Française (Théâtre-Français) depuis 1849. Houssaye ne donnera cependant aucune suite à cette aimable intervention.

[CAMUS] CHAR, René (1907-1988)

Lettre autographe signée « René Char » à Marianne Oswald
S.l, 15 mars, 2 p. in-8°
Traces de pliures, déchirure centrale et marginales sans manque

Émouvante lettre de René Char évoquant, entre autres, le souvenir de son ami Albert Camus à l’occasion d’une lecture de ses poèmes


« Bien sûr, j’écrirai demain à Oliver une lettre dans le sens que tu me demandes. Je n’ai jamais envisagé autre chose qu’un motif de cet ordre là.
C’est d’accord pour ton projet de soirée à Cologne en ce qui concerne la lecture de mes poèmes, dédiés à l’amitié d’Albert Camus (“Feuillets d’Hypnos” lui était dédié). Tu feras cela très bien, je n’en doute pas. Il faut surtout y parler d’Albert et du terrible vide que sa disparition a creusé. C’est à l’amitié qu’incombe de fleurir ce vide. La seule réserve concerne le film. Je ne puis répondre à la place d’Yvonne Zervos, car nous n’avons plus reparlé de ce film depuis beaucoup d’ans, elle est moi.
Un dernier mot à propos “du choc grave” que tu me dis avoir reçu. Les effets et la cause sont disproportionnés et excessifs. Il faut accepter de se tromper, d’agir parfois de façon erroné, de n’en plus parler, ou de le reconnaître, enfin. Ce n’est ni humiliant, ni affreux. Et bien des traces, des peines n’arriveraient pas – outre les malentendus – si l’on ne s’acharnait pas même par un orgueil mal placé dans son infaillibilité. La guerre m’a appris cela.
Je suppose que si madame [Florence] Delay et sa fille n’ont pas assisté à ta projection c’est tout simplement parce qu’elles étaient absentes de Paris. Rien qui doive te laisser “perplexe” comme tu écris.
Au revoir, mon petit, je t’embrasse sans rancune aucune.
René Char »


René Char et Albert Camus ont entretenu une profonde amitié, sceau ultime de ces deux parcours croisés au sortir de la guerre avec leurs ressemblances et différences.

En 1946, lecteur chez Gallimard, Camus fait publier les Feuillets d’Hypnos de Char – aphorismes aux semblants poétiques relatant l’expérience du maquis. En 1947, Char lit à son tour Camus, et qualifie de « très grand livre » La Peste. Le poète écrit que « les enfants vont pouvoir à nouveau grandir, les chimères respirer », le romancier lui répond qu’il est « le seul poète aujourd’hui qui ait osé défendre la beauté, le dire explicitement, prouver qu’on peut se battre pour elle en même temps que pour le pain de tous les jours ». Les deux auteurs, qui se sont déjà rapprochés, acquièrent une grande notoriété.

En 1949, ils échangent sur l’amour, se livrent à quelques confidences plus intimes. Peu à peu, le tout glisse vers un véritable partage spirituel et moral. L’admiration est réciproque : Camus lui écrit en 1956 qu’« Avant de [le] connaître, [il se] passai[t] de poésie » ; Char loue son talent dans Le Figaro en 1957, après que son ami a obtenu le prix Nobel de littérature. S’ensuit une dense correspondance épistolaire, qui prend fin la veille de la mort de Camus, le 4 janvier 1960. Dans notre lettre, Char évoque le « terrible vide » qu’il ressent après la triste fin de son ami dans un accident de voiture.

Marianne OSWALD (1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, était une remarquable diseuse ; elle collabora à ses émissions radiophoniques ou télévisées consacrées à la poésie.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Le pauvre Jacob » à un ami
S.l.n.d (après 1941), 1/2 p. in-4°
Trace de pliure centrale

Belle lettre au sujet de Paul Petit 


« Cher ami,
J’ai donc écrit à [Paul] Claudel pour lui amener l’aventure de Paul [Petit] et aussi lui parler de mon beau frère [Lucien Lévy]. Je reçois une lettre de Mme Paul qui me dit que Claudel n’est pas bien en court. Il est bien possible qu’il ne soit pas bien en court mais il est certain aussi qu’il a des partisans et des amis puissants n’importe ou. De sorte que la lettre ne restera pas inutile.
Amitiés
Le pauvre Jacob »


La lettre peut être datée après le 12 décembre 1941 date de l’arrestation de Lucien Lévy et pour Paul Petit.

SIGNAC, Paul (1863-1935)

Lettre autographe signée « P.S. » à Henry van de Velde
S.l.n.d (c. 1911-1912), 1 p. 1/2 in -8° à en-tête de la Société des artistes indépendants
Traces de pliures, légères froissures, encre très légèrement décolorée en marge inférieure, toutes petites taches d’encre en marge supérieure

Émouvante lettre de Signac au sujet du décès de sa mère


« Oui, mon cher Henry, je serai bien heureux de te revoir.
Viens donc dîner un de ces soirs, à ton gré, en nous en avisant. Si Erica et Ivo, peuvent d’accompagner, ce sera très bien.
On causera un peu ; on se voit si rarement !
Et tu es un de ceux que j’aime bien mon cher Henry.
Depuis la mort de ma chère mère, j’ai reporté sur ceux qui, comme elle, ne me font jamais tant que du bien, tout l’affection que j’avais par elle : et ta part est grande, car ils sont rares, ceux là !
Bien affectueusement.
P.S »


Cette émouvante missive est adressée à l’architecte belge d’Henry van de Velde (1863-1957), dont Signac était très proche. Van de Velde avait notamment réalisé des aménagements dans la maison du peintre.

Héloïse Anaïs Eugénie Deudon (1842-1911) s’était mariée avec Jules Jean Baptiste Signac (1839-1880). Paul fut leur enfant unique.

 

BILLAUD-VARENNE, Jacques-Nicolas (1756-1819)

Lettre autographe signée « Billaud-Varenne » à ses collègues
Sainte-Ménehould, 16 septembre 1792, 3 p. 1/2 in-4° à en-tête de La Municipalité de Paris
Traces de pliures, réparation marginales, petite annotation d’une autre main sur le quatrième feuillet

Lettre historique aux tons de fanatisme de Billaud-Varenne à propos de la marche des armées républicaines, deux jours avant la cruciale bataille de Valmy, ayant eu pour conséquence directe l’abolition de la royauté


« Un petit accident arrivé hier, mes chers collègues, aussitôt que la lettre que je vous ai écrite a été partie, et que mal rendy, serait capable de répandre l’alarme et la consternation, m’oblige de vous écrire aujourd’hui ; pour vous instruire de la vérité et démentir tous les récits mensonger qu’on pourra faire. Vous saurez que dans notre retraite au camp de damartin, à 2 heures de Ste Menehoult, l’arrière garde de notre armée a été assez vigoureusement chargée mais le corps de l’armée s’était rendu au camps en bon ordre et était même déjà campé. Tout à coup des malveillants répandant l’allarme ont en annoncant que l’arrière garde a été entièrement raillée en pièces, et les ennemis marchant en force tombaient déjà sur le corps de l’armée ; et que tout était perdu. Les conducteurs des Barges en prenant les premiers l’épouvante, ont accru la terreur que cette nouvelle a répandue ; et dans un instant la confusion a été telle que cinq cent hommes auraient pu facilement mettre en déroute toute l’armée. Cependant le général est accouru au devant d’elle. Il a trouvé sa cavalerie dans le meilleur ordre, à savoir les fuyards se sont ralliés : Les bagages arrêtés, et la confusion dissipées. Tel sont les faits dans toute leur pureté. Le camps est réformé : Les fuyards éloignés arrêtés ; et il faut croire que cette leçon sera suffisante pour electriser et ne jamais leur permettre d’oublier qu’ils ont une tache d’infamie à laver dans le sang de l’ennemi. Suivant toutes les apparences les trois armées de MM. Dumouriez, Kelermann et Beurnonville vont se joindre demain. Aussitôt elle marcheront sur Châlons, cette place-ci n’étant pas tenable. Là avec des forces imposantes, nous ne craindrons plus l’ennemi ; et si pour nous éviter, il prenait la direction du côté de Reims ; alors il vous trouverait en tête ; et nous tombant sur ses derriere il n’en réchapperait pas un.
Faites donc vos dispositions en conséquence. Pressez les travaux du camps de Paris. Demandez à grands cris la masse des troupes de ligne qui se trouvent perdues dans les départements du midi. Hâtez autant que possible la marche des convois vers les points de réunion de nos troupes, et vous conserverez ce calme et cette énergie qui vous ont obtenu la victoire devant la Bastille et le château des Tuileries. Les hommes du dix aoust ne fuiront pas devant les prussiens ils ont trop envie de se mesurer avec eux. Adieu mes chers collegues, je pars pour le camp de Damartin où je compte retrouver des hommes dignes encore de la confiance de la nation.
Billaud Varenne »


Quatre jours avant cette lettre, l’armée de Brunswick (74000 hommes) franchit les défilés d’Argonne. Billaud-Varenne commence d’abord par évoquer la retraite de Châlons et la confusion jetée par des melveillants qui ont failli mettre l’armée en déroute. Les soldats ont donc « une tache d’infamie à laver dans le sang de l’ennemi ». Il évoque ensuite les armées de Dumouriez, Kelermann et Beurnonville, dont les deux premières seront décisives pour la bataille de Valmy deux jours plus tard. Avec une grande défiance envers l’ennemi, le conventionnel demande à grand cris le ralliement de toutes les troupes républicaines jusqu’à celles se trouvant « perdues dans les départements du midi ».
Billaud-Varenne fait partie des 24 commissaires désignés par la commune de Paris, après les 30 nommés par le conseil exécutif provisoire ; il partait en mission avec un passeport de la commune et une commission du conseil exécutif.

La bataille de Valmy, que cette lettre laisse entrevoir, est remporté par les troupes françaises de Dumouriez et Kellerman (44000 hommes) sur les armées prussiennes de Brunswick. Des volontaires de la garde nationale ont participé au combat aux côtés des soldats professionnels de l’armée royale. Prise à revers, l’armée de Brunswick bat en retraite et retrouve ses positions de départ le 23 octobre.
Le lendemain, une première réunion de la Convention nationale proclame l’abolition de la royauté et le Conseil exécutif constitué après le 10 août (chute de la monarchie après la prise des Tuileries) est maintenu.

Après le 10 août 1792, Billaud-Varenne est membre de la Commune de Paris. Nommé substitut du procureur Pierre Louis Manuel, il est témoin des massacres de septembre 1792, pendant lesquels il semble encourager les tueurs. Il se rend peu de temps après à Châlons avec le titre de commissaire de la Commune de Paris pour y surveiller les généraux suspects.

 

NERVAL (de), Gérard (1808-1855)

Lettre autographe signée « Gérard de Nerval » à Arsène Houssaye
[S.l], Mars 1850, 1/2 p. in-8 sur bifeuillet, adresse autographe au verso
Petites taches, traces de pliures

Nerval demande des places de théâtre à son ami Houssaye


« Mon cher Houssaye,
Voulez vous ou pouvez vous ce soir me faire donner ou donnez places stalles de dames ou une petite loge selon les prévisions de la recette.
Votre affectionné
Gérard de Nerval »


Arsène Houssaye (1814-1896) était un ami de longue date de Nerval. En 1849, il avait été nommé administrateur général de la Comédie-Française.

Belle signature complète de son nom d’écrivain

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à Laure de Cottens
Paris, 27 décembre 1832, 4 pp. in-4°
Déchirure en marge inférieure sans manque

Superbe et longue lettre de Chateaubriand, au ton désabusé, évoquant ses Mémoires d’outre-tombe et la publication de son Mémoire sur la captivité de la Duchesse de Berry


« Vous avez bien voulu, Madame, vous intéresser à mon voyage en France. Voici ce qui m’est arrivé. J’ai presque toujours été malade ; un excès de travail m’a donné une fièvre de nerfs ; je suis encore, en vous écrivant, mangé par des sangsues qui me serrent le cou. Malgré toutes ces misères, mon ouvrage est achevé ; il paraîtra samedi [29 décembre 1832]. Je n’en espère rien pour la prisonnière [Marie Caroline de Bourbon-Siciles, duchesse de Berry], mais je remplis un devoir à mes risques et périls sans m’embarrasser du reste. On dit qu’on n’arrêtera cette fois, ni ma personne, ni mon écrit. Peu m’importe. Je ne les aime, ni ne les estime, ni ne les crains.
J’ai été vivement contrarié, Madame, par le malheureux accident : J’espérais bien travailler en paix à mes mémoires et ne revoir jamais une patrie qui n’en est plus une pour moi. Désormais, je ne pourrai guères quitter de nouveau la France avant le retour de la belle saison. M[a]d[am]e de Chateaubriand n’est pas assez bien portante pour se mettre en route au milieu de l’hyver. Nos regrets et nos espérances, Madame, en partant de Genève, et en y retournant, sont toujours de vous quitter et de vous retrouver. Agréez, Madame je vous prie, avec tous mes souhaits de bonne année, mes respectueux hommages. Je me recommande au souvenir de votre charmante famille et de nos amis communs.
Chateaubriand
Vous savez, madame, que je n’ai pu communiquer avec la prisonnière et qu’on ne lui a pas fait passer mes lettres. Il en est de même pour tout le monde. Ceux qui ont dit que Madame avait agréé l’offre de leur service se sont trop avancés. Madame n’a écrit ni pu faire écrire à personne. »


L’aventureuse Duchesse de Berry : Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, fille du roi des Deux-Siciles François I er Xavier et de Marie-Clémentine d’Autriche, épousa en 1816 le duc de Berry Charles-Ferdinand (assassiné par le bonapartiste Louvel en 1820), fils de Charles X, dont elle eut un fils, Henri d’Artois (Henri V). Exilée à la révolution de Juillet (1830), elle revint en France en avril 1832 et tenta sans succès de soulever le peuple en Provence, en Vendée et en Bretagne, dans le but d’une restauration légitimiste : arrêtée à Nantes en novembre 1832, elle fut enfermée à Blaye, et libérée seulement en 1833.

Chateaubriand, une des personnalités saillantes du légitimisme : bien que sollicité personnellement par la duchesse de Berry, il réprouva d’abord la folle équipée de celle-ci, mais il fut arrêté sur simple soupçon de participation au complot et retenu prisonnier du 16 au 30 juin 1832. Après la capture de la duchesse, il s’activa néanmoins pour lui venir en aide, publiant à la fin de décembre 1832 (imprimé à la date de 1833) un retentissant Mémoire sur la captivité de Madame la duchesse de Berry, dont il est ici en partie question, qui lui valut à son tour un procès. Il en sort acquitté le 27 février.

Amie de Chateaubriand, Laure de Cottens, avait failli épouser son cousin éloigné Benjamin Constant. Elle habitait Lausanne et était la fille de la femme de lettres suisse Constance Constant d’Hermenches, dont le père avait été général au service de France et qui fut liée d’amitié avec les Lameth, la duchesse de Biron, madame de Genlis, ou encore le général de Montesquiou. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand évoque brièvement madame de Cottens, « femme affectueuse, spirituelle et infortunée »

HUGO, Victor (1802-1885)

Copeaux autographes au dos d’un bulletin d’adhésion à une société progressiste anglaise « The Social progress association » (Association pour le progrès social)
S.l.n.d [Guernesey, 1870], deux bandes in-4° déchirées (fragments)
Petits trous de corrosion d’encre

Environ 25 vers jetés sur 2 bandes de papier (10 x 21,5 et 10 x 33 cm)

Précieux brouillon pour le poème satirique Un Président, rédigé pendant les derniers mois de l’exil


« Est-ce ma faute à moi s’il s’appelle Brunet ?
Jadis…
On a un président et un Brunet ad hoc »

C’est au début de 1870, dernière année de son exil, que Victor Hugo rédigea ce poème violement satirique destiné à ridiculiser le Président Brunet, de la 6e chambre qui avait condamné son fils Charles pour délit de presse. Ce président avait un homonyme, au théâtre, spécialisé dans les rôles de Jocrisse. Le poème, féroce, joue de cette confusion. Il commence par la phrase : « Est-ce ma faute à moi s’il s’appelait brunet », la première figurant dans la partie supérieure gauche de ce copeau est la seule conservée dans la forme originale.
Puis, suivent deux parties : la première, faite d’allusions aux rôles du comédien Brunet :

« Brunet jadis était un pître. Il rayonnait
Au-dessus des humains à force de bêtise. »

La seconde, supposant une métamorphose du comédien en juge, en décrit le métier sur le même mode ironique :

« Maintenant il attend les soufflets de l’histoire.
Son tréteau paraît noble auprès de son prétoire »

Victor Hugo a tourné autour de ces vers assassins, cherchant des formules imagées, dont il a porté les premières ébauches sur un bulletin d’adhésion à une société anglaise pour le progrès social. Par exemple, au recto de ce bulletin, on retrouve un vers original, non conservé dans sa forme et ponctué d’un point d’interrogation :

« Un éblouissement sortait de sa bêtise/ ? »
En bas de l’autre copeau on déchiffre aussi le vers « On a un président et un Brunet ad hoc » qui survivra sous la forme « on est Brunet : on rend des sentences ad hoc »

Enfin, le support, c’est-à-dire le bulletin de l’association présente un intérêt. Il servait au recrutement de militants, visiblement des « plumes », pour défendre le progrès social. Un des articles précise (en anglais) :

« Admission de la société – Tous ceux qui reçoivent ce prospectus, sans distinction de sexe, et n’importe où dans le monde, qu’ils soient déjà puissants dans le monde des lettres, ou simplement armés d’une aspiration isolée peuvent être élus membres et sont invités à faire part de leur candidature au secrétaire… » On peut imaginer que Hugo a reçu ce genre de prospectus pendant son séjour à Guernesey.

BRAQUE, Georges (1882-1963)

Lettre autographe signée « Georges Braque », à Daniel Wallard
S.l, le 19 février 19[44], 4 p. in-12°
Rajout de la date d’une autre main, quelques petites taches

Braque souhaite se remettre au travail et à sa peinture après une lourde opération


« Mon cher Wallard,
Moi non plus je ne vous oublie pas, mais j’ai été retranché de la vie pendant un bon mois. J’ai subit une opération pas grave certes mais qui m’a valu un mois de lit. Les choses ce sont très bien passées et je suis tout heureux de me sentir libéré d’une infirmité qui m’obsédait depuis 5 ans. Je vais maintenant me remettre au travail, j’en ai le violent désir.
J’avais bien reçu votre lettre ou vous me parliez de la nouvelle sur Pierre [Seghers], mais comme vous le voyez je n’ai pu donner suite à votre désir. Envoyez moi les L.F. que j’attends avec un désir attendri en pensant à ce jeune héros.
Nous avons bien reçu lard et beurre : Ça tombe à pic ! Merci.
Dernière minute –  recevons 3e colis lard, ici le beurre manque totalement.

Encore merci de la part de ma femme.
Mille bonnes amitiés pour vous et votre femme.
G. Braque »


A l’écriture de cette lettre, Braque venait de subir une opération pour un double ulcère à l’estomac (Picasso viendra le voir chaque jour).
D’abord réfugié dans le Limousin, puis dans les Pyrénées, le couple Braque est revenu à Paris où il a passé la totalité de la guerre dans l’atelier construit par Auguste Perret, rue du Douanier. Les dernières années du peintre, qui vont de la presque fin de guerre jusqu’au soir de sa mort sont les plus brillantes de sa carrière, selon John Golding.

[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « G.S. » à Eugène Delacroix
[Nohant, 13 août 1843], 4 p. in-8°, adresse autographe sur le quatrième feuillet
Bris de cachet

Extraordinaire lettre, comme Sand n’en a que très rarement écrite, aux confidences les plus sombres et témoignant de son indéfectible admiration pour son ami Delacroix


« Cher bon vieux, Je vois que vous avez fait un assez ennuyeux voyage et une arrivée plus ennuyeuse encore. Mais vous allez vous plonger dans le travail, faire ­­­des choses superbes, avoir un coup de feu magnifique ; un instant de satisfaction légitime en regardant le réussi vous fera oublier les semaines et les mois de fatigue et de contrariété.
C’est nous qui devrions nous plaindre, nous qui menons une petite vie si monotone, si bourgeoise, et qui nous regardons tout ébahis de notre bêtise quand vous nous quittez. Et puis nous attendons un an pour recommencer avec vous quelques jours d’entrain et de joie. Cependant nous portons notre joug avec la patience de nos bœufs, Chopin avec sa santé souffreteuse et résignée, Maurice avec son caractère d’enfant au maillot, moi avec ma montagne de pierres qui à force de peser sur moi est devenue adhérente à mon individu. Ce n’est pas une grande force d’esprit qui me soutient comme vous le croyez. C’est une grande lassitude de toutes les satisfactions personnelles qui paraissent si grandes tant qu’on est jeune et qu’on les poursuit, et puis qui semblent si peu de chose quand on ne les espère plus et qu’on a plus de force de courir après. Bref, je n’existe plus, je vous l’ai dit. Il y a trois ans bien comptés que je suis morte, m’étant suicidée volontairement pour m’empêcher de mourir et ne pas trainer une ridicule agonie. Mon idéal n’est plus dans ma vie réelle. Il est dans un autre monde, dans un autre siècle, dans une autre humanité, ou je suis certaine de me réveiller un jour après le salutaire repos de la mort. En attendant, je fais des romans, parce que c’est une manière de vivre hors de moi. Ce parti pris de ne rien vouloir et de ne rien chercher pour moi, je suis devenue indulgente pour beaucoup de choses et la vie ne me parait plus si enivrante, ni amère. Vous conseillerai-je de vous annihiler comme moi ? Non, je m’en garderai bien. Puisque tant de choses vous paraissent encore émouvantes, pénibles, insupportables, c’est que d’autres choses vous apparaissent encore désirables et délicieuses. Il n’y a pas à dire, on ne sent vivement la douleur que parce qu’on sent vivement la joie. Vous êtes donc plus jeune que moi de dix ans, et je ne vous en plains pas trop. Vous avez encore les bénéfices de votre labeur, les consommations de vos souffrances. Vous travaillez dans l’amertume et dans l’ivresse. Excusez du peu.
Allons, travaillez ferme, voilà du beau temps. Je vois dans les journaux que les travaux de la Chambre doivent être finis pour la prochaine session. Vous allez en abattre et du bon. J’espère que cet hiver, vous me permettre d’y mettre le nez. J’ai reçu vos cigares qui sont délicieux et votre briquet qui enfonce les miens. Je vous remercie de votre bon souvenir, et de la peine que vous avez prise d’aller vous casser le nez chez Miss Solange, qui a eu beaucoup de regret de ne pas vous voir. Adieu, chez bon ami, soignez-vous selon la méthode Papet le plus possible, que nous vous retrouvions comme nous vous avons laissé.
Nous vous embrassons tendrement tous les trois, et Polite vous dit mille bêtises et amitiés de cœur.
G.S. »


La confession de ce mal-être peut nous ramener à l’ethos de l’écrivain romantique, qui ressort ici plus que jamais. En effet, des formules telles que « je n’existe plus », « je suis morte », « suicidée volontairement », « le salutaire repos de la mort », « ne rien vouloir » révèlent des sentiments typiques du mal du siècle, thème du romantisme de la première vague qui anticipe le spleen. Ainsi, même si Sand est née en 1804, rien ne l’empêche de se projeter sous l’Ancien Régime et de clamer que « [S]on idéal n’est plus dans [s]a vie réelle. Il est dans un autre monde, un autre siècle ». Car la Révolution n’est pas que la victoire du peuple, mais aussi celle du matérialisme, qui dépossède de toute spiritualité. Il n’est donc pas étonnant de trouver une mention explicite du suicide, un leitmotiv romantique qui n’est pas sans rappeler la longue confession de René, personnage éponyme de Chateaubriand : « J’avais voulu quitter la terre avant l’ordre du Tout-Puissant ; c’était un grand crime ».

Une affectueuse amitié s’est installée entre la romancière et le peintre. Débutée en 1834, elle ne prendra fin qu’à la mort de Delacroix, en 1863. Ils échangèrent l’une des plus belles correspondances du XIXe siècle.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Epreuves corrigées de Bonheur par Paul Verlaine, enrichies d’une lettre autographe signée au sujet du recueil
[Léon VANIER] Paris, Léon Vanier, 1891, in-12, plein maroquin marron, dos à cinq nerfs tirés or, filets intérieurs, reliure postérieure (Canape, 1912), dos légèrement frotté
La couverture est titrée à l’aquarelle et porte les mentions du tirage
Une liste des œuvres poétiques de Verlaine à l’encre verte figure en regard de la page de titre.
Abondantes corrections autographes et indications pour l’imprimeur de la main de Verlaine.

Epreuves complètes et corrigées de la main de Verlaine pour son recueil Bonheur et enrichies d’une longue lettre autographe signée de ce dernier


La genèse de Bonheur nous est connue. L’idée en précède de beaucoup l’exécution, en effet, la notice des Hommes d’aujourd’hui rédigée dès le 20 novembre 1885 et à lui-même consacrée, Verlaine annonçait déjà le recueil et son intention de donner ainsi un « tryptique » catholique dont Sagesse et Amour forment les deux premiers volets.

Verlaine envoie dès le 23 mai 1887 cinq premiers poème à son éditeur Vanier : L’incroyable, l’unique horreur…, La vie est…, Après la chose faite…, Et, déjà très…. (qui deviendra la pièce VI : Puis, déjà très anciens), L’adultère, celui du moins

Constitué au total de trente-deux poèmes, le titre même du futur recueil, en 1890, n’est pas arrêté. Entre Bonheur et Espoir le poète hésite encore ; on ne peut douter toutefois qu’il tînt à Bonheur, et que ce soit sous ce titre que l’œuvre lui soit d’abord apparue, comme en témoignent les dernières lignes de Pauvre Lélian, dans les Poètes Maudits de 1888 : « Il écrit et va ou veut, ce qui est la même chose, vivre Beatitubo ».
Le manuscrit est porté à l’imprimeur Capiomont dès la fin janvier 1891. S’en suivent les épreuves corrigées que nous présentons ici, toujours adressées à Capiomont et reçues par ce dernier les 27 et 28 février 1891. Le recueil parait vraisemblablement fin avril ou début mai de la même année.

Nous joignons une longue lettre autographe signée de Paul Verlaine à son éditeur Léon Vanier du 23 janvier 1891 au sujet de la publication de Bonheur :

« Mon cher Vanier,
J’écris, en même temps qu’à vous, à [Albert] Savine.
Je lui dis, parmi les choses toutes particulières entre lui et moi (je retranscrits)
« Quant à Bonheur, parlons peu et parlons bien – et surtout franc.
« Voilà longtemps que complet,
« Ce livre aussi volumineux que
Sagesse, Maintenant, Vanier
« m’en offre 500 francs, tel qu’il est
« et vous voudriez le voir grossir,
« grossir sans cesse, oubliant que la
« quantité n’a
« jamais rien prouvé, surtout dans
« un volume de vers sérieux, des
« vers avec quoi on peut se permettre
« aussi bien, parlant généralement,
« des artifices typographiques, etc.
« et d’ailleurs, je le répète, Sagesse
« qui compte demeure
[un]
« livre important dans mes
« œuvres en contient pas plus de
« ‘matière’ que Bonheur tel
« que vous l’avez, 1400 et des
« veuillez, je vous en supplie
« m’écrire à propos de ce
« Bonheur là ? Que je sache sur
« quel pied véritablement
« danser…

C’est catégorique. Si pas de réponse, voici mon plan. D’abord consulter légistes. Envoyer manuscrit où il y a deux seules choses que je n’ais pas, pas les meilleurs, mais j’y viendrai ?
Puis publier avec un autre titre : Espoir
[…]
Je compte actuellement 640 vers à ajouter à vos 690, ce qui nous fait 1330 vers, plus deux choses en train presque finies, ce qui dépassera 1400.
J’ai tout recopié à votre usage, sauf une pièce facile à retrouver dans le n° de noël 1889 du Chat Noir, commençant par « La neige à travers la brume »
[…]
Je vais donc attendre la réponse de Savine et dès reçue, [vous] aurez mot mien. S’il tarde trop, [je] vous ferai signe et [nous] agirons de concert.
Voilà, je crois, bien parler. […]
Je n’ai rien reçu que 10 exemplaires de Sagesse et de Parallèlement […]
Quoi encore ? Ah, quand imprimons-nous Jadis et Naguère ou la Bonne Chanse [chanson] ? – à propos aussi, n’était-ce pas convenu que ce serait dorénavant 250 frs ? Expliquez-moi donc tout ça. Ça dépend, je pense du nombre d’exemplaires tirés, mais j’estime qu’il y va de notre intérêt commun de tirer plus que moins, au grand et franc jour ! Car, farceur ! mes livres se vendent bien, et que ce serait gentil qu’ils me procurent enfin une petite rente tout en faisant votre phortune à vous, non d’un chien !
Et tout à vous en N.D de la galtouze !
Verlaine
hop ! [hôpital] St Antoine
51 salle Bichot
Mettez donc un peu d’ordre dans mes autographes et paperasses reliées chez vous.
Procurez-moi donc au plus tôt – fables de La Fontaine.
Psyché et Amphitryon. »

 

SAINT-SAENS, Camille (1835-1921)

Lettre autographe signée « C. Saint S » [à Louis Gallet]
S.l, 5 février, 2 p. in-4 sur papier quadrillé
Petite tache sans atteinte au texte

Très belle lettre de Saint-Saëns au sujet de la rédaction de son opéra Ascanio et enrichie d’un poème dont il est tiré – Le compositeur termine sa lettre en évoquant Don César de Bazan de Jules Massenet et l’orne d’un dessin original en couleur représentant une fleur d’Afrique


« À l’ombre des noires tours
Dans le jardin plein de roses
Là-bas passent nos amours !
Espérances, fleurs écloses
D’un rayon de ses beaux yeux

Parfumez mon cœur joyeux !

Proche est l’heure désirée
O ma Colombe adorée
Et mon âme est préparée
À tous les combats pour te conquérir,
L’amour ne peut plus grandir ni mourir !

D’un rayon de ses beaux yeux
Emplissez mon cœur joyeux
Espérance, fleurs écloses !
À l’ombre des noires tours
Là-bas passent nos amours
Dans le jardin plein de roses !…

Voilà l’état actuel de la question, si « Parfumez » vous déplaît, si vous trouvez l’inversion de la dernière strophe trop décadente, je remettrai tout à l’état primitif, rien n’est plus facile.
Ordonnez, j’obéirai.
Ce morceau ne m’a pas amusé à faire. Il n’y a pas à dire ce monsieur qui vient jaboter sur la rampe pendant que les autres personnages se fourrent les doigts dans le nez pour se donner une contenance c’est vieux jeu, tout à fait vieux jeu, ça fait une tache dans l’acte.
J’ai rétabli « Pagolo, fais ta prière ».
Cela passe vite et fait très bien. Le tout était de ne pas s’étaler dessus.
J’ai vu hier « Don César de Bazan ». C’est très amusant : je ne comprends pas comment on avait réussi à le rendre ennuyeux quand on l’a mis en opéra-comique […]
Admirez cet échantillon de la flore africaine.

C. Saint S »


Composé en l’espace de quatorze mois, de septembre 1887 à novembre 1888, Ascanio comporte cinq actes et sept tableaux. Le livret est dû à la plume de Louis Gallet (cette lettre lui est très certainement adressée) qui avait déjà collaboré avec le musicien pour trois de ses œuvres scéniques (La Princesse jaune, Etienne Marcel et Proserpine) ; il se base sur un drame de Paul Meurice datant de 1852, Benvenuto Cellini, lui-même inspiré d’Ascanio, un roman d’Alexandre Dumas père rédigé en 1843, qui avait pour source les Mémoires de Benvenuto Cellini, publiées pour la première fois en français en 1822.

Le poème dont il est ici question est tiré de l’acte II, tableau III, scène I.

VIGNY (de), Alfred (1797-1863)

Poème autographe signé « Alfred »
S.l.n.d, 1 p. in-folio
Quelques taches et rousseurs

Amusant poème de jeunesse à base de calembours


« Romance du Roman de la Rose

Le vin dame le Pion
au plus vigoureux champion
il trébuche, il trébuche
sous sa cruche
Mais toi, buche,
très-buche
dis moi ce qui détruit l’us
l’us de la dive bouteille,
bulle de frère Bacchus
et du pape Philocus ?
Qui dame l’us de la treille ?
alors que bien malgré nous
nous nous mettons à genoux
et que notre oreille écoute
un te-deum laudamus ?
J’aime mieux quoi qu’il m’en coûte
t’aider, homme : l’eau dame us
ouf !!!!!
Alfred »


Badinage poétique, conclu d’un plaisant « ouf », probablement écrit dans un moment de sociabilité intime, comme le suggèrent les mentions de l’époque d’une autre main portées au verso, soit un quatrain et un quintil écrits sur le même modèle cocasse à base de calembour.

PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Poème dactylographié signé « Jacques » et orné d’un dessin original représentant une fleur
Antibes, 8 mars 1956, 3 p. in-4°, enveloppe oblitérée jointe
Traces de pliures

Long et joli poème intitulé Paysage, à l’attention de son ami peintre Pierre Charbonnier


Pierre Chabonnier
est maître chez lui
libre d’ouvrir la fenêtre
sur les apparences réelles
les folles filles de la vie
et de laisser la porte ouverte
pour les amis de la peinture
et de ses mille et une figures

Le pinceau comme une rame a caressé les eaux
et les eaux se forment derrière le pinceau
Aux aguets le silence attend un vacarme nouveau

[…]

sur les murs des centrales électriques
sur les édifices du labeur
la lumière se promène nue

Le soleil
sur les quais de halage sur les gares de triage
sur les mines
sur les usines
fait son travail
comme le marinier et l’eau vive
comme la morte eau et le marteau
comme le sable et le sableur
comme le diamant et le mineur
comme le plaisir et la douleur

Toiles de Charbonnier
ardents et calmes paysages
couleur de sang secret
couleur de chair et d’eau
de joie de vivre séquestrée
et de rêves volés aux enfants

Toiles de Charbonnier
où jamais ne transparaît
en filigrane en faux trompe-l’œil
ou en véritable trompe-peinture
l’écriteau des néo-précurseurs :
Prenez garde à la nature.

Jacques Prévert

« Jacques à Pierre

Soleil d’Antibes mars 1656 »


Poète familier des arts dramatiques, Jacques Prévert est connu pour son style qui fait rimer poésie et jeux langagiers : calembours, sonorités, néologismes…

Grand ami de Prévert, le peintre Pierre Charbonnier (1897-1978) se voit dédié par le poète son poème « Paysage » en mars 1956, à Antibes, qui reprend le mode des vers libres sans schéma de rimes apparent, avec un soin apporté aux sonorités. Le poème est construit sur le mode de l’ekphrasis, offrant une création tant littéraire que picturale.

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

Lettre autographe signée « Charles Baudelaire » à Alphonse de Calonne
[Paris], 23 février [18]64, 1 p. in-8° sur papier bleu avec timbre à sec « BATH » au coin supérieur droit
Adresse autographe au verso, signée « C.B. »
Petite réparation ancienne au scotch sur le bris de cachet, sans atteinte au texte

Baudelaire demande à Alphonse de Calonne de lui retourner les manuscrits de trois sonnets et annonce l’envoi prochain de poèmes en prose, qui formeront Le Spleen de Paris


« Cher Monsieur,
Avez-vous publié trois sonnets de moi, Le Tasse en prison, Le gouffre, Bien loin d’ici, que je vous ai remis, il y a quelques temps ?
Si cela n’a pas été publié, vous me rendriez très heureux en les retrouvant et en les remettant au porteur. Il y en a un particulièrement (Le Tasse) que je cherche en vain dans ma mémoire.
J’aurais prochainement  trois feuilles au moins à vous  donner ; un lourd travail, je vous assure, mais dont je suis assez content.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l’assurance de mes parfaits sentiments.

Charles Baudelaire. » 


« Sur Le Tasse en prison d’Eugène Delacroix » fut composé en 1844 (d’après une note d’Albert de La Fizelière, premier biographe du poète, en marge supérieure du manuscrit et dont il est le détenteur à cette époque). À la fin de 1863, Baudelaire en fait envoyer une copie par La Fizelière sous forme de lettre à Alphonse de Calonne de la Revue contemporaine, mais ce dernier ne le publiera jamais. La veille de notre lettre, le 22 février, Baudelaire demande à La Fizelière de lui adresser autre une copie car le poète voulait en parallèle le faire publier par Albert de Collignon dans la Revue nouvelle, cette fois-ci avec plus de succès car la parution aura lieu le 1er mars suivant. On retrouve le même sonnet, plus tard, dans les Epaves, section ajoutée aux Fleurs du Mal en 1866.
Dans ces vers, Baudelaire semble faire état de sa propre déchéance physique et mentale, s’incarnant dans le Torquato Tasso dans l’asile de fous (1839), peinture de Delacroix dont il est ici question. Ce sonnet nous prouve de plus la profonde admiration (unilatérale) du poète pour le peintre en 1843-1844.

« Le Gouffre » est d’abord publié dans la revue L’Artiste, le 1er mars, puis dans La Revue nouvelle, exactement deux ans après, et enfin dans Le Parnasse contemporain, le 31 mars 1866. La voix du poète y prend conscience de la mort, générant des situations angoissantes voire névrotiques.

« Bien loin d’ici » est publié dans La Revue nouvelle puis dans Le Parnasse contemporain aux mêmes dates que « Le Gouffre », mais également une semaine auparavant dans une autre revue, le 23 février. Cela suggère que Baudelaire démarchait beaucoup. Dans ce poème, il reprend des topoï des Fleurs du Mal tels que l’exotisme et la femme sensuelle.

En ce qui concerne le « lourd travail […] dont [Baudelaire est] assez content », il s’agit selon toute vraisemblance des Petits Poèmes en prose, recueil aussi connu sous le titre du Spleen de Paris (1857-1864). Quand on connaît l’acharnement perpétuel du poète pour atteindre la perfection, un tel propos peut sembler paradoxal.

Alphonse de Calonne, fondateur et directeur de La Revue contemporaine, ne publiera jamais les trois sonnets mentionnés par Baudelaire. Ils figurent dans l’édition posthume des Fleurs du Mal de 1868 par Michel Levy, section « Spleen et idéal », sous les numéros CI, CII et XCIX – d’après l’ordre de mention dans notre lettre.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Prince’s gate SW [Londres], 26 novembre [1881], 5 p. in-8 sur papier de deuil
Numérotation d’une autre main en marge supérieure sur deux feuillets, trace de mouillure

Exceptionnelle et magnifique lettre de l’impératrice Eugénie, faisant le récit émouvant de son retour à Paris après le désastre de 1870, l’exil et les deuils – Les ombres d’un passé glorieux jalonnent le mélancolique voyage, se mêlant à l’inconsolable mémoire, à la tragédie d’un présent sans avenir


« Ma chère Madame Bartholoni,
Je vous remercie de votre lettre du 15(1). Je ne puis pas vous parler d’une date qui aujourd’hui ne peut plus que réveiller de douloureux souvenirs.
Mon passage par Paris a été pour moi triste mais il m’a procuré l’occasion de revoir quelques personnes que leur état de santé empêche de venir me voir.
J’ai aussi visité Fontainebleau(2), Les Invalides, Notre-Dame, St-Cloud et N.D. des victoires, recherchant partout la trace d’un souvenir.
J’ai passé aussi devant les Tuileries. J’ai vu les fenêtres de la chambre où mon fils est né !! et après un séjour de deux jours auprès de ma nièce de Mouchy, je suis repartie pour l’Angleterre(3).
Je n’ai voulu voir personne en dehors de ceux que j’étais venue voir et je n’ai prévenu pas même ceux-là qui ont été surpris de me voir arriver.
Le Figaro dit aujourd’hui que cédant à la nostalgie de Paris, je vais rentrer bourgeoisement dans cette ville(4). Je n’ai et ne puis avoir d’autre nostalgie que celle de cette patrie inconnue où l’on réjouit ceux qu’on a aimés. Jamais je ne consentirai à rentrer bourgeoisement là où les cendres des miens sont proscrites.
Si d’autres Princes de vieille race oublient ce qu’ils sont pour pouvoir jouir des plaisirs de Paris, je considère notre illustration trop récente pour en avoir perdu la mémoire et la dignité. La veuve de Napoléon III reste et restera près de ceux qui sont morts en exil.
Si l’auteur de l’article me connaissait, elle n’aurait jamais donné cette nouvelle, fort peu intéressante, du reste, pour tout le monde, car je dois être oubliée à présent, même dans la ville que j’ai tant habitée et tant aimée.
Mes souvenirs aux enfants et croyez à mes sentiments affectueux.
Eugénie »


A la mi-octobre 1881, ne représentant plus désormais un danger pour le régime républicain, dont l’assise s’était considérablement renforcée après la mort tragique du Prince impérial, le 1er juin 1879, l’impératrice Eugénie sollicita du Gouvernement l’autorisation de revenir à Paris. Un désir prégnant de retrouver l’empreinte de ce passé prestigieux et rayonnant, mais également les silhouettes fantomatiques des êtres et des lieux qui lui ont été chers, inspira cette démarche. Le chagrin, les émotions puissantes et violentes devaient l’y accompagner.

Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, l’un des ornements de la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell (1833-1910), elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), qui fut député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement dans les années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.

[1] La Sainte Eugénie était célébrée le 15 novembre. Sous l’Empire, à l’occasion de cet évènement, de grandes réjouissances étaient organisées.

[2] L’Impératrice fit une brève visite à Fontainebleau, le mardi 25 octobre 1881. La presse s’en était fait discrètement l’écho. Le Gaulois du 28 octobre 1881 fit paraitre un bref récit de la visite d’Eugénie au château : « Sa Majesté était accompagné de M. le vicomte et de Mme la vicomtesse Aguado et de M. Rainbeaux. Les appartements lui ont été montrés par un des agents de service. Bien qu’ayant conservé son grand air de distinction et dé bonté, l’Impératrice est très changée ; ses cheveux sont entièrement blancs. Elle continue à porter des vêtements de grand deuil, comme elle n’a cessé de le faire depuis la mort de l’Empereur. L’auguste visiteuse n’a pu vaincre son émotion lorsqu’elle est arrivée à l’appartement – un des plus modestes du palais – jadis occupé par le Prince impérial ».

[3] L’impératrice quitta Boulogne-sur-Mer le mercredi 2 novembre au soir et s’embarqua sur le bateau de Folkestone (Le Gaulois du 4 novembre 1881).

[4] Le Figaro, daté du même jour (le 26 novembre 1881), publiait sous une signature énigmatique : « Etincelle », l’article suivant : « L’impératrice Eugénie aurait l’intention de venir s’établir ici en simple bourgeoise. L’impératrice a la nostalgie de notre Paris, de ce Paris qui aimait son fils ; et il lui paraît qu’on y peut pleurer moins amèrement, puisque du moins on y peut serrer la main de ses amis, en parlant du passé avec eux ».

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Lettre autographe signée « Guy de Maupassant » à un monsieur
S.l.n.d [Cannes, après 1885], 1 p. in-12 à son chiffre, en-tête du Bel-Ami

Maupassant donne rendez-vous à son correspondant


« Cher Monsieur,
J’arrive de Paris et, j’y retourne demain, voila pourquoi je n’ai pas encore été vous voir.
Dès mon retour je choisirai un jour sombre pour être sûr de vous trouver. Dites mille amitiés à votre confrère Hayrignies, et croyez à mes sentiments très affectueux.
Guy de Maupassant »


Ne cachant pas son aversion pour la société et doté d’une santé fragile, Maupassant fait une croisière sur son yacht privé, nommé « Bel-Ami », d’après son roman de 1885. Cette croisière, où il passe par Cannes, Saint-Raphaël et Saint-Tropez lui inspire Sur l’eau. Il y retrace son périple dans La Vie errante.

DALÍ, Salvador (1904-1989)

Lettre autographe signée deux fois « Dalí » à un ami
S.l.n.d, 1 p. in-4°

Belle lettre de vœux de l’artiste, ornée d’un dessin original


Dans son habituel français phonétique, il écrit :

« Cher Ami,
Je sabe de satisfaction de tout ce que vous avez fait pour moi et j’espere au moi de novembre realisse pratiquement tous vos suhaits.
Vos embrasse
Dali »


La lettre est enrichie d’un dessin original, également signé, représentant une silhouette.

PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Poème autographe signé « Jacques Prévert » et orné d’un petit dessin représentant un chat
[Antibes, 1956], 1 p. in-plano à l’encre noire
Annotation typographiques au crayon, traces de pliures, infimes déchirures en marge supérieures et inférieures

Très bel hommage sous forme de poème à son ami Pierre Charbonnier


« La couleur de la lumière
et celle de l’obscurité
sont deux sœurs
jumelles de la même clarté
Le brouillard sans la splendeur
du souvenir ensoleillé
ne serait qu’un faux aveugle
avec un chœur de fausse fidélité
Tout cela Pierre Charbonnier le sait
Un mur
Une peinture sur ce mur
éclaire la maison
Dans sa simplicité singulière
son apparente réalité
la rivière
dans le cadre comme dans l’écluse
garde sa fraîcheur première
Et comme au pied du mur
on peut voir le maçon
on peut voir en peinture
le peintre sur ce mur
Pierre Charbonnier qui regarde
la rivière
et ses écluses de fer
avec tendresse détresse et amitié
avec ardente lucidité
Jacques Prévert »


Poète familier des arts dramatiques, Jacques Prévert est connu pour son style qui fait rimer poésie et jeux langagiers : calembours, sonorités, néologismes…

Grand ami de Prévert, le peintre Pierre Charbonnier (1897-1978) se voit dédié par le poète son poème « Paysage » en mars 1956, à Antibes, qui reprend le mode des vers libres sans schéma de rimes apparent, avec un soin apporté aux sonorités. Les deux poèmes se rapprochent en ce qu’ils sont construits sur le mode de l’ekphrasis, offrant une création tant littéraire que picturale. Dans notre poème, cette invitation à contempler est d’autant plus remarquable par le jeu sur l’homophonie de cœur et « chœur », comme pour faire de chaque lecteur la voix portée pour comprendre et dire les tableaux respects. Par moments, les descriptions matérielles se mêlent de notions abstraites, telles que la « tendresse », l’« amitié », la « lucidité », amenant ainsi le lecteur à retrouver ses propres sentiments au fil du texte. Aussi, les jeux de langue sont nombreux, dont le plus remarquable est peut-être cette association sur le mode d’une paronomase quasi oxymorique, « tendresse détresse », nous rappelant qu’il s’agit bien là de la plume de Prévert.

NÉMIROVSKY, Irène (1903-1942)

Carte autographe signée « Irène Némirovsky » à Robert Chauvelot
Paris, 30 mai 1933, 2 p. petit in-8° oblong
Petites taches sans atteinte au texte

Rare et tendre invitation inédite de la romancière


« Cher Monsieur,
Votre aimable lettre me touche beaucoup, je serais également très heureuse de vous avoir et de connaître Mme Chauvelot. Voulez-vous me faire le grand plaisir de venir chez moi samedi, (le 3 juin) prendre une tasse de thé, dans l’intimité, à la manière russe ? [elle rajoute la même fin de phrase en alphabet cyrillique] По русскому обычаю ?
Croyez-moi, Monsieur, très sincèrement votre
Irène Némirovsky »


Auteur russe d’expression française, Irène Némirovsky née à Kiev en 1903 et meurt en 1942 à Auschwitz. Elle remporte un important succès dans la France des années 1930 mais est oubliée après la Seconde Guerre mondiale, elle est le seul écrivain à qui le prix Renaudot est décerné à titre posthume, en 2004, pour son roman inachevé Suite française.

Robert Chauvelot (1879-1937) est un avocat, journaliste, explorateur et membre du Conseil supérieur des Colonies. Il devient en 1913 le mari d’Edmée Daudet, fille d’Alphonse Daudet.

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Manuscrit autographe (fragments), accompagné d’une lettre autographe signée adressée à sa dactylographe pour La Longue Marche – Essai sur la Chine
[Paris, 1956] 15 pages in-4° sur papier quadrillé, 2 enveloppes autographes oblitérées

Quelques-uns des derniers feuillets subsistants pour son essai La Longue Marche – Essai sur la Chine, récit du voyage officiel qu’elle fait avec Jean-Paul Sartre en Chine, du 6 septembre au 6 octobre 1955
Certains passages sont barrés entièrement d’une croix ; on relève par ailleurs de petites corrections


On distingue trois parties dans ces fragments manuscrits :

Le premier fragment porte en tête : « 2 à 5 septembre 55 », et est paginé 25 à 30 (avec un bis). Il correspond aux « Préliminaires » et s’ouvre par des observations des voyageurs dans la salle d’attente d’Orly, bien habillés jusqu’à la caricature, à destination de Boston, contrastant avec d’autres voyageurs, sobrement vêtus, qui s’envoleront en « expédition officielle » pour Moscou…
Simone de Beauvoir prend des notes sur les Soviétiques, les Hongrois et les Tchèques à l’aérodrome de Moscou, et sur un Sud-Africain, également invité officiel du gouvernement chinois avec qui le couple de philosophes s’entretient. Ce récit de voyage est enrichi d’aperçus du paysage, rappelant la présence occidentale en Mongolie depuis le XVIIe siècle (savants, moines, aventuriers, etc.)
« Comme Paris est loin ! Derrière moi le temps et l’espace se sont si bien embrouillés, le système de nos besoins – faim, soif, sommeil – et de toute ma vie a été si radicalement lissé qu’il me semble non avoir fait un voyage mais terminé un rite de passage, long, fatigant, et qui m’a jetée insensiblement ailleurs. J’écoute l’aimable discours qu’on nous adresse en chinois et qu’un interprète traduit. Les porteurs de hautes fleurs écarlates, la moiteur de l’air, la forte odeur végétale qui monte de la terre me suffoque. […] Jusqu’ici quand je pensais à la Chine, je pensais à une histoire, une civilisation, un régime […] mais la Chine n’est pas
une entité politique ; je devine avec joie, qu’elle a un ciel, ses couleurs, ses arbres, une chair »

Le 16 décembre 1956, elle envoie un second fragment paginé 476, 486 bis. Il correspond au chapitre V, « La culture » :
« Sous les Mandchous, la décadence du monde féodal se réflète dans la littérature ; elle commença à s’évader des règles formelles ; des genres nouveaux se développèrent. Le roman devint autre chose qu’un divertissement […] Le Rêve de la chambre rouge entre autres est caractéristique de cette période »

Le 18 décembre 1956, elle envoie un dernier fragment paginé 757, 781 et 782. Il correspond au chapitre VIII « Villes de Chine » :
« Elle fut la capitale des Song dont le règne coïncida avec le plus beau moment de la civilisation chinoise, et on la considère comme l’Athènes de la Chine. […] Les maisons ne ressemblent pas à celles de Pékin. Au lieu de se cacher derrière des murs, elles exhibent des façades de deux à trois étages, garnies de fenêtres »


En septembre-octobre 1955, Simone de Beauvoir est une invitée officielle du gouvernement chinois, comme beaucoup d’autres écrivains européens. Elle s’y rend avec Sartre. À son retour, elle souhaite raconter son expérience dans ce pays qui vient d’achever sa révolution. L’essai paraît chez Gallimard en avril 1957. Le manuscrit a, quant à lui, disparu, du moins de notre portée. Il s’agit donc ici des derniers feuillets subsistants de l’œuvre. Les enveloppes confirment sans surprise qu’elle y travaillait en 1956. Sylvie Le Bon de Beauvoir, fille adoptive de l’écrivaine, note que l’ensemble appartient à une version antérieure à la définitive, car sa mère a supprimé la quasi-totalité des feuillets numérotés de 25 à 30, modifiant profondément ses « Préliminaires ».

ARTAUD, Antonin (1896-1948)

Lettre autographe signée « Antonin Artaud » à Jeanne Toulouse
Ivry-sur-Seine, 1er février 1848, 2 p. in-8vo avec enveloppe autographe oblitérée

L’une des dernières lettres d’Artaud évoquant Van Gogh le suicidé de la société


« Chère Jeanne Toulouse et amie
J’étais venu venu [sic] vous voir il y a un mois dans une détresse sans nom.
Je compte passer chez vous un jour très prochain vous apporter un exemplaire de mon Van Gogh
Voulez vous avoir l’obligeance de m’adresser un mot 23 rue de la mairie à Ivry sur Seine pour m’indiquer quel jour je pourrai passer vous voir
dans l’attente de ce petit mot je vous prie de me croire cordialement et affectueusement vôtre
Antonin Artaud
23 rue de la mairie
Ivry sur seine »


Trente ans avant cette lettre, sur les conseils du docteur Dardel, Antoine Roi Artaud, père de l’écrivain, entre en contact avec Edouard Toulouse, psychiatre alors directeur de l’asile de Villejuif. Ce dernier accueille Artaud à son propre domicile et « compr[end], en [le] voyant qu’il [a] devant lui un être tout à fait exceptionnel, de cette race qui donne des Baudelaire, des Nerval, des Nietzsche. », d’après les mots de Jeanne Toulouse, épouse d’Edouard Toulouse, dont Artaud a d’ailleurs réalisé un portrait.

Cette missive est écrite un mois avant la mort d’Artaud, alors ravagé par la toxicomanie. Sa graphie nerveuse et la ponctuation parfois approximative témoignent des atteintes physiques et psychologiques des drogues.

Le « Van Gogh » qu’Artaud mentionne est son essai poétique Van Gogh, le suicidé de la société (1947), paru à l’occasion d’une exposition dédiée au peintre, récompensé par le prix Sainte-Beuve le mois suivant. Plus qu’un portrait du Hollandais époustouflant de fougue et de violence, nous pouvons lire dans cette prose une projection d’Artaud lui-même. En effet, pour grossir les traits, il prend le parti de la folie comme construction sociale destinée à exclure qui s’en prend aux institutions. Ainsi y dit-il que « la société a fait étrangler dans ses asiles tous ceux dont elle a voulu se débarrasser ou se défendre, comme ayant refusé de se rendre complices de certaines hautes saletés. » Van Gogh, Artaud sous couvert du peintre, mais aussi Nerval, Nietzsche, Sade – tout trois mentionnés dans l’essai – partagent l’ethos du supplicié livré à la psychiatrie.

Il émane de cet essai que la création peut être perçue comme un pacte faustien, dans lequel « [l’artiste] n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour se sortir en fait de l’enfer. » L’enfer de l’addiction, l’enfer de la psychiatrie instituée dont Artaud sort par l’écriture et van Gogh par la peinture.

HUGO, Victor (1802-1885)

Notes autographes
[Paris, 1883], sur une enveloppe in-8, à lui adressée
Déchirure au recto avec manque sans atteinte à l’adresse, petite tache

Émouvantes notes autographes du grand homme au verso d’une enveloppe avec sa légendaire adresse postale


Notes autographes pour comptes : blanchisserie, sortie au théâtre, comptes avec Maris, mobilier, Old Bank Guernesey etc.
A entête des éditeurs Hetzel qui lui était adressée (“Monsieur Victor Hugo, 130 avenue Victor Hugo, Paris”), avec cachet postal du 18 novembre 1883

Victor Hugo a vécu les dernières années de sa vie dans un hôtel de l’ancienne avenue d’Eylau qui, fut baptisé avenue Victor-Hugo en 1881, au n°502 (aujourd’hui n°124). On lui adressait donc parfois son courrier ainsi libellé : “À monsieur Victor Hugo, En son avenue, à Paris”

[BAUDELAIRE] FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Jules Sandeau
Croisset, 26 janvier [1862], 2 p. in-8 sur papier vergé bleu
Traces de pliures, quelques frottements

Flaubert ironise sur la candidature de Baudelaire à l’Académie française


« J’ai une singulière requête à vous faire, mon cher ami.
Voici l’histoire :
J’ai reçu hier une lettre de Baudelaire m’invitant à solliciter votre voix pour sa candidature à l’Académie.
Or, comme je trouve insolent de vous donner, en cette matière, un conseil, je vous prie de lui donner votre voix, si vous ne l’avez pas déjà promise à quelqu’un.
Le candidat m’engage à vous dire « ce que je pense de lui ». Vous devez connaître ses œuvres. Quant à moi, certainement, si j’étais de l’honorable assemblée, j’aimerais à le voir assis entre Villemain et Nisard ! Quel beau tableau !
Faites cela ! Nommez-le ! Ce sera beau. Il paraît que Sainte-Beuve y tient.
Je ne sais rien de toutes ces choses dans mon petit trou, étant acharné à la fin de Carthage [Salammbô], qui aura lieu dans deux ou trois semaines ; après quoi j’irai vous serrer les deux mains.
C’est ce que je fais à distance, en vous priant de me déposer aux pieds de Mme Sandeau et de me croire, mon cher Maître, tout à vous. 
Gus Flaubert »


Le 11 décembre 1861, Charles Baudelaire, qui a alors publié neuf ouvrages, présente sa candidature à l’Académie française. A cette époque, sa réputation littéraire est loin d’être mauvaise : Victor Hugo et Théophile Gautier reconnaissent son talent poétique et la pertinence de ses critiques, et les foudres qu’il s’est attirées suite au procès des Fleurs du Mal (1857) attestent d’un certain succès. C’est dans un tel contexte qu’il écrit à sa mère le 25 juillet 1861 que, selon lui, intégrer l’Académie française est le « seul honneur qu’un vrai homme de lettres puisse solliciter sans rougir ». Car le goût de la provocation du poète n’est pas méconnu, nombre de ses pairs s’interrogent sur le sérieux de sa démarche. En effet, on n’ignore guère son aversion pour l’entre-soi bourgeois, pas « en tant que représentant d’une classe sociale, mais en tant que représentant d’un mode de vie », selon Hugo Friedrich. Ce dernier ajoute que « Cela vaut aussi pour Flaubert », qui « devient aux côtés de Baudelaire le plus grand ennemi de la bourgeoisie (…) c’est une souffrance devant le manque d’esprit des hommes absolument dépourvus d’inquiétude intérieure. » Or, l’Académie française est par excellence un cénacle de bourgeois peu ouvert à la singularité – nul besoin de préciser que la poésie de Baudelaire prend amplement ses distances avec les codes traditionnels. D’ailleurs, les immortels revêtent tous le même habit quand Baudelaire est en rupture avec les codes vestimentaires.

On comprend alors l’étonnement de Gustave Flaubert face à cette candidature. Deux jours avant notre lettre, le 24 janvier 1862, le poète écrit au romancier : « j’ai fait un coup de tête, une folie, que je transforme en acte de sagesse par ma persistance (…) On me dit que vous êtes fort lié avec Sandeau (…) Je vous serais infiniment obligé si vous lui écriviez ce que vous pensez de moi [fragment repris dans la lettre de Flaubert à Sandeau]. J’irai le voir, et je lui expliquerai le sens de cette candidature, qui a tant surpris quelques-uns de ces messieurs. » Ainsi Flaubert fait-il part de sa stupéfaction à Jules Sandeau, lui-même académicien, et écrit le même jour à Baudelaire, l’informant qu’il a demandé à l’immortel de voter pour lui : « Donc sans rien comprendre à votre lettre, je viens d’écrire à Sandeau en le priant de voter pour vous. » Deux paradoxes ressortent : d’une part, Flaubert invite Sandeau à voter pour son ami tout en ironisant sur ses intentions et, d’autre part, il parle bien plus librement – jusqu’à la moquerie – à Sandeau de la candidature de Baudelaire qu’avec Baudelaire lui-même.

Le terme « histoire » annonce d’emblée le manque de prise au sérieux de Baudelaire par Flaubert, et « voir [Baudelaire] assis entre Villemain et Nisard » est presque une antithèse. Flaubert méprise autant le secrétaire perpétuel de l’Académie française que le bonapartiste et humaniste aux méthodes du XVIe siècle. Cette intuition est probablement confirmée dans la lettre de Baudelaire à Flaubert du 31 janvier 1862, dans laquelle le candidat suggère d’ores et déjà qu’il ne sera pas élu : « certains académiciens [ont] déclaré qu’ils ne me recevraient même pas chez eux. J’ai fait un coup de tête dont je ne me repens pas. »

Flaubert mentionne également Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), critique littéraire réputé : « Nommez-le ! Ce sera beau. Il paraît que Sainte-Beuve y tient. » Or, dans son article « Des prochaines élections à l’Académie » (Le Constitutionnel, 20 janvier 1862), il raconte d’une plume quasi pamphlétaire le manque de popularité de Baudelaire auprès des académiciens : « On a eu à apprendre à épeler le nom de M. Baudelaire à plus d’un membre de l’Académie, qui ignorait totalement son existence. »

Flaubert adopte une position marquée quant à la candidature de Baudelaire : il s’en moque sans réserve auprès de Sandeau, et cela comme pour pallier sa gêne à se livrer franchement à son ami.

Baudelaire se désiste finalement le 17 février 1862.

PSICHARI, Ernest (1883-1914)

Lettre autographe signée « Ernest Psichari » à Maurice Reclus
Paris, 11 juin 1902, 8 p. in-folio
Traces de pliures, quelques petites fentes au plis

Longue et bouleversante lettre inédite enrichie de quatre poèmes, quelques jours avant sa première tentative de suicide


« Mon cher Maurice Reclus,
Suis-je fou de t’avoir promis des explications à ce qui n’en comporte aucune ? Je ne crois pas qu’il y ait dans mes 16 pages « d’intention philosophique ». Ca serait vraiment trop ridicule. Ma seule intention fut, je le jure, d’accoupler des mots à la dérive, avec harmonie et rareté, autant que possible. Du reste, tu connais cela, et tout le monde connait cela. On se fiche pas mal de l’idée, en versifiant, et la joie est bien assez grande quand on a pu dénicher un mot sonore, même vain. Peut-être bien tout de même y avait-il en moi une pensée subconsciente, mais très sub[consciente]. Tenter de la dégager est peut-être audacieux et certainement vain.
Si je voulais étiqueter les concepts latescents au moment de l’écriture, je les alphabétiserais ainsi :

a) Glorification du suicide ; néant ; la mort, que la vie est tararaboum.
Idée banale que je développais jadis philosophiquement dans une conférence qui est en la possession de Jacques et plus jadis encore dans un exécrable sonnet, hybride et plat, que je reconstitue à peu près ainsi :

Ame, très douce amie, et sœur parmi les sœurs,
Tu cueilli tous les fruits au jardons héroïques…
Te souvient-il, parmis les jouvences mystiques,
De l’enfer des Baisers, du Paradis des Pleurs ?

Mais hélas ! le trésor est lourd de tes langueurs
Et si les pampres ont des errances magiques,
Moi, je veux éternels tes songes identiques,
Et clos ton rêve d’or en un flacon d’odeurs.

Tout bas tu confieras aux sépulcres bizarres,
Les emois trépassés des ardentes fanfares,
Et tu t’accoupleras aux noirs hippogryphes

Et tu seras la Sphinge enfin rassérénée,
Celle qui sut l’énigme inéffable des Soirs,
Et qui, comme une fleurs d’été se veut fanée.

Inspiration antipodique de celle d’A. France qui commence ses « Poèmes dorés » par une invocation à la lumière, et de celle de tous les poètes grecs, chez lesquels Yxos signifiat même bonneur [cf. Iliade XVII, 615 ; XXI, 538. Eschyles, les Verses, 300 Soph. Antig. 600] et aussi gloire, vie, etc… Chez moi, le mot ombre joue le même rôle et est aussi évocateur et multiforme que le Yxos greg. Je t’expliquerai un jour, comment, selon moi, il n’y a jamais eu de poédie en Grèce, à cause précisément de ce petit mot Yxos, et comment il n’y a jamais eu de poésie qu’en Allemagne, précisément par mépris dy Yxos.
Quant au suicide, il est de toute évidence la conséquence logique de l’amour. Mais ce qui fait la petite nouveauté de mon idée sur ce point, c’est que mes deux héros se suicident par bonheur. Je crois en effet, avec Schopenhauer qui a indiqué d’un mot cette théorie [Lichstrahlen… von F. Francus 3° ed. Leipzig 1874 p. 186] que le suicide a pour cause l’amour de la vie et non le mépris ou l’horreur de la vie. Cela, je le développe à fonds dans la conférence suiscitée.

[…]

e) J’en arrive à l’idée maîtresse et directrice. Elle sous entend Solness le constructeur. Le symbolisme touffu de Solness signifie selon moi ceci :
1° Solness construit l’idéal.
2° Pour ce faire, il tue les hommes et fait les 400 coups
3° L’idéal construit, tout s’écroule
4° D’où inutilité de Solness. Et absurdité d’iceluy.

Je dis :
1° Lui, poursuit l’idéal.
2° Pour ce faire, il fait, comme Solness, les 400 coups.
3° Tout cet aria aboutit au néant. Voir a.
Ne reproduit rien. Voir b.
4° Glorification de Lui. Car la recherche de l’Idéal est belle, même si elle n’aboutit pas.
Surtout si elle n’aboutit pas.

Solness a raison de tuer les hommes.
Solness a raison de construire une maison qui s’écroulera.
Il n’y a de belles que les maisons qui s’écroulent.
C’est un fait important et vraiment fécond que la maison s’écroule.
Cette idée était vague en moi quand j’écrivais mon poème. Elle n’est encore.
Mais ce fut là l’étoile lointaine, à laquelle j’accrochais ma charrue, puisque charrue il y a.
f) Je passe sur les petis symboles accessoires que tu as percé ede toi-même sans doute, et qui n’ont rien d’original : la Statue qui s’anime, les fruits murs, etc…
Au revoir
J’apprends Glatigny par cœur, intégralement.
Imite moi.
Dévotement à toi
Ernest Psichari »


Ernest Psichari (1883-1914) est le fils de Noémi Renan (la fille d’Ernest Renan), et de Jean Psichari, philologue. Il est connu pour ses romans, Terres de soleil et de sommeil, L’Appel des armes, Le Voyage du centurion, et pour sa conversion au catholicisme, sous l’influence de Jacques Maritain en particulier. Il meurt à Rossignol, au début de la guerre de 1914. Il sera utilisé, par Barrès entre autres, pour lutter contre l’influence d’Ernest Renan, encore très importante à l’époque, et deviendra l’un des symboles de la droite nationaliste. Son oeuvre excède cependant cette image que l’on a forgée de lui pour des besoins idéologiques.

Psichari est agé de 19 ans à la rédaction de cette lettre, en date du 11 juin 1902. Il traverse une période particulièrement troublée. Selon sa biographe, Frédérique Neau-Dufour « C’est en partie un amour déçu qui conduit Ernest à [un] état dépressif [p. 96] », amour pour Jeanne Maritain, sœur de Jacques et fille de Geneviève Favre, la fille de Jules Favre.
« Ernest essaie de se suicider, de manière avérée, en août 1903, et peut-être, déjà, en juillet 1902. [p. 99] ». La lettre est donc écrite peu de temps avant sa première tentative de suicide, qui sera suivie d’une seconde  tentative (dont il sera sauvé par son ami Maurice Reclus, et après laquelle il sera interné pendant  trois mois, d’août à octobre 1903.

On ne s’étonnera pas alors du contenu de cette lettre,  commentaire d’un texte de 16 pages adressé à Maurice Reclus.

Les thèmes principaux y sont soulignés : suicide, « amour parfait […] infécond », individualisme, évolutionnisme, goût du malheur. Les références sont très nombreuses : on trouve pêle-mêle Anatole France, Homère, Eschyle, Schopenhauer, Mallarmé, Wilde, Ebing, Darwin, Haeckel, Tyndall, Kelvin, Tolstoï, Lombroso, Nietzsche, Wagner, Albert Glatigny… Psichari prépare alors sa « licence ès lettres avec l’option philosophie, à laquelle il échoue d’ailleurs en juillet 1902 ; il ne sera reçu que lors des épreuves de rattrapage en novembre.

Le texte est semé de poésie symboliste ; on remarquera le sonnet Le fruit défendu, « description d’un amour féminin », écho de l’homosexualité d’Ernest Psichari (dont l’amitié avec Jacques Maritain « fonctionne sans conteste sur le mode de la relation amoureuse »).

La lettre se termine par l’évocation d’une pièce d’Ibsen, Solness le constructeur, qui a pour thèmes l’aspiration à l’idéal, la chute et l’échec.

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Lettre autographe signée « Edmond de Goncourt » à une dame
Saint Gratien, 21 7bre [septembre] [18]90, 2 p. in-8 sur bifeuillet
Traces de pliures et mouillures

Goncourt donne des nouvelles de son entourage et de son cercle littéraire 


« Chère Madame,
Ah que je suis coupable à votre égard et que je m’en fais des reproches, mais pardonnez-moi j’ai tant travaillé, voulant à peu près préparer deux volumes de mon Journal, pour chercher à passer à d’autres exercices, que je ne me sentais plus après le travail de la copie, le courage d’écrire.
Après mon séjour chez [Alphonse] Daudet, j’ai passé une vingtaine de jours avec ma belle petite cousine que s’est montrée assez gentille avec moi cette année, et je revenais avec le dessein d’aller chez Daudet où devait avoir lieu une fête pour les fiançailles des Lockroy et Hugo, mais ne voilà-t-il pas que tout est à l’eau. Mme [Julia] Daudet est tombée malade, obligée de garder l’immobilité dans son lit et je ne sais plus si la fête aura lieu et si j’irai chez eux.
Dans ce moment je suis à Saint-Gratien où j’ai été malade comme un chien les premiers jours et où si je ne travaillais pas toute la journée, je m’embêterais princièrement.
Et je ne sais rien, si ce n’est que Mme Strauss [sic] qui fait du sport et du turf dans les villes d’eau a [tra]versé Meilhac, que M. John Lemoine vit de la vie heureuse d’un légume dans les environs de Dieppe, que le père [Jules] Zeller a été apuré heureusement de la pierre, et que la chère demoiselle a profité de cela pour escompter ma sensibilité et chercher à lui faire rendre de l’amour.
Et vous chère madame, allez-vous nous revenir, grasse, bien portante, l’esprit couleur de rose.
Votre bien affectionné
Edmond de Goncourt »


Le Journal des Goncourt reste un témoignage intéressant sur la deuxième partie du XIXe siècle. Jusqu’à sa mort en 1870, Jules est le principal auteur du Journal, poursuivi ensuite par Edmond, resté seul. Sous-titré Mémoires de la vie littéraire, il se compose d’un ensemble de notes, généralement brèves, prises au jour le jour.
Ami proche d’Alphonse Daudet (et du cercle naturaliste), les deux écrivains se fréquente très régulièrement toute leur vie durant. C’est d’ailleurs chez Daudet à Draveil qu’il trouve la mort le 16 juillet 1896.

Geneviève Halévy (1849-1926), dite Madame Straus, d’abord mariée au compositeur Georges Bizet puis à l’avocat Emile Straus, est une salonnière française, aussi connue pour avoir été l’un des modèles du personnage de la duchesse de Guermantes dans le roman À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.

John Lemoine (1815-1892) est un publiciste et rédacteur en chef du Journal des débats.

Jules Zeller (1820-1900) est un historien français, élu président de l’Insititut de France en 1886.

 

CARROLL, Lewis (1832-1898)

Lettre autographe signée « C.L. Dodgson » à Mr Burton
Eastbourne, le 25 août [18]77, 2 p. in-12 à l’encre rose

Troublante lettre adressée au père de sa nouvelle « amie-enfant », à laquelle il souhaite faire parvenir un exemplaire d’Alice au pays des merveilles


Traduction de l’anglais

« Cher Monsieur,
J’espère que vous excusez la liberté que je prends en m’adressant à vous, ainsi que celle que j’ai prise voici quelques jours en me liant d’amitié avec votre petite fille, mais je crois que même un homme qui ne serait pas, comme moi, un grand amoureux des enfants, ne pourrait manquer d’être attiré par elle. Comme je souhaite déposer pour elle, là où elle habite, un petit livre (dont j’ai souvent fait cadeau à de jeunes amies), j’ai entrepris deux expéditions, en vain, pour trouver où elle demeurait. Faute d’avoir la bonne adresse, et ne la voyant plus sur la plage, la seule solution me semble de lui écrire à son adresse en ville. Si vous m’autorisez à lui offrir le livre, auriez-vous l’amabilité de me dire si je dois lui envoyer à Londres ou, sinon, à quelle adresse. (Le livre s’intitule Les Aventures d’Alice au pays des merveilles).
Croyez, Monsieur, en mes sentiments les meilleurs.
C.L. Dogson (de Christ Church Oxford) »

Texte original

“Dear sir,
I hope you will excuse the liberty I am taking in addressing you, as well as the liberty I took a few days ago in making friends with your little daughter, but I think that even one who is not, as I am, a great lover of children, could hardly fail to be attracted by her. Wishing to leave for her at her lodgings a little book (one I have several times given to little friends) I have made two expeditions, in vain, to find the lodgings. Not having the right address and seeing her no more on the beach, the only course seems to write to the town address. If you will allow me to present her with the book, would you kindly tell me whether to send it to London or to what address. (The book is called Alice’s Adventures in Wonderland).
Believe me truly yours,
C.L. Dodgson (of Christ Church Oxford)”


Adressée à M. Burton, cette lettre est écrite neuf jours après la rencontre de l’écrivain avec sa fille, ainsi que le rapporte son Journal à la date du 16 août 1877 : « Suis allé sur l’embarcadère dans la soirée et ai fait une autre heureuse rencontre. Ma nouvelle amie s’appelle Mabel Burton. Elle semble avoir environ 8 ans. (…) Elle est absolument charmante et sans un atome de timidité. Je n’ai jamais été ami avec une enfant aussi facilement et aussi rapidement. »

On n’ignore pas le goût de l’écrivain pour les jeunes filles. Carroll annonce ici explicitement à un père de famille – il ignore alors que ce dernier est décédé – qu’il compte se lier d’amitié avec sa fille, certes non sans ambiguïté.  En dépit de ces considérations, débute une amitié, qui dépasse la perplexité mêlée de stupéfaction de Mrs Harriet Burton, mère de Mabel. La fille ne comptait d’ailleurs pas faire part à la mère de sa rencontre avec l’« étrange gentleman », expression de la jeune fille même. Le 28 août, Carroll écrit une lettre à Mrs Harriet Burton dans laquelle nous comprenons qu’elle a accepté qu’il envoie un exemplaire des Aventures d’Alice au pays des merveilles à Mabel. Bien que le roman soit de plusieurs années antérieur à l’amitié entre Carroll et la petite fille, il n’est toutefois pas interdit d’imaginer Mabel comme l’ombre portée d’Alice, une héroïne par la procuration du regard d’écrivain.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Elisabeth de la Croix de Castries (épouse de Patrice de Mac-Mahon)
Abergeldie Castle, 20 octobre 1893, 2 p. 1/2 in-8 sur papier de deuil

Lettre de condoléances adressée par l’impératrice à l’occasion de la mort de Patrice de Mahon-Mahon
Eugénie évoque avec émotion le chagrin qu’elle a elle-même éprouvé vingt ans plus tôt lors du décès de Napoléon III, le 9 janvier 1873


« Madame et chère maréchale
J’ai appris ici en Ecosse le malheur qui vient de vous frapper.
Je sais que c’est un grand déchirement de cœur pour vous de sentir se briser les liens qui vous ont donné tant d’années de bonheur.
Je ne puis que sympathiser avec une douleur que j’ai moi-même éprouvé ; aussi c’est de tout cœur que je prends part à votre immense chagrin et à celui de vos enfants.
Croyez, Madame et chère Maréchale, à mes sentiments affectueux
Eugénie »


La mort de Patrice de Mac-Mahon, maréchal de France et duc de Magenta, survient une semaine plus tôt, le 17 octobre 1893.
Il succède en 1873 à Adolphe Thiers comme président de la République avant de démissionner en 1879 suite à la crise constitutionnelle de 1877.
Abergeldie Castle est une résidence située à proximité du château de Balmoral. Elle était mise à la disposition de l’impératrice lors de ses séjours en Ecosse auprès de la Reine Victoria.

MERMOZ, Jean (1901-1936)

Lettre autographe à ses grands-parents
Mazamet 31 mars [1935], 1 p. ¾ in-4
Le bas de la 2e page a été coupé, probablement pour supprimer un passage trop intime

Poignante lettre sur la mort de son beau-frère, Édouard Chazottes, dans un accident d’avion
Une lettre à la résonnance d’autant plus tragique que Mermoz trouve à son tour la mort l’année suivante à bord d’un hydravion quadrimoteur au large des côtes du Sénégal


« Vous avez dû apprendre par le journal la triste nouvelle : l’accident mortel survenu à mon petit beau-frère Édouard à Istres. Alors qu’il descendait pour atterrir sans qu’il ait eu le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait, un autre avion est rentré dans son fuselage, l’a coupé en deux, les deux appareils se sont écrasés ! deux morts. Édouard n’avait fait aucune faute, l’autre a payé de sa vie une erreur qui fut lourde de fatalité… Vous dire le chagrin de Gilberte : c’est inutile…. Elle est très fortement touchée ; le mien est profond. Depuis trois mois qu’Édouard était à Istres, il avait bien changé ! L’aviation en avait fait un homme. Je le conseillais, le guidais : il remplaçait le frère familial que je n’ai pas eu… il était aussi mon petit frère spirituel en aviation… Je pensais en le voyant se transformer peu à peu qu’il me continuerait dans l’avenir. Il avait toutes les qualités pour cela : prudence, volonté, courage. Il naissait… mais il s’apprêtait à vivre l’existence dont je vis moi-même. Je n’aurais pas voulu qu’il puisse me précéder dans une aussi funeste voie. Qu’il m’y suivît plus tard, bien plus tard, c’eût été dans l’ordre… Lui ne souffre plus : il est heureux.
Demain était son anniversaire : il allait avoir vingt ans. Il est mort en plein rêve. Il en était à ses derniers vols d’école. Ils l’avaient fait affecter à Alger où il se faisait une joie d’aller : Il venait d’avoir son affectation, il était nommé caporal-chef. Il se faisait une fête d’aller au mariage de son cousin à Mazamet, où nous devions le retrouver ; le jour même où le mariage devait avoir lieu, c’est-à-dire hier, nous l’avons accompagné une dernière fois jusqu’au seuil de l’éternité.
Dieu régit nos destinées ; il faut savoir se résigner sans courber la tête et continuer toujours plus avant vers l’avenir.
Nous devions aller vous voir le jour de Pâques, le dimanche, j’ai pu prendre le train vendredi soir pour Istres. Nous étions depuis jeudi à Paris. Maman était au lit avec une bronchite et une menace de congestion pulmonaire… maintenant… »


Le 11 avril 1932, à Mazamet, Jean Mermoz est le témoin de mariage de Robert Henri Chazottes, dit « l’Américain », cousin germain de Gilberte, et Marthe Marie Rives. Son père, Numa Elie Chazottes, né le 4 février 1875 à Mazamet, négociant comme son frère Ernest en Argentine, s’est marié le 30 juillet 1906 à Ema Maynadié, avec qui il a eu 2 enfants nés à Buenos Aires, Robert Henri, le 21 mars 1908, et Yvonne Adèle le 11 février 1910. Jean Mermoz et Gilberte se séparent à l’été 1935, rupture accélérée par la mort du frère de celle-ci, Edouard, tout jeune pilote au destin brisé dans un accident d’avion…

CLEMENT, Jean-Baptiste (1836-1903)

Manuscrit autographe signé « JB Clément »
S.l, daté du 23 avril 1869,  4 p. in-8° oblongues
Quelques ratures, estampillé du café-théâtre de L’Eldorado

Très rare manuscrit du chansonnier révolutionnaire montmartrois intitulé « Rondeau »


« Pan ! Pan ! c’est moi le chantre de Lisette
Et du grenier qui fut mon paradis ;
Du grand et Pierre attrapant la lorgnette
Ah ! Laissez-moi revoir mon vieux Paris

[…]

Sur ce refrain, au temps des grandes guerres,
Que nous culbutions Messieurs les Autrichien,
Vous mes enfants plus joyeux que vos pères
Vous chanterez l‘pied qui r’mue aux Prussiens

[…]

Si le temps fuit l’humanité demeure
Et chancelante et prête à tomber,
La lune trône et la misère pleure
Pâle, livide et lasse d’espérer

[…]

Bonsoir, enfan[t]s, je vais chez l’espérance
Parler de vous sous les grandes rumeurs vertes,
J’en couperai pour cette belle France
Dont j’ai chanté la gloire et les revers »


Constitué de 84 vers en décasyllabes, ce manuscrit aux allures nostalgiques et sur fond de guerre semble être inédit et ne figure pas dans les textes édités du chansonnier. On remarquera toutefois l’estampille de L’Eldorado (sur la gauche du premier feuillet), établissement à la fois café et salle de spectacles ouvert en 1858 et situé 4 boulevard de Strasbourg, dans le Xe arrondissement. Il est donc possible que cette chanson y fût produite. C’est dans le même établissement que fut mis en musique l’année précédente le célèbre Temps des Cerises, devenu hymne de la Commune de Paris.
Après être rentré d’exil en 1867, Jean-Baptiste Clément collabore avec divers journaux d’opposition au Second Empire. Il est alors condamné pour avoir publié un journal non cautionné par l’empereur. Il est emprisonné à la prison Sainte-Pélagie jusqu’au soulèvement républicain du 4 septembre 1870.

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Carte de visite autographe à un monsieur
S.l.n.d, 1 p. 1/2 in-24

Goncourt empresse un confrère de faire accélérer les impressions de son imprimeur


« Eh bien qu’est-ce qu’il fait votre imprimeur ? Il a très bien marché d’abord, et puis le voilà que ne m’envoie pas la 2ème feuille. Met[t]ez lui un peu l’épée dans les reins »


Edmond de Goncourt est un écrivain français, à l’origine de l’académie Goncourt, qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre est écrite à quatre mains avec son frère, Jules de Goncourt. Leurs ouvrages appartiennent au courant du naturalisme.

GONCOURT (de), Jules (1830-1870)

Lettre autographe signée « J. de Goncourt » à un monsieur
S.l.n.d, 1/2 p. in-8 sur bifeuillet, papier vergé bleu

Jules de Goncourt doit décliner une demande


« Monsieur
J’aurais voulu me rendre plus entièrement à vos observations. Mais, hélas, je ne sais un peu qu’un siècle, qui n’est malheureusement pas le 17ième ; vous m’excuserez : c’est insuffisance et non mauvais vouloir qui m’a empêché de m’étendre ; et vous aviez, Monsieur, à vous les regrets d’un pauvre éditeur de documents qui se dit très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
J de Goncourt »


Jules de Goncourt est un écrivain français, à l’origine de l’académie Goncourt, qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre est écrite à quatre mains avec son frère, Edmond de Goncourt. Leurs ouvrages appartiennent au courant du naturalisme.

FAURE, Gabriel (1845-1924)

Tirage original avec envoi dédicacé, signé « Gabriel Fauré », par Benque
[c. 1905], format carte cabinet (14 x 10,5 cm), contrecollé sur carton fort au nom du photographe
Quelques petites imperfections et taches, traces de colle au verso

Beau portrait en buste du musicien par Benque


Le tirage est accompagné d’une dédicace du compositeur en marge inférieure : « à Mr René Thorel, son dévoué Gabriel Fauré »

René Thorel était un officier qui publiera notamment des Souvenirs de guerre. Il fréquentait le milieu musical et fut aussi en relation avec Saint-Saëns et D’Indy.

APOLLINAIRE, Guillaume (1880-1918)

Poème épistolaire signé « Guillaume Apollinaire », à André Billy
Nîmes, le 9 mars 1915, 1 p. in-8 à en-tête du Café Tortoni
Traces de pliures, quelques petites déchirures marginales, petites taches

Admirable épître poétique d’Apollinaire, inédite dans sa version manuscrite, depuis le Café Tortoni à Nîmes où le poète avait ses habitudes


« J’ai reçu les rimes ou traînent

Nos souvenirs, à tous les deux ces sons de cor,
Ami, les jours aux jours s’enchaînent
Combien, combien de jours encor
Et les tristesses les emmènent
Combien de douleurs les emmènent

J’ai vu Larguier pendant huit jours
Il est au camp de Carpiagne
Nîmes aux tristes alentours
En est plus triste et la Tour Magne
En pâlit sous les cieux trop lourds.

Adieu, Billy, le travail sonne,
Trompette triste comme un cor,
C’est un printemps comme un automne
Quand nous reverrons-nous encor ?
Ah ! qui peut le dire ? Personne

Guillaume Apollinaire »


Il est toujours émouvant, même quand le texte est connu, de découvrir sa première version manuscrite. C’est le cas pour ce poème faisant partie d’un échange épistolaire entre Apollinaire et son ami André Billy (1882-1971) pendant la guerre de 14-18, en mars 1915, dévoilé sauf erreur après plus de cent ans.

Ce poème est une réponse à une lettre en vers de Billy, datée du 7 mars 1915 (on note les performances de la Poste aux Armées !) :

« Ta lettre, cher Guillaume, a rempli tout mon cœur.
Pars donc, puisqu’il le faut, mais sois bientôt vainqueur.
Et que ton canon gris et que ton cheval fauve
Reviennent avec toi de la Lorraine sauve.
Hier, j’ai vu Salmon, tout habillé de bleu,
Avec un passepoil jaune sur sa culotte
Et sur chacun de ses boutons noircis au feu
Un petit cor de chasse… O souvenirs qui flottent !
« Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent. »

On note la présence d’une ponctuation qui ne sera pas reprise dans les publications. Billy ponctuait ses poèmes, Apollinaire a pu être entraîné malgré lui à en faire autant, d’autant que dans ses poèmes épistolaires la ponctuation vient souvent naturellement sous sa plume. Le premier jet qu’on peut déchiffrer au vers 2 sous les corrections est remplacé par une expression moins banale (« Nos souvenirs, à tous les deux » devient « Nos souvenirs, ces sons de cor », écho des derniers vers de Billy qui citait un poème d’Apollinaire). Au 5e vers, « douleurs », plus fort, remplace « tristesses ».

Billy, en mars 1915, était resté à Paris, où il s’embêtait, alors que Wilhelm de Kostrowitzky à la suite de son engagement volontaire faisait ses classes à Nîmes dans l’artillerie et usait abondamment du papier à lettres du café Tortoni où il avait ses habitudes. André Billy, qui taquinait aussi la muse, était journaliste et dès août 1915 il allait publier dans le Mercure de France une partie de leur « Correspondance poétique », en prenant soin cependant de ne pas écrire les noms en clair. Les numéros en bleu en marge des manuscrits sont probablement destinés au Mercure.
André Billy avait ainsi commenté cette publication quasi sur le vif : « De jeunes écrivains, arrachés par la guerre à leurs occupations favorites, ont adopté un usage charmant : ils correspondent en vers, ce qui prouve au moins, on en conviendra, un moral de tout repos. Nous avons sous les yeux un certain nombre de ces épîtres poétiques. Souhaitons que quelqu’un, plus tard, les réunisse toutes. Elles constituent de précieux documents littéraires et psychologiques. »

C’est dire que ces poèmes écrits vite sans aucun doute étaient cependant plus ou moins clairement destinés à une publication. Les auteurs avaient conscience de la valeur de témoignage de ces échanges et soignaient leurs textes. Dès 1923, André Billy publia cette correspondance dans son Apollinaire vivant, avec ses propres poèmes reproduits supra, qui seuls peuvent éclairer les allusions d’Apollinaire : leurs amis communs, le cévenol Léo Larguier, qui sera blessé en septembre 1915 et siégera plus tard comme Billy à l’Académie Goncourt.

Ce poème empreint de nostalgie et de mélancolie est loin de manifester le moindre enthousiasme pour la guerre.
Entre ces deux vrais amis, Apollinaire en « en rajoute » sur son sort, peut-être pour masquer sa gêne d’être en compagnie des « embusqués »

Le 26 avril, Apollinaire écrira à Billy : « Je te le dis, André Billy, que cette guerre/C’est Obus-Roi/Beaucoup plus tragique qu’Ubu mais qui n’est guère/Billy crois-moi/Moins burlesque, ô mon vieux, crois-moi c’est très comique ». L’humour a tourné au noir…

Ces échanges témoignent entre autres de la nécessité pour les soldats éloignés de leur milieu intellectuel et affectif de garder le contact pour supporter la séparation. Si Apollinaire en mars 1915 n’avait pas encore connu le front, il savait déjà que la mort rôdait.

FAURE, Gabriel (1845-1924)

Lettre autographe signée « Gabriel Fauré » à André Beaunier et sa femme Jeanne Raunay
S.l.n.d [Lugano, été 1910], 4 p. in-8to, en-tête du Grand Hôtel Métropole et Monopole de Lugano
Traces de pliures

Longue lettre inédite, enrichie d’un quatrain, dans laquelle Fauré évoque pêle-mêle sa Chanson d’Eve son opéra Pénélope et fait allusion à ses Préludes pour piano n°4 à 7


« Cher amis,
Vous pouvez vous douter de l’immense joie que je dois à André Beaunier et vous pensez bien que si, c’était possible, je vous en serais encore plus affectueusement attaché. Mais, ça n’est pas possible ! Il n’y a que ce trop délicieux complet final qui me gêne, car si je le prenais à la lettre, je perdrais une qualité qui fût jusqu’ici ma sauvegarde : l’incertitude du soi-même ! Ce qui n’empêche, au fond, que je l’ai bu et rebu avec ivresse.
J’ajoute que ce bel article que, seul, [Eugène ?] Brieux peut trouver très mal fait, lui a valu plus d’un aimable petit mot et, notamment, de ce bon gros Buscheim, lequel ajoute à des félicitations émues celles dont lui aurait fait part – non moins vibrantes – [Paul] Hervieu. Allons, tout va bien, tout va bien, excepté mes bronches et c’est d’Ems, désormais, que je réclamerai de vos nouvelles – pas par dépêche !
Mais à ce propos, – (ma lettre va ressembler à un Jeudi de Claretie), – indiquez-moi, cher André, un bouquin pas trop gros où je pourrai retrouver l’histoire sur cette fameuse dépêche d’Ems. Cela m’intéresserait particulièrement sur les lieux mêmes, – (oh combien sur les lieux !)
J’ai bien travaillé ici, non pas à Pénélope, mais à des pièces de piano, pour m’entraîner, des sonnets, sinon de longs poèmes.
Et la température a été presque toujours exquise. Quant à l’hôtel, c’est un délicieux désert où je règne en maître très gâté.
Mais, deux ombres au tableau :
1° L’Ems inéluctable. 2°, la pénible pensée que l’on aura bien longtemps, trop longtemps sans vous voir.
J’ai envoyé à [Gaston] Calmette un télégramme en même temps qu’à vous-même. Je tenais à lui témoigner ma gratitude de ce qu’il m’a décerné si amicalement tous les honneurs [réservés] à vous, et la meilleures place du journal.
J’espère que votre combinaison de Boulogne vous plait et qu’elle n’est pas trop fatigante. J’espère aussi que le chant ne chôme pas. Etes-vous enfin renseigné au sujet de Monte-Calo ?
Si vous voulez envoyer un mot à Ems, Hôtel Prince de Galles, où je serai mardi prochain, vous me ferez un infini plaisir.
Encore à tous deux mille mercis et mille bien affectueux et bien dévoués sentiments.
Gabriel Fauré
Ci-jointe l’image
d’un vieil enfant bien sage.
Et, si attentive, au piano,
La perle de Lugano.

Brieux dirait plus mal !

Cher ami, voulez-vous prendre la peine de demander que le Figaro me soit envoyé, à partir de lundi, à Ems, Hôtel Prince de Galles ? Merci »


André Beaunier, critique littéraire, et son épouse la cantatrice Jeanne Raunay étaient très proche de Gabriel Fauré. Ce dernier avait été témoin de leur mariage. Jeanne Raunay avait créé de nombreuses mélodies pour le compositeur, dont le cycle de La Chanson d’Eve.
Cette lettre fut très vraisemblablement écrite à l’été 1910 (Fauré résida à Lugano de juillet à octobre 1910). Il se rendit à Ems du 9 au 25 août, ce qui laisse penser que cette lettre fut envoyer au début du mois.
Les chaleureux remerciements de Fauré concernent peut-être un article que Beaunier aurait consacré à La Chanson d’Eve. C’est au cours de ce séjour à Lugano que Fauré, innerrompant la composition de Pénélope, composa les Préludes pour piano n°4 à 7, auquel il fait vaguement allusion.

ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « Aragon » [à la « duchesse rouge », Elisabeth de Clermont-Tonnerre]
S.l.n.d, [1950], 1 p. in-4°

Violente charge de Louis Aragon à l’encontre de Thomas Mann – Il y confie son hostilité à l’idée de rencontrer l’écrivain allemand, alors en visite officielle à Paris


« Excusez-moi, Madame, de ne pas vouloir déjeuner avec Thomas Mann, dont la conduite pendant la guerre, le pacifisme d’entre deux guerres, et la signature au bas de l’ignoble manifeste contre les exécutions en Russie ne peuvent pas me rendre plus aimable la détestable littérature.
Très respectueusement
Aragon »


Thomas Mann reçu officiellement à Paris en mai 1950
Début mai 1950, Thomas Mann avait commencé une tournée européenne de conférences. Le 12 mai, il arrive à Paris, accompagné par sa femme Katia. Au « Ritz », où sa maison d’édition française a réservé une suite, ils reçoivent un accueil très chaleureux.
Si durant son séjour à Paris, qui a dû se prolonger quelques jours, Thomas Mann n’a pas pu voir André Gide lui-même, il s’est entretenu avec Jean Schlumberger qui avait créé avec Gide La Nouvelle Revue Française. Dans la notice rapide qu’il rédige pour le libraire Martin Flinker, Mann fait état de « l’incroyable beauté » de la capitale de la France et d’une civilisation [française] à « la pointe du progrès »…  tout en confiant à son Journal sa grande fatigue et l’aversion qu’il éprouve pour « la sphère linguistique française ». Il est en effet irrité par les interviews qu’il juge malveillantes – comme celle de Dominique Arban pour Le Figaro, qui demande à l’auteur du Docteur Faustus si, à en juger par son livre, il est possible d’imaginer une nouvelle Allemagne dans laquelle aurait disparu « le vertige de l’obéissance et du sang ». Le rappel par les interviewers de la lettre de Paul Olberg, publiée dans le journal suisse Volksrecht, l’indispose aussi au plus haut point. Le journaliste suédois avait en effet demandé à Thomas Mann comment « lui qui avait combattu sans concession l’Allemagne nazie avait pu accepter en 1949 l’invitation d’un régime [celui de la RDA] qui foulait aux pieds avec la même brutalité la liberté et l’humanité ». On comprend que le rappel fait à Thomas Mann de sa réponse, datée du 27 août 1949, lui inspire a posteriori de la gêne, voire de la honte – comme ce passage où il convient que « l’État autoritaire a ses côtés affreux », mais qu’il « a pour lui le bienfait que, grâce à lui, la bêtise et l’insolence doivent enfin tenir leur gueule [sic] ».

Un écrivain allemand sensible à la propagande communiste
À la fin de la Seconde Guerre mondiale – après l’élection en 1945 de Harry Truman comme président des États-Unis et jusqu’en 1949 – Thomas Mann se montre sensible, comme beaucoup d’intellectuels de l’époque, à la propagande stalinienne qui présentait les Etats-Unis comme une puissance impérialiste, prête à déclencher un nouveau conflit – et l’URSS comme soucieuse uniquement de paix et de bonheur des peuples. Ainsi, il soutient en mars 1949 l’initiative du professeur de Harvard Harlow Shapley de réunir à New York une conférence mondiale de la paix – dirigée contre le Pacte atlantique signé finalement le 4 avril 1949 – à laquelle participent 24 délégués de pays communistes en qui Thomas Mann ne voit que « de purs idéalistes ». Il télégraphie à Dean Acheson, ministre des Affaires étrangères américain et père du plan Marshall, pour qu’il revienne sur son interdiction de laisser entrer d’autres délégués de pays communistes sur le territoire américain. Silencieux sur les déportations et les exécutions massives commandées par Staline, il ne manque pas une occasion de protester contre le maccarthysme et « l’hystérie anti-communiste », poussé à cela par son fils Klaus et sa fille Erika.

Thomas Mann accepte encore avec enthousiasme les invitations – lancées par la toute nouvelle République fédérale et l’autre partie de l’Allemagne qui allait se proclamer « République démocratique » – de présider les cérémonies données en juillet/août 1949 pour le bicentenaire de la naissance de Goethe, à Francfort (Ouest) d’abord, et à Weimar (Est). Flatté par les honneurs qui sont rendus, il veut croire qu’il ne s’agit que de littérature et ne veut pas voir l’instrumentalisation dont il est l’objet de la part des dirigeants communistes.

Mann déçoit les communistes et abjure la politique
Mais peu après, sensible aux critiques et devenu plus clairvoyant, il refuse de participer au « Congrès mondial des partisans de la paix » qui a lieu à Paris du 20 au 23 avril 1949 sous le patronage de Picasso (avec sa célèbre « colombe ») et d’Aragon.

Le refus de Louis Aragon de voir Thomas Mann à l’occasion de sa visite officielle à Paris en mai 1950 s’explique donc par l’espoir qu’avaient suscité dans le camp communiste certaines de ses déclarations. L’écrivain allemand le plus prestigieux de l’époque, combattant émérite du fascisme depuis son exil américain, foncièrement hostile à la partie occidentale de l’Allemagne dont il pensait qu’elle ne s’était pas vraiment débarrassée du nazisme, représentait un vecteur de propagande de tout premier plan pour les idéologues du communisme. Le dépit ressenti par Louis Aragon et d’autres suite à la défection de Thomas Mann est à la mesure de leur déception.

Les nombreuses critiques que Thomas Mann déclenche à l’Ouest contribuent à lui faire prendre pleinement conscience du rôle que l’on a voulu lui faire endosser ; c’est ainsi qu’il décline l’invitation au 2ème Congrès de la Paix organisé à Londres du 13 au 19 novembre 1950. Le gouvernement anglais interdit l’entrée sur le territoire britannique notamment à Pierre Cot et à Louis Aragon. Les délégués non-admis se réunissent finalement à Varsovie. Les organisateurs prétendent avoir reçu un message d’encouragement de Thomas Mann et même de l’avoir élu dans le bureau de l’organisation  – ce que l’intéressé dément fermement. Dans un démenti cinglant, Thomas Mann affirme « ne plus rien vouloir à faire avec la politique ». Les ponts sont définitivement coupés.

MERMOZ, Jean (1901-1936)

Poème autographe signé « Mermoz », intitulé « Cauchemar d’éther » avec ratures et corrections
[Cap] Juby [Maroc], 7 juillet 1926, 4 p. in-4 sur papier vergé à l’encre bleue
Traces de pliures, quelques petites taches, fentes aux plis

Magnifique et long poème de vingt quatrains, rédigé depuis le fortin de Cap Juby, escale mythique de l’Aéropostale marocaine pour la ligne Casablanca-Dakar


« Une tiède nuit d’été…sans un souffle de brise…
Un silence lourd…d’angoissante volupté…
D’étranges lueurs d’étoiles… un firmament teinté
De vertes pâleurs… une lune attardée… indécise…
                                   
La chambre…immense…gouffre de pénombre…
Le lit…bas…éclairé d’une lumière spectrale
Sur l’oreiller très blanc…une tache très sombre…
Tête brune de femme…face confuse…astrale…
                                  
Elle dort…Enigme vivante… mystérieuse…
Visage aux cils baissés… bouche sinueuse…
Front bas et tête d’enfant capricieuse…
Narine palpitante… Expression malicieuse…
                             
Elle dort… chair de pierre… marbre inerte…
Beauté indifférente… l’indifférence trop belle…
Présence affolante… et mon désir rebelle…
Elle dort… Sa pâle nudité découverte…
                            
J’écoute… penché… le rythme de son coeur…
Imperceptible… T’entendre ? Quelle ivresse !…
Ma main énervée…la violente…la caresse…
Elle dort…éternel Sphynx moqueur !!..

Une tête de femme qui sur mon front se penche…
L’énigmatique regarde aux yeux de pervenche…
Le plus d’amertume de la bouche sensuelle….
L’impudique nudité d’un corps l’incline… C’est elle…

[…]

“Je veux être l’Unique…Il me faut ta souffrance !…
“Le spasme de ta chair par moi martyrisée
“Et la sauce de ton sang par moi épuisée…
“M’appartiendra chéri…toute notre mon existence !” …

[…]

Fleur voluptueuse… Ivre, je la respire…
Sa possession !!.. Etreinte brève de satyre…
Spasme brutal… cruel baiser de fièvre…
Elle dort !… la lèvre écrase sa lèvre !…

Dans ma tête… une chose qui se brise…
Une langueur … un demi sommeil morbide…
Un immatérielle faiblesse… un vide…
Le néant incertain d’une obscurité grise…

[…]

Soudain la clarté jaunâtre d’un flambeau…
L’hypnose d’un cercueil où… rigide… je repose…
Un funèbre parfum d’encens et de tombeau…
Sur le grand drap blanc, la tache pourpre d’une rose…

La sensation d’un fer pénétrant dans ma chair
Le frisson intérieur de ma vivante dépouille…
L’étreinte acharnée d’une qui la fouille…
De l’arme effrayante le sinistre éclair…

La vision d’un vautour dépeçant sa charogne…
Le spectacle affolant de l’horrible besogne…
Du trou terrifiant qui lentement d’agrandit…
Et des lambeaux sanglants sous les ongles polis

[…]

De mon cœur arraché… le mortel déchirement !…
Une forme qui s’enfuit… oh ! ce ricanement !
La clameur éperdue de mon âme en déroute…
Et doucement ma vie qui s’écroule goutte à goutte

[…]

Mermoz »


Quelques semaines plus tôt, c’est en cherchant à rejoindre Cap Juby à pieds, après une panne, que Mermoz finit par se livrer aux Maures (desquels il sera libéré contre rançon) pour ne pas mourir de soif, alors qu’il a déjà bu le liquide du radiateur de son avion. À la fin de l’année suivante, il y rencontre Saint-Exupéry, nommé chef d’aéroplace à Cap Juby (Tarfaya).

Ce poème, que Joseph Kessel cite dans sa biographie de l’aviateur, évoque les soirées où Mermoz, jeune caporal, consommait des drogues en compagnie d’une femme toxicomane. Ainsi « La femme » qui dort à ses côtés devient-elle la figure cauchemardesque de la drogue dévorante.

Plus que jamais l’influence baudelairienne résonne dans ce poème, jalonné d’une part de figures d’opposition et rythmes saccadés, puis d’autre part d’érotisme, de douceur, de violence et d’exaltation des sens.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gus Flaubert » à Jules Sandeau
[Paris], Lundi matin [14 décembre 1863], 1 p. in-8vo

Flaubert tient fermement à assister à la représentation de la nouvelle pièce de son ami Jules Sandeau


« Je ne vais pas vous voir parce que je vous suppose dans tous les embarras d’une 1ère.
Quand a-t-elle lieu ? Est-ce demain, ou après-demain ? J’aurais besoin de savoir.
Et ma place (ou mes places) ? Comment les aurai-je ?
Bonne chance – & mille bonnes tendresses
Gus Flaubert »


Flaubert compte ici assister à la première de La Maison de Pénarvan, comédie en 4 actes, en prose, par Jules Sandeau et Adrien Decourcelle, qui eut lieu au Théâtre-Français le 15 décembre 1863. La pièce avait cependant été jouée en avant-première à Compiègne, le 12 décembre 1863, devant leurs majestés impériales Napoléon III et Eugénie de Montijo. D’où le chahut parisien.

L’écrivain Jules Sandeau (1811-1883), fut l’amant de George Sand en 1831. Ils écrivent ensemble un roman, Rose et Blanche, ou la Comédienne et la religieuse, qui paraît en 1831 sous le pseudonyme de Jules Sand. De ce nom, Aurore Dupin gardera pour elle le pseudonyme de Sand et lui ajoutera le prénom masculin de George écrit à l’anglaise (la littérature anglaise étant alors à la mode) devenant ainsi en littérature George Sand

CENDRARS, Blaise (1887-1961)

Lettre autographe signée « Blaise » à Louis Brun des éditions Grasset
[Biarritz], le 7 janvier 1933, 2 p. in-4to avec enveloppe autographe oblitérée
Petit manque au coin supérieur droit sans atteinte au texte

Cendrars refuse avec véhémence que toute distinction officielle soit associée à son œuvre littéraire – Puis, évoquant la perte de son bras droit, il affirme ne pas être hostile à l’idée d’obtenir la Légion d’honneur militaire pour ses faits d’armes pendant la Grande guerre


« Mon cher Brun –
Dans ta lettre du 21 déc. – tu me disais :
« Ne t’occupe donc de rien maintenant
« fiche-moi la paix ! laisse-moi faire »  
D’après les papiers ci-joint je vois que tu as fait beaucoup, beaucoup trop.
Alors, je te les renvoie, en te répétant :
1°) Je ne veux pas de la croix pour ma littérature.
Je n’écris pas pour une récompense.
Tout cela me gêne et m’horripile.
Je ne suis pas juif.
Je n’ai rien demandé.
Maintenant si tu tiens absolument à me forcer la main et à me faire avoir la croix tout en me fermant le bec et sans que je puisse la refuser parce que ayant déjà mis la main dans cet engrenage qu’est la voix hiérarchique j’ai déjà perdu un bras sans rien dire, – tu peux me faire attribuer la Légion d’honneur militaire pour laquelle
1° j’ai déjà été proposé en 1916 (j’ai les papiers de Tremblay),
2° à laquelle j’ai parait-il droit (mais je m’en suis jamais occupé) comme volontaire (engagé volontaire) ;
3° ou comme mutilé à 80%.
Mais, encore une fois, le fait d’écrire n’a rien à voir avec tout ça.
Je t’embrasse de tout mon cœur, traite-moi de grand couillon, etc. etc. mais ne te fâche pas.
Tibi
Blaise
P.S Je te renvoie tous ces papiers pour que tu puisses répondre sans faire esclandre, moi, je me tais. »


Le 29 septembre 1915, Cendrars est gravement blessé au bras droit par une rafale de mitrailleuse, il est amputé au-dessus du coude (Cendrars est droitier). Il est alors cité à l’ordre de l’armée, décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre.

Bien qu’évoqué dans cette lettre, c’est presque trente ans plus tard que l’écrivain, deux ans avant sa mort, est fait Commandeur de la Légion d’honneur par André Malraux.

Cendrars rejoint Grasset pendant la période faste de la maison d’édition, dans les années 20. C’est alors qu’il se lie d’une indéfectible amitié avec Louis Brun (bras droit de Bernard Grasset), avant l’assassinat de ce dernier par sa propre femme, pour tromperie conjugale, en 1939.

TOULOUSE-LAUTREC (de), Henri (1864-1901)

Lettre autographe signée « Your boy H » à sa mère Adèle Zoë Tapié de Céleyran
[Villiers-sur-Morin, automne 1886], 4 p. in-12

Belle lettre immersive dans l’art de Toulouse-Lautrec

En pleine décoration de l’auberge de Villiers-sur-Morin, le peintre évoque son entrevue prochaine avec Louis Anquetin et Claude Monet en Normandie puis développe, sur un ton poétique, ses désillusions et consolations artistiques


« Ma chère Maman
Je suis dans la béatitude d’un pays frais. Après cinq jours de farniente je me suis enchargé dans une decoration de l’auberge de Villiers sur Morin. Au grand plaisir du patron de l’établissement qui me paie a boire toute la journée. Je voltige d’échelle en échelle.. et suis très content. Je vous remercie au nom de Grenier de votre hospitalité charmante. Nous viendrons vers le 25,26,27, approximativement.
Le Courrier Français me fait toujours des avances, et son dossier est toujours en train. Je tâcherai d’aller à Rivaulde, sans lacher Grenier. Car voici notre plan. A la fin de la semaine prochaine nous allons en Normandie embrasser
[Louis] Anquetin et Claude Monet. De la nous repassons par Paris. [Albert] Grenier revient embrasser la femme de ses pensées, (pendant ce temps je vais à Rivaulde) […] Mon plan de travailler tout l’été et reposer l’hivers a raté complètement. Les intempéries, et ma rousse [Suzanne Valadon] m’ont assez énervé.. je m’allège en canotant ferme entre les moulins de Villiers, qui ressemblent à des fusains de demoiselle.
Je vous embrasse et vous prie d’en faire autant avec bonne-maman [Léonce Tapié de Céleyran].
Your boy
H »


Toulouse-Lautrec, Lili et Albert Grenier – lui-même peinte – se fréquente dans les cabarets et ateliers de la butte Montmartre. Le peintre séjourne dès l’été 1886 chez le couple, propriétaire d’une auberge à Villiers-sur-Morin. Les Grenier y invitent leurs amis, anciens de l’atelier de Fernand Cormon : Louis Anquetin, Henri de Toulouse-Lautrec, Émile Bernard, Vincent van Gogh. Ils apportent à Villiers les fêtes parisiennes – ce qui vaudra à Villiers-sur-Morin le surnom de « Vallée des peintres ».
Comme évoqué dans la lettre, Toulouse-Lautrec alterne à cette époque les séjours chez Anquetin à Etrepagny (Normandie) et chez les Grenier à Villiers-sur-Morin.
Après avoir emménagé dans la même maison que celle de Toulouse-Lautrec, Suzanne Valadon devient le modèle du peintre mais aussi sa maîtresse. Il fera d’elle, entre autres, le célèbre portrait intitulé Gueule de bois.

JARRY, Alfred (1873-1907)

Lettre autographe signée « Alfred Jarry » à Alfred Valette
Laval, 31 janv[ier] [19]07, 4 pp. in-12

Longue lettre, en grande partie inédite, jalonnée d’absurde et au vocabulaire ubuesque, dans laquelle Jarry annonce le décès d’une de ses tantes


« Monsieuye
Il nous arrive des aventures bien imprévues. Nous croirions vivre un 5e acte de tragédie invraisemblable… remplacera-t-elle le Pantagruel au cours de 1907 ?
Nous recevons par le même courrier : 1° une lettre pressée de notre grand-oncle Le Restif des Tertres : « Ta tante est très malade » (malheureusement la lettre est d’abord allée 7, rue Cassette ; – et 2°… le faire-part, que nous vous adressons à titre de curiosité. Nous n’avons nulle envie, cette fois, d’adresser le nôtre individuel – Nous avons naturellement, en pareille circonstance, pu trouver les fonds minimes du voyage chez notre notaire, et serons demain à Lamballe, pour revenir d’ailleurs à Laval.
Ainsi que notre sœur, le soir même ou samedi matin, si nous sommes retenus, ce qui est probable, chez l’autre oncle Gorvel. Notre adresse est donc toujours à Laval.
Je ne doute pas – à moins que mon mot dernier ne se soit égaré – que vous n’ayez bien voulu consentir au service percepteur (au cas contraire, nous désirerions récupérer au plus tôt le papier « commandement » pour aviser d’ici). Il nous sera difficile d’économiser sur le voyage Lamballe, mais les rentrées rue de Bootz sont meilleures que nous ne pensions (notre présence y sert beaucoup).
Ce sera 40 au lieu de 30 cette semaine, dont 5 furent touchés hier. La situation provisoire n’est donc pas si mauvaise. C’est étrange comme la santé physique est liée intimement à la question santé… phynances. Nous nous persuadons de plus en plus que même l’été dernier nous n’avons pas été malades… sauf l’usure du moteur. Aujourd’hui – pardon du détail ! – il nous repousse, Monsieuye ! Des poils sur les bras et quasi dans les mains, au train de – quasi également – un centimètre par jour ! Si ça continuait, ça ne ferait jamais que 3m65 par an – la largeur presque du tripode, auquel M. Dubois a octroyé 3m69 – mais il faut savoir se contenter de peu, et c’est largement, sinon suffisant, du moins convenable.
Nous ne saurions trop vous glorifier de ce que – [la revue] Chanteclair aidant, duquel Chanteclair hélas ! si j’en juge par le silence de Franc-Nohain, nous ne verrons jamais rien autre chose – vous nous permîtes de paraître demain à Lamballe en des atours autres que la Grande Capeline. Les vielles familles de Bretagne sont d’autant plus simples qu’elles ont plus de bouteille, mais… tout de même ! Mes cousinages d’auront qu’un luxe, lequel réjouirait Madame Rachilde, les chevaux, pas pour aller au cimetière bien entendu mais pour regagner leur tripode respectifs : les bestioles attelées des La Salle, St Mirel (beau-frère de feu ma tante), Motte-Colas sont célèbres dans a région.
Il est remarquable que notre tante est décédé à 70 ans, alors que nos oncles on l’un 85 et l’autre 86 et se portent à merveille, ce sont nous nous réjouissons ainsi que de notre précieuse longévité à nous-même, laquelle doit être considérable si nous en jugeons par le nombre de fois que nous sommes oncle à la mode de Bretagne grâce au brav’ cap’taine Morinière : alternativement un neveu, une nièce, un ou une par an depuis 8 ans, ça ne nous rajeuni pas !
Bien cordialement, Monsieuye
Alfred Jarry »


Alfred Jarry avait pour habitude d’utiliser le vocabulaire de sa pièce de théâtre Ubu Roi dans sa correspondance avec Alfred Valette, qui était directeur du Mercure de France (il fréquente depuis 1896 le phalanstère de Valette situé à Corbeil, près de la Seine, où les dimanches sont le lieu de repas entre gens de lettres). Vers la fin de sa vie, Alfred Jarry se mettra de plus en plus à ressembler à son personnage, parlant comme lui.

C’est au courant de l’année 1904 que Jarry décide d’acheter, par devant notaire, un petit terrain pour y construire sa propre maison de vacances et commande au menuisier Dubois, une cabane de 3,50 m de côté montée sur quatre pieds, appelée le « Tripode » car reposant sur quatre pieds. Sur un devis de mille deux cent vingt francs, il devait encore mille deux cent onze francs au menuisier le jour de son décès. Alfred Jarry n’y est venu que de rares fois, sa mauvaise santé l’obligeant à se réfugier à Laval chez sa sœur et la cabane ayant été terminée dix-huit mois avant sa mort.
Le « Mémoire des travaux exécutés pour le compte de M. Jarry, propriétaire », est envoyé par le charron Dubois en 1906, précise que le paquet était de 3 mères 67 sur 3 mètres 33.

La formule utilisée par Jarry sur la revue Chanteclair laisse penser qu’à défaut d’être publié, il fut quelque peu dédommagé de ses frais.

Suite à cette missive, Jarry se rend dès le lendemain à Lamballe à l’occasion du décès soudain, quelques jours plus tôt, de sa grand-tante Lerestif des Tertres.

ZOLA, Emile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à l’Avenir national [probablement à Henry Fouquier]
Paris, le 12 juin 1865, 2 p. 1/2  in-8 à en-tête de la Librairie Hachette & Cie

Belle lettre inédite du jeune Zola sous forme de supplique dans le but de faire publier ses articles et ses Contes à Ninon


« Cher monsieur,
Vous m’avez accueilli avec tant de bienveillance que je me crois autorisé à réclamer un service de votre bonté.
Depuis longtemps, je frappe à la porte de l’Avenir national, qui est bien lente à s’ouvrir. En ce moment même, M. Peyrat a un article de moi entre les mains, dont je ne sais encore quelles seront les destinées.
Vous avez bien voulu me promettre votre appui, et je me recommande à vous. Je sais que vous avez pour mission d’encourager les jeunes gens et que vous m’avez dit en outre
[…]. Veuillez donc avoir l’extrême obligeance de m’aider un peu dans ma lutte, et de m’obtenir une réponse que je n’ose aller chercher moi-même.
Je ne sais si je dois vous demander un second service. Je me hasarde à vous dire bien bas que je vous serais très reconnaissant si vous aviez l’occasion de dire un jour quelques mots de mes Contes
[à Ninon] dans l’Avenir qui m’en a point encore parlé.
Veuillez, je vous prie, pardonner mes importunités et me croire votre tout dévoué et votre tout reconnaissant
Emile Zola »


Il semblerait que la présente lettre soit adressée à Henry Fouquier avec qui Zola est alors en relation. Fouquier fait en effet partie de l’équipe de L’Avenir national dont A. Peyrat est le directeur et rédacteur en chef. Zola ne publiera que bien plus tard des articles dans ce journal, en 1873.

L’itinéraire littéraire d’Émile Zola est initialement marqué par une hésitation et une recherche qui reflète un parcours d’autodidacte à la suite d’une scolarité difficile. Il est remarqué chez Hachette après avoir livré un poème, puis embauché par la maison comme commis où il occupe finalement un emploi équivalent à celui des attachés de presse modernes.

Son premier ouvrage publié est un recueil de contes, Les Contes à Ninon, dont la substance a pour origine des textes écrits dès 1859. Il était souffrant lorsqu’il a écrit cet ouvrage. Le Zola de vingt ans s’y exprime, déjà avec talent, sous une forme facile à publier dans la presse et dont l’administration impériale est friande.

Zola commence l’année suivante la rédaction de son premier grand succès littéraire : Thérèse Raquin

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe à sa maîtresse Louise Colet
[Rouen], mercredi 2 heures [« 2 décembre 1846 » de la main de Louis Colet], 3 pp. in-8°
Adresse autographe au verso « Me Aglaé D. », biffée par Louise Colet [Aglaé Didier était une amie intime de Louise Colet], bris de cachet

Saisissante lettre d’amour dans laquelle l’auteur ne se laisse pas moins aller à de terribles confidences – Dans un autoportrait moral, il définit sa propre conception de l’amour et du bonheur, celle qui nourrira son œuvre
L’une des plus émouvantes lettres de Flaubert


« Je suis triste, je m’ennuie, je m’embête ; je n’ai pas une idée dans la tête. Sans ce bon Max[ime Du Camp, qui était revenu à Croisset avec les Flaubert], ce serait à en périr. Me voilà rentré dans ma vie plate et monotone qui n’a quelque douceur que par son uniformité, quelque grandeur peut-être que par sa persévérance. Sitôt que je romps à mon train ordinaire et que je veux m’y remettre, j’en éprouve une amertume sans fond. Aujourd’hui, par exemple, c’est quelque chose d’analogue à l’ennui des écoliers un jour après une vacance. Tout le temps se passe à rêver au plaisir qu’on a eu et on regrette de ne l’avoir pas mieux employé. Il y a 24 heures, nous étions en voiture, nous descendions, nous nous promenions à pied dans le bois. En As-tu éprouvé quelquefois le regret que l’on [a] pour des moments perdus, dont la douceur n’a pas été assez savourée. Pour C’est quand ils sont passés qu’ils reviennent au cœur, flambants, colorés, tranchant sur le reste comme une broderie d’or sur un fond sombre.
Je repense sans cesse à la voiture, et au soleil passant à travers les rideaux jaunes. Tu avais les lèvres et les paupières d’un rose vif…
Ne me dis jamais que je ne t’aime pas, puisque tu me fais éprouver des mélancolies que je n’avais jamais eues. Je sens plus la douleur que le plaisir ; mon cœur reflète mieux la tristesse que la joie. Voilà pourquoi, sans doute, je ne suis pas fait pour le bonheur, ni peut-être pour l’amour.
Je comprends bien combien je dois te paraître sot, méchant parfois, fou, égoïste ou dur ; mais rien de tout cela n’est ma faute. Si tu as bien écouté Novembre, tu as dû deviner mille choses indisables qui expliquent peut-être ce que je suis. Mais cet âge-là est passé, cette œuvre a été la clôture de ma jeunesse. Ce qui m’en reste est un peu de choses mais tient ferme. – Voilà pourquoi je me suis débattu longtemps contre l’idée d’avoir un enfant, quel triste être sortirait de moi ! la Il voudrait seulement parler et demanderait à mourir avant d’avoir vécu.
Je suis né ennuyé ; c’est là la lèpre qui me ronge. Je m’ennuie de la vie, de moi, des autres, de tout. À force de volonté, j’ai fini par prendre l’habitude du travail ; mais quand je l’ai interrompu, tout mon embêtement revient à fleur d’eau, comme une charogne boursouflée étalant son ventre vert et empestant l’air qu’on respire.
J’ai cherché à éviter les passions ; elles sont venues
. Quand je ne suis plus dans l’exercice de l’une d’elles, quand je t’ai eue quelques jours, par exemple, et que je reviens ici, rien ne pourra te donner l’idée de ce qui se passe en moi.
Adieu, je t’embrasse, je suis abruti. Je ne sais pas ce que j’écris ni seulement si tu pourras le lire.
Adieu, mille tendresses ; mais j’ai le cœur serré comme avec un cordon »


Cette lettre, écrite l’année de sa rencontre avec Louise Colet, nous dévoile la sombre image que Flaubert se fait de sa relation avec le bonheur, bien qu’il ne cache pas ses sentiments pour sa maîtresse :
« Ne me dis pas que je ne t’aime pas, puisque tu me fais éprouver des mélancolies que je n’avais jamais eues. Je sens plus la douleur que le plaisir ; mon cœur reflète mieux la tristesse que la joie », sentiments qui expriment une épouvante de ce qu’est l’amour et sa forme destructrice. On décèle ici une conception de l’amour comme un sentiment vecteur de tristesse, qui n’est pas sans rappeler l’héroïne éponyme de son plus célèbre roman : Madame Bovary.
S’installe entre eux – au grand désespoir de Louise Colet – un peu plus qu’une distance géographique (elle est à Paris, lui à Croisset près de Rouen), des objets la représentent et finissent par la remplacer, en quelque sorte. Cette conception est largement illustrée dans L’Education sentimentale, où Rosanette et Mme Dambreuse suppléent Mme Arnoux lorsque Frédéric se morfond de désir ou se ronge de dépit.

Les années passant, Flaubert ne tarde pas à craindre, puis rejeter, l’amour dévorant de Louise Colet. Il ne souhaite pas s’engager avec Louise Colet dans une relation de type conjugal. L’écrivain montre une véritable hantise de la femme destructrice. Ainsi, Emma séduit malgré elle Rodolphe, le notaire Guillaumin, Léon, et son mari n’était plus qu’une « marionnette » qu’elle corrompt même par-delà le tombeau.

Quant à l’idée d’avoir un enfant, l’aversion de Flaubert pour la famille en général est bien connue : célibataire invétéré, l’écrivain a toujours refusé le carcan social du mariage et la possibilité même d’être père.

***

« Si tu as bien écouté Novembre, tu as dû deviner mille choses indisables qui expliquent peut-être ce que je suis. Mais cet âge-là est passé, cette œuvre a été la clôture de ma jeunesse »

Le héros de Novembre « mourut, mais lentement, petit à petit, par la seule force de la pensée, sans qu’aucun organe fût malade, comme on meurt de tristesse […] » (Œuvres de jeunesse, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 831)
Novembre est une nouvelle de Gustave Flaubert écrite lors de l’automne 1842, publiée à titre posthume. Cette œuvre, en partie autobiographique, où l’auteur exalte le pathos d’un jeune homme, pareil aux Souffrances du jeune Werther de Gœthe, est aujourd’hui considérée comme l’une des premières réussites de sa jeunesse littéraire.

[BAUDELAIRE] VERLAINE, Paul (1844-1896)

Lettre autographe signée « Paul Verlaine » à Léon Deschamps pour la revue La Plume
Paris, le 19 octobre 1890, 1 p. in-8° à l’encre noire d’une écriture très serrée sur un feuillet de papier vergé anglais
Trace d’ancien montage sur onglet au verso ; pliure atténuée ; petit manque en marge supérieure restauré au papier Japon (atteinte à deux lettres), voir scan

Fameuse et émouvante lettre publiée sous forme de « tribune libre » dans La Plume du 15 novembre 1890 sous le titre : « L’Enterrement de Baudelaire »

L’un des plus beaux témoignages d’admiration de Verlaine à Baudelaire

Provenant de la bibliothèque Pierre Leroy


« Mon cher Deschamps,
En lisant dans votre dernier numéro le si éloquent article de Cladel, je me suis remémoré une visite à la tombe de Baudelaire que je fis il y a cinq ans en Compagnie de Charles Morice. J’étais allé au cimetière Montparnasse pour porter une couronne à une personne qui me fut quelque chose comme Maria Clemns fut à Edgar Poe*. Ce devoir presque filial accompli, mon cher Morice et moi, nous nous enquîmes de la tombe de Baudelaire ; mais, comme je savais que le grand poète était inhumé dans la sépulture du général Aupick, nous n’eûmes pas à nous heurter à toutes les navrantes (et honteuses pour un pays) ignorances constatées par l’auteur d’Ompdrailles, et nous pûmes bientôt mélancholier et ratiociner devant la stèle mesquine sous quoi dort tant de gloire littéraire — et par surcroît, si l’on veut, militaire… et diplomatique !!
Bien des années auparavant, j’avais accompagné, moi tout jeune et tout obscur, le cercueil de Baudelaire, depuis la maison de santé jusqu’à la nécropole, en passant par la toute petite église où fut dit un tout petit service d’après-midi. L’éditeur Lemerre et moi marchions les premiers derrière le corbillard que suivaient parmi bien peu de gens, Louis Veuillot, Arsène Houssaye, Charles Asselineau et Théodore de Banville. Ces deux derniers prononcèrent quelques paroles d’adieu. Au moment où on descendait le cercueil dans le caveau, le ciel qui avait menacé toute la journée, tonna, et une pluie diluvienne s’ensuivit. On remarqua beaucoup l’absence à ces tristes obsèques, de Théophile Gautier, que le Maître avait tant aimé, et de M. Leconte de Lisle qui faisait profession d’être son ami, en dépit des relations, un peu ironiques de la part de Baudelaire, qui avaient existé entre le défunt et le barde créole.
J’ai cru de quelque intérêt de vous envoyer ces notes qui ne me rajeunissent guère, bien que, je le répète, je fusse fort jeune à l’époque dont je parle. Faites de ma communication ce que vous voudrez, et vale.
Paul Verlaine »


* Il ne peut guère s’agir que de Mme Marie Mauté, morte en 1884

Verlaine, alors âgé de vingt-trois ans, avait en effet suivi le cortège funèbre de Baudelaire le 2 septembre 1867. Il nota ses premiers souvenirs le 7 septembre suivant dans La France artistique. Suscitée par un article de Léon Cladel paru le 15 octobre dans cette même revue, cette lettre fut reprise dans les Œuvres posthumes de Verlaine, publiées par Messein et figure dans ses Œuvres en prose complètes.
Verlaine fut le véritable initiateur de la première génération poétique issue de l’auteur des Fleurs du Mal, qui eut auprès de Rimbaud et Mallarmé, ses plus grands successeurs.

L’admiration de Verlaine pour Baudelaire :
Dans son recueil Liturgies intimes (1892), Verlaine publie le sonnet « A Charles Baudelaire ». Dans ces vers se tisse une relation ambiguë entre les deux poètes. Si Verlaine a incontestablement fait de Baudelaire un véritable modèle, il désavoue la partie de son œuvre qui prend à contre-pied la morale chrétienne. Ainsi, bien que les premiers vers –  « Je ne t’ai pas connu, je ne t’ai pas aimé, / Je ne te connais point et je t’aime encor moins » – de ce poème puissent surprendre, ce serait une mésinterprétation que d’en déduire un rejet de Baudelaire en tant qu’homme. Cependant, Verlaine ne développe pas son rapport avec Baudelaire que sous le prisme de la religion. Il lui consacre en effet un essai, publié en 1913 dans ses Œuvres posthumes, vol.II. Il le décrit alors comme « l’homme physique moderne, tel que l’ont fait les raffinements d’une civilisation excessive […] avec ses sens aiguisés et vibrants, son esprit douloureusement subtil, son cerveau saturé de tabac, son sang brûlé d’alcool ». On identifie dans ce propos le Baudelaire de la modernité, l’esthète décadent et l’homme d’une sensitivité hors du commun.
La duplicité que nous suggérions peut nous faire penser au célèbre vers du poème qui ouvre Les Fleurs du Mal, « Au lecteur » : « Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! » Car si Verlaine n’apprécie guère l’être immoral, n’oublions pas qu’il a ses vices, et que ces derniers ont contribué à forger l’ethos qu’on lui connaît… non bien différent de celui de Baudelaire. Dès lors, l’expression « poète maudit », directement retenue du titre d’un ouvrage de Verlaine, s’est tellement popularisée qu’aujourd’hui, on l’utilise quelque peu anachroniquement pour qualifier le « prince des nuées » ! En effet, au fil du temps, le « poète maudit » est devenu l’archétype du poète inspiré et incompris, qui se démarque par le refus de la morale et la provocation.
Enfin, cette analyse Edmond Richer (Verlaine, œuvres poétiques, Bordas, 1967) nous éclaire sur la façon dont Verlaine envisage la poésie de Baudelaire : « L’étude que Verlaine a consacrée à Baudelaire est loin d’être de premier ordre. Du moins nous montre-t-elle qu’il y a eu le mérite d’apercevoir dès 1865 la grandeur de Baudelaire, et de montrer à cette occasion plus de perspicacité que le trop sage Sainte-Beuve. A vrai dire, il nous présente un Baudelaire bien partiel et bien tronqué, celui qui tenait à séparer la poésie de la morale pour ne lui donner « d’autre but qu’elle-même » et qui dénonçait les facilité de l’inspiration romantique. Verlaine renchérit à grand renfort d’exclamations sur ces thèmes déjà un peu usés ; en revanche, il s’obstine à ne voir dans le « satanisme foncé » de Baudelaire qu’un « inoffensif et pittoresque caprice d’artiste ». En somme, il retient surtout de Baudelaire ce qui va dans le sens des Parnassiens. »

MERMOZ, Jean (1901-1936)

Réunion de neuf poèmes autographes de jeunesse
S.l [c. 1918-1919], 17 p. in-4to sur papier quadrillé
Très légers manques de papier et feuillets centraux dégrafés sans atteinte aux textes

Remarquable ensemble de neuf poèmes autographes de jeunesse


Nocturne (4 tercets en alexandrins suivis de 54 vers brefs de 2 à 4 pieds) :
« Le soleil couchant ensanglante l’horizon, / Et ses rayons de pourpre glissant sur le gazon / Teintent les paysages sous les cieux assombris. //
Il semble que tout se meurt avec volupté / Que le gouffre effrayant où chaque être va sombrer / Est un gouffre d’amour que l’on doit adorer. […] » ;

L’Épave (4 tercets) :
« Sur la côte déchiquetée, pareille à un squelette /
À demi dévoré par un fauve sanguinaire, / Un grand bateau de pêche dresse sa noire silhouette. […] » ;

Paysage (32 vers) :
« Les beaux soleils couchants / Qui meurent sur la grève, / Et donnent au flot d’argent / Une langueur de rêve. […] » ;

Le Glas (7 quatrains) :
« Quelqu’un est mort au village ? /… Est-ce un enfant ou un homme d’âge ? / Qu’importe ! Une âme n’est plus ici-bas / Écoutez sonner le sombre glas ! […] » ;

Banlieue (12 vers) :
« Un immonde tramway monte la rue en grinçant / Entre deux haies d’arbre de massifs poussiéreux… […] » ;

Pâques (4 quatrains) :
« Quand j’entrai dans mon village / Un gai carillon m’accueillit. Les cloches chantaient avec rage / En haut du clocher du pays. […] » ;

L’Ange de la Douleur (4 huitains) :
« Quand l’Ange de la Mort / Pâle messager du Dieu / Qui commande notre sort / Emporte vers les Cieux /
L’âme de l’être cher / De l’éternelle demeure / Descend l’Ange du Père / L’Ange de la Douleur. […] » ;

La Chauve-Souris (4 quatrains suivis de 12 vers) :
« Quand le jour naissant brusquement apparu / Surprend la chauvesouris dans son vol nocturne /
L’animal eff rayé s’enfuit éperdu / Ne pouvant supporter que la clarté de la Lune. […] » ;

La Mort du Chien (32 vers) :
« Blotti dans l’excavation sombre d’une carrière / Le poile tout gluant de sueur et de poussière / La gueule saignante et dégoûtante de bave […] ».


Lors de son enfance, le « Grand », comme le surnommait Antoine de Saint-Exupéry, est un jeune garçon timide, épris de poésie et de sculpture. Ce recueil poétique, écrit entre 1918 et 1919, nous révèle la remarquable précocité du jeune Mermoz et l’influence qu’ont sur lui les lectures de Baudelaire et Verlaine. Ce n’est que peu de temps après, et sur les conseils d’un chanteur d’opérettes, Max Delby, qu’il opte pour l’aviation. Après l’obtention de son brevet de pilote, il part en mission en Syrie en 1922, et tombe amoureux de son métier et du Moyen-Orient malgré quelques péripéties dans le désert. A l’instar du père du « Petit Prince », Mermoz ne cesse son activité d’écrivain : il écrit des poèmes au fil de ses voyages.

APOLLINAIRE, Guillaume (1880-1918)

Quatrain autographe signé « G.A. » à Paul Lombard
[Nîmes], 15 mars 1915, 1/4 p. in-4to
Traces de pliures, marges légèrement effrangées, une correction, traces typographiques

Savoureux quatrain épistolaire en alexandrins à son ami Paul Lombard


« Ainsi que Didier Lombard, ô Paul Lombard
Tu regardes debout sur la tour cette guerre
Prends garde qu’un conseil du civil de naguère
Ne fasse en un clin d’oeil un terrible soudard
G.A. »


Ce quatrain épistolaire à Paul Lombard, dont cette version manuscrite est inédite, fait partie d’un ensemble de poèmes échangés entre les deux amis entre février et avril 1915, quand Apollinaire, engagé volontaire, faisait ses classes à Nîmes.  Journaliste, Paul Lombard était un des fils de Jean Lombard, écrivain qui eut son heure de célébrité et auquel Apollinaire consacra un savoureux écho dans La Vie anecdotique, rubrique qu’il tenait au Mercure de France.  Didier Lombard était-il un autre de ses frères ?

Grâce à la publication récente des lettres adressées par Paul Lombard à Apollinaire, il est possible d’interpréter le quatrain comme une réponse à un précédent quatrain de Paul Lombard, envoyé de Paris le 13 mars 1915 :

Anticipations
Ton profil de médaille antique, Apollinaire,
A précédé ton nom dans l’immortalité
Mais ton soixante-quinze, irritable et crotté,
Restitue au passé la horde sanguinaire.

Le compliment s’accompagne d’une critique non voilée de la participation d’Apollinaire à la guerre. La réponse d’Apollinaire dénonce le retranchement de son ami dans sa tour (d’ivoire) protectrice et le menace d’une brutale métamorphose. Lui aussi, s’il prend conscience de la nécessité de l’engagement, peut devenir « en un clin d’œil » un militaire brutal et grossier… Autre façon de reconnaître avec lucidité la barbarie inhérente à la guerre à laquelle il a voulu participer, qui lui vaudra une blessure à la tête et probablement une mort prématurée.

Au-delà d’allusions privées, cet échange ainsi décrypté prend toute sa valeur : il témoigne de l’incompréhension qui s’instaure entre les combattants et les « embusqués », incompréhension qui va jusqu’à compromettre l’amitié d’antan.

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

[Deuxième notice sur] Pierre Dupont – Épreuves corrigées et signées de la main de Baudelaire
[Paris] 6 juin 1861 [cachet du composteur], 11 p. in-8vo bradel cartonnage papier marbré (V. Champs)
3 ff. in-8vo paginés [201]-206, + 5 p. sur 3 ff. paginés 132-136 pour les trois chansons de Dupont qui portent des corrections purement typographiques à l’encre, vraisemblablement à l’intention d’un prote
Dos légèrement frotté

Des anciennes collections de la Baronne Alexandrine de Rothschild et du Colonel Daniel Sickles, provenant de la vente Albert et Monique Kies

Célèbres et précieuses épreuves consacrées à Pierre Dupont, abondamment corrigées et signées par Baudelaire


Bien qu’étant une notice laudative consacrée à son ami Pierre Dupont, Baudelaire ouvre le feu d’emblée à l’encontre de Victor Hugo. Il souligne chez lui ses « infatigables facultés », dont le public est devenu « tellement las ». On observe ainsi toute l’ambivalence des sentiments éprouvés par l’auteur des Fleurs du mal pour celui des Misérables. Baudelaire hérite de la partie la plus obscure du romantisme mais ne peut toutefois s’empêcher de réprimer le pair de France, père de famille à genoux devant une nature, que lui exècre.

Historique de la notice :
[Première] épreuve corrigée, plus d’un an auparavant, pour l’anthologie d’Eugène Crépet : Les Poètes français / Recueil des chefs d’œuvre de la Poésie française // Les Contemporains. P., Hachette (fin juillet) 1862, t. IV pp. [609] – 615 suivies de trois chansons pp. 616-620.
Crépet en avait autorisé, moyennant finances, la publication anticipée dans la Revue fantaisiste de Mendès du 15 août 1861, parue sous le titre collectif depuis lors retenu : « Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains »

Aucun doute que notre épreuve du 6 juin 1861 précède la Revue fantaisiste, pour laquelle il existe d’ailleurs une épreuve avec de petites corrections, toutes toutes d’ordre typographique. Baudelaire aurait-il communiqué à Poupart-Davyl, l’imprimeur de la Revue fantaisiste, un jeu de cette seconde épreuve ? Il a en effet demandé à l’imprimeur de l’anthologie [J. Claye] une seconde épreuve pour entériner ses « retouches » et coupures.

Notre première épreuve présente des similitudes avec la Revue fantaisiste de 1861, par exemple :
« […] cette gloire était trop grande. Mais aujourd’hui, ils sont trop bien vengés ; car » (identique à la version de la Revue) que l’on retrouve sous cette forme chez Crépet en 1862 : « […] grande, mais […] vengés, car ». Nous pouvons alors nous demander si Mendès avait connaissance des réticences qui mécontentent le poète.

Tout comme dans la Revue deux mois plus tard, la charge contre Ponsard est ôtée dès cette première épreuve : « Cette nuée vomit M. Francis Ponsard [biffé, ajout en interligne :] les néo-classiques, qui valait bien à lui seul [biffé, ajout en interligne :] certes valaient bien plusieurs légions de sauterelles ».

Puis : « Le public était tellement las de Victor Hugo, tellement las [biffé] de ses infatigables facultés »

De même certaine ferveur nuancée : « Car il serait injuste de croire que tous les hommes, même en France, sont tous et toujours [biffé] également vils, bêtes et ignorants [biffé, ajout en interligne :] bêtes et coupables.

Théodore de Banville avait produit les Cariatides ; (…) » [« Déjà Théodore de Banville avait, mais vainement, produit » (in Revue fantaisiste), oubli Pichois].

L’amitié solide entre Pierre Dupont et Charles Baudelaire ne fait aucun doute, en témoignent les concernés eux-mêmes, mais aussi des membres de leur entourage. Nés la même année – 1821 ­–, l’un à Lyon, l’autre à Paris, rien ne semble les prédisposer à se lier de la sorte : milieux d’origine, talents et tempéraments différents. De 1842 à 1854 peut-être, ils ne paraissent pas tant partager une lutte commune qu’une série de moments privilégiés faits de rencontres et d‘aventures vécus avec une intensité, implication ou nonchalance à l’envi au gré des instants et des désirs de l’un et l’autre.

Particulièrement valorisant, le texte de Baudelaire est bienveillant envers le chansonnier : « Je sais que les ouvrages de Pierre Dupont ne sont pas d’un goû[t] fini et parfait […] Pour achever en quelques mots, il appartient à cette aristocratie naturelle des esprits qui doivent infiniment plus à la nature qu’à l’art, et qui, comme deux autres grands poètes A[uguste] Barbier et madame Desbordes-Valmore, ne trouve que par la spontanéité de l’âme l’expression, le chant, l[e] cri, destinés à se graver éternellement dans toutes les mémoires »
Les années 1848 consacrent Dupont : « L’amour est plus fort que la guerre ! ». Baudelaire lui offre une mémoire collective, presque au rang des plus grands. (Voir la première notice de 1851, n°64)

ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « A » à Louis Emié
Nice, le vendredi Saint [avril 1942], 1 p. in-4
Quelques rousseurs, petites taches, traces de pliures

Belle lettre de Louis Aragon, depuis la zone libre, disant son admiration pour le sonnet comme forme poétique – Il évoque ensuite la rédaction en cours de l’un de ses plus célèbres romans : Aurélien  


« Cher Louis Emié,
Merci de votre lettre. Je suis très curieux de lire ces « sonnets », et ce me sera une raison de plus d’attendre avec impatience le prochain ‘Fontaine’
[Revue] Vous semblez vous excuser de cette forme traditionnelle… Vous dirais-je que sans en avoir l’air, il se glisse un sonnet dans ‘le Crève-Cœur’ ? Et que je viens de relire avec beaucoup de plaisir l’introducteur même de cette forme dans notre langue, [Joachim] du Bellay, dont la poésie est peut-être à cette heure-là plus voisine de notre pseudo Renaissance ? Et Chrétien de Troyes, qui est parfois grand comme… faut-il dire Rimbaud ? Mais ceci nous sort du sonnet.
Ainsi nous serons coupés à la fin du mois comme Grecs et Yougoslaves, et vous rentrez à Bordeaux… Sait-on si ce n’est pas mieux. Paris me manque affreusement, mais est-ce encore Paris ? Je suis heureux de penser que je pourrai vous écrire par Toulouse, mais pourrez-vous utiliser cette voir en retour ?
Mon roman… Cela s’appelle ‘Aurélien’ jusqu’ici, et peut-être pas pour toujours.
Une épigraphe de Chrétien de Troye :
Amants ne savent pas ce qu’ils font
Vous dira peut-être plus du livre que je ne ferais. Cela se rattache par les personnages aux Beaux Quartiers (Edmond Barbentane) et aux Cloches (Diane de Nettencourt), et même aux Voyageurs (Blaise d’Ambérieux). Ce n’est pas un roman politique. C’est une histoire d’amour. L’autre après-guerre, avec le fond intellectuel d’alors, et la désillusion des Anciens Combattants et le dadaïsme.
Que c’est pauvre quand on résume.
Donnez de mes nouvelles à Antonio Machado.  Et donnez-moi des vôtres.
Bien amicalement
A.
 »


Cette lettre date très probablement d’avril 1942. Aragon est alors en pleine rédaction de son chef d’œuvre Aurélien. Il séjourne à Nice avec Elsa Triolet du 31 décembre 1940 jusqu’à leur arrestation, le 25 juin 1941, alors qu’ils tentent de regagner Paris et les écrivains résistants. La police les relâche et ils retournent à Nice le 16 novembre 1941, où ils restent jusqu’en novembre 1942.

En avril 1941 paraît Le Crève-Cœur, dont il est aussi question dans cette lettre. Ce recueil poétique marque le retour de Louis Aragon à l’alexandrin et à des codes de poésie plus traditionnels que dans ses recueils des grandes heures du dadaïsme et du surréalisme. Il commence un travail de réappropriation de la tradition, revient à une simplicité des images et des rythmes, loin des provocations de ses recueils précédents. Il montre ainsi le lien entre lyrisme personnel et engagement poétique.

Fondée en 1938, la revue Fontaine prend son nom définitif au printemps 1939. Elle paraît mensuellement à Alger dès 1941 jusqu’en décembre 1944 puis à Paris jusqu’en 1947. Cette revue « de la résistance en pleine lumière » regroupe la plume de poètes engagés tels qu’Aragon, Artaud, Cocteau, Jacob, Jouve, Ponge ou encore Soupault.

Etrangement, Louis Aragon évoque Antonio Machado, comme s’il était encore vivant alors que ce dernier est tragiquement mort en exil à Collioure en février 1939.

POTOCKI, Jean (1761-1815)

Lettre autographe signée « Jean Potocki » à Firmin Didot
Uladowka, 1er novembre [1814], 1 p. in-4, date de réception de la main du destinataire au coin supérieur gauche
Traces de pliures, légères brunissures en marge droite, infime trou en marge inférireur sans atteinte au texte

Dernière lettre connue de l’auteur de Manuscrit trouvé à Saragosse, un an avant son retentissant suicide – L’une des deux encore en mains privées


« Je viens Monsieur de recevoir l’avis du banquier Guebhardt, qui m’anonce, que vous avez recu le premier livre de mes Principes de Chronologie pour les douze siècles qui ont précédé les olympiades.
Je vous demande donc de l’inserer dans quelque ouvrage Periodique, et je vous envoye le second livre, pour l’inserer aussi.
J’y ai corrige beaucoup de fautes, mais sans doute il en reste encore, car l’auteur ne peut corriger son ouvrage et je n’ai personne pour me seconder. Voyez donc je vous prie si quelque absurdité ne s’est point melée à mes arguments. Vous en aviez trouvé une bien forte dans mon appercu publié à Petersbourg. S’il s’en trouve de pareilles ici. Il sufit d’en avertir dans une note.
Adieu Monsieur Je me r
[e]comande toujours à votre amitié. Jean Potocki.
Uladow / dans le gouvernement / de Podolie. Le 1. Novembre
Mon adresse est toujours chez les freres Chaudoir, a Berdyczew mais il sufira de s’adresser à Gebhardt Rue Michaudier[e] N°8 »


Personnage éclectique, dont le talent ne se limite pas aux qualités littéraires, les nombreux voyages de Potocki l’ont fait historien, archéologue, géopolitologue, ethnologue, linguiste.
Deux œuvres couronnent ainsi le génie de cet homme : L’Atlas archéologique de la Russie européenne (1797-1805) et Manuscrit trouvé à Saragosse (plusieurs versions françaises entre 1797 et 1811, deux jeux partiels de placards hors commerce imprimés à St-Pétersbourg en 1804-1805, deux versions partielles publiées à Paris en 1813 et 1814).
L’Atlas s’apparente à ce que nous appelons de nos jours un atlas historique, soit l’évolution historique et géopolitique d’une zone géographique en par des cartes. Potocki envisage ce projet comme un but ultime.
Manuscrit est un roman aussi éclectique que son auteur. Y interfèrent les romans libertin, gothique, picaresque, le tout nourri de réflexions philosophiques. L’ouvrage inclut aussi des mathématiques : le personnage de Velasquez s’intéresse – quoiqu’avec sarcasme – à des lois statistiques concernant la longueur de règnes (ces études relèvent d’ailleurs de la chronographie).

Jean Potocki : chronographe
La chronologie de l’Antiquité apparaît comme une suite logique de ses recherches d’historien de l’Antiquité et de ses lectures érudites. Pour s’y retrouver en effet, Jean Potocki a besoin de traiter la synchronie : ce sont ses « cartes cyclographiques », et la diachronie : ce seront ses « chronologies », qui vont constituer l’essentiel de ses recherches, une fois installé dans sa retraite studieuse et solitaire d’Uladowka.  C’est à partir de 1803 qu’il entreprend un nouveau travail sur la chronologie des périodes antiques : Principes de chronologie pour les temps antérieurs aux Olympiades (six tomes publiés de 1813 à 1815) dont il est ici question.

WEIL, Simone (1909-1943)

Lettre autographe signée « Simone Weil » à Henri Guilbeaux
Auxerre [automne 1932], 1 p. in-4to oblongue
Marge inférieure légèrement oblique, traces de pliures, quelques petites décharges d’encre

Très rare lettre de la philosophe témoignant son soutien indéfectible auprès de ses camarades du Parti socialiste des travailleurs d’Allemagne, opposants au Komintern de Staline – Cette missive révèle, au-delà de son profond humanisme, des précautions utilisées par Simone Weil pour obtenir la confiance de son correspondant par une personne interposée


« Cher camarade,
Excusez-moi de vous écrire sans être connue de vous – j’ai connu
[Paul] Frölich durant mon séjour d’un mois à Berlin (en août) – il m’avait donné une lettre pour vous, que votre détention au cherche-midi m’a empêchée de vous remettre.
Actuellement, je suis, bien entendu, extrêmement inquiète pour les camarades de Berlin, et notamment pour Frölich
[…] Avez-vous des nouvelles de lui ? Avez-vous une idée de la manière dont on pourrait en avoir ? Je suis disposée à faire n’importe quoi de possible pour l’aider, s’il se trouve avoir besoin d’une aide quelconque (argent ou autre chose).
C’est
[Marcel] Martinet qui m’a donné votre adresse – Je lui ai demandé de vous écrire pour vous assurer que vous pouvez avoir confiance en moi, et me dire tout ce que vous savez.
Dites-moi aussi ce que vous croyez qu’on peut faire.
Bien cordialement à vous
Simone Weil
34 rue de Preuilly
Auxerre (Yonne) »


Paul Frölich (1884-1953) est un journaliste et dirigeant socialiste-révolutionnaire et communiste allemand. En 1922 il publie une brochure en français : La Terreur blanche en Allemagne (Petite bibliothèque communiste, Paris). Il est l’un des dirigeants du K.P.D. (Kommunistiche Partei Deutschlands), avant de créer le Sozial Arbeiter Partei (S.A.P.). Élu député au Reichstag (1921-1924, puis 1928-1930), il est arrêté en 1933 et détenu en camp de concentration pendant neuf mois (Simone Weil, qui va jusqu’à fomenter des plans d’évasion pour son camarade, envoya de l’argent pour payer un avocat).

Les « camarades » de Berlin pour lesquels Simone Weil s’inquiète sont surtout les « oppositionnels » (soit ceux qui souhaitaient un redressement du Parti communiste allemand) qu’elle a connus lors de son séjour, et qui luttent contre l’appareil du Parti du Komintern et de l’État russe. À son retour d’Allemagne, Simone Weil cherche à aider des réfugiés politiques qui ne font partie d’aucune des deux Internationales et qui, par conséquent, ne bénéficiaient d’aucun secours. Elle organise ainsi nombre d’hébergements successifs chez ses parents (au grand désespoir de son père… qui acceptait toujours cependant).

« C’est Martinet qui m’a donné votre adresse »

Simone Weil rencontre Marcel Martinet (1887-1944), par le biais à Michel et Jeanne Alexandre, fondateurs des Libres propos ou Journal d’Alain, en 1921. Auteur des Temps maudits (1914-1916), Martinet est proche de l’équipe des Libres Propos et s’engage activement aux côtés des intellectuels antifascistes. En 1918 il fonde une revue pacifiste, La Plèbe. Premier directeur littéraire de L’Humanité (1921-1923), il renonce à ses fonctions et quitte le P.C.F. pour lutter avec le noyau de militants syndicalistes groupés par P. Monatte autour de La Révolution prolétarienne.

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à un confrère
Paris, 12 novembre [18]93, 1 p. 1/2 in-8°
Traces de pliures d’époque, infimes taches, ancienne trace d’onglet

Magnifique lettre, en partie inédite, écrite à la clôture de la saga des Rougon-Macquart
Zola y explique avec sensibilité et émotion ne plus éprouver de « passions » pour ses œuvres déjà parues


« Mon cher confrère,
Je ne préfère aucune de mes œuvres. Dans chacune, j’aime mieux certaines pages, celles où j’ai dit nettement ce que je voulais dire : voilà tout.
Lorsque j’ai terminé un livre et que je l’ai donné au public, il n’existe plus pour moi. Toute ma passion tombe, et j’en commence un autre, pour lequel je me passionne, jusqu’à ce qu’il soit aux autres. Il faut que je fasse un effort, lorsque je veux me souvenir des romans, hélas ! trop nombreux que j’ai écrits. Ce sont comme des tombes de parents et d’amis, autrefois bien chers, sur lesquelles il me serait trop triste d’aller m’attendrir.
Cordialement à vous.
Emile Zola »


La saga des Rougon-Macquart arrive à son terme avec la publication, chez Charpentier, du Docteur Pascal, au printemps 1893. Déjà très populaires à l’époque de leur parution, la plupart des romans de la saga entrent dans la légende. Parmi les plus célèbres, on compte Germinal, Nana ou encore L’Assommoir. Au total, vingt romans sont écrits et publiés entre 1870 et 1893.

Zola répond ici vraisemblablement à un confrère journaliste désirant faire un article sur l’ensemble de la saga et ce qu’elle représente aux yeux du romancier.

Un résumé de la lettre et la citation d’une phrase sont publiés dans le tome VIII de la correspondance, à partir d’un extrait de catalogue :
« Ce sont comme des tombes
de parents et d’amis […] ». Cette comparaison illustre fort bien la tristesse qui émane de l’émouvant propos et ce que représentent les œuvres de Zola pour Zola lui-même. Personnification des livres ou métonymie désignant les personnages à qui l’auteur a donné vie, les « tombes » font bien sûr référence à la mort. Et si quand on perd un parent, un ami, on perd une partie de soi, alors perdre les parents et amis de vingt romans… qu’est-ce perdre ?

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

« La Certitude d’avoir raison », manuscrit autographe signé « Paul Eluard »
S.l.n.d, 1 p. in-4
Traces de pliures, quelques froissures, annotations au verso d’une autre main

Superbe manuscrit de premier jet sur la vision de la poésie d’Éluard : influence sur les hommes, influence sur le monde, influence sur la construction du rapport des hommes à leur monde


« Il y a une tradition poétique et c’est la tradition de la découverte, de l’invention, la recherche d’un beau et d’un bien toujours nouveau. Le développement de l’imagination est lié à la transformation sociale : ils se commandent réciproquement. L’imagination change de monde. Il n’y a pas d’explorateurs ou d’inventeurs sans imagination. Cette reine du monde est la mère du progrès. Et, tout en donnant raison à [Vladimir] Maïakovsky, qui supposait l’existence dans la société de problèmes dont la solution n’est imaginable que par l’œuvre poétique », l’on peut espérer que l’œuvre poétique trouvera la solution par la résolution des problèmes sociaux.
La poésie est le reflet du monde. Ce que je dis, c’est ce que je vois et je dois forcément trouver un écho dans le cœur de mes semblables. Il n’y a sur terre qu’une vérité, celle de l’homme au service de tous les hommes, celle de tous les hommes au service de l’homme. La poésie ne sera bientôt plus un refuge. Elle devient la solution logique, car elle est la vie, une vie qui nourrit l’imagination, une imagination qui transforme la vie. Comme l’amour, elle doit être réciproque. Mais elle saut que cette réciprocité est entièrement fonction de l’égalité du bonheur matériel entre les hommes. Et l’égalité dans le bonheur porterait celui-ci à une hauteur dont nous ne pouvons encore avoir que de faibles notions.
Paul Eluard »


Cette réflexion sur ce qu’est la poésie selon Eluard vaut un petit tour d’horizon des différentes façons qu’il a eu d’envisager ce mode d’expression : Déjà avant la guerre, Eluard voit la poésie ainsi que le fruit d’un engagement esthétique, littéraire et politique. Avec Aragon et Breton, il suit de près les conflits idéologiques montants, mais refuse que l’art se soumette à ces problématiques. C’est d’ailleurs le recueil amoureux Capitale de la douleur (1926) qui est resté le plus connu du poète à cette époque. Cependant, durant la Seconde Guerre Mondiale, politique et poétique finissent par ne faire plus qu’un sous sa plume, et sa poésie devient une arme à part entière ; on pense naturellement au célébrissime hymne à la « Liberté » sous l’Occupation.

Le 28 novembre 1946, soit peu après la probable date de notre manuscrit, Nusch Eluard, l’épouse du poète, décède. Ce dernier renouvelle alors sa vision de la poésie, la faisant passer « de l’horizon d’un homme à l’horizon de tous ». Cette volonté d’universalité est superbement exprimée ici : « Ce que je dis, c’est ce que je vois et je dois forcément trouver un écho dans le cœur de mes semblables. » D’ailleurs, l’approche de la poésie comme le commun de tous découle d’une réflexion philologique sur les rapports des hommes au langage, dont la conclusion est que « Le poète […] nous rendra les délices du langage le plus pur aussi bien celui de l’homme de la rue que du sage, que celui de la femme, de l’enfant ou du fou. » (Les Sentiers et les routes de la poésie, 1952).

Une partie de ce manuscrit, les deuxième et troisième phrases, se trouve dans la section Poèmes retrouvés (tome II de la Pléiade p. 873), sous le titre Aujourd’hui la Poésie : il s’agit un fragment d’une conférence faite par Eluard, le 9 avril 1946, à l’Institut français de Prague.

Une autre partie, la dernière phrase, se trouve dans Avenir de la Poésie (Œuvres complètes, tome I de la Pléiade, p. 526). On sait qu’Eluard a fait de très nombreuses conférences et déclarations à Prague durant le printemps 1946, puis d’affilée, en Italie et en Grèce. On peut légitimement penser que ce manuscrit date de cette époque.

LONDON, Jack (1876-1916)

Lettre autographe à Charmian Kittredge
À bord du S.S. Siberia, 13 janvier 1904, 4 p. in-8, en anglais
Traces de pliures, petit manque sur le premier feuillet portant légèrement atteinte à une lettre

Tendre et rare missive – partiellement inédite – écrite à sa maîtresse à bord du S.S. Siberia, au milieu de l’océan Pacifique


[Traduction de l’anglais]

« Un peu faible et bancal, mais toujours sur le ring. Je m’en sort avec une belle grippe. Bien sûr, je ne suis pas allé me coucher avec, j’ai passé le temps dans un transat pendant toute une journée et à moitié conscient. Et aussi, comme tous mes os me font mal, même maintenant ! Et quels rêves fous j’ai eus ! Tu étais dans chacun d’eux.
Honolulu est en vue et dans une heure je serai à terre pour envoyer cette lettre par la poste et apprendre s’il y a ou non la guerre.
Chère femme, je me couperais les orteils pour t’avoir ici avec moi pendant de ce voyage
. C’est tellement triste, tellement injuste.
J’ai fait un rêve étrange à ton sujet la nuit dernière, nous venions de nous marier, et tu avais écrit ton âge sur une carte et tu me l’avais remis – « 41 » pouvait-on lire. Maintenant, seras-tu sage ?
Je fais, grippe exceptée, un bon voyage. Le temps est parfait. Il en va de même pour le bateau à vapeur. Je suis convié à la table du capitaine, et tout le reste. Tu sais. Mais j’aimerais que tu sois avec moi. Mon cœur, jusqu’à Yokohama. Entièrement et totalement à toi »

[Texte original]

“Somewhat weak and wobbly, but still in the ring. Came down with a beautiful attack of La Grippe. Of course, didn’t go to bed with it, but spent the time in a steamer chair, for one day half out of my head. And oh, how all my bones ache, even now! And what wild dreams I had! And you were in all of them.
Honolulu is in sight, and in an hour, I shall be ashore mailing this, and learning whether or not there is war.
Dear woman, I’d cut off my toes to have you here with me on this trip. It is so wrong, so unfair.
Had a ridiculous dream about you last night, we had just been married, and you wrote your age on a card and handed it to me – “41” it read. Now will you be good?
Am, Grippe excepted, having a nice trip. The weather is perfect. So is the steamer. Sit at the Captain’s table, and all the rest. You know. But I wish you were with me. Dear heart, until Yokohama.
Wholly and utterly your own


Début 1904, Jack London accepte de couvrir la guerre russo-japonaise pour le compte du journal San Francisco Examiner. Son reportage, de février à mai 1904, est empreint de préjugés racistes sur les Coréens. Il marque cependant son étonnement face à l’essor de l’utilisation inédite de l’industrie dans le cadre d’une guerre. Il est arrêté par l’armée japonaise pour avoir rossé le valet d’un officier puis libéré, sur intervention de Theodore Roosevelt. Il est finalement expulsé de Corée.

C’est en été 1903 que Jack London tombe amoureux de Charmian Kittredge, qu’il a rencontrée en janvier 1900. Elle est la nièce de la femme du directeur du journal Oakland. Fin juillet, il se sépare de sa femme Bessie, abandonnant au passage ses filles. Jack London épouse sa maîtresse à Chicago le 19 novembre 1905.

La lettre n’est pas signée, Jack et Charmian gardaient leur liaison secrète à l’époque.
Jack a écrit Charmian 33 lettres entre le 8 janvier 1904 et le 30 juin 1904.

De janvier à novembre 1904 paraît Le Loup des mers, son deuxième succès, un an après L’Appel de la forêt.

CAILLEBOTTE, Gustave (1848-1894)

Lettre autographe signée « G Caillebotte » à Claude Monet
[Paris], Jeudi [entre 1883 et 1885] 1 p. in-12, en-tête figurant l’adresse de son atelier au 31, Bd Haussmann
Petite tache en marge inférieure

Caillebotte compte rejoindre son ami Monet à Étretat  


« Mon cher ami
Charlotte
[Berthier] est au lit depuis quelques jours ce qui fait que j’ai remis mon voyage à la semaine prochaine. J’espère qu’elle se lèvera dans 2 ou 3 jours et j’ai l’intention d’aller vous voir à Etretat si vous y êtes encore mercredi prochain par le train du matin 8h et quelques minutes.
Tout à vous
G. Caillebotte »


Lieu de villégiature très prisé par Monet entre 1883 et 1886, Étretat inspire au moins quinze tableaux au peintre, qui en représente les célèbres falaises

Parmi les portraits de Monet par Caillebotte, il en est un resté célèbre et daté de 1884, Monet à Étretat. Celui-ci est conservé au musée du Petit Palais de Genève.

De la vie privée de Gustave Caillebotte, on ne sait que peu de choses. Officiellement célibataire, il vit longtemps avec son frère, Martial, jusqu’à ce que ce dernier se marie. On lui connaît une compagne de quinze ans sa cadette, avec qui il vit discrètement dans sa propriété du Petit Gennevilliers, alors qu’il a trente-cinq ans. Connue sous l’identité de Mademoiselle Charlotte Berthier, elle s’appelle en réalité Anne-Marie Hagen, née Pagne. On n’en sait guère plus à son sujet.

NERVAL (de), Gérard (1808-1855)

Lettre autographe signée « Gérard de Nerval » à un critique littéraire du Journal des Débats
S.l.n.d [été 1851], 2 p. in-12

Rare supplique de Nerval auprès du Journal des Débats pour un article élogieux sur Voyage en Orient, paru la même année
Le poète évoque par ailleurs la fielleuse nécrologie que lui a consacrée Janin dans le même journal dix ans plus tôt


« Monsieur
Je vous adresse deux volumes qui ont paru récemment [Voyage en Orient], regrettant que l’Editeur ne vous les ait point envoyés au moment où vous vous occupiez d’ouvrages du même format. Si vous pouviez dire un mot des miens, je serais heureux de voir mon nom reparaître dans le Journal des Débats qui en 1841 (mars) m’a consacré un article de Janin dans une circonstance bien malheureuse qui heureusement n’a pas eu les résultats que l’on craignait.
Si vous appréciez le soin littéraire que j’apporte à mes travaux comme j’aime et j’honore votre savante critique, j’espère que vous ne me reprocherez pas trop sérieusement le scepticisme que certains critiques ont cru reconnaître dans ce Voyage. Les portions incriminées ont paru dans une époque où ces sortes d’idées appartenaient à une fantaisie sans conséquence, et si vous avez lu dans la Revue des 2 Mondes l’étude que j’ai écrite sous le titre des Confidences de Nicolas l’année dernière, vous y aurez apprécié du moins le sentiment moral et même religieux qui à mon âge arrive à dominer mes pensées. Du reste, Monsieur, quoique vous écriviez sur mon compte, je serai heureux de recevoir vos conseils.
Votre bien dévoué serviteur
Gérard de Nerval
S’il fallait un exemplaire de plus pour le journal je vous serai bien obligé si vous voulez m’en prévenir, rue des Martyrs, 66 »


Nerval exprime son vif souhait de reparaître dans Le Journal des Débats, l’un des médias majeurs du cercle littéraire au XIXe siècle. Il revient toutefois sur la fielleuse notice nécrologique que Janin a écrite dix ans plus tôt à son sujet dans le même journal, ce dernier évoquant déjà la folie du poète. C’est en effet en février 1841 qu’une crise force Gérard de Nerval à se faire soigner chez le docteur Esprit Blanche (1796-1852) et à être interné en clinique de mars à novembre de cette année. La crise est d’une telle violence qu’il ne s’en remet, et que partiellement, qu’en été 1842.

Après avoir flatté son correspondant, Nerval termine son argumentaire en évoquant sa récente étude sur Nicolas Edme Restif de La Bretonne (1734-1806) dans son ouvrage Les Confidences de Nicolas. Histoire d’une vie littéraire au XVIIIe siècle (1850).  Il s’agit d’une longue étude où le romantique laisse notamment prévaloir son « sentiment moral et religieux ». Usant très librement des textes autobiographiques laissés par son modèle, Nerval s’applique à recomposer sa vie.

Nerval envisage tôt d’effectuer un grand voyage en Orient. Ce projet est toutefois mis à mal en 1841 en raison de troubles mentaux. Ces derniers l’affectent tant lui que sa réputation littéraire. Au sortir de ses déboires, son désir de partir n’en est que plus grand. Il compte en effet sur une telle aventure pour entamer « une grande entreprise qui efface le souvenir de tout cela et qui [lui] donne aux yeux des gens une physionomie nouvelle », ainsi qu’il l’écrit à son père. On comprend donc pleinement les motivations de l’auteur à rejoindre un environnement plus sain, qui ne fera plus de lui un fou à lier. Il projette de raconter cet environnement dans un ouvrage richement illustré sur ses voyages, qui prouverait que son talent n’est pas altéré. Commence alors un périple en 1843 qui mène Nerval à Malte, en Égypte, en Syrie, au Liban ou encore en Turquie, au terme duquel il achève ses récits de voyages, quelque peu romancés, dans les pas de Chateaubriand mais avec sa singularité. En effet, il envisage l’Orient de manière différente que ses contemporains et prédécesseurs de la première vague du romantisme. Quand ces derniers en voyaient une terre de conquêtes (militaire, religieuse, intellectuelle) sur fond de destinée à réaliser, Nerval a un positionnement différent : pour lui, l’Orient, c’est l’occasion de se documenter et d’enrichir ses œuvres, de leur donner une teinte érudite. Cette écriture est d’ailleurs un point charnière entre romantisme et réalisme. C’est ainsi que l’on aboutit à Voyage en Orient (1851), un chemin initiatique à la fois source de savoirs et parcours poétique à part entière, où une plume débridée vit un rêve et rêve la vie, le tout avec ésotérisme et symboles.

Belle signature complète de son nom d’écrivain

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Épreuve d’époque sur papier albuminé par Benque & Co
[c. 1885], contrecollé sur carton fort et signé en marge inférieure droite à la plume, format cabinet (10,5 x 15,4 cm)
Petite tache en marge inférieure du carton

Très rare tirage original de l’écrivain par Benque & Co


On connaît la réticence de Maupassant à se faire photographier. En 1890, il menace son éditeur, Charpentier, de le mettre en procès pour la diffusion non autorisée d’une eau-forte par Desmoulin à partir d’une photographie de Liebert.
Il estime que les photographies font partie de la vie privée et que l’écrivain ne doit être jugé que par ses œuvres. Cette répugnance de voir son visage livré à la curiosité de la foule est certainement aussi la preuve d’une certaine « crainte sourde d’un dédoublement de la personnalité, d’une dispersion de son apparence physique, d’un triomphe du Horla qui aurait pris ses traits et se pavanerait dans le monde » (H. Troyat). Les photographies originales de Maupassant n’en sont donc que plus précieuses.

Il ne subsiste que très peu d’autres exemplaires de ce tirage, dont l’un envoyé « au compte Joseph Primoli / son ami / Guy de Maupassant ».

Au moment de ce tirage, Benque & Co est installé au 33, rue Boissy d’Anglas, à Paris. La maison Benque & Co est rachetée par Matuszewski vers 1900.

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Tirage albuminé d’époque par Gustave Le Gray
[Paris, 1859], contrecollé sur carton fin, 10,1 x 5,9 cm
Petit accro en marge supérieure du tirage

Élégant et très rare portrait par Gustave Le Gray, le préféré d’Alexandre Dumas


Cette photographie est prise dans le studio du photographe, au 59, du boulevard des Capucines. Si enthousiaste, Dumas la reproduit dans son journal Le Monte-Cristo, le 5 janvier 1860.
Le célèbre écrivain est ici saisi entre deux âges : bien que n’ayant plus son corps élancé de jeunesse, il n’est pas encore le vieil homme bien en chair de ses dernières années. Le regard doux et profond de l’écrivain fait de ce portrait l’un des plus beaux qu’on ait de lui.

NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Lettre autographe signée « Nadar » à Léon Deschamps
[Paris], le 28 janvier 1895, 1 p. in-4
Fentes aux plis, anciennes réparations au ruban adhésif, traces de pliures, infimes manques marginaux

Nadar exhorte son correspondant de rendre visite à la première exposition posthume de Constantin Guys


« Cher M. Deschamps,
Il faut enfin qu’on se rencontre !
Faites [l’] impossible pour venir jeter un coup d’œil sur l’ébauche de notre exposition Guys, rue d’Anjou, – en préparation de la très prochaine exposition publique.
Elle ne peut avoir lieu que demain mardi et le lendemain (clôture forcée).
Accourez-vous donc !
Nadar
Je crois bien que cette lettre vous arrivera en double. Tant mieux, si elle vous amène plus encore ! – Et si vous avez curieux auprès de vous, amenez aussi !… » 


Constantin Guys (1802-1892) est un dessinateur et peintre français. Il est le dédicataire du poème « Rêve parisien » de Charles Baudelaire, publié dans le recueil Les Fleurs du mal. Dans son recueil d’essais Le Peintre de la vie moderne (1863), le poète fait l’éloge de Guys et de son œuvre tout en définissant la notion de modernité.

ARTAUD, Antonin (1896-1948)

Lettre autographe signée deux fois « Antonin Artaud » et une fois « A-A » au Président du Conseil Édouard Daladier
Paris [Hôpital Sainte-Anne], 6 décembre 1938, 2 p. ½ in-4, au crayon
Trace de pliure d’époque

Lettre de protestation paranoïaque et hallucinée
Artaud dénonce fermement son internement puis explique l’injustice dont il se sent victime. Dans un accès de fierté et afin de justifier son propos il dresse ensuite la liste de ses œuvres les plus significatives. Il explique ensuite être persécuté par des personnalités qu’il qualifie d’initiés puis théorise sur des évènements dramatiques survenus quelques mois en arrière.
Il finit sa lettre en reniant brutalement sa mère, Euphrasie Artaud.


« Mr le Président du Conseil
Après la séance de présentations de « malades » qui a eu lieu dimanche dernier à l’institut Fournier
[qui jouxte l’hôpital Sainte-Anne], et où, sous l’instigation du Dr Lévy-Valensi j’ai pu exposer mon cas, et porter mes accusations devant 500 étudiants ou docteurs de la faculté de médecine de Paris, je pense que la prolongation de mon internement apparaitra à tous et vous apparaitra comme un déni de justice manifesté, et que vous voudrez bien donner des ordres afin de le faire immédiatement cesser.
Au crime de l’internement d’un écrivain notoire et que de l’aveu même de tous les docteurs qui l’ont examiné ne présentait aucun signe d’aliénation on a ajouté celui de chercher à l’empoisonner. J’ai patienté jusqu’ici dans un intérêt de pacification générale et parce que j’espérais que la vérité apparaîtrait enfin. Dimanche dernier elle est apparue de façon éclatante au vu et au su de tous : L’auteur de la Correspondance avec Rivière, l’Ombilic des limbes, de l’Art et la mort, du Pèse Nerfs, d’Héliogabale où l’Anarchiste couronné, du Théâtre et son double, et enfin et surtout des « Nouvelles Révélation de l’être », n’était pas un malade, c’était une victime, et, je vous en prie, qu’on en finisse une fois pour toutes avec l’absurde comédie administrative qui consiste à exiger qu’un malade soit réclamé, pour qu’on se décide à le sortir. Je suis assez connu et j’ai assez d’argent pour sortir sans qu’on m’impose plus longtemps les brimades des règlements qui ne doivent plus jouer pour un homme dans ma situation. Et qui doivent jouer d’autant moins que cet internement est arbitraire :
Je sais que vous êtes depuis longtemps éclairci sur mon cas, et que ma sortie m’aurait été accordée depuis longtemps sans les pressantes interventions d’un certain nombre de personnes appartenant à une secte d’initiés que j’accuse d’avoir provoqué mon internement et cherche à me faire empoisonner et au premier rang desquelles [sic] je range la Princesse d’Elchingen, Pierre Laval, André Tardieu et même Pierre Etienne Flandin, sans compter d’autres personnes moins haut placées politiquement mais qui n’en ont pas pour cela moins d’importance socialement parlant, telles que Louis Louis-Dreyfus, Raymond Bernard, Marcel l’Herbier, Germaine Meyer de la Banque Hypothécaire, Mary Marquet, José[e] Laval etc. etc.
Sans les manœuvres occultes de cette secte on ne peut comprendre les dessous de la vie politique actuelle et ne pas vouloir reconnaitre l’importance des initiés c’est se priver volontairement d’un moyen d’y voir clair dans les affaires du gouvernement. L’incendie de Marseille [incendie des Nouvelles Galerie, sur la Canebière, survenu le 28 octobre 1938 et ayant causé la mort de 73 personnes] où a trempé Paul [Simon, sic] Sabiani a été provoqué par les initiés comme la catastrophe de Lagny en 1934 [accident ferroviaire survenu le 23 décembre 1933 ayant provoqué la mort de 14 personnes et 300 blessés], comme les grèves de ces journées et l’assassinat de Vam Rath [diplomate allemand, mort assassiné à Paris le 9 novembre 1938 – son assassinat par un juif polonais servi de prétexte à l’Allemagne nazi pour déclencher la « nuit de Cristal »] a été en partie voulu, dirigé et provoqué occultement. Les initiés ont leurs émissaires un peu partout. La sûreté générale en est injectée et l‘un des principaux chefs de la Sureté qui porte le n° 0 à la Sûreté Générale est un certain M. Messeria ou Messerier qui pour tout le monde est un docteur dentiste très connu mais qui est en réalité un initié comme Pierre Laval, comme Tardieu et même comme Camille Chautemps. Tous ces gens-là n’auraient garde de révéler leur filiation occulte et ils sont arrivés pendant des années à cacher leur jeu et à dissimuler leur véritable identité. C’est parce que j’en sais trop long sur leur répugnantes manœuvres et parce qu’ils m’ont toujours considéré comme un gêneur au temps où j’étais celui que les journaux appelaient Saint Artaud, qu’ont cherché à se débarrasser de moi et qu’ils vous pressent maintenant de maintenir un internement que rien n’a jamais justifié. Je vous signale en passant que Von Ribbentrop, le ministre des Affaires Étrangères d’Allemagne et un initié, comme F. Sieburg l’auteur de Dieu est-il Français, où l’on raconte la vie de Saint Artaud. Je pourrais vous en dire long sur toutes sortes de manœuvres politiques occultes et vous révéler pourquoi la Banque Louis Louis-Dreyfus garde si jalousement un argent qui ne lui appartient pas. Vous devez voir par tout cela qu’il est temps d’en finir avec cette dictature occulte et je vous prie instamment de donner des ordres afin qu’on me fasse sortir d’ici au plus tôt, n’en déplaise à certaines personnes, du monde politique principalement.
Confiant en votre esprit de justice et en votre respect du droit et de la liberté des gens je vous prie de me croire très fidèlement vôtre.
Antonin Artaud
Antonin Artaud
PS : Léon Daudet, Robert Poulet, André Gide, P. Hardion du Quai d’Orsay, pourront me réclamer s’ils ne m’ont pas encore renié.
Je m’excuse encore de vous demander de vouloir bien faire cesser les manœuvres d’un certain nombre d’agents de la sûreté révoqués, au premier rang desquelles il faut placer un certain C. Bayard, et qui cherchent par tous les moyens à m’imposer d’être réclamé par une certaine Euphrasie Artaud que je n’ai jamais reconnu pour ma mère et avec qui j’ai brisé toute espèce de rapports depuis presque 2 ans. Les agents sont des émissaires de Pierre Laval, de la Princesse d’Elchingen ou d’autres initiés appartiennent à cette partie de la police qui prend ses mots d’ordre ailleurs que chez vous.
Ce sont les principaux complices d’une espèce de complot qui consiste à empêcher les véritables nouvelles de l’extérieur de venir jusqu’à moi, à me faire croire que je me trompe sur les évènements de ma vie passée et que mes véritables souvenirs sont faux et aussi à me priver d’argent. J’ai reçu 30 frs en 15 mois alors que mes éditeurs me doivent plus de 200 000 frs.
A.A
En vous remerciant et avec mes excuses »


Après plusieurs dérives et troubles à l’ordre publique consécutifs, entre autres, à son excès de drogues, Artaud est déclaré dangereux puis interné en hôpital psychiatrique (asile des Quatre-Mares) dès la fin de l’année 1837. Il est ensuite admis au centre psychiatrique de Sainte-Anne où il reste onze mois. Il est alors diagnostiqué par le docteur Nodet de « mégalomane syncrétique : part en Irlande avec la canne de Confucius et la canne de St Patrick. Mémoire parfois rebelle. Toxicomanie depuis 5 ans (héroïne, cocaïne, laudanum). Prétentions littéraires peut-être justifiées dans la limite où le délire peut servir d’inspiration. À maintenir »
Constamment sous l’emprise de drogues, sous-alimenté, l’inventeur du «Théâtre de la cruauté» se découvre également de nombreux ennemis, proches ou imaginaires. Il les surnomme alors les « Initiés ». Il en ressortira les « lettres-sort », émaillée de brûlures de cigarettes et de signes ésotériques. Artaud espère alors, par ces lettres, pouvoir « jeter un sort » à ses ennemis.
« L’homme-théâtre » admiré pour son approche révolutionnaire de la mise en scène entame une phase d’internement difficile qui se prolongera jusqu’au 22 janvier 1943, date à laquelle son ami Robert Desnos obtient son transfert pour Rodez.

Artaud refusera toute visite, y compris celle de sa famille.

Cette lettre, restée inédite jusqu’en 2015, fut retenue par l’administration psychiatrique, anciennement dans le dossier de Sainte-Anne.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à Charles-Henri Dambray
Paris, 25 janvier 1825, 1 p. in-8
Marge gauche inférieure légèrement effrangée

Chateaubriand doit annuler un dîner à cause de son état de santé


« J’ai été si souffrant, Monsieur le Chancelier, que je n’ai pu aller à la Chambre, et qu’il me sera impossible d’avoir l’honneur de dîner chez vous aujourd’hui.
Agréez, je vous prie, Monsieur le Chancelier, mon hommage, mes excuses et mes regrets. Chateaubriand »


Le chevalier Charles-Henri Dambray, né à Rouen le 9 octobre 1760 et mort au château de Montigny le 13 décembre 1829, est un magistrat et homme politique français. Il est chancelier de France et président de la Chambre des pairs de 1814 à 1829.

La Chambre des Pairs de la Restauration
L’infléchissement vers un régime parlementaire à l’anglaise fait de la Chambre des pairs sous la Restauration (1814-1830) une réplique française de la Chambre des Lords.
Ainsi que l’indique le nom de cette période de l’histoire, la monarchie est restaurée. Cependant, Louis XVIII puis Charles X doivent désormais tenir compte de toutes les opinions relayées par les parlementaires, qui ont pris goût à la liberté de parole. C’est une avancée considérable au regard de la monarchie absolue de droit divin, à laquelle la Révolution Française a mis fin.

PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée « L. Pasteur » à Pierre Viala
Paris, le 30 mai 1884, 1 p. in-8 sur bifeuillet avec enveloppe autographe et oblitérée
Ancienne trace de montage en marge gauche

Pasteur correspond au sujet de la maladie du charbon et évoque la célèbre expérience qu’il a menée sur cinquante moutons près de Melun en 1881


« Monsieur le Président,
J’ai pris connaissance avec grand intérêt du résultat de vos expériences. La plus grande durée de l’immunité après vaccination a été constatée à Melun. Vous la trouverez dans le livre de M. Chamberland qui contient tous les rapports connus à la date de sa publication. Je l’écris ici de mémoire : elle a été de 16 mois. Mais vérifiez-la, je vous prie. Recevez la nouvelle expression de mes sentiments les plus distingués. L. Pasteur »


En mai 1881, à Pouilly-Le-Fort, près de Melun, Pasteur réalise une célèbre expérience de vaccination contre le charbon sur cinquante moutons. Certains auteurs lui reprochent d’avoir induit le public scientifique en erreur quant à la façon exacte dont se sont déroulées lesdites expériences. On parle à ce sujet du « Secret de Pouilly-Le-Fort ».

Physicien et biologiste, Charles Chamberland (1851-1908) est l’un des plus anciens collaborateurs de Louis Pasteur. Associé à de nombreux travaux de son maître, il est aussi un inventeur de génie, concevant un autoclave et un filtre à eau qui portent son nom.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Carte autographe signée « P. Verlaine » à Edmond Lepelletier
Aix-les-Bains 2 septembre soir [1889], 1 p. in-12 oblongue
Adresse autographe et oblitérations postales, ancienne trace de montage

Dans une amusante missive mêlant français et anglais, Verlaine demande à son ami Lepelletier s’il a reçu son exemplaire de Parallèlement


« Aix les Bains, 2 7bre soir. In a hurry for a hurry. Cher ami, Que devient ma nouvelle Extrêmes Onctions, que tu dus recevoir some months ago ? Serais heureux qu’elle eût paru, chiefly for money sake. Donne m’en des nouvelles. As-tu reçu Parallt [Parallèlement] ? En as-tu parlé ? Je vis en sauvage. You should help me, would my novel appear in the Echo [L’Echo de Paris], and would I get any recuperation of it, would it be per advance. Excuse me. Give my love to the comrades and believe me to be ton vieux P. Verlaine »


Verlaine arrive à Aix-les-Bains fin août 1889, sur les conseils de son médecin, le docteur Chauffard, exerçant à Paris à l’hôpital Broussais, pour y soigner une arthrose du genou. Il y est accueilli par le docteur Henri Cazalis, un ami poète, qui le loge à la pension Héritier, à deux pas de l’établissement thermal, route de Mouxy.

Parallèlement est le titre du septième recueil de poèmes en vers de Paul Verlaine, publié en 1889 chez l’éditeur Léon Vanier, enrichi en 1894.
À l’instar de précédents recueils, comme Jadis et Naguère, cette œuvre regroupe de nombreuses pièces composées antérieurement et d’inspirations diverses (poésie érotique des Amies, reliquat de Cellulairement).

Extrêmes-Onctions est une nouvelle extraite d’Histoires comme ça, publiée dans Le Chat noir le 14 juin 1890.

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « GS » à Eugène Delacroix
Samedi soir, [Paris, 14 mars 1840], 1 p. in-8 à son en-têtre gaufré, adresse et cachet (du 15 mars)
Petit manque (bris de cachet) sans atteinte au texte

Tendre invitation de George Sand à Eugène Delacroix


« Cher, voulez-vous venir nous voir mardi soir ? Peut-être aurai-je des gens aimables . Je n’ose plus vous promettre tel ou tel de peur d’être forcée de vous dire ensuite : nous n’avons ni Lambert ni Molière. Mais si vous ne trouvez que des figures qui vous ennuyent, vous filerez en douceur. A toi de cœur
GS »


George Sand cite ici Boileau, Satire III :
« Nous n’avons, m’a-t-il dit, ni Lambert ni Molière… »
Le fat qui invite le narrateur à un dîner ridicule lui a promis la présence de Molière avec Tartufe et de Lambert. Ce Michel Lambert (1610-1696) est un chanteur en vogue du XVIIe siècle, fort recherché comme professeur par de grandes figures. Il a su monnayer ses talents, au point qu’il a pu donner sa fille une dot de 200 000 livres pour son mariage avec Lully.

Le tutoiement de Sand en fin de lettre ne manque pas de surprendre. Selon Georges Lubin, c’est la seule fois qu’on le trouve dans une lettre à ce destinataire.

On connaît cependant la réponse d’Eugène Delacroix (publiée dans la Correspondance Générale, t. II, p. 49) du 17 mars :
« Chère bonne, je ne pourrai aller vous voir ce soir : c’est le dernier jour de mes Italiens et les Puritains [les Puritains d’Écosse, opéra de Bellini]. Mais j’en suis bien privé. Est-ce que vous pensez que je vais chez vous pour ce tel ou tel que vous me promettez ? Des grands hommes ! il en plut – et même est-ce pour votre génie que je vais faire société avec vous ? Vous n’y comptez pas. C’est vous, vos yeux, votre chère petite personne que j’aime… »

Eugène Delacroix réside, comme l’indique l’adresse notée par Sand sur la dernière page, au 17, rue des Marais Saint-Germain à Paris de 1836 à 1844 (aujourd’hui rue Visconti). C’est dans cet atelier qu’il peint le célèbre portrait représentant la romancière et Frédéric Chopin.

George Sand, alors en couple avec Frédéric Chopin, réside à Paris au 16, rue Pigalle, à Paris.

MALLARMÉ, Stéphane (1842-1898)

Carte de visite autographe signée « SM » à Edmund Gosse
[Paris, nouvel an 1898], 1 p. in-24 oblongue, enveloppe autographe jointe

Charmante carte inédite du poète pour le nouvel an 1898, année de sa mort


« Avec mon meilleur souvenir et mes vœux de janvier les plus affectueux, cher Monsieur Gosse
SM »


Mallarmé entre en contact (épistolaire) avec le futur écrivain et critique Edmund Gosse (1849-1928) en août 1875. A cette date, il vient à Londres pour travailler à son édition du Vathek de Beckford. Edmund Gosse, qui travaille au British Museum, contacte alors Mallarmé par l’intermédiaire de ses amis William Bonaparte-Wyse, poète irlandais ami des félibres et John Payne, poète anglais. En effet, le Français souhaite connaître les démarches à faire pour travailler au musée. De là, Mallarmé et Gosse entretiennent des relations cordiales, comme en témoignent les envois réciproques de livres, les lettres des 16 décembre 1892, 10 janvier 1893, 2 juillet 1893, 18 janvier 1894, 24 février 1894 et 2 mars 1894, et la présente carte de visite.

LOUIS XV (1710-1774)

Lettre autographe signée « Louis » à son petit-fils Ferdinand de Parme
Versailles, 26 octobre 1766, 1 p in-8, cachet de cire complet aux armes royales

Émouvante lettre, entièrement de la main du roi, préoccupé la santé de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, mère des trois futurs et derniers rois de France


« Mon rhume est tout à fait passé mon très cher petit-fils. Je suis très aise que vous y preniez tant d’intérêt ainsi qu’à la santé de votre tante la Dauphine. Elle est mieux pour le présent mais elle vient d’avoir un premier assaut en allant à Choisy, où elle n’avait pas encore été depuis le jour que nous y passâmes en allant à Fon[taineble]au où mon fils commença d’être plus mal, et d’ici à Noël quels anniversaires nous allons avoir. Elle a repris le lait mais en mangeant un poulet le soir.
Votre chemin à la mer sera donc beau, je vous en félicite si vous en tirez avantage. Je vous assure mon cher petit-fils de toute ma tendresse, je vous embrasse en conséquence.
Louis »


Ferdinand est le fils de Madame Élisabeth, l’aînée des enfants de Louis XV et de Marie Leszczynska. Madame Elisabeth épouse en 1739 l’infant d’Espagne, qui obtient, en 1748, à la faveur de traités internationaux et par l’entremise de Louis XV, le duché de Parme. C’est là que naît le petit-fils de Louis XV, Ferdinand, qui accède au trône de Parme à la mort de son père. Il n’a que quatorze ans.
Louis XV s’attache à son petit-fils et reporte sur lui l’affection qu’il éprouvait pour sa feue mère, décédée en 1759 de la petite vérole. S’ensuit entre le jeune homme et le roi de France une correspondance régulière, intime et parfois politique qui s’étale sur une quinzaine d’années. Louis XV y manifeste une tendresse insoupçonnée.
La dauphine évoquée dans cette lettre est Marie-Josephe de Saxe, la seconde femme du dauphin, mort en décembre 1765 de la tuberculose (c’est le funeste « anniversaire » dont il est ici question). Car elle a veillé son mari durant sa maladie, la dauphine contracte le mal, qui la ronge pendant plusieurs mois, jusqu’à sa mort en mars 1767. Elle laisse pour orphelins les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.

PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Dessin original signé « Jacques Prévert » à l’homme de lettres Pierre Béarn
Paris, le 20 octobre [19]67, 1 p. in-4
Infime brunissure et taches en marge inférieure

Jacques Prévert fait parvenir à son correspondant un dessin figurant aux côtés d’une lettre à son intention


Beau dessin de Prévert, simple et inventif.
Il y précise la date, l’adresse de son destinataire et la sienne :

« Paris
Le 20 octobre 67
Cher Pierre Béarn…

Pierre Béarn
60 rue Monsieur le Prince
Paris 6

Jacques Prévert
6 bis Cité Veron
[Paris] 18 »

 

SÉVIGNÉ, Marie de Rabutin-Chantal, dite Madame de (1626-1696)

Pièce signé « Marie de Rabutin Chantal »
Paris, le 30 juillet 1652, 1 p 1/2 in-8
Légère mouillure, marges effrangées, ancienne réparation au scotch

Rarissime signature de la jeune marquise de Sévigné, tout juste veuve et refusant d’endosser les dettes de son défunt mari envers la duchesse de Rohan


« Fut présent en sa personne dame Marie de Rabutin de Chantal, veusve de feu Monsieur Henry, marquis de Sévigné, chevalier, sieur et baron dudit lieu, mère et tutrice des enfans mineurs dudit de Sévigné et d’elle, laquelle a fait et constitué son procureur maître Martin Giry, procureur en parlement à Paris pour plaider, appeller et eslire domicile, substituer, et par espécial pour comparoir à l’assignation à elle donnés à la requeste de dame Marguerite, duchesse de Rohan, princesse de Léon, dame de Blayn et autres ses places et illec declarer [et elle déclare] qu’elle est mal assignée en son nom pour reprendre le prest mentionné en ladite communion, attendu que dès le décès dudit deffunct, elle a renoncé à sa communauté, demander d’estre renvoyée, absoulte de ladicte demande. Et en ladite quallité de mère et tutrice de ses enfans, reprendre par ledit Giry en leurs dites quallités tous les prests auquel Monsieur René de Sévigné, conseiller au parlement de Bretagne, seigneur de Montmoron cy-devant curateur honoraire dudit deffunct Monsieur Henry, marquis de Sévigné, estoit appelans des sentences rendus par les présidiaux de Nantes le premier janvier 1644 et tous auctres et en ladite quallité présider sur ledit procès suivant les derniers courriers. Promectans avoir agréable tout ce qui par ledit Giry sera fait, observant, renoncans. Fait et passé à Paris es estudes des notaires subsignés, l’an mil six cent cinquante
deux, le trentiesme jour de juillet. MVIC cinquante deux.

MARIE RABUTIN CHANTAL
Mosthe
[notaire] »


Marie de Rabutin-Chantal épouse en 1644 Henri de Sévigné. Cependant, en 1651, le chevalier d’Albret et lui courtisent la même femme. Ils organisent alors un duel, dont l’issue laisse Madame de Sévigné veuve, avec deux enfants en bas âge… et de très nombreuses dettes. En effet, Henri n’a pas hésité à contracter des emprunts pour combler ses maîtresses.
La marquise, qui aime son mari, lui prête de l’argent, au grand dam de ses parents, de son oncle et de l’abbé de Coulanges, qui la pressent de demander une séparation de biens. C’est ce qui explique qu’elle soit « mal assignée en son nom pour reprendre le prest mentionné en ladite communion, attendu que dès le décès dudit deffunct, elle a renoncé à sa communauté », d’après notre document.

[RIMBAUD] DELAHAYE, Ernest (1853-1930)

Lettre autographe signée « Ernest Delahaye » à Marcel Coulon
Maisons-Laffite, 16 décembre 1924, 8 p. in-8
Enveloppe autographe jointe

Lettre entièrement inédite enrichie d’une précieuse notice bio-bibliographique de Delahaye à son propre sujet, avec de nombreux renseignements qui nous étaient inconnus
L’ami d’enfance de Rimbaud, après avoir repris un vers de « Mauvais Sang », revient, entre autres, sur la relation impossible entre Paul Verlaine et son épouse, Mathilde Mauté


« Cher Monsieur Coulon,
Je suis très heureux et très fier de vous avoir plu en préfaçant Germain Nouveau (1). « J’attends avec gourmandise » – comme dit La Saison en Enfer (2) – votre Au Cœur de Verlaine et Rimbaud.
Même si c’est un peu sévère, j’ai par expérience la certitude que ce sera excellent.
Mathilde [Mauté] a bien le droit, en effet, que l’on parle en sa faveur (3). N’avoir su s’y prendre avec Verlaine n’est certes pas un crime. […] Mais, dès qu’elles ne sont plus jeunes filles, on ne peut exiger des femmes la gaieté… qui est un tic des hommes.
Vous voulez bien dire un mot sur moi dans votre histoire de Rimbaud. Bien reconnaissant, je vous envoie la petite (?) note relative à ma vie si insignifiante, pour peu que cela vous semble utile.
Mon plus grand désir, à présent, c’est d’avoir le plaisir de vous serrer la main chez notre ami Armand Lods.
Et j’allais oublier ! Saviez-vous que notre Adele Luzzatto a publié dans une revue romaine son pèlerinage en France « Sur les traces de Rimbaud »(4) ? Je ne connais pas l’italien, mais j’entreprends, avec un dictionnaire, de traduire cette jolie chose. Ce qu’il y a de piquant, c’est que la revue, Galleria, était une filiale du Corriere Italiano, journal de Cesarino Rossi, bel homme impliqué dans l’assassinat de Matteotti, qu’il est maintenant sous les verrous, en attendant que Mussolini le considère comme assez oublié et que Galleria était dirigé par Ardengo Soffici, un historien de Rimbaud (5) ? (Je ne devrais même point parler de Soffici, par pudeur, car il m’a donné autrefois son volume, je l’ai prêté et je ne sais plus à qui).
Excusez ce bavardage.
Et bien cordialement à vous
Ernest Delahaye »


1/ Germain Nouveau, Valentines et autres vers,  préface d’Ernest Delahaye, Messein, 1921.

2/ « J’attends Dieu avec gourmandise » (« Mauvais sang , 3 »)

3/ Marcel Coulon consacre en effet un chapitre de son livre au « Divorce de Verlaine ». Delahaye, qui ne rencontre Verlaine qu’en 187X, n’a pas connu son épouse. Dans une lettre à Marcel Coulon, le 25 juillet 1925, Delahaye parle de Mathilde comme « une petite parisienne comme il y en a des milliers », jugeant Verlaine « non mariable ».

4/ Adele Luzzatto rencontre et interviewe Delahaye à Maison-Lafitte en 1923. Elle devait rendre compte de son voyage en France, sur les traces de Rimbaud, dans Galleria, en mars 1924, et devenir une des premières rimbaldiennes italiennes, autrice de nombreux articles défendant les positions de Delahaye. Elle lui consacre une élogieuse notice nécrologique (La Cultura, janvier 1931).

5/ Ardengo Soffici (1879-1964) est l’auteur de la première monographie consacrée à Rimbaud publiée hors de France (Arthur Rimbaud, Firenze, La Rinascita del libro, coll. Quaderni della Voce, 1911).

SADE, Donatien-Alphonse-François, Marquis de (1740-1814)

Lettre autographe signée « de Sade » à sa tante Gabrielle-Eléonore de Sade
S.l [Paris ?], 22 avril [1790], 3 pp. grand in-8°
Rousseurs, traces de pliures d’époque, annotation au crayon d’une autre main

Tout juste libéré de l’hospice de Charenton, Sade enrage contre sa belle-famille, ces « monstres », et pleure ses précieux manuscrits – dont celui des Cent vingt journées de Sodome – perdus lors du siège de la Bastille


« Je manquerais au plus cher et au plus sacré de mes devoirs, ma chère tante, si je ne vous informais pas que je viens d’obtenir enfin ma liberté ; il ne manquerait à mon bonheur que la satisfaction de pouvoir vous embrasser tout de suite et j’y volerai sans doute, si des affaires majeures ne me retenaient encore quelque temps ici.
Ce n’est que dans votre sein ma chère et aimable tante, que je puis déposer les chagrins violents que je reçois à toutes minutes de ma famille de Montreuil ; ils se seraient alliés au fils d’un charretier qu’ils n’auraient pas pour lui de procédés plus atroces et plus humiliants. J’ai des torts avec eux, soit, mais dix-sept [ans] de malheur dont treize ans consécutifs dans les deux plus horribles prisons du royaume… dans des prisons où l’on m’a fait souffrir tous les tourments qui peuvent s’imaginer, cet assemblage, dis-je, de supplices et de revers n’a-t-il pas dû expier ses torts… qui dans le fait leur appartenaient plus qu’à moi. Ces gens-là sont des monstres, je vous l’assure ma chère tante et le plus grand malheur de ma vie est de m’y être allié ; j’ai acquis en les épousant beaucoup de cousins banqueroutiers, quelques marchands du Pont Neuf, un couple de pendus et pas une protection, pas un ami, pas un individu honnête ; les scélérats travaillent à me ruiner maintenant qu’ils ne peuvent plus m’enfermer. Ils veulent me séparer d’avec ma femme et comme dans les commencements de mon mariage ils me facilitaient exprès des déplacements sur la dot il faut maintenant que mon bien réponde de ces déplacements et cela me ruine. Il va me rester à peine de quoi vivre, et moi qui ne m’étais marié que pour trouver une société dans ma maison quand je vieillirais, me voilà délaissé, abandonné, isolé et réduit au triste destin dans lequel mon malheureux père a fini ses jours, de toutes les positions de la vieillesse celle que je redoutais le plus dans le monde.
Par un de ces plats coquins là, excepté mes enfants dont je n’ai qu’à me louer, pas un dis-je, ne m’a seulement tendu la main quand je suis sorti de prison. Je me suis trouvé au milieu de Paris avec un louis dans ma poche sans savoir où aller manger et dormir, sans savoir qui me donnerait un écu quand mon louis serait fini et ne recevant que des vilaines gens que j’implorais que des rebuffades et de mauvais compliments ; porte fermée chez tous et principalement chez ma femme ce qui est le comble de l’horreur ; non, non, ma chère tante, jamais on n’a vu de procédés pareils je vous le répète, ou n’en imagina jamais de semblables.
J’avais quelques meubles, un peu de linge, beaucoup de livres et plus de quinze volumes d’ouvrages manuscrits de ma composition, fruits des travaux de ma solitude ; par une négligence, ou plutôt une incompréhensible méchanceté, ces vilaines gens m’ont laissé prendre tout cela au siège de la Bastille. Ils venaient, de peur que je n’eusse ma liberté à cette époque, de m’en faire sortir pour aller dans une autre prison. Ils n’ont jamais voulu que je prisse mes effets avec moi ; ils ont fait mettre le scellé sur la porte, huit jours après est venu le siège, ma chambre a été enfoncée et j’ai tout perdu… des ouvrages précieux, Le fruit du travail de quinze ans, je n’ai rien sauvé… et tout cela par la faute de ces misérables coquins dont j’espère que Dieu me vengera un jour.
Pardon ma chère et bonne tante, vous que j’ai toujours adorée, mille et mille pardons de vous ennuyer si longuement de moi mais j’ai tant de chagrin dans le cœur qu’il m’est impossible de ne pas le confier à une aussi bonne et si chère amie que vous. Je vous supplie de m’écrire, de me parler de votre santé, de me dire si vous m’aimez encore un peu, et d’être bien persuadée que vous n’avez au monde personne qui vous soit plus tendrement et plus respectueusement attachée que moi.
Je vous prie de me rappeler dans le souvenir de celle de mes tantes et de mes cousines que j’ai le bonheur de conserver encor, sans oublier Madame de Raousset avec laquelle je vous prie de me raccommoder s’il lui restait encore quelque chose sur le cœur contre moi.
Je vous assure, ma chère tante, de mon profond respect, de Sade. »


Rédigé à partir de 1782, d’abord dans la prison de Vincennes, le manuscrit des 120 journées de Sodome est intégralement assemblé par Sade dans sa cellule à la Bastille. Chaque soir, du 22 octobre au 28 novembre 1785, il recopie au propre ses brouillons sur trente-cinq lés de papier de onze centimètres de large qui, collés bout à bout, forment un rouleau de douze mètres de long, écrit recto-verso. Protégé par un étui de cuir, le manuscrit est dissimulé entre deux pierres de sa cellule. Le 2 juillet 1789, douze jours avant la prise de la Bastille, Sade se révolte : « il s’est mis hier à midi à sa fenêtre, et a crié de toutes ses forces, et a été entendu de tout le voisinage et des passants, qu’on égorgeait, qu’on assassinait les prisonniers de la Bastille, et qu’il fallait venir à leur secours », rapporte le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille. Ce dernier obtient le transfert immédiat de Sade à l’hospice des aliénés de Charenton, d’où il sera libéré l’année suivante, le 2 avril 1790. Le 14 juillet suivant a lieu la célèbre prise de la Bastille, qui finit pillée et saccagée. Sade ne reverra alors plus la couleur de son manuscrit. Cette perte l’affecte terriblement, lui fait « verser des larmes de sang ». Quatre-vingt-un ans plus tard, le 28 janvier 1871, la France perd la guerre franco-prussienne. Afin de redonner espoir et fierté au peuple français, on s’attelle à redorer des symboles nationaux, dont l’ancienne prison de la Bastille. Ainsi, lors de sa restauration, le précieux étui de cuir est retrouvé. C’est du moins ce que veut la légende.

En effet, l’histoire quasi mythique est contrariée par d’autres témoignages. L’un raconte que le manuscrit a été récupéré par un dénommé Arnoux, originaire de Saint-Maximin, en Provence, qui l’a revendu à la riche famille Villeneuve-Trans, qui le gardera précieusement sur plusieurs générations. Un autre, et fort probable, assure qu’il a été emprunté avant la prise de la Bastille, dans le cadre d’un état des lieux de la cellule de son auteur. En effet, nul n’ignorait sa potentielle valeur marchande, la débauche morbide du Divin Marquis ayant à de nombreuses reprises défrayé la chronique.

Quoi qu’il en soit, ce sont bien les Villeneuve-Trans qui revendent le manuscrit à l’Allemand Iwan Bloch, psychiatre et précurseur de la sexologie. En 1904, il en édite une version que Jacques Ravenne, écrivain et spécialiste de Sade, qualifie de « désastreusement fautive ». En 1929, Charles de Noailles, mécène et collectionneur, rachète et rapatrie le manuscrit. Il le confie à Maurice Heine, éditeur, qui publie finalement le roman, pas moins d’un siècle et demi après sa supposée disparition ! Le manuscrit n’en a toutefois pas fini de voyager : les Noailles le confient à un prétendu ami à eux, qui s’empresse de le revendre en Suisse, pour finalement arriver entre les mains de Gérard Nordmann, collectionneur d’écrits érotiques. Quand ce dernier décède, les Noailles revendiquent logiquement la propriété du document… qui ne peut toutefois pas sortir de Suisse, sous peine d’être saisi par les autorités judiciaires. Finalement, l’État acquiert le texte de la discorde et le classe trésor national en 2017.

BARTHOLDI, Auguste (1834-1904)

Lettre autographe signée « Bartholdi » à Georges Glaenzer
Paris, le 4 mai 1882, 4 pp. in-8 sur son papier en-tête

Très rare lettre de Bartholdi sur la Statue de la Liberté. Le sculpteur s’inquiète de ne plus avoir de nouvelles des Américains au regard de leur quote-part de financement pour le piédestal – Il assure en revanche que que les français seront prêts à temps


« Mon très cher ami,
Votre bonne lettre m’a fait bien plaisir cela va sans dire, mais elle m’a réjoui d’autant plus que souvent je parle de vous quand j’en ai l’occasion et que souvent je disais je ne vois rien venir ; il nous oubli dans l’encrier et nourrit sa plume de bonnes intentions. Je suis heureux de voir les pensées parisiennes surnager sur l’océan de votre vie agitée des affaires. Cela laisse l’espoir de vous voir revenir ici plus tard.
J’avais la plume à la main pour vous écrire, il y a déjà un mois an reçu de votre lettre ; mais j’étais pressé et j’ai fait mon procrastinator comme vous dites dans le monde New-Yorkais.
Nous sommes heureux d’apprendre toutes les satisfactions que vous avez trouvées et que vous méritez si bien ; vous avez tout pour vous et par vous, vous savez rendre heureux ceux qui vous entourent et être heureux. C’est assurément en soi-même, qu’il faut toujours chercher les éléments de bonheur dans la vie et le moyen de le donner à ceux qui vous entourent.
Je me réjouis de venir vous voir dans ces éléments de satisfaction et de trouver bébé Glaenzer N°2 ; seulement je me demande quand ce sera !
Je trouve que les choses sont bien éteintes à New-York. Je j’entends plus parler de rien et je commence à être inquiet. Les photographies que je vous avais envoyées
[…] il faut les montrer, au besoin les vendre au cercle enfin que l’on voie ce que nous faisons.
Dites à M.
[Richard] Butler qu’il souffle le feu, il vaudrait même peut-être demander tout simplement l’argent au gouvernement.
Je vous remercie bien de tout ce que vous dites de moi ; mais il ne faut pas oublier que si j’ai été le moteur ; je suis néanmoins une chose très mondaine, il y a dans l’Union Franco-Américaine une manifestation qui est publique, qui se chiffre par cent mille signatures, qui a des noms très considérables pour drapeau.
Nous serons prêts, notre statue sera faite en temps voulu et ce serait presque un affront pour la France, si le piédestal n’est pas fait.
Il y a de temps en temps, des journalistes qui s’informent, je tâche de tourner la difficulté ; mais nous commençons à être bien inquiets.
Tâchez de faire comprendre cela, car au point de vue français, et ce serait bien pénible, nos travaux avancent, nous serons prêts et les américains n’auront rien fait !
Ce serait un peu dure.
J’espère toujours qu’il y aura un réveil ; faites votre possible tâchez de le faire savoir à votre cher beau-père qui rallumera les feux. Je vous envoie ci-joint la photographie d’un buste que vous verrez probablement là-bas, on le trouve réussi !
Sur ce cher ami, je ne causerai pas plus longtemps de peur que cette lettre ne parte pas cette semaine ; j’ai tenu à vous donner de nos nouvelles à vous remercier des vôtres. Ma femme d’être l’interprète de vos souvenirs affectueux auprès de votre chère famille et nous vous serrons la main bien cordialement à travers les flots atlantiques. Votre ami dévoué
Bartholdi »


Bien que le projet naisse en 1870 – il s’agit d’un présent en gage de l’amitié franco-américaine et pour célébrer le centenaire de la déclaration d’indépendance des États-Unis –, ce n’est que dix ans plus tard que la totalité du financement est assurée du côté français. Parallèlement, aux États-Unis, des spectacles de théâtre, des expositions d’art, des ventes aux enchères ainsi que des combats de boxe professionnels sont organisés pour recueillir les fonds nécessaires à la construction du socle, d’où l’inquiétude du sculpteur. La somme est toutefois complète en août 1884.

La statue est finalement inaugurée le 28 octobre 1886.

Georges Glanzer (1848-1915) est le secrétaire de la Commission française de souscription à la Statue de la Liberté. Il est le correspondant régulier de Bartholdi à New York.

Richard Butler (1831-1902) est le secrétaire du Comité américain pour la Statue de la Liberté.

MISHIMA, Yukio (1925-1970)

Lettre autographe signée « Yukio Mishima » à Dominique Aury
S.l, 28 mars 1970, 2 p. in-4 oblong, en anglais
Traces de pliures

Troublante lettre de Mishima écrite moins d’un an avant son suicide par seppuku. Il se réjouit de la bonne réception critique de sa nouvelle Patriotisme en France et souhaite s’informer tout particulièrement de l’avis d’André Malraux. Il évoque ensuite le début de la rédaction du dernier volume de sa tétralogie romanesque La Mer de la fertilité et développe son propos sur l’équilibre explosif qu’il recherche pour s’inspirer. Il finit par une allusion au ton équivoque sur son funeste destin.


[Traduction de l’anglais]

« Chère Madame Dominique Aury
Je me réjouis d’apprendre par votre lettre que votre fils M. Philippe d’Argila prévoit de se rendre prochainement au Japon. Merci de me faire connaître son itinéraire dès que possible afin que je puisse organiser à l’avance tout ce dont il aurait besoin.
J’ai vraiment hâte de le rencontrer.
Je suis heureux de savoir que votre merveilleuse traduction de Patriotisme ait été chaleureusement reçue par vos amis. Plus particulièrement j’aimerais connaître la réaction de Monsieur André Malreaux (peut-être mal épelé) à ce sujet, et par la même occasion, si cela est possible, sa réaction à l’adaptation en film. Quant à votre projection privée, Je suis certain que les françaises doivent être trop sophistiquées et s’évanouiraient en le regardant.
Je vais maintenant commencer le dernier (quatrième) volume de mon long roman [La Mer de la fertilité]. Pour écrire, j’ai toujours besoin d’un équilibre entre le moment critique de la société et le malaise essentiel dans mon esprit, mais le présent Japon ne me semble pas propice à me faire écrire dans les circonstances actuelles, depuis que la crise sociale est probablement déjà résolue et devient trop silencieuse. Mon roman peut atteindre la plus haute tension quand je sens ma bombe intérieure et la bombe extérieure comme un équilibre critique. Je n’ai pas l’intention d’assassiner qui que ce soit, en revanche, je n’ai aucune possibilité d’être assassiné, puisque personne ne me considère digne d’être assassiné !
Passez un beau et charmant printemps à Paris,
Comme toujours
Yukio Mishima »

[Texte original]

“Dear Madame Dominique Aury
Your letter gave me a delightful news that your son M. Philippe d’Argila is coming to Japan soon. Please let me know about his itinerary as soon as possible so that I can arrange everthing
[sic] he would like beforehand.
I am really looking forwards to meeting him.
I am delighted to know your beautiful translation of “Patriotism” is well received by your friends. Particularly I would like to know about Monsieur André Malreaux’s (maybe wrong spelling) reaction to it, besides if it is possible, also about his reaction to its film version. At your private screening, I am sure French ladies must be too sophisticated to be fainted away by looking at it.
I am now going to start the last (fourth) volume of my long novel. For writing, I always need some balance between the critical moment of the society and the essential uneasiness in my mind, but the present Japan seem to me not likely in a ideal circumstances to make me write, since the social crisis is likely already solved and becoming too quiet. My novel can reach the highest tension when I feel my inner bomb and the outside bomb as a critical balance. I don’t intend to assassinate anybody, on the other hand, I have no possibility to be assassinated, since nobody considers me worthy to be assassinated!
Have a nice, bright spring-time in Paris,
As always
Yukio Mishima”


Patriotisme est une nouvelle de Yukio Mishima parue en 1961 au Japon. L’histoire raconte le suicide par seppuku (éventration à l’aide d’un sabre) d’un lieutenant japonais et de sa femme après l’échec du coup d’État fomenté par un groupe militaire nationaliste, le 26 février 1936.

Une adaptation cinématographique du même nom que l’ouvrage réalisée par l’auteur-même sort en 1965. Le film, que l’on croit être une critique du rituel sanglant du seppuku, n’est en réalité que la mise en scène prémonitoire du suicide de l’écrivain, le 25 novembre 1970, dans le quartier général des forces japonaises d’autodéfense à Tokyo.

La Mer de la fertilité est une tétralogie romanesque de Yukio Mishima, souvent présentée comme son « testament littéraire ». Les quatre romans du cycle sont écrits entre 1965 et 1970. Le 25 novembre 1970, juste après avoir mis ce manuscrit sous enveloppe au nom de l’éditeur, Mishima mène l’action d’éclat au quartier général.

Tout Mishima est résumé, concentré dans cette lettre : sa sensibilité, son esprit torturé, son égo, sa façon de rédiger ses œuvres et son regard contemporain sur la société japonaise. Écrite l’année même de son suicide, elle n’en est que plus importante et précieuse.


Les lettres de Yukio Mishima sont d’une insigne rareté

GENET, Jean (1910-1986)

Manuscrit autographe signé en-tête « J.G » de premier jet
S.l.n.d [Tanger, 1970], 1 p. in-12 au verso d’une enveloppe
Quelques mots caviardés

Puissant texte sous forme d’annonce, introduisant son dernier livre posthume L’Ennemi déclaré


« J.G. cherche, ou recherche, ou voudrait découvrir, ne le jamais découvrir, le délicieux ennemi très désarmé, dont l’équilibre est instable, le profil incertain, la face inadmissible, l’ennemi qu’un souffle casse, l’esclave déjà humilié, se jetant lui-même par la fenêtre sur un signe, l’ennemi vaincu : aveugle, sourd, muet. Sans bras, sans jambes, sans ventre, sans cœur, sans sexe, sans tête, en somme un ennemi complet portant sur lui déjà toutes les marques de ma bestialité qui n’aurait plus – trop paresseuse – à s’exercer. Je voudrais l’ennemi total, qui me haïrait sans mesure et dans toute sa spontanéité, mais l’ennemi soumis, vaincu par moi avant de me connaître. Et irréconciliable avec moi en tout cas. Pas d’amis. Surtout pas d’amis : un ennemi déclaré mais non déchiré. Net, sans faille. De quelles couleurs ? Du vert très tendre comme une cerise au violet effervescent. Sa taille ? Entre nous, qu’il se présente à moi d’homme à homme. Pas d’amis. Je cherche un ennemi défaillant, venant à la capitulation. Je lui donnerai tout ce que je pourrai : des claques, des gifles, des coups de pieds, je le ferai mordre par des renards affamés, manger de la nourriture anglaise, assister à la Chambre des Lords, être reçu à Buckingham Palace, baiser le Prince Philip, se faire baiser par lui, vivre un mois à Londres, se vêtir comme moi, dormir à ma place, vivre à ma place : je cherche l’ennemi déclaré »


Genet fait à la fois le portrait d’un vaincu et d’un vainqueur. Il se tourne lui-même en dérision afin de compromettre un peu plus sa victoire et finalement la trahir.

Parmi les textes et interventions de Genet réunis dans L’Ennemi déclaré, on compte articles, entretiens, déclarations, préfaces, manifestes et discours. Tous rendent compte d’un paradoxe : celui qui est l’écrivain le plus solitaire et retranché de son temps est aussi, durant les vingt dernières années de sa vie, l’un des plus présents sur la scène publique.

Superbe document de travail dans lequel explose la créativité de Genet.

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

Lettre autographe signée « CB » à sa mère, Madame Aupick
[Paris] 31 déc[embre] 1863, 4 pp. in-8, rajout autographe en post-scriptum joint

Longue et poignante lettre à sa mère, emplie de réflexions introspectives et révélatrice du profond mal-être du poète. Baudelaire y évoque également, non sans dégoût, son prochain voyage en Belgique. Il finit par révéler sa tentative – demeurée vaine – auprès de Victor Hugo pour que celui-là prenne son parti auprès de l’éditeur Belge Albert Lacroix


« Ma bonne chère mère, il n’y a rien de plus désagréable que d’écrire à sa mère, l’œil fixé sur sa pendule ; mais je veux que tu reçoives demain quelques mots d’affection et quelques bonnes promesses, dont tu croiras ce que tu voudras. J’ai la détestable habitude de renvoyer au lendemain tous mes devoirs, même les plus agréables. C’est ainsi que j’ai renvoyé au lendemain l’accomplissement de tant de choses importantes pendant tant d’années, et que je me trouve aujourd’hui dans une si ridicule position, aussi douloureuse que ridicule, malgré mon âge et mon nom. Jamais la solennité d’une fin d’année ne m’a frappé comme cette fois. Aussi, malgré les énormes abréviations de pensée que je fais, tu me comprendras parfaitement quand je te dirai : – que je te supplie de te bien porter, de te bien soigner, de vivre le plus longtemps que tu pourras, et de m’accorder encore quelque temps de ton indulgence.
Tout ce que je vais faire, ou tout ce que j’espère faire cette année (1864), j’aurais dû et j’aurais pu le faire dans celle qui vient de s’écouler. Mais je suis attaqué d’une effroyable maladie, qui ne m’a jamais tant ravagé que cette année, je veux dire la rêverie, le marasme, le découragement et l’indécision. Décidément, je considère l’homme qui parvient à se guérir d’un vice comme infiniment plus brave que le soldat ou l’homme qui va se battre en duel. Mais comment guérir ? Comment avec la désespérance faire de l’espoir ; avec la lâcheté faire de la volonté ? Cette maladie, est-elle imaginaire ou réelle ? Est-elle devenue réelle après avoir été imaginaire ? Serait-elle le résultat d’un affaiblissement physique, d’une mélancolie incurable à la suite de tant d’années pleines de secousses, passées sans condition dans la solitude et le mal-être ? Je n’en sais rien ; ce que je sais, c’est que j’éprouve un dégoût de toute chose et surtout de tout plaisir (ce n’est pas un mal), et que le seul sentiment par lequel je me sente encore vivre, est un vague désir de célébrité, de vengeance et de fortune.
Mais, même pour le peu que j’ai fait, on m’a si peu rendu justice !
J’ai trouvé quelques personnes qui ont eu le courage de lire Eureka. Le livre ira mal, mais je devais m’y attendre ; c’est trop abstrait pour des Français.
Je vais décidément partir. Je me donne cinq jours, huit au plus, pour ramasser de l’argent dans trois journaux, payer quelques personnes, et faire des emballages.
Pourvu que le dégoût de l’expédition belge ne me prenne pas aussitôt que je serai à Bruxelles ! Cependant c’est une affaire grave. Les leçons qui ne peuvent me donner qu’une très petite somme (1000, 1500 ou 2000 francs), en supposant que j’aie la patience de les faire, et l’esprit de plaire à des lourdauds, ne sont que le but secondaire de mon voyage. Le vrai, tu le connais ; il s’agit de
vendre et de bien vendre à M. Lacroix, éditeur belge, trois vol[umes] de Variétés.
J’ai le frisson en pensant à ma vie, là-bas. Les leçons, des épreuves à corriger en venant de Paris, épreuves de journaux, et épreuves de Michel Lévy, et enfin, à travers tout cela, finir les Poèmes en prose
[Le Spleen de Paris]. J’ai cependant l’idée vague que la nouveauté du séjour me fera du bien et me donnera quelque activité.
J’ai trop parlé de moi ; mais je sais que tu aimes cela.
Parle-moi de toi, de ton esprit et de ta santé.
J’avais voulu prendre Hugo pour complice de mon entreprise. Je savais que M. Lacroix serait à Guernesey tel jour. J’avais prié Hugo d’intervenir. Je viens de recevoir une lettre d’Hugo. Les tempêtes de la Manche ont dérangé ma combinaison, et ma lettre est arrivée quatre jours après le départ de l’éditeur. Hugo dit qu’il réparera cela par une lettre, mais rien ne vaut la parole.
Je t’embrasse de tout mon cœur.
C.B.

[Il ajoute à part, sur un petit morceau de papier]
Avant de partir, je t’enverrai des étrennes de deux sols, probablement un livre à ton goût. Il est déjà choisi »


Baudelaire, en dépit de l’avis de ses éditeurs, doit beaucoup se battre pour la publication d’Eurêka. Il ne se fait aucune illusion sur le sort réservé à une œuvre qu’il juge illisible par le public français.

Très endetté, c’est pour vivre ses dernières années un minimum paisiblement que le poète finit par s’exiler le 24 avril suivant pour la Belgique.

Le Spleen de Paris, également connu sous le titre Petits Poèmes en prose, est un recueil posthume de poèmes en prose, établi par Charles Asselineau et Théodore de Banville. Il a est publié pour la première fois en 1869 dans le quatrième volume des Œuvres complètes de Baudelaire par l’éditeur Michel Levy.

Dans une lettre lui étant adressée quinze jours plus tôt, Charles Baudelaire demande à Victor Hugo de dire du bien de trois de ses volumes – Les Paradis artificiels et Les Réflexions sur mes contemporains – qu’il souhaite faire éditer en Belgique auprès de Albert Lacroix (éditeur des Misérables) :
« J’apprends que M. Lacroix va vous faire une visite. Le gros service serait de lui dire ce que vous pouvez penser d’agréable de mes livres et de moi […] Ce sera, je le répète, un très gros service, car M. Lacroix doit avoir une confiance absolue dans votre jugement »

Bien que Baudelaire écrive à Lacroix pour l’inviter à chacune de ses lectures leur collaboration ne voit finalement pas le jour. Les cinq conférences données par Baudelaire constituent une propagande organisée pour séduire Lacroix, mais elles sont un échec total compte tenu de l’absence de l’éditeur belge.

Lettre majeure et incontournable du mal-être de Baudelaire

CASANOVA DE SEINGALT, Giacomo (1725-1798)

Lettre autographe signée « Casanova » à son ami l’abbé Eusebio della Lena, alors recteur au Theresianum à Vienne, institution réservée aux enfants de la noblesse.
Château de Duchcov en Bohème, 11 juin 1796, 3 pp. in-4° en italien, cachet de cire noire et adresse autographe sur la 4ème page.
Bris de cachet avec habile réparation (ancienne) du manque. Traces de pliures d’époque.

Remarquable lettre demeurée inédite
Outre les intérêts littéraires qu’elle révèle sur l’aventurier vénitien,
ce dernier se livre à des commentaires résolument anti-français, et plus particulièrement sur la présence du jeune Napoléon Bonaparte, alors en pleine campagne d’Italie, comparé à un « prostitué » envahisseur de la péninsule


[Texte original en italien]

« Aggradi oltro i suoi saluti il mio signor conte ch’e ancora qui, dicendo sempre da un mese in qua che partira domani per Vienna. Ma partir de[v]e: A due poste di corti ha quaranta cavalli che lo aspettano. Ella ricevera i due libri, Li ho raccomandati al cameriere, e son sicuro che li portera al suo alloggio. Cosi non direi se li avessi raccomandati al conte che non avendo mai l’anima dove ha il corpo non puo ricordarsi di nulla […] Non lice che il giglio in quel terreno abbia radice […] Roma christiana non fu mai tanto maltratta da At[t]ila, e da altri barbari come lo fu da cristiani, ma ora questi atei avrebbero gettato a terra Christo in sacramento per forgli un tabernacolo d’argento. Avvrebbero portato via non solo statue, ma tutti i musei: avrebbero spogliato gli altari come fecevo in Anversa, ed avvrebbero forse condotto il papa in trionfo a Parigi, o lo avvrebbero Dio sa in che guisa obbrobrisamente disonorato […] Cio che mi sorprende e che non mi sembre vero, a che quel Buonaparte e un giovine di 26 anni, come il Salicetti ambi Corsi. Due bardasse avranno conquistata tutta l’Italia […] Casanova »

[Traduction]

« Acceptez les salutations de mon maître, le compte [de Waldstein], qui est encore ici tout en disant tous les jours depuis un mois qu’il partira demain pour Vienne. Mais il lui faudra bien partir : à deux relais d’ici il a quarante cavaliers qui l’attendent. Vous recevrez deux livres. Je les ai confiés au valet de chambre et suis assuré qu’il les apportera à votre logis. Ainsi je n’ai pas eu à les recommander au comte qui n’a jamais l’âme où il a le corps et qui ne peut se souvenir de rien […] Nous ne permettons pas au lys de prendre racine en n’importe quelle terre […] La Rome chrétienne ne fut jamais aussi maltraitée par Attila et par les autres barbares qu’elle le fut par les chrétiens ; mais aujourd’hui ces athées auraient jeté à terre le Christ en sacrement pour s’emparer d’un tabernacle d’argent. Ils auraient emporté non seulement les statues mais tous les musées ; ils auraient dépouillé les autels comme ils firent à Anvers et auraient peut-être conduit le pape en triomphe à Paris ou l’auraient, Dieu sait de quelle manière, ignominieusement déshonoré […] Ce qui me surprend et me semble difficile à croire est que ce Buonaparte est un jeune de 26 ans et corse, comme Salicetti. Deux prostitués auront conquis toute l’Italie […] Casanova »


L’amitié entre les deux hommes remonte au moins à l’année 1783, à Venise, où della Lena, lui-même bibliophile, partageait aussi avec Casanova la passion du jeu.
Trois lettres de Casanova adressées à della Lena (outre celle-ci) sont publiées dans le Carteggi de Pompeo Molmenti, édité en 1916.

Au moment où cette missive est écrite, la Campagne d’Italie n’est qu’à ses débuts (elle commence le 24 mars 1796). L’offensive n’en est pas moins foudroyante pour autant : les batailles de Montenotte, Millesimo, Dego, Mondovi et du pont de Lodi, entre autres, sont toutes remportées par les armées du jeune général.

Christophe Salicetti (1757-1809) est un homme politique français. En janvier 1796, il est nommé commissaire à l’armée d’Italie, où il joue un rôle auprès de Napoléon Bonaparte.
Il contribue, en octobre 1797, à la reconquête de la Corse et à la réorganisation des deux départements qui divisent l’île.
Napoléon dira de lui : « Saliceti, les jours de danger, valait cent mille hommes ! »

APOLLINAIRE, Guillaume (1880-1918)

Manuscrit autographe de premier jet pour le poème « Le Voyageur », issu du recueil Alcools
S.l.n.d [c. 1909-1910], 1 p. 1/4 in-4°, à l’encre noire, nombreux caviardages de la main d’Apollinaire
Traces de pliures, infime manque dans le coin supérieur droit sans atteinte au texte, petite déchirure en marge gauche

Précieux manuscrit, de premier jet en grande partie inédit pour « Le Voyageur », issu du recueil Alcools
Apollinaire a enrichi son manuscrit de plusieurs dessins, dont un remarquable portrait de facture cubiste représentant deux matelots

SEUL MANUSCRIT DE L’UN DES PLUS BEAUX POÈMES DU RECUEIL ALCOOLS ENCORE EN MAINS PRIVÉES


Le présent feuillet comporte deux poèmes ou ébauches de poèmes.
Le poème, au verso, est la déclinaison de vingt-sept vers qui développent les aventures de deux matelots, vers qui constituent le cœur du célèbre poème « Le Voyageur », publié pour la première fois dans la revue Les Soirées de Paris (1912), puis dans Alcools (1913).

Au recto du feuillet figurent six vers qui semblent apparentés de loin au poème « L’Arbre » de Calligrammes (1918).

Au cœur du processus créatif de Guillaume Apollinaire

Tout amateur de la poésie d’Apollinaire identifie immédiatement ces vers :

            Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés

            Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé

            Le plus jeune en mourant tombe sur le côté

            L’aîné portait au cou une chaîne de fer

            Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse

Dans sa première ébauche, ce groupe de vers semble avoir trouvé sa forme définitive, à cela près que dans la version publiée, « tombe » est mis au passé simple, « tomba ».

Alcools a été rédigé à la jonction entre le symbolisme et l’avant-garde, ainsi que l’indique la mention « 1898-1913 » sur la page de titre du recueil. On reconnaît dans le poème « Le Voyageur » cet éclectisme, notamment remarquable dans l’amalgame de vers réguliers et de vers libres, le respect de certaines règles classiques mêlé de licences poétiques. Ainsi les dates s’accordent-elles parfaitement avec cette période de transgression pour certains, de renouvellement pour d’autres, du canon poétique.

On peut dater cette suite de vingt-sept vers grâce aux dessins qui l’encadrent. La parenté entre le dessin principal et les vers est évidente par le sujet, l’encre et l’insertion du dessin dans le texte. Le dessin principal, de facture cubiste, illustre la façon dont Apollinaire dessinait en 1909-1910. Le poète et Pablo Picasso, chef de file du cubisme, se fréquentaient alors régulièrement. Il est donc possible de dater ces vers de la même époque. S’agissant du regard d’Apollinaire sur le cubisme, on se souvient des propos tenus par le poète dans une lettre du 12 novembre 1911 à à Henri Fabre : « Je persiste à penser qu’en dépit de son vilain nom, ce mouvement est ce qu’il y a de plus élevé aujourd’hui dans les arts plastiques ».
On remarque aussi que le croquis représentant un dromadaire ressemble fortement à un croquis en marge des épreuves du poème « Dromadaire », présent dans Bestiaire (1911) et daté de 1910. Cette date est aussi confirmée par les deux polichinelles, identiques à un polichinelle dessiné en marge d’un manuscrit du poème « Vendémiaire », daté lui de 1909, et aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France. Enfin, les Œuvres Complètes de la collection de la Pléiade mentionnent un propos de Fernand Fleuret affirmant qu’Apollinaire et lui-même (qui s’étaient rencontrés en 1909) s’amusaient à improviser en marchand dans la rue, lorsqu’ils sortaient de la Bibliothèque nationale, et que ce poème fut composé entre la rue de Richelieu et la rue Notre-Dame de Lorette.

Les cinq vers en question constituent le cœur du poème « Le Voyageur » en ce qu’ils sont repris tels un refrain. Ils convoquent naturellement le thème du voyage, thème qui nourrit le texte entier tout en renouvelant les topoï de la rêverie, de la quête identitaire. Les voix et formes sont souvent approximatives. En effet, que doit-on imaginer des « vagues poissons », des « femmes sombres », de « quelqu’un » et, surtout, des « deux matelots » ; que nous valent les pronoms personnels « nous » et « je » qui répondent à « tu » et « on » ?

Les aventures racontées dans ce poème ne sont pas sans faire écho au poète lui-même, qui se transpose en un voyageur qu’il interroge, comme pour se comprendre. C’est ainsi que les « Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés » forment un point central, un point de repère au sein du poème.

Le dessin des deux matelots accolés au texte nous rappelle une photographie du poète et de son frère cadet, enfants, à Bologne. On se souvient de l’aveu d’Apollinaire dans une lettre adressée à Henri Marineau le 19 juillet 1913, « Chacun de mes poèmes est la commémoration d’un événement de ma vie. Et le plus souvent il s’agit de tristesse », le parallèle entre la photographie et le dessin émerge naturellement : L’un des matelots dessinés porte une chaîne et l’autre une tresse, comme dans les vers. C’est ainsi que Guillaume s’associe avec Wilhelm, voyage avec lui, habite avec lui… ou l’habite, simplement. Les dessins et les vers se complètent donc parfaitement.

Les vers qui figurent au recto du feuillet, quant à eux, sont plus anciens que ceux au verso ; ils datent peut-être du temps où Apollinaire travaillait au 65, rue de la Victoire (l’adresse apparaît en-tête du feuillet), à la Banque centrale de crédit mobilier et industriel entre 1903 et 1904. En témoignent la graphie tout comme la facture plus classique des vers. N’apparaissant dans aucune œuvre publiée du poète, ils sont inédits. Il n’empêche que l’on retrouve également les thèmes des vaisseaux norvégiens et de la Finlande dans le poème « L’Arbre » de Calligrammes (1918), mais il s’agit là du seul rapprochement entre les deux textes.

[RIMBAUD] DELAHAYE, Ernest (1853-1930)

Lettre autographe signée « Ernest Delahaye » à Marcel Coulon
Maisons-Laffitte, 28 mai 1925, 4 p. in-8, enveloppe autographe jointe
Enveloppe autographe jointe

Importante lettre, en grande partie inédite, dans laquelle Delahaye revient en détail l’origine de Poison perdu – l’ami d’enfance de Rimbaud analyse ensuite le talent de composition du jeune prodige


« Cher Monsieur Coulon,
Je viens de dévorer votre Au Cœur de Verlaine et Rimbaud
1. Je ne m’étendrai pas sur la beauté de l’édition, qu’apprécieront les bibliophiles. Je dois penser aux lecteurs simplement, uniquement lettrés.
Ils goûteront, de même que moi, la composition si heureuse, qui ne laisse pas une seconde s’affaiblir l’intérêt.
Cet après-midi où j’ai eu le plaisir de vous voir chez notre ami Armand Lods, je n’avais pas pu, à cause de la conversation très animée lire à loisir le poème inédit de Rimbaud
2. Maintenant je vais pouvoir, grâce à vous, le lire vraiment, le relire, le relire encore. C’est bien curieux comme moment de cette humeur fantaisiste – fantasque serait plus sévère, peut-être plus vrai – incessamment renouvelée, et variée, de notre Rimbaud ! N’avez-vous pas trouvé, comme moi, que le poème banvillesque est le frère – à peu près jumeau – de Mes petites amoureuses ? Louis Barthou, en effet, méritait d’être remercié publiquement, pour nous avoir laissé admirer ce collier de perles.
Vous avez dû penser – aussi comme moi – que c’est bien étonnant, ce goût de Rimbaud pour Banville à qui il ressemble si peu.
Et là peut-être est la clef du mystère que vous entreprenez d’«élucider» à propos de Poison perdu.
3
Rimbaud aimait en art des choses qui lui manquaient. […]
Il aimait aussi – j’en ai eu la preuve – la faculté de composition. Vous avez dû remarquer qu’elle lui manque plus ou moins.
[…]
Vous avez dû remarquer aussi que Poison perdu, c’est mené, d’un bout à l’autre, admirablement. Est-il si fou de supposer que Rimbaud a trouvé ce sonnet, qui lui a plu à cause de cela, et qu’il l’aurait copié ?
Nous aurions ainsi la raison de l’autographe, qui me paraît bien de son écriture, mais…. Qui n’est pas signé.
Je travaille en ce moment une étude sur la Saison en Enfer
4. Entre autres explications de la nature de Rimbaud, j’ai déjà sur le chantier plusieurs phrases concernant son amour de l’indépendance.
Combien je suis heureux de me rencontrer avec vous, et que vous dites bien « dévoré de liberté, comme le chien enragé, de rage » !
Excusez-moi d’avoir égoïstement savouré d’abord le plaisir esthétique apporté par vos belles études : j’aurais dû vous remercier avant tout du soin que vous prenez de rappeler souvent que je fus mêlé à la vie de Rimbaud. Et vous m’encouragez à le raconter à tout le monde. Vous recevrez prochainement mes Souvenirs familiers à propos de Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau
5, qui contiennent certainement trop de choses puériles : c’est des petites bêtises d’écolier, n’ayant d’autre intérêt que de faire revivre quelques minutes du « terrible adolescent ». Mais votre peinture à la Ribera aura suscité autour de lui tant de curiosités !
J’espère au moins que je vous amuserai un peu.
Bien cordialement à vous
Ernest Delahaye »


1 Marcel Coulon, Au cœur de Verlaine et de Rimbaud, avec des documents inédits, Le Livre, 1925.

2 Il s’agit de Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, publié pour la première fois par Marcel Coulon dans Au cœur de Verlaine et de Rimbaud. Le manuscrit, dont le fac-similé est reproduit dans l’édition de luxe du livre de Coulon, appartient à Louis Barthou. Le poème, signé « Alcide Bava », est envoyé à Banville le 15 août 1871 (Pléiade, p. 149-154).

3 Souvent attribué à Rimbaud, « Poison perdu » est publié pour la première fois en mars 1882 dans Le Gaulois, accompagné d’une notice signée Gardéniac. Interrogé sur la paternité du sonnet en novembre 1883, Verlaine l’attribue dans un premier temps à Rimbaud, avant d’exprimer des doutes quelques jours plus tard (lettre à Charles Morice, 17 novembre 1883) pour se raviser par la suite, « attestant » en définitive l’authenticité rimbaldienne de ces vers, « faits sur le tas » (La Cravache parisienne, 3 novembre 1888). Delahaye s’intéresse de près à ce sonnet, dont il doit lui aussi contester puis accepter l’authenticité, contrairement à Marcel Coulon, qui consacre à « Poison perdu » un chapitre entier de son livre, chapitre intitulé « “Poison perdu” élucidé »

4 Ernest Delahaye, « Les Illuminations » et « Une saison en enfer » de Rimbaud, Messein, 1927

5 Ernest Delahaye, Souvenirs familiers à propos de Rimbaud, Verlaine, Germain Nouveau, Messein, 1925.


Rappelons que dans une lettre du 28 août 1871, Rimbaud révélait à Paul Demeny : « Ma science de l’art n’est pas bien profonde »

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel » à Albert Nahmias
S.l.n.d (après 1911), 4 pp. in-8
Quelques rousseurs, petite déchirure au pli central

Lettre inédite dans laquelle Marcel Proust règle ses comptes avec Albert Nahmias au sujet de ses placements financiers


« Mon petit Albert
1° Léon se trompe. J’ai compté. En mettant tout au prix, je lui dois 17.000 frs et non 101 [?], donc c’est lui qui me doit 3.000 frs et non moi 1.000.
2° Avant d’avoir compté et croyant que Léon ne s’était pas trompé, j’étais fort embêté, car (comme vous m’aviez dit d’une part que vous n’aviez pas besoin que je paye de suite la copie, de l’autre que j’allais avoir un solde créditeur), j’avais pris quelques petits engagements. […] . Bien qu’il ne les ait pas, je crois qu’ils me les donneront. Et si l’erreur de Léon n’est pas reconnue, vous pourrez passer demain matin (en m’avertissant le soir) les chercher sous enveloppe. Mais son erreur est certaine. De plus je vous dirai en quoi je trouve de plus en plus qu’il n’a pas très bien agi.
3° Je ne veux pas, je ne peux pas reprendre de nouvelles mines et recommencer un nouveau compte. Mais si (ce qui est sûrement impossible) le droit de report durait jusqu’à la liquidation payée, nous aurions pu prendre pour un jour mille R.M. [Rand Mines] au cours de compensation (150) que vous m’auriez revendu aussitôt au cours de 155 et le bénéfice n’aurait pas été pour pallier mes pertes mais pour partager entre vous et moi […]
Tendresses, Marcel
[Dans un long post-scriptum, il ajoute]
La différence pour les R.M. même en comptant le report 1 franc au lieu de 0,90 comme eux, est (pour les 1.000) ou 21 mille francs, pour les G.M. de 2.700 ce qui fait 23.700. En y ajoutant 250 R.M. et 300 C.M. [Crown Mines] au cours actuel (puisque je compte la différence dans la différence totale je ne peux pas la compter 2 fois) cela fait 48.000 francs et 30.750 ce qui fait avec les 23.000 du report 102.450 francs. […]. Reste donc à peu près 96.000 francs de dû par moi. Ajoutons-y mille francs de courtage. Cela fait 97.000. Ils devraient donc verser à mon compte 3.000 francs au Crédit Industriel en touchant le chèque de 100.000 frs ou sous toute autre forme me faire un solde créditeur de 3.000 frs que je ne ferai d’ailleurs pas long feu à toucher car comme je comptais sur lui je me suis fort démuni. Tendresses »


Proust rencontre Albert Nahmias à l’été 1911 à Cabourg et parle finance avec lui. En effet, le père de Nahmias était le correspondant financier du Gaulois.
C’est le 11 décembre de cette année que Proust fait acheter des Rand Mines à Nahmias (Correspondance, t. X, p. 386).
David Léon est le banquier auquel Proust donne ses ordres d’achats et de vente ; on lui connaît une lettre envoyée à son client datant du 25 mars 1914 (Correspondance, t. XIII, p. 123-124).

Les placements boursiers de Marcel Proust s’avèrent désastreux. Il y fait même presque explicitement allusion dans A La Recherche du temps perdu (voir Albertine disparue, Pléiade vol. 4. 219 et 1119).

[RIMBAUD] DELAHAYE, Ernest (1853-1930)

Lettre autographe signée « Ernest Delahaye » à Marcel Coulon
Maisons-Laffitte, 29 juin 1929, 6 p. grand in-8, enveloppe autographe jointe
Petits trous d’agrafe en marge inférieure sans atteinte au texte

Magnifique lettre inédite aux multiples références et allusions rimbaldiennes. Delahaye se remémore pêle-mêle le parcours du jeune prodige auprès du Parnasse, entre acceptation et rejet, et la mythique lettre « Jumphe » que Rimbaud lui adresse en juin 1872.

Il rapporte ensuite trois citations inédites de Rimbaud, dont deux font suite à l’Affaire de Bruxelles.


« Cher Monsieur Coulon,
Il y avait une fois un enfant à qui un monsieur donna un gâteau. Cet enfant, très gourmand, se mit aussitôt à dévorer la pâtisserie délicieuse. Alors sa maman lui dit : « Au moins dis merci, petit vilain ! » Or il souriait à son bienfaiteur, mais, ayant la bouche pleine, était forcé de rester muet. C’est seulement après la dernière bouchée qu’il put proférer les deux mots requis. « On n’a pas idée » s’écria la mère, « d’un enfant aussi malhonnête et aussi goulu ! »
A quoi il répondit : « C’est que le gâteau était si bon ! »
Cela, j’espère, excusera mon retard. Lire d’abord, lire, lire, jusqu’à la fin, qui vient trop vite.
[Delahaye réagit ici à l’ouvrage publié quelques jours plus tôt par le rimbaldien Marcel Coulon, La vie de Rimbaud et son œuvre, Mercure de France, 1929]
Par exemple, quelles citations ! Je ne parle pas seulement de moi, que vous avez gâté, mais la lettre de [Léon] Valade, est-elle jolie ! Rimbaud lui avait plu, vous voyez. […] Je sais que Rimbaud l’aimait, qu’il fut affligé de son abandon – au moment des indignations dans le Petit Parnasse […]. Il me remit en souvenir un poème manuscrit que Valade lui avait donné. Si je n’étais pas le désordre en personne, j’aurais gardé cette belle œuvre. Elle doit avoir été publiée depuis. Je me rappelle les premiers vers :
Si froide je te veux, ô tombe, que la couche
Manque un mot (1) De terre où je vais m’étendre sur le dos
Eteigne enfin la fièvre ardente de mes os,
La fièvre qu’alluma le baiser de sa bouche !

De terre où je voudrais m’étendre sur le dos
Ou plutôt :
De terre où je viendrai m’étendre… (oui, ce doit être la vraie forme)
[Le poème cité ici est « Sépulture » de Léon Valade – recueilli par Paul Bourget et Jules Claretie]
Et j’ai eu enfin le plaisir que je vous dois, car vous faites revivre pour moi Rimbaud toujours un peu plus – Le plaisir de relire cette belle lettre de « Jumphe » [De Jumphe 72 : Rimbaud s’y représente dans son travail d’écrivain et renseigne son ami sur la vie qu’il mène à Paris avec sensibilité et vivacité], si affectueuse et où cette adorable description de l’absinthe ! Or voici un détail qui me revient. Je lui demandais, quelques semaines plus tard :
« Alors qu’est-ce qu’ils disaient, les cloportes [allusion à un passage de la lettre Jumphe 72*], quand tu fumais ta pipe marteau ? »
L’admirable poète me répondit, avec un doux sourire : « Ça les faisait dégueuler »
Salva reverentia, n’est-ce pas, cher Monsieur Coulon, je ne conterai pas cette chose devant les dames, mais entre hommes… Et puis cela me rajeunit tellement !
Avec cette lettre j’avais conservé celle où Rimbaud m’annonçait (une venant de Roche) en ces termes la condamnation de notre pauvre ami [Verlaine, suite à l’Affaire de Bruxelles] :
« Une nouvelle à faire pousser des crêtes de paon sur un… »
Horresco à tel point referens [« Je frémis en le racontant », citation virgilienne – Enéide, II, 204] que je préfère les points de suspension.
« Verlaine a deux ans de prison ! »
Qu’est-elle devenue ? Qu’est devenue surtout la grande lettre de quatre pages, sur papier bulle, écrite au printemps de 71, à la bibliothèque de Charleville (où le papier blanc manquait ce jour-là, sans doute) ? Il m’y racontait son rendez-vous avec la jeune personne ainsi décrite : « Au physique, analogie frappante avec Psuké », ne la nommait pas mais ajoutait ceci : « Sa mère à l’âme catholique, son père a l’âme magistrate ».
[Delahaye fait donc référence à deux lettres qui furent ensuite perdues et dont personne n’a eu écho à ce jour, la première datant vraisemblablement de juillet / août 1872, consécutive à celle de Jumphe 72, l’autre datant probablement de août 1873, après l’annonce de l’emprisonnement de Verlaine. À ces deux missives s’ajoute la fameuse lettre de mai 1871 sur l’énigmatique Psuké, dont Delahaye ne rapporta plus tard que quelques détails dont il se souvenait]
Cela, n’est-ce pas ? doit expliquer pourquoi la petite vint bel et bien au square avec sa bonne : il semble qu’un magistrat pouvait avoir de ces curiosités narquoises, avec, bien entendu, quelques précautions tout indiquées. Il me parlait aussi de [Frédéric] Mistral, m’en donnait une longue citation. Oui, où est-il cet autographe le plus sérieux de tous ? J’en ai parlé à M. Barthou, qui ne le connaît pas. Où se cache le sournois collectionneur, cent fois plus sombre, mille fois plus jaloux que le More de Venise ?… [Traduction en vers d’Othello par Alfred de Vigny, publiée en 1829] Combien de millions faudrait-il lui offrir ?… Je n’ai qu’une partie de la somme, mais enfin le monde entier se « cautériserait », pour parler comme La Dame aux sept petites Chaises, et la N.R.F. tirerait aussitôt à 14 millions d’exemplaires. On m’objecterait que si, moi-même, j’avais eu l’idée, très simple, de ne pas livrer le papier bulle… Je sais bien… Comme écrit Verlaine :
J’aurais dû ! J’aurais dû !…
[Amours, Lucien Létinois, XVI]
Mais encore une fois merci, cher monsieur Coulon, et très cordialement à vous,
Ernest Delahaye »


*Dans sa lettre à Delahaye de juin 1872, dite Jumphe, Rimbaud lui rapportait :

« Je fumais ma pipe-marteau, en crachant sur les tuiles, car c’était une mansarde, ma chambre. À cinq heures, je descendais à l’achat de quelque pain ; c’est l’heure. Les ouvriers sont en marche partout. C’est l’heure de se soûler chez les marchands de vin, pour moi. Je rentrais manger, et me couchais à sept heures du matin, quand le soleil faisait sortir les cloportes de dessous les tuiles »

MALRAUX, André (1901-1976)

Lettre autographe signée « And. Malraux » à Ventura García Calderón
Marrakech, le 21 avril [1952], 2 pages in-8 en-tête imprimé de l’Hôtel de la Mamounia à Marrakech
Enveloppe autographe jointe

Intéressante lettre de Malraux en réponse à une critique assassine dirigée contre « le monstre André Gide » par Ventura García Calderón


« Cher ami
Erreur et injustice : je ne vous ai pas laissé tomber, et vous ai même envoyé l’édition originale des « Voix du Silence », en même temps que je recevais de vous des plaquettes ;
[André] Salmon disait que les poètes s’envoyaient des livres entourés de faveurs pour se faire croire qu’ils échangeaient des cadeaux du jour de l’an. Et sur ce terrain j’ai sur vous l’avantage du poids (et celui des valeurs) !
Quant aux pages sur
[André] Gide, je pense depuis bien longtemps qu’en littérature toute attaque personnelle est vaine, pour des raisons que je vous donnerai quand nous nous rencontrerons. Mais je ne prétends pas imposer cette opinion… et suis très heureux, d’autre part, de ce que vous voulez faire pour Suarès ; je me bats (avec des édredons) depuis trois mois, pour qu’une rue de Paris porte enfin son nom.
Pour en finir avec Gide : je pense, de plus, que vous vous trompez. Et regrette d’être trop loin pour trouver dans le prétexte et l’espoir de vous en convaincre, l’occasion de vous retrouver, je vous croyais en Suisse, et supposais que le livre vous y arriverait.
Bien amicalement
And Malraux »


André Malraux évoque également l’envoi de son propre ouvrage Les Voix du silence et son combat pour qu’une rue de Paris porte le nom d’André Suarès. La voie « AP/17 », dans le 17e arrondissement sera effectivement baptisée du nom du poète en 1992.

Ventura García Calderón parlait ainsi d’André Gide :
«L’atroce bonhomme ! Dénué du génie de Dostoievski ou de Nietzsche, qu’il s’évertue à singer, il voudrait, petit bourgeois de France, reproduire l’angoisse congénitale de ces deux grands malades dont l’influence sur le xix siècle fut déterminante. – Ah ! Que n’a-t-il inventé, lui aussi, un mal du siècle ! Avare, mesquin, jaloux de toute gloire d’autrui, pédéraste par goût mais surtout par ostentation, il n’est pas fâché qu’on le trouve à la sortie des urinoirs en train de guetter les jeunes voyous. Il a inventé le tirage restreint sur papier de luxe pour y conter ses molles turpitudes et exciter si possible le grand public… »

CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Lettre autographe signée « P Claudel » à André Ruyters
Prague, 14 juillet [1910], 2 p. in-8 oblong, enveloppe autographe jointe
Petite fente à la pliure en marge supérieure

Très violente charge de Claudel à l’encontre de la nièce de Flaubert suite à la publication des manuscrits de voyage de l’écrivain


« Prague, 14 juillet, en attendant les visites officielles !
Cher Ruyters, la visite de ma femme à Paris a été retardée, mais elle est maintenant prochaine. Pour le manuscrit, je le considère maintenant comme la propriété de
[André] Gide, qui le montrera à qui il voudra. Pour moi je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il vous le communique, dès que les dactylographies seront prêtes. – Avez-vous lu dans ‘Les Marges’ les notes de voyage de Flaubert ? Je me demande quel intérêt cela peut avoir en dehors des grossièretés de gendarme que l’on y trouve. La conduite de Madame Commainville-Groult envers son oncle est inqualifiable. Elle finira par déterrer ses ossements pour les mettre dans son salon. Ces vampires littéraires sont de véritables criminels.
Je vous serre bien affectueusement la main.
P. Claudel »


Claudel n’éprouve pas une grande admiration pour Flaubert, et il partage avec ses contemporains les jugements négatifs à l’égard de sa nièce, Caroline Franklin Grout. Elle est en effet accusée d’avoir trahi son oncle en en publiant des lettres intimes contre son gré. On la soupçonne également d’avoir tiré profit d’œuvres publiées du vivant de Flaubert et de manuscrits inédits, dont de notes de voyage. Ces manœuvres auraient ruiné le célèbre auteur. Dans les deux cas, lettres et manuscrits, elle viole l’interdit de dévoiler des pans de vie privée.

C’est la revue Les Marges, n°4, entre juillet et décembre 1910, qui publie les extraits du carnet de voyage dont il est ici question ; il s’agit de notes sur le séjour de Flaubert en Orient.

André Ruyters (1876-1952) est un écrivain belge de langue française, romancier, poète et voyageur, dont le nom reste rattaché, avec celui d’André Gide et de Jean Schlumberger, à la création de La Nouvelle Revue française.

PERET, Benjamin (1899-1959)

Lettre autographe signée « Benjamin Peret » à René Alleau
Paris, 12 février 1958, 1 p. in-4

Longue et poignante lettre de Benjamin Péret, dans les tous derniers mois de sa vie – Le poète surréaliste constate son triste état, jusqu’à évoquer le suicide


« Cher René Alleau, J’ai souvent regretté, au cours de ces derniers mois, que Versailles en dépit de sa proximité apparente de Paris, nous ait tenu si éloigné. Jadis, au moins, pouvions-nous nous rencontrer ici ou là ; mais aujourd’hui cette possibilité même a si bien disparu que je tiens en réserve depuis plusieurs mois un livre qui vous est destiné et que j’hésite à confier à la poste de crainte qu’il ne s’abîme, à cause de son volume. Pourtant vous êtes un des rares hommes que j’ai plaisir à voir apparaître, d’autant que ce plaisir est toujours enrichissant. 
Me voici donc réduit à vous écrire pour rétablir un contact amical entre nous. Et pourtant, que je déteste écrire une lettre. Celle-ci en particulier puisque je dois vaincre toute pudeur pour étaler une situation devenue dramatique depuis le retour des vacances. A partir de cette date, je suis allé d’échec en échec, si bien que j’ai dû, en novembre, me résigner à rechercher un travail de correcteur d’imprimerie afin de subsister en attendant des jours meilleurs. J’en ai trouvé, mais dans de telles conditions matérielles que ma tension artérielle est passée de 16 a 21 en janvier. Or vous savez que je souffre d’une angine de poitrine. Il m’a fallu cesser et chercher autre chose que je n’ai pas encore trouvé. Il est vrai que les possibilités sont très limitées : journalisme interdit. Sauf emplois techniques, édition également, que reste-t-il ? Tout cela ne serait encore rien puisque ces chutes sont inhérentes à ma condition d’intellectuel indépendant et révolté, le comble est survenu hier. J’habite une chambre minuscule, dont on m’a soustrait l’air et la lumière pendant mon séjour au Brésil pour construire une cheminée qui me déverse nuit et jour suie et fumée. C’était déjà intolérable, mais hier un envoyé du service d’hygiène de la ville de Paris est venu m’annoncer qu’il considérait ce local impropre à l’habitation pour raison d’insalubrité. Insalubre, cette chambre ? Je le savais depuis longtemps par ma propre expérience, mais cette décision officielle va avoir pour conséquence de me faire chasser de ce lieu dont je ne suis que locataire. Où aller ? Depuis dix ans, je cherche en vain dans Paris deux pièces avec une cuisine et un cabinet de toilette (ou une salle de bain), voilà où j’en suis, à 59 ans, pour avoir refusé de me transformer en épicier, comme tant d’autres ! Bien sûr, il y a toujours la solution définitive, mais ce serait s’avouer vaincu, et je ne le veux pas.
J’ai hésité longtemps à vous confier cela et j’aurais peut-être reculé sans l’insistance d’André
[Breton]. Ne m’en veuillez surtout pas et considérez que ces lignes sont inexistantes si vous n’y pouvez rien. De toute manière un mot de vous me serait agréable. 
Mes meilleures amitiés à Madame Alleau et à vous de tout cœur. 
Benjamin Péret »


René Alleau (1917-2013) est écrivain et alchimiste quoiqu’ingénieur de formation. Il est également un ami d’André Breton et s’intéresse à l’ésotérisme. Franc-maçon, il a à cœur de suivre une voie médiane éloignée des excès du scientisme comme de l’occultisme. Il participe à l’élaboration de l’Encyclopædia Universalis et dirige la collection d’éditions Bibliotheca Hermetica chez Denoël.

[RIMBAUD] DELAHAYE, Ernest (1853-1930)

Lettre autographe signée « Ernest Delahaye » à Marcel Coulon
Maisons-Laffitte, 8 juin 1929, 2 p. in-12, enveloppe autographe jointe

Jolie lettre de l’ami d’enfance de Rimbaud, reprenant un extrait de « Mauvais Sang » dans l’attente d’un prochain volume consacré au poète


« Cher Monsieur Coulon,
Veuillez excuser ce format : c’est pour être plus léger, la poste est sévère.
[Georges] Izambard me charge de vous transmettre la Revue Méditerranéenne, c’est-à-dire une coupure envoyée par l’Argus.
N’est-ce pas ? Comme il est joli, son article, et que l’étude puissante publiée par vous dans le Mercure a eu un résultat que vous pouvez bien ne pas avoir attendu : rendre ses vingt ans à l’ami. Je pourrai dire : à l’auteur de Rimbaud.
Et j’attendrai – « avec gourmandise », comme s’exprimerait l’homme d’Une Saison en Enfer – ce volume de Marcel Coulon.
Votre, bien cordialement,
Ernest Delahaye »


Delahaye fait ici référence à l’article publié par Georges Izambard (1848-1931) « Les lettres truquées d’Arthur R. », La Revue méditerranéenne [Tunis], avr. 1929, p. 737-744.
Georges Izambard est un professeur de rhétorique qui a eu pour élève Arthur Rimbaud. Ils développent par la suite une forte amitié.

Ce que Delahaye attend « avec gourmandise », c’est l’ouvrage à paraître de Marcel Coulon La vie de Rimbaud et son œuvre, Mercure de France, 1929.

« avec Gourmandise » est une allusion à l’un des plus célèbres poèmes d’Une Saison en Enfer : « Mauvais sang ». Le passage en question est le suivant :
« J’attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité »

 

CHARLES X (1757-1836)

Lettre autographe signée « Charles Philippe » à Charles de Barentin
Edinbourg, 4 mars 1803, 1 p. in-4, adresse autographe avec restes de cachet de cire noire.

Charles X, alors en exil, renouvelle sa confiance au dernier garde des Sceaux de Louis XVI


« Je viens Monsieur, de charger M. Dutheil de vous communiquer des instructions que je lui ai donné, par lesquelles vous serés informé de ce que je desire, et de ce que je me promets de nos dispositions habituelles a vous employer pour tout ce qui interesse le service du Roi mon frere [le futur Louis XVIII] et le mien. Je me suis attaché d’autant plus facilement aux mesures que j’ai adopté, quelles me donneront des occasions encore plus frequentes de vous marquer ma confiance, ainsy que les sentiments de veritable estime et d’affection que vous me connoissés pour vous Monsieur, et dont je vous renouvelle l’assurance avec beaucoup de plaisir. 
Charles Philippe »


Le comte d’Artois, futur Charles X, est l’un des premiers à émigrer, le 16 juillet 1789. Il parcourt les diverses cours de l’Europe pour chercher des défenseurs à la cause royale. Pendant ses années d’exil, il se rend en Grande-Bretagne, où il passe le reste de la Révolution et du Premier Empire. Il est accusé par Napoléon Ier, dans le testament de ce dernier, d’avoir entretenu les hommes qui ont cherché à l’assassiner, tentative à l’origine de la mise à mort du duc d’Enghien.

BONAPARTE, Caroline (1782-1839)

Lettre autographe signée « Caroline » à un monsieur
Portici, s.d, le 20, 3/4 p. petit in-4

Caroline Bonaparte empresse son correspondant de lui donner des nouvelles et le rassure sur le bon ordre au royaume de Naples


« Monsieur, je viens de recevoir une nouvelle télégraphique qui me met dans la plus grande inquiétude. Je vous empresse donnez-moi les détails des événements comme ceux-cy ont des milliers de petits fils et ramifications infinies qu’il est bon de connaître, tout est ici fort tranquille, mais ma surveillance va doubler encore, rien de ce qui peut contribuer au bon ordre n’est changé mais j’ai besoin de recevoir de vous des détails exacts et positifs
Je les attends dans les plus brefs délais possibles. Je compte sur votre attachement et vous renouvelle l’assurance du mien. Caroline »


Caroline Bonaparte a été grande-duchesse consort de Berg avant de devenir reine consort de Naples par son mariage avec Joachim Murat. Elle est la plus jeune sœur de Napoléon Ier.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor H » à Delphine de Girardin
S.l.n.d, ce mardi, 1 p. in-8 sur bifeuillet

Hugo se met aux pieds de Delphine de Girardin


« Je ne dine pas chez moi aujourd’hui, Madame, et ma soirée est toute prise. C’est là avoir du malheur ! La fin de la semaine ne s’écoulera pas sans que je n’aille faire pénitence et chercher la réparation à vos pieds.
Mille tendres admirations
Victor H. »


Delphine Gay, épouse de Girardin, née le 24 janvier 1804 à Aix-la-Chapelle et morte le 29 juin 1855 à Paris, est une écrivaine, poétesse, nouvelliste, romancière, dramaturge, salonnière et journaliste française. Elle exerce une influence personnelle considérable sur la société littéraire contemporaine et au sein de son propre salon régulièrement, fréquenté, entre autres, par Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alfred de Musset ou encore Victor Hugo.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée “VH” à Delphine de Girardin
S.l.n.d, ce vendredi, 1 page petit in-8 sur bifeuillet
Papier légèrement froissé

Belle lettre du grand homme enrichie des superbes formules qu’on lui connait


« A moins que mes yeux souffrants ne me le défendent trop impérieusement, Madame, demain soir à neuf heures je serai chez vous, et [il] va sans dire que vous ne m’attendrez pas passé cette heure-là. Mais j’espère pouvoir me rendre à vos ordres et à vos fins. Permettez-moi de vous refaire ici ma déclaration je vous admire je vous aime.
Mille tendres respects.
V.H. »


Delphine Gay, épouse de Girardin, née le 24 janvier 1804 à Aix-la-Chapelle et morte le 29 juin 1855 à Paris, est une écrivaine, poétesse, nouvelliste, romancière, dramaturge, salonnière et journaliste française. Elle exerce une influence personnelle considérable sur la société littéraire contemporaine et au sein de son propre salon régulièrement, fréquenté, entre autres, par Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alfred de Musset ou encore Victor Hugo.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor H » à Delphine de Girardin
S.l, Lundi [15 novembre 1847], 1 p. in-8

Jolie lettre du poète au sujet de la représentation prochaine de Cléopâtre


« Nous sortons tous de la fièvre typhoïde, d’abord mon fils, puis ma femme enfin ils sont hors d’affaire, et nous voudrons ressusciter tous jeudi à Cléopâtre.
Madame, nous demandons cette loge à grands cris et nous vous admirons de l’admiration qui adore.
Je baise vos mains.
Victor H
Lundi »


Cléopâtre est une tragédie en vers de Madame de Girardin, créée au Théâtre-Français le 13 novembre 1847.

Delphine Gay, épouse de Girardin, née le 24 janvier 1804 à Aix-la-Chapelle et morte le 29 juin 1855 à Paris, est une écrivaine, poétesse, nouvelliste, romancière, dramaturge, salonnière et journaliste française. Elle exerce une influence personnelle considérable sur la société littéraire contemporaine et au sein de son propre salon régulièrement, fréquenté, entre autres, par Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alfred de Musset ou encore Victor Hugo.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe adressée à Delphine de Girardin
Marine Terrace [Jersey] 2 mai [1854], 4 pages petit in-8 remplies d’une écriture serrée

Longue et magnifique lettre du poète exilé se moquant ouvertement de Napoléon III suite à des rumeurs sur sa présence à Paris. Hugo fait ensuite une remarquable autoanalyse de ses poèmes satiriques Les Châtiments, paru l’année précédente.


« Puisqu’il pleut, je pense à vous, et je me fais du soleil comme cela, à travers les froides larmes de l’averse qui inonde les vitres de mes fenêtres-guillotines, j’évoque votre beau sourire, madame, votre grâce souveraine, votre esprit éclatant, votre conversation pleine d’un rayonnement d’Olympe, vous m’apparaissez déesse, vous me parlez, femme, vous m’enchantez l’esprit, et je me fiche de la mauvaise humeur du mois de mai. 
Ah ! ça, ne me dites donc pas que vous m’écrivez des lettres de huit pages, pour ne pas me les envoyer. À l’instant même, d’affamé que j’étais, je deviens goulu, et les quatre petites pages que j’ai dans les mains, si exquises et si ravissantes qu’elles soient, ne me suffisent plus. Tel est l’exilé, depuis Adam, notre ancien, à nous bannis. Conclusion : écrivez-moi douze pages la prochaine fois.
Comment ! vous me faites cette question : « Faut-il vous envoyer, etc. ? » — Est-ce que je suis de ceux à qui « la joie fait peur » ? Je veux, oui, madame, je veux mon exemplaire. C’est déjà bien assez de n’avoir pas eu ma loge. [Paul] Meurice me le fera parvenir. Remettez-le lui. Je sais déjà de la Joie fait peur deux choses : l’idée qui m’a charmé et le succès qui m’a ravi. — Retournez cette tête de phrase, je vous prie, car l’idée m’a fait encore plus de plaisir que le succès.
Donc, on a dit que j’étais à Paris, à l’Opéra, en domino, et que probablement je m’étais mis un faux nez pour ressembler à M. Bonaparte. Vous avez eu raison de répondre : « Il serait venu chez moi ». Ajoutez-leur ceci : que je ne me mettrai pas derrière un masque le jour où je me mettrai derrière une barricade. — En attendant, dans la Baltique et dans la Mer Noire, l’Anglo-France jette un triste fulmi-coton [allusion à la guerre de Crimée].
Ce que vous me dites du livre en question [Les Châtiments] m’enchante. Ce genre de succès est le bon ; c’est une lettre de change tirée sur l’avenir. Vous rappelez-vous le temps où ces gros dindons d’hommes dits d’État (ce dindondomdéta fait harmonie imitative) où ces dindons se moquaient des poëtes et disaient : « À quoi cela sert-il » ? — Cela sert d’abord à être exilé. Ensuite cela sert à leur mettre l’écriteau au cou, quand par hasard ces dindons s’avisent de devenir vautours. Voilà à quoi cela sert.
Quand la littérature empoigne la politique, voilà ce qui se passe. Nous serrons bien et nous serrons ferme.
Oh ! que je voudrais avoir ici une de ces merveilleuses glaces allemandes dont vous me parlez ! comme je sais bien quelle figure j’y ferais paraître ! Je me redonnerais à toute heure la splendide et douce vision du 6 septembre 1853, ce jour où, entrant dans ma serre, je dis : Tiens ! et où vous me dîtes : Oui ! — Je relis le livre Solution d’Orient. Entrez, je vous prie, chez le grand penseur d’à côté, et dites-lui de ma part que c’est un beau et profond livre. Je voudrais qu’il y eût au bout de vos doigts une tache de votre encre pour la baiser.
Quand vous verrez Th[éophile] Gautier et [Edouard de] Cabarrus, dites-leur que je les aime
Marine-Terrace f. vous embrasse, et Marine-Terrace m. se met à vos pieds (Voir pour les abréviations le dictionnaire.) »


Les Châtiments est un recueil de poèmes satiriques de Victor Hugo, publié en 1853. À la suite du coup d’État du 2 décembre 1851, qui aboutit l’arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo s’exile. Ces vers sont, pour le poète, une arme destinée à discréditer et renverser le régime de Napoléon III ; en effet, Victor Hugo lui voue une fureur vengeresse et un mépris sans bornes.

La Joie fait peur évoqué ici par Hugo est une comédie de D. de Girardin écrite le 25 février 1854.

Solution de la question d’Orient, et la neutralité perpétuelle de l’Egypte est un livre de Gaëtan de Raxi de Flassan publié en 1840.

Edouard Tallien de Cabarrus (1801-1870), fils de Thérésa Tallien, est médecin homéopathe ; il ne s’occupe pas de politique. Disciple de Hahnemann, il se consacre uniquement à ses malades. Il est par ailleurs l’ami intime d’Émile de Girardin.

Paul Meurice (1818-1905) est un romancier et dramaturge français. Il a été l’un des grands amis de Victor Hugo pendant de longues années. À la mort de ce dernier, Paul Meurice et Auguste Vacquerie sont nommés comme ses exécuteurs testamentaires. En 1902, Paul Meurice fonde la Maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris.

 

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée deux fois « Jean Cocteau » et « Jean » à Michaël Smithies
Saint-Jean-Cap-Ferrat, 3 juin 1956, 6 p. in-8°, avec enveloppe
Très bon état de conservation

Longue et foisonnante de Cocteau sur sa prochaine réception comme docteur Honoris Causa à l’université d’Oxford


« Mon cher Michael
Je vous suis très reconnaissant, […] mais pour rien au monde je ne voudrais entrainer Francine [Weisweiller] dans une aventure désagréable. Le matin, à la demande du secrétaire du vice Chancelier (New collège) j’ai de nouveau envoyé mes mesure en lui expliquant pourquoi je désirais porter un costume qui me soit propre et que je puisse emporter en France. […] Le 10- je dinerai chez Lord Beaverbrook, le 11 je déjeunerai à notre ambassade et vers 7h je serai au Radolf où nous mettrons ensemble au point tout notre programme. […] J’ai été accablé de remords pour des besognes (que je refuse) en marge de notre programme. La télévision voulait me faire présenter la Tour de Londres et autres folies qui ne me représentent que de la fatigue sur l’estrade maudite de l’actualité. Je déteste les réunions mondaines et si la Garden party n’était pas obligatoire je me serais caché dans ma chambre d’hôtel pour ne pas m’y rendre. La seule chose qui m’importe est de vous voir, d’assister au cérémonial du 12, et de prononcer le discours du 14. Le reste est du domaine de la corvée (sauf les repas avec les amis de mes amis.) Vous savez que je m’efforce de vivre à contre époque et comme s’il s’agissait du Weimar de Goethe ou du Ten O’Clock de Mallarmé. Car nul ne s’avise de comprendre que l’art échappe au progrès et ne se fabrique pas à la machine. Ma lettre au laboratoire du Brigadier Firebace est restée sans réponse. Ce qui m’étonne… mon ami Denis Saurat était en contact avec leurs travaux.
Salut et embrassades de votre jean Cocteau.
PS :
Une dernière question de votre « raseur » et ami
Depuis mes misères de peau je ne me rase qu’avec le rasoir électrique. Or, il arrive que dans certains hôtels qui ne veulent pas se moderniser on ne trouve aucune prise pour les rasoirs. D’après ce qu’on me dit sur Randolf [sic – Macdonald Randolph Hotel] il y a des chances pour que ce danger me menace et les petites bêtises peuvent devenir un obstacle considérable lorsqu’un étranger s’explique mal dans la langue.

Renseignez-moi et si vous voyez que le Randolf oblige sa clientèle à employer le Gilette – n’hésitez pas à mous loger dans un autre hôtel – avec une voiture (nous en avons une) les petites distances ne comptent pas.
Si je vous embête avec cette histoire ridicule c’est que la chose m’est arrivée en Espagne et que je ne savais pas comment sortir de l’embarras dans une auberge andalouse.
Faites le détective et jetez un coup d’œil à Randolf.
Mais je crois que vous exagérez à cause de cette pensée (la mienne) qui pousse Nietzsche à médire sur l’Allemagne et qui me pousse à croire la France dans son lit de mort.

(Savez-vous que Nietzsche possédait une des premières machines à écrire qu’on avait exportée à dos de mulets sur les montagnes de Sils Maria2)
Je vous embrasse et jure de ne plus vous importuner. Jean »


Le 12 juin 1956, Jean Cocteau est promu au grade de docteur ès lettres honoris causa par l’Université d’Oxford. Deux jours plus tard, il y prononce un discours, largement axé sur la poésie.

[NERVAL] COLON, Jenny (1808-1842)

Lettre autographe signée « Jenny » à son ami Jouslin de la Salle
S.l.n.d, 1 p. in-8 gaufrée à son chiffre
Ancienne trace de montage au verso

Rarissime lettre de celle qui inspira une violente passion à Gérard de Nerval dans les dernières années de sa vie


« Je t’envoie mon bon Jouslin […] la romance, fais-la-moi tout de suite, car on va la graver. Je crois qu’elle aura du succès. Mon maitre d’harmonie dit qu’elle est fort jolie ; j’en ai fait une autre qui est encore plus jolie, mais elle n’est pas tout à fait terminée. Je te ferai bien des paroles à ma façon pour t’indiquer le rythme musical. A part la quantité des pieds, rien, ça n’aura pas le sens commun. Je t’en préviens et si tu peux à tes moments perdus m’en faire une autre dans quelques jours tu me ferais bien plaisir ; as-tu pu déchiffrer la lettre de William [Hope] ? Quant à moi, je n’ai rien qu’un seul mot c’est qu’il voulait s’en aller, le reste je n’ai pas pu le lire. Merci encore mon bon Jouslin Amitié toujours. Jenny »


Jenny Colon est une actrice et chanteuse lyrique (soprano). Elle fréquente le salon de Madame Boscary de Villeplaine, où une rivalité amoureuse pour la conquérir oppose le financier William Hope au poète Gérard de Nerval. Elle inspire à ce dernier Aurélia ou le Rêve et la Vie.

NADAR JEUNE, Adrien Tournachon (1825-1903)

Lettre autographe signée « Adrien » à Alcide-Joseph Lorentz
[Paris], 6 janvier 1858, 1 p. in-8 à en-tête gaufré, adresse autographe au verso
Quelques taches et brunissure en mage inférieure, résidu de cachet de cire

Très rare lettre de Nadar Jeune, frère cadet de Félix Tournachon Nadar


« Ma vielle,
Si tu veux venir demain matin chez moi nous recauserons de l’affaire de ce soir – si je te dérange mon ami, c’est que j’ai affaire indispensable à traiter et ne puis me rendre moi même chez toi.
Tibi
Adrien
PS : Si tu peux à 9 heures bene »


Cela concerne vraisemblablement l’affiche publicitaire lithographiée pour l’atelier Nadar diffusée en 1858, date de cette lettre.
Notons que, l’année précédente, un arrêt de la Cour impériale de Paris restitue la propriété exclusive du pseudonyme Nadar au frère aîné d’Adrien, Félix Tournachon, sous lequel ce dernier signe ses écrits et qui est utilisé par son atelier photographique, sous la gouverne de son fils. En effet, le pseudonyme Nadar a d’abord été utilisé par une société constituée autour d’Adrien Tournachon, sous les formes Nadar jeune et Nadar jne, provoquant parfois la confusion.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Lettre autographe signée « Votre Eluard » à Joe Bousquet
[Arosa 4 novembre 1928], 4 pages in-4, enveloppe autographe jointe
Quelques petites rousseurs, caviardage (de la main de Bousquet ?) d’un mot

Magnifique lettre, enrichie de trois poèmes autographes, dans laquelle Eluard donne le plan de son prochain recueil, L’Amour la Poésie, dédié à Gala


« Mon bien cher ami, voici les poèmes promis. De la 2e partie (la manière noire)
Ce livre aurait 5 parties :

Premièrement
Seconde Nature
Comme une image
Défense de savoir (1)
Défense de savoir (2)

Le tout : L’AMOUR LA POÉSIE
Et dédié à Gala

Aucun poème n’a de titre. Environ 100 poèmes. Mais de jour en jour, mon corps mange ma tête. J’ai hâte de partir d’ici. Trop de nerfs, trop de cauchemars.
Peut-être, puisque vous ne m’avez pas dit si vous avez un gramophone, détestez-vous la musique. Mais soyez certain que ce que je vous aurai conseillé n’a avec celle-ci que de mauvais rapports.
Ce que vous me dites sur la lâcheté de Paulhan [le nom a été caviardé au stylo rouge, peut-être de la main de Bousquet lui-même pour ne pas de compromettre ?] ne m’étonne pas.
Nous voudrions déjà être à Carcassonne. Je vous fais adresser le Tanguy de Nelli.
Je voudrais écrire des chansons et, c’est drôle, je n’ai jamais eu si peu envie de chanter. Avez-vous fini par obtenir l’Histoire de l’Œil ? Si oui, vous dites publiquement ce que vous en pensez. Et vous êtes le seul.
Votre Eluard »

[La lettre est enrichie de trois poèmes autographes d’Eluard et annotés XXIX, XXXV et XXXVII]

XXXV Seconde nature [en haut de la première page]

Ils n’animent plus la lumière
Ils ne jouent plus avec le feu
Pendus au mépris des victoires
Et limitant tous leurs semblables
Criant l’orage à bras ouverts
Aveugles d’avoir sur la face
Tous les yeux comme des baisers
La face battue par les larmes
Ils ont capturé la peur et l’ennui
Les solitaires pour tous
Ont séduit le silence
Et lui font faire des grimaces
Dans le désert de leur présence.

XXIX Seconde nature [sur un feuillet séparé]

Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Pourtant tout est dehors
Tu vivras de la vie d’ici
Et de l’espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage ?

XXXVII Seconde nature [sur un feuillet séparé]

A genoux la jeunesse à genoux la colère
L’insulte saigne menaces ruines
Les caprices n’ont plus leur couronne les fous
Vivent patiemment dans le pays de tous.

Le Chemin de la mort dangereuse est barré
Par des funérailles superbes
L’épouvante est polie la misère a des charmes
Et l’amour prête à rire aux innocents obèses.

Agréments naturels éléments en musique
Virginités de boue artifices de singe
Respectable fatigue honorable laideur
Travaux délicieux où l’oubli se repaît.

La souffrance est là par hasard
Et nous sommes le sol sur quoi tout est bâti
Et nous sommes partout
Où se lèvent le ciel des autres

Partout où le refus de vivre est inutile


L’Amour la Poésie pressent la fin de la relation du poète avec Gala. Il le lui dédie comme suit :
à Gala
Ce livre sans fin

C’est également à cette époque que Gala (qui était ouvertement la maîtresse de Max Ernst) rencontre Salvador Dalí. Elle quitte Éluard pour le peintre surréaliste en 1929, année de parution du recueil.
Paul Éluard dira à Gala : « Ta chevelure glisse dans l’abîme qui justifie notre éloignement. »
Un an après, c’est en déambulant à hauteur des Galeries Lafayette que Paul Éluard et René Char font la connaissance de Maria Benz, dite Nusch. Elle deviendra l’épouse du premier et une égérie majeure du surréalisme.

Le recueil ne compte finalement que trois parties :
« Premièrement »
« Seconde Nature »
« Comme une image »
Les trois poèmes présentés ici par Eluard à Bousquet sont issus de la deuxième partie du recueil, « Seconde Nature ».

Les deux dernières parties, « Défense de savoir 1 & 2 » mentionnées par Eluard dans la lettre seront finalement regroupées en un seul recueil et titré comme tel.

Histoire de l’Œil, que Éluard évoque en fin de lettre, est un roman court de Georges Bataille. Édité clandestinement pour la première fois en 1928, sous le pseudonyme de Lord Auch, il décrit les expériences sexuelles de deux adolescents et leur perversité croissante.

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Manuscrit autographe (fragments) pour son essai « Faut-il brûler Sade ? »
S.l.n.d [1951], 7 pages in-4 sur papier quadrillé
Quelques ratures et un petit paragraphe biffé de sa main. Petite trace de trombone sur le premier feuillet.

Remarquable manuscrit autographe pour son célèbre essai “Faut-il brûler Sade ?”


Le texte du manuscrit comporte de légères variantes avec celui publié.

« En quoi mérite-t-il de nous intéresser ? Ses admirateurs mêmes reconnaissent volontiers que son œuvre est dans sa plus grande partie illisible ; philosophiquement elle n’échappe à la banalité que pour sombrer dans l’incohérence. Quant à ses rêves, ils n’étonnent pas par leur originalité ; dans ce domaine, Sade n’a rien inventé et on rencontre à foison dans des traités de psychiatrie des cas pour le moins aussi étranges que le sien. En vérité, ce n’est ni comme auteur, ni comme perverti sexuel que Sade s’impose à notre attention : c’est par la relation qu’il a créée entre ces deux aspects de lui-même. Les anomalies de Sade prennent leur valeur du moment où au lieu de les subir comme une nature donnée il élabore un immense système afin de les revendiquer […]. Sade a tenté de convertir son destin psycho-physiologique en un choix éthique ; de cet acte par lequel il assumait sa séparation, il a prétendu faire un exemple et un appel : c’est par là que son aventure revêt une large signification humaine »

« Il y avait à cette époque bien des libertins qui se livraient à de pires orgies, impunément ; mais je suppose que dans le cas de Sade le scandale était fatal ; il est certains “pervertis sexuels” auxquels s’appliquent exactement le mythe de M. Hyde et du Docteur Jekyll ; ils espère pouvoir d’abord satisfaire leurs “vices” sans compromettre leur personnage officiel ; mais ils sont assez imaginatifs pour se pense, peu à peu, par un vertige où se mêlent honte et orgueil, ils se découvrent : ainsi Charlus malgré ses ruses et par ses ruses mêmes » […]

« Chez le héros sadique, l’agressivité mâle n’est pas atténuée par l’ordinaire métamorphose du corps en chair ; pas un instant il ne se perd dans son animalité : il demeure si lucide, si cérébral qu’au lieu de le gêner dans ses élans les discours philosophiques sont pour lui un aphrodisiaque. […] Grâce à cette démesure, l’acte sexuel créé cette illusion de jouissance souveraine qui en fait aux yeux de Sade le prix incomparable […] »

« À partir du scandale de 1763 l’érotisme de Sade n’est plus seulement une attitude individuelle ; c’est aussi un défi de la société. Dans une lettre à sa femme Sade explique comment de ses goûts il a fait des principes : “Ces principes et ces goûts sont portés par moi jusqu’au fanatisme” écrit-il “et le fanatisme est l’ouvrage des persécutions de mes tyrans”. L’intention suprême qui anime toute activité sexuelle, c’est qu’elle se veut criminelle : cruauté ou souillure, il s’agit de réaliser le mal »

[…] « Et puis sur le papier l’auteur, prolongeant indéfiniment l’agonie de la victime, peut éterniser l’instant privilégié où un esprit lucide habite un corps qui se dégrade en matière ; il insuffle encore un passé vivant dans la dépouille inconsciente : mais en vérité que ferait un tyran de cet “objet inerte” : un cadavre ? »


Ces pages furent en remplacement à dactylographier pour insertion dans cet essai sur Sade qui sera publié en décembre 1951 dans le n° 74 des Temps modernes, repris avec deux autres dans Privilèges (Gallimard, 1955), et depuis, recueilli avec les mêmes, sous le titre « Faut-il brûler Sade ? »
Le texte du manuscrit comporte de légères variantes avec celui publié.

Dans « Faut-il brûler Sade ? », Simone de Beauvoir tente de montrer de quelle manière le divin marquis, après avoir provoqué le scandale, a cherché à concilier ses plaisirs individuels et son existence sociale ; comment, à travers ses oeuvres, il a voulu assumer sa pratique sexuelle en la transformant en éthique. Elle pose la question de la criminalisation de la sexualité, la façon dont la société la codifie et la norme.

BIZET, Georges (1838-1875)

Lettre autographe signée « Georges Bizet » à son ami Emmanuel Jadin
S.l.n.d [vers 1868], 1 p. in-4 sur papier pelure très fin
Habiles réparations au verso avec papier Japon, quelques infimes corrosions d’encre

Singulière demande de rendez-vous, presque mystique, de l’auteur de Carmen


« Jadinus fulgens
Je ne suis pas là lundi — impossible. Mais dimanche ? Demain dimanche… 3 juin je crois, peux-tu ? Voici la chose : tu te lèves à 5h, 4h et demi même si tu veux. Tu attends l’heure du train — 9h35 gare Saint-Lazare — ligne Saint-Germain, station du Vésinet. Tu arrives à la gare du Vésinet à 10h10, 10h un quart. Tu demandes l’église. On te l’indique, si tu es poli. Tu arrives devant le porche, tu te recueilles, tu entres, tu ne vois rien ! Tu attends. Tout à coup des accents mélodieux s’élèvent jusqu’au plafond de l’église. C’est un de mes amis qui chante. Je tiens l’orgue. Tu t’attendris car tu as faim. La musique finie, tu sors, tu attends, je parais !!!!!!!!!
Déjeuner. Si tu veux passer la journée avec moi, merci. Tu dîneras et tu fileras tard. Si tout ça te goûte, arrive, pas bien mis… À demain j’éspère 9h35
9h35
A toi
Georges Bizet »


Dans sa maisonnette du Vésinet (achetée par son père Adolphe en 1863), Georges Bizet alterne les compositions et les travaux alimentaires. C’est après la Commune qu’il finira par s’installer à Port-Marly et l’année suivante à Bougival, où il mourra brusquement en juin 1875.

GOUNOD, Charles (1818-1893)

Lettre autographe signée « Ch. Gounod » à Jules Delsart
S.l, 29 janvier 1889, 1 p. 1/4 in-8

Gounod décline une invitation à assister à un concert de Jules Delsart


« Mon cher Delsart, 
Nous sommes très inquiets ! mon cher petit-fils Maurice a la scarlatine compliquée d’une diphtérie!…
Dans un tel souci  je ne me sens pas le courage d’aller jeudi soir vous entendre et vous applaudir. Je vous retourne donc voter aimable billet, en y joignant tous mes respects et tous mes remerciements.
Bien à vous
Ch. Gounod »


Dans la dernière partie de sa vie, Gounod compose beaucoup de musique religieuse, notamment un grand nombre de messes et deux oratorios La Rédemption (1882) et Mors et Vita (1885).

DAUDET, Alphonse (1840-1897)

Carte de visite autographe signée « Alph. Daudet » à Henry Houssaye
[Paris, 13 juin 1884], 1 p. in-24, enveloppe autographe jointe

Charmante carte de Daudet pour complimenter un article littéraire


« Merci, mon cher Henri Houssaye, de votre critique et de vos sympathies. Je serais bien sot et susceptible si cet excellent article littéraire, auquel il ne manque selon moi qu’un peu plus de pratique de la vie, ne me satisfaisait pas. De cœur à vous. Alph. Daudet »


Alphonse Daudet est un écrivain français. Il est célèbre pour son recueil de nouvelles Lettres de mon moulin, dont nous connaissons tous « La Chèvre de monsieur Seguin ».

Henry Houssaye (1848-1911) est un historien, critique d’art et critique littéraire français.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à Delphine de Girardin
Paris, le 1er juillet 1833, 1 p. 1/2 in-4 sur bifeuillet
Petite déchirure en marge supérieure, sans atteinte au texte

Belle lettre flatteuse de Chateaubriand sur le récit poétique Napoline de Delphine de Girardin


« Je viens de recevoir, madame, un gracieux n° des Causeries que je dois à vos bontés ou à celles de Madame votre mère. J’ai été transporté d’aise quand j’ai lu que l’amie de Napoline aimoit René, mais hélas ! j’ai vite trouvé qu’un amour de roman change avec le livre. Ces personnes qui se disent rieuses et point méchantes, sont pourtant de grandes traîtresses. René est bien fâché, madame, de n’avoir plus que la perruque du maître d’écriture, et d’être le plus vieux de vos adorateurs et admirateurs.
Chateaubriand »


Les Causeries du Monde, journal destiné à un lectorat féminin, est fondé par Sophie Gay. Chateaubriand accuse ici réception du numéro de juin 1833, où paraissaient des passages de Napoline qui sera publié à la fin de l’année.

NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Lettre autographe signée en-tête « Nadar » au maire du 8e arr. de Paris
Paris, 17 janvier 1883, 1/2 p. in-8
En-tête à son chiffre

Belle demande de rendez-vous de Nadar


« M. Nadar a l’honneur de présenter ses respects à Monsieur le Maire du 8ème arrt. et de lui demander un instant d’audience »


Cette requête est faite à Alfred Koechlin-Schwartz (1829-1895), maire du 8ème arrondissement de Paris entre 1879 et 1888. Son nom est mêlé pour la première fois aux polémiques de la presse en 1887 lorsque, présidant comme officier de l’État civil à la cérémonie du mariage d’une princesse de la famille d’Orléans, il emploie le titre de Monseigneur. Bien que vivement attaqué pour ce lapsus par divers journaux républicains qui réclament sa révocation, Alfred Kœchlin reste en fonction sur décision gouvernementale, jusqu’au jour où sa brusque adhésion au mouvement boulangiste provoque sa destitution.

NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Lettre autographe signée « Ton Nadar » à un ami
S.l.n.d [Paris, 1857], 1 p. in-8
Traces de pliures habituelles

Nadar, financièrement aux abois, réclame des comptes à un ami avec lequel il a investi


« Mon ami, 
Ne sachant plus ton adresse je t’écris au Rabelais. Frederigotti est-il arrivé – ou quand arrive-t-il ? J’ai mis complètement mes intérêts en cette affaire dans tes mains et je te prie bien instamment de presser le résultat. 
Il y a un besoin réel
Ton Nadar »


En cette même année, un arrêt de la Cour impériale de Paris restitue la propriété exclusive du pseudonyme Nadar au frère aîné d’Adrien, Félix Tournachon, sous lequel ce dernier signe ses écrits et qui est utilisé par son atelier photographique, sous la gouverne de son fils. En effet, le pseudonyme Nadar a d’abord été utilisé par une société constituée autour d’Adrien Tournachon, sous les formes Nadar jeune et Nadar jne, provoquant parfois la confusion.

INDY, Vincent d’ (1851-1931)

Lettre autographe signée « Vincent d’Indy » enrichie d’un CV autographe
Bruxelles, le 24 novembre 1896, 5 p. 1/2 petit in-8 sur papier de deuil
Fentes aux plis, traces de pliures

Indy transmet son répertoire à un critique belge


« Cher Monsieur,
D’abord, merci de bien vouloir vous occuper de moi dans la Réforme, et excusez, je vous prie, mon outrecuidance de vous envoyer moi-même des mots sur moi-même. mais j’ai très peu l’habitude de ces sortes de choses et n’ai apporté avec moi aucun article biographique qui puisse servir en la circonstance.
Je vous envoie donc simplement une très simple histoire d’organiste, timbalier, chef de chœurs, compositeur en vous priant d’arranger toutes ces notes comme vous l’entendrez.
J’y joins l’énumération de celles de mes œuvres que j’aime le mieux en m’excusant de vous donner le travail de débrouiller tout cela.
Croyez, cher Monsieur Eckhand, que je vous suis très reconnaissant d’avancer ce que vous voudrez bien écrire sur moi et mes œuvres et veuillez agréer l’expression de mon entière, et déjà ancienne sympathie.
Vincent d’Indy
Hôtel de France
Rue Royale »


Vincent d’Indy joint son Curriculum Vitae, signé en-tête, listant toutes ses principales œuvres.

MALIBRAN, Maria (1808-1836)

Lettre autographe signée « M.F.Malibran » à un rédacteur du journal Le National
S.l.n.d, 1 p. in-8, adresse autographe au verso, résidu de cachet de cire
Quelques petites rousseurs et taches, léger manque sur le deuxième feuillet (bris de cachet)

Rare lettre de la Malibran se défendant d’appartenir à la société des Saint-Simoniens, elle affirme au contraire se dévouer corps et âme à son métier de cantatrice


« Monsieur,
L’on dit dans le public et quelques journaux ont répété que j’appartiens à la société des St-Simoniens, que je suis une de leurs prêtresses, que j’ai déjà prêché à la salle Taitbout, &a &a. Il m’importe de démentir ces bruits qui sont complètement faux. La société des St Simoniens ne m’est connue qye de nom, je n’ai vu aucun de ses membres, je n’ai jamais assisté à aucune de leurs séances.
Monsieur, exclusivement occupée de l’art que je professe, il absorbe tout mon temps et toutes mes forces – Je vous prie de vouloir bien insérer ma lettre dans un de vos plus prochains numéros.
Recevez d’avance tous les remerciements de votre obligée M.f. Malibran »


María-Felicia García, dite la Malibran, est une cantatrice lyrique française (mezzo-soprano) d’origine espagnole. Sa rencontre avec le public français se fait à l’Opéra le 14 janvier 1828, mais c’est au Théâtre-Italien qu’elle décide de faire carrière, en multipliant les rôles, dont celui de Desdemona, dans l’Otello de Rossini. Elle devient rapidement l’idole du Théâtre-Italien, pendant l’âge d’or du chant lyrique à Paris. Son physique agréable, sa taille gracieuse et ses fort beaux yeux ont contribué à marquer les esprits de l’époque. Sa mort prématurée au jeune âge de vingt-huit ans a contribué à façonner sa célébrité, devenue sa légende.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à un cher confrère
St. Benoît sur Loire, 5 janvier 1927, 1 p. in-4
Fentes aux plis, petit manque en marge supérieure sans atteinte au texte

Max Jacob remet son dernier recueil de poèmes à un confrère


« Cher confrère, 
Je n’ai pu vous répondre aussitôt que j’ai reçu votre lettre : ma santé est très mauvaise. Je n’en ai pas moins été très touché de votre offre et m’empresse de vous soumettre mes derniers essais de poèmes. Je n’écris plus guère de prose
Je vous prie d’agréer mes remerciements et l’expression de ma haute estime littéraire. 
Max Jacob
PS : Soyez mon interprète auprès de Soupault qui connait mes sentiments »


Le recueil de poèmes auquel fait ici référence Max Jacob est probablement Fond de l’eau, publié aux éditions de l’Horloge en 1927

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Lettre autographe signée « Edmond de Goncourt » à un cher ami
S.l.n.d [1895], 1/2 in-8 sur bifeuillet vergé

Charmant billet de Edmond de Goncourt au sujet d’une représentation


« Mon cher ami, 
Si vous venez déjeuner un de ces jours, ne venez pas jeudi, parce que je suis forcé d’assister à la représentation pour le bénéfice de Mme Crosnier.
Bien affectueusement,
Edmond de Goncourt »


Il s’agit de la représentation du 30 mai 1895, à l’Odéon, où la comédienne Irma Crosnier joue depuis plus de quarante ans.

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Lettre autographe signée « Edmond de Goncourt » à une dame
S.l.n.d, 1 p. in-8 sur bifeuillet
Petite déchirure en marge supérieure sans atteinte au texte, anciennes traces d’humidité

Edmond de Goncourt évoque ses visites chez la princesse Mathilde et chez Alphonse Daudet


« Chère madame,
J’ai passé les deux journées de lundi et de mardi au lit, je n’ai pas été chez la princesse [Mathilde] mercredi, hier j’ai fait l’imprudence d’aller chez Daudet et aujourd’hui j’ai mal à la tête et tousse un peu plus. Je vais m’enfermer sur cette fin de semaine. Malheureusement je dois diner chez Mme Ganderax lundi. Or donc si je puis sortir au commencement de la semaine prochaine, venez-moi mardi. Du reste je vous préviendrai d’avance, si je ne pouvais aller vous voir. Que c’est ennuyeux, je serais si heureux de vous voir, j’aurais été si heureux d’avoir des nouvelles de Lezins.
Votre très affectionné.
Edmond de Goncourt
Je vous envoie en avant de moi un article sur le Goncourt qui vous amusera »


Belle lettre à propos du quotidien de l’écrivain

GONCOURT (de), Jules (1830-1870)

Lettre autographe signée « J. de Goncourt » à l’éditeur Édouard Dentu
S.l, 26 février [18]57, 1/2 page in-8 sur papier vergé bleu, adresse autographe au verso
Petite tache en marge gauche, manque sur deuxième feuillet (bris de cachet)

Jules de Goncourt fait une recommandation auprès de son éditeur


« Monsieur
Mr Charles Expilly, auteur de plusieurs romans publiés dans les principaux journaux de Paris, a fait paraitre dans le journal le Pays une intéressante étude sur le Brésil Il désire une lettre d’introduction auprès de vous. Je la lui donne dans l’espoir que vous pourrez peut-être faire affaire avec lui.
Votre tout dévoué
J. de Goncourt »

AU VERSO :

« Monsieur Dentu »


Jean-Charles-Marie Expilly (1814-1886) est un écrivain, journaliste et administrateur français. Après avoir été un des collaborateurs des quotidiens La Réforme et Le National, il s’exile en 1852 en Amérique du Sud. À son retour, il devient commissaire adjoint de l’émigration au Havre en 1866 puis commissaire à Marseille en 1868.

[NERVAL] VILMORIN, Louise de (1902-1969)

Manuscrit autographe signé « Louise de Vilmorin » adressé à l’éditeur Mazenod
S.l [Hôpital Américain, Neuilly-sur-Seine], 14 juin 1952, 2 p. 1/2 in-4
Petites pliures marginales, quelques petites rousseurs et taches

Exceptionnel manuscrit de Louise de Vilmorin sur Gérard de Nerval, sans doute la dernière version d’étape d’un texte majeur dans l’œuvre de la femme de lettres. À notre connaissance, ce texte n’a pas été publié par l’éditeur Mazenod.


Nous n’en transcrivons ici que quelques fragments :

« Le souvenir de mes belles cousines, ces intrépides chasseresses que je promenais dans les bois – belles toutes deux comme les filles de Léda, m’éblouit encore et m’enivre. Pourtant je n’aimais qu’elle alors. Les paumes de Gérard de Nerval, qu’il appuie tantôt sur son front ou ses yeux et tantôt contre sa poitrine sont imprégné de ce parfum qui nous vient des distances et que nous respirons parfois au lendemain d’un beau jour quand l’imagination, envahie par un soupçon d’amour, fonde un temps sans limite sur les délices d’un moment. […] Je traversais un soir les bosquets de Clarens, perdu au nord de Paris dans les brumes, lorsque j’aperçu un homme debout, immobile et penché au milieu d’une eau mouvante et légèrement surélevée […] Des formes, des ombres blanches, des silhouettes, des paysages et même des moments, modelés par le vent, se dégagèrent peu à peu de ce remue-ménage et s’ordonnèrent en un cortège qui défila devant moi à la suite des deux promeneurs que je ne voyais plus. C’était le cortège des regrets et des obsessions fidèles au plus fidèle des hommes […] Bruyères et digitales pourprées, colonnades et clair feuillage, Aurélie en amazone avec ses cheveux blonds flottants, se promenait dans un bois de peupliers, d’acacias et de pins qui bougeaient avec elle […] Les tristes et merveilleux récits de Gérard de Nerval sont l’œuvre d’un explorateur du chagrin […]
Louise de Vilmorin »


Ce manuscrit était destiné à l’Anthologie des écrivains, préparée par les éditions Mazenod. Ce texte sensible exprime l’attachement de Louise de Vilmorin à Gérard de Nerval, écrivain romantique notamment célèbre pour ses nouvelles écrites pour se purger de sa folie, notamment Pandora (1853) et Aurélia (1855). Le début de la lettre reprend quelques phrases la première. Cet éloge de Gérard de Nerval est aussi un récit de rêve, trope que l’on retrouve parfois dans les textes intimes ou poétiques de Louise de Vilmorin. L’esprit onirique qui se dégage de l’œuvre de Nerval entre en résonance avec le beau poème de Louise intitulé « Le Voyageur en noir ».

Le texte : Il existe une version presque identique de ce texte que les héritiers de l’auteur ont déposé à la bibliothèque Doucet, où il est répertorié sous le titre « Le souvenir de mes belles cousines », sous la cote MsMs28893. La version de la bibliothèque Doucet est datée du 16 juin 1952. Postérieure de deux jours à ce manuscrit daté du 14 juin, elle est dédiée à Raymond Queneau et porte la mention en haut de page « Hôpital américain ». C’est lors de l’une de ses hospitalisations, en mai et en décembre 1952, où elle est soigéne à la suite d’opérations de la hanche, que Louise met au point ce texte.

BARTÓK, Béla (1881-1945)

Lettre autographe signée « Béla Bartók »
Budapest, le 10 avril 1932, 3 p. in-8

Longue lettre de Bartók qui règle ses comptes avec son correspondant


“Sehr geehrte Herren,
In Beantwortung Ihres Schreibens vom 4. April teile ich ihnen folgendes mit:
1. Ich habe sie mehrmals gebeten in (Ende Januar dann am 18. Februar) mir einen Teil des Honorars – 300 Mark – in Frankfurt am Main zur Verfügung zu stellen, weil ich in Deutschland verschiedene Zahlungen vorzunehmen habe. Hieraus konnten Sie ersehen, dass ich mit der Überweisung an  Rozzavölgyi nicht einverstanden war (in ihrem Brief vom 29. Januar schreiben Sie mir: nur ihr Einverständnis vorausgesetzt… Schreiben wir an Rozzavölgyi  … Etc.)
2. In ihrem Brief vom 23. Februar bestätigen Sie zwar den Empfang meines Briefes vom 8. Februar in welchem ich Sie ausdrücklich Ersuche mir 300 Mark durch ihren Vertreter in Frankfurt am Main gegen Mitte Mai auszuzahlen, doch reagieren Sie auf mein Ersuchen überhaupt nicht, weder mit ja weder mit nein – als ob sie den Brief bloß empfangen aber nicht gelesen hätten – ; sie wiederholen nur dass sie Rozzavölgyi ersucht haben mir den ganzen Betrag Auszuzahlen.
3: In ihren Briefe vom 4. April schreiben Sie mir: “da die Zahlung ihres Guthabens von Mark 850,90 laut Meldung der Firma Rozzavölgyi bereits vor einiger Zeit erfolgt ist…“
Dies stimmt schon überhaupt nicht: bis zum 4. April fand überhaupt keine Zahlung statt. Erst am 6. April Habe ich den Gegenwert von 550 DM von Rozzavölgyi erhalten.
Um sowohl Ihnen als auch Rozzavölgyi Einen Gefallen zu tun, habe ich eingewilligt diesen Teil des Betrages durch Rozzavölgyi zu erhalten, obzwar Ihre Überweisung ohne meine Zustimmung von Ihnen vorgenommen wurde und obzwar ich auch für diesen Teil des Betrages in Deutschland selbst eine entsprechende Anwendung gehabt hätte.
Über dies erfolgte die Überweisung ja gar nicht offiziell, sondern nur durch einen, von Ihnen an Rozzavölgyi geschickten Privat Brief.
Ich weiß nichts von einer Reichsdeutschen Verordnung, wonach ich in Deutschland persönlich während meiner Anwesenheit meine eigenen Honorare nicht beheben dürfte: jedenfalls erhielt ich im Frankfurter Rundfunk mein Honorar am 30. Januar ohne weiteres. Beschränkungen beziehen sich nur bezüglich der Ausfuhr von Geld.
Da ich diese 300 DM während meines Aufenthalts in Frankfurt am zwölften bis 15. Mai dort unbedingt benötige – alle meine Pläne und Berechnungen richteten sich danach, dass ich sie dort zu jederzeit zur Verfügung haben werde – ersuche ich Sie nochmals mir diesen Betrag dort durch ihren dortigen Vertreter auszuzahlen. Es tut mir leid, Ihnen hier durch eventuell Unbequemlichkeiten zu verursachen; Schuld daran trage ich nicht, denn sie haben jene Privatüberweisungen gegen meinen, Ihnen bekannten Wunsch und ohne meine Einwilligung vorgenommen. Ich Ersuche Sie auch die Adresse ihres Vertreters mir mitzuteilen.
Es wundert mich – offen gestanden -, dass sie meine gerechten Wünsche vollkommen ignorieren, umso mehr wundert es mich, da ich Ihnen gegenüber sowohl während der Verhandlungen im vorigen Sommer, wie auch jetzt in der Überweisungsangelegenheit in der zuvorkommendsten Weise gehandelt habe.
Ihrer baldigen Antwort entgegensehend verbleibe ich hochachtungsvoll.
Béla Bartók”


La même année Bartók, compose Six chants sicules, pour chœur d’hommes à 6 voix et vient d’achever 44 duos pour deux Violons.

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Manuscrit autographe pour son recueil d’articles Aux Embuscades de la vie
S.l [1903], 10 pp. in-4
De premier jet, nombreuses ratures et corrections, feuillets remplis d’une écriture serrée.

Remarquable manuscrit de Clemenceau pour son recueil d’articles Aux Embuscades de la vie. Il s’agit du chapitre complet « Simon, fils de Simon », issu de la première partie du livre Dans la Foi


Nous ne publions ici qu’un extrait du manuscrit

« Simon, fils de Simon, arrivait au terme de sa carrière sans avoir pu jamais goûter le fruit d’un effort continu pour l’acquisition des richesses qui représentent le bonheur. Fils de Sem ou de Japhet, nous sommes fort enclins à rechercher le signe représentatif de toutes les satisfactions où aspirent les cupidités diverses de notre vie. Ce n’est pas que Simon, fils de Simon, de la tribu de Juda, eût jamais considéré l’avantage des félicités à venir de la possession d’un trésor. Non, la question de l’emploi possible d’une accumulation monétaire n’avait jamais occupé son esprit énergique mais simple. Toujours tendu vers le but unique de la convoitise, il ne s’en était jamais promis d’autre jouissance que de convoiter avec succès. Les beaux habits ne le tentaient pas. Il convient, quand on a pu fixer la richesse au passage, de la couvrir d’un voile de pauvreté, pour ne pas tenter le méchant, prompt à s’approprier le bien d’autrui. Les joyaux, les pierres rares, les vases précieux, la vaisselle de luxe, les tapis, les tentures, le luxe des habitations, les chevaux, ne sollicitaient point son envie. Il n’en avait que faire et ne comprenait point les vaniteuses joies venues de la possession de ces choses. Son rêve n’était pas davantage des beaux corps, parfois accompagnés d’une âme, qui s’obtiennent à des prix débattus pour des voluptés ineffables. Simon, fils de Simon, distinguait fort vaguement entre les esthétiques diverses de telle ou telle fille d’Ève et n’aurait pas donné le moindre maravédis pour la différence de l’une ou de l’autre.

Son désir ingénu n’allait qu’aux métaux en monnaie. Or, argent, bronze, découpés en rondelles, frappés. D’une effigie, lui paraissaient, comme ils sont en effet, la plus grande merveille du monde. L’idée de les entasser bien comptés en des sacs, de les empiler par hautes rangées brunes, blanches ou jaunes, en des coffres à serrures compliquées l’emplissait de délices surhumains. Et le miracle du métal est si grand que, même absent, simplement représenté par une feuille de papier pourvue des formules nécessaires, et portant avec l’estampille de César des signatures de poids, la jouissance de posséder ne se trouvait pas moindre. Certains raffinés même jugent qu’elle s’accroît à l’idée d’enfermer loin des cupidités du monde sous un si mince volume un si vaste trésor.

De tout ceci, d’ailleurs, Simon, fils de Simon, n’avait connu que les visions du rêve qui déjà lui semblaient infiniment plaisantes. Qu’eût été si la réalité avait pu suivre les folles chevauchées d’une imagination délirante ? Mais ce bonheur ne paraissait pas fait pour le Juif misérable qui jusqu’ici s’efforçait vainement à la conquête de l’or. L’or pour l’or et non pour les vains simulacres de plaisirs contre lesquels des malheureux l’échangent, dans leur folie. L’or était beau, l’or était fort […] »


Pendant et après les démêlés de l’affaire Dreyfus, Clemenceau publie des recueils d’articles : Le Grand Pan (1896), dans lequel il fait l’apologie du paganisme précédant le judéo-christianisme, Au fil des jours (1900) et Les Embuscades de la vie (1903).

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à l’écrivain et critique d’art Joseph Billiet
Cuverville, le 15 mars 1919, 2 p. 1/2 in-4
Traces de pliures, infime déchirure en marge inférieure

Longue et touchante lettre de Gide au sujet de son roman Les Nouvelles Nourritures


« Mon cher Billiet,
Votre lettre m’émeut beaucoup, et si j’étais encore à Paris j’accourrai ; mais je ne vis plus hors d’ici qu’une existence tourbillonnaire où grandit, avec la fatigue, une immense nostalgie de travail. Peut-être y a-t-il quelque cruauté à vous dire cela, à vous, dont la fatigue et la nostalgie n’ont encore trouvé que des satisfactions si précieuses… Je voudrais que vous ne vous mépreniez pas aux pages de moi que vous aurez lues dans le 1er IV° de
[La Revue] Littérature et à qui votre lettre fait illusion. Sans doute était-il paradoxal de pousser un cri de joie alors que nous sommes encore si mal ressuyés de la guerre et que, de toutes parts, il ne nous est permis de voir que deuils, détresses et faillites ; ce qui est surtout paradoxal, c’est de les avoir isolées ainsi, de sorte que séparées de celles qui les suivent, ces pages prennent une toute autre signification que celle qu’elles retrouveront dans le livre – où la détresse humaine et l’impossibilité de parvenir à ce bonheur, qui pourtant devrait être naturel, les doublera. Il s’agit de retrouver le bonheur par-delà, au-delà de la détresse – et le dernier livre de ces Nouvelles Nourritures y tendra, comme il peut apparaître déjà dans le dernier fragment que j’ai cité.
Pourquoi je vous raconte tout cela ? Oh ! simplement parce qu’il me serait douloureux de penser que vous puissiez croire, comme d’autres lecteurs auront fait, à quelque “impiété” de ma part – je veux dire : qui que ce soit d’impitoyable.
Je suis tout à la fois rassuré de vous savoir hors de gêne, et pourtant inquiet de songer que c’est aux dépends de votre liberté. Je souhaite qu’au bout d’un peu de temps et de tassement vous arriviez pourtant, comme Philippe et tant d’autres…
Oh ! Je vous en prie, ne vous ennuyez pas trop vite d’une restitution qui peut-être est, pour vous, un peu prématurée et qui ne me causera que tristesse, si je peux un instant penser que je la dois à quelques privations de vous, de votre femme, ou de votre petit enfant… Je pense revenir à Paris dans quelques jours, et peut-être pour un peu plus de temps. Tâcherai de passer vous voir.
Croyez à mes sentiments bien affectueux.
André Gide »


André Gide publie des extraits des Nouvelles Nourritures en mars 1919 dans la revue des surréalistes Littérature, repris en 1921 dans son recueil Morceaux choisis chez Gallimard, avant de livrer une édition complète en 1935 chez le même éditeur.

Les Nouvelles Nourritures se présente à la fois comme un récit en continuité et en rupture avec Les Nourritures Terrestres. Tandis que l’ouvrage précédent a l’allure d’un ample carnet de voyage où romanesque et poétique se mêlent au gré des senteurs de l’Orient sans autre fil conducteur que les fluctuations sensorielles du narrateur, ce nouveau récit est doublé d’une dimension morale, qui constitue sa ligne directrice.

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Jean C » à Henri Duvernois
[Ville de Monts] Indre-et-Loire, 26 septembre 1913, 1 p. in-8
Adresse autographe au verso. Annotation typographique d’une autre main en marge supérieure.

Rare lettre de jeunesse de Cocteau dans laquelle il revient en détail sur le dernier ouvrage d’Henri Duvernois : Nounette ou la déesse aux cent bouches


« Mon cher Henri,
J’ai cent yeux pour lire Nounette [où la déesse aux cent bouches] et je coudrai cent bouches pour la louer. Le “drôle” y est incomparable. Les “je le crains, mon enfant”, “il va pleuvoir” de Mr Hurlu et “lorsque je le veux” des vers que récite madame sont définitifs. La tendresse lucide me semble encore le meilleur. Incognito regorge de poésie ; d’exactitude, et si je me revoir avec Mad. Carlier, “Castiglione” pour la vie, avec un loulou noir, un kaléidoscope (!), et une brosse à dents. […] PS: J’adore la fin du restaurant momifié. Jean C »


Jean Cocteau est issu d’une riche famille parisienne, qui a soutenu sa carrière artistique. Certaines biographies suggèrent toutefois que sa fortune lui aurait permis de quitter le foyer familial dès son quinzième anniversaire. Il publie son premier recueil de poèmes à compte d’auteur en 1909, La Lampe d’Aladin, inspiré des Mille et Une Nuits. Il se fait alors connaître dans les cercles artistiques bohème, comme Le Prince Frivole. C’est d’ailleurs le titre de son second recueil de poèmes, paru en 1910.
Plus tard, sa rencontre avec Serge Diaghilev, qu’il veut étonner, marque la première crise dans son œuvre : il renie ses recueils de poèmes et se rapproche de l’avant-garde cubiste et futuriste.

LOUIS XVIII, Louis-Stanislas-Xavier de France, (1755-1824)

Ensemble de deux pièces signées dont une avec apostille autographe adressée à Jacques Necker
S.l, 26 aout 1777, 1 p. in-folio sur bifeuillet
Traces de pliures, petites taches

Bel ensemble de 2 pièces signées par Louis XVIII, d’abord comme Comte de Provence puis comme roi de France


« Je m’intéresse à Made de Chatenay et je la recommande à M. Necker. Louis Stanislas Xavier »

Saint-Cloud 9 août 1821,
Brevet de vice-consul et chancelier à Gênes pour le S. Priez (contresigné par Pasquier)


On joint deux brevets avec sa griffe :
Lettres de chevalier de l’ordre de Saint-Louis (7 nov. 1814, contresigné par le Mal Soult duc de Dalmatie),
Bevet de chevalier de la Légion d’honneur (30 oct. 1816, contres. par MacDonald).

MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « Mauriac » à René Salomé
Vémars 7 octobre 1921, 1 p. in-12
Adresse autographe au verso, trace de collant

Mauriac évoque avec humour le triste métier de critique littéraire, précisant qu’il n’existe pas, selon lui, de « bons romans catholiques »


« Cher ami, 
Je ne voudrais jamais recevoir la discipline que de votre main – tant j’ai de goût pour votre douce severité et votre aimable rigueur ! Je vais vous confier un secret : 
Il n’existe pas, il n’existera jamais de bons romans catholiques (En Route n’est pas un roman mais une confession). Et il est bien plus facile à un critique d’entrer dans le royaume du ciel qu’à un faiseur de romans. C’est un triste métier. Et je voudrais n’y point trouver tant de plaisir ! 
Affectueusement votre et à bientôt
Mauriac »


En Route est un roman de Joris-Karl Huysmans, publié en 1895. Ce volume ouvre la « trilogie de la conversion », que complètent La Cathédrale puis L’Oblat.

[APOLLINAIRE] TOUSSAINT, Franz (1879-1955)

Lettre autographe signée « Toussaint » à Gabriel Soulages
Paris, le 23 mai 1914, 3 pp in-4
Traces de pliures, infimes déchirures aux marges sans atteinte au texte, quelques petites rousseurs

Riche et passionnante lettre de Frantz Toussaint suite à sa visite chez Guillaume Apollinaire. Il en dresse un portrait épique du poète, puis évoque son recueil Alcools et explique ses choix quant à son écriture et l’absence de ponctuation. Toussaint rapporte ensuite les propos d’Apollinaire sur le cubisme puis sur la peinture en général, notamment sur Delacroix, Monet, Manet, Carco etc.


« Je vais te faire le récit des événements, qui sont nombreux. J’ai vu Apollinaire. Il fumait sa pipe au milieu de ses fétiches papous, de ses statuettes égyptiennes et grecques. Aux murs, des Picasso, des Marie Laurencin et des compositions cubiques affolantes. Sur la table des volumes dans toutes les langues. Il m’a promis qu’il irait voir le peintre Maury et qu’il en parlerait. Enfin pour m’honorer, il m’a donné son dernier volume Alcools que je t’envoie par ce courrier. Ce recueil de vers est épuisé. Il est donc précieux, lis-le avec attention. Rétablis la ponctuation, seulement. Admire le portrait de l’auteur par Picasso. Au cours de notre long entretien il m’a été impossible de dénicher comment Apollinaire s’y prend pour admirer en même temps une Aphrodite de Scopas et une marchandise du sculpteur cubique Archipenko […] Avant cette dernière visite je le prenais pour un mystificateur. Voici, selon lui, pourquoi il a supprimé et continue de supprimer la ponctuation dans ses écrits :
« Un véritable artiste, dit-il, doit laisser le lecteur ajouter ce qu’il écrit, le laisser libre de voir au-delà de la vision de l’auteur. La ponctuation limite la course des ondes harmoniques de plusieurs phrases. Du reste elle n’est pas du tout nécessaire. Voyez ce qui se passe dans la correspondance téléphonique, où il n’y a aucune ponctuation. On comprend tout, ajoutant autre chose : Lorsque des journaux ou des revues reproduisent mes vers, les typos rétablissent la ponctuation et la mettent exactement là où il faut. Donc, d’une part je permets à certains de mes lecteurs de déplacer à leur gré le rythme de mes vers, et, de l’autre, cette absence de ponctuation ne gêne pas ceux qui la regrettent »
[…] Là où il erre c’est dans ses théories sur le cubisme. Mais il est si fort, si documenté, il excelle tellement à décomposer les divers plans qu’il voit dans une Vénus de Milo, par exemple, il sait tant de choses, il a, dans la mémoire, tous les catalogues des musées du Caire, de Londres, de Vienne, de Constantinople, qu’il vous démonte et réunit presque à vous convaincre. Il dit, à propos de la peinture cubique : Riez, mais attendez. Les articles, jusqu’ici, les artistes que vous admirez (il les admire aussi d’ailleurs) sont en arrière du public. Le public va plus vite que les artistes, alors qu’il appartient au artistes de dépasser le public […] Franz Toussaint »


Avant Apollinaire, Mallarmé avait déjà conçu des poèmes sans ponctuation comme dans Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, qui est une œuvre à la fois graphique et typographique, ainsi que nous l’avions indiqué lors de l’examen du thème consacré au silence.
Apollinaire repris cette forme pour son recueil Alcools, dénué de toute forme de ponctuation. Les textes sont expurgés des points, des virgules, etc. pour donner une unité formelle aux poèmes inédits.
Cette absence de ponctuation marque très clairement l’affranchissement du poète avec les codes classiques, signe fort de l’ancrage de l’œuvre dans la Modernité.

Franz Toussaint est un écrivain et orientaliste français, également scénariste, auteur de nombreuses traductions de l’arabe et du persan, du sanskrit et du japonais. Sa traduction la plus connue, elle-même adaptée dans plusieurs autres langues, est celle des Rubaiyat d’Omar Khayyam
Vers 1910, il s’installe à Paris où il se lance dans la carrière littéraire et se lie d’amitié avec Ambroise Vollard, Jean Jaurès et Jean Giraudoux.

MALRAUX, André (1901-1976)

Tapuscrit avec corrections autographes
S.l [1937], 5 ff. 1/4 in-4
Importantes corrections, ratures, collages

Extrait du manuscrit de son roman L’Espoir, publié en décembre 1937 aux éditions Gallimard. Le texte est tiré de la deuxième partie du roman, Le Manzanarès, chapitre intitulé « Sang de gauche » – L’auteur y revient sur le bombardement de Madrid par les nationalistes pendant la guerre civile espagnole


« La foule n’était pas prises par la peur des fascistes, mais par l’épouvante d’un cataclysme ; et c’était bien un cataclysme, car la question de « se rendre » ne se posait pas plus que celle de se rendre à un tremblement de terre. Dans un fracas de foudre, les verres sautèrent […]. »
Suit un dialogue intense entre Malraux et un compagnon de Moreno : « J’ai vu des types jouer à la pelote basque sur le mur où étaient encore les morceaux de cervelle et les cheveux des prisonniers. Je n’avais pas d’âme, comme dirait Guernico. Ici, c’est curieux, c’est le contraire : après dix jours de première ligne, on n’a plus de corps. Je veux dire, on est un suicidé […]. On est de l’autre côté de la vie, au-delà peut-être…Et alors se passe une chose extraordinaire. On est délivré de soi-même, remis au destin […] »


L’Espoir relate les évènements importants du début de la guerre d’Espagne, du putsch militaire franquiste du 18 juillet 1936 (les républicains triomphent) à la bataille de Guadalajara en mars 1937. Malraux joue avec les limites des genres, son roman restant volontairement inclassable, hors norme. La guerre est omniprésente et constitue le thème central du roman. Elle implique souffrance, blessures, violence, mort, peur, désespoir, mais aussi espoir, lorsque tout va au plus mal. Malraux décrit sans détour l’horreur à vif.

[DUMAS] FERRIER, Ida (1811-1859)

Lettre autographe signée « Ida »
[Entre 1840 et 1844] Samedi, 1/2 p. in-12
Ancienne trace de montage au verso, petite tache en marge inférieure

Ida Ferrier se charge de transmettre des remerciements de la part de son mari Alexandre Dumas


« Vous avez dépassé toutes vos promesses, Monsieur, vous avez été mille fois bon et aimable pour moi, recevez-en je vous prie mes plis vifs remerciements. J’avais chargé Alexandre [Dumas père] de vous les présenter mais je crois bien qu’il ait oublié ma commission.
Votre bien dévouée et obligée,
Ida »


Alexandre Dumas épouse en 5 janvier 1840 à Paris (1er) l’actrice Ida Ferrier, née Marguerite-Joséphine Ferrand (1811-1859). Il s’installe avec elle à Florence. Le couple divorce en 1844.

 

DORVAL, Marie (1798-1849)

Lettre autographe signée « Marie Dorval » à un ami médecin
20 avril 1825, 1 p. ½ in-8
Ancienne trace de montage au verso, quelques petites taches sans atteinte au texte

La célèbre comédienne offre une loge pour sa prochaine représentation à la Comédie Française


« Mon cher docteur, voici une loge pour ce soir. Vous avez paru désirer voir les Enfants d’Edouard et je vous remercie de me donner cette occasion de faire une chose qui vous soit agréable.
Nous nous portons fort bien il n’y a que Caroline qui se gratte comme une enragée elle viendra vous voir un de ces jours. A vous de toute mon âme. Marie Dorval »


Marie Dorval est l’une des plus célèbres actrices françaises du XIXe siècle. Ses succès au théâtre et sa vie sentimentale bien remplie contribuent à construire son mythe.

ELSSLER, Fanny (1810-1884)

Lettre autographe signée « Fanny Elssler » à M. Eli
S.l, le 12 aout 1826, 1/2 p. in-8
Ancienne trace de montage au verso, petites déchirures aux plis

Très rare lettre de la célèbre danseuse autrichienne, alors âgée de seize ans


Dans un français parfois phonétique, elle écrit :

« Agréé je vous prie Monsieur Eli toutes mes remerciements pour la bontée que vous avez eu, de me prêter vos castagnettes, ne m’en voulez pas trop de les avoir garder si long temps. Le volà avec un million de remerciements. Adieu Monsieur Eli.
Fanny Elssler »


Considérée comme l’une des plus grandes interprètes du ballet romantique, Fanny Elssler subjugue ses contemporains par sa sensualité et sa capacité à émouvoir par son jeu d’actrice et magnifier le drame.

Elle est un temps la maîtresse du duc de Reichstadt, liaison qu’Edmond Rostand évoque dans sa pièce L’Aiglon (1900).

Théophile Gautier, qui l’admire beaucoup, la surnomme la ballerine païenne.

INGRES, Jean-Auguste-Dominique (1780-1867)

Lettre autographe signée « Ingres » à M. Besozzi
S.l.n.d, samedi, 1 p. in-12
Ancienne trace de montage au verso

Invitation d’Ingres à un modeste diner avec accompagnement trop indigne d’une Sonate d’Haydn


« Cher Monsieur Besozzi,
Il y a si longtemps, seriez-vous donc assez bon, vous et votre chère Mdame de me faire l’amitié de venir manger [à] notre modeste diné [sic] lundi prochain, avec accompagnement trop indigne d’une Sonate d’Haydn. Oui.
Tout à vous de cœur
Ingres »


Élève de Jacques-Louis David, Jean-Auguste-Dominique Ingres obtient le prix de Rome en 1801 à seulement vingt-et-un ans. Après un long séjour en Italie, il revient à Paris, où il obtient reconnaissance officielle, apparaissant comme le champion de la doctrine du beau et de la primauté du dessin sur la couleur, en opposition successive aux courants romantiques et réalistes. Nommé directeur de l’Académie de France à Rome, il retourne à la ville éternelle de 1835 à 1842.

CHASSERIAU, Théodore (1819-1856)

Lettre autographe signée « Thre Chasseriau » à M. Lanthy
Mercredi midi [14 septembre 1853], 1 p. in-8 avec adresse autographe
Ancienne trace de montage sur le 4ème feuillet, petit manque sans atteinte au texte (bris de cachet)

Rare lettre du jeune peintre prodige au sujet d’une commission


« Cher monsieur Lanthy,
J’ai trouvé votre petit mot à mon retour – je suis en ce moment fort embarrassé, par pour longtemps j’espère. Aussitôt qu’il me sera possible je vous ferai porter les fonds.
Mille choses bien affectueuses.
Thre Chassériau »


Théodore Chassériau est un peintre français. Le portrait de Prosper Marilhat, qu’il réalise à l’âge de quinze ans, fait de lui le plus jeune peintre exposé au musée du Louvre.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, son professeur à l’École des beaux-arts de Paris de 1830 à 1834, décèle très tôt le talent du jeune Théodore et lui prédit qu’il sera « le « Napoléon » de la peinture »

GONCOURT (de), Jules (1830-1870)

Lettre autographe signée « Edmond et Jules de Goncourt », de la main de Jules
23 mars 1853, 1 p. in-8
Ancienne trace de montage au verso

Requête des frères Goncourt pour faire être inscrits sur la liste des entrées


« Monsieur,
Vous avez eu l’amabilité de nous écrire dernièrement que votre porte nous était ouverte à deux battants.
Quand nous nous y sommes présentés, il y a de cela une huitaine, la peste était toute grande fermée.
Ne doutant pas de votre bonne volonté à notre endroit, nous vous serions bien obligés de nous faire réinscrire tous deux sur la liste des entrées.
Veuillez recevoir, monsieur, l’assurance de tous nos remerciements et de toutes nos sympathies.
Edmond et Jules de Goncourt »


Jules de Goncourt est un écrivain français, à l’origine de l’académie Goncourt, qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre est écrite à quatre mains avec son frère, Edmond de Goncourt. Leurs ouvrages appartiennent au courant du naturalisme.

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

Lettre autographe signée « Ch. Baudelaire » à F. Bichet
[Paris], 4 février 1860, 1/2 p. in-8
Ancienne trace de montage au verso

Baudelaire écrit au sujet de son texte « Enchantements et tortures de l’Opium »


« Monsieur,
Mon ami Poulet-Malassis, imprimeur à Alençon, Place d’Armes, me réclame à grands cris la seconde partie de l’Opium.
Vous l’avez sans doute oublié.
Veuillez agréer tous mes compliments.
Ch. Baudelaire »


Baudelaire évoque ici son texte « Enchantements et tortures de L’opium », paru dans La Revue Contemporaine le 15 janvier 1860, revue dirigée par Alphonse de Calonne et administrée par Bichet. Ce texte intègre par la suite Les Paradis artificiels, groupement de textes relatifs aux liens entre drogue et création paru la même année.

[BAUDELAIRE] BOYER, Philoxène (1829-1867)

Lettre autographe signée « Ph. Boyer » à Charles Asselineau
S.l.n.d, 1 p. 1/2 in-8, avec adresse autographe du destinataire
Ancienne trace de montage au verso

Boyer s’excuse auprès d’Asselineau de n’avoir pu lui obtenir les places de théâtre qu’il lui avait demandées


« Mon cher ami,
Je suis au désespoir – et je me souviendrai du procédé de Marc Tournier ! Il y a quinze jours, et plus, vous le savez, nous étions inscrits pour une loge de quatre places ou j’étais si charmé de rêver une bonne soirée avec vous. Aujourd’hui, cent sous dépensés en vingt voyages d’omnibus par ma pauvre femme qui ce matin encore y est restée de neuf heures à 2 de l’après-midi, nous avons conquis, par quelles ruses et par quelles furies nous ne voulons pas le savoir, deux places plus que mauvaises d’où nous ne verrons rien et que nous avons payées cher ! Je ne vous eusse pas, en eussè-je trois, mené dans cet abîme ! Mais comme je suis malheureux, et comme j’ai besoin de m’excuser auprès de vous, pour avoir cru à une parole si mal donnée ! Pardonnez-moi, ou plutôt plaignez-moi !
Votre Ph. Boyer »


Philoxène Boyer est un écrivain français. Il écrit nombre d’articles d’encyclopédie et d’ouvrages, dont certains à quatre mains avec Théodore de Banville, rencontré par l’intermédiaire de Charles Baudelaire. Le poète de génie l’introduit par ailleurs à ses pairs parnassiens. A côtoyer de nombreuses soirées parnassiennes, il se lie avec de nombreux poètes dont Théophile Gautier. Il est également l’ami de grands noms tels que Victor Hugo, Gustave Flaubert ou encore Gérard de Nerval.

Charles Asselineau (1820-1874) est un homme de lettres et critique d’art français. Il compte parmi les rares amis fidèles de Charles Baudelaire.

BALZAC (de), Honoré (1799-1850)

Lettre autographe signée à la troisième personne « M. de Balzac » à Maurice Schlesinger
S.l.n.d, dimanche [1837], 1/2 p. in-8 avec adresse autographe
Ancienne trace de montage au verso, petit manque sur le deuxième feuillet (bris de cachet)

Balzac évoque son chef-d’œuvre Gambara, issu des Études philosophiques de La Comédie Humaine


« M. de Balzac espère que demain lundi Monsieur Schlesinger sera chez lui entre dis heures et midi, car il faut absolument s’entendre sur Gambara, M. de Balzac le prie d’agréer ses compliments.
Dimanche »


Gambara est une nouvelle d’Honoré de Balzac, parue en 1837 dans la Revue et gazette musicale de Paris à la demande de Maurice Schlesinger, puis reprise dans La Comédie humaine où elle figure dans les Études philosophiques.
On retrouve dans cette œuvre la formidable intuition artistique de l’auteur de La Comédie humaine. Alors qu’il explore le génie du peintre dans Le Chef-d’œuvre inconnu et fouille l’âme d’un sculpteur dans Sarrasine, il aborde dans Gambara l’art musical par le personnage d’un facteur d’instruments devenu compositeur de musique fou.

Cette nouvelle, restée incomprise à sa parution, a depuis été reconnue comme une œuvre de grande ampleur.

GAUTIER, Théophile (1811-1872)

Lettre autographe signée « Théophile Gautier » à Arsène Houssaye [alors administrateur de la Comédie Française]
S.l, 6 septembre 1855, 1 p. in-8
Ancienne trace de montage au verso, petit trou d’épingle

Théophile Gautier demande la faveur d’une baignoire pour la représentation du jour


« Je voudrais obtenir de ta gentillesse une baignoire pour la représentation d’aujourd’hui. Une baignoire sinon une autre loge même meilleure tu me feras un vif plaisir, tout à toi de cœur et de plume.
Théophile Gautier »


En 1855, Gautier quitte la rédaction du journal La Presse et entre au Moniteur Universel. Critique d’art et de spectacles, l’auteur écrit chaque mois de nombreux articles sur la peinture et la vie culturelle, ainsi que ses œuvres en avant-première.

Arsène Houssaye, né François Arsène Housset le 28 mars 1814 à Bruyères-et-Montbérault et mort le 26 février 1896 à Paris, est un homme de lettres français. Il est également connu sous le pseudonyme d’Alfred Mousse

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à une dame
S.l, 4 février 1822, 1 p. 1/4 in-8
Ancienne réparation de déchirures sur les premier et deuxième feuillets, sans atteinte au texte

Chateaubriand règle ses derniers préparatifs avant son départ pour Londres, où il a été nommé ambassadeur


« J’ai trouvé, Madame, en rentrant chez moi hier soir, le billet que vous m’aviez fait l’honneur de m’écrire ; je vous remercie d’avoir bien voulu me fournir l’occasion de faire quelque chose qui puisse vous être agréable. Je me chargerai très volontiers, Madame, de la boite pour Londres. Je vous prierai seulement d’avoir la bonté de la garder chez vous jusqu’au moment où je l’enverrai prendre, dans la crainte qu’elle ne se trouvât égarée ou perdue au milieu de toute la confusion de mes paquets.
Agréez, je vous prie, Madame, l’hommage empressé de mon respect.
Chateaubriand »


Fin 1821, Chateaubriand est nommé ambassadeur de France au Royaume-Uni.  Il occupe ce poste moins d’un an car il devient ministre des Affaires étrangères (dès) le 28 décembre de la même année.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » au président Patrice de Mac-Mahon, maréchal de France et duc de Magenta, nouvellement élu président de la République française
Camden Place, Chislehurst [juin 1873], 4 p. in-8 sur papier de deuil

D’une écriture très cursive, l’Impératrice défend avec rage la mémoire de l’Empereur Napoléon III et apostrophe vivement le nouveau Président de la République.
L’Empire s’adresse ici à la République avec excès et ressentiment.


« Monsieur le Marechal
Je vois dans les journaux depuis quelques jours des anecdotes qui ont l’intention de vous exalter au détriment de celui qui n’est plus, de celui qui vous fit en un jour maréchal et Duc ; je ne puis croire que votre cœur ne se révolte de ces flatteries qui se prodiguent à tout pouvoir, à tout succès.
Je suis la veuve de Napoléon III
Sa gloire et son honneur sont à mes yeux plus qu’une couronne, plus que la fortune. Faites taire ce qui vous font un piédestal sur une tombe, et songez qu’il n’y a de grandeur que ce qui à sa base sur la justice. Je ne vous demande rien pour l’avenir mais faites respecter un passé qui fut le berceau de votre gloire. Croyez monsieur le Maréchal à tous mes sentiments. Eugénie »


Le maréchal de Mac-Mahon, nouvellement élu président de la République (24 mai 1873), reçoit les honneurs de la presse lors de son élection en raison notamment de ses succès militaires sous le Second Empire, lesquels lui ont valu d’être fait duc de Magenta et maréchal de France lors de la guerre d’Italie (1859). Ces deux titres lui sont donnés par Napoléon III, général en chef de l’armée d’Italie, à l’issue de la victoire de Magenta (4 juin 1859) par celui qui avait alors le grade de général.

A cette lettre est joint l’article de presse ayant soulevé l’indignation de l’impératrice Eugénie face au silence et au manque de reconnaissance manifeste quant à l’intervention de l’empereur dans l’élévation du Maréchal Duc. Le document porte la mention manuscrite « 6 juin », probablement inscrite par cette dernière, et correspond sans doute à sa date de parution dans la presse.

MASSENET, Jules (1842-1912)

Ensemble de 4 lettres autographes signées à son gendre Léon Bessand et au père de celui-ci
Paris, année 1906, 4 p. in-8 et in-12, avec une enveloppe autographe
Petit manque sur une carte pneumatique sans atteinte au texte

Correspondance de trois lettres adressées à son gendre, Léon Bessand (1859-1943), et une lettre adressée au père de celui-ci, Charles Bessand (1829-1915). Léon Bessand épouse Juliette Massenet, fille unique du compositeur, en 1887. Le couple a trois enfants avant de divorcer en 1908


1 – Lettre autographe signée « Massenet » à Léon Bessand (25, avenue de Villiers à Paris),
s.l. [Paris, d’après le cachet de la poste], 23 août 1906, enveloppe autographe jointe, 1 p. in-8

« Oui – cher ami – si j’ai ma place habituelle [malgré les nouveaux règlements que nous avons votés contre nous !], cette place sera envoyée à votre frère Paul [Bessand, né en 1856] 2 rue du Pont neuf le samedi matin.
Tendrement. J. Massenet »

***

2 – Billet autographe signé « Massenet » à Léon Bessand (25, avenue de Villiers à Paris), sur carte pneumatique,
s.l.s.d. [Paris, 17 octobre 1906, d’après le cachet de la poste], 1 p. in-12

« Mon cher Léon,

Si vous avez toujours le désir d’assister à une répétition avant la Générale, parlez-en à notre Directeur ; je serai heureux de satisfaire votre intérêt mais j’aimerai à rester neutre afin de pouvoir refuser… aux autres… et il y en a !!…

En affection. J. Massenet »

***

3 – Billet autographe signé « Massenet » à Léon Bessand (25, avenue de Villiers à Paris), sur carte pneumatique,
s.l.s.d. [Paris, 1906, d’après le cachet de la poste], 1 p. in-12

« J’ai appris tardivement que vous étiez venu hier soir au théâtre… N’ayez pas déjà mauvaise opinion de l’interprétation et de la scène… Rien n’était réglé !!!
Enfin je me fie à vous pour ne rien dire encore…
A vous en hâte. J. Massenet »

[En post-scriptum] : « Dimanche ce n’est qu’une répétition musicale – sans costumes – en Travailleur ! »

***

4 – Billet autographe signé « Massenet » à Charles Bessand (2 bis, rue du Pont neuf à Paris), sur carte pneumatique
s.l.s.d. [Paris, 1er novembre 1906, d’après le cachet de la poste], 1 p. in-12

« Très ému, très heureux, je vous remercie de votre pensée !!…
De nous deux si chèrement. J. Massenet »


Ces quatre lettres font référence aux répétitions de l’opéra Ariane, composé par Jules Massenet pour l’Opéra Garnier, dont la première représentation a lieu le 31 octobre 1906.

MASSENET, Jules (1842-1912)

Correspondance de dix lettres autographes, la plupart à son chiffre « M », certaines signées, d’autres autographes ou ornées d’une arabesque en guise de signature, à son épouse Constance de Gressy
[Paris, année 1906], 29 pages in-8
Un petit trou sur l’une des lettres sans atteinte au texte, une lettre incomplète

Ensemble de lettres touchantes et affectueuses de Jules Massenent dans le cadre de sa correspondance avec son épouse, Constance de Gressy (1848-1938), dite Ninon. Les premières lettres sont rédigées en août 1906, lors d’un séjour à Saint-Aubin-sur-Mer puis à Dinard, où le compositeur se rend quelques semaines pour recouvrer sa santé. Madame Massenet se trouve alors au château d’Egreville, en Seine-et-Marne. Les autres lettres sont adressées les mois suivants, durant les répétitions de l’opéra Ariane et la finalisation de l’opéra Thérèse


1 – Lettre autographe non signée, incomplète [feuillets numérotés 3 et 4], à son épouse, s.l.s.d.,
[Saint-Aubin-sur-Mer ; 1906, d’après une inscription manuscrite en haut à gauche du 1er feuillet], 2 p. in-8

« Je n’ai rien fait ici – […] Je remarque – au contraire de l’opinion – que l’air vif de la brise de mer montante me calme et me fait dormir ; si – le soir – la mer descend je suis moins bien ; cela me rappelle le vent d’Egreville qui me plaît – et aussi la chaleur sans brise qui m’abât. […] Le matin je bois un quart de verre de Célestins chauffé tiède au bain marie – puis une tasse de bon bouillon avec un jaune d’œuf délayé dedans – C’est la femme de chambre qui m’apporte cela  dans mon lit – et je me lève alors – et j’ouvre la fenêtre sur la mer dont les odeurs d’iode m’arrivent aussitôt. Je t’embrasse tant bonne chérie !… »

***

2 – Lettre autographe ornée d’une petite arabesque pour signature
Saint-Aubin-sur-Mer, « Jeudi 9 août, matin » [1906], 2 p. in-8

« Pourvu qu’il ne fasse pas le soleil d’ici à Egreville – mais pourvu qu’il y ait là-bas aussi le vent frais qui entre dans ma chambre – cette nuit, il m’a fallu mettre les 2 châles et mon gros paletot sur le lit ! […] Gunsbourg [Raoul Gunsbourg (1860-1955), directeur de l’opéra de Montecarlo] me poursuit de dépêches que j’ai l’air de ne pas recevoir… – il s’agit du concours !!! et c’est avec effroi que je me verrais impliqué dans le gâchis… – [Camille] Saint-Saëns n’est pas trouvable non plus… et l’on voudrait tout me mettre sur le dos ! – Voilà pourquoi je désire me dérober et pourquoi il faut éviter que de ce côté l’on puisse m’écrire directement – alors je serais pris et obligé de répondre. […] – pas loin de la maison car je dispose d’un jeu de de pardessus selon la fraîcheur ou le vent !!
Je pense à toi : il est 7h – tu déjeunes… – tu as ouvert la fenêtre, il y a grand soleil… ah !!! – mais je m’étonne des gouttes de pluie là-bas – ici il n’y a pas eu d’averses… – […]
J’embrasse tendrement le bon front.
[En post-scriptum]
« Parti mardi.
Perséphone [alias Lucy Arbell, qui interpétera le rôle de Perséphone dans l’opéra Ariane qui sera créé à l’automne 1906] revient demain – Elle est allée à Lisieux avec son frère Richard !
[…]
Comme j’ai de la joie quand le facteur me donne la lettre chérie. »

***

3 – Lettre autographe signée (paraphe) à son épouse,
s.l. [Saint-Aubin-sur-Mer], « Mardi matin » [août 1906], 2 p. in-8

« […] Ma lettre au sujet de « la présentation à Egreville » t’aura expliqué ceci : c’est que j’aurai une excellente raison pour revenir et pour éviter, au besoin, de rester davantage – [c’est « une urgence » que j’aurai à ma disposition.] – J’avoue que ce séjour est très sain. J’avoue que je suis traité admirablement – mais voici le dixième jour (presque neuf jours passés) que je suis ici. […]
Ce que je n’ai pas besoin de te dire, c’est que tu es la « Minousie » au-dessus de toutes les Egrevilloises !! – Je t’embrasse tant. »

***

4 -Lettre autographe ornée d’une petite arabesque pour signature,
s.l. [Saint-Aubin-sur-Mer], « Dimanche 26 août 1906 », 4 p. in-8

« Ma bonne amie,
Jusqu’à ce jour j’ai été assez bien sans pourtant me sentir absolument guéri.
[…] J’ai vu la famille Clarétie hier et j’ai chanté des fragments de « Thérèse » [opéra dont Jules Massenet composait à cette époque la musique, sur un livret de Jules Clarétie].
Notre interprète [il s’agit certainement de Lucy Arbell] a toujours la voix excellente et elle semble n’avoir rien oublié des études d’Ariane ; mais pour « Thérèse », rien n’étant en train à cause des évènements de l’été… je vais essayer de risquer quelques leçons sur le rôle. […]
J’irai bientôt chez Henzel.
Je t’embrasse fort ! »

***

5 – Lettre autographe ornée d’une grande arabesque pour signature
Dinard, « Vendredi », mention manuscrite au crayon en haut à droite du premier feuillet qui indique la date du 31 août 1906, 4 p. in-8

« J’ai été un peu patraque à cause de la chaleur qu’il fait ici… depuis trois jours !…
Pour le bord de la mer, c’est une rareté… mais c’est à faire tomber sur le sol !! […]
Aussi ? après les « fraîcheurs normandes » de St Aubin, les tropicales journées de Dinard m’avaient fort éprouvées ; je suis resté couché… mais c’est fini !! […] – S’il fait chaud, ce sera dur… mais je serai si heureux de te retrouver !!!…
[En post-scriptum] :
« Pour toi : Je suis chargé de tant d’amitiés de St Aubin et de Dinard… que j’en succombe sous le poids !…
Je regarde avec une douce joie… la porte de la remise… 4 heures ! l’arrosage ! toi, là !…
Ta carte postale [le château et la grange des dîmes] est très jolie mais… où est le château ?… Les photographes sont idiots ! »

***

6 – Lettre autographe ornée d’une grande arabesque pour signature
Paris, « dimanche » [1906], 3 p. in-8

« Très laborieuse répétition d’Ariane hier soir. On a terminé à minuit 10.
Il y a de bonnes choses et les musiciens ont été  encore très chaleureux.
Demain à 2h importante séance – 4e acte – puis, à 4h, séance avec Ariane.
Enfin… après : étude 1er violon solo et Perséphone au ménestrel.
Mardi soir grand ensemble…
Je t’embrasse fort.
[…] »

***

7 – Lettre autographe signée (paraphe) à son épouse
Paris, « vendredi 28 septembre » [1906], 4 p. in-8

« Belle soirée hier…
4ème acte : ovation de tout l’orchestre et des chœurs à notre « Perséphone » [personnage interprété par la mezzo-soprano Lucy Arbell] que le personnel entier entendait pour la 2ème fois.
J’en étais bien sûr !
Gailhard [Pedro Gailhard (1848-1918), directeur de l’Opéra de Paris jusqu’en 1907], Mendès… [Catulle Mendès (1841-1909), librettiste de l’opéra « Ariane »] dans le ravissement ; ce n’était que bravos et embrassades reconnaissantes ; de loin, dans la salle je voyais cela et j’étais bien content.
L’orchestre a applaudi après chaque acte le « Vivat Minor »… et tout marche trop… trop… splendidement.
… J’en ai peur !…
Nous commençons avec Gunsbourg [Raoul Gunsbourg (1860-1955), directeur de l’opéra de Montecarlo] et les artistes les études de Thérèse [opéra de Jules Massenet, créé pour l’Opéra de Montecarlo le 7 février 1907] ; lundi matin à la maison.
[…]
Je t’embrasse fort.
En post-scriptum : « Ton cabinet de toilette est clair et gai ; joli papier. La terrasse a des lierres, des plantes superbes !
Ta chère lettre (avec citation Victor Hugo !) m’a été une joie en rentrant de l’opéra. »

***

8 – Lettre autographe signée (paraphe) à son épouse ,
Au verso d’un avis de répétition pour Ariane à l’en-tête du Théâtre National de l’Opéra, l.
[Paris], « Mardi 25 [septembre 1906] »,  2 p. in-8

« Bonne amie, tu vois par ce bulletin le travail de ce soir.
Hier – Excellente répétition du 4e acte. [Catulle] Mendès a trouvé aussi d’excellentes choses.
Ton cabinet de toilette est terminé ; il est très joli maintenant !!!
Je t’embrasse fort. »

***

9 – Lettre autographe ornée d’une petite arabesque pour signature
s.l. [Paris], « Jeudi » [1906], 3 p. in-8

« Ce soir répétition d’orchestre ; la 1ère complète [orchestre seul].
On a travaillé l’acte du bateau : un enchantement promis… lorsque tout sera terminé comme peinture ; il n’y a que la carcasse.
Puis, on a remis en scène le 1e, 3e et 5e.
Samedi nous répétons encore l’orchestre seul.
Ta lettre m’a fait penser à tes contrariétés d’avoir des bourrasques sans pluie !! ou si peu !…

J’ai si hâte que tu aies fini avec les mollusques de là-bas ; que tu reviennes à Paris… et, qu’enfin, tu puisses songer à un repos n’importe où !…
[…]
Je t’embrasse fort !!!
[En post-scriptum] : « Pauvre amie, que de préoccupations pour toi !… propriétaire !!! » ;
« Compte-rendu de St Aubin : Excellentissime répétition d’Ariane et de Thérèse ! Je suis absolument satisfait ; très sérieusement content ; j’ai hâte de faire entendre !!! C’est beau ! »

***

10 – Lettre autographe signée (paraphe) à son épouse
s.l. [Paris], « Samedi » [1906], 4 p. in-8

« Je viens de chez Veech : séance peu agréable…
Enfin il me soigne avec l’espoir d’éviter l’extraction… et la suite.
Ce soir : seconde étude de l’orchestre.
Mardi : 2ème répétition (orchestre, artistes et chœurs).
Tout le monde assis.
A la même heure : Werther [opéra créé par Jules Massenet en 1892] à l’Opéra-comique.
Cette représentation remise a été un ennui aussi pour le théâtre : argent considérable rendu !
Après-demain lundi : répétition à l’opéra de 2 h à 4h (quatrième acte seulement).
La direction a télégraphié à Mlle Wallace afin qu’elle soit à Paris lundi ; à l’opéra on a sa réponse affirmative ; tant mieux.
S.A.I. est de retour… d’après les journaux.
[…]
On joue « Manon » la semaine prochaine.
Henzel rentre le 30.
Ninon [surnom donné à l’épouse de Jules Massenet] aime bien [illisible].
En post-scriptum : « Merci tard pour ta nouvelle lettre ! Ah ! ces lambris !!! »


Ariane est un opéra en cinq actes de Jules Massenet sur un livret en français de Catulle Mendès. Cette pièce est jouée au Palais Garnier le 31 octobre 1906 avec Lucienne Bréval dans le rôle-titre.

Thérèse est un drame musical en deux actes de Jules Massenet sur un livret de Jules Claretie, jouée le 7 février 1907 à l’Opéra de Monte-Carlo, puis repris au Théâtre du Casino de Vichy le 4 juillet 1907.

Manon est un opéra-comique en cinq actes de Jules Massenet sur un livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille, d’après le roman de l’abbé Prévost L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut,  ou plus simplement Manon Lescault (1731). Il est joué à l’Opéra-Comique de Paris le 19 janvier 1884.

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « George » à son amie Rozanne Bourgoing
[Paris, fin novembre 1842], 6 pages in-4 à son petit chiffre gothique
Légères fentes aux plis

Longue et remarquable lettre de George Sand sur l’art du roman, sur les revues et les éditeurs, et sur son roman Consuelo


« Chère Rozanne, j’ai lu ton roman (1). Il y a de très jolies choses, des caractères, de la poésie, des vérités philosophiques, et beaucoup de cœur. Il n’y a pas assez d’incidents, trop de simplicité dans le sujet et dans les événements. C’est trop une histoire réelle et véritable, et pas assez un roman. Ce n’est point un tort de ton esprit et de ton caractère, au contraire c’est un mérite. Mais le roman demande plus d’animation et de variété, des scènes plus inattendues, des personnages moins faits d’une pièce, une intrigue plus compliquée, plus d’art enfin. L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin. Mais le roman ne peut guère s’en passer, et à ta place je recommencerais celui-là, ou j’en ferais un autre. Ne prends mon avis cependant, que pour ce qu’il te semblera valoir. Il est possible qu’à force de faire des romans moi-même, j’aie le goût gâtée, comme on l’a sur le bon vin quand on a trop humé le piot de Boutarin. J’ai fort peu de confiance en mon jugement et te supplie de ne pas l’accepter sans examen. Si tu persistes à vouloir imprimer Héléna, je suis toute à ton service, mais les difficultés sont grandes. D’abord la revue indépendante n’a que trop de romans, outre les miens ; on lui en présente tous les jours, et elle demande au lieu de cela des articles de politique, de bibliographie et de science, dont le monde actuel est fort pauvre, ou fort avare. La Revue de Paris m’est fermée comme le Paradis l’est au diable. Buloz et Bonnaire en tiennent les clefs d’une main et celles de la Revue des 2 Mondes de l’autre. Ma recommandation serait donc très fâcheuse, brouillés avec nous, furieux, désespérés qu’ils sont dans ce moment-ci. Il faudrait trouver un éditeur. C’est bien difficile, je te l’ai dit bien souvent, et c’est aujourd’hui pire qu’alors, ces Messieurs ne veulent point se risquer sur un nom inconnu, et si le roi leur recommandait le livre de son neveu, ou de son cousin, ils lui diraient « à vos ordres, sire, mais quand votre majesté aura donné mille écus pour les frais d’impression et d’annonces ». Il n’y a plus d’éditeurs confiants en la parole d’autrui, encore moins d’éditeurs aventureux pouvant et voulant risquer une petite somme. Ils sont tous ruinés, le public est blasé. Le commerce va à la diable : et voilà qu’ils disent tous, et quand j’aurai essayé tout ce qui est possible, pour la centième fois de ma vie en pareille rencontre, j’aurais un refus.
J’essaierai pourtant, je te le promets, et si je réussis ce sera seulement à des conditions que je dois te faire savoir d’avance, car ce sont les mêmes qu’on propose toujours. On t’imprimera à condition que tu paieras les frais d’impression et les annonces si tu en veux (ce qui est indispensable au succès du livre et coûte fort cher (2)). Ensuite le libraire consentira à vendre en partageant avec toi les profits, mais il prélèvera sa part, et quand il l’aura prélevée, il ne s’occupera plus de la vente, ton livre sera épuisée, oublié, il n’en vendra pas vingt exemplaires à ton compte. Je le suppose seulement indolent et peu délicat comme ils sont tous. S’il est radicalement fripon comme ils le sont presque tous, il te dira qu’il n’a rien vendu et te demandera encore des indemnités pour s’être chargé de tout cet embarras. Car enfin, la surveillance de l’impression, l’emmagasinement des exemplaires, les démarches auprès des débiteurs en détail, etc. tout cela représente une peine qui demande salaire. Les moyens de contrôle sont impossibles. Dans ce moment-ci, je crois entre nous soit dit qu’on me trompe épouvantablement sur le tirage de Consuelo en volumes in-8º (3). Mais je ne puis le prouver et il faut que j’aie l’air de ne pas m’en douter. Il y a de grands éditeurs tels que Gosselin etc ; d’honnêtes éditeurs tels que Perrotin qui fait mon édition populaire. Mais ceux-là ne veulent point faire de petites opérations. Elles leur prennent trop de temps et nuisent aux grandes. Perrotin ne veut plus éditer un à un les romans que je publie en in-8º depuis qu’il a commencé mon édition complète in-18.
Tu vois que tout ce commerce présente aux débutants d’insurmontables difficultés qu’une espèce de miracle peut seul vaincre. Si tu veux faire paraître quelque chose, il fait que tu songes à débourser 2 500 à 3 000 f. par volume – sans beaucoup d’espoir d’être indemnisée par la vente. Si le roman a du succès, tu trouveras des éditeurs sans peine, et le second roman marchera tout seul. Mais le succès n’est-il pas aussi éventuel que le reste ? À quoi tient le succès ? On l’ignore. Je sais de très bonnes choses qui moisissent dans l’arrière-boutique, et de très mauvaises qui font grand bruit. Avant tout, il faut amuser le lecteur, ou l’étonner. Fais tes réflexions. Si tu veux sacrifier ladite somme, peut-être faudrait-il la risquer sur un roman plus travaillé et plus accentué qu’Héléna. Je suis à ta disposition pour les démarches, et en attendant, je tenterai de te trouver un acheteur, mais sans espoir de réussite (4).
J’ai pris sur moi de te réabonner à la revue indépendante. Ce n’est point Anselme Pététin (5) qui est à la direction, mais deux hommes qui sont dans les mêmes idées et les mêmes sentiments qui ont gouverné la revue jusqu’ici. Leroux leur a donné cette direction qui lui prenait trop de temps, et l’empêchait d’écrire et de faire paraître avec exactitude. Ces Messieurs ont apporté des fonds, et nous ont mis à même de faire un cautionnement et de paraître tous les 15 jours. Leroux continue à y écrire comme par le passé, et moi aussi assidûment, Consuelo étant encore destinée à faire beaucoup de numéros. J’y vais mettre aussi des morceaux qui ne seront pas de sitôt publiés à part. Enfin je crois que si cette revue t’a intéressée jusqu’ici, elle ne t’intéressera pas moins à l’avenir et j’y porte quant à moi le même intérêt de cœur et le même zèle. Pététin y écrira, mais il ne la dirigera en aucune façon.
Bonsoir, chère Rozanne, embrasse pour moi Don José, et crois bien que je t’aime de cœur. Mes enfants sont très grands, bien portants et te remercient de ton bon souvenir.
George
Pardon du griffonnage »


1 – Ce “roman”, dont le titre est donné plus loin, est Héléna. Rozanne le publie en 1844, à Vienne, imprimerie de Tinon.

2 – C’est sûrement ce que fait Rozanne, mais la dépense ne doit pas être élevée : quarante-quatre pages !

3 – Consuelo est un roman de George Sand paru en 1843 chez Potter. Il s’agit d’un roman historique qui se déroule en Europe au XVIIIᵉ siècle. Il relate l’ascension sociale d’une chanteuse bohémienne éponyme. Après la mort de George Sand, nombre de ses romans tombent dans l’oubli et son œuvre est vite rapportée à une poignée de romans dits « champêtres », comme La Mare au diable. Cependant, à partir des années 1960-1970, on commence à redécouvrir le reste de l’œuvre de Sand par l’intermédiaire de rééditions critiques, de colloques et d’études savantes. Consuelo est réhabilité et reconnu comme l’un de ses chefs-d’œuvre.

4 – Tous ces renseignements sur les conditions de l’édition en 1842 sont dignes d’intérêt.

5 – Rozanne pourrait connaître Pététin, qui a, comme elle, des attaches avec Lyon.

 

MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « FMauriac » à Louis Artus
[Paris], 31 oct[obre 19]20, 4 p. in-8, enveloppe autographe jointe
Traces de pliures d’époque

Longue et belle lettre de Mauriac évoquant la foi, la sensualité et l’homosexualité. Elle fait suite à la critique de Louis Artus sur son dernier roman La Chair et le Sang, publié en octobre 1920.


« Si, cher monsieur et ami, vous avez eu raison de m’écrire. Pour que vous jugiez notre foi utile à ma fable et surajoutée, il faut que mon livre soit bien manqué [La chair et le Sang] : j’ai voulu montrer la grâce venant de mourir dans certains cœurs, ne remportant chez d’autres qu’une médiocre victoire – mon échec, et qui pèse sur toute l’œuvre, est de n’avoir pas su faire de Claude un saint, en qui la grâce triomphât. Quant à la sensualité éparse dans ce livre, j’avoue qu’elle m’a confondu moi-même.
Se pourrait-il, Seigneur, que ceci de moi vint ? [Citation approximative du poème Booz endormi de Victor Hugo paru dans le recueil La Légende des Siècles]

Donc je souscris à vos reproches et ne proteste – mais avec une affreuse colère – que contre ce petit mot : “…alors qu’il n’y a que deux sexes…”
Je ne vois, je vous jure, entre Edward et Claude, rien qui ressemble à ce que vous insinuez là. Je sais d’ailleurs quelle sorcière a trouvé ça dans sa marmite. Sa vertueuse indignation me déconcentrerait – mais je connais tout de même assez ce sexe là pour y attacher la moindre importance.

Tandis que votre lettre, mon cher ami, m’inquiète et m’attriste : et vous entendez que ce n’est pas ici le romancier qui parle. Quelle responsabilité redoutable que la notre ! Enfin, faites-moi crédit. Je n’ai pas eu le temps encore de guérir de ma jeunesse. Demandez-vous aussi ce qui peut représenter de luttes douloureuses, épuisantes, une si grande foi unie à ce goût charnel, à cette passion pour Cybèle. Ceux qui se convertissent après quarante ans ne savent pas ce que représente de débats tragiques, chez un artiste surtout, possédé par les couleurs, les odeurs, les formes, les êtres – la jeunesse et la foi. J’ai créé de ma chair même Claude et aussi Edward (mais j’ai bien plus que deux hommes en moi !) et voyez comme l’un et l’autre se penchent sur la mort.
Jusqu’à présent, les critiques n’ont pris ce livre au tragique et j’en remercie Dieu.
Toutes mes félicitations au jeune grand père. Veuillez les partager avec Maurice Artus à qui je vous prie d’offrir mes hommages respectueux.
Croyez-moi votre
FMauriac »


La Chair et le Sang est un roman de François Mauriac publié en octobre 1920 aux éditions Emile-Paul Frères. L’histoire est inspirée du suicide, en 1909, de Charles Demange, neveu de Maurice Barrès, l’un des maîtres littéraires de jeunesse de Mauriac. Il y revient également sur ses propres questionnements personnels et « tourments amoureux ».

Sources écrites à l’appui, la « biographie intime » de François Mauriac par Jean-Luc Barré, parue en 2009, décrit une tendance homosexuelle longtemps gardée secrète, peut-être platonique mais qui a marqué son œuvre. A partir de 1924, il éprouve une brûlante passion pour le jeune écrivain suisse Bernard Barbey.

Louis Charles Artus (1870-1960) est un écrivain et critique français. Il fréquente assidûment les milieux littéraires, collabore avec différents journaux, comme Le GauloisExcelsiorL’Intransigeant,  ou encore Le Petit Journal. Il est un proche de Marcel Proust.

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Lettre autographe signée « GClemenceau » à Michel Alexandre Gaston Tournier
Paris, le 26 oct[obre] 1901, 1 p. 1/4 in-8
Quelques petites rousseurs, trace de pliure d’époque

Clemenceau rassure son correspondant sur une recommandation qu’il lui a faite


« Mon cher Colonel, 
Vous m’avez fait le plus grand plaisir en vous adressant à moi. La recommandation est faite, et bien faite, je vous assure. C’est vous dire que je compte sur le succès. 
A la première occasion je prendrai acte de votre rectification en profitant de la circonstance pour expliquer ce que j’ai voulu dire. 
A vous bien cordialement
GClemenceau
PS. Il va sans dire que je ne donnerai pas votre nom »


Provenance : Famille Tournier

NADAR, Félix Tournachon, dit (1820-1910)

Carte de visite autographe signée « Nadar »
S.l.n.d, 1 p. in-12
Quelques petites taches

Jolie carte autographe signée du célèbre photographe


« Amitiés, Nadar »


Jolie carte de visite avec en-tête de sa devise « Quand même », la même qu’utilisait Sarah Bernhardt

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Elisabeth de la Croix de Castries
Cap Martin, 11 mai 1892, 3 p. in-8, enveloppe autographe jointe
Traces de pliures d’époque

Lettre de félicitations adressée à l’occasion du mariage du plus jeune fils du maréchal de Mac-Mahon, Marie-Emmanuel (1859-1930), avec la fille de vicomte de Fromessent. Leur union est célébrée à Paris le 2 juin 1892.


« J’apprends avec plaisir la nouvelle que vous me donnez du mariage de votre fils avec Mademoiselle de Fromessent. Je souhaite que cette union qui semble offrir de si grandes garanties de bonheur réalise toutes vos espérances. Je m’associe sincèrement à tous les vœux que vous faites.
Soyez, je vous prie, mon interprète auprès du maréchal [de Mac-Mahon], ainsi qu’auprès de votre fils et croyez, Madame et chère Duchesse, à mes sentiments affectueux. Eugénie »

[MASSENET, Jules] CHARPENTIER, Gustave (1860-1956)

Ensemble de dix lettres et cartes autographes signées à Jules Massenet
S.l, entre 1900 et 1906, 16 p. divers formats, principalement in-8 et in-12

Belle correspondance, ornée d’une portée musicale, dans laquelle transpirent toute l’admiration, la reconnaissance et l’affection de l’élève pour son maître, Jules Massenet. Gustave Charpentier parle de Manon et se livre à cœur ouvert – jusqu’à évoquer les doutes qui le traversent – à celui dont il encense le succès et le génie


Billet autographe signé « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, s.l., 16 novembre 1900

« Bien cher et triomphant Maître,

Quelles douces et fières émotions nous vous devons encore…

Quelle œuvre pure et forte ! si différente de vos œuvres qu’on se demande par quel prodige la plume qu’écrivit Cendrillon a pu se faire tout à coup si tranquille et sereine et puissante.

Un sourire de Dieu après un sourire d’enfant…

Merci de cette joie. »

Gustave Charpentier fait certainement référence à l’oratorio La Terre promise, écrit en 1900 par Jules Massenet.

***

Billet autographe signé « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, sur carte pneumatique Paris, 31 décembre 1900 (cachet de la poste du 1er janvier 1901)

« Cher et bien aimé Maître,

En partant à Tourcoing, près de mes parents, je veux vous dire une fois de plus, mon fidèle attachement, et mon admiration passionnée.

Si vous vouliez me rendre bien heureux, vous me donneriez une de vos photographies car celles que je possède sont vierges de votre écriture.

Pardonnez-moi cette courte supplique. Vous êtes mon compositeur moral et physique. Vous m’avez inspiré l’amour du beau et procuré la joie d’être utile aux miens : Bonté oblige…

Veuillez présenter à Madame Massenet mes vœux respectueux et laissez-moi vous dire encore mon ardente affection, mon orgueil de disciple ébloui par votre prestigieux génie et ma gratitude toujours plus grande. »

En post-scriptum : « Je reste longtemps devant cette lettre, évoquant les doux souvenirs de la classe… »

***

Lettre autographe signée « Charpentier » à Jules Massenet, Paris, mai 1901, sur papier, en-tête de la Chambre syndicale des artistes musiciens de Paris

« Cher Maître,

A vous, le premier, je me permets de demander, pour nos fiers minors, votre appui nécessaire.

Depuis si longtemps on rêvait pareille solidarité ! Votre signature lui garantira la durée, et vous devez penser quelle fierté vos collaborateurs de chaque jour en ressentirait. »

***

Lettre autographe signée « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, s.l., [novembre] 1901

« Bien cher Maître,

Je ne pouvais rêver de plus heureuse fin d’année.

Vous savant [sic] heureux, toujours plus grand, toujours plus admiré !

La réaction envieuse de vos succès muselée, anéantie par le magnifique referendum de Grisélidis !

Et ma toute jeune gloire qui vous doit tant fraternisant sur les affiches et dans les cœurs avec votre nom vénéré !

Oui, je suis heureux ! Et toute mon âme vous crie : Bravo ! ; mon orgueil : Merci !

A vous, aux vôtres,

En inaltérable et reconnaissante affection. »

Gustave Charpentier écrit cette lettre à la suite de la première représentation du nouvel opéra de Jules Massenet, Grisélidis,  qui a lieu à l’Opéra-Comique le 20 novembre 1901. Cette œuvre rencontre un grand succès lors de sa création.

***

Billet autographe signé « Charpentier » à Jules Massenet, s.l., 28 novembre 1901

« Cher Maître,

Les sentiments profonds s’expriment difficilement et quand je suis près de vous, je me « fais l’effet » d’un homme follement amoureux qui ne trouverait à dire à sa belle qu’un : Je vous aime, tremblant.

Vous êtes trop indulgent de me trouver une qualité que je témoigne si peu.

Mais vos yeux lumineux savent lire dans les cœurs ! »

****

Lettre autographe signée « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, Saint-Raphaël, 1er janvier 1904

« Bien cher Maître,

Comme toujours vous m’avez devancé !

J’ai une excuse : la vie que je mène ici dans l’oubli de toutes choses. Mais elle n’est pas suffisante… Votre mot m’a rappelé que « l’autre » vie que je cherche à oublier me garde encore de douces émotions.

Merci de tout cœur et veuillez croire, mon cher et bien aimé Maître, aux vœux affectueux et filiaux de votre fidèlement dévoué. »

***

Lettre autographe signée « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, Munich, 31 décembre 1904

« Bien cher Maître,

Je vous écris, tandis que dans l’atrium de l’hôtel Regina, un groupe d’instrumentistes interprète à souhait une fantaisie sur Manon [opéra de Jules Massenet, représenté pour la première fois en 1884 à l’Opéra-Comique]. Après tant de symphonies – (je suis ici un régime de suralimentation musicale dont j’avais besoin, vraiment) – après trop de semaines saintes en agréments, la surprise est extraordinaire.

Vous avez l’art de me souffler à l’oreille : « Hein ! une belle phrase, ça démolit bien des choses ». Oui, c’est du soleil après de splendides ouragans, et c’est bon le soleil !

L’ensoleillée musique de Manon m’emporte au-dessus des savantes bâtisses, et des splendides dômes, que j’admire tant cependant. Et je revois la classe, j’entends votre voix, vos yeux me fixent, inquisiteurs point terrifiants, mais allant tout de même jusqu’au fond de la conscience. Que pensez-vous de moi ? de mon silence : Paresse ? Hésitation ? Incertitude ?

Vos yeux voient plus loin, et ils ont raison.

Depuis que je vous ai quitté, je n’ai jamais pensé à d’autre juge que moi-même.

Mais quel juge terrible !

Il y avait ce bon Landry d’un goût si sûr qui me remontait souvent…

Il y avait mon père qui me criait : Victoire ! avant même que de savoir ce que je faisais…

Mais Manon me crie, en bousculant ces souvenirs, me crie, dans un enchantement, aime-la bien, ta chère musique, aime en elle ce qui est charme, tendresse, humanité… Là, il n’y a pas de place pour le doute pour ceux qui aiment !

Ah ! Cher Maître, comme il est bon de vivre libre, loin des spécialistes…

Et puis, vraiment, on serait fataliste à subir ces antithèses subites, voulues sans doute par le destin. Chère Manon, merci !

Vous devinez en les lisant que ces phrases sont publiées par vos phrases triomphantes. J’écris et j’écoute. Aussi suis-je un peu décousu. Vais-je recommencer cette quasi confession ? Moi, qui avait pris ce papier pour vous écrire mes vœux fidèles !

Mes vœux, je ne les oublie pas. Veuillez les trouver aussi affectueux attachés à votre cœur que ceux qui les précédèrent.

Et j’espère vous applaudir prochainement à Montecarlo, car ma mère est à Antibes et m’appelle. »

***

Carte autographe signée « Gustave Charpentier », avec son portrait photographique, à Jules Massenet, s.l., 1er janvier 1905

« Cher Maître,

Je vous envoie mon plus fervent souvenir avec toujours plus de reconnaissance et d’admiration. »

***

Billet autographe signée « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, sur carte pneumatique, Paris, [janvier 1907] (cachet de la poste du 1er janvier 1907)

« Bien cher Maître,

Toute ma fidèle affection va vers vous en ce jour de souhaits, pour vous apporter l’hommage toujours plus ardent de mon cœur reconnaissant.

Plus de gloire s’il était possible ! Plus de tendresse autour de vous… et beaucoup de philosophie indulgente pour ceux qui ne savent plus vous témoigner celle qu’ils ont pour leur maître bien aimé.

Je vous embrasse filialement.»

***

Billet autographe signé « Gustave Charpentier » à Jules Massenet, Monte-Carlo, mai 1909

« Bien cher Maître,

Quelle bonne leçon que la lecture de votre « Bacchus » [opéra de Jules Massenet représenté pour la première fois en mai 1909 au Palais Garnier]. Leçon de beauté et d’énergie. J’en suis tout émotionné et vibrant. Depuis longtemps, depuis vos bonnes classes, je n’avais connu pareil réconfort : [suit ici une portée de quelques notes].

Encore une fois vous avez massacré les ténèbres.

Mes bravos et mes affections fidèles. »


Compositeur et chef d’orchestre français, Gustave Charpentier est élève au Conservatoire de Paris et remporte le prix de Rome en 1887.

HAHN, Reynaldo (1874-1947)

Lettre autographe signée « Hahn » à Léon Bessand
S.l [25, avenue de Villiers à Paris, 1892], 4 p. in-12 oblong liserées de doré sur les tranches, avec enveloppe

Belle et longue lettre de Hahn déclinant une invitation à une soirée musicale


« Cher Monsieur,
Quoique d’aspect robuste et puissant, je ne suis pas très fort, et je suis déjà extrêmement fatigué par les courses, les répétitions et le travail de ces derniers jours. Je craindrais donc en me couchant très tard demain – ou plutôt très tôt après-demain – de n’être plus bon à rien. Je me vois donc obligé de renoncer à la perspective très agréable de passer une charmante soirée ! Remerciez Mademoiselle [Sibyl] Sanderson pour moi transmettez-lui mes sincères regrets. Ces dames comprendront, j’en suis sûr, que ce n’est pas sans raison que je me prive de ce plaisir.
Quant à la date de la représentation, je vous jure que je joue des pieds, des mains, de la tête, des épaules, et surtout de la langue pour les retarder. Mais, nouveau Cassandre, ma voix retentit sans résultat. De plus, nous n’avons pas encore la femme !!! De plus, nous pensons à habiller l’homme en Pierrot ! De plus, nous avons besoin de beaucoup travailler ! Mais que voulez-vous ? Vox clamantis in deserto [La voix de celui qui crie dans le désert] (ne faites pas attention, c’est du russe !).
Tous ces messieurs disent que nous serons prêts – alors !…
Merci de votre bonne hospitalité, c’est vraiment bien aimable à vous !
Encore mille regrets pour demain soir, et mille sincères compliments. Hahn »


Intime de Marcel Proust (1871-1922), compositeur et chef d’orchestre d’origine vénézuélienne, Reynaldo Hahn (1874-1847) est naturalisé français en 1907. Il est l’élève de Jules Massenet au Conservatoire de Paris, qu’il intègre en octobre 1885.

Sibyl Sanderson, née à Sacramento le 7 décembre 1864 et morte à Paris le 16 mai 1903, est une soprano américaine, particulièrement associée au répertoire français.

Léon Bessand (1859-1943) est le gendre du compositeur Jules Massenet. Il épouse Juliette Massenet, fille unique du compositeur, en 1887.

HAHN, Reynaldo (1874-1947)

Correspondance de quatorze lettres autographes signées à Juliette Massenet
Paris et Versailles, entre 1901 et 1926, 26 p. en divers formats (principalement in-8 et in-12)
Quelques petites déchirures sans importance. Un carte postale déchirée au niveau du timbre avec manque de quelques mots (adresse du destinataire)

Remarquable correspondance inédite de 14 lettres, cartes et billets, à la fille unique de Jules Massenet avec qui Reynaldo Hahn entretint une longue et chaleureuse amitié


Lettre autographe signée « Reynaldo Hahn » à Madame Bessand [Juliette Massenet] (25, avenue de Villiers à Paris), s.l.s.d. [Paris, 1901, d’après le cachet de la poste], enveloppe autographe jointe

« Chère Madame,

Vous pouvez compter sur ma présence et sur mon modeste concours. Je suis trop flatté du désir de mon Maître [Jules Massenet] pour ne pas mettre à votre disposition mes médiocres facultés pianistiques.

Votre dévoué. »

En post-scriptum : « Si je ne vous avais pas répondu, c’est que je ne pouvais pas ne pas être des vôtres ce jour-là ! »

***

Billet autographe signé « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet (159, avenue de Wagram à Paris), sur carte pneumatique, s.l.s.d., [Paris, 12 décembre 1910, d’après le cachet de la poste]

« Chère amie,

Je viendrai très volontiers dîner le jeudi 22 ou le vendredi 23, à votre choix. Dites-moi lequel de ces deux jours vous convient le mieux.

Votre respectueux. »

***

Billet autographe signé « Reynaldo Hahn »  à Juliette Massenet, sur carte pneumatique à l’en-tête de l’Hôtel des réservoirs à Versailles, [Versailles, 1912, d’après le cachet de la poste]

Lettre de condoléances à la fille de Jules Massenet, écrite après la mort du compositeur survenue à Paris le 13 août 1912. Juliette Massenet se trouve alors au château d’Egreville, propriété en Seine-et-Marne acquise par son père.

« Chère amie,

Je ne vous enverrai pas les œillets. Je n’en trouve que d’indignes de la tombe chère et vénérée. Hier, je suis rentré trop tard, aujourd’hui les fleuristes sont fermés. Demain il serait trop tard de nouveau puisque vous partez mardi, et ici les horticulteurs sont à sec !

Mais comme je tiens à faire cette modeste et affectueuse offrande, je choisirai un des séjours de Madame [Jules] Massenet et la prierai d’être mon intermédiaire.

Votre affectionné. »

***

Billet autographe signé « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet (159, avenue de Wagram à Paris), sur carte pneumatique, s.l.s.d., [Paris, janvier 1914, d’après le cachet de la poste]

« Chère amie,

Je vous remercie vivement et surtout d’avoir associé le souvenir de mon maître [Jules Massenet] à vos pensées affectueuses. Je suis bien ennuyé de vous savoir préoccupée par la santé de votre fils. Est-ce sérieux ?

Votre affectionné. »

***

Lettre autographe signée « Reynaldo » à Juliette Massenet (7, Place Hoche à Versailles), s.l.s.d., [Paris, 14 juin 1920, d’après le cachet de la poste], enveloppe autographe jointe

« Chère amie,

Ne comptez pas sur moi pour dîner mercredi ; je crains de rentrer trop tard pour être à Versailles à temps.

Dès mon retour, je vous téléphonerai.

Votre respectueux. »

***

Lettre autographe signée « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet (7, Place Hoche à Versailles), s.l.s.d., [1922], sur papier de deuil, enveloppe autographe jointe

« Chère amie,

Maria [Maria Hahn (1865-1948), sœur de Reynaldo, qui fut l’épouse du peintre Raimundo de Madrazo] est encore très nerveuse, si déprimée après la secousse finale, qu’elle ne peut écrire et c’est moi qu’elle charge de vous exprimer sa reconnaissance pour votre lettre affectueuse. Elle a été affligée par la nouvelle de la mort de votre petit-fils et à la pensée du chagrin affreux de votre fille ; mais cet évènement douloureux a eu lieu au moment où mon beau-frère déclinait, lui aussi, vers la mort et dans son désarroi, Maria ne pouvait vous témoigner ses sentiments d’amitié compatissante.

Je travaille du matin au soir ; c’est pourquoi je ne vous ai pas demandé à dîner.

Votre ami. »

Une indication manuscrite en haut du premier feuillet indique que cette lettre a été écrite en 1922 suite à la mort de Jean-René Faillot (1908-1922). Il était le fils de René Failliot et de Marie-Mageleine Bessand, elle-même fille de Juliette Massenet et de Léon Bessand.

***

Carte autographe signée « Reynaldo » à Juliette Massenet (5, rue Maurepas à Versailles), s.l.s.d. [Paris, 1926 d’après le cachet de la poste), 1 p.

« Chère amie,

Voulez-vous que ce soit le samedi 18 ? Et, si possible, pas trop tard…

Affectueusement. »

*** 

Lettre autographe signée « Reynaldo » à Juliette Massenet, s.l.s.d., 4 p.

« Madame,

Madame [Jules] Massenet avec qui j’ai déjeuné ce matin m’a dit que vous aviez dans votre loge pour la rep[résentation] de Xavière (?!) [opéra de Théodore Dubois (1837-1924), représenté pour la première fois à l’Opéra-Comique en 1895] une place dont l’emploi n’était pas encore attribué et qu’elle m’autorisait à vous demander. Est-ce possible ? Répondez-moi sans détour, je vous en prie, car si c’était non, je m’en consolerais aisément. C’est une curiosité malsaine qui me pousse à aller entendre cette œuvre laïco-cléricale et c’est peut-être un service à me rendre que de m’en empêcher ! D’ailleurs, je viens bien tard et je ne fais cette démarche que pour me mettre en repos vis-à-vis de moi-même – car je suis certain que vous avez disposé de toutes vos places.

J’aspire à une minute de liberté qui me permette d’aller vous voir. Et je vous prie d’agréer, dear Mrs Bessand [Juliette Massenet], tous mes plus affectueux et respectueux souvenirs. »

***

Lettre autographe signée « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet, Toulon, 21 février [année non précisée], 4 p.

« Chère Madame,

Je serais très heureux si vous vouliez dire à Léon Bessand un petit mot en faveur d’un jeune homme, M. Raoul Chatelain, qui aspire vivement à être pris comme employé à La Belle Jardinière. Je sais qu’il s’est présenté au chef du personnel avec un mot de recommandation de M. Leblond, secrétaire de M. Gustave de Rothschild, mais on n’a pu, alors, que lui faire une promesse. Je pense que le temps est venu de s’en souvenir s’il est possible de la réaliser et si Bessand voulait bien être assez bon pour s’informer auprès du chef du personnel et le disposer en faveur de ce postulant méritoire et malheureux, je lui en serais très reconnaissant. Si je vous importune de cette requête, c’est que je suis sûr que passant par vous elle prendra plus de force, et je vous demande de m’excuser.

J’ai pensé à mon Maître [Jules Massenet] et à vous en voyant des champs d’oliviers ; je sais combien vous aimez ces robustes et petits témoins de l’éternel été.

Votre respectueux et affectionné. »

En post-scriptum : « On joue Manon [opéra de Jules Massenet créé en 1884] ce soir ici : j’irai ! »

***

Lettre autographe signée « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet, s.l.s.d., 2 p.

« Chère Madame,

Je crains de n’être pas à Paris le 20 ! J’attends d’un moment à l’autre une dépêche de Londres et une de Berlin. Permettez-moi de vous écrire un mot dans quelques jours. Mais si vous préférez, pour votre table à combiner, que je désiste dès à présent, dites-le moi sans vous gêner, en amie ; et si je suis encore à Paris, je viendrai vous demander une tasse de café. »

***

Billet autographe signé « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet (7, Place Hoche à Versailles), sur carte pneumatique, s.l.s.d., 2 p.

« Chère amie,

Il m’est arrivé la plus sotte aventure ; en recevant hier votre mot si aimable, je vous ai écrit pour vous en remercier chaudement et pour accepter votre gentille proposition ; et puis dans le trajet d’ici à la Place Hoche [Juliette Massenet réside alors 7, Place Hoche à Versailles], j’ai perdu ma lettre !! Je suis revenu un peu sur mes pas – mais sans succès – et j’avais un train à prendre !… Peut-être un passant l’aura—il portée ? Enfin, j’accepte avec reconnaissance – mais j’espère que vous et votre fils viendrez !!

Respectueusement.

Votre affectionné. »

***

Billet autographe signé « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet (159, avenue de Wagram à Paris), sur carte pneumatique à l’en-tête du « 9, rue Alfred de Vigny », s.l.s.d., [Paris, d’après le cachet de la poste], 2 p.

Lettre de remerciement suite à une lettre adressée probablement après la perte d’un proche.

« Chère amie,

Vous m’avez témoigné une sympathie touchante que je n’oublierai jamais !

Tristement vôtre. »

***

Billet autographe signé « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet (7, Place Hoche à Versailles), sur carte pneumatique [au verso sont inscrites des opérations comptables], s.l.s.d., 2 p.

« Chère amie,

Voilà que tout est chambardé ! Je suis convoqué pour le 17 à 2h au Conservatoire (examen et chant !). Je dînerai donc à Paris et irai chez les Duglé ensuite. Seulement si vous y venez, je vous demanderai de me ramener ici, car je ne crois pas, bien que l’examen continue mardi, coucher à Paris.

Que de complications ! »

Reynaldo Hahn évoque ici une de ses amies, Madame Duglé, née Angèle Aubé (1848-1929). Les compositeurs Charles Gounod et Pierre-Joseph Zimmermann sont respectivement l’oncle et le grand-père de cette dernière.

***

Carte postale signée « Reynaldo Hahn » à Juliette Massenet, s.l.s.d., 1 p.

« Merci, chère amie, je vais envoyer voir ces logis. Je sais que votre obligeance est toujours prête pour vos amis.

Bien affect[ueusement] vôtre. »


Intime de Marcel Proust (1871-1922), compositeur et chef d’orchestre d’origine vénézuélienne, Reynaldo Hahn (1874-1847) est naturalisé français en 1907. Il est l’élève de Jules Massenet au Conservatoire de Paris, qu’il intègre en octobre 1885.

POULENC, Francis (1899-1963)

Carte autographe signée « Francis » à son « cher ange celliste » (le violoncelliste Pierre Fournier)
S.l.n.d, 1 p. in-8

Poulenc ne cache pas sa détestation pour le 1er Concerto pour violoncelle de Chostakovitch


« Merci, cher ange celliste pour tes vœux. Les miens, les plus tendres, sont pour toi bien sûr. Je t’ai merveilleusement entendu par radio à Genève. Tu étais au zénith de ta forme. Grâce à cela, j’ai pu écouter le concerto de Ch.[Chostakovitch], musique que je déteste. Je n’ai pas entendu « mon » Jolivet [Le compositeur André Jolivet (1905-1974)] comme tu dis mais je crois que je préfère encore cela à cette plate mouture russe. Hélas je n’ai pas plus de génie que lui (pour le cello du moins). Je suis sage et vieillissant. Je t’adore et t’embrasse. Francis »


Pianiste et compositeur français, Poulenc est proche du mouvement surréaliste, il est l’un des compositeurs qui forment le « groupe des six » au début des années 1920.

Le verso de la carte représente une vue de Louvre médiéval extraite des Très riches heures du duc de Berry, manuscrit enluminé conservé au Musée Condé de Chantilly.

Le violoncelliste Pierre Fournier, destinataire de cette lettre, donnait un concert radiodiffusé au Victoria Hall de Genève le 19 décembre 1962. C’est ce soir là qu’il devait jouer le 1er Concerto pour violoncelle de Chostakovitch, apparemment détesté de Poulenc.

MÉRIMÉE, Prosper (1803-1870)

Ensemble de deux lettres autographes signées « Pr Mérimée » à Auguste Martin
[Paris, avant 1848], 3 p. 1/2 in-8

Prosper Mérimée s’adresse au chef de cabinet d’Adolphe Thiers, alors président du conseil et ministre des affaires étrangères du roi Louis-Philippe, pour l’obtention d’un passeport afin de se rendre en Espagne


Rue des beaux-arts, 10» [Paris], « 27 juin », 2 p.

« Aurez-vous la bonté de m’y faire inscrire avec la qualité de peintre. Si par hasard Mr. Balmaseda [général carliste] me prenait, il ne me ferait rien payer pour ma rançon, et il y a peu d’apparence qu’il me demandât son portrait. […]

Oserai-je vous demander encore un petit service, c’est d’envoyer vous-même le passeport à Mr. de Miraflores [diplomate et homme politique espagnol] en le prévenant que je ne suis nullement carliste. »

***

« Samedi matin» [avant 1848], 2p, fragment d’un cachet de cire rouge avec l’adresse du destinataire au verso.

« Mille remerciements pour votre passeport qui est excellent, bien que Mr. Thiers ne veuille pas m’accorder un titre que je mérite mieux qu’il ne pense»


Bel ensemble

INDY, Vincent d’ (1851-1931)

Ensemble de trois lettres autographes signées, dont deux à Georges Hartmann
France, Belgique et Italie, entre 1872 et 1900, 5 pages in-8 et in-12

Intéressant ensemble de trois lettres autographes signées où il est notamment question de ses compositions d’Indy et de La Flûte enchantée


Lettre autographe signée « Vincent d’Indy » à « Mon cher Monsieur Hartmann », [Vernoux (Ardèche)], 30 juillet 1872, sur papier de deuil, 2 p. in-8

Vincent d’Indy demande à Georges Hartmann les trois partitions – piano et chant – suivantes : Orphée (Gluck, La Flûte enchantée (Mozart) et Joseph (Méhul), l’ensemble provenant de la collection Litolff.

Il termine sa lettre en le priant de saluer de sa part « [Jules] Massenet quand vous le verrez ».

***

Lettre autographe signée « V. d’Indy » à « Mon cher ami » [Georges Hartmann ?], Florence, 21 janvier 1894, 1 p. in-8

Il s’excuse de ne pouvoir honorer un rendez-vous demandé par son interlocuteur car il est « établi en Italie pour tout l’hiver afin de pouvoir travailler tranquille, ce que je ne puis faire à Paris ».

***

Carte autographe signée « V. d’Indy » à « Mon cher Hartmann » [Georges Hartmann], s.l. [Belgique], « jeudi » [entre 1897 et 1900], 2 p. in-12

Vincent d’Indy remercie Georges Hartmann suite à l’article qu’il a publié dans L’Illustration à propos de Fervall, opéra composé en 1897 : « Comme il est dans une note détonante avec bien d’autres critiques, il ne m’en a que plus frappé et je vous en suis vraiment reconnaissant. »

Il évoque ensuite le concerto qu’il finalise : « Je suis au milieu du final et pense pouvoir vous le remettre d’ici à 8 jours au plus. Mais je me souviens maintenant qu’il y a dans le final une non-conformité entre les parties et la partition. Tout cela, ainsi que les fautes, était signalé, si je ne me trompe, sur la partition (…) que vous devez avoir avec les parties d’orchestre. C’est là-dessus qu’il faudra vérifier pour la gravure (je m’en charge). »

Il lui annonce enfin sa venue la semaine suivante « à mon retour de Belgique ».


Compositeur et chef d’orchestre français, Indy est l’élève de César Franck au Conservatoire de Paris. Désirant relancer l’enseignement de la musique sacrée, il crée la Schola Cantorum de Paris, œuvrant ainsi au renouveau du mouvement.

FAURÉ, Gabriel (1845-1924)

Lettre autographe signée « Gabriel Fauré » à une dame
S.l.n.d, 1 page in-8 à en-tête du 154, Boulevard Malesherbes

Fauré donne rendez-vous pour un cours de musique


« Le cours aura lieu cette année à la salle Aeolian, 32 avenue de l’opéra, mais le jour et l’heure restent les mêmes et notre première séance est fixée au lundi 17 novembre.  Je serai très heureux de présenter ce jour-là, Mademoiselle votre fille à Mme [Gabrielle] Krauss. Gabriel Fauré »


Pianiste, organiste et compositeur français, Gabriel Fauré a pour maîtres Camille Saint-Saëns et Gustave Lefèvre. En 1896, il succède à Jules Massenet comme professeur de composition au Conservatoire de Paris.

Gabrielle Krauss (1842-1906) est une artiste lyrique d’origine autrichienne. Elle crée de grands rôles dans des opéras d’Anton Rubinstein, Charles Gounod, Gabriel Fauré, entre autres.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » à Jules Janin
S.l., 10 novembre 1871, 1 p. in-8

Très belle lettre de félicitations de Victor Hugo adressée à son ami Jules Janin suite à l’admission de ce dernier à l’Académie française, le 9 novembre 1871


« Je n’étais pas hier à l’Institut, j’y étais pourtant ; ma présence publique vous était inutile ; mais vous savez bien que mon cœur et mon esprit étaient là où l’on vous applaudissait. Je suis fier d’être nommé dans votre noble et beau discours ; vous appartenez à la grande académie historique, composée des seuls noms qui surnagent, très diverse, une pourtant ; vous êtes dans cette légion d’esprits une lumière. Il y a en vous quelque chose d’Horace et quelque chose de Diderot ; on vous écoute comme le premier et l’on vous aime comme le second. Je suis à vous de tout mon cœur. Victor Hugo »


Victor Hugo, élu lui-même à l’Académie française en 1841, adresse ses félicitations à l’écrivain et critique Jules Janin (1804-1874) au lendemain de sa réception à l’Institut le 9 novembre 1871, à la place laissée vacante suite au décès de Sainte-Beuve. Victor Hugo se dit « fier d’être nommé dans votre noble et beau discours [de réception] ». Jules Janin cite en effet à deux reprises celui qu’il qualifie de « Jupiter tonnant ».

Lorsque Victor Hugo évoque Horace et Diderot, il fait certainement écho à une phrase du discours de réception prononcé le même jour par le dramaturge Camille Doucet (1812-1895), en réponse à celui de Jules Janin. Camille Doucet déclare en effet : « Ami d’Horace et de Diderot, vous deviez nécessairement être un jour le continuateur de l’un et le traducteur de l’autre. »

ARTOIS, Comte de Chambord, Henri d’ (1820-1883)

Ensemble de deux lettres autographes signées « Henri » à Alexandre de Monti de Rezé
Frohsdorf, 1873, 4 p. in-8, avec enveloppe

Deux importantes lettres relatives à l’organisation du parti légitimiste dans le contexte des élections présidentielles de 1873


Lettre autographe signé « Henri » à Alexandre de Monti de Rezé (1814-1896), Frohsdorf, 29 mars 1873, 2p.

« Je vous charge, mon cher Monti, de réunir le plus tôt possible nos amis du département des Deux-Sèvres pour l’organisation d’un comité que réclame la gravité des évènements. Vous connaissez trop bien mes intentions pour que j’aie besoin de vous donner des instructions détaillées. Je suis certain d’ailleurs que vous trouverez dans le dévouement de tous un puissant auxiliaire pour la mission que je vous confie. Dites-leur bien que je compte sur eux comme ils peuvent compter sur moi. Je vous renouvelle l’assurance de ma constante affection. Henri »

Lettre autographe signée « Henri » à Alexandre de Monti de Rezé (1814-1896), Frohsdorf, 17 juin 1873, 2 p., enveloppe jointe avec cachet de cire rouge aux armes du comte de Chambord.

« J’ai lu, mon cher Monti, votre intéressant rapport, et je veux vous en remercier moi-même. Votre frère [Edouard de Monti de Rezé (1808-1877), aide de camp du comte de Chambord] vous dira mes intentions, comme il vous a déjà fait connaître mon approbation sur l’organisation de la Loire-Inférieure, et les choix sanctionnés par moi. Je suis bien certain que tous nos amis et que Lareinty [Henri Baillardel de Lareinty (1824-1901), monarchiste légitimiste, sénateur et président du conseil général de la Loire-Atlantique en 1876], dont l’énergie et le dévouement me sont particulièrement connus, m’aideront à sauver notre malheureux pays, quand le moment sera venu. Je suis content de René [de Monti de Rezé (1848-1934), fils du destinataire de la lettre], et je sais gré à Madame de Monti et à vous de me l’avoir donné. Comptez sur ma gratitude, et sur mon entière affection. Henri »


Le 24 mai 1873, le maréchal de Mac-Mahon est élu Président de la République à la quasi-unanimité. La majorité monarchiste issue des élections législatives de 1871 et les sympathies légitimistes du nouveau chef de l’Etat semblent annoncer un rétablissement prochain de la monarchie en France. Néanmoins, l’intransigeance du comte de Chambord quant au rétablissement du drapeau blanc met un terme à ses espérances dès la fin de l’année 1873.

DELACROIX, Eugène (1798-1863)

Lettre autographe signée « Eug. Delacroix » à une dame
S.l, “le 23” [probablement durant les années 1830], 1 p. in-8

Jolie lettre du peintre évoquant l’une de ses célèbres maîtresses, Josephine Forget


« Je vous en ai bien voulu malgré toute votre bonté, Madame, de n’avoir pas voulu que je vous visse hier un moment pour vous remercier. J’allais écrire à Mad. de Forget parce que je voulais lui parler de l’opinion de mon docteur. Je lui ai écrit effectivement hier et elle a ma lettre à présent. Je suis bien enchanté que vous alliez lui tenir compagnie. Cela vous fera aussi une agréable distraction, d’autant plus que le temps s’annonce très bien. Dites-lui mille choses pour moi et recevez, Madame, mille assurances de mon respectueux dévouement »


Eugène Delacroix fait ici référence à sa cousine, Joséphine de Lavalette, baronne de Forget (1802-1886), petite-nièce et filleule de l’impératrice Joséphine. Au milieu des années 1830, Madame de Forget devient la maîtresse de Delacroix, qui la surnomme Consuelo (consolation en espagnol). Se tisse alors une solide amitié jusqu’à la mort de l’artiste, en 1863.

« Delacroix est amoureux par-dessus les oreilles », dit de lui Prosper Mérimée

[PRINCE IMPERIAL] BASSANO, Napoléon Maret, duc de (1803-1898)

Lettre autographe signée « Duc de Bassano » au maréchal de Mac-Mahon [président de la République française de mai 1873 à janvier 1879],
Camden Place [résidence d’exil de la famille impériale en Angleterre], Chislehurst, 30 juillet 1879, sur papier de deuil, 1 p. in-4 sur bifeuillet

Réponse aux condoléances adressées à l’impératrice Eugénie par le maréchal de Mac-Mahon et son épouse suite au décès du prince impérial
Lettre écrite au nom de l’impératrice Eugénie à celui qui
a été président de la République française il y a peu


« Sa Majesté l’Impératrice a été sensible à la part que vous et Madame la Maréchale avez prise à l’immense malheur qui a si cruellement frappé son cœur.

Elle vous remercie des témoignages de votre sympathie et de l’expression de vos vifs regrets d’avoir été empêché de venir rendre les derniers hommages à Son Altesse Impériale Monseigneur le Prince Impérial en souvenir des hautes faveurs que l’Empereur vous a accordées et dont vous aimez à conserver la mémoire [Napoléon III avait en effet décerné à Patrice de Mac-Mahon les titres de duc de Magenta et de Maréchal de France].

L’Impératrice daigne me charger d’être son interprète auprès de votre excellence.

Veuillez, Monsieur le Maréchal, agréer l’assurance de ma haute considération. »


Émouvant témoignage

[SECOND EMPIRE / EUGENIE / BACCIOCHI] Marchal de Calvi (1815-1873)

Deux lettres autographes signées du Marcal de Calvi et une dépêche télégraphique de l’impératrice Eugénie
1867, palais des Tuileries et Biarritz, 4 p. in-4
Petite déchirure en marge supérieure de la dépêche télégraphique, sans atteinte au texte

Trois documents relatifs aux derniers jours du comte Félix Bacciochi, décédé à Paris le 23 septembre 1866


MARCHAL DE CALVI, Charles-Jacob (1815-1873), médecin du comte Bacciochi.

Lettre autographe signée « Marchal de Calvi » à un « cher ami », palais des Tuileries, 6 septembre 1866, sur papier en-tête de la maison de l’Empereur, service du Premier chambellan

Le docteur Marchal de Calvi, médecin au chevet du comte Bacciochi, donne de tristes nouvelles quant à l’état de santé de son patient : « Quiconque ne voit le comte que pendant dix minutes ne peut avoir l’idée de ses souffrances. »

MARCHAL DE CALVI, Charles-Jacob (1815-1873), médecin du comte Bacciochi.

Lettre autographe signée « Marchal de Calvi » à un « cher ami »,
palais des Tuileries, 7 septembre 1866, sur papier en-tête du ministère de la maison de l’Empereur et des Beaux-arts, surintendance générale des Théâtres

Le docteur Marchal de Calvi poursuit sa correspondance de la veille et relève un mieux relatif dans les souffrances endurées par « notre cher malade », probablement dans le but de rassurer son destinataire.

MONTIJO, Eugénie de (1826-1920), épouse de Napoléon III, impératrice des Français.

Dépêche télégraphique de l’impératrice Eugénie à Antoine Bertora (1831-1906), secrétaire du service des chambellans de l’empereur Napoléon III, Biarritz, 20 septembre 1866 [et non 1867 comme indiqué sur le document], en-tête du « Ministère de l’Intérieur, Direction générale des lignes télégraphiques, Cabinet des dépêches »

Affectueux message de l’impératrice Eugénie quelques jours avant le décès du comte Félix Bacciochi, premier chambellan de l’empereur Napoléon III.

« Si le comte Bacciochi a encore sa tête, dites-lui que je pense bien à lui en ce moment et que je lui serre la main. »


Le Comte Félix BACCIOCHI (1803-1866), est le neveu du prince Félix Bacciochi (époux d’Élisa Bonaparte, sœur de Napoléon Ier), premier chambellan de l’empereur Napoléon III.

PUCCINI, Giacomo (1858-1924)

Carte autographe signée « da me » [de moi] à sa sœur Ramelde Franceschini
[Milan, c. 19 juin 1904], 1 p. in-8 oblong
Infime manque en marge inférieure gauche, toutes petites décharges d’encre du cachet postal

Charmante carte de Puccini à sa sœur


Puccini dit ne pas pouvoir aider sa sœur au sujet d’une requête précédente. Il se rend en cure thermale à Alessandria, dans le Piémont, où il séjourne une dizaine de jours avant de rentrer chez lui. Il signe « Saluti a tutti da me e da Elvira », Elvira étant son épouse.

“Cara Ramelde
Io non saprei a chi rivolgermi per quello che mi scrivi! proprio nessuno. anche quando si trattò di me non potei far nulla. Se avete l’abbozzo di F.M. sperate lì e pensate ancora. Parto oggi per Acqui [Terme] pensaci nel cuore. Per la fine o meglio per il I° luglio a Torre [del Lago]. Fa un caldo atroce. Saluti a tutti da me e da Elvira


En cette même année 1904, son opéra Madame Butterfly est un fiasco cinglant lors de la première à La Scala de Milan. Lors de la scène où l’on entend des chants d’oiseaux, le public s’esclaffe et imite des cris de basse-cour de toutes sortes. Cela ne l’empêche pas de devenir, trois mois plus tard, un autre de ses grands succès, après une révision drastique.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Jeanne de Pierres
Florence, 19 janvier [1877], 4 p. in-8 sur bifeuillet, enveloppe jointe

Affectueuse lettre de l’impératrice Eugénie à la fille de son ancienne dame de palais


« Ma chère Jeanne, votre lettre nous cause un véritable plaisir, car je vois que votre avenir est épuré et q[ue] toutes les chances de bonheur sont réunies, je n’ai pas besoin de vous dire, ma chère enfant, combien je me réjouis de vous voir entrer dans une famille dont je connais tant de membres et qui vous rapproche encore par les liens de la parenté de Marie d’Haogwroth q[ue] vous aimez tendrement depuis votre enfance.
L’espoir q[ue] vous nous donnez de venir en Angleterre nous fait bien plaisir et nous espérons q[ue] vous viendrez tous deux à Camden, j’ai des droits presque de mère et c’est ce qui me fait vous offrir une hospitalité qui est loin d’être une discussion. Mon fils me charge tout particulièrement de vous dire qu’il prend part à votre bonheur comme il a pris part à vos chagrins Mes vœux les plus tendres et croyez, chère Jeanne, à tous mes sentiments affectueux.
Eugénie
Mille choses au d’Haogwroth car je vois par votre lettre que vous êtes chez eux »


Jeanne de Pierre est la fille de Jane Thorne, Baronne de Pierres (1821-1873), ancienne dame du palais de l’impératrice Eugénie de Montijo.
Suite à la mort brutale de Jane Thorne, en 1873, l’impératrice, avec qui elle était fort liée, se noue d’une grande affection pour sa fille Jeanne, soucieuse de son bien-être et de son devenir.

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max » à l’abbé Morel
St Benoît sur Loire, 23 septembre [19]43, 1 p. in-4, enveloppe autographe jointe
Marge gauche très légèrement effrangée, traces de pliures d’époque et infimes déchirures aux plis

Pieuse lettre de Max Jacob à son ami l’abbé Morel 


« Monsieur l’abbé, très cher ami,
Nous croyons aux miracles, vous et moi. Nous les appelons de toute notre foi. Le Seigneur vous connaît et vous aime. Il aime aussi votre vénéré père qui ne peut être digne d’avoir un pareil fils. L’histoire de l’église et de l’harpographie nous en rapportent de de plus incapables et combien d’autres miracles que ceux-là ne sont pas connus !! Espérons donc ! Il n’y a pas de folie dans l’espoir. Nous ne sommes pas comme cette dame, pieuse catholique, qui me disait : “Je ne crois pas aux miracles !” Que venait-elle faire à la messe qui est un miracle quotidien ? Nous croyons aux miracles – aux miracles quotidiens de la messe. Nous croyons à la force prodigieuse de la prière, à la foi qui transporte les montagnes. Dieu dira quelque chose à celui qui a donné une prière ! Je n’ose aujourd’hui vous parler d’autre chose que la santé de votre pauvre père et me dit uni à vous dans la prière.
Votre ami Max »


En 1921, sur les conseils de son ami l’abbé Weill, Max Jacob s’exile à Saint-Benoît-sur-Loire, où il est hébergé au presbytère par l’abbé Albert Fleureau puis au monastère désaffecté. Il se déleste de nombreux manuscrits, pas moins de 8 recueils poétiques sont publiés en quelques mois.

Maurice Morel (1908-1991), dit l’abbé Morel, est un prêtre et peintre français. Il rencontre Max Jacob lors de son deuxième séjour à Saint-Benoît-sur-Loire en 1937.
Cinq mois après cette lettre, Max Jacob est  arrêté par la police allemande le 24 février 1944 et succombe au camp de Drancy le 5 mars 1944

ARAGON, Louis (1897-1982)

Lettre autographe signée « Louis » à André Rousseaux
S.l, 24 juillet [1943], 1 page in-8

Riche lettre de Louis Aragon pour un projet d’article littéraire, évoquant pêle-mêle sa femme Elsa Triolet, Roger Martin du Gard et le mythique recueil Poésie et Vérité de Paul Eluard


« Cher ami, j’ai été très heureux d’avoir de vos nouvelles directes. Et aussi que vous ayez accepté la proposition de ma femme [Elsa Triolet]. Au fait depuis qu’elle vous a vu, le père des Thibault [Roger Martin du Gard] a accepté aussi d’être des nôtres. Dites-le à mon vieil ami Paul [Eluard], puisque vous verrez certainement l’auteur de “Poésie et Vérité” pendant votre voyage, il en sera sûrement très content. Il vous expliquera mieux que moi ce que je devais vous demander si vous ne partiez pas (on m’en avait prié juste au retour de ma femme). Il s’agit d’écrire un éloge de notre grand maître de l’université (neuf pages environs) : personne ne la ferait mieux que vous certainement, surtout si [vous] l’écrivez tout à votre aise, sans considération autre que votre sentiment. C’est pour un keepsake de portraits de nos meilleurs écrivains, de M. des Lourdines à Bardamu. Il faudrait que cela soit fait pour le 30 juillet. Mais comme de toute façon vous n’entreprendrez rien avant votre départ, allez tout de suite voir Paul en arrivant, il vous parlera de cela. Faites-lui mes amitiés.
Mes respectueux hommages à Mme Rousseaux et comme toujours faites ma cour à Catherine.
Amicalement à vous
Louis »


Pendant la guerre, engagé dans la Résistance, Paul Eluard participe au grand mouvement qui entraîne la poésie française, et le poème « Liberté » ouvre le recueil Poésie et Vérité, paru en 1942. Comme Aragon, la même année, il adhère au Parti Communiste, indissociable dont l’engagement est synonyme de la lutte contre le fascisme.
Les textes qui forment ce recueil sont tous des poèmes engagés. Ils doivent entrer dans la mémoire des combattants et soutenir l’espérance de la victoire : comme on le faisait pour les armes et les munitions, le poème « Liberté » a été, à l’époque, parachuté dans les maquis.

Monsieur des Lourdines est un roman d’Alphonse de Châteaubriant publié en 1911 aux éditions Grasset. Il est récompensé la même année par le prix Goncourt.

Ferdinand Bardamu est un personnage imaginé par Louis-Ferdinand Céline, héros de ses deux livres les plus connus, Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, ainsi que de Guignol’s Band, Le Pont de Londres et L’Église.

André Rousseaux (1896-1973) est un journaliste, critique littéraire et essayiste français. Pendant l’Occupation, on le compte parmi les écrivains résistants à Dieulefit et membre du Comité national des écrivains.

 

[POUGY] Tonia Navar (1886-1959)

Ensemble de sept lettres adressées à Liane de Pougy
Divers formats [années 30], seize pages

Ensemble de lettres de Tonia Navar adressées à Liane de Pougy, amie intime de celle-ci 


« Je n’ai rien de particulier à vous dire… seulement ceci; que je vous trouve adorable non seulement belle, mais bonne et indulgente encourageante pour tous ceux qui luttent et veulent faire quelque chose de beau […] »

***

« Comme je suis contente de vous sentir calme […] Vous n’allez pas rester l’hiver à Roscoff ? »

***

« Je suis peinée que vous pensiez toujours que je dis du mal de vous – je ne pense que du bien et je n’ai aucune raison pour dire le contraire. La personne qui vous répète cela avait un intérêt personnel à vous faire fâcher […] Je vous en supplie ne pensez plus cela.
[…]
Inclus les deux places pour mardi soir [probablement pour une représentation théâtrale de Tonia Navar] »

***

« Ma pièce L’Amour en coulisses va être crée en octobre ou novembre enfin à la rentrée […] Notre joie et l’attrait au spectacle de voir votre beauté toujours si éclatante […] Il y aura autour de vous tout un essaim de femmes charmantes […] Je vous vois belle, longue, faisant une entrée sensationnelle […] »

***

« Ecrivez-moi, ne pleurez pas, priez. Songez à toutes les femmes qui sont abandonnées même à 30 ans […] Vous êtes belle […] »


Tonia Navar est une actrice et membre de la Comédie Française. Elle entretient une relation amicale très forte avec Liane de Pougy et de nombreuses autres personnalités d’avant-guerre

[CHAGALL, Marc] Valentina Chagall (1887-1985)

Carte de vœux autographe signée « V. Chagall »
1970, 1 p. in-12, lithographie originale
Ancienne trace de montage sur le dernier feuillet

Belle carte de vœux ornée d’une lithographie originale, rédigée et signée, au nom du couple Chagall, par Vava Chagall, dernière épouse du peintre


« [Bonne année] 1970 de nous deux et merci pour vos vœux,
V. Chagall »


Ces cartes étaient tirées entre deux cents et trois cent cinquante exemplaires.

GENEVOIX, Maurice (1890-1980)

Citation autographe signée « Maurice Genevoix »
S.l.n.d, 1/2 p. in-4

Très belle citation autographe signée de Genevoix tirée de son roman Au cadran de mon clocher


« Je ne veux pas, je ne peux pas me résigner à croire qu’en cet été de 1914, dans la lumière du jour radieux où le clocher de mon enfance tremblait aux battements du tocsin, une civilisation mourrait toute, basculait d’un bloc et sombrait, s’abîmant corps et biens, corps et âme, dans un brusque et sanglant remous, effacé de dessous le ciel et dorénavant abolie comme si elle n’eût jamais été.
Ni la vie, ni la mort même n’ont jamais cette rigueur absolue. Fussent-elles mortelles, les civilisations ne meurent pas si vite, si elles ne meurent pas tout entières. Bien sûr, je sais que l’histoire s’accélère, qu’elle nous emporte irrésistiblement. Mais il est bon, dans ce branle haletant, de se retourner un moment, de reconnaître aussi notre image dans un monde qui a été le nôtre, au fond d’un temps que nous avons vécu et ou la vie nous a “chanté” »


Au cadran de mon clocher est un roman de Maurice Genevoix paru en 1960 chez Plon. L’auteur éprouve l’envie de raconter sa vie de jadis ou naguère, avant la Grande Guerre. Après avoir migré et pour reprendre une affaire familiale, ses parents s’établissent à Châteauneuf-sur-Loire et y ouvrent une épicerie et une mercerie. Genevoix puise de cette période la plupart des souvenirs évoqués dans Au cadran de mon clocher. Il tient pour un privilège d’avoir passé son enfance dans une bourgade rurale d’avant 1914.

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Jean Cocteau » au traducteur franco-italien Louis Bonalumi
St Jean Cap-Ferrat, le 29 mai 1954, 1 p. in-4, enveloppe autographe jointe

Belle lettre de Jean Cocteau notamment au sujet de sa collaboration avec Louis Aragon pour le Musée de Dresde


« Mon cher Louis,
J’aimerais des nouvelles de nos “Discours” et je te signale pour la liste des livres illustrés par moi “La Course des Rois” de Thierry Maulnier un de mes très beaux livres illustrés qu’on oublie toujours dans la bibliographie.
Penser aussi dans la liste des œuvres du musée de Dresde Dialogues avec Aragon.
Je serai à Paris le 1er juin ou le 2.
Mais j’aimerais avoir les épreuves ici.
A toi
Jean Cocteau * »


La Course des rois est un ouvrage de Thierry Maulnier paru en 1947 aux éditions Thierry Valmont. Il a été illustré par huit dessins de Jean Cocteau

Au printemps 1955, l’U.R.S.S. décide de restituer à la R.D.A. des toiles appartenant au musée de Dresde, emportées par l’armée soviétique au moment du bombardement de la ville par l’armée américaine en février 1945. L’événement motive l’organisation d’une exposition des toiles, à Moscou puis à Berlin. Aragon est alors sollicité pour rédiger le catalogue de l’exposition dans l’esprit du réalisme socialiste tel qu’il l’a redéfini au XIIIe congrès du P.C.F. en juin 1954. Il propose à Cocteau de réaliser des entretiens sur les tableaux exposés, à partir de photographies prises à Berlin par Roger Pic et de plaques visionnées avec une lanterne magique.

Cocteau anticipe ici probablement une traduction en italien de La Course des rois 

PICABIA, Francis (1879-1953)

Lettre autographe signée « Francis Picabia » à un galeriste
Paris, le 27 novembre 1938, 1 p. in-4 sur papier pelure
Trous de classeur, infime déchirure en marge droite sans atteinte au texte

Picabia décline d’exposer ses œuvres dans une galerie


« Cher Monsieur, 
Je m’empresse de vous écrire pour que cela ne dérange pas vos affaires et expositions [parce] qu’il m’est impossible d’exposer chez vous comme nous espérions le faire – mon ami G. Sorel en me parlant de la galerie Charpentier pensait que vous étiez marchand de tableaux et c’est ce qui m’avait poussé à aller vous voir – je m’excuse du dérangement que cela vous a causé, mais croyez bien que pour ma part je suis heureux d’avoir fait votre connaissance – j’espère que vous ne m’en voudrez pas, et maintenant que je connais le chemin de la galerie cela sera pour moi un grand  d’aller vous voir. 
Très sympathiquement à vous
Francis Picabia »


A la fin des années 30, Francis Picabia est l’auteur d’un panel d’œuvres très éclectique : toiles naturalistes et figuratives, nouvelles superpositions dans des dominantes de tons verts, paysages qui rappellent sa période impressionniste et fauve, incursions dans l’abstraction géométrique, et un hommage à la guerre d’Espagne avec le puissant tableau La révolution espagnole, en 1937.

La galerie Charpentier est une ancienne galerie d’art moderne et contemporain installée à Paris au 76, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

[POUGY] Harry Baur (1880-1943)

Ensemble de lettres adressées à Liane de Pougy
Paris / Bruxelles, divers formats, 1931-1939, sept pages et un télégramme

Harry Baur : deux lettres tapuscrites signées à Liane de Pougy, 2 p. in-4
Rika Radifé (femme de Harry Baur) : deux cartes postales autographes signées, une lettre autographe signée et un télégramme 3 p. in-4 et 2 p. in-8

Poignante lettre de Harry Baur à son amie et confidente Liane de Pougy


« Ma chère Liane, 
Tes lettres m’ont fait tout le bien que tu en espérais et j’au eu quelque repos de me savoir moins seul dans mon chagrin. 
J’essaie de suivre tous les conseils de courage que l’on me donne hélas ! Il est indépendant de ma volonté de ne pas sentir tout ce qu’il y a de désespérant dans la fin de ma vie.
[…]
Tu pries, dis-tu ? Ni plus ni moins que moi. Je prie même par habitudes et j’espère, par coutume. Je me demande à quelle foi il faut se rapprocher. 
Pour moi, pleurer, tâcher d’envisager la vie autrement qu’avec des déceptions consentent à des efforts sans nom. 
Tu t’es isolée pour penser à toi, pour rentrer en toi-même. Regarde de quels souvenirs nous sommes habités dès que nous essayons d’oublier ! Nous sommes si peu dans les autres ! Nous sommes un composite de tout ce que nous aimons, de tout ce que nous pourrions aimer, de ce que nous haïssons et de ce qui nous indiffère. Le travail myope qui consiste à se pencher sur soit et à regarder de près son âme nous fait voir tant de choses inconnues […]
Voilà ma pauvre Liane les consolations que j’essaie de me donner […] Il me faut travailler dans mon grand chagrin, n’ayant pour moi les lettres gentilles qui veulent me consoler, les amitiés qui veulent m’aider […]
T’embrasse et à bientôt
Harry Baur »


Harry Baur est un comédien français, considéré comme l’un des plus grands de la première moitié du XXe siècle. Il s’illustre notamment dans une Les Misérables au cinéma

Rika Radifé (1902-1983) est une actrice française. De 1953 à 1980, elle dirige le Théâtre des Mathurins à Paris. Tout le reste de sa vie, elle s’adonne à faire vivre la mémoire de son conjoint, Harry Baur.

Anne-Marie Chassaigne, dite Liane de Pougy, épouse d’Armand Pourpe puis, en secondes noces, princesse Ghika, est née à La Flèche le 2 juillet 1869 et morte à Lausanne le 26 décembre 1950. Elle est une danseuse et courtisane française de la Belle Époque, puis religieuse jusqu’à la fin de ses jours.

MARTIN DU GARD, Roger (1881-1958)

Lettre autographe signée « Roger Martin du Gard » à un ami
Nice, le 21 nov[embre] [19]36, 3 p. in-8

Longue lettre de Roger Martin du Gard qui tente de venir à bout de déboires juridiques avec son architecte concernant sa propriété en Château du Tertre


« Cher ami,
J’ai une bien grande chance dans mon malheur : c’est de vous avoir !
Votre lettre m’apporte un immense soulagement. Je n’ai, en effet, ici, aucun dossier des travaux du tertre [château du Tertre], rien qui me permette de donner à mon avocat des précisions indispensables. Tout est sauvé s’il peut entrer en rapports avec vous, et trouver auprès de vous tout ce que je ne puis, à distance, lui donner : sans compter une compétence et des avis qui lui seront précieux pour mener cette affaire vite et bien.
Je lui ai aussitôt écrit longuement, en le priant de vous fixer un rendez-vous et en lui disant qu’il pouvait s’en rapporter à vous comme à moi-même.
Je n’ai pas voulu vous déranger pour cette affaire un ami de mon père, le vieux bâtonnier Albert Salle, qui est un des grands pontifes du Palais. Je me suis adressé à un ami de mon âge, Me Levacon, 28 rue Scheffer, membre du Conseil de l’Ordre, qui a déjà une grande autorité au Palais, et qui est non seulement un de mes amis, mais le successeur de mon beau-père, dont il a hérité toutes les affaires ; c’est vous dire qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour nous rendre service et nous faire gagner ce procès. C’est un homme extrêmement énergique et droit, qui étudie à fond ses affaires, et dont le succès au Palais est entièrement dû à sa valeur personnelle et à sa haute conscience. Avec lui, avec vous, je crois que nous sommes en bonnes mains !
Ce que je vous demande, c’est de le presser, car vous êtes mieux que lui capable de comprendre l’urgence qu’il y aurait à pouvoir commencer le plus tôt possible les travaux, et le danger qu’il y a à ce qu’un nouvel hiver passe sur nos pauvres terrasses.
Encore merci de votre aide si amicale. Et de tout cœur !
Votre Roger Martin du Gard »


C’est en 1906 que Roger Martin du Gard (1870-1958) découvre cette propriété, qui appartient à ses futurs beaux-parents. Séduit et par leur fille et par leur demeure, il y séjourne à plusieurs reprises et y habite de 1925 à 1940. Cette propriété l’enchante au point qu’il en fait la description dans Le lieutenant-colonel de Maumort (1941-1958), son dernier roman, resté inachevé. Il y a reçu de nombreuses personnalités dont André Gide, André Malraux, Albert Camus et bien d’autres liés à la création de la collection NRF et par l’éditeur Gallimard.

CHAVANNES, Pierre Puvis de (1824-1898)

Lettre autographe signée « P. Puvis » à Edouard Dubufe
Paris, 1890, 1/2 p. in-12

Carte pneumatique de Chavannes à Dubufe au sujet d’une assemblée


« Mon cher Dubufe,
Savez-vous qui a communiqué aux journaux le compte rendu de l’assemblée générale ?
Amitiés, P. Puvis »


Puvis de Chavannes fait ici probablement référence à l’assemblée de la Société nationale des beaux-arts, fondée avec Meissonier et Rodin.

CHAVANNES, Pierre Puvis de (1824-1898)

Lettre autographe signée « P. Puvis » à Hippolyte Durand-Tahier
Paris, 6 février 1896, 1 p. in-12 sur “petit bleu”

Petit bleu de Puvis de Chavannes au sujet de Berlin


« Mon cher ami,
Vous seriez bien aimable de venir me voir demain matin. Il est urgent que je vous parle au sujet de Berlin qui continu de m’assaillir quand je croyais que tout était réglé et terminé.
Amitiés, P.  Puvis »


A partir de 1890, Puvis de Chavannes créé avec Meissonier et Rodin la Société nationale des beaux-arts. Il refuse par la suite d’exposer à Berlin.

Hippolyte Durand-Tahier (1864-1899) est un peintre français. Il s’adonne activement à la peinture sous le pseudonyme Paul Froment et expose ses œuvres aux salons de la Société nationale des beaux-arts à partir de 1897. Le 7 février 1899, il meurt prématurément des suites d’une opération chirurgicale, au jeune âge de trente-cinq ans.

BERLIOZ, Hector (1803-1869)

Lettre autographe signée « Hector Berlioz » au beau-frère du compositeur, Camille Pal
S.l, le 13 juillet 1860, 2 p. 1/2 in-8
Quelques trous d’épingles sans atteinte au texte, traces de pliures d’époque

Belle lettre de Berlioz sur les préparatifs des Troyens


« Mon cher Camille
J’ai reçu les cinq cents francs que vous m’envoyez de la part de mon fermier du Jacques. Merci de votre constante exactitude. Voilà mes nouvelles : Louis vient de subir avec succès ses examens, il est reçu Capitaine au long cours. Il cherche maintenant un navire qu’il trouvera sans doute à Marseille.
Je souffre de jour en jour davantage de ma névralgie, il y a des heures de douleurs à peu près intolérables. Combien cela va-t-il durer encore ? En tout cas, j’ai mis toutes mes affaires musicales et autres dans un ordre parfait. Je vais encore à Bade pour y diriger le festival ; et je prendrai les eaux de Luxeuil auparavant.
Pour les Troyens, ils attendent que leur salle soit construite ; on y travaille sur la place du Chatelet. Ce théâtre sera achevé dans un an. On commencera les études de ma partition au mois de Janvier prochain, on les suspendra au mois de mai pour les reprendre et les terminer au commencement de la saison suivante du Th. Lyrique c’est-à-dire de septembre à novembre 1861. Et si dieu nous prête encore quelques mois de vie, nous mettrons à flot ce grand navire.
Adieu mon cher Camille
Mille amitiés dévouées. L’heureux résultat des études de Louis m’ôte un grave sujet d’inquiétudes.
J’en ai assez d’autres.
Tout à vous
Hector Berlioz »


Sommet du répertoire lyrique, l’opéra en cinq actes Les Troyens est la plus vaste et ambitieuse de toutes les créations d’Hector Berlioz. Aboutissement de ses capacités créatrices, elle est la convergence de toutes les principales influences, d’ordre littéraire et musical, qui ont formé sa personnalité artistique. De tous ses grands ouvrages c’est aussi celui qui prit le plus longtemps à mûrir.
Inspiré de L‘Énéide de Virgile, Les Troyens est donné pour la première fois, mutilé de nombreuses manières — les deux premiers actes supprimés, divers morceaux également coupés, le tout étant présenté sous le titre Les Troyens à Carthage — le 4 novembre 1863 au Théâtre lyrique à Paris (actuel Théâtre de la Ville place du Châtelet). La première intégrale des Troyens en une seule soirée n’a eu lieu que le 6 février 1920, au Théâtre des Arts de Rouen.

Né en 1834, Louis Berlioz accomplit une carrière de marin : novice à seize ans sur un trois-mâts, il passe dans la Marine nationale, puis aux Messageries maritimes et à la Compagnie générale transatlantique. A trente ans, il devient un grand capitaine. Sa mort prématurée à La Havane en 1867 de la fièvre jaune interrompt une carrière qui était devenue brillante ; être le fils d’un grand compositeur comme Hector Berlioz n’est pas facile. Louis a souffert de la séparation de ses parents, de l’absence de son père et de l’âpreté de sa carrière.

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Carte de visite autographe signée « GL » à Michel Alexandre Gaston Tournier
S.l.n.d, 1 p. in-24

Charmante carte du Tigre exprimant ses vœux


« Avec mes meilleurs vœux et mes remerciements pour votre bon souvenir, GL »

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Lettre autographe signée « GClemenceau » à Michel Alexandre Gaston Tournier
Paris, le 20 décembre [18]99, 1 p. 1/4 in-8
Quelques petites rousseurs, trace de pliure d’époque

Clemenceau, figure de proue du dreyfusisme, annonce quitter le journal L’Aurore, dont il est le rédacteur en chef


« Mon cher Colonel,
Ma décision a dû vous surprendre moins qu’un autre puisque nous avions déjà échangé des pensées sur la question qui m’a mis dans l’obligation de partir. Je ne désire rien tant, comme vous le pensez bien que de reprendre le bon combat. Encore faut-il que j’en trouve le moyen. Ce sera une joie pour moi si vous venez aux sapeurs-pompiers de Paris. Je vous envoie, en atendant, ma plus cordiale poignée de mains.
GClemenceau »


Entré comme rédacteur au journal L’Aurore en octobre 1897, Clemenceau écrit sans relâche près de sept cents articles dreyfusards. Bien qu’il ne soit, au départ, pas convaincu de l’innocence du capitaine Dreyfus, il s’investit progressivement dans l’affaire jusqu’à l’acquittement d’Esterhazy le 11 janvier 1898. Deux jours plus tard est publié le célèbre « J’accuse…! » par Emile Zola, dont le titre est trouvé par Clemenceau.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » à Jeanne de Pierres
Farnborough Hill, 16 juillet [18]96, 2 p. in-8 sur bifeuillet de deuil, enveloppe jointe

Lettre de condoléances de l’impératrice Eugénie à Jeanne de Pierres, suite à la perte de l’un de ses proches


« Ma chère Jeanne, j’apprends avec peine le nouveau malheur qui vient encore vous attrister, je prends part à votre chagrin et je tiens à vous assurer l’expression de ma sympathie affectueuse. Eugénie
J’ai trouvé ici à mon retour votre lettre ce qui vous explique le retard dans ma réponse »


Jeanne de Pierre est la fille de Jane Thorne, Baronne de Pierres (1821-1873), ancienne dame du palais de l’impératrice Eugénie de Montijo.
Suite à la mort brutale de Jane Thorne, en 1873, l’impératrice, avec qui elle était fort liée, se noue d’une grande affection pour sa fille Jeanne, soucieuse de son bien-être et de son devenir.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Photographie originale de Paul Verlaine par Paul Marsan, dit Dornac
Tirage albuminé d’époque, contrecollé sur carton fort (140 x 190 mm), légendé « Nos Contemporains chez eux » à l’adresse « Dornac & Cie, 10 rue Adam Mickiewicz »
[Café François 1er, boulevard St Michel, Paris, 28 mai 1892], 135 x 180 mm
Légère pliure en marge inférieure gauche du support, infime accro en marge inférieure du tirage. Remarquable état de conservation.

Mythique portrait de Verlaine, avachi sur une banquette au café François Ier, devant un grand verre d’absinthe


Le poète a le regard un peu trouble; sur la table, à côté du verre gisent quelques feuilles de papier, un encrier, sa canne et son chapeau.

Cette photographie immortalise Verlaine dans l’un des cafés du boulevard Saint-Michel, où il a ses habitudes et reçoit écrivains, amis et curieux.
Le café François Ier au boulevard Saint-Michel est le rendez-vous des poètes. Quand on n’y trouve pas Verlaine absorbé devant son absinthe ou son rhum à l’eau, on a au moins la chance d’y voir Jean Moréas, fier comme le spadassin qu’il décrit dans ses vers” (W.G.C. Bijvanck, Un Hollandais à Paris en 1891, cité par B. Noël, “Profils méconnus de Paul Verlaine“, Histoires littéraires n° 59-60).

À la fin des années 1880, Dornac entreprend une série de portraits des célébrités de son temps intitulée Nos contemporains chez eux.
La prise de Verlaine au café François Ier a lieu le 28 mai 1892. Le photographe prend trois photos du poète attablé dans cet établissement. Cette prise de vue est à rapprocher de celle qui représente le poète à un autre endroit de la banquette, avec un verre de vin devant lui au lieu d’un verre d’absinthe. De telles mises en scène ne sont pas sans rappeler les pairs de Verlaine dits les « poètes maudits » ; en font partie, entre autres, Baudelaire et Rimbaud. L’alcool, le spleen sont des motifs récurrents dans leurs œuvres respectives. Il n’est donc pas étonnant que Verlaine en joue, comme s’il faisait écho à sa propre création.

[VERLAINE] WEGENER, Otto (1849-1924)

Photographie originale de Paul Verlaine par Otto Wegener
[Paris, 1893], au format carte-cabinet (10,8 x 16,8 cm)
Tirage albuminé d’époque contrecollé sur carton fort et gaufré au crédit du photographe
Taches infimes, tous petits accros en marge du carton, sinon remarquable état de conservation

Fameux portrait du poète par Otto Wegener en vue de sa candidature à l’Académie Française


Paul Verlaine commande au photographe Otto Wegener une série de portraits lorsqu’il envisage de se présenter à l’Académie française. Plusieurs épreuves sont alors réalisées.
Pour ces clichés, le poète pose avec la fameuse écharpe de la maison Charvet, qui lui avait été offerte par Robert de Montesquiou.
Trois ans avant sa mort, le poète apparaît la face socratique, le front bossué, le regard enfoncé sous l’arcade sourcilière, arborant l’écharpe chamarrée, dont il est si fier.

Ce portrait est l’un des plus célèbres du poète.

Photographe d’origine suédoise, Otto Wegener (1849-1924) s’installe à Paris, place de la Madeleine, en 1883. Il se fait rapidement un nom au sein de la société mondaine, dont il devient l’un des plus éminents portraitiste.

HUGO, Victor (1802-1885)

Poème autographe signé « V.H. »
S.l.n.d, 1 page oblong in-4 à l’encre brune
Quelques rousseurs. Encadrement sur mesure sous Marie-Louise et verre type musée

Magnifique dernière strophe issue du poème À mes Odes, chef d’œuvre de la poésie lyrique


« Le poète, inspiré lorsque la terre ignore
Ressemble à ces grands monts que la naissante aurore
Dore avant tous à son réveil

Et qui, longtems vainqueurs de l’ombre
Gardent jusque dans la nuit sombre
Le dernier rayon du soleil »


Odes et Ballades, publié en 1828, est le recueil des poèmes de jeunesse de Victor Hugo paru entre 1822 et 1827. Le sizain que Hugo reprend ici est issue du poème « À mes Odes » (première du livre II des Odes), avec une très légère variante et singulièrement plus belle que la version originale. Sur le deuxième vers, le poète remplace le mot « nouvelle » par « naissante ».
Cette combinaison hétérométrique fait apparaître deux alexandrins en rimes suivies puis quatre octosyllabes en rimes embrassées, générant un dynamisme repris sur l’ensemble du poème. Notons que le recueil Odes et Ballades, plus que révéler son talent très précoce, valut à Hugo plusieurs prix prestigieux dont le Lys d’or.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » sur papier de deuil à Jane Thorne
Chislehurst, [9 février 1873], 4 p. in-8 sur bifeuillet de deuil, enveloppe autographe jointe
Quelques traces de trombone sans atteinte au texte

Exceptionnelle lettre de l’impératrice Eugénie, veuve depuis un mois, pleine de nostalgie et de désespoir. Elle y livre un message poignant sur la perte de l’empereur Napoléon III
L’impératrice ignore qu’au moment même où elle écrit ces lignes, sa chère Jane, destinataire de la lettre, est décédée deux jours auparavant


« Ma bien chère Jane, il y a juste un mois l’Empereur nous quittait pour toujours ici-bas, Dieu a délivré cette âme si cruellement éprouvée mais en partant il a délivré mon cœur. Cette maison déjà si triste est désolée car c’était pour le distraire que nous tachions de faire du bruit autour de lui, à présent tout est silence et deuil. Il n’a pas su que son fidèle Varaigne l’avait précédé de quelques jours, nous lui avons caché sa mort car je savais combien il avait de l’affection pour lui. Chaque jour effeuille un ami et le souvenir même des jours heureux se perd dans le deuil et le malheur. Je ne peux plus regarder en arrière, je n’ose regarder en avant, mon horizon se perd dans ce présent si douloureux. Mon cher fils [Le Prince Impérial] est bien malheureux aussi, tous deux vous serrons la main à vous et aux vôtres, Eugénie »


Le 9 janvier 1873, à 10h45, Napoléon III meurt à l’âge de soixante-quatre ans, dans sa résidence de Camden Place. Près de soixante mille personnes, dont un dixième de Français comprenant une délégation d’ouvriers conduite par Jules Amigues, viennent se recueillir devant le corps et participent à l’inhumation, le 15 janvier 1873, à Chislehurst. Par la suite, sa veuve, Eugénie de Montijo, lui fait construire un mausolée à l’abbaye Saint-Michel, qu’elle a fondée en 1881. A ce jour, le couple y repose aux côtés de leur fils unique, le prince impérial Louis-Napoléon, tué à l’âge de vingt-trois ans lors d’une patrouille lors la guerre anglo-zouloue.

Jane Thorne, baronne de Pierres (1821-1873), est une aristocrate, dame du palais de l’impératrice Eugénie de Montijo. Elles figurent ensemble, avec d’autres dames d’honneur, sur le célèbre tableau de Franz Xaver Winterhalter.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Photographie originale par The London Stereosctopic & Photographic Company
Tirage d’époque, s.l, 16 mars 1874, contrecollé sur carton fort au crédit du photographe, format carte de visite
Marges latérales légèrement rognées et éffrangées, petite tache en marge inférieure droite du support (voir photo)

Rare portrait dédicacé par le prince impérial


Provenance : Famille de Pierres

« Monsieur le Baron de Pierres, ancien ecuyer de M. l’Impératrice
Souvenir de Chislehurst »


Emouvant portrait du prince impérial. Il y figure très élégant, rappelant le regard mélancolique que l’on connaît à sa mère, l’impératrice, et esquissant un léger sourire.

Les familles impériale et de Pierres sont très proches. Jane Thorne (Baronne de Pierres) est l’une des six dames de palais de l’impératrice, jusqu’à la chute de l’Empire, en 1870.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Lettre autographe signée « N » à Jeanne de Pierres
Florence, 23 février 1876[77], 1 p. in-8 sur bifeuillet, enveloppe autographe jointe
Traces de pliures, annotations d’une autre main en marge supérieure droite et au deuxième feuillet

Remarquable lettre du prince impérial, proposant de rétablir l’honneur de Jeanne de Pierre suite à une calomnie


« Mademoiselle,
Un affreux malheur vient de vous frapper et la rumeur du triste drame dont je veux croire que vous avez été la victime est parvenu jusqu’à nous.
Il y a quelques jours je vous croyais enfin heureuse, je m’associais du fond du cœur au bonheur qui semblait vous promettre l’avenir mais par discrétion je gardais le silence.
Aujourd’hui vous êtes accablée sous le poids d’une calomnie injurieuse et je viens à vous faire de nouveau l’hommage d’un dévouement qui peut être utile
Vous êtes hélas presque seule au monde maintenant mademoiselle, mais je vous prie de vous souvenir qu’il est un homme qui vous a sincèrement aimé et qui serait fier de payer de son sang le prix de votre honneur
N.
J’espère que vous me reconnaitrez sous l’acronyme et que vous me ferez un mot de réponse
M. Louis… poste restante Florence »


Le scandale bruxellois
Lors d’un séjour à Bruxelles chez la baronne Edmond Van der Linden d’Hooghvorst, née Marie-Louise de Bassano (elle-même fille d’une dame d’honneur de l’impératrice), Jeanne de Pierres fait la connaissance du comte Ferdinand d’Oultremont, aristocrate belge avec lequel elle se fiance en janvier 1877. Informée par la jeune fille, l’impératrice se réjouit de cette nouvelle dans la lettre pleine de sentiments qu’elle lui adresse le 19 janvier.
Cependant, lors du bal donné en février 1877 par le baron d’Hooghvorst à l’occasion de la signature du contrat de mariage, le fiancé croit déceler entre sa promise et le baron une familiarité qui éveille sa jalousie. Un journal raconte la suite : « Pour en avoir le cœur net, vers la fin du bal, il se cacha derrière une portière et attendit. Un peu après le départ des invités, il vit rentrer dans le salon vide sa future. Elle fut bientôt suivie du maître de la maison. La conversation fut telle que le jeune homme ne put plus conserver aucun doute. Emporté par la colère et l’indignation, il sortit de la retraite et tomba à coups de poings sur le séducteur. Il y eut une lutte violente, où les meubles furent renversés, les vases brisés à grand fracas. » Les fiançailles sont aussitôt rompues et le scandale, rendu public par la presse, compromet sérieusement l’honneur de Jeanne de Pierres.

La famille impériale est très proche de la famille de Pierres, et tout particulièrement de Jane Thorne (dame du palais de l’impératrice) et de sa fille Jeanne de Pierres.
Suite à la mort soudaine de Jane Thorne en 1873, l’impératrice Eugénie et son fils, le prince impérial, se nouent d’une grande affection pour sa fille, Jeanne, soucieux de son bien-être et de sa situation matrimoniale. Il semblerait ici que Jeanne soit calomniée par sa future belle famille et que son mariage soit annulé. Elle finit cependant par se marier en 1891 avec Charles Olivier Jules Bellivier de Prin.

MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » sur papier de deuil à Jane Thorne, Baronne de Pierres
St Cloud, le 26 septembre 1860, 2 p. 1/8 in-8, enveloppe autographe jointe

L’impératrice pleure la mort soudaine de sa sœur Paca (Maria Francisca de Sales), survenue dix jours plus tôt


« Je vous remercie de votre lettre ma chère madame de Pierres. Je suis tellement sous l’impression douloureuse de la perte que je viens de faire qu’il me semble que je sors d’un pénible sommeil, et que rien de ce qui s’est passé n’est vrai. En effet comment cela pourrait-il être autrement j’avais saisi ma bien aimée sœur pleinne [sic] de vie et à présent je ne trouve plus que le vide autour de moi, les marques de sympathie que je reçois sont pourtant un adoucissement à ma douleur, et je vous remercie de tout cœur de votre bonne lettre. Je vous embrasse en recommandant ma sœur à vos prières. Eugénie »


Maria Francisca de Sales (1825-1860) fut diagnostiquée en 1959 de la turberculose. Alors installée à Madrid, L’impératrice Eugénie fit tout son possible pour rappatrier sa sœure malade à Paris. Elle meurt le 16 septembre 1860 à l’age de 35 ans.

Jane Thorne, Baronne de Pierres (1821-1873) est une aristocrate, dame du Palais de l’impératrice Eugénie de Montijo. Jane Thorne est une aux dames d’honneur représentées avec Eugénie dans le célèbre tableau de Franz Xaver Winterhalter.

PRINCE IMPÉRIAL, Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879)

Photographie originale par The London Stereosctopic & Photographic Company
Crédit du photographe au verso
Tirage albuminé d’époque dans un oval (c. 1880), format carte de visite
Légères traces de trombone en marge supérieure sans atteinte à l’oval du portrait

Émouvant portrait du prince impérial, le dernier avant son départ pour l’Afrique du Sud


En 1879, à vingt-trois ans, le prince demande avec insistance son incorporation aux troupes britanniques d’Afrique australe. S’il veut participer avec ses camarades de Woolwich au combat contre les Zoulous, c’est parce qu’il se souvient qu’il est Bonaparte :

« Lorsqu’on appartient à une race de soldat », écrit-il, « ce n’est que par le fer qu’on se fait connaître ». Depuis la mort de son père, il souhaite servir son pays. Peu avant de partir pour l’Afrique du Sud, il répond à sa mère, qui le supplie de renoncer à son dessein : « Quand j’aurai fait voir que je sais exposer ma vie pour un pays qui n’est pas le mien, on ne doutera plus que je sache la risquer mieux encore pour ma patrie. »

La reine Victoria l’y ayant finalement autorisé, il embarque en février. Il succombe finalement à une attaque le 1er juin lors d’une mission de reconnaissance.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » (à en-tête Farnborough Hill) à Jeanne de Pierres
Farnborough Hill, 6 septembre [18]91, 1 p. 1⁄2 in-8 sur bifeuillet de deuil, enveloppe jointe

Alors en exil, l’impératrice Eugénie adresse ses félicitations à Jeanne de Pierres pour son mariage avec Charles Olivier Jules Bellivier de Prin


« Ma chère Jeanne, je vous souhaite tout le bonheur possible au moment de votre mariage. J’espère que le double deuil qui est venu vous attrister n’aura pas retardé votre union. Je vous prie d’être mon interprète auprès de votre frère et croyez à mes sentiments affectueux. Eugénie »


Jeanne de Pierre est la fille de Jane Thorne, Baronne de Pierres (1821-1873), ancienne dame du palais de l’impératrice Eugénie de Montijo.
Suite à la mort brutale de Jane Thorne, en 1873, l’impératrice, avec qui elle était fort liée, se noue d’une grande affection pour sa fille Jeanne, soucieuse de son bien-être et de son devenir.

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Poème autographe signé « Paul Eluard » issu de son recueil Capitale de la douleur
S.l.n.d [c. 1925-1926], 1 page in-4 (240 x 240 mm)
Contrecollé sur carton fort, sous encadrement Marie-Louise
Deux petites taches transparentes

Superbe poème d’Éluard, issu de l’un de ses plus célèbres recueils : Capitale de la douleur


La cruauté se noue et la douceur agile se dénoue.
L’aimant des ailes prend des visages bien clos, les
flammes de la terre s’évadent par les seins et le
jasmin des mains s’ouvre sur une étoile.

Le ciel tout engourdi, le ciel qui se dévoue n’est
plus sur nous. L’oubli, mieux que le soir, l’efface.
Privée de sang et de reflets, la cadence des tempes
et des colonnes subsiste.

Les lignes de la main, autant de branches
dans le vent tourbillonnant. Rampe des mois
d’hiver, jour pâle d’insomnie, mais aussi,
dans les chambres les plus secrètes de l’ombre,
la guirlande d’un corps autour de sa splendeur.

Paul Eluard


Considéré comme l’un des plus importants recueils poétiques d’Éluard, Capitale de la douleur (de son titre d’origine L’Art d’être malheureux) est publié pour la première fois dans La Révolution surréaliste (15 octobre 1925).
Ce poème est repris dans les Cahiers du sud, n°108, non paginé, en février 1929. Le texte porte le numéro VI dans un ensemble d’études intitulé André Masson. I. Les images d’André Masson.

Les cent treize poèmes de ce recueil pourraient apparenter Capitale de la douleur aux Fleurs du mal, qu’Éluard admire tant (cent poèmes pour l’édition de 1857, cent vingt-six pour l’édition de 1861, telle que voulue par Baudelaire). Cette œuvre interroge le bonheur ; il s’assimile tantôt à la joie de vivre, tantôt à l’amertume et la désillusion, plongeant le lecteur au cœur du monde obscur et énigmatique. Peut-on alors envisager le recueil tel un autre Spleen de Paris, qui mêlerait vers et prose, redéfinissant ainsi de l’idéal poétique moderne ?

D’ailleurs, le titre Capitale de la douleur n’est probablement pas sans faire écho aux deux recueils de Baudelaire. En effet, par un chiasme phonique, on peut mettre en relation Capitale et Mal, douleur et Fleurs. Quant au Spleen de Paris, on peut pointer la correspondance sémantique entre Spleen et douleur, entre Paris et Capitale. Cela montre d’autant plus l’héritage baudelairien dans la poésie éluardienne.

GIDE, André (1869-1951)

Carte autographe signée « André Gide » à Michel Levesque
La Souco, 14 février [19]30, 1 page in-12 au verso d’une carte postale

Gide évoque son ouvrage Un esprit non prévenu, paru un an plus tôt


« Votre père me fait part de votre désir, qui me flatte très cordialement. A mon retour à Paris je regarderai s’il reste encore un exemplaire d’Un esprit non prévenu ; mais je crains bien que le livre, tiré à peu d’exemplaires, ne soit “épuisé”. Ah ! Que je voudrais avoir pu m’embarquer avec les Chadourne et vous rejoindre. Ce sera pour l’an prochain j’espère ! Mais je vous aurai revu en France d’ici là. Les Bussy, dont je suis l’hôte me chargent pour vous d’affectueux messages. Bien amicalement votre. 
André Gide »


Un esprit non prévenu est un ouvrage d’André Gide paru en 1929 chez Kra, la même année que L’École des femmes et Essai sur Montaigne.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Lettre autographe signée « Eugénie » (gaufrée à son chiffre) à Jane Thorne, Baronne de Pierres
Biarritz, le 24 août [1857], 4 p. 1⁄2 in8, enveloppe autographe jointe

L’impératrice donne des nouvelles à Jane Thorne depuis son Palais à Biarritz


« Ma chère madame j’ai voulu vous écrire un petit mot avant de partir pour Biarritz pour vous remercier de votre charmante petite lettre mais ça m’a été impossible à cause des mille petites choses qu’on est obligée de faire au moment d’un départ, j’espère que vous vous soignez bien, et que vous ne montez pas à cheval car rien n’est aussi mauvais quand on a le malheur d’être souffrante, mais j’espère qu’avec du repos je vous retrouverai aussi bien portante que mon cœur vous le désire.
Je n’ai encore pris que trois bains, ce qui me désole car le beau temps se passe, mais j’ai un rhume qui m’en empêche, si demain je vais mieux, je pense recommencer. D’ailleurs nous menons ici au grand désespoir de Varaigne une vie trop sédentaire. L’air de la mer le rend méconnaissable, il voudrait des parties tous les jours. Aussi nous craignons les bains pour lui car son agitation augmentant il tournera sur lui comme un écureuil. On danse tous les dimanches les jolies femmes ne sont pas en nombre et surtout les jeunes filles, moi qui aime tant les jolies têtes blanches et roses, vous devez penser si je regrette votre plus jolie nièce comme mon ornement de mes bals.
Adieu ma chère madame de Pierres, je vous embrasse tendrement. Eugénie »


Jane Thorne, Baronne de Pierres (1821-1873) est une aristocrate, dame du Palais de l’impératrice Eugénie de Montijo.
En 1853, la nouvelle cour de l’impératrice se compose d’une Grande-Maîtresse, d’une dame d’honneur, et de six (douze par la suite) dames du palais qui alternaient chacune une semaine de service, et dont la plupart sont choisies par l’impératrice avant son mariage. Jane Thorne et l’impératrice figurent ensemble, avec d’autres dames d’honneur, sur le célèbre tableau de Franz Xaver Winterhalter.

MONTIJO, impératrice Eugénie de (1826-1920)

Télégramme sous son pseudonyme habituel « Comtesse de Pierrefonds », à Jeanne de Pierres
7 septembre 1876, enveloppe jointe
Traces de pliures d’époque

Télégramme de condoléances à Jeanne de Pierres pour la mort de son père, Stéphane de Pierres, survenue la veille


[7 septembre 1876
Melle de Pierres
Chinon
Mon fils et moi sommes bien tristement affectés et prenons une vive part à votre douleur. Comtesse de Pierrefonds]


Jeanne de Pierres est la fille de Jane Thorne, baronne de Pierres (1821-1873), dame du palais de l’impératrice Eugénie. Cette dernière se prend d’affection pour Jeanne suite à la mort brutale de sa mère, en 1873.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à Muni
[Paris] 29 décembre 1950, 1 p. in-8, enveloppe autographe jointe

Émouvante lettre de Gide, l’une de ses dernières, moins de deux mois avant sa mort


« Chère Muni, 
Les fleurs sont merveilleuses, mais les phrases exquises qui les accompagnent leur donnent une éloquence qui me touchent au meilleur endroit du cœur. Je les écoute inlassablement. 
Votre très attentif, 
André Gide »


Au crépuscule de sa vie, la principale préoccupation d’André Gide est désormais la publication de ses dernières œuvres, notamment de son Journal. Malade despotique entouré de ses fidèles, il glisse vers une mort calme, dénuée d’angoisse et sans le sursaut religieux que guettaient encore certains. Il meurt à son domicile parisien, au 1 bis, rue de Vaneau, à l’âge de quatre-vingt-un ans, des suites d’une congestion pulmonaire. Gide prononce ces mystérieux mots sur son lit de mort : « J’ai peur que mes phrases ne deviennent grammaticalement incorrectes. C’est toujours la lutte entre le raisonnable et ce qui ne l’est pas… »

L’actrice Marguerite Dupuy, dite MUNI (1929-1999), joue le rôle-titre d’Amal et la lettre du roi, pièce de Tagore, traduite et adaptée par Gide, interprétée par le Rideau de Paris au théâtre des Mathurins le 15 juin 1949, selon une mise en scène de Jean Marchat.

Tagore, de son vrai nom Rabindranath Thakur (1861-1941), est un écrivain indien. Son œuvre, très éclectique, comprend pièces de théâtre, romans, poèmes, essais, carnets de voyage. En 1913, il reçoit le Prix Nobel de littérature.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à Muni
[Antibes, 6 juillet 1949], 1/4 p. in-8, enveloppe autographe jointe
Trace de pliure centrale

Charmante dédicace de Gide


« Avec mes souriants hommages et mes souvenirs les meilleurs »


L’actrice Marguerite Dupuy, dite MUNI (1929-1999), joue le rôle-titre d’Amal et la lettre du roi, pièce de Tagore, traduite et adaptée par Gide, interprétée par le Rideau de Paris au théâtre des Mathurins le 15 juin 1949, selon une mise en scène de Jean Marchat.

Tagore, de son vrai nom Rabindranath Thakur (1861-1941), est un écrivain indien. Son œuvre, très éclectique, comprend pièces de théâtre, romans, poèmes, essais, carnets de voyage. En 1913, il reçoit le Prix Nobel de littérature.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à Muni
[Nice, Clinique du Belvédère], 18 mai [19]49, 2 pages in-8 sur papier à en-tête, enveloppe jointe

Touchante lettre de Gide, convalescent, dans les derniers mois de sa vie – son écriture est hésitante


« Charmante Muni
Depuis bientôt 3 semaines en clinique et encore incapable d’écrire je veux pourtant que vous sachiez quel réconfort m’apporte le témoignage exquis de votre sympathie. Le sourire de ces rarissimes et merveilleuses fleurs vient aider à une convalescence. Je voudrais pouvoir vous envoyer cette photo que vous avez la gentillesse de souhaiter. Forcé de vous la faire attendre. Que de vœux pour ce spectacle auquel j’aurais eu si grand plaisir d’assister… Hélas ! Il n’en peut être question. Mais de cœur et de pensée avec vous.
André Gide »


Lors de son séjour à la Clinique du Belvédère, André Gide rédige les dernières pages de son journal (1942-1949), qui est publié l’année suivante chez Gallimard.

L’actrice Marguerite Dupuy, dite Muni (1929-1999), interprète le rôle-titre d’Amal et la lettre du Roi, pièce de Tagore adaptée par Gide, jouée par le Rideau de Paris au théâtre des Mathurins le 15 juin 1949, selon une mise en scène de Jean Marchat.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à Muni
[Saint-Paul de Vence], 22 juin [19]49, 1 p. 1/4 in-8, enveloppe jointe

Gide s’insurge contre la publication de photographies le montrant avec l’actrice Muni


« Gentille Muni,
Très sensible à votre aimable dépêche. Mais pourquoi faut-il que l’excellent souvenir que je voulais garder de vous soit abîmé par la divulgation, dans de misérables journaux, de photographies que je pensais devoir demeurer entre nous et, pour ainsi dire, confidentielles – auxquelles certes je ne me serais pas prêté si j’avais pu pressentir qu’il en serait fait cet absurde usage. Je ne puis vous cacher que j’en ai été péniblement surpris. Je me dis que le mieux, à présent que le mal est fait, est de n’y attacher point trop d’importance, pour pouvoir rester de grand cœur avec vous.
André Gide »


L’actrice Marguerite Dupuy, dite Muni (1929-1999), interprète le rôle-titre d’Amal et la lettre du Roi, pièce de Tagore adaptée par Gide, jouée par le Rideau de Paris au théâtre des Mathurins le 15 juin 1949, selon une mise en scène de Jean Marchat.

KESSEL, Joseph (1898-1979)

Lettre autographe signée « J. Kessel » à Jean Laurent
S.l, le 13 mai 1937, 1 p. in-8 oblong sur page d’album

Belle lettre de Joseph Kessel à un ami


« Mon cher Jean Laurent,
Une phrase sur un album est toujours une confession.
Mais, entre augures… n’est-ce pas?
Alors laissez-moi vous dire simplement ma vive sympathie.
J. Kessel
“Confession” Le 13 mai 1937 »


Engagé comme aviateur durant la Première Guerre Mondiale, Joseph Kessel tire de cette expérience humaine son premier grand succès littéraire, publié à l’âge de vingt-cinq ans : L’Équipage. Dès lors, son œuvre romanesque se nourrit de l’aventure humaine dans laquelle il s’immerge, à la recherche d’hommes exceptionnels. Après la guerre, il se consacre au journalisme en parallèle de son activité d’écrivain. Il laisse aussi une trace indélébile dans l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale en participant co-écrivant les paroles du célèbre Chant des partisans, hymne de la Résistance en France sous l’Occupation.

[VERLAINE] VERLAINE, Jeanne (18–/18–)

Lettre autographe signée « J. Verlaine » à un Monsieur (probablement Edmond Lepelletier)
Rue Montholon [Paris], circa 1889, 2 pp. in-8 sur bifeuillet
Infime manque en marge inférieure droite sans atteinte au texte

Lettre de l’énigmatique Jeanne, qui assurait avoir un lien de parenté avec Verlaine, au sujet de la fameuse brouille entre celui-ci et Vanier


« Monsieur
Si une affirmation de plus peut être utile, je me permets de vous assurer que, venue à l’hôpital Broussais visiter Monsieur Verlaine, il m’a demandé le moyen de poursuivre son éditeur Vanier contre lequel il était extrêmement irrité, c’était sa pensée dominante, il m’en parlait avec grand écœurement, quand un de vous est entré, je me suis retirée par discrétion me réservant de vous en expliquer plus amplement à sa sortie, qui devait être prochaine.
Mais un incident qui nous a refroidis mutuellement m’en a empêché.
Recevrez Monsieur mes salutations.
J. Verlaine »


La personne en question est une dame qui se dit parente du poète, qu’elle a rencontré à Broussais en 1889, à l’époque où elle était elle-même hospitalisée (l’épisode évoqué dans la lettre est celui de la brouille de Verlaine avec Vanier, suite à un encart joint à Parallèlement, à l’insu du poète). Verlaine étant à Broussais du 8 juillet au 18 août 1889, la lettre devrait être datée en conséquence. Verlaine mentionne cette personne à quelques reprises dans sa correspondance d’août-septembre 1889, l’appelant tantôt « Mme J. V. », tantôt « Mme mon homonyme » (lettre à Cazals du 26 août 1889).
Selon Georges Zayed, elle serait la dédicataire d’un poème de Dédicaces (2e éd., 1894), “A Mme J…“, dont une deuxième version est intitulée « A Mme Jeanne », ce qui donne, par la même occasion, la clé du « J ».

[VERLAINE] VANIER, Léon (1847-1896)

Lettre autographe signée « Vanier » à Edmond Lepelletier
Paris, 21 mai 1896, 1 page in-4 sur papier à en-tête illustré
Traces de pliures habituelles, infimes déchirure marginale inférieure.
Inscription autographe de la main de Vanier « Verlaine » au crayon typographique

L’éditeur de Verlaine réclame 100 francs de participation aux frais d’obsèques de Verlaine à Edmond Lepelletier, ami d’enfance du poète


« Monsieur Edmond Lepelletier
Je viens vous demander les cent francs convenus pour votre participation aux frais de funérailles de Paul Verlaine. J’écris en ce sens à Mms [sic] Barrès, Catulle Mendès et de Montesquiou. Monsieur François Coppé m’ayant versé sa part la semaine dernière en acceptant la présidence du comité formé pour le monument de Paul Verlaine que nous voudrions faire ériger l’an prochain au jardin du Luxembourg. Voulez-vous accepter de faire partie de ce comité ? Pour couvrir les frais nous allons publier un volume à la gloire de Verlaine composé par les poètes et écrivains modernes. Vous seriez bien aimable de nous favoriser d’une page, prose ou vers.
Les quelques paroles prononcées par vous sur la tombe de votre ami, n’ont pas été reproduites, votre discours n’ayant pas été lu, serait-ce indiscret de vous demander le compte rendu. C’est pour le volume intitulé « Funérailles de Paul Verlaine » que je prépare, il ne me manque que ce renseignement.
Pardonnez-moi de vous accabler ainsi par tant de choses à la fois et veuillez je vous prie monsieur agréer mes empressées salutations. Vanier »

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Photographie originale d’époque fixée sur carton mince le représentant en buste de profil à gauche
La moustache volumineuse « Nietzschéenne », le front déjà dégarni, le poète y figure dans un ovale
Inscription autographe de Verlaine au verso : Lymington, 9bre [1879]. Tirage albuminé format carte de visite (100 x 60 mm).
Petite tache noire de surface, superficielle.

Portrait inédit qui n’a jamais été reproduit ni signalé par les principaux recueils iconographiques de Verlaine. Le poète, âgé de trente-cinq ans en 1879, est enseignant dans une institution de Lymington, ville côtière du sud de l’Angleterre


Ex-dono autographe signé de Paul Verlaine au verso :

“Au cap’ral Devouge, le réserviste* Verlaine, Bien cordialement. * territorial ! (fortunate senex ! direz-vous peut-être, moi pas)”

Les mots « Fortunate senex » (heureux vieillard) se trouvent dans la première églogue des Bucoliques de Virgile. Verlaine enseignait le latin, le grec et le français, et se morfondait en Angleterre, certain d’avoir raté sa vie.


Verlaine appartient à la classe 1844, appelée en 1864 (le service se fait alors à l’âge de vingt ans). Il échappe toutefois au service militaire en missionnant un remplaçant. En revanche, suite au décret du 10 août 1870 appelant sous les drapeaux les hommes de sa classe, il s’engage comme volontaire dans la Garde nationale « sédentaire » et est affecté au cent soixantième bataillon de la Rapée-Bercy (Confessions, p. 540).
Peu présent sur les remparts, il est puni de deux jours et deux nuits d’emprisonnement en salle de police en décembre 1870. C’est son caporal, un cordonnier de la rue Cardinal-Lemoine, qui lui signifie sa punition (Mes prisons, p. 324). Il n’est donc pas impossible que Verlaine ait retrouvé ce caporal-cordonnier à son retour en France, en 1879-1880.

[VERLAINE] KRANTZ, Eugénie (18–/1897)

Lettre autographe signée plusieurs fois « Eugénie Krantz » à Edmond Lepelletier
Paris le 29 janvier [1896], 4 p. in-12 sur papier quadrillé

Hospitalisée seulement quelques jours après la mort de Verlaine et abandonnée de tous, Eugénie Krantz lance un appel à l’aide déséspéré à Lepelletier dans une poignante lettre


Hospitalisée à la fin de janvier à l’hôpital Notre-Dame de Bon Secours rue des Plantes, Eugénie Krantz appelle à l’aide.

Dans un français phonétique, elle écrit :

« Monsieur Lepeltiée, je vous emprie de prendre ma demande en considération Je suis si malheureuse, couchez dans un lits d’hopitale rue des plantes 66 a l’hopitale notre dame de bon secoure lit n°13 salle notre dame […] Je croi que l’on me fera l’hopération au bras droit et de ce que j’ai une bronchite et personne ne viens me voire que monsieur le secretere de monsieur francois coppée. qui ma laisse quelque chose pour machette quelques bonbon […] Je vous prie donc monsieur le peltier de ne pas oubliée l’amie toute dévoué de Paul Verlaine. Veuliez je vous prie m’envoyé un reportère. J’ai toute sorte de chose à faire publiée […] Personne ne vient me voire que monsieur le secrétère de M. François Coppée […] Je lesse en qu’a de mord une lettre pour distribuer les quelque objets que Paul Verlaine ma donner puis le Louis 17 que j’ai confié à M. Dotelle… le docteur de l’hopitale ou je suis. Je vous salut et vous prie de ne pas m’oublie. Votre toute devoue et oblige eugénie Krantz»


Eugénie Krantz est délaissée de tous après la mort de Verlaine. Elle connaît une fin tragique. Hospitalisée jusqu’au printemps 1896, elle se prostitue pour payer son logis du 39, rue Descartes. Elle sombre finalement dans l’alcoolisme avant de mourir l’année suivante.

[VERLAINE] KRANTZ, Eugénie (18–/1897)

Lettre autographe signée deux fois « Eugénie Krantz » à Edmond Lepelletier
Paris, 39 rue Descartes, le 8 janvier 1896, 2 pp. in-12 oblong

LA MORT DE VERLAINE

Extraordinaire témoignage de première main, très émouvant, sur les derniers instants de Verlaine de sa compagne Eugénie Krantz, alias Nini-Mouton, ancienne cocotte de music-hall qui a inspiré vingt-cinq pièces des Chansons pour Elle.
Proche de la misère, courant après l’argent, elle
abrite le poète à l’agonie dans son appartement rue Descartes. Il y meurt le soir même, le 8 janvier 1896


Dans un français phonétique, elle écrit :

« Monsieur Paul Verlaine vautre dévoué ami est à la dernière extremite. Veuliez je vous emprie venire le voire desuite car peutetre demain il serai trop [tard]… Venez le plus vite posibl si vous vouloi voir votre ami. Monsieur mes amitiés empresse sons amie Eugénie Krantz. Priaire monsieur de venire desuite pour monsieur Paul Verlaine. […] Mlle Krantz 39 rue Descartes »


Verlaine s’éteint le soir même aux alentours de 19h00, entouré de sa compagne Eugénie Krantz et d’un jeune homme dénommé Cornuty, très grand admirateur de son œuvre. Un prêtre est également présent pour l’extrême-onction. Dès la soirée, et pendant toute la nuit et le lendemain, c’est la cohue : le Tout-Paris défile rue Descartes.

Dans l’excellent livre qu’il consacre à son ami d’enfance, Lepelletier fait état de cette missive : « En rentrant chez moi […] j’ai trouvé un chiffon de papier, à l’adresse d’ailleurs mal mise, m’informant que si je voulais voir une dernière fois mon ami Paul Verlaine, je n’avais qu’à me rendre rue Descartes. Cet avis en tout cas bien tardif était signé d’Eugénie Krantz, la compagne des derniers jours du poète » (E. Lepelletier, Paul Verlaine, sa vie, son œuvre, 1907, p. 541).

[VERLAINE] ÉCHAUPRE, Gabriel (18– / 19–)

Lettre autographe signée « Gabriel Echaupre » à Edmond Lepelletier, rédacteur en chef de l’Echo de Paris
Paris, 25 août 1896., 4 pp. in-8 sur papier à en-tête
Trace de pliure centrale d’époque, très légères froissures, fentes aux plis

Violente charge d’Echaupre à l’encontre de l’éditeur de Verlaine et se rangeant aux côtés de Lepelletier dans la guerre de succession de ses œuvres complètes


« Je suis avec une véritable passion, Monsieur, la campagne que vous menez en compagnie de MM. Laurent Tailhade et Bauer pour défendre la mémoire de Verlaine contre la calomnie des sots et contre le mercantilisme non moins redoutable de son éditeur… ». Les contrats avec Vanier sont si inégaux que Verlaine aurait dû passer à la concurrence. « Je n’ignore pas que Verlaine avait pour vous une affection solide et bien entière, aussi je crois devoir, dans la mesure où je le puis, vous éclairer sur quelques points de l’affaire Vanier. Cela vous donnera occasion de rendre un nouveau service à ce que reste de l’ami, à son œuvre.
En 1889, Verlaine me demanda ce que je pensais de ses contrats avec Vanier, et s’il pouvait se délier enfin de son pacte de misère.
Je lui expliquais que les contrats entre auteurs et éditeurs sont essentiellement temporaires et que si, par oubli ou par abus, une limite de durée n’était pas fixée à la propriété de l’éditeur, il appartenait aux tribunaux de combler cette lacune sur le vu des pièces et, au besoin, après enquête.
Comme Verlaine ne pouvait s’offrir le luxe de plaider et que, dans ce cas spécial, il ne pouvait compter sur l’assistance judiciaire, je lui conseillai de tenir pour nuls les traités existants et de publier ses œuvres chez un autre éditeur. Je pensais que Vanier était obligé de faire connaître qu’il avait acquis l’œuvre du maître pour un morceau de pain. Sagesse, notamment, aurait été payé cent cinquante francs ! Il y avait de quoi, la presse venait à la rescousse, soulever un tollé général.
Mais les éditeurs ont une certaine solidarité qui les empêche de repêcher les auteurs qui se noient. Tout ce qui pût être fait, ce fut une sélection de poésies éditée chez Charpentier avec le magnifique portrait de Carrière – édition à laquelle M ; M. Charles Morice et Félicien Champsaur donnèrent leurs soins.
J’ai conservé plusieurs lettres ou Verlaine se plaint de ce que le service de presse de « Parallèlement » ait été fait « à la 6,4,2 » et où il traite Vanier de « Salop ».
Mais, au retour d’un voyage en Angleterre que je dis dans les premiers mois de 1890, j’appris qu’auteur et éditeur étaient réconciliés. La fée verte avait passé par là.
Comme je n’ai aucun goût pour l’invective, je me contenterai de dire que M. Vanier dans ses rapports avec un grand homme misérable, a manqué de cette délicatesse qui est une pudeur et que les latins nommeraient verecundia. Vous prenez, Monsieur, la défense du monument de Verlaine. C’est bien, mais c’est, à mon sens, l’œuvre de demain. Le plus pressé serait de prendre en main la défense de ses ouvrages qui sont dans des mains indignes.
Parmi tant de lettrés dont Paris est Montmartre sont surchargés, ne s’en trouvera-t-il pas quelques-uns pour constituer le comité de l’Œuvre définitive de Verlaine ? L’édition se ferait malgré Vanier et si les tribunaux interviennent, ils fixeront, pour le moins, une limite aux droits forts contestables de Vanier et, dans un temps déterminé, les poésies et les proses faites en liberté pour des hommes libres échapperont au sevrage. Les droits sacrés du fils et ceux non moins sacrés des hommes de goût seront sauvegardés.
Sans nul doute, ce comité d’édition sera poursuivi par Vanier. Eh bien ! l’éditeur sans vergogne sera tenu de rendre compte du passé et ce sera sa condamnation.
Elle est, à mon sens, la solution pratique à donner à la polémique qui vient de s’ouvrir. Comme j’ai l’honneur du bruit et de la réclame, vous me désobligeriez en publiant cette lettre ou en me mettant en cause. Ce n’est pas au journaliste que je m’adresse mais à l’ami de Verlaine et je vous fournis simplement les renseignements que je possède sur une question que vous avez abordée. Cela fait, je rentre avec empressement dans mon obscurité.
Je saisi l’occasion, Monsieur, pour vous présenter l’expression de mes meilleurs sentiments.
Gabriel Echaupre.
PS – Pour me faire connaître à vous, je vous rappellerai que Verlaine m’a dédié un beau sonnet dans Dédicaces. Je puis vous dire aussi que je suis lié avec le Dr. Pilliet qui a soigné Verlaine à Broussais et Laurent
Tailhade à la Charité. Pilliet, le médecin des poètes ! Il ne ressemble pas à l’affreux médicastre de Cochin, qui jeta Verlaine dans la rue en prétendant que le pauvre bougre volait le lit des malades »


En raison de nombreux services financiers et juridiques qu’il a rendus à Verlaine, Échaupre (qui avait été son avocat pendant le litige qui opposa le poète à son éditeur) est dédicataire d’un sonnet de Dédicaces. Bien que Verlaine le cite souvent dans sa correspondance, il n’en demeure pas moins un personnage énigmatique.

CENDRARS, Blaise (1887-1961)

Lettre autographe signée « Blaise Cendrars » à M. J. P. Morphée c/o André Gillois radiodiffusion française
Paris, mercredi 4 [février 1953], 1 p. in-12 avec adresse autographe, timbre et cachet au verso
Traces de colle et petite tache en marge inférieure, infime manque en marge supérieure

Cendras fait une courte notice autobiographique de ses principales œuvres pour son correspondant de la Radiodiffusion française


« Cher ami,
Voici la notice demandée. Je pense que cela suffit. Ma main.
Blaise Cendrars

Né le 1 septembre [18]87 – Poète du Monde Entier (1919) – Voyageur et reporter : Panorama de la Pègre (1931), Holywood (1936), la Banlieue de Paris (1950) le Brésil (1952).
Romancier : L’Or (1924), Dan Yack (1925), Moravagine (1926), L‘Homme foudroyé (1946), La Main coupée (1947), Bourlinguer (1949), Le Lotissement du ciel (1950).
A la radio : Blaise Cendrars vous parle (1952) »


De son vrai nom Frédéric Sauser, né à la Chaux-de-Fonds le 1er septembre 1887, Blaise Cendrars écrit Le Panama et la majorité des Dix-neuf poèmes élastiques avant de partir pour la Légion étrangère comme engagé volontaire lors de la Première Guerre Mondiale. Blessé par un obus en 1915, il perd un bras et tombe dans la misère. Habité par une fièvre créatrice, il devient « écrivain de la main gauche ». Après la Première Guerre Mondiale, le cinéma occupe la majorité de son temps*et devient l’assistant d’Abel Gance. Il abandonne la poésie pour se consacrer au roman et publie notamment L’Or (1925), Moravagine (1926) et Les confessions de Dan Yack (1929), qui obtiennent un énorme succès. Il participe à la Seconde Guerre Mondiale en tant que correspondant de guerre du côté britannique. Peu de temps après, il se retire à Aix-en-Provence pour écrire une autobiographie très libre en quatre volumes intitulés L’homme foudroyé, La main coupée, Bourlinguer et Le Lotissement du ciel, un chef-d’œuvre synthétisant les expériences d’une vie aventureuse et hors du commun et ses recherches autour de la poésie.

BERGSON, Henri (1859-1941)

Ensemble inédit de sept lettres autographes signées à Felix Sartiaux
Paris, entre 1916 et 1928, 19 pages 1/2 in-8

Extraordinaire ensemble inédit de sept lettres de Bergson dans lesquelles il est notamment question de Kant, du mysticisme et de la subsistance de la pensée après la désagrégation du corps


Lettre autographe signée « H. Bergson » [à Felix Sartiaux]
Paris, 31 rue d’Erlanger, le 27 janvier 1916,
6 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliure centrale.

« Monsieur,
La lettre que vous m’adressez du front me touche vivement. J’aurais voulu y répondre en détail, mais je suis surchargé de besogne et c’est à peine si je puis, aujourd’hui, disposer de quelques instants. Je tiens pourtant à vous dire que les idées que vous exprimez concordent entièrement, dans leurs grandes lignes, avec les miennes. La survivance de la personnalité humaine n’est pas mathématiquement démontrable, sans doute, mais elle me parait hautement probable. Je crois même avoir apporté un commencement de preuve expérimentale, en établissant que les diverses fonctions de la pensée, et en particulier la mémoire, sont loin de dépendre du cerveau autant qu’on l’a cru jusqu’à présent (voir « matière et mémoire », chap. II et III). Par une étude attentive des maladies de la mémoire, en particulier des aphasies, j’ai été conduit à la conclusion que le cerveau est un organe de réalisation ; il permet à la pensée de s’insérer dans la vie ; mais c’est tout ; et la pensée proprement dite, avec la mémoire, n’est ne doit pas être plus liée au sort du cerveau que le couteau n’est lié au sort de sa pointe, (car le cerveau est correspond bien à la pointe extrême de la vie mentale). C’est dire qu’après la désagrégation du corps la pensée subsiste très probablement, avec la mémoire, et par conséquent avec le sentiment de la personnalité. En tout cas, c’est à celui qui nie la survivance, bien plutôt qu’à celui qui l’affirme, que devrait incomber, en droit strict, l’obligation de la preuve. J’ai résumé mes vues à ce sujet dans une conférence qui forme le premier chapitre d’un livre « Le matérialisme actuel », dû à la collaboration de divers auteurs. Je vous adresserai ce volume dans un ou deux jours. Si je n’ai pas insisté d’avantage, dans mes livres, sur cette question et sur d’autres qui y touchent, c’est parce que mon but principal, depuis que j’ai commencé à philosopher, a été de transporter la métaphysique sur le terrain de l’expérience et d’en faire une recherche positive, susceptible de progrès, alors qu’elle avait été trop souvent une espèce de tournoi dialectique entre philosophes ; un jeu, qu’est perpétuellement à recommencer. J’ai donc laissé de côté les raisonnements sur lesquels on se fonde pour prouver la survivance, raisonnements auxquels on en opposerait d’autres qui pourraient, à la rigueur, prouver le contraire. En revanche, j’ai serré de près les faits. Et ces faits m’ont paru révéler une telle indépendance de l’esprit par rapport au corps que la survivance apparait, encore une fois, comme une conséquence très probable, sinon rigoureusement certaine. Beaucoup, d’ailleurs, arrivent à la certitude absolue en combinant mes conclusions avec des considérations morales, comme celles que vous me présentez. Si j’ai laissé de côté ces considérations, c’est que j’entends placer la philosophie sur un terrain aussi indiscutable que celui de la science positive. Sur ce terrain nous pourrons d’ailleurs avancer de plus en plus, et convertir finalement en certitude objective ce qui n’est encore, objectivement, qu’une haute probabilité. Laissez-moi profiter de cette occasion, Monsieur, pour vous féliciter d’être où vous êtes. Grande est mon admiration pour tous ceux qui défendent le sol de la patrie : leur héroïsme et leur ténacité sont sans précédent dans l’histoire. Mais à ceux d’entre eux qui se sont engagés volontairement, alors que leur âge leur permettait de rester chez eux, nous devons une reconnaissance particulière. Croyez, je vous prie, à toute ma sympathie. H. Bergson »


Dans Matière et mémoire (1896), Bergson soutient une conception dualiste de l’être : l’esprit existe par lui-même et n’est pas un produit de l’activité biologique du cerveau. Selon lui, le cerveau est l’outil qui permet à l’esprit de connaître le monde physique, ainsi d’agir avec ce dernier. Les substances chimiques affectent donc l’outil, mais nullement l’esprit lui-même. Aujourd’hui, la théorie de la localisation considère certaines fonctions dont la mémoire, les souvenirs (que Bergson rattache à l’esprit) comme des attributs du corps localisés dans des zones du cerveau. La finalité de cette théorie implique un décryptage possible du contenu physique d’un cerveau en un langage compréhensible, c’est-à-dire la probable lecture des pensées et des sentiments.


Lettre autographe signée « H. Bergson » [à Felix Sartiaux]
S.l, le 6 déc[embre] 1916, 2 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque, petites taches

« Monsieur,
Je vous remercie de l’aimable envoi de cet intéressant ouvrage. Vous avez serré d’aussi près que possible les idées morales de Kant, et vous avez montré avec force ce qu’elles ont d’arbitraire. J’ai toujours dit, pour ma part, que la morale Kantienne (dans ce qu’elle a d’intelligible pour moi) était extraordinairement surfaite. Je dispose de si peu d’instants que je n’ai pas pu lire votre livre aussi attentivement que je l’aurais voulu.
J’y reviendrai. Mais dès maintenant je tiens à vous envoyer mes compliments, avec l’assurance de mes sentiments très distingués.
H. Bergson »


Bergson fait ici référence au dernier ouvrage de Félix Sartiaux, Morale kantienne et morale humaine. Les deux philosophes se rejoignent ainsi quant à leur jugement sur la morale kantienne.
La morale kantienne fait référence à une théorie déontologique éthique développée par le philosophe allemand Emmanuel Kant, comme son nom l’indique. Cette morale est fondée sur le principe qu’« Il est impossible de penser à quoi que ce soit dans le monde, ou même au-delà, qui pourrait être considéré comme bon sans limitation sauf une bonne volonté. »


Lettre autographe signée « H. Bergson » à Samuel Griolet
Paris, 31 rue d’Erlanger, 11 déc[embre] 1916, 3 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque, petites taches

« Cher Monsieur Griolet,
Surchargé de travail, je n’ai pu lire l’ouvrage de M. Felix Sartiaux que bien superficiellement ; mais cette première lecture a suffi à m’en montrer l’intérêt et l’importance. Je le présenterai bien volontiers à l’Institut : Il faudra, pour cela, que l’auteur m’envoie directement l’exemplaire sur lequel il aura inscrit la formule réglementaire « offert à l’Académie des Sciences morales », j’apporterai le volume en séance avec un petit rapport très court, dont je donnerai lecture et qui sera imprimé dans nos comptes rendus. Mais pour rédiger ces quelques lignes, et surtout pour relire l’ouvrage, il me faudra du temps ; je crains que ce ne me soit pas possible tout de suite.
Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments les plus dévoues.
H. Bergson
P.S. En relisant votre aimable lettre, je vois que vous m’annonciez la visite de M. Félix Sartiaux. Je le recevrai avec grand plaisir. Je puis presque toujours me trouver chez moi à deux heures, dans la première moitié de la semaine, si je suis prévenu deux ou trois jours auparavant »


Le lendemain Bergson, livre un discours lors de la séance publique annuelle de l’Académie des sciences morales et politiques.


Lettre autographe (minute)
S.l [Paris], le 12 dec[embre] 1916, 2 pages 1⁄2 in-8
Traces de pliures, nombreuses corrections et biffures

« Monsieur,
Je suis très heureux et très honoré de l’aimable lettre que vous avez bien voulu m’adresser et vous en exprime tous mes vifs remerciements.
Permettez-moi de profiter de cette occasion pour vous dire toute ma reconnaissance de l’influence que vous avez exercé sur mon esprit ma pensée. C’est dans votre philosophie que mon esprit s’est ouvert, qu’il s’est épanoui il y a quelques 24 ans, lorsque j’avais 16 à 17 ans. Ce fût un véritable enthousiasme juvénile, puis une longue intimité d’esprit avec vos ouvrages […] Mais, dans une attente plus intellectuelle la votre en philosophie, j’ai conservé les traces profondes dans la formation première tendance […] Votre œuvre si parfaite des données immédiates [de la conscience] et l’évolution créatrice […] »


Lettre autographe signée « H. Bergson » [à Felix Sartiaux]
Paris, le 6 oct[obre] 1919, 1 page 1⁄2 in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque

« Cher Monsieur,
J’ai trouvé chez moi, en rentrant à Paris, votre très intéressant et très instructif exposé sur ‘L’Asie mineure grecque”, et je tiens à vous remercier de me l’avoir envoyé.
Je profite de l’occasion pour vous dire avec quel intérêt j’ai lu votre étude sur « Kant et la Révolution » :
J’étais pris, au moment où vous me l’avez adressé, dans de véritables tourbillons d’occupation.
Bien cordialement à vous
H. Bergson »


L’Asie Mineure grecque est un ouvrage de Felix Sartiaux publié par de Chaix en 1919.
Kant et la Révolution, qui traite plus largement de Kant et de la philosophie française du XVIIIe siècle, est un autre ouvrage de Félix Sartiaux publié également en 1919 par F. Fonfraid.


Lettre autographe signée « H. Bergson » à Felix Sartiaux
Paris, 32 rue Vital, le 4 juillet 1822, 2p 1⁄2 in-8 sur bifeuillet
Trace de pliure centrale

« Cher Monsieur,
J’ai lu avec grand intérêt –sans en accepter toutes les idées- l’article que vous avez bien voulu m’adresser, et j’aurai grand plaisir à en causer avec vous. Je n’ai pas besoin de vous dire que je serai très heureux et honoré de faire connaissance de Madame Sartiaux. Voulez-vous venir lundi prochain à cinq heures et demie ?
Si ce jour ne vous convenait pas, à vous et à Madame Sartiaux, je vous en proposerais un autre, vers la même heure ; mais il m’est difficile d’indiquer dès à présent un autre jour de la semaine prochaine où je sois sûr de me trouver libre. –
Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments tout dévoués.
H. Bergson »


Lettre autographe signée « H. Bergson »
Paris, le 16 décembre 1928, 2 pages in-8
Traces de pliure centrale. Lettre imprimée avec complément autographe

Monsieur Bergson regrette que son état de sa santé ne lui permette décidément pas de répondre, comme il a espéré pouvoir le faire, aux lettres de félicitations qu’il a reçues. Profondément touché, il présente ses excuses et envoie ses plus vifs remerciements.
Paris, le 16 décembre 1928
« Mais je veux vous dire très spécialement, cher Monsieur, le plaisir que votre lettre m’a fait. Je garde un bien vivant souvenir des entretiens que nous avons eus ensemble, et je souhaite que nous puissions les reprendre bientôt. En ce moment, il m’est difficile d’indiquer par avance un jour et une heure ou je sois sûr de n’être pas pris soit par la maladie elle-même, soit par le traitement. Mais si vous le voulez bien, je vous ferai téléphoner dès que j’irai un peu mieux. Veuillez transmettre tous mes remerciements, avec mes respectueux hommages, à Madame Sartiaux, et croyez, je vous prie, à mes sentiments très dévoues.
H. Bergson »


En 1925 Henri Bergson développe un rhumatisme déformant, duquel il souffre jusqu’à la fin de ses jours. Vivant avec sa femme et sa fille dans une maison modeste située dans une rue calme près de la porte d’Auteuil à Paris (47, boulevard de Beauséjour), il reçoit le prix Nobel de littérature en 1927. À demi paralysé, il ne peut se rendre à Stockholm pour la cérémonie.

NICOLAS II, Nikolaï Aleksandrovitch Romanov (1868-1918)

Photographie originale par Vezenberg & Co. à S. Pétersbourg
Tirage albuminé d’époque (1896). Format carte de visite (8,7 x 5,2 cm)
Contrecollé sur carton fin au nom du photographe (10,4 x 6,4 cm). Liseré brun. Papier publicitaire de la papeterie de I. Boulatov au verso.
Infime déchirure en marge supérieure gauche de la photographie
Très bel état de conservation

Remarquable et émouvant portrait de la famille Romanov début 1896 – Le tsar Nicolas II y apparaît serein, le regard fixe, son épouse la tsarine Alexandra porte dans ses bras leur premier enfant Olga Nikolaïevna


Nikolaï Aleksandrovitch Romanov, dit le tsar Nicolas II, est un empereur de Russie de la dynastie Romanov. On le surnomme le « tsar de toutes les Russies ». Il gouverne de 1894 à son abdication en 1917. Alors que son empire connaît une rapide croissance économique et démographique, il ne réussit pas à gérer efficacement les mutations culturelles et socio-économiques ni les revendications politiques qui en découlent. L’engagement désastreux de la Russie dans la Première Guerre Mondiale aboutit en 1917 à la révolution de Février, qui met fin au régime impérial.

La princesse Alix de Hesse-Darmstadt (1872-1918), tsarine Alexandra Feodorovna Romanova, est l’épouse du tsar Nicolas II et dernière impératrice de Russie. Sa réputation d’encourager son époux à refuser d’abandonner l’autocratie et la confiance aveugle qu’elle place en Grigori Raspoutine endommage sérieusement sa popularité et celle de la monarchie dans les dernières années du régime.

Olga Nikolaïevna Romanova (1895-1918), grande-duchesse Olga Nikolaïevna de Russie, est la fille aînée du couple impérial. Elle est passionnée de lecture, jusqu’à recommander à sa propre mère de surveiller ses lectures.

Pendant la guerre civile russe, Nicolas II, son épouse, son fils, ses quatre filles, son domestique personnel, le médecin de la famille, la femme de chambre et le cuisinier sont assassinés par des bolcheviks dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.


Les photographies originales du tsar Nicolas II avec sa famille sont rares

PROUST, Jeanne WEIL (1849-1905)

[5 décembre 1904] Tirage argentique d’époque. Photographie ronde (159 mm de diamètre), contrecollée sur un papier au nom du photographe.
Infime tache en marge inférieure du carton, petit brunissure
Timbre humide de la collection [Suzy] Mante-Proust au verso

Célèbre portrait de Jeanne Weil Proust pris le 5 décembre 1904, moins d’un an avant sa mort


La traduction de La Bible d’Amiens de son fils paraît cette même année. Elle décédera de néphrite l’année suivante, le 26 septembre 1905.
Nadar a retouché son portrait, et fait disparaître les ombres et défauts qui vieillissent le visage.

Michel Schneider note que la mère du narrateur dans la Recherche est évidemment inspirée de celle de l’auteur lui-même. Jeanne Proust est en effet née Jeanne Weil en 1849 dans une famille juive de la bourgeoisie éclairée. On a beaucoup fait état de la complicité intellectuelle qui l’unissait à Marcel.
Du vivant de sa mère, Proust n’écrit que des choses légères et dans l’air du temps (Les Plaisirs et les Jours). Il ne rédige la Recherche qu’après le décès de sa mère, événement qui a en quelque sorte libéré sa création. Dans la longue autobiographie romancée, le chagrin qu’il en éprouve est reporté sur sa grand-mère. En effet, dans la Recherche, maman ne meurt pas. Notons qu’elle y est citée plus de cinq cents fois.


Provenance :
-Famille Proust
-Suzy Mante-Proust (fille unique de Robert Proust), par descendance
-Patricia Mante-Proust (petite fille de Suzy Mante-Proust), par descendance

PROUST, Adrien (1834-1903)

[20 novembre 1886] Tirage albuminé d’époque. Format cabinet (147 x 106 mm), contrecollée sur carton fort au nom du photographe.
Infimes petites taches, coin inférieur droit du carton fort légèrement corné.
Timbre humide de la collection [Suzy] Mante-Proust au verso

Célèbre portrait par Paul Nadar du docteur Adrien Proust qui avait alors 52 ans


Adrien Proust meurt le 26 novembre 1903. Marcel ne montre pas un immense chagrin et, plus encore, il n’est pas impossible qu’il ait été soulagé voire délivré de ne plus avoir à se justifier auprès de ce père, qui ne comprenait pas ses ambitions littéraires.

Le jour même de la mort d’Adrien Proust, Marcel écrit cependant à Robert de Montesquiou :

« Je bénis maintenant ces heures de maladie passées à la maison qui m’ont fait tant profiter de l’affection et de la compagnie de papa ces dernières années. Elles me semblent maintenant les années les plus heureuses, celles où j’ai été le plus près de lui »


Provenance :
-Famille Proust
-Suzy Mante-Proust (fille unique de Robert Proust), par descendance
-Patricia Mante-Proust (petite fille de Suzy Mante-Proust), par descendance

 

LOUIS XVIII, Louis-Stanislas-Xavier de France, (1755-1824)

Lettre autographe signée « Louis Stanislas Xavier » à François Charles de Raimond de Mormoiron, comte de Modène
Vérone, 22 septembre 1794, 3/4 p. in-12, adresse au dos avec cachet de cire rouge à ses armes de comte de Provence
Petit manque marginal dû à l’ouverture, sans atteinte au texte.

Quelques semaines après la chute de Robespierre, le futur Louis XVIII annonce une fausse rumeur sur la mort de Louis XVII, alors enfermé à la Tour du Temple


« J’ai reçu vos deux lettres presqu’à la fois, mon cher Modène, je serois fort aise de rendre service à M.M. le chevalier Du Plessis et de St-Pern [les officiers de vacalerie Jacques-Auguste Hays Du Plessis et Jean-Louis-Marie-Bertrand de Saint-Pern], mais je ne crois pas qu’on songe en ce moment à lever des corps de cavalerie. 
Pour ce qui vous regarde plus particulièrement, vous sçavez si je désire rien de plus que vous être utile, mais je pense absolument ce que d’Avaray [Antoine-Louis-François de Béziade d’Avaray, ami et proche serviteur du futur Louis XVIII qui le ferait duc] vous écrit à ma décharge, ainsi ce serait à vous à nous éclairer sur cela. 
La nouvelle de la mort du roi s’est heureusement trouvée fausse, Dieu nous garde et surtout moi que la rage des Jacobins, qui paroissent reprendre un peu le dessus en ce moment, la vérifie jamais !
Adieu, mon cher Modène, vous connoissez mon amitié pour vous.
Louis Stanislas Xavier »


Un prince inébranlable dans les avanies de l’exil
Le futur roi quitte la France de son propre chef le 20 juin 1791 et parvient à Mons, en territoire autrichien, le jour de l’arrestation de son frère à Varennes. Ainsi débute une longue errance, qui occupe le tiers de sa vie. Bien que privé de ses droits en France, il se proclame régent le 28 janvier 1793, après l’exécution de son frère Louis XVI, puis roi le 24 juin 1795, après la mort de son neveu, Louis XVII, dont il est ici question. Son sort est cependant mal assuré, et il doit fréquemment changer d’asile, au gré des hasards et des expulsions : après Mons, il séjourne successivemet à Bruxelles, Coblence, Hamm, Vérone, Riegel, Blankenburg, Mitau, Varsovie, Blankenfeld, de nouveau Mitau, puis l’Angleterre à partir de 1807, d’abord à Godfiled Hall, puis à Hartwell House.

Le destin tragique du jeune Louis XVII
Louis-Charle sest emprisonné avec le reste de la famille royale à la Tour du Temple vérifier majuscules après la journée du 11 août 1792. Il est ensuite enlevé à sa mère par un arrêté du Comité de Salut Public vérifier majuscules du 1er juillet 1793 pour être mis sous la garde du cordonnier Antoine Simon, « l’instituteur » désigné, qui sait pourtant à peine écrire. Il est enfermé au deuxième étage, et le but est d’en faire un citoyen ordinaire et de lui faire oublier sa condition royale. Après le départ de Simon, en janvier 1794, Louis-Charles est secrètement reclus dans une chambre obscure, sans hygiène ni secours, pendant six mois, jusqu’au 28 juillet 1794. Sa nourriture lui est servie à travers un guichet et peu de personnes lui parlent ou lui rendent visite. Ces conditions de vie entraînent une rapide dégradation de son état de santé. Après la chute de Robespierre, les Comités de Salut Public et Sûreté Générale nomment Laurent, membre du comité révolutionnaire de la section du Temple. Le sort de Louis-Charles s’améliore relativement, mais il est rongé par la tuberculose. Il finit par mourir dans sa cellule, isolé de tous, le 8 juin 1795, à l’âge de dix ans.

Ami intime du futur Louis XVIII, François Charles de Raimond de Mormoiron, comte de Modène (1734-1799), issu d’une famille de très ancienne noblesse provençale, sert d’abord comme ambassadeur de France en Allemagne et en Suède, avant de devenir gentilhomme d’honneur de Monsieur, futur Louis XVIII. Pendant Révolution, ils quittent la France, mais Raimond de Mormoiron ne peut suivre son compagnon de fuite en raison d’une santé chancelante. Il se fixe alors à Bayreuth.

MALLARMÉ, Stéphane (1842-1898)

Carte autographe signée « Stéphane Mallarmé » à Aurélien-François Lugné-Poe
Paris, [11 février] 1895, 1 page 1/2 in-12

De son exquise calligraphie, Mallarmé accepte de conseiller Lugné-Poe sur la lecture d’une représentation théâtrale


« Mon cher ami
Vous vous en tireriez si bien seul 1 ; mais, puisque vous me donnez ce plaisir de vous entendre par avance, voulez-vous que ce soit, à la maison, un peu avant neuf heures du soir, par exemple lundi prochain le 19 2. Vous serez revenu de la Haye 3 et j’aurai juste fini quelque chose qui m’occupe ces jours-ci.
Toutes nos amitiés, votre main
Stéphane Mallarmé »


1- Lugné-Poe écrit avoir offert à Allys Arsel de dire « Le Corbeau » lors de sa matinée dédiée Poe (prévue le 25 février), et demandé à voir Mallarmé au préalable pour n’être « pas trop à côté » ;
2- Sic, pour lundi 18 ;
3- Où il allait jouer L’araignée de cristal de Rachilde, La Gardienne de Régnier et La Peur des coups de Courteline.

Le contenu même de cette carte prend sens grâce à la lettre de Lugné-Poe, à laquelle Mallarmé répond :

“Mon cher maître,
J’ai offert à ma camarade Arsel de dire le “Corbeau” à sa matinée sur Poe. — C’est une heureuse responsabilité q. je prends. — Je pars demain à La Haye, je serai de retour à Paris d’ici 4 jours. Auriez-vous dans la quinzaine quelques minutes pour que je ne sois pas trop à côté ? —
La matinée doit avoir lieu le 25. — Je fais cette chose parce qu’elle me plaît, le reste ne me regarde point. — Mon souvenir respectueux à Madame Mallarmé. —
Tout à vous, cher Maître,

A. F. Lugné-Poe”

Il faut comprendre que c’est Lugné-Poe qui s’offre à lire « Le Corbeau ». C’est pourquoi il souhaite demander des conseils à Mallarmé sur la bonne façon de lire.

Allys Arsel était une actrice qui illustrait par des lectures les causeries littéraires de Jean de Mitty à la Bodinière depuis le 15 décembre 1894. La séance consacrée à Mallarmé avait eu lieu le 10 janvier 1895, Cette séance (causerie et lectures) avait déplu à Mallarmé. Le 15 février, Lugné-Poe écrira à Mallarmé ne plus savoir si la matinée consacrée à Poe était toujours d’actualité, n’ayant plus de nouvelles d’Allys Arsel.

Le « quelque chose » qui occupe Mallarmé au moment-même de la rédaction de cette lettre est probablement la deuxième des Variations sur un sujet, intitulée « La Cour », qui devait paraître dans la Revue Blanche du 1er  mars 1895.

Lugné-Poe (1869-1940) est un acteur et directeur de théâtre français. Fondateur du théâtre de l’Œuvre, il est, avec André Antoine, l’artisan d’un renouveau du théâtre parisien à la fin du XIXe siècle.

.
COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Jean Cocteau » avec quatrain poétique, adressée à un critique
Maisons-Laffitte, [1910], 4 pp. in-12 carré, en-tête Place Sully – Maisons-Laffitte
Petites traces d’onglet sur la 4ème page, infimes décharges d’encre

Longue et précieuse lettre du jeune Jean Cocteau, avec quatrain, au sujet de ses recueils poétiques La Lampe d’Aladin et Le Prince frivole


« Cher monsieur et ami,
De tous les articles sur “Le Prince”, le vôtre seul m’intéressait vraiment – le voilà paru, il dit tout haut bien des choses que je pense “déjà” tout bas ! L’excessive jeunesse du volume me permet de vous crier en claquant l’index et le pouce : “Je ne recommencerai plus !”. Seulement, j’avais à tel point écrit chaque poème sans le moindre “tarabiscotage” d’imagination que je lui croyais une allure plus simple et plus sincère. Je le voulais petit. C’est en effet une grosse erreur que d’avoir mis une esquisse un peu large après la miniature liminaire :
          “On m’avait reproché jadis d’être trop triste
              Et d’être un vieux de 19 ans,
          Maintenant on m’en veut de rire à tous les vents
              Et l’on me trouve trop “artiste” !”
Cette gaudriole naturellement pas pour vous qui vous êtes montré si “merveilleux” pour mon humble “lampe”.
Je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance. Être discuté par vous prouve une valeur que je n’aurais jamais osé me reconnaître et cela me donne confiance. Aucune de vos lignes ne tombent dans les yeux d’un aveugle et je crois que si je mérite un jour vos louanges complètes, ce sera beaucoup grâce à l’article de ce matin.
Jean Cocteau »


Jean Cocteau est issu d’une riche famille parisienne, qui a soutenu sa carrière artistique. Certaines biographies suggèrent toutefois que sa fortune lui aurait permis de quitter le foyer familial dès son quinzième anniversaire. Il publie son premier recueil de poèmes à compte d’auteur en 1909, La Lampe d’Aladin, inspiré des Mille et Une Nuits. Il se fait alors connaître dans les cercles artistiques bohème, comme Le Prince Frivole. C’est d’ailleurs le titre de son second recueil de poèmes, paru en 1910.
Plus tard, sa rencontre avec Serge Diaghilev, qu’il veut étonner, marque la première crise dans son œuvre : il renie ses recueils de poèmes et se rapproche de l’avant-garde cubiste et futuriste.

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Lettre autographe signée « J.P Sartre »  au producteur de cinéma Georges Agiman
S.l, 17 octobre 1957, 1/2 page in-folio
Trace de pliure centrale d’époque, apostille “R” (pour « répondu ») au verso par le destinataire

Sartre réclame les droits étrangers dans le cadre de l’adaptation en film de La Putain respectueuse


« Cher monsieur Agiman, 
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir verser à la maison [d’édition] Borderie jusqu’à concurrence de 750 000 X toute somme qui me reviendra sur les droits étrangers de “La Putain Respectueuse” (film) ainsi que toute somme devant revenir aux éditions Nagel chez qui je suis créditeur de sommes encore impayées. Croyez, cher Monsieur, à mes sentiments les meilleurs. 
J.P Sartre »


La Putain respectueuse est une pièce de théâtre en un acte et deux tableaux de Jean-Paul Sartre publiée en 1947 aux éditions Nagel. La première représentation a lieu le 8 novembre 1948 au Théâtre Antoine. L’histoire est inspirée de celle des Scottsboro boys. Elle est adaptée au cinéma en 1952 par Charles Brabant et Marcello Pagliero.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à Pierre-Narcisse Guérin
S.l, 13 juillet 1832, 2 pages in-8 sur bifeuillet, adresse postale de la main de son secrétaire Hyacinthe Pilorge
Traces de pliures d’époque avec petites fentes, brunissures éparses

Sur un ton désabusé, Chateaubriand annonce sa longue retraite loin de la politique


« Madame Guérin a très bien fait, Monsieur, et je l’en remercie. La petite persécution que j’ai éprouvée était bien bête. Heureusement elle a été courte. Je vais comme vous, Monsieur, aller chercher, mais hors de France, une retraite où je n’entendrai plus parler de politique et où je ne recevrai ni ne lirai aucun journal. Il faut en finir et laisser le monde à ceux qui n’en sont pas aussi ennuyés et fatigués que moi.
Recevez, Monsieur, je vous prie, l’assurance de mon vieux dévouement et mes compliments les plus empressés.
Chateaubriand »


De plus en plus opposé aux partis conservateurs, lucide quant à l’avenir de la monarchie, Chateaubriand se retire des affaires après la Révolution de 1830, quittant même la Chambre des pairs. Il ne signale son existence politique plus que par des critiques acerbes contre le nouveau gouvernement et par des voyages auprès de la famille déchue.

Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833) est un peintre français du courant néoclassique, grand prix de Rome en 1797 pour La Mort de Caton d’Utique. On lui doit, entre autres, Le Retour de Marcus Sextus (1800) et Napoléon pardonnant aux révoltés du Caire (vers 1805). En 1810, il dirige un atelier que fréquentent notamment Géricault, Ary, Scheffer et Delacroix. Nommé membre de l’Académie des beaux-arts en 1815, il est appelé à la direction de la Villa Médicis, qu’il dirige jusqu’en 1829. Revenu à Paris pour quelque temps, il retourne à Rome avec son successeur à la direction de la Villa Médicis, Horace Vernet. L’appui de Chateaubriand lui vaut le titre de baron en 1829. Il est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1833, année de sa mort.

LAGERFELD, Karl (1933-2019)

Lettre autographe signée « Karl Lagerfeld » à Charles Hochstetter
S.l, [Estampille de réception datée du 7 juin 1985], 1 page in-folio sur papier monogrammé à ses initiales “KL”, grande enveloppe autographe jointe

Karl Lagerfeld émet des goûts stricts pour sa collection de meubles


« Cher Monsieur,
Je vous retourne ces photos avec mes remerciements mais je ne collectionne pas du tout ce genre de choses. Seulement du Louis XV – transition – Louis XVI.
Avec mes meilleurs sentiments
Karl Lagerfeld »


Véritable icône de la mode, Karl Lagerfeld révèle très jeune ses talents dans ce milieu. Après de nombreuses années à la direction artistique de la maison italienne Fendi, il prend celle de la maison Chanel dès 1983 pour ne plus la quitter jusqu’à sa mort, en 2019. Postmoderniste, il mélange les éléments du passé et de l’histoire des maisons qu’il dirige avec des références modernes.

FOUCAULT, Michel (1926-1984)

Lettre autographe signée « M Foucault » à Claude Bonnefoy
S.l, 14 décembre [1965], 1 page 1/4 in-4
Trace de pliure centrale, très légère marque jaune

Rare lettre de Michel Foucault, évoquant son admiration pour Saint Genet, comédien et martyr de Jean-Paul Sartre


« Cher Claude Bonnefoy
Merci de m’avoir envoyé votre Jean Genet. Je viens de le lire. Avec passion. Vous avez écrit un petit chef d’œuvre. C’était une gageure – me semble-t-il – de parler de Genet après Sartre (son Saint Genet est sans doute ce qu’il a fait de meilleur). J’ai bien l’impression que vous avez réussi le tour force. C’est de la grande et forte «analyse littéraire». Et bravo d’avoir publié ce texte parmi des «classiques» (même s’ils sont du XXe s.) et dans des Éditions universitaires. Tout ça, c’est un plaisir pour l’esprit (et pour la conscience). Merci du bon moment que j’ai pris à vous lire. Et croyez-moi je vous suis très fidèlement vôtre.
M Foucault »


Michel Foucault fait ici référence à l’essai de sept cents pages de Jean-Paul Sartre, portrait fasciné intitulé Saint Genet, comédien et martyr, chez Gallimard. Cet ouvrage, dont la première édition date de 1952, constitue une magistrale introduction aux Œuvres complètes de Jean Genet.

Claude Bonnefoy (1929-1979), critique littéraire français et directeur de publication, avait publié en 1965 un essai sur Jean Genet aux Éditions Universitaires.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Poème imprimé avec corrections autographes, intitulé « À Horatio »
Coupure du journal Le Hanneton du 8 août 1867. 63 x 80 mm montée sur un feuillet de format 193 x 152 mm.
Quelques rousseurs

Épreuve corrigée de la main de Verlaine d’un poème issu de son recueil Jadis et Naguère


Poème publié d’abord le 8 août 1867 dans le périodique Le Hanneton, dirigé par le poète et futur communard Eugène Vermersch, puis, avec variante ici absente, dans La Nouvelle rive gauche, le 5 janvier 1883.

Il n’est ajouté à Jadis et Naguère qu’en 1884

4 corrections autographes non transposées dans la version définitive imprimée :
au vers 4, dans « Et de cette gaîté banale », Paul Verlaine a corrigé « banale » en « trop bête » ;
au vers 8, dans « Cher diseur de jurons », il a corrigé « diseur » en « cracheur »,
et au vers 19, dans « sur mon honneur », il a corrigé « mon » en « notre ».

La dernière correction est de type orthographique : au vers 3, Verlaine biffe « des pipes aux chapeaux » et inscrit « des pipes-aux-chapeaux ».
L’expression « avoir la pipe au chapeau » se réfère à l’insouciance et le peu de richesse des marins, des marginaux.

COMMUNE DE PARIS 1871 – VALECKE, Jules Queval, dit Jules

2 vues stéréoscopiques de Paris pendant la Commune, en 1871
Photographies originales, tirages 7,7 x 7,4 cm.

Montages sur bristols imprimés avec titre de série « Insurrection de Paris »

Étiquettes imprimées de légende particulière au verso : « Barricade de la place Vendôme », « Barricade de la rue St-Florentin »

 

MALRAUX, André (1901-1976)

Lettre autographe signée « André Malraux » à un Monsieur
S.l, le 8 oct[obre 1942], 1 page 1/2 in-8
Trace de pliure centrale

André Malraux évoque la publication de son ultime roman : Les Noyers de l’Altenburg


« Monsieur – Je v[ous]s suis reconnaissant de votre proposition, qui m’est parvenue assez tard : J’étais en voyage, et votre lettre m’a suivi. Mais Monsieur Blanc [aux éditions du Haut-Pays à Lausanne] est propriétaire de mon texte pour la Suisse, et m’en annonce la publication prochaine.
Je suis heureux que votre lettre me donne votre adresse, et me permette de v[ou]s remercier des beaux livres que v[ous]s avez bien voulu m’envoyer : ils sont parmi les premiers de l’édition contemporaine en typographie parue. Et notre ami [Pierre Jean] Jouve v[ou]s aura dit, peut-être, que je ne suis pas tout à fait ignorant d[an]s ce domaine.
Veuillez me croire, Monsieur, bien sympathiquement à vous
André Malraux
Mon adresse n’est pas : Roquebrune, Var (d’où retard dans la transmission de votre lettre), mais Roquebrune-Cap-Martin, Alpes Maritimes… »


En janvier 1941, Malraux s’installe avec Josette Clotis à Roquebrune-Cap-Martin, villa La Souco, où il séjourne jusqu’à l’automne 1942. C’est à cette époque qu’il reprend contact avec des écrivains installés sur la Côte d’Azur, comme André Gide ou Roger Martin de Gard.

Malraux fait ici référence à son dernier roman, La Lutte avec l’ange, première partie. L’ouvrage paraît dans un premier temps aux Éditions du Haut-Pays à Lausanne (la Gestapo aurait brûlé la suite du manuscrit) et, dans un second temps, édité chez Gallimard en 1948 sous un nouveau titre : Les Noyers de l’Altenburg.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel » à Louis d’Albufera
S.l, c. 21 décembre 1904, 2 pages in-8, liseré de deuil
Apostille autographe du destinataire « rép[ondu] »
Traces de pliures, infime déchirures aux extrémités en marge centrale

« Le triste gêneur que je suis… »


“Mon cher Louis, bien que je n’aie pas reçu de réponse de toi (ce qui signifiait que je ne devais pas sortir), j’ai tout de même réfléchi, conclu que tu devais le préférer. Et j’ai fait téléphoner. La réponse a été : Partie pour dîner en ville, on ne sait pas où. J’ai pensé que c’était une manière d’éviter le triste gêneur que je suis. Et j’ai renoncé à sortir et à m’habiller. Maintenant, je me dis que c’est peut-être un peu trop pessimiste de ma part d’avoir conclu cela et j’envoie un mot pour demander la visite chez moi. Je ne sais quelle sera la réponse. a toi.
Marcel”


Confident des années créatrices de Marcel Proust, Louis Suchet d’Albufera descend du maréchal d’Empire par son père et de Lucien Bonaparte par sa mère, membre de la famille Cambacérès. Marquis puis duc (1925) d’Albufera, il épouse en octobre 1904 une Masséna alliée aux Ney et aux Murat. Marcel Proust semble l’avoir rencontré en 1903, par l’intermédiaire de Bertrand de Fénelon ou d’Antoine Bibesco. Ils nouent alors une amitié sincère de plus de quinze ans, que le caractère complexe de l’écrivain n’altère pas. Si Marcel Proust lui fait parfois peu charitablement sentir sa supériorité intellectuelle, il lui reconnaît des qualités de cœur et se montre avec lui d’une grande gentillesse – malgré quelques injustes éclats. Louis d’Albufera est ainsi longtemps son ami le plus proche après Reynaldo Hahn ; ils partagent joies comme peines des plus intimes. Marcel Proust a même vent du secret de la relation du marquis avec une jeune femme du demi-monde, Louisa de Mornand.

ARTAUD, Antonin (1896-1948)

Lettre autographe signée « Antonin Artaud » à sa sœur Marie-Ange Malausséna
Espalion, le 11 avril 1946, 4 pages in-8°
Infimes taches

Provenant de la succession Marie-Ange Artaud

Lettre paranoïaque du poète, reflétant sa profonde addiction aux drogues
Artaud termine sa lettre en évoquant son soutien par les plus grands artistes de l’époque, dont Picasso, Braque et Giacometti


« Ma chère Marie Ange, ne vous étonnez pas de ce que je vous ai demandé : Je vous répète que j’ai subi à Saint[e] Anne en mars 1938 dans le service du docteur Nodet un empoisonnement à l’acide prussique qui m’a laissé une terrible suffocation pulmonaire et cardiaque et quelque chose comme une carie des tissus. Cela explique mes étouffements, rhumatismes et points de côté, ensuite je n’y vois presque plus et j’ai été obligé de me faire lire votre dernière lettre par quelqu’un. 
Le remède eut été de l’héroïne à hautes doses. L’héroïne à hautes doses ne provoque pas de toxicomanies quand elle est de bonne qualité. J’ai étudié tout cela et je sais sur toutes ces choses par expérience des choses que les médecins moisis dans leur conformisme ne savent pas. Mais c’est un remède qu’on ne peut avoir sans violer les lois. En attendant donc les temps de l’apocalypse où le monde sera renversé je vous ai demandé ces comprimés contenant de la codéine. Le sirop Famel en contient mais en doses infinitésimales, les comprimés aussi. 
J’ai trouvé une spécialité qui en contient plus, 1 centigr[amme] par comprimé mais il y a avec du bromoforme qui ne me réussit pas parce qu’il engourdit le cerveau en desséchant le corps typhoïde.
J’ai donc demandé à George s’il ne pourrait pas me trouver un certain nombre de comprimés de codéine. Une centaine c’est un remède qui agit un peu comme l’héroïne mais moins fort, et qui jusqu’à présent n’entre pas sous le coup d’une interdiction réglementaire. J’ai d’ailleurs expliqué tout cela à votre mère dans une lettre, demandez-lui de vous en parler…
Si George ne trouve rien envoyez-moi tout de même 5 tubes de Codoforme je vous enverrai un mandat. Car j’ai trouvé de l’argent, plusieurs peintres de Paris, Picasso, Braque, Giacometti, Gruber, veulent faire une vente aux enchères pour me procurer 5 ou 600 mille francs.
A vous, Antonin Artaud.
[Il rajoute]
Les comprimés ni le sirop ne me sont encore parvenus »


Antonin Artaud arrive à Rodez en 1943 sous le contrôle du docteur Ferdière, médecin chef de l’hôpital psychiatrique Parraire, alors connu sous le nom d’« Asile départemental d’aliénés ». En proie à des délires et hallucinations, le poète y est interné pendant plusieurs années et continuera d’y subir des électrochocs malgré ses nombreux refus à cette thérapie ravageuse. Sous l’emprise permanente de drogues et, quand il n’y a pas accès, de médicaments à hautes doses, il ne cessera de demander à sa sœur et son beau-frère Georges de lui en procurer.

Artaud a indiqué le 11 avril. Or, la lettre ayant été envoyée d’Espalion, il a dû se tromper en inscrivant le quantième ; elle a dû être écrite le 10 avril. En effet, les difficultés administratives s’étant multipliées en vue de sa sortie définitive, le 10 avril, à la fin de l’après-midi, le docteur Ferdière envoya à Espalion la voiture de l’hôpital psychiatrique avec deux infirmiers chargés de ramener immédiatement Antonin Artaud à Rodez. Il fait part de son retour brusqué à Colette Thomas dans une lettre datée du 10 avril, qui fut insérée dans Suppôts et Supplications

Il y fait référence en début de lettre au docteur Nodet de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne ; celui-ci dira d’Artaud en 1938 :
“Mégalomanie syncrétique : part en Irlande avec la canne de Confucius et la canne de St Patrick. Mémoire parfois rebelle. Toxicomanie depuis 5 ans (héroïne, cocaïne, laudanum). Prétentions littéraires peut-être justifiées dans la limite où le délire peut servir d’inspiration. À maintenir.”

Artaud écrit bien « votre mère » en fin de lettre : il ne s’agit pas d’un lapsus. En même temps qu’il avait rejeté toute religion, il avait rejeté l’idée même de famille et ne se reconnaissait ni mère, ni sœur, ni frère, ni quel que lien de parenté que ce soit. De là aussi l’abandon du tutoiement. Grâce à la mobilisation de ses amis, notamment de Marthe Robert et Arthur Adamov, Artaud parvient à quitter Rodez et s’installe à la maison de santé d’Ivry, alors dirigée par le Dr Achille Delmas. Il peut alors y jouir de toute sa liberté.

Une vente aux enchères est bien organisée à son profit durant l’année 46 grâce au Comité de soutien des amis d’Antonin Artaud, présidé par Jean Paulhan, et dont Jean Dubuffet est secrétaire. Ce comité regroupe Arthur Adamov, Balthus, Jean-Louis Barrault, André Gide, Pierre Loeb, Pablo Picasso et Henri Thomas.

ARTAUD, Antonin (1896-1948)

Lettre autographe signée « Antonin Artaud » à sa sœur Marie Ange Malausséna
Espalion, le 7 avril 1946, 2 pages in-8 à l’encre
Déchirure réparée au scotch et décharges d’encre (par Antonin Artaud lui-même), pliure et légères froissures.

Rongé par sa toxicomanie, le poète réclame des médicaments à sa sœur Marie-Ange


« Ma chère Marie-Ange excusez ce papier mais aujourd’hui c’est dimanche et tous les magasins sont fermés.
Je me suis trompé au sujet des comprimés que je vous ai demandés. Ce ne sont pas des comprimés Famel mais des comprimés Codoforme de Bottu. J’en avais trouvé ici un tube et cela m’avait admirablement calmé un point dans le dos. 
Mais il n’y en a plus.
Vous me rendriez un grand service en m’en envoyant 4 ou 5 tubes. Si les pharmacies n’en ont pas vous en trouverez chez le fabricant
Codoforme de Bottu
114, 117 rue notre dame des champs.
Pardon de ce dérangement et merci à vous »


Antonin Artaud arrive à Rodez en 1943 sous le contrôle du docteur Ferdière, médecin chef de l’hôpital psychiatrique Parraire, alors connu sous le nom d’ « Asile départemental d’aliénés ». En proie à des délires et hallucinations, Artaud y est interné pendant plusieurs années et continuera d’y subir des électrochocs malgré ses nombreux refus à cette thérapie ravageuse. Sous l’emprise permanente de drogues et, quand il n’y a pas accès, de médicaments à hautes doses, il ne cessera de demander à sa sœur et son beau-frère George de lui en procurer.
Cette lettre est écrite un mois avant son retour à Paris. En effet, après maintes suppliques du poète, Marthe Robert et Arthur Adamov, très choqués par l’environnement d’Artaud dans cet asile, considèrent qu’il est nécessaire et urgent qu’il revienne dans la capitale. Ce n’est qu’au terme de nombreuses négociations avec l’hôpital qu’ils obtiendront gain de cause. Il écrit deux jours plus tard – le 9 avril – à sa sœur s’excusant du « papier déchiré et taché » de cette lettre en expliquant qu’il lui fallait ses médicaments en hâte.
Le Codoforme Bottu (codéine, brométénamine, terpine, benzoate de sodium) est un antitussif dérivé de la morphine. La codéine qu’il contient potentialise les effets des psychotropes. Ce médicament, alors en vente libre, provoque endormissement voire une perte de conscience si ingurgité à haute dose.

BOUSQUET, Joë (1897-1950)

Correspondance de 6 lettres autographes signées, adressées à la revue Variétés.
Carcassonne, 1946-1947, 21 pages in-8
Traces de pliures, quelques petits défauts mineurs, piqures d’épingles et traces de trombone

Remarquable ensemble évoquant notamment plusieurs de ses textes : « Les Trois miroirs » (sur la couleur, parue en 1946 dans le n°3 de la revue Variété), « La rainette du noir » (sur la peinture de Jean Dubuffet, paru dans Le fruit de l’ombre est la saveur en 1947), et un essai sur la sexualité pour un projet de numéro spécial de Variétés


Carcassonne, le 4 mars 1946

« L’avenir seul pourrait donner du prix du lien que je veux voir entre la couleur et sa réalité cosmique »

« Messieurs
Je tiens pour incorrecte la liberté que je prends, en un âge mûr, de proposer un texte à une grande revue qui ne m’a pas fait signe et, probablement, ne me connait pas.
Le contenu de l’écrit que je vous expédie par le même courrier ci-joint me justifiera, au moins à mes propres yeux ; non que sa qualité littéraire autorise plus d’assurance, mais parce qu’il implique un sentiment très particulier des réalités plastiques et m’ouvre des perspectives que je voudrais situer aussitôt.
Moquez-vous de moi si j’ai fait surestimé l’aspect sensible de mes premiers aperçus. Evidemment, l’avenir seul pourrait donner du prix du lien que je veux voir entre la couleur et sa réalité cosmique. Mais ce que je sais de vous tous m’autorise à vous croire plus attentif à un élément brut de création poétique qu’à la trouble et trompeuse leçon d’une réflexion critique m’en ferait retirer.
Au tryptique d’impressions que je coiffe du titre : Les trois miroirs, je pourrais – il est vrai – ajouter des vues plus élargies et qui, sans tomber dans le commentaire, composeraient un ensemble plus éloquent.
Mais ces « textes d’appui » ne m’ont pas paru nécessaires et, de toutes façons, ne vous auraient pas imposé mon écrit si, sur ce que je vous en livre, il devait vous paraître inopportun.
Le premier et le troisième texte fixent deux regards posés sur une reproduction en couleurs de Walter Pater : L’un, à la lumière du soleil, l’autre, par hasard, à travers l’ombre et dans le jaune rayonnement d’une lampe à pétrole. De façon très inattendue, un fait réel m’a imposé un sentiment semblable de la couleur vivante et « habitée ». J’ai cru devoir l’insérer entre les deux autres versions, fixer ainsi la forme la plus directe d’une intuition créatrice que l’attrait littéraire de la narration dénaturera dans le livre.
Excusez-moi de vous avoir intéressé de force à ce petit problème. S’il ne vous captive pas, je sais hélas, qu’il n’intéressera pas personne ? Oubliez ce qu’il entre d’impertinent dans mon procédé : je ne vous demande que la faveur d’être traité comme un débutant. Bien sincèrement à vous.
Joe Bousquet »


Carcassonne, le 3 mai 1946

« Il m’importe de savoir si vous comptez publier ce texte »

« Mademoiselle,
Je me suis permis de vous proposer, il y a quelques temps, des pages qui m’auraient paru à leur place dans la revue Variété. Vous n’avez pas tardé à me répondre que Mademoiselle [Marie-Aimée] Dopagne m’écrierait elle-même.
Il m’importe de savoir si vous comptez publier ce texte ; vous me rendriez service en me le retournant s’il ne vous convenait pas. Vous pouvez me dire en toute liberté que le texte ou le nom de l’auteur ne vous satisfait pas. Dans le premier cas, je pourrais même remplacer ces pages par un poème très récent ; et dans le deuxième cas rester à ma place d’abonné, en toute admiration pour une revue si bien composée.
Recevez l’assurance de ma sympathie.
Joe Bousquet
P.S. Je n’ai publié de poèmes en librairie qu’en tirage de luxe aux éditions du raisin. Les poèmes que je pourrais vous proposer paraîtront chez Gallimard, dans la collection Métamorphoses. » 


Carcassonne, le 10 novembre 1946

« Si vous avez à reproduire en couleurs un Dubuffet, qu’il vous plaît d’examiner mon texte, sachez me le dire, je vous prie, assez à l’avance »

“Madame,
Confus de vous avoir harcelé. Mais je vous aurais pressé davantage si j’avais pu me représenter la très belle apparence de ce fascicule. Mes compliments.
Il manquait à la coupure de l’argus l’eau-forte d’Adam. Je ne sais si je dois plus admirer les dons de l’artiste ou son entrée dans ma pensée. Comment a-t-il compris que je pensais à Dubuffet, et sous-entendu une admiration unique pour le peintre capable de découvrir le taux intime de la couleur et de fixer son timbre et son ascendance géologique ?
J’admire davantage encore l’allusion élégante et puissamment libre à mon peintre – Félicitez, je vous prie, cet artiste de ma part. Il paraîtra cet hiver, préface, plaquette, articles, des textes de moi susceptibles d’introduire une intuition particulière du jour et de la nuit – et d’annoncer une définition de la couleur un peu suggérée dans les Trois miroirs. Ce sera le moment de faire connaitre quelques pages très courtes qui servent de corollaires plastiques à mon intuition. Ces pages sont une interprétation de la peinture de Dubuffet à travers les lois d’un monde à deux principes : Elles supposent une nuit active et non suspendue au jour, posent sur des plans nouveaux la question de la forme ; (et voient la main de Jean Dubuffet comme la Rainette du noir). Si vous avez à reproduire en couleurs un Dubuffet, qu’il vous plaît d’examiner mon texte, sachez me le dire, je vous prie, assez à l’avance. Ces pages ne sont pas au point, et auront, de toutes façons, cet air de suffisance ignorante qui distingue les vues trop neuves. Je n’en disposerai pas avant la fin de l’année. Vous avez le temps de vous consulter sur la question de principe. – Autre cas, très différent : Je viens de confier à un agrégé des lettres la traduction d’un grand poème latin découvert par hasard dans une édition hollandaise du XVIIIe siècle. Il s’agit d’une thérapeutique mêlée de recettes pour la beauté du corps et contre l’impuissance. Il s’en dégage un très étonnant sentiment des ressources vitales de la nature et de l’homme : Exploitation de l’horreur, notion singulière des éléments. J’ai mis en français quelques articles isolables et pense à les publier en revue, sous la signature de mon jeune camarade Michel Brol au lycée, à Carcassonne. Je les vois dans une revue d’art et vous les propose avant de frapper ailleurs. Il y a une préface à écrire. Michel pourrait l’écrire, ou tout autre à qui nous fournirons les éléments. J’ai déjà, en français : Le texte sur l’impuissance et les maladies vénériennes. Sur le mal caduc – ou mal des comices, ce mal se communiquant aux élections qu’il fait annuler, d’accès dans la salle du vote « nul ne peut voter s’il voit son semblable foudroyé sans foudre » Recettes pour rende les cheveux blancs – et pour obtenir des enfants des yeux noirs à l’enfant qui va naître. (Alimenter la maman de pattes de souris).
Pour la tenue des seins (Couronnes de lierre à brûler après voisinage). Je ne sais pas du tout si l’idée de publier dans Variété des extraits de Samoniens [Quintus Serenus Sammonicus] (c’est son nom) ne va pas vous paraître absurde – je ne sais pas davantage sous quelle forme les éditeurs que par la suite je pressentirai envisageront la publication. Je vois ce texte illustré par un caricaturiste. J’y vois une préface insistant sur le choix de la forme, non pas seulement en raison des ressources mémo-techniques du vers, mais par cette raison à suggérer et prouver devant toute la poésie que le poème est surtout un « arrangement merveilleux de spirale », un texte ou l’on ne peut changer un mot. Donc, langage utilisé sous un aspect scientifique, par une séance en formation. Mais tout ceci est à débattre. Excusez-moi de vous avoir si longtemps ennuyée. Merci encore de m’avoir si bien placé dans la revue. Sincèrement votre. Joe Bousquet.
[Il rajoute]
Pour l’éditeur d’art à pourvoir du texte entier je suis à peu près fixé et suis presque sûr de convaincre. C’est pour la publication avant contrat des articles significatifs que je vous sollicite.”


Carcassonne, le 21 novembre 1946

« Je vous enverrai dans peu de jours les textes de Samoniens »

“Chers Camarades,
Je vous enverrai dans peu de jours les textes de Samoniens [Quintus Serenus Sammonicus] bons à prendre place dans le fascicule de Variété consacré à l’amour. J’y ajouterai les pages sur les poisons, sur l’accouchement. Vous éliminerez le superflu.
Voulez-vous, je vous prie, me faire savoir,
1°) S’il faut vous envoyer aussi les fragments correspondants du texte latin.
2°) Puis-je vous demander, pour mon camarade Michel, auteur de la traduction, le tarif appliqué pour la revue Variété.
3°) Je vous donnerai l’adresse de Michel – à qui vous réglerez directement – après publication – le prix correspondant aux pages traduites. La préface, dont je me charge, serait réglée à part.
Ceci n’est pas conditionnel. Nous acceptons, dans tous les cas ; la publication de ces pages de Samoniens. Elles sont excellentes.
Monsieur Michel, sur mon conseil, vous proposera en même temps – en traduction – de très singuliers poèmes érotiques de troubadours provençaux. Tout cela vous sera expédié dès le commencement de la semaine prochaine. Bien à vous
Joe Bousquet
PS : Samoniens n’est pas « un ouvrage latin moderne ». C’est un authentique médecin latin, très inconnu et dont je n’ai trouvé la thérapeutique que dans la vielle édition hollandaise. Les soins de beauté et les remèdes n’en sont que plus curieux.”


Carcassonne, le 6 janvier 1947

 « Mes allusions d’érudition sont authentiques. Je n’ai pas précisé la plus libertine. Il s’agit d’une maéchiologie »

“Cher Monsieur
Ne vous inquiétez pas. Je mettrai à la poste, demain, sous deux plis différents, les textes traduits par Michel et mon texte – préface. Je vous envoie les manuscrits pour éviter un nouveau retard. Ils sont lisibles. Vous verrez que j’ai dû corriger la traduction en plus d’un endroit. J’y fais joindre des textes à-côté, facultatifs par conséquent. Vous éliminerez ce qui sera de trop.
La préface vous paraîtra peut-être un peu longue. Vous couperez si vous la trouvez trop étendue. Je me suis attaché à expliquer le disparate apparent des textes, mais surtout à justifier les recherches sur l’amour, à suggérer une nouvelle mythologie de l’amour. Mes allusions d’érudition sont authentiques. Je n’ai pas précisé la plus libertine. Il s’agit d’une maéchiologie. Traité des pêchés – ou un savant casuiste explique en latin qu’éveillé au seuil d’une pollution nocturne, il fallait éviter le flux, et il donne la recette. (Utilisable à des fins profanes).
Je n’ai plus le texte, pourrais peut-être le trouver. Je crois que l’allusion suffit. Incompréhensible au public en latin, le texte du curé, en français, est infect. Il s’agit d’appliquer l’index entre l’anus et la racine de la verge.
(Il ne s’agit toujours que de ma préface). Le secret de Ninon de Lenclos, que je divulgue, je l’ai trouvé dans un livre d’Edouard Fournier – érudit du siècle dernier.
Enfin, vous allez recevoir tout cela – Mademoiselle Dopagne ne nous a pas écrit. Je suis bien sincèrement à vous.
Joe Bousquet”


Carcassonne, le 9 janvier 1947

« Comment n’avez-vous pas pensé à demander à Hans Bellmer des dessins, non pas érotiques, mais ressortant à la dynamique amoureuse » 

Chers camarades,
Après réflexion, j’adopte une disposition possible sur l’ensemble, et vous la soumets, en un seul envoi, sans émettre de préférence.
Ma préface, ainsi rédigée, permet qu’on y encarte le seul poème de la comtesse de Die [Beatriz de Dia] que j’ai obtenu de Louis Michel. Elle ouvre naturellement sur les extraits de [Quintus Serenus] Sammonicus. Vous pouvez éliminer ceux de ces textes qui n’ont qu’une relation latérale au sujet. J’exclus les passages concernant « les méfaits du froid » et « l’épilepsie ». Ils m’ont paru trop éloignés du sujet.
Il est possible que certains passages de ma préface vous scandalisent (tout le monde est aujourd’hui si timide) En ce cas, je vous autorise à opérer des coupures.
Mais, dans ce cas évidemment, et dans tous les cas si ce n’était pas trop demander, voudriez-vous me faire l’amitié de m’envoyer le plus tôt possible une copie dactylographiée du manuscrit – que, bien entendu, vous garderez. Je voudrais garder ce texte sous les yeux en exploitant pour moi certaines des vues qui y sont suggérées. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de vous dire que ce texte est important : de toutes façons, j’y il est très important pour moi.
Je ne vous rien de plus à vous dire, sauf ce conseil : Avez-vous pensé à fouiller les Maechiologies : J’en cite une, non pas les textes ironiques écrits contre ces casuistiques, mais ces casuistiques elles-mêmes pourvues de l’Imprimatur et écrites partie en français, partie en latin. Vous y trouverez des textes prodigieux sur l’amour avec les canards, les volailles : une recette, comme je le dis, pour empêcher l’éjaculation quand on s’éveille à temps d’un rêve érotique, etc…
Avez-vous pensé à réunir des lettres d’amour écrites par des enfants ?
J’ai dans un coin – mais où ? – des images de piété confiées jadis à une pucelle, au dos desquelles figuraient des déclarations échangées par des fillettes. Mais j’aurais beaucoup de mal à les retrouver et elles tenaient toute leur originalité du véhicule utilisé. L’éditeur, certainement, reculerait.
Comment n’avez-vous pas pensé à demander à Hans Bellmer des dessins, non pas érotiques, mais ressortant à la dynamique amoureuse. Il a fait, ces temps-ci, des choses extraordinaires. Jugez d’après cette photographie très manquée (il s’agit d’une femme-phallus).
J’espère que ma préface vous plaira. Croyez à ma vive sympathie.
Joe Bousquet
[Il rajoute au sujet de Bellmer]
Il ne manque pas d’images plus publiables, sa poupée, pour commencer.
P.S.
1) L’adresse de Louis Michel, le traducteur est :
Louis Michel, professeur agrégé au Lycée 1, rue de Lafontaine. Carcassonne. Il serait bon que Madame Dopagne, qui ne m’a pas écrit, entre en rapports directs avec lui. La traduction de ces fragments doit lui être payée à part, évidemment, et à moi la préface.
2) Je vous laisse libre de bouleverser l’ordre que j’ai adopté.

BECKETT, Samuel (1906-1989)

Lettre autographe signée « Samuel Beckett » à André Marissel
15 novembre 1966, 1 page in-12 sur bristol, enveloppe jointe

Rare lettre de Samuel Beckett


« Cher Monsieur,
Merci de votre lettre.
J’ai demandé hier à monsieur [Jérôme] Lindon de vous envoyer la photo dont vous avez besoin. En vous remerciant de nouveau pour l’intérêt que vous portez à mon travail. Je vous prie de croire, cher Monsieur, à mes sentiments très cordiaux.
Samuel Beckett »


André Marissel (1928-2006) est un poète, critique littéraire et essayiste français. En 1967, il publie un essai sur Beckett aux Éditions universitaires. Il collabore avec un grand nombre de revues dont la N.R.F, Les Cahiers du Sud, Esprit, La Table Ronde, etc. En 1980, il crée et dirige la sienne, Les cahiers de l’Archipel, jusqu’en 2005. Il est également conférencier spécialiste de la poésie française contemporaine et, en un temps, membre du jury du prix de poésie François-Villon.

Jérôme Lindon (1925-2001) est un éditeur français. De 1948 à sa mort, il est directeur des Éditions de Minuit. Ce poste fait d’emblée de lui un véritable référent dans le milieu littéraire français, d’où son influence majeure. C’est ainsi qu’il promeut des auteurs du Nouveau Roman et deux futurs prix Nobel de littérature : Samuel Beckett et Claude Simon.

BONAPARTE, Lucien (1775-1840)

Lettre autographe signée « L » à Paroisse
S.l.n.d, 1/2 page in-8 sur bifeuillet vergé
Traces de pliures d’époque, marge supérieure légèrement effrangée

Lucien Bonaparte demande à son correspondant de se tenir prêt pour un départ


« A 6 heures vous partez avec moi : Soyez à la maison tout prêt – ces messieurs partiront demain, L »


Lucien Bonaparte est le troisième fils de Charles-Marie Bonaparte et de Maria-Létizia Ramolino et le deuxième frère de Napoléon Bonaparte. Homme politique français, il est député puis président du Conseil des Cinq-Cents en 1799, ministre de l’Intérieur de 1799 à 1800 puis tribun en 1802.
Il est prince romain de Canino, prince français en 1815, puis prince de Musignano en 1824 et prince Bonaparte en 1837. Il meurt en 1840.

BONAPARTE, Lucien (1775-1840)

Lettre autographe signée “Le Pce Canino” à Mme Lethière
Londres, 8 août 1833, 1/2 page in-8 sur bifeuillet
Traces de pliures d’époque

Charmant billet de Lucien Bonaparte


“Je ne veux pas, ma chère Mme Lethière, laisser partir votre fils sans lui donner un mot pour vous : J’ai trouvé en lui des sentiments d’attachement dignes de ses bons parents et je me plait à considérer que je lui ai donné ma confiance. Agréez mon souvenir et croyez moi de cœur votre très affectionné.
L. Pce de Canino”


Lucien Bonaparte est le troisième fils de Charles-Marie Bonaparte et de Maria-Létizia Ramolino et le deuxième frère de Napoléon Bonaparte. Homme politique français, il est député puis président du Conseil des Cinq-Cents en 1799, ministre de l’Intérieur de 1799 à 1800 puis tribun en 1802. Il est prince romain de Canino, prince français en 1815, puis prince de Musignano en 1824 et prince Bonaparte en 1837 avant sa mort en 1840.

TALLIEN, Thérésa Cabarrus, dite Madame (1773-1835)

Lettre autographe signée « Princesse de Chimay » à un ami
S.l, 27 mai [circa 1816], 2 pages in-8 sur bifeuillet
Traces de pliures d’époque

Belle supplique de Madame Tallien, dite Notre-Dame de Bon Secours, pour venir en aide à une dame incarcérée 


« Je ne dois pas avoir besoin de vous dire mon vaillent [sic] ami que j’ai vivement regreté de ne pas m’être trouvée cher moi hier ; j’avois été cherché le beau tems à la campagne ou effectivement j’en ai trouvé un passable, mais comme les joies de ce monde ne sont rien moins que parfaites pour moi, en arrivant on m’a dit que mon voyage m’avoit fait perdre votre visite. 
Vous serez aussi barbare que ch. Mais qui a peut être pour être sérieusement barbare des raison que vous ne pouvez pas avoir, si vous laissez Mme Barbault à St Michel elle périra de honte, de maladie et de désespoir – Vous n’avez point envoyé le médecin qui devait constater son état de souffrance et autoriser la translation dans une maison de santé –  par grace par charité par tout ce qui vous plaira mon ami soyez humain, généreux, sensible ce dernier mot aurait suffi et envoyer Mme B dans le F[aubour]g Poissonnière – je vous coute une petit lettre qui vous prouvera que la grace que je vous demande est urgente –
Je vous envoi cette lettre à l’assemblée parce que vous pourrez si vous êtes aimable et bon en parler de suite avec le Garde des Seaux. 

Adieu mon ami faites encore cette bonne action, c’est la meilleure manière d’employer le tems et puis je vous en aimerai d’avantage n’est-ce pas là une raison déterminente ? – Nous verrons –
Princesse de Chimay »


Cette lettre montre comment perdure l’ethos que s’est construit Madame Tallien pendant la Révolution, durant laquelle elle use de son influence et celle de son mari, Jean-Lambert Tallien. Ainsi, le proconsul se montre plus clément quant à l’exécution des décrets du comité de salut public sous la Terreur. Son dévouement lui vaut le surnom de Notre-Dame de Bon Secours avant de devenir Notre-Dame de Thermidor ; elle a en effet contribué à la chute de Robespierre.

SAXE, Marie-Christine de (1770-1851)

Lettre autographe signée « Marie Carignan » au Citoyen Accoyet
Le 16 Brumaire an 9 [7 novembre 1800],  1 page in-8 oblong, cachet de cire à son chiffre

Rare lettre de Marie-Christine de Saxe, princesse de Carignan, organisant le transfert des restes de son défunt mari, décédé quelques mois plus tôt 


« Je n’ai point reçu de réponse à la notte que vous vous étiez chargé de faire parvenir au Ministre de l’intérieur [Lucien Bonaparte devait la veille de cette lettre céder sa place à Jean-Antoine Chaptal comme Ministre de l’intérieur]. Je vous prie de tacher d’obtenir une réponse quelconque ou bien de m’indiquer une autre voye par laquelle nous puissions enfin obtenir une permission illimitée pour le dépot dans l’église de Chaillot des tristes restes de ce que j’avois de plus cher au monde. Le jour de mon départ et celui de l’expiration du terme accordé par le préfet de Police[Louis-Nicolas Dubois] étant très prochain je désirerois connaitre avant ce tems le résultat de la démarche que j’ai fait compte toujours. Je vous prie d’[accepter] l’inalterabilité de mes sentimens pour vous. Marie Carignan »


Marie-Christine de Saxe est une princesse de la maison de Saxe, née en 1770 à Dresde, en Allemagne. Appelée parfois Marie-Albertine de Courlande, elle est fille de Charles-Christian de Saxe, duc de Courlande et petite-fille de Frédéric-Auguste, prince électeur de Saxe et roi de Pologne sous le nom d’Auguste III.
Elle épouse à Augsbourg le 24 octobre 1797 Charles-Emmanuel de Savoie-Carignan (dont il est ici question), qui meurt dès 1800.
Veuve en 1800, elle s’exile à Genève puis à Paris, se rallie à l’empire et refuse que son fils, héritier putatif du trône savoyard, soit élevé par le roi de Sardaigne. Elle confie la tâche à un pasteur calviniste ; il inculque au jeune homme des idées libérales.

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Lettre autographe signée « Guy » à « Mon Bien »
S.l.n.d, 1/2 page in-8 sur bifeuillet vergé
Trace de pliure centrale

Charmant billet de Maupassant


« Mon bien, 
Je serai à Sartrouville tache de venir
à toi
Guy »


De 1872 à 1880, la distraction principale de Maupassant est le canotage sur la Seine. Toujours en galante compagnie, le dimanche et pendant les vacances, il pratique ce loisir à Bezons, Argenteuil, Sartrouville et Chatou.

BERGSON, Henri (1859-1941)

Photographie originale par Paul Marsan, dit Dornac
Tirage argentique d’époque sur papier citrate (novembre 1914), format carte cabinet (17,4 x 12cm)
Contrecollé sur carton fort au crédit du photographe
Quelques taches, très légèrement rogné en marge inférieure droite

Élégant portrait du philosophe, assis le regard serein


Le philosophe est représenté de trois quarts, le regard porté vers la droite. La tête un peu dégarnie et les cheveux grisonnants, son regard serein et les jambes croisées suffisent à rendre sa présence intense.


Henri Bergson est surtout connu pour ses ouvrages philosophiques Matière et mémoire et L’Évolution créatrice.
Il obtient le prix Nobel de littérature en 1927.

DREYFUS, Alfred (1859-1935)

Lettre autographe signée « Dreyfus » à Alfred Bruneau
S.l, le 20 nov[embre] 1901, 1 page in-8 sur bifeuillet

Rare lettre de Dreyfus, contemporaine de l’Affaire, qui rencontre des difficultés à trouver un nouveau logement


« Cher Monsieur, 
Je vous remercie bien vivement de votre lettre et je vous serais très reconnaissant d’être mon interprète auprès de M. Frantz Jourdain pour le remercier de son aimable et cordiale obligeance. 
Ma femme a été visiter aujourd’hui même l’appartement du 86 rue Corvisart, il est trop petit comme dimensions des pièces. Espérons que nous finissions par dénicher ce que nous cherchons
Mes respectueux et sympathiques hommages à Madame Bruneau et croyez-moi bien votre,
Dreyfus »

Alfred Bruneau est un musicien et un ami d’Emile Zola. Par l’intermédiaire de l’architecte Frantz Jourdain (autre ami de Zola), Bruneau aide Dreyfus à trouver un appartement. Bien qu’il ait été gracié par Emile Loubet un an plus tôt après la révision du procès à Rennes, le capitaine déchu rencontre des difficultés pour se loger. Pour des raisons évidentes, en 1901, les propriétaires sollicités sont majoritairement réticents à l’accueillir.

BLACAS, Duc de (1771-1839)

Lettre autographe signée « B », [probablement au Baron de Fremilly]
Prague, 14 mars 1835, 4 p. in-8°

Longue lettre historique du Duc de Blacas relatant en détails la mort de l’empereur François Ier d’Autriche survenue quelques jours plus tôt, puis le statu quo de la politique européenne

« Je ne vous parlerai ni de la France dont vous connaissez la singulière situation, ni de l’Angleterre, où l’aristocratie est aux prises avec le radicalisme »


« Il y a bien longtemps, Monsieur le Baron, que je n’ai eu ni le plaisir de vous écrire, ni celui de recevoir de vos nouvelles; un voyage à Vienne et une multitude d’affaires au moment de mon retour ont été la cause de mon silence et je profite du premier instant dont je puis disposer pour le rompre.
Quel funeste évènement que la mot de cet excellent Empereur
[François 1er d’Autriche], tous ses sujets le pleurent comme un père, et tous les étrangers, comme le plus vertueux des hommes, comme le soutient des anciens principes monarchiques, et comme l’espoir de la tranquillité future de l’Europe. J’étais à Vienne pendant sa maladie, j’ai été témoin de tous les vœux de ses sujets pour la conservation de ses jours. Quand je suis parti il était mieux, ou était plus rassuré, et cependant il n’existait plus douze heures après mon départ. C’est un malheur irréparable malgré les heureux augures dans lesquels s’annonce le nouveau règne, tous les actes qui en émanent sont parfaits et tout semble promettre que rien ne changera sous aucun rapport.
Madame la Dauphine est parti d’ici il y a deux jours pour aller mêler ses larmes à celles de la famille impériale, elle l’avait désiré et elle y a été invitée par l’Impératrice
[Caroline-Auguste de Bavière].
L’empereur
[Ferdinand 1er] s’est empressé d’écrire au Roi [Louis-Antoine d’Artois, fils de Charles X] la lettre la plus amicale, voila où nous en sommes pour le moment.
Mr le Duc de Bordeaux
[Henri d’Artois, fils du Duc de Berry assassiné en 1820] a été assez souffrant pendant long-temps de douleurs rhumatismales il en est quitte, et en résultat il a beaucoup grandi, ainsi à quelque chose malun est bon. Le Roi se porte bien, quoi qu’il soit encore un peu enrhumé le reste de la famille Royale est à merveille.
On dit M.
[Hector] Lucchesi [second époux de Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, veuve du duc de Berry] parti pour Vienne.
Mad. la Comtesse Lucchesi est toujours à Brandeis, elle vient assez souvent à Prague. Elle y voit ses enfants, mais personne autre de la famille Royale depuis plus de quatre mois, époque où elle devait partir, ce qu’elle a ensuite refusé, pour ne pas se soumettre aux désirs du Roi…. cette pauvre princesse a été bien mal conseillée.
Je ne vous parlerai ni de la France dont vous connaissez la singulière situation, ni de l’Angleterre, où l’aristocratie est aux prises avec le radicalisme, ni de l’Espagne dont mes dernières nouvelles sont celles que donnent les papiers publics, nous sommes toujours dans l’attente des évènements que recèle l’avenir, fasse le ciel qu’ils soyent moins malheureux que ce que nous déplorons.
Je sais que Mad. votre fille est à Fribourg et j’éspère que vous en avez de bonnes nouvelles.
Mad
[adame] de Blacas y retournera je crois, au mois de mai prochain.
Il me semble que M.
[Maximilian von] Wimpffen ne pense plus à vendre Brunsee et des habitants de la Styre que j’ai vu dernièrement à Vienne m’ont fait compliment de ce que je ne l’avais pas acheté en assurant que cette terre rendait bien peu de chose. Je crois cependant que M. de Konsty le sait bien mieux que les personnes qui en parlent. on m’avait fait offrir une terre de Wall auprès de Marbourg que l’on dit fort grande et on m’en offre plusieurs en Bohême que j’irai voir incessamment. Donnez loi, je vous prie, Monsieur le Baron, des nouvelles de votre santé et recevez l’assurance de mon bien sincère attachement. B. »


Pierre Louis Jean Casimir de Blacas d’Aulps, comte puis Ier duc de Blacas (1821), pair de France, Ier prince de Blacas (1837), né en 1771 et mort en 1839, est un homme politique et diplomate français. Fervent royaliste, il suit les Bourbons dans leur exil en 1830 lors de l’instauration de la monarchie de Juillet. Avec d’autres légitimistes déterminés, il définit un programme politique dans l’optique d’une restauration de la branche aînée, l’« édit de réforme du royaume ».

INGRES, Jean-Auguste-Dominique (1780-1867)

Lettre autographe signée « Ingres » à Adolphe-Marcellin Defresne
S.l [Paris], le vendredi 9 juin [1843], 1 page in-8, adresse au verso

Ingres annonce aller dîner chez le ministre de la Marine


« Digne ami, 
Je dine mardi notre chez le Ministre de la marine [Albin Roussin], mais j’espère aller vous donner le bon soir. 
En attendant, recevez cher ami l’assurance de mon plus parfait attachement. 
Ingres »


Ingres est un ami proche de Defresne, dont il peint un portrait en 1825. Il est aujourd’hui conservé dans la Thaw Collection.

LOUIS XVIII, Louis-Stanislas-Xavier de France, (1755-1824)

Lettre autographe signée « Louis » à un Monsieur
Calmar, ce 27 7bre 1804, 1 page in-8 oblong sur papier vergé
Mention manuscrite du destinataire “reçu le 20 8bre” en haut à gauche
Petites taches brunes avec infimes déchirure

Belle lettre d’exil de Louis XVIII, contraint d’émigrer en Suède sous la pression de Napoléon sur le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III


« J’ai reçu, Monsieur, votre lettre du 21 Aoust et j’y suis très sensible. Partout il y a des scélérats, mais partout aussi la Providence veille sur ceux qu’elle daigne protégerje l’ai moi-même éprouvé dans des lieux où j’étais bien moins à l’abri des complotsque dans les Etats du souverain puissant et généreux auquel j’ai prouvé à la fois ma reconoissance et ma confiance, en lui laissant en dépôt ce que j’ai de plus cher au monde. 
Je suis fort touché des sentimens des magistrats dont vous avez été en cette occasion l’organe auprès de moi et je vous charge de le leur exprimer en mon nom. 
Vous connoissez, Monsieur, tous mes sentiments pour vous. 
Louis »


Après le coup d’État du 18 brumaire mettre équivalence calendrier grégorien et la mise en place du Consulat, Louis XVIII entre en négociations avec Napoléon Bonaparte en vue du rétablissement de la monarchie. Toutefois, après l’explosion de la machine infernale rue Saint-Nicaise le 24 décembre 1800 et la découverte de la responsabilité des royalistes dans l’incident, le Premier consul rompt définitivement toute discussion. Louis XVIII demeure toujours en exil.
Pendant l’année 1804, à la suite de plaintes de Napoléon, le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, se résout à se séparer d’hôtes devenus compromettants ; Louis XVIII et les autres exilés membres de sa cour reçoivent l’ordre de quitter le territoire prussien. Ils s’établissent alors à Kalmar, en Suède.

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Ton Jean » à Marianne
Milly, Lundi 20 mai [1958], 1 page in-4 ornée d’un dessin en couleur
Traces de pliures, tache au verso

Belle lettre de Cocteau, ornée d’un dessin original au crayon de couleur, à propos de sa collaboration avec Karajan et son exposition Terre et Cosmos


« Ma chère petit[e] Marianne,
Il est probable que je serai les premiers jours de juin à Vienne ou je vais faire un travail avec Karajan à l’opéra.
Du reste je ne me porte pas à merveille et je souffre de douleurs après un trop long travail penché sur des mètrages de toiles peintes (pour Terre et Cosmos).
Je t’embrasse, ton Jean »


Jean Cocteau se rendra quelques jours plus tard à Vienne, où il sera reçu par Herbert von Karajan (1908-1989) afin de concrétiser une collaboration en trio avec Igor Stravinsky (1882-1971) pour l’opéra Liberi, Vos Liberabo : Oedipe, Acte I. 

Terre et Cosmos est une exposition sur laquelle Jean Cocteau travaillait depuis 1957. Il s’agit de toiles peintes pour illustrer la conquête de l’espace. Elle a été tenue au Champs de Mars l’année suivante.

[JARRY] QUENEAU, Raymond (1903-1976)

Lettre autographe signée « Queneau » [à Michel Arrivé]
S.l, le 9 août 1964, une page in-8, en-tête de la NRF
Marge supérieure gauche très légèrement effrangée

Intéressante lettre dans laquelle Raymond Queneau se fait l’intermédiaire pour la publication des œuvres d’Alfred Jarry aux éditions de la Pléiade


« Monsieur,
J’aurais dû répondre évidemment bien plus tôt à votre lettre (fort intéressante) du 11 décembre mais ce n’est que tout récemment que j’ai obtenu de Raymond Gallimard qui s’occupe tout spécialement des classiques de la Pléiade (moi je ne m’en occupe pas, seulement de l’Encyclopédie) une réponse relativement assez favorable.
Ce qui revient à dire que, si vous en avez les loisirs, il y a une chance (petite mais non nulle) pour qu’un plan soigneusement établi par vos soins entraîne la réalisation d’un volume Jarry dans cette honorée collection.
Cela vous fait de grandes responsabilités, monsieur.
Veuillez croire, cher auditeur réel, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Queneau »


Michel Arrivé (1936-2017) est reconnu comme le plus grand spécialiste d’Alfred Jarry, à propos duquel il a publié une vingtaine d’ouvrages critiques et plus de trois cents articles. Il lance de nombreuses recherches de manuscrits originaux de Jarry auprès du milieu littéraire parisien tout au long des années 60. C’est sous sa direction que les œuvres de l’écrivain sont éditées à la bibliothèque de la Pléiade.

BERGSON, Henri (1859-1941)

Lettre autographe signée “H. Bergson” [à Felix Sartiaux]
S.l, le 6 déc[embre] 1916, 2 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque, petites taches

Lettre inédite de Bergson livrant un jugement lapidaire sur la morale Kantienne


“Monsieur,
Je vous remercie de l’aimable envoi de cet intéressant ouvrage. Vous avez serré d’aussi près que possible les idées morales de Kant, et vous avez montré avec force ce qu’elles ont d’arbitraire. J’ai toujours dit, pour ma part, que la morale Kantienne (dans ce qu’elle a d’intelligible pour moi) était extraordinairement surfaite. Je dispose de si peu d’instants que je n’ai pas pu lire votre livre aussi attentivement que je l’aurais voulu.
J’y reviendrai. Mais dès maintenant je tiens à vous envoyer mes compliments, avec l’assurance de mes sentiments très distingués.
H. Bergson”


Bergson fait ici référence au dernier ouvrage de Félix Sartiaux Morale Kantienne et morale humaine. Les deux philosophes se rejoignent ainsi dans leur jugement sur la morale Kantienne.

La morale kantienne fait référence à une théorie déontologique éthique développée par le philosophe allemand Immanuel Kant qui est basée sur la notion que: “Il est impossible de penser à quoi que ce soit dans le monde, ou même au-delà, qui pourrait être considéré comme bon sans limitation sauf une bonne volonté

Henri Bergson est un philosophe français. Parmi les ouvrages qu’on lui doit, les quatre principaux sont l’Essai sur les données immédiates de la conscience, Matière et mémoire, L’Évolution créatrice et Les Deux Sources de la morale et de la religion. Bergson est élu à l’Académie Française en 1916 et il reçoit le prix Nobel de littérature en 1927. Ses idées pacifistes ont influencé la rédaction des statuts de la Société des Nations.

[JARRY] QUENEAU, Raymond (1903-1976)

Lettre autographe signée « Queneau » [à Michel Arrivé]
S.l, 21 février 1968, 1/2 page in-8, en-tête de la NRF

Queneau répond à une requête concernant des manuscrits d’Alfred Jarry


« Cher Monsieur
Michel Leiris parlera à Picasso de la question qui vous préoccupe, mais il pense “utopique” d’espérer quoi que ce soit, tout au plus savoir quels manuscrits il a en sa possession.
Veuillez croire, cher Monsieur, à l’expression de mes sentiments les meilleurs
Queneau »


Michel Arrivé (1936-2017) est reconnu comme le plus grand spécialiste d’Alfred Jarry, à propos duquel il a publié une vingtaine d’ouvrages critiques et plus de trois cents articles. Il lance de nombreuses recherches de manuscrits originaux de Jarry auprès du milieu littéraire parisien tout au long des années 60. C’est sous sa direction que les œuvres de l’écrivain sont éditées à la bibliothèque de la Pléiade.

CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Ensemble de trois lettres autographes signées « P. Claudel » [à Emile Fabre]
S.l, 1934, 7 pages en divers formats

Trois intéressantes lettrs de Claudel dans le cadre d’une correspondance à propos de la mise en scène de sa pièce L’Otage, représentée à la Comédie Française en 1934


Août 1934

« Cher Monsieur
J’ai bien reçu votre lettre et je suis heureux d’être en contact avec vous. Si je n’ai pu m’y mettre plutôt [sic], c’est que j’ignorais votre adresse exacte. M. Bourny [régisseur général de la Comédie Française] que j’ai vu à Paris a dû vous transmettre sans doute les diverses idées de mise en scène que je me suis permis de lui suggérer.
Je réponds aux différents points touchés par vous.
1/ Pour l’acte 3 M. Bourny avait eu l’idée que je crois bonne de faire parler Turelure au peuple du haut d’un balcon, ce qui permettrait de le voir de dos. Dans ce cas une porte fenêtre serait [a]ménagée dans la paroi droit[e] du salon.
(Il n’y a pas à tenir spécialement compte des indications éminemment modifiables de la brochure)

[Claudel procède à un croquis à main levée pour la disposition de la scène et y émettre ses suggestions]

2/ Je ne vois pas la nécessité de faire établie des décors par un artiste c[ô]té. Si même vous aviez en magasin les éléments d’un beau salon Empire pour le 3e acte, cela serait suffisant. Le décor pour moi n’a aucun autre rôle que de fournir des commodités pour l’action. 
Ce qui est très important, c’est le crucifix qui pour moi est un personnage du drame et même le plus important.

3/ Je préfère donner à Turelure le rôle essentiel jusqu’à la fin. C’est lui, le persécuteur et le tentateur, mais aussi l’ancien serviteur, représentant d’une longue lignée de serviteurs, qui est chargé d’exprimer Sygne, de faire sortir d’elle tout ce qu’elle peut donner.
D’ailleurs dramatiquement il y a un interlude, tout est prêt, les ordres ont été envoyés de toutes parts, il n’y a plus qu’à en attacher la réalisation. Turelure est dans son G.Q.G et ne doit plus en bouger. Le chapeau a été amené. Il n’y a plus qu’à se préparer à accueillir le nouvel ordre de choses par-dessus le corps des représentants de l’ancien.
Je rentrerai à Bruxelles le 10 septembre. A partir de ce moment je serai entièrement à votre disposition pour causer avec vous et vous fournir tous les éclaircissements désirables.
Croyez, je vous prie, cher monsieur Fabre, à mes sentiments les plus amicalement dévoués.
Paul Claudel »

Septembre 1934

« Cher Monsieur
J’ai longuement réfléchi aux observations sur la mise en scène de l’Otage dont vous m’avez récemment entretenu et entre autres de vos objections à l’idée du crucifix reflété dans une glace. Elles sont de deux natures et je suis loin d’en méconnaître la gravité.

1° Pourquoi cette grande glace dans la bibliothèque d’une maison conventuelle ?
2° Le public ne comprendra pas cette idée d’un crucifix invisible que ne se manifeste à ses yeux que par reflet.
Je vous ai expliqué les raisons de ma proposition. La scène essentielle du drame, c’est celle de la renonciation de Sygne à elle-même et l’occupation au pied du crucifix du sacrifice qui s’impose à la fois à son amour de l’église et à son goût pour le surhumain.
Or depuis 20 ans que je vois jouer la scène, j’ai toujours constaté qu’elle était gravement contrariée par les dispositions adoptées. Il faut que Sygne soit à la fois du côté de son confesseur et au pied du Christ. Si le Christ est placé au fond du théâtre comme la logique semble l’exiger, il en résulte trois inconvénients :
1° Sygne est placé de dessous de profil par rapport au public ;
2° Elle est au fond de la scène, tandis qu’il est essentiel qu’elle soit aussi près du public que possible[…]
3° Badilon reste tout seul sur son fauteuil, de sorte que la scène est jouée par deux protagonistes qui se tournent le dos ! Si au contraire il s’approche de Sygne et se tient debout à côté d’elle, il perd son attitude d’autorité et ne devient plus qu’un témoin embarrassé. D’autre part voilà les deux acteurs au fond de la scène, derrière les meubles peut-être etc. Et l’émotion s’en ressent. Car tout ce qui est important doit être joué face au public, au centre du théâtre et aussi près du public que possible.
Avec ma combinaison,- un peu étrange et anormale, je le reconnais,- ces inconvénients disparaissent. S[ygne] reste au pied du Christ et tout près de Badilon. Voyons donc maintenant les objections :
1° Le vieux monastère a des siècles de vicissitudes. Le salon de l’abbé avec des traces du Moyen-Age a été remis au goût du XVIIIe siècle. Je crois qu’il ne serait pas difficile de trouver dans les abbayes ainsi remaniées un panneau ou au-dessous d’une cheminée une grande glace occupe la place d’honneur. D’autre part j’ai voulu donner l’impression d’une pièce sur laquelle la révolution a passé et ou une femme bivouaque en y transportant les restes de son patrimoine. On peut imaginer que c’est elle qui a mis là cette glace dans un panneau resté vacant […]
Cela accentue cette impression d’un certain désordre q[ue] j’ai voulu donner.
2° Le public sera longuement préparé à l’idée que le crucifix invisible se trouve sur la paroi amputée. Tout le premier acte y servira. Attestation de Sygne, salut du pape, défi de Georges etc et enfin au second acte le mot de Turelure qui se campe devant le crucifix, les mains derrière le dos et déclare :
Il n’y a qu’un crucifix qui n’est pas beau.
En tout cas tant cela me parait secondaire à côté des considérations essentielles que je viens de vous exposer et dont votre grande expérience du théâtre vous permet mieux qu’à moi-même encore de réaliser toute l’importance.
 […] Croyez, je vous prie, à mes sentiments les plus amicalement dévoués.
P. Claudel
Il me semble qu’il y a quelque chose d’assez dramatique dans le fait que les acteurs sont en quelque sorte enveloppés par le Christ. Il est à la fois devant eux et sans qu’ils le sachent, derrière »

Novembre 1934

« Cher Monsieur
Je tiens à vous dire de nouveau combien je vous suis reconnaissant de la superbe interprétation que par vos soins la Comédie Française à donnée de l’Otage. Je ne pouvais souhaiter une réalisation plus sensible et plus intelligente et une mise en scène plus ingénieuse. 
Un seul regret, que je ne suis pas le seul à exprimer…. l’exposition des deux cadavres dans la dernière scène ! Quel dommage qu’on ne puisse la reprendre ! 
Monsieur du Lacotti est venu mercredi pour exprimer le désir que l’Otage fasse la matière des quatre représentations que la Comédie Française doit donner en Belgique entre le 17 et le 20 décembre. Je me permets de vous recommander amicalement sa requête. 
Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des excellents artistes qui ont combattu si vaillamment pour le succès d’une pièce difficile. Je les considère tous comme des amis et des camarades […]
P. Claudel »


L’Otage est une pièce de théâtre en trois actes de Paul Claudel parue en 1911, première pièce de La Trilogie des Coûfontaine.
La pièce, mise en scène par Émile Fabre, est jouée à la Comédie-Française en 1934 avec Marie Ventura, Jean Hervé, André Bacqué et Fernand Ledoux respectivement dans les rôles de Sygne, Georges de Coûfontaine, le curé Badilon et Turelure.

GARNIER, Charles (1825-1898)

Lettre autographe signée « Ch. Garnier » à Léonce Detroyat
[Paris, c. 1885] 1 page in-8 sur papier vergé, en-tête du Ministère des Beaux-Arts, travaux du nouvel Opéra

Garnier envoie un mot d’excuse


« Mon cher ami, 
J’ai bien regretté de n’avoir pu aller hier voir chez vous. Je ne vous demande pas de me pardonner puisque c’est moi qui suis passé.
Plaignez moi donc au lieu de me garder une dent.
Ch. Garnier »


Charles Garnier reste surtout connu comme l’architecte de l’opéra de Paris (inauguré en 1875), dit le palais Garnier, et du casino de Monaco. Il réalise de très nombreux décors, notamment celui de l’Arc de triomphe lors des obsèques de Victor Hugo.
Léonce Detroyat (1829-1898) est un officier de marine, homme politique et publiciste français. Garnier fait appel à ses services et entretient une correspondance soutenue pendant les années 1870, alors qu’il est directeur du journal La Liberté.

PELADAN, Joséphin (1858-1918)

Lettre autographe signée « Peladan » à Gabriel Mourey
[Nîmes, le 3 février 1888], 1 page in-8
Marge gauche effrangée, trace de pliure d’époque, petites décharges d’encre

Intéressante lettre de Peladan au sujet de Baudelaire et des épreuves pour Poésies complètes de Edgar Allan Poe par son ami Gabriel Mourey, ouvrage qu’il a préfacé


« Mon cher ami,
Ne m’envoyez pas le manuscrit, je [le] lirai en épreuve, à Paris, fin février. Comme document je voudrais la nomenclature & l’analyse de l’œuvre éparse, en dehors de la traduction de Baudelaire chez Lévy.
Connaître ce que Baudelaire n’a pas traduit : voilà le hic. Dans la Revue indépendante j’ai des empathies tirées de dissertations esthétiques.
Quant à Cœur Perdu, Rops sous l’influence de Pradelle, Barrois & Uzanne s’amuse à me lanterner depuis quinze jours, on attend sa planche, ou il n’a qu’à faire ou ne pas faire une retouche d’une heure ou deux.
Avec votre agrément, j’ai dessein d’être très féroce contre les philistins en l’introduction [du] vôtre.
Le dernier numéro de la S. Belg. expose que Pascalis a pastiché les litanies de Goffin !
A vous de cœur en hâte
Peladan
Je reçois votre article et le transmettrai au maître »


Gabriel Mourey (1865-1943) est un poète, romancier, traducteur et critique d’art français. Il réunit en 1889 ses traductions de l’écrivain américain Edgar Poe (1809-1849) dans Poésies complètes de Edgar Allan Poe (1910), ouvrage préfacé par Joséphin Peladan et édité par Camille Dalou. Peladan cherche ici à perfectionner le travail déjà effectué par Baudelaire quelques décennies plus tôt.

Charles Baudelaire (1821-1867) est l’un des premiers traducteurs d’Edgar Allan Poe, qu’il contribue à faire connaître en France. Il réunit ses traductions dans plusieurs recueils, notamment Histoires extraordinaires. Stéphane Mallarmé (1842-1898), poète symboliste et professeur d’anglais, traduit également l’Américain.

A cœur perdu est le quatrième volume de La Décadence latine (Éthopée), œuvre majeur de Joséphin Peladan.

DESMOULINS, Camille (1760-1794)

Lettre autographe signée « Votre fils Desmoulins » à son père Jean-Benoist-Nicolas Desmoulins
[Paris] le 4 décembre 1789, 1 page in-4, cachet de cire rouge à son chiffre
Traces de pliure d’époque, quelques taches

Très précieuse et importante lettre de « L’homme du 14 juillet » tirant profit de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour lancer le premier numéro de son journal pamphlétaire Les Révolutions de France et de Brabant


« Mon tres cher pere, Je vous ai fait passer le n° 1 de mon journal. Ne l’avez vous point reçu ? Je vous prie de m’en accuser la reception. Je vous envoie 2 prospectus.
Si faire se peut, car nul n’est prophete en son pays, envoyez moi des souscriptions. Je compte deja parmi mes abonnés deux princes du sang.
Me voilà journaliste et determiné a user amplement de la liberté de la presse. On a trouvé mon premier n° parfait. Mais soutiendrai je ce ton ? J’ai tant d’occupations que je vous écris ceci à deux heures du matin après minuit. Je vous embrasse. Bon soir. Votre fils Desmoulins.
Je vous souhaite la bonne fête et un joyeux Saint-Nicolas. Deviniez-vous que je serais un Romain quand vous me baptisiez Lucius, Sulpicius, Camillus ? et prophétisiez-vous ? »


Dans les jardins du Palais-Royal, le 12 juillet 1789, Camille Desmoulins, jeune avocat, monte sur une table et s’écrie :
« J’arrive de Versailles, Necker est renvoyé. Ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Une ressource nous reste, c’est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître ! »
Les arbres du jardin sont dépouillés de leurs feuilles qui, accrochées aux vestons et aux chapeaux, forment le premier signe de ralliement des citoyens. Deux jours plus tard, la Bastille est prise. Desmoulins se fait un nom.

Le 26 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, texte fondamental de la Révolution Française, stipule en son onzième article :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

Camille Desmoulins se consacre alors à l’écriture d’un pamphlet, « La France libre » :
Le tout premier numéro de Révolution de France et de Brabant sort des presses de Garnéry le 28 novembre 1789. Le révolutionnaire y déclare :
« Le véritable palladium c’est la déclaration des droits, c’est la liberté de la presse »

Plume trempée dans l’acide, Camille Desmoulins en profite pour attaquer les ennemis des patriotes, souvent nominalement. Comme Danton, il soutient une liberté de la presse sans entrave. Lorsque l’Assemblée discute d’un encadrement de la liberté de la presse, en janvier 1790 (projet Sieyès), il se prononce contre ; ce projet est d’ailleurs avorté.
Ce plein usage de la liberté de la presse vaut à Camille Desmoulins plusieurs procès. Le premier débute en janvier 1790 : avec d’autres journalistes, il y est attaqué par le bourreau Sanson, ce dernier lui reproche d’avoir insinué qu’il était contre-révolutionnaire.

L’allusion en fin de lettre que Desmoulins fait sur son nom et la Rome antique vient du surnom qu’il qui lui a été donné en été 1789 : Camille.
Dans son livre Camille et Lucile Desmoulins, Hervé Leuwers montre (p. 178) que, contrairement à ce que l’on a écrit ici, le prénom n’est pas choisi pour rappeler la jeunesse et la bonne humeur du journaliste. En effet, on l’appelle « Camille » ou « Camille Desmoulins » par allusion au général romain Camillus, qui a sauvé Rome des Gaulois au IVe siècle avant J.C. Camille Desmoulins est comme un nouveau Camillus.

Il est le plus brillant représentant de la liberté de la presse sous la Révolution.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » à Eugène Pelletan
Hauteville House, le 2 avril [1861], 2 pages in-8 sur bifeuillet
Infime déchirure en marge supérieure, sans atteinte au texte, résidu de cachet de cire

Belle lettre d’exil du poète proscrit au sujet de la liberté


« Vous m’avez envoyé votre livre dans mon exil, je vous envoie le mien dans votre prison. Ces échanges-là sont tout simples dans notre temps entre deux hommes qui ont voulu rester debout. C’est votre faute comme c’est la mienne. Pourquoi avons-nous voulu être fidèles à la liberté, et à nous-mêmes ? En somme, je trouve cela bien ainsi. [Raymond-Théodore] Troplong au Sénat ; Pelletan en prison.

Puisse mon livre vous rendre un peu du bonheur que m’a fait le vôtre. Avoir mis cette mère de Marguerite dans la naissance d’une ville, c’est une idée pathétique ; vous mêlez les vieilles mœurs aux nouvelles, et vous en faites jaillir le drame. Marguerite et Samuel, quelles figures ! L’émotion est profonde et vraie. Quelles pages tour à tour gaies et splendides, et quel [sic] irrésistible mélancolie dans ce calme de la fin ! Encadrer toutes ces douleurs dans l’idée de progrès, c’est une haute pensée. Vous m’avez nommé deux fois dans cette belle œuvre ; cher poète, je ne vous remercie pas, je vous aime.

Peut-on ne pas vous envier ? Au moment même où votre œuvre vous fait glorieux, la persécution vous fait populaire. Je vous envoie, du fond du cœur, mon plus fraternel serrement de main. Victor Hugo »


Victor Hugo accuse ici réception du dernier ouvrage d’Eugène Pelletan, La Naissance d’une ville, Pagnerre, 1861 [Il s’agit de Royan]. On cherchait alors un prétexte pour poursuivre Eugène Pelletan en justice. Il fut fourni, le 3 novembre 1860, par un long article de six colonnes : La liberté comme en Autriche. Pelletan y pose le paradoxe que représentait le spectacle de l’Autriche, symbole même de l’absolutisme en Europe, à l’intérieur duquel l’empereur François-Joseph introduit des réformes libérales, et de la France, patrie de la liberté, soumise à l’omnipotence de Napoléon III. Poursuivi pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement », il est condamné à trois mois de prison et 2000 francs d’amende.

Raymond-Théodore Troplong (1795-1869) est un juriste et homme politique. Corédacteur du texte initial de la Constitution de 1852, il est élu sénateur la même année. Il soutient le coup d’État de Napoléon III et est rapporteur du sénatus-consulte rétablissant l’Empire.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée “Lamartine” à un collègue
S.l, le 22 janvier 1851, 4 pages in-8 sur papier bleu vergé
Traces de pliures d’époque

Lamartine s’interroge avec crainte sur la politique autoritaire mise en place par Napoléon III, quelques mois avant son coup d’Etat, à l’issue duquel il est proclamé Empereur


« Cher ancien collègue et ami, j’ai reçu la visite de votre charmant métayer et la lettre. Merci des deux. J’ai ainsi indépendamment d’un plaisir de voir ce beau et bon jeune homme les détails sur votre vie et sur votre jardin qui intéressent ceux qui vous aiment.
Je vois les choses comme vous, comme nous les avons vues de plus loin que la foule, douteuses, anxieuses, pénibles pour tous ceux qui vivent plus d’avenir que de présent. Je ne sais où Dieu nous mène. Nous nous sommes montrés peu dignes de la Liberté, nous sommes incapables de servitude durable, et ce qui est triste, c’est que l’éducation de la liberté ne se fait pas sous le despotisme. Mais enfin notre devoir à nous c’est de ne jamais laisser notre âme se décourager du bon sens et de l’espérance […] Vous avez la bonté d’interroger ma santé et mes affaires. tout va dans ce double rapport et tolérablement j’ai peu travaillé sans rien terminer […] La société pour mes œuvres à laquelle vous avez pris part a réunis 300 000 f environ d’actions littéraires est presque finie et pourra se compléter plus tard. J’ai vendu mon Journal Le Civilisateur à la charge à le rédiger pendant dix ans un très bon prix payable aussi d’année en année. Tout cela m’a mis au dessus des intérêts à servir et me permettra je crois de me libérer dan deux ans de plus de moitié de très énormes dettes. Je n’aspire qu’à cela avant de me reposer ou de mourir…
Lamartine »


Lamartine se porte candidat à l’élection présidentielle de 1848 mais est sèchement battu par Napoléon III. Ce dernier ne fait qu’entreprendre des réformes constitutionnelles, une marche déguisée vers le coup d’État à la fin de l’année 1851. Républicain affirmé, Lamartine ne cesse de pourfendre la politique menée par Napoléon III tout au long du Second Empire.

Nous joignons :
Une gravure d’époque représentant Lamartine de buste, l’un de ses plus célèbres portraits

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée « Lamartine » à un ami
S.l [4 avril 1853], 3 pages in-8 sur bifeuillet , enveloppe d’origine
Quelques taches sur marges, traces de pliures d’époque

Belle lettre de Lamartine revenant avec peine sur l’échec de la Seconde République et évoquant Victor Hugo


« Votre nom est pour moi une des consolations du passé et du présent. Ah si nous avions été dix seulement dans un religieux et honnête dévouement la République n’aurait pas sombré dans une tempête de vents contraires et déchaînés. J’espère que nous nous reverrons dans des jours meilleurs.
Je ne sais rien d’Hugo si ce n’est qu’il est à Jersey avec sa famille à ses études.
Je suis bien touché a votre adhésion à la société qui achète mes œuvres après moi pour m’aider a sortir honorablement de la vie par le travail. Elle s’est fondée et signée hier au capital seulement de 450 000 par actions payables en quarts par quarts. […] Je n’ai qu’une Minute au milieu de mes travaux sur 89 et sous secrétaire. […] Envoyez votre fils Le dimanche à midi. Je le recevrai comme tout ce qui me rappelle un des hommes les plus pur et les plus antiques de ces mauvais tems.
Lamartine »


Lamartine joue un rôle important dans la Révolution de 1848 en proclamant la République. Pendant trois mois, il fait partie du gouvernement provisoire. Il se retire de la vie politique après sa lourde défaite à l’élection présidentielle de 1848, alors que Louis-Napoléon Bonaparte l’emporte. S’ensuit le coup d’État de ce dernier en décembre 1851 et l’instauration du Second Empire. Lamartine demeurera  un ardent pourfendeur de ce régime ultra-conservateur et autoritaire.
Alphonse de Lamartine et Victor Hugo, figures majeures du romantisme, étaient très liés tant politiquement que littérairement.

Nous joignons à cette lettre un important ensemble de document dont :
– Une gravure d’époque par Pollet, représentant Lamartine de Buste
– Deux pièces signées, une par Lamartine et l’autre par le duc de Doubeauville en 1860, relatives à la souscription aux Œuvres complètes.
– Une lettre autographe de son père, Pierre de Lamartine, une de sa femme, Elisa de Lamartine et une en son nom d’A. Grasset, plus divers documents.

PELADAN, Joséphin (1858-1918)

Lettre autographe signée « Peladan » à Gabriel Mourey
[Paris, le 18 avril 1888], 1 page in-8 sur papier jaune
Quelques décharges d’encre et trace de pliure d’époque
Rajout de la date au crayon

Peladan fait envoyer le dernier ouvrage de Barbey d’Aurevilly au critique d’art Gabriel Mouray


« J’ai dit – mon cher ami – qu’on vous envoie le nouveau d’Aurevilly: Dites à Trobue que j’accepte avec plaisir le remplacement du papier & que par retour du courrier je lui rembourserai le port.
Ledit papier devait être de 200 feuilles troubles petit in 4°.
Je n’ai pas le temps d’aller au journal Barapin n’a pas répondu. Je fais un livre sur le salon, j’y serai mieux à l’aise.
Votre eau forte ne me dit guère, franchement.
Je vous lis avec bien du plaisir, mais j’ai trois choses à trois imprimeries et je vous quitte
A vous et aux vôtres
Peladan
Guaïta va bien : Poe ne pourra être en train qu’après le 15 mai »


Joséphin Peladan fait ici envoyer Léa, l’une des premières nouvelles de Jules Barbey d’Aurevilly, publiée au début de l’année 1888.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » à Eugène Pelletan
Hauteville House, le 19 mai [1867], 1 page 1/2 in-8
Traces de pliures et décharges d’encre d’origine

Très belle lettre d’exil de l’écrivain au sujet de la reprise d’Hernani


« Mon éloquent et cher confrère, je serai charmé et fier de vous avoir à Hernani, vous et votre fils, qui, je le sais, est digne de vous (je ne connais pas de plus belle promesse d’avenir). Vous aurez vos deux stalles par notre ami commun Auguste Vacquerie (23, r. Verneuil), qui veut bien être le tuteur de mon drame un peu orphelin. Absentes quasi mortui. Hernani est un montagnard, et j’en suis un autre. Il est haï littérairement, et moi politiquement. Je me recommande à vous sous les deux espèces. à bientôt. Continuez votre lutte vaillante. Votre parole est glaive pour abattre l’ivraie et soc pour ouvrir le sillon. Je vous applaudis et je vous aime. Ex imo cordi. Victor Hugo »


Hernani est une pièce de théâtre de Victor Hugo, représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 25 février 1830, et publiée la même année. Cette pièce, parmi les plus célèbres de Victor Hugo, et dont la représentation déclenche la bataille d’Hernani, consacre le genre du drame romantique.

La reprise d’Hernani marque un tournant dans la carrière de Victor Hugo, dont le théâtre était censuré sur toutes les scènes françaises depuis l’instauration du Second Empire. Aucune de ses pièces n’a donc été représentée depuis Marion de Lorme, en juin 1852. Mais en 1867, ses relations avec le pouvoir semblent s’améliorer. Son retour annoncé au Théâtre-Français serait même venu d’une demande personnelle de l’impératrice Eugénie, à la veille de l’Exposition universelle.
La première a lieu le 20 juin 1867 ; s’ensuivent soixante-dix autres représentations.

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre inédite, autographe signée « Emile Zola » à Eugène Pelletan
Paris, le 9 janv[ier] 1869, 2 pages in-8 sur bifeuillet vergé
Infime déchirure en marge inférieure droite du premier feuillet, infime manque en marge droite du deuxième feuillet, sans atteinte au texte

“Je vis avec ma plume”

Belle supplique du jeune Emile Zola, prêt à toutes les concessions éditoriales pour rester dans la rédaction du journal La Tribune


« J’apprends que la Tribune va subir une transformation, et l’on me fait craindre qu’il n’y ait plus de place pour moi dans le journal modifié. J’aurais désiré aller causer avec vous de ma position, mais je crains de vous déranger et je préfère vous dire par écrit combien je compte sur votre sympathie pour me conserver en fidèle collaborateur. Je pense que, même la place diminuant, je puis encore vous être utile. Depuis sept mois, je me fais un grand honneur d’écrire à vos côtés, et j’éprouverais un trop vif chagrin si je n’appartenais plus à la Tribune, à laquelle je me suis dévoué de coeur et d’esprit jusqu’à ce jour. S’il devient impossible d’insérer de longues causeries, je pourrai donner des articles plus courts, sur des questions littéraires et sociales touchant à la politique.
Je sais que vous désirez avoir surtout une feuille de polémique. Je suis d’humeur belliqueuse, et c’est avec joie que je ferai le coup de feu. Je crois pouvoir vous promettre, dans chaque numéro, ou toutes les semaines seulement, de courts articles (100 lignes et même moins), sur des actualités. D’ailleurs, j’ignore si votre idée n’est pas de conserver mes causeries, qui ont eu, je le sais, quelque succès, et je me contente de me mettre à votre disposition, quel que soit le travail que vous voudrez bien me confier. C’est, parait-il, demain que le comité de rédaction doit arrêter la forme du journal. Lors de la fondation de La Tribune, vous avez eu déjà l’extrême bonté de me prendre sous votre protection. Et c’est pourquoi j’espère en vous. J’ai grand besoin de travailler, je vis avec ma plume, et la Tribune, seule me soutient en ce moment. J’attends, je vous l’avoue,, la décision du comité avec une vive anxiété. Quoi qu’il arrive, veuillez croire, cher monsieur, à l’assurance de mes sentiments les plus dévoues et les plus reconnaissants.
Emile Zola »


Zola commence sa carrière en tant que journaliste, activité qu’il exerce jusqu’en 1881. Il y revient en 1895, aux débuts de l’affaire Dreyfus, dont « J’accuse… » (1898) marque le point d’orgue.
A partir de janvier 1868, Zola, collabore activement avec le journal La Tribune, dans lequel il publie une soixantaine de textes. Cependant, un an plus tard, la ligne éditoriale devenant plus politique et moins littéraire, n’y paraissent que quatre textes.
Deux ans avant cette lettre, Zola publie son troisième roman, Thérèse Raquin, mais celui-ci ne rencontre pas le succès espéré. Notons en revanche qu’il est déjà en pleine écriture de La Fortune des Rougon (1871), premier tome de la saga des Rougon-Maquart. Ce dernier est censé le propulser dans la célébrité.

GONCOURT (de), Jules (1830-1870)

Lettre autographe signée « J. de Goncourt » à un éditeur
Paris, le 16 février 1864, 1 page in-8 sur bi-feuillet vergé

Jules de Goncourt propose la réédition de l’un de ses ouvrages


« J’apprends par un de mes amis, Mr Feydeau [l’écrivain Ernest Feydeau], que vous seriez disposé à nous éditer. Malheureusement, notre dernier roman nous a été demandé avant sa publication par Mr Charpentier [l’éditeur Gervais Charpentier], et dans ce moment-ci nous nous trouvons sans manuscrit. Vous agréerait-il de faire une seconde édition d’un livre épuisé : Sophie Arnould d’après sa correspondance et ses mémoires inédits, qui, orné d’un joli portrait, aurait, entre vos mains, à ce que crois, chance de se vendre ?
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de notre considération la plus distinguée
J. de Goncourt »


Sophie Arnould, d’après sa correspondance et ses mémoires inédits, est un ouvrage de Jules et Edmond de Goncourt publié pour la première fois en 1857. Il est édité une deuxième fois en 1861 et une troisième en 1877. Il apparaît que la proposition ici faite par Jules de Goncourt sera sans suite avec la maison d’édition.

Sophie Arnould (1740-1802) est une actrice et cantatrice française. Elle début en 1757 et se retire en 1778. Elle se distingue, selon ses contemporains, par la finesse de son jeu et l’agrément de sa voix.

PEGUY, Charles (1873-1914)

Pièce autographe signée « Charles Peguy »
S.l [Paris], le samedi 12 juillet 1902, 2 pages in-12
En-tête des Cahiers de la Quinzaine
Infime déchirure en marge supérieure du premier feuillet, sans atteinte au texte

Pièce autographe signée de Péguy relative à la Société nouvelle de librairie et d’édition


« Reçu la somme de trois cents francs, montant des intérêts échus du premier janvier au 30 juin 1902 de la créance représentative des deux cents actions que j’avais dans la Société nouvelle de librairie et d’édition.
Charles Peguy »


Début 1898, grâce à un petit capital provenant de sa belle-famille, Charles Péguy achète la boutique devenue la Librairie Georges Bellais au 17, rue Cujas. Centre de soutien privilégié de la France dreyfusarde, la librairie n’en publie pas moins les frères Tharaud, Romain Rolland, Charles Andler et Jean Jaurès. En août 1899, la faillite menace et, grâce à Lucien Herr, la Société nouvelle de librairie et d’édition reprend l’entreprise, dont Péguy n’est plus qu’un employé du conseil d’administration. En font notamment partie de Herr, Léon Blum et François Simiand.

KESSEL, Joseph (1898-1979)

Manuscrit autographe signé : [Le Chant des partisans]
S.l.n.d, 1 p. petit in-8°

Superbe et rare manuscrit de Kessel reprenant le premier couplet du Chant des partisans


« Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux sur la plaine
Ami entends-tu
Le cri sourd du pays qu’on enchaîne
J Kessel »


La chanteuse Anna Marly compose en 1941, à Londres, la mélodie de cette chanson d’après un air populaire russe, aussitôt diffusée sur les ondes radiophoniques de la France libre. Le 30 mai 1943, Joseph Kessel et son neveu, Maurice Druon, en écrivent les paroles sur le coin d’une table d’un restaurant londonien. Hymne de la Résistance et symbole de la lutte contre l’occupant allemand, Le Chant des partisans devient le troisième chant de combat de la France, après La Marseillaise et Le Chant du départ.
Notre pièce présente deux variantes :
« Sur la plaine au lieu de Sur nos plaines
Le cri sourd
 au lieu de Ces cris sourds »

Le manuscrit original, classé Trésor National en 2006, est conservé au musée de la Légion d’honneur.

[MAUPASSANT] LIÉBERT, Alphonse (1826-1913)

Tirage argentique tardif sur carte postale
S.l. [1875 ?], 9 x 11,6 cm
Légendé “B.144.”
Monogramme du photographe en marge inférieure à droite
Miroir d’argent sur la partie inférieure du tirage

Portrait peu commun de Maupassant en plan taille par Alphonse Liébert


Maupassant, à l’instar de Flaubert, est fort réticent à ses portraits photographiques. En 1890, il va jusqu’à menacer de procès son éditeur Georges Charpentier pour la diffusion de l’un d’entre eux. Fatigué des sollicitations à la fin de sa vie, il décide de ne plus s’opposer à la diffusion de son image et accepte de poser de temps à autre.

Dans une pose décontractée avec la main gauche dans sa poche, l’écrivain fixe sereinement l’objectif. Ses cheveux parfaitement peignés et son épaisse moustache lui donne un air de bonhomie.

Deux épreuves de ce portrait sont conservées au Getty Museum de Los Angeles et dans la collection Sirot-Angel.

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LFCéline » à ses amis Descaves
Copenhague, le 7 juillet [1947], (c/o Mikkelsen), 2 pages in-folio
Traces de pliures

Très belle lettre de Céline revenant avec désespoir sur ses dix-huit mois de prison et évoquant son travail sur Guignol’s Band II et Féérie pour une autre fois

« La France ne mérite pas ses écrivains »


« Chers amis, Voici bien longtemps que nous sommes demeurés sans nouvelles. De notre côté une légère amélioration au point de vue légal grâce à la visite que Mikkelsen a faite à Paris à Naud et à d’autres amis. La Butte a donné à fond ! s’est donné à fond en ma faveur. L’impression a été admirable ! Je ne suis plus le damné total, la pourriture absolue. On commence à se rendre compte que l’on m’a bien martyrisé injustement alors que tant d’autres… s’en tirent glorieusement et fructueusement. Lucette heureusement a repris forme et santé. Je ne suis pas brillant. Je traîne. J’ai refait de la pellagre et une crise de rhumatisme abominable en dépit de la chaleur. La cellule, les hivers en cellule m’ont crevé. Je n’ai pas tenu la réclusion. J’ai des faiblesses, je perds connaissance pour un oui, un non. Enfin on me promet un régime moins tracassier, bien amélioré. Il n’est malheureusement pas question de rentrer en France, et je souffre beaucoup de l’exil. De plus, on m’a enlevé tous mes pauvres moyens d’existence, médecine, livres… alors que Montherlant, Chadourne, Claudel, Romains… Je crains que l’Humanité ne revienne en France qu’avec la bombe atomique. Alors quelles réconciliations, quelles pleurnicheries ! Le maître nous prépare t- il autre chose ? un livre ? une pièce ? Je me suis malgré tout remis au labeur mais on m’a brulé Guignol’s Band II ! Je suis sur Féérie pour une autre fois, premier chapitre, le bombardement de Montmartre. Fait par les Français ! Je le ferai paraître en Suisse et en Amérique. Qu’ils se gorgent d’Aragon, de Cassou, et de Triolet, et de traductions de Miller sous-Céline ! puisque c’est leur goût ! La France ne mérite pas ses écrivains. Son âme déambule jamais entre Félix Potin et la Samaritaine. LF. Céline. Toutes mes bonnes amitiés à Max et Pierre ! et au petit Mozart Descaves »


Céline publie son premier pamphlet antisémite dès 1937, avec Bagatelles pour un Massacre. Trois autres pamphlets seront publiés pendant la Guerre, qui lui vaudront une condamnation à de la prison ferme. Proche des milieux collaborationnistes sous l’Occupation, Céline est contraint de quitter la France avec son épouse Lucette quelques jours après le débarquement des alliés, le 6 juin 1944. Il se rend à Baden-Baden, craignant pour sa vie. S’ensuivent des pérégrinations en Allemagne avant qu’il ne rejoigne, en octobre 1944, le gouvernement en exil du Régime de Vichy à Sigmaringen (épisode de sa vie qui lui inspirera le roman D’un château l’autre, paru en 1957).
C’est en mars 1945 qu’il obtient son visa pour se rendre au Danemark, alors encore occupé par les allemands. Il y est arrêté en décembre de la même année, et passe un an et demi en prison avant de revenir en France et d’obtenir finalement un non-lieu.

HUGO, Victor (1802-1885)

Photographie originale par Pierre Petit
Tirage albuminé d’époque (1861). Format carte de visite (53 x 72 mm)
Contrecollé sur carton. Crédit du photographe recto et verso.
Anciennes traces de colle au verso sans atteinte au texte, quelques taches.

La toute première photographie de Victor Hugo barbu


Suite à un sérieux mal de gorge, le poète décide de se laisser pousser la barbe :
« Je laisse pousser ma barbe pour voir si cela me protégera contre les maux de gorge »

Dans une lettre de 1845, il écrit :
« Il faut qu’une tête d’homme soit bien belle, bien modelée par l’intelligence et bien illuminée par la pensée, pour être belle sans barbe ; il faut qu’une face humaine soit bien laide, bien irrémédiablement déformée et dégradée par les idées étroites de la vie vulgaire, pour être laide avec la barbe. Donc, laissez croître vos barbes, vous tous qui êtes laids, et qui voudriez être beaux ! »

Cet ornement nouveau n’a toutefois rien de purement esthétique. Outre cette toison que le souvenir collectif a transformée en véritable symbole, il s’agit aussi d’un pied de nez au pouvoir impérial, qui a alors proscrit le port de la barbe du le corps enseignant.

[TCHAÏKOVSKI] LORENS, Alfred (1830-1896)

Photographie originale par Alfred Lorens, S. Petersbourg
Tirage albuminé d’époque [c. 1874], format carte de visite (104 x 64 mm)
Contrecollé sur carton au nom du photographe. Liseré doré sur le contour.
Marge inférieure du carton très légèrement rognée, infimes taches (voir scan)

Rare et magnifique portrait du musicien âgé de trente-trois ans


Vêtu d’une redingote croisée, le musicien figure en position assise et décontractée, les bras croisés et le regard serein.
C’est en cette même année qu’il compose son premier concerto pour piano en si bémol mineur, qui lui valu une critique assassine de Nikolaï Rubinstein.

Au verso :
Annotation d’époque au verso « Tchaikovsky » d’une main inconnue
Atelier de photographie. Alfred Lorens – St. Pétersbourg
Avenue Nevsky, Maison Bossé, no. 5

Connu pour ses portraits, le photographe russe Alfred Lorens l’est tout autant pour ses prises de vue de de la ville de Saint-Pétersbourg, aujourd’hui conservées en partie au J. Paul Getty Museum de Los Angeles.

HUGO, Victor (1802-1885)

Pièce autographe
S.l.n.d [Senat, mars 1879] un page oblonge in-12 contre-collé sur carton fort
Encadrement sur-mesure sous Marie-Louise, verre type musée (23×9 cm)
Annotation manuscrite d’époque en bas de page et d’une autre main ‘Ecriture de Victor hugo, au Senat mars 1879’
Petite décharge d’encre sous le premier mot

Célèbre vers de Victor Hugo tiré de son recueil de poèmes Les Voix Intérieures (1837)


Qui donne aux pauvres prête à Dieu


Très belle pensée du poète, qu’il souhaite universelle. Son œuvre entière en est empreinte, tel un testament philosophique et religieux autant que littéraire (« V. Dieu est toujours là »)
Les Voix Intérieures est un recueil de poèmes de Victor Hugo publié en 1837.

Heureux ceux que mon zèle enflamme !
Qui donne aux pauvres prête à Dieu.
Le bien qu’on fait parfume l’âme ;
On s’en souvient toujours un peu !
Le soir, au seuil de sa demeure,
Heureux celui qui sait encor
Ramasser un enfant qui pleure
Comme un avare un sequin d’or

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Manuscrit autographe signé « Chateaubriand »
S.l.n.d, 1 page in-8 sur bifeuillet, encadrement sur mesure, sous verre type musée
Traces de pliures, quelques trous d’épingle, infimes taches

Remarquable citation autographe signée de Chateaubriand, issue de ses Mémoires d’outre-tombe


« Rome déchue offre un asyle aux puissances tombées :
Ses ruines sont un lieu de franchises pour la gloire persécutée et les talents malheureux
Chateaubriand »


Cette citation est tirée du troisième volume des Mémoires d’outre-tombe. Celui-là retrace le parcours de l’écrivain de la Restauration (1815) jusqu’à la Révolution des Trois Glorieuses.
Les Mémoires d’outre-tombe est la principale œuvre de Chateaubriand dont la rédaction commence en 1809 et s’achève en 1841. Chateaubriand souhaitait que ses mémoires ne soient publiés qu’après sa mort, d’où leur titre.

GENEVOIX, Maurice (1890-1980)

Lettre autographe signée « Maurice Genevoix » à un confrère
Châteauneuf s/ Loire (Loiret), 24 janvier 1927, 1 p. in-4°
Traces de pliures, petites déchirures marginales

Belle lettre de Genevoix évoquant son rythme de travail


« Mon cher confrère,
Vous avez mal pensé, j’en ai peur, de mon tempérament à vous répondre. Je pourrais, je devrais alléguer des voyages, des vacances, mais vous étiez bien en vacances lorsque vous m’avez écrit. La vérité est que je suis assez paresseux pour, lorsque je travaille, n’être capable que de travailler. C’était le cas : J’ai perdu la notion du temps. Je sursaute, je m’excuse, je compte sur votre indulgence.
Pour votre offre, sa cordialité me touche. Je vous réponds oui de bon cœur, enchanté du voisinage et de la camaraderie promise.
Merci donc, mon cher confrère, de votre bien cordialement
Maurice Genevoix »


L’ensemble de l’œuvre de Genevoix témoigne des relations d’accord entre les hommes, entre l’homme et la nature, mais aussi entre l’homme et la mort. Alors qu’il est héritier du réalisme, son écriture est servie par une mémoire vive, un souci d’exactitude, et un sens du poétique. Genevoix témoigne en outre pour la génération fauchée de la Grande Guerre, particulièrement dans Ceux de 14, recueil de récits rassemblés en 1949.

RÉCAMIER, Juliette (1777-1849)

Lettre autographe à Madame Vallange, rue de la Paix
S.l.n.d, [4 heures] 1 page 1/2 in-12
Déchirure sur le deuxième feuillet, sans atteinte au texte, plusieurs trous d’épingle

Madame Récamier présente ses excuses pour n’avoir pu se rendre à un spectacle


« J’ai espéré jusqu’à ce moment, chère amie que je pouvois aller ce soir au spectacle avec vous mais je suis si souffrante que ce serait une imprudence qu’on me défend. Je suis désolée et je vous demande mille pardons de vous le faire savoir si tard, c’est ce désir de ne [pas] y renoncer qui m’a donné de l’espoir jusqu’à ce moment.
Mille tendres amitiés »


Juliette Récamier est une femme de lettres française dont le salon parisien réunit, du Directoire à la monarchie de Juillet, les plus grandes célébrités des mondes politique, littéraire et artistique.

FERSEN, Axel, Comte de (1755-1810)

Pièce autographe signée « Axel Fersen »
Stockholm, le 10 avril 1787, 1 page oblong in-12, 60 x 215 mm
Infime trou d’épingle sans atteinte au texte

Très rare pièce entièrement autographe et signée du comte de Fersen


« Je certifie que le Sieur Pierre de Choenström est né de parents nobles et quil est en etat de fair les preuves requises pour entrer au service du Roi.
Axel Fersen »


Fersen quitte la France le 26 juillet de l’année précédente pour rejoindre la Suède, où il reste jusqu’au 15 avril 1787. Il a rejoint le roi Gustave III pour l’accompagner dans sa guerre en Finlande contre Catherine II de Russie. Fersen est célèbre pour avoir été le favori de la reine de France Marie-Antoinette et pour son rôle majeur dans la fuite de la famille royale pour Montmédy en 1791, interrompue à Varennes.

VLAMINCK, Maurice de (1876-1958)

Lettre autographe signée « Vlaminck » à Lucien Descaves
La Tourillière, Rueil-la-Gadelière (Eure-et-Loir) 20 avril 1931, 2 pages in-8
Quelques froissures, trace de pliure centrale

Vlaminck envoie ses dernières épreuves au sujet de son prochain livre, Poliment, paru chez Stock en 1931


“Mon cher Descaves,
Par le même courrier, les épreuves. J’abuse de votre amabilité mais vous m’avez offert si spontanément de me rendre ce service que ma foi j’en profite et j’en [suis] heureux. J’ai fait les corrections, celles déjà faites le soir à la Tourillière. Mais je vous demande de relire le tout afin qu’il ne reste pas de coquilles. Nous comptons aller à Paris vendredi et si cela ne vous dérange pas déjeuner avec vous. Si vous n’êtes pas libre, croyez que je comprends très bien cela, inutile d’écrire car nous sommes obligés d’aller à Paris. Nous passerons donc vendredi midi rue de la Santé, s’il n’y a pas d’empêchement nous aurons le plaisir de déjeuner avec vous ; sinon eh bien nous déjeunerons au restaurant. Je reprendrai les épreuves vendredi afin de les porter chez Stock l’après-midi.
Ne me renvoyez pas les épreuves je les prendrai chez vous.
Nos amitiés à tous et à vous Descaves [de] mes deux mains
Vlaminck”


Maurice de Vlaminck est un peintre français qui s’illustre dans le fauvisme et le cubisme. Artiste très polyvalent – figures, portraits, nus, paysages, animés et urbains, intérieurs, natures mortes, fleurs et fruits, peintre à la gouache, aquarelliste, graveur, dessinateur et illustrateur –, il est aussi l’auteur de pas moins de vingt-six livres : romans, essais et recueil de poèmes.
Lucien Descaves (1861-1949) est un journaliste, écrivain et dramaturge français. Il fait partie des premiers membres de l’Académie Goncourt, qu’il a présidée en un temps.

LAFAYETTE Gilbert du Mortier, marquis de (1757-1834)

Pièce signée « Lafayette » et cosignée « Bailly » par Jean-Sylvain Bailly
Contresignée par le secrétaire de mairie, Louis-Jean-Baptiste Boucher de Bonneval
En-tête Garde-Nationale Parisienne, vignette (armoiries biffées), sceau de cire rouge de la Garde Nationale Parisienne.
Paris, le 1er septembre 1790, 1 page in-folio en partie imprimée
Bords effrangés, déchirures marginales habilement réparées au verso, traces de pliures

Rare signature de Lafayette pendant la période révolutionnaire, au lendemain de l’affaire de Nancy


Brevet de nomination de Claude Chaffin comme sergent de fusiliers dans la compagnie de Cressart.


C’est Jean-Sylvain Bailly qui, le 20 juin 1789, lors du serment du Jeu de Paume, prête le premier serment et trois jours plus tard, lors de la séance où Louis XVI exige la dispersion de l’Assemblée, refuse d’obtempérer et s’autoproclame président de l’Assemblée nationale.
Il est intéressant de noter que les armoiries royalistes (en particulier les fleurs de lys) de la vignette ont été caviardées à l’époque.

 

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » à une amie
Vence, [s.d], Lundi de Pâques [entre 1921 et 1928], 2 pages 1/2 in-8
Annotation d’une autre main au crayon, en marge supérieure droite du premier feuillet

Tendre lettre du poète depuis Vence et évoquant Catherine Pozzi


« Chère Madame et amie,
La fête des fleurs s’agite plus ou moins à deux cents mètres d’ici. C’est une petite confusion sans luxe, ou l’on se jette ce que l’on ramasse.
Madame Catherine
[Pozzi] est restée au logis où je la retrouve, le tuyau d’arrosage en mains. Le jardin a vraiment beaucoup gagné depuis l’année dernière. Je sais que vous avez apprécié la collinette et le pays. La maison est vraiment agréable, étant simple et commode. Le pays n’a contre lui que la poussière qui est grande sur la route, et l’éloignement des grandes voies, qui a son charme.
Je n’ai pas encore été à Nice. Je mène une vie de paresseux qui voudrait bien travailler et qui s’y essaye. C’est un bonheur pour moi que d’être soustrait à mes dîners et à mes thés, et à bien d’autres ennuis.
Yorik est à mes pieds. Dès l’aube, nous descendons faire la chasse à la mandarine ou à la côte de palmier. Il a même trouvé une pomme de pin qu’il a rapporté précieusement. Cet étrange chien me distrait et m’intrigue.
Nous aurons mercredi Mme de Croisset pour le thé. Bien que Mme de Béhogue n’est encore venu. Comme disent les journaux : Nous nous perdons en conjectures…
J’ai vu deux fois M. Laurent. Il est venu déjeuner hier…
Voici que Mme Catherine m’interrompt. Il faut courir au train. Je n’ai que le temps de vous charger de toutes mes amitiés pour Monsieur Jacques et de vous présenter mes hommages très respectueux et très affectueux.
Paul Valéry


Catherine Pozzi (1882-1934) est une femme de lettres et poétesse française. Elle entame en 1920 une liaison tumultueuse avec Paul Valéry, qui s’étend sur huit ans, et a donné lieu à une importante correspondance. La rupture éloigne Pozzi du Paris des salons et provoque chez elle un pénible sentiment de solitude.

« Il ne fut jamais mon maître. Il fut mon frère, mon pareil, ma tendresse très pure. Ce n’est pas la même chose », Catherine Pozzi écrit-elle à propos de Paul Valéry.

HUGO, Victor (1802-1885)

Photographie originale par Melandri (c. 1881)
Épreuve sur papier albuminé contrecollé sur carton au format carte-cabinet

Crédit du photographe sur le montage, à l’adresse 19, rue Clauzel, Paris
Tache en marge supérieure gauche, marges du carton légèrement effrangées.
Annotation « Victor Hugo » d’époque au recto, d’une main inconnue


Beau portrait du grand homme entouré de ses petits-enfants, Georges et Jeanne Hugo

Cette célèbre photographie de Victor Hugo est emblématique de sa fin de vie. Suite à la mort de son épouse, Adèle Foucher en 1868, puis d’un de ses fils, Charles, en 1871, Victor Hugo prend en charge l’éducation de ses deux petits-enfants, Georges et Jeanne. Après avoir goûté le bonheur d’être grand-père en exil à Vianden en 1871, il accueille les enfants et leur mère à Guernesey l’été 1872, et s’installe avec eux à Paris en 1874. C’est au cours de cette période qu’il écrit plusieurs poèmes sur les comportements et l’innocence reliée à ses petits-enfants. Ils sont regroupés dans son ouvrage L’Art d’être grandpère.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Photographie originale par Alcide Allevy
Épreuve sur papier albuminé contrecollé sur carton au format carte-cabinet (14,5 x 9,5cm)
Crédit du photographe sur le montage, à l’adresse Paris, 14 rue de Castiglione.
Uniformément bruni, quelques taches, marges du carton légèrement effrangées. Annotation d’époque au verso.


Beau portrait de Verlaine apparaissant de buste, portant une petite lavallière.

Il est aux abords de la quarantaine, à l’époque de la publication des Poètes Maudits. Verlaine est alors reconnu comme un maître et un précurseur par les poètes partisans du symbolisme et du décadentisme.

SUE, Eugène (1804-1857)

Lettre autographe signée « Eugène Sue » à l’éditeur Pougin
Paris, s.d, 1 page in-8
Bris de cachet sur le deuxième feuillet avec manque, sans atteinte au texte

Rare lettre de l’auteur des Mystères de Paris


« Je voudrais beaucoup monsieur avoir le plaisir de vous voir pour vous parler d’une proposition qui je l’espère du moins pourrait peut-être vous convenir. Je suis tellement occupé que je vous serais extrêmement obligé si vous pouviez vous donner la peine de passer chez moi mardy avant midy, pour causer de cette affaire. 
Agréez monsieur l’hommage de ma considération
Eugène Sue »


Eugène Sue est un écrivain français de la première moitié du XIXe siècle. Il est principalement connu pour deux de ses romans feuilletons à caractère social : Les Mystères de Paris (1842-1843) et Le Juif errant (1844-1845).
Le roman feuilleton Les Mystères de Paris est publié par épisode dans Le Journal des débats. Son succès est énorme. Un jour, l’auteur se fait arrêter et emprisonner pour des dettes non recouvrées et cesse alors de publier. Cependant, le préfet de Paris, lecteur assidu des Mystères, attend avec grande impatience les épisodes suivants, mais Eugène Sue refuse de continuer écrire tant qu’il est enfermé. Le préfet décide donc de le libérer moyennant la suite de l’histoire ! Cela n’est pas sans rappeler la magie des Mille et une nuits, conte oriental dans lequel Shéhérazade échappe à la peine capitale. En effet, le sultan souhaite que la belle lui raconte la suite de l’histoire qu’elle a commencé la première nuit, retardant son exécution de mille nuits… jusqu’à l’annuler.

SACHS, Maurice (1906-1945)

Lettre autographe signée « Maurice Sachs » à Henry de Montherlant
Paris, décembre 1941, 2 pages in-8

Très belle lettre de Sachs, aux magnifiques formules, demandant une rencontre à Montherlant


« Monsieur,
Depuis que je ne suis plus jeune, je n’écris plus aux écrivains, mais “nous avons tellement besoin de belle nature, pour qu’elles nous exaltent et nous approfondissent” qu’on en arrive deux ou trois fois dans la vie à se dire : Il est absurde de vivre à la même époque qu’un tel et de n’avoir pas cherché à causer avec lui.
Sans quoi l’auteur qui a eu de la besogne, ou des plaisirs à satisfaire, ou que des gens nouveaux (et pas très beaux de surcroit) ennuient à juste titre, dit : débrouillez-vous avec mon œuvre.
Cet impérieux besoin de vous rencontrer dans une première fois de la lecture de la Relève du matin, une deuxième fois de celle d’Aux fontaines du désir, et maintenant de celle du livre de Faure-Biguet [Les enfances de Montherlant (de neuf à vingt ans, Plon]. L’émotion que viennent me procurer certaines pages citées (et qui se confond avec elle ressenties il y a quelques mois en lisant “Les Chevaleries”) [Article de Montherlant paru dans la NRF en janvier 1941] est une des plus fortes de ma vie. Et pour la première fois, c’est une émotion à laquelle ne se mêle aucune sensiblerie.
Mais vous pensez bien que je ne vous écris pas pour vous parler de moi, et que je ne désire pas vous voir pour vous parler de moi, à la façon des tout jeunes gens qui ont besoin de s’expliquer, qui ne peuvent pas le faire en famille, qui n’osent pas absolument tout dire aux copains et qui veulent se commenter devant un homme célèbre.
J’ai seulement, mais impérieusement besoin de vous poser deux ou trois questions, car il n’y a qu’à vous qu’il soit intéressant de les poser.
Si, par hasard, vous voulez prendre le temps (une heure) d’y répondre, faites-le dire à votre lecteur fidèle.
Maurice Sachs »


Ecrivain maudit, juif collabo, auteur à scandale, Maurice Sachs laisse une œuvre protéiforme, dont deux récits à la première personne bouleversants de vérité et d’intelligence.

REVERDY, Pierre (1889-1960)

Lettre autographe signée « Pierre Reverdy » à André Level
S.l.n.d, 1 page in-12 sur bifeuillet
Discret cachet d’une collection antérieure au verso de la première page

Reverdy envoie son nouvel ouvrage


« Cher Monsieur Level, 
Voici un nouveau livre qui marque une nouvelle étape dans mon œuvre. Voudrez-vous le lire ? 
Je vous remets ci-joint le bulletin. J’aurai sans doute bientôt le plaisir de vous voir car je rentre à Paris. 
En attendant toutes mes amitiés.
Pierre Reverdy »


Pierre Reverdy est un poète français associé aux cubisme, dadaïsme et débuts du surréalisme. Il a une influence notable sur la poésie moderne de langue française.
Ses œuvres notables sont Les Ardoises du toit (1918), Sources du vent (1929), La Liberté des mers (1947-1955) et Sable mouvant (1959).

André Level (1863-1947) est un homme d’affaires et collectionneur français qui s’illustre en constituant la première collection d’art moderne français.

QUENEAU, Raymond (1903-1976)

Lettre autographe signée « Queneau » à Hugues Fouras
S.L, 5 février 1959, 1 page in-8 en-tête Nrf
Lettre monté sur papier quadrillé au verso

Queneau présente ses excuses pour ne pas avoir répondu à une lettre


« Cher ami
Je retrouve votre lettre et suis désolé de ne pas y avoir répondu plus tôt. Mais j’avais déjà écrit à Falgairolle pour me récuser. Et puis le temps a passé…
Je vous priede m’excuser et de croire, mon cher Hugues Fouras, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Queneau »


Raymond Queneau est un romancier, poète et dramaturge français. Il est cofondateur du groupe littéraire Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle).
Son œuvre restée la plus célèbre est Zazie dans le métro (1959).

LUBICZ-MILOSZ (de), Oscar Vladislas (1877-1939)

Lettre autographe signée « Votre Milosz » [à Hugues Fouras]
[14 mars 1938], 2 pages in-8°
Ancienne trace de montage en marge gauche
Ancien cachet de collection

Milosz envoie un exemplaire de ses Dix-sept poèmes Hugues Fouras


« Cher poète et ami,
Je suis bien aise de pouvoir joindre à ce pli un dernier exemplaire des XVII Poèmes, ainsi que mon étude sur les origines de la nation lithuanienne.
Entendu pour le 20 mars 20 heures mais j’ose vous en supplier une fois de plus – rien qui de près ou de loin ressemble à l’ombre d’un discours. J’en ai trop fait, comme ambassadeur à Genève et ailleurs. Le monde ou nous vivons est l’innocente victime des “gueules pleines de grandes choses”, comme le dit si bien le Prophète Daniel. Fraternellement (cela me rajeuni)
Votre Milosz »


Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz est un poète lituanien de langue française. Il est également romancier, dramaturge et métaphysicien. Sa poésie évoque le passage du temps, la souffrance, l’amour. La nostalgie de l’enfance et le souvenir nourrissent l’œuvre du poète. Vers la fin de sa vie, il s’intéresse à la méditation religieuse.

Cette lettre lui est adressée par son ami poète Hugues Fouras, quelques jours avant que les collaborateurs de la revue La Bouteille à la Mer offrent à Milosz un dîner poétique pour lui rendre hommage.

MAETERLINCK, Maurice (1862-1949)

Carte autographe signée « Maeterlinck » à Edouard Dujardin
Lisbonne, 3 avril 1940, 1 page in-8
Ancienne trace de trombone, quelques taches d’encre, notes d’une autre main au verso

Billet de Maeterlinck, alors réfugié au Portugal en pleine Seconde Guerre Mondiale


« C’est seulement aujourd’hui 3 avril que je reçois votre mot daté du 27 mars. Je suis au Portugal depuis 6 mois et compte y rester jusqu’à la fin de la guerre. Je voulais vous dire combien j’aurais été heureux de vous revoir à Nice. Attendons des temps moins barbares
Bien affectueusement [à] vous
Maeterlinck »


Maurice Maeterlinck est un écrivain belge, figure du symbolisme. Il est célèbre pour sa pièce Pelléas et Mélisande (1892), sommet du théâtre symboliste. En 1902, Claude Debussy l’utilise comme livret pour composer un opéra du même nom.
Le 12 juillet 1940, Maeterlinck embarque à Lisbonne pour les États-Unis, où il arrive le 12 juillet 1940. Il ne doit revenir en France qu’en 1947.

LORRAIN, Jean (1855-1906)

Lettre autographe signée « Jean Lorrain », à un ami
Auteuil [sans date], 2 pages in-12 oblong

Charmante invitation de Jean Lorrain


« Mon cher ami, 
Je suis encore à Paris, je le quitte jeudi ou vendredi soir. Demain mercredi je descends à Paris, mais je suis très pris, j’ai toute ma journée prise par des rende-vous qui commencent à deux heures Chausée d’Antin puis s’echelonnant toute la journée. 
Voulez-vous venir dejeuner à Auteuil midi précise demain mercredi, nous causerons et descendrons de la à Paris. 
Voulez vous me rappeler au bon souvenir de votre mère et me croire votre ami. 
Jean Lorrain »


Jean Lorrain est l’un des écrivains à scandale de la Belle Époque, au même titre que Rachilde et Hugues Rebell. Ses œuvres peuvent être rapprochées de la littérature fin-de-siècle. Il est ouvertement homosexuel, ce qui n’a rien d’évident à cette époque.

LAMENNAIS, Félicité de (1782-1854)

Lettre autographe signée « F. de Lamennais » à M. Lasneau
Paris, 20 juin 1825, 1 page in-8
Bords légèrement effrangés, notes d’époque au verso, probablement de la main du destinataire

Lamennais requiert un envoi pour son dernière ouvrage, traduction de L’Imitation de Jésus-Christ 


« Je prie Monsieur Lasneau de remettre à Mr Charles un exemplaire de ma dernière brochure et deux exemplaires de mon Imitation
Paris, le 20 juin 1825
F. de Lamennais 
À la librairie classique »


Félicité de Lamennais est un prêtre, écrivain, philosophe et homme politique français. Élu député à l’Assemblée constituante en 1848, il meurt en 1854, alors que ses déconvenues avec l’Eglise ne sont pas apaisées. Selon sa volonté, il est enterré civilement.

Comme Corneille, il traduit du latin l’œuvre anonyme L’Imitation de Jésus-Christ, que l’on estime écrite vers 1400.

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Lettre autographe signée « Edmond de Goncourt » à un Monsieur
Paris, 12 novembre 1885, 1 page in-8 sur bifeuillet vergé
Traces d’empreinte digitale en marge inférieure droite

Edmond de Goncourt se documente en vue de son prochain ouvrage : Mademoiselle Clairon


« Monsieur
M’occupant en ce moment d’une biographie de Mlle Clairon qui a fait ses débuts tragiques à Rouen dans la troupe à Lanoue et a joué de 1737 à 1740, je viens vous demander, connaissant votre obligeance par mes amis, si vous ne connaissez pas quelque lettre ou document relatif à ce passage dans votre ville de la grande tragédienne, soit publié dans un recueil local soit mis et conservé dans une collection rouennaise.
Je vous serais infiniment reconnaissant de cette communication.
Agréez, Monsieur, avec mes remerciements d’avance, l’assurance de ma considération distinguée.
Edmond de Goncourt
PS Boulevard Montmorency
Paris – Auteuil
A cette époque il n’y a pas encore de journal à Rouen ? »


Edmond de Goncourt (1822-1896) est un écrivain français rattaché au courant naturaliste. Il est le fondateur de l’académie Goncourt, qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre est écrite à quatre mains avec son frère, Jules de Goncourt.

Mademoiselle Clairon, d’après ses correspondances et les rapports de police du temps, paraît chez l’éditeur Charpentier en 1890.

CONSIDÉRANT, Victor (1808-1893)

Lettre autographe signée « V Considérant » à M. Berger
Paris [probablement en 1848], 2 pages in-8, en-tête département de la Seine / ville de Paris – conseil général municipal
Petit manque en marge inférieure du deuxième feuillet, sans atteinte au texte

Rare lettre de Victor Considérant dressant une liste pour le bal du préfet


« Mon cher Préfet,
Voici deux noms choisis conformément à vos désirs, du Chenu pour le bal prochain.
Mr et Mme Bichot, commandant du Génie rue de la Chaussée d’Antain 24
Mr et Mme Anicet Bourgeois, Grange Batellière 19
Mr et Mme de Basano 40 rue Monthaler
Me et Mme du Bois Thierry 50 rue de Rivoli
Mesdames Colonel Grattan 2 Castiglione
Madame Croly, 3 Castiglione
Et le plus beau de tous
V. Cuenot capitaine du génie, déjà nommé et que je vous prie de faire passer à l’état d’étoile fixe pour vos invitations.
Mille compliments et acceptation de votre invitation pour le 27.
V. Considérant »


Victor Considérant est un philosophe et économiste polytechnicien. Adepte du fouriérisme, il en est le principal vulgarisateur. Il contribue alors à donner une interprétation modérée des doctrines de Fourier, s’efforçant d’écarter ou de cacher les lignes les plus controversées, comme celles sur la liberté sexuelle ou sur la suppression de la famille. Il les garde néanmoins en mémoire pour en tirer des réformes pratiques ; on compte par exemple le droit au travail et la participation des femmes au suffrage universel.

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Jean Cocteau » à André Figueras
S.l, 29 juin 1952, 1 page in-4
Marge inférieure droite effrangée avec infime manque

Charmante lettre de remerciements


« Mon cher Figueras, 
Je me demande (car la fatigue de mon voyage en Allemagne me rend gâteux) si je vous ai remercié de l’envoi de votre article, si juste et si noble
Tant pis, si c’est fait. Je vous remercie deux fois. Je devrais vous remercier bien d’avantage. 
Votre Jean Cocteau »


Au début de l’année 1952, Cocteau effectue une tournée en Allemagne pour présenter Orphée et La Villa Santo Sospir.

BARBUSSE, Henri (1873-1935)

Lettre autographe signée « Henri Barbusse » à un ami
Villa Célestine, Antibes [Septembre 1919], 1 p. in-4

Belle lettre de Barbusse au sujet de Femme de Magdeleine Marx, pour le prix Goncourt 1919


« Mon cher ami,
Un livre très remarquable vient de paraître : Femme, par Magdeleine Marx, et je prends la liberté de le signaler à mes éminents amis de l’Académie Goncourt, pour le prix.
Je le fais, bien entendu sans aucune espèce de prétention de leur indiquer ce qu’ils ont à faire, mais je considère qu’il est du devoir de l’homme de lettres d’attirer l’attention de “qui de droit” sur les œuvres qui en valent la peine. De plus, ce livre sort juste en ce moment, c’est à dire au dernier moment et il se pourrait très bien que sans être reconnu, vous ne le lisiez pas à temps.
Je suis comme vous voyez, revenu dans le midi : Depuis août, ou j’ai eu une rechute de ma maladie de guerre, je suis assez patraque.
Recevez, je vous prie mes hommages amicaux et dévoués à votre femme et à votre fille, et croyez-moi votre bien dévoué.
Henri Barbusse »


Femme, paru chez Flammarion, avec un avant-propos d’Henri Barbusse, n’obtient pas le Prix Goncourt en 1919. Comme chacun sait, c’est À l’ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust qui récolte le prix cette année-là. Babusse lui-même l’avait obtenu le Goncourt deux ans plus tôt avec Le Feu.

BALLANCHE, Pierre Simon (1776-1847)

Lettre autographe signée « Ballanche fils » à un Monsieur
Lyon, le 29 avril 1811, 2 pages in-4
Infîmes petits trous dus à la corrosion de l’encre sur deux mots avec infîmes déchirures. Marge gauche effrangée

Belle lettre de Ballanche relative à la traduction des Aventures de Télémaque en Italien


« Monsieur
La bonté avec laquelle vous avez bien voulu me faire des offres de service, à votre dernier voyage à Lyon, fait que je me crois autorisé à prendre la liberté de vous prier de me rendre un service pendant votre séjour à Rome. Vous connaissez sans doute une traduction du Télémaque, en vers italiens, par Scarcelli. Cette traduction a été imprimée à Rome en 1747, en un vol. in-4°. Scarselli dans une petite préface dit qu’il avait le projet d’ajouter à la traduction, des notes historiques, géographiques, littéraires, mais qu’il en était abstenu parcequ’il savait qu’une autre personne avait un travail très considérable sur le Télémaque, et que ce travail devait être très prochainement publié. Cette autre personne est Louis Montefani Caproro professeur de droit public à l’université de Bologne et bibliothécaire de l’institut des Sciences. De deux choses l’une, ou Caprro n’aura pas publié son travail, et alors Scarselli aura publié le sien, ou Caproro aura publié ses notes. C’est un fait qu’il serait important pour moi de vérifier. Dans le cas où les notes soit de Scarselli, soir de Caproro, existeraient, il m’importerait de les avoir. Je ne sais pas si vous connaissez celles de Fabricius et de Daniel Durand, sur le Télémaque : elles me paraissent faites d’après le même plan, et elles sont antérieures. Il est possible que les autres n’aient fait que compléter ce travail de ces deux derniers. La première édition du Télémaque avec les notes de Fabricius et de Durand a paru à Hambourg en 1731, et la seconde à Londres en 1745. J’ai cette dernière édition. La première édition de la traduction de Scarcelli a paru à Rome, en 1747, et les notes, si elles existent, n’ont pu qu’être postérieures à 1747. 
Je vous demande pardon, Monsieur, de vous ennuyer de ces détails, mais je connais votre extrême obligeance, et vous êtes dans le pays où il est le plus facile de vérifier le fait qu’il importe de connaître. 
Nous sommes sur le point de publier un Télémaque avec les notes de Fabricius et de Durand, c’est pourquoi il nous serait extrêmement utile d’avoir les autres pour les comparer et en profiter. Peut-être devrions-nous prendre pour fonds de nos notes l’édition qui porterait les notes de Caproro, plutôt que celle qui porte les notes de Fabricius et de Durand. 
Notre projet sur le Ciceron est ajourné. Cependant comme nous sommes bien loin d’y avoir renoncé, s’il vous venait quelques renseignements qui fût bon à recueillir pour nous, je vous prie de ne pas les laisser échapper. 
Je compte assez sur votre complaisance pour espérer de vous une réponse prochaine. 
J’ai l’honneur d’être parfaitement votre très humble et très obéissant serviteur. 
Ballanche fils »


Ballanche dirige alors avec son père l’une des plus importantes imprimeries de Lyon. Ce n’est qu’en 1816, à la mort de ce dernier, qu’il vend l’affaire familiale et s’installe à Paris pour se consacrer aux lettres.
Epistolier, Ballanche a échangé de nombreuses lettres avec Chateaubriand, Madame Récamier, Sainte-Beuve, entre autres.

BERNHARDT, Sarah (1844-1923)

Lettre autographe signée « Sarah Bernhardt » à un député
S.l.n.d, 3 pages in-8
Sa devise en en-tête : « Quand même »
Trace de pliure centrale, infimes taches

Charmante lettre de l’actrice proposant un déjeuner


« Très cher député, je réserve pour samedi un déjeuner chez la Comtesse de Najac. Vous plaît-il venir demain déjeuner chez moi. J’ai hâte de causer avec vous de ce sujet qui me passionne. S’il ne vous est possible demain, vous plaît-il lundi. J’ai été joyeuse de vous voir…. Je vous serre la main.
Sarah Bernhardt »


Belle et grande signature

GEORGE, Marguerite-Joséphine Weymer, dite Mademoiselle (1787-1867)

Lettre autographe signée « George » au roi Louis-Philippe
Paris, 22 mai 1840, 2 pages in-4
Quelques froissures, tache sur le deuxième feuillet sans atteinte au texte.

Poignante supplique de la grande actrice du théâtre romantique au roi Louis-Philippe


« Sire,
Frappée par le désastre de la direction de la Porte St Martin, j’ose m’adresser à votre majesté. Elle seule, dans la bienveillance dont elle honore les artistes, peut apprécier et secourir une femme, que recommandent un grand malheur, et quelques heures, acteurs dans la profession.
Dans l’espoir de réparer une partie des pertes que j’ai subies, j’entreprends avec une troupe d’élite un grand voyage dramatique, qui propagera à l’étranger l’étude et le goût des chefs d’œuvres du théâtre français. Cette entreprise ne peut être réalisée qu’au moyen de dépenses qui sont assez considérables, surtout pour la position ou ma place la fermeture du théâtre de la porte-st-martin.
J’invoque de votre majesté un secours quel qu’il soit, il facilitera l’opération que j’entreprends, il m’honorera, il sera pour moi un augure de bonheur.
Quelques services que j’ai pu rendre à l’art dramatique seront auprès de votre Majesté ma recommandation, ou mon excuse pour la prière que ma confiance d’artiste n’hésite pas à lui adresser.
Je suis avec respect Sire, de votre majesté, la très humble et très obéissante servante,
George
Anciennement secrétaire du théâtre français »


L’actrice fait ici référence à la faillite de Charles-Jean Harel à la fin de l’année 1839. Ce dernier dirige alors le théâtre de la Porte-Saint-Martin. Suite à cet évènement, le théâtre est repris par les frères Cogniards, jusqu’en 1848.

GEORGE, Marguerite-Joséphine Weymer, dite Mademoiselle (1787-1867)

Lettre autographe signée « George » à Victor Hugo
[Probablement vers 1840], Paris, 36 rue de la Victoire, 2 p. in-8
En-tête à son chiffre « MG » sur bifeuillet

Belle lettre, forme de requête, de la grande actrice à Victor Hugo


« Vous avez eu la bonté de parler pour moi au ministre ; puis-je espérer quelqu’intérêt de ce côté ? Vous n’avez pas oublié (car vous n’oubliez jamais ceux que vous honorez de votre bienveillance) de dire un mot à Mr Marie pour mon cher Tom. Veuillez me faire dire, mon cher Monsieur Hugo, si vous avez trouvé les Mrs dans de bonnes dispositions puisque votre éloquente parole a daigné me protéger je ne puis douter du succès.
Ayez, mon cher Monsieur Hugo, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.
George »


C’est Mademoiselle George qui interprète la première le rôle éponyme de Lucrèce Borgia de Victor Hugo, le 2 février 1833, au théâtre de la Porte-Saint-Martin.
Mademoiselle George remporte un tel succès d’applaudissements au premier acte que l’émotion n’est pas loin de l’empêcher de jouer les autres : « Ah ! Mon ami ! dit-elle à Victor Hugo, je n’aurai jamais la force de continuer »
Le lendemain, Hugo écrit à son sujet : « Mademoiselle Georges passe, comme elle veut, et sans effort, du pathétique tendre au pathétique terrible »

TALLIEN, Thérésa Cabarrus, dite Madame (1773-1835)

Lettre autographe signée « Thérésia de Cabarrus » à un « frère ingrat »
S.l, 3 floréal an 9 (23 avril 1801), 1 page 1/4 in-8

Belle lettre de l’égérie Thermidorienne au sujet d’une recommandation


« Il faut être bien malheureux pour n’avoir près de vous frère ingrat d’autre recommandation que la mienne, et bien compter sur votre extrême obligeance pour croire qu’elle ne nuira pas au succès que l’on sollicite… Je l’ai dit et répetté au Cit. Denarbonne mais en vain, il accuse ma bonne volonté, et prétend avec le public que vous ne refusez jamais de rendre service, que vous êtes inaccessible à toutes les petites considérations et à toutes les grandes préventions, qui naissent des circonstances, enfin il a exigé de ma constante amitié pour vous et de l’estime réelle que je vous ai vouée, que je vous trace quelques lignes en sa faveur : il prétend que c’est un homâge de plus rendu à votre caractère et cette raison me détermine à vous envoyer ce griffonnâge. Veuillez bien l’excuser frère ingrat et croire que ceci ne pourra attérer les sentiments dont ce billet vous offre l’assurance et la preuve. 
Thérésia Cabarrus »


Thérésa Cabarrus, dite Madame Tallien, est une aristocrate adhérant aux idées des Lumières et, quand les Jacobins instaurent la Terreur, elle doit fuir Paris. Comme nombre de ses amis girondins, elle est arrêtée. Le représentant de la Convention de Bordeaux, Jean Lambert Tallien, demande à la rencontrer et la fait libérer par la suite. Devenue sa compagne, elle use de l’influence qu’elle a sur lui et parvient à sauver de la guillotine, d’où son surnom : Notre-Dame de Bon Secours. En juillet 1794, visé pour son manque d’engagement, Tallien est convoqué à Paris et Thérésa est arrêtée. Alors sur le point d’être guillotinée, elle exhorte son amant à agir, le traitant de lâche. Il se décide alors à entrer dans une conspiration qui se dessine contre Robespierre et, le 9 thermidor (27 juillet 1794), il prend une part décisive à l’Assemblée dans l’affrontement qui fait tomber le grand révolutionnaire. Thérésa devient Notre-Dame de Thermidor.

Raymond-Jacques-Marie de Narbonne-Pelet (1771-1855) est un diplomate et homme politique français du XIXe siècle. Il émigre avec sa famille en 1791 puis revient en France durant le Consulat. Il est nommé pair de France en 1815, aux premières heures de la Seconde Restauration.

GENEVOIX, Maurice (1890-1980)

Lettre autographe signée « Maurice Genevoix » à un confrère
Châteauneuf, le 19 janvier 1927, 1 page in-8

Belle lettre de Genevoix, notamment au sujet de son œuvre La Boîte à pêche


« Mon cher confrère et ami,
Je suis dégoûté par une cascade de journées abrutissantes, ou la grippe, – sur moi et autour de moi, – des corvées sans intérêt, un nécessaire voyage à Paris qu’un second, pourtant déjà, va suivre, ont sévi pêle-mêle sans autre caractéristique qu’une morne précipitation. Encore si ces indéniables se donnaient à eux-mêmes ! Mais leurs répercussions, de proche en proche, prolongent l’embêtement qu’on leur doit (il y a là-dedans, et sur ce temps perdu qui ne revient jamais, de bien belles vérités premières).
Ne croyez-vous pas, tout de même, que j’aimerais pouvoir, de temps en temps, bavarder à loisir avec autre chançard, vous et moi ? Chançard, puisqu’il faut bien l’être. Et non point seulement se borner, vous écrivant, à remercier l’excellent confrère qui a parlé de la Boîte à pêche comme vous en avez parlé, si sincère que soit le remerciement pour le plaisir dû à ce confrère-là ? Mais enfin, je suis content de l’avoir pu, gardant l’espoir d’un échange moins succinct, et vous priant de croire à toute ma très cordiale sympathie.
Maurice Genevoix »


Maurice Genevoix est un écrivain et poète français. L’ensemble de son œuvre témoigne des relations d’accord des hommes entre eux, de l’homme avec la nature, de l’homme avec la mort. Alors qu’il est héritier du réalisme, son écriture est servie par une mémoire vive, un souci d’exactitude et un sens poétique.
Il témoigne également des épreuves de la génération qui a fait la Grande Guerre (1914-1918), particulièrement dans Ceux de 14, recueil de récits de guerre rassemblés en 1949.

Dans son roman La Boîte à pêche (1926), Genevoix met à jour des souvenirs d’enfance parsemés de lieux-dits. Il y évoque entre autres le moment où la jubilation du pêcheur des bords silencieux de la Loire entre ciel et roseaux rejoint celle de l’écrivain, qui sait rendre compte avec délicatesse de sa passion pour le milieu champêtre.

TALLIEN, Thérésa Cabarrus, dite Madame (1773-1835)

Lettre autographe signée « Th. C. de Camaran » à Mme Devin
S.l, le 29 mai 1807, 1 page in-4
Traces de pliures, manque circulaire sur le deuxième feuillet du au bris de cachet, sans atteinte au texte.

Charmante lettre de l’égérie des Thermidoriens et du Directoire


« Je suis trop vivement touchée Madame de votre délicate attention et de votre rare bonté pour pouvoir laisser à un autre le soin de vous parler de ma reconnaissance; pardonnez-moi Madame de n’avoir pu résister au désir, au besoin de vous adresser directement les expressions de tous les sentiments que je vous dois et que le tems n’a fait que fortifier. Mes vœux à vous savoir bien convaincue de leur sincérité et à pouvoir de tems en tems vous rappeler que je suis et serai tout ma vie votre dévouée et respectueuse servante.
Th. C. de Camaran »


Thérésa Cabarrus, dite Madame Tallien, est une aristocrate adhérant aux idées des Lumières et, quand les Jacobins instaurent la Terreur, elle doit fuir Paris. Comme nombre de ses amis girondins, elle est arrêtée. Le représentant de la Convention de Bordeaux, Jean Lambert Tallien, demande à la rencontrer et la fait libérer par la suite. Devenue sa compagne, elle use de l’influence qu’elle a sur lui et parvient à sauver de la guillotine, d’où son surnom : Notre-Dame de Bon Secours. En juillet 1794, visé pour son manque d’engagement, Tallien est convoqué à Paris et Thérésa est arrêtée. Alors sur le point d’être guillotinée, elle exhorte son amant à agir, le traitant de lâche. Il se décide alors à entrer dans une conspiration qui se dessine contre Robespierre et, le 9 thermidor (27 juillet 1794), il prend une part décisive à l’Assemblée dans l’affrontement qui fait tomber le grand révolutionnaire. Thérésa devient Notre-Dame de Thermidor.

GENEVOIX, Maurice (1890-1980)

Lettre autographe signée « Maurice Genevoix » à un confrère
Chateauneuf s/ Loire (Loiret), 23 février [19]29, 1 page in-4
Manques marginales sans atteinte au texte, traces de pliure dues à l’envoi d’origine

Jolie lettre de Maurice Genevoix évoquant ses livres dont son roman Cyrille


« Mon cher confrère,
J’ai cherché dans mes extrêmes fonds, je ne suis pas collectionneur, et les quelques « grands papiers » de mes livres qui me passent entre les mains ne s’y attardent guère,- et j’ai trouvé providentiellement les deux exemplaires alfa que je envoi par ce courrier.
Je me contente de les signer, mais je me ferai un plaisir, le moment venu et si l’on y tient, d’y inscrire une dédicace.
Merci pour ce que vous dites de Cyrille, et bien cordialement à vous.
Maurice Genevoix »


Maurice Genevoix est un écrivain et poète français. L’ensemble de son œuvre témoigne des relations d’accord des hommes entre eux, de l’homme avec la nature, de l’homme avec la mort. Alors qu’il est héritier du réalisme, son écriture est servie par une mémoire vive, un souci d’exactitude et un sens poétique.
Il témoigne également des épreuves de la génération qui a fait la Grande Guerre (1914-1918), particulièrement dans Ceux de 14, recueil de récits de guerre rassemblés en 1949.

Cyrille, évoqué dans cette lettre, est un roman de Maurice Genevoix paru chez Flammarion en 1929, réédité sous le titre La Maison du Mesnil au Seuil en 1982 – Points Roman n° R451.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à un Monsieur
Paris, le 8 octobre 1838, 1 page 1/4 in-8
Traces de pliures, ancienne trace de montage

Belle lettre de Chateaubriand à propos de Francis Hogdson


« Je regrette infiniment, Monsieur, de ne m’être pas trouvé chez moi, lorsque vous m’avez fait l’honneur d’y venir avec monsieur [Francis] Hodgson. Je pars pour une nouvelle course qui durera 10 à 12 jours. À mon retour monsieur, je m’empresserai d’aller vous chercher et de vous prier de me présenter à monsieur Hodgson.
Agréez de nouveau, Monsieur, je vous prie, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Chateaubriand »


Francis Hodgson (1781-1852), également connu sous le nom de Frank Hodgson dans la correspondance, est un prévôt réformateur d’Eton, éducateur, clerc, poète et ami du Britannique Lord Byron. Ce dernier est quelque peu l’homologue de Chateaubriand au Royaume-Uni, en ce qu’il construit son ethos d’écrivain romantique sur le récit de voyages – le Français en Amérique, le Britannique en Europe méditerranéenne – et par la projection de l’auteur même dans un personnage en proie à la mélancolie et la désillusion : Atala et René dans Atala (1801) et René dans René (1802), et Childe Harold dans Childe Harold’s Pilgrimage (1812-1818).

[PROUST] BOYER, Paul (1861-1952)

Photographie originale par Paul Boyer (successeur Otto Van Bosch)
Tirage albuminé d’époque (c. 1891). Format carte de visite (90 x 58 mm) contrecollé sur carton fort au nom du photographe. Lettres et tranches dorées.
Petites taches, cachet humide de la collection Mante-Proust.

Célèbre portrait de Proust par Paul Boyer, seul tirage d’époque connu


À l’image de son portrait par Jacques-Émile Blanche peint à la même époque, on retrouve ici la même fine moustache et les traits délicats de l’écrivain. Élégamment peigné et vêtu d’un costume sombre, Proust porte ici une imposante lavallière autour du cou.
Le portraitiste Paul Boyer reprend le studio parisien d’Otto Van Bosch en 1888. Installé boulevard des Capucines et à Trouville, il exerce jusqu’en 1909

Ce précieux tirage a été conservé par la famille Proust jusqu’en 2016

BOULEZ, Pierre (1925-2016)

Carte autographe signée « PB » à André Dubois
[Marseille, 24 avril 1954], 1 page in-8

Belle lettre de Pierre Boulez, au verso d’une carte postale, sur un projet musical autour du 14 juillet


« Je vous soumets un projet pour un semblable 14 juillet à Metz. Qu’en dites-vous ? 
Je m’excuse du rendez-vous manqué chez Suzy L. mais au dernier moment, je n’ai pas l’énergie d’y aller. 
Dans 2 heures nous partons vers d’autres cieux. 
Amitiés
PB »


Pierre Boulez est un compositeur et chef d’orchestre français. Il joue un rôle important dans le développement de la musique sérielle, électronique et aléatoire. Ses avis polémiques sur l’évolution de la musique lui valent une réputation d’enfant terrible.

André Dubois (1903-1998) est un haut fonctionnaire, préfet de police et par la suite président de la Fédération nationale de la presse française.

[HUGO, Victor] Adèle Foucher & Auguste Vacquerie

Adèle Foucher (1803-1868) & Auguste Vacquerie (1819-1895)
Tirages d’époque sur papier albuminé contrecollés sur carton fin
Formats carte de visite
Quelques rousseurs

Photographies originales par Pierre Petit. Crédits du photographe au verso.

Belle réunion de portraits, le cercle intime d’Hugo

HUGO, Victor (1802-1885)

Tirage d’époque, contrecollé sur carton fin gris foncé, circa 1880
Photographie par FRANK, 18 rue Vivienne, Chalot & Cie
Format carte de visite.
Quelques petites rousseurs, petit défaut sous l’œil droit, bord supérieur gauche effrangé.
Annotation manuscrite d’époque au verso, d’une main inconnue

Victor Hugo y figure assis, le regard vers l’horizon

Portrait peu commun du grand homme.

 

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « GSand » [à Paul Porel]
Monogramme gaufré à son chiffre « GS » en-tête
Nohant, 28 mai [18]76, 1 p. in-8° sur bifeuillet, à l’encre noire

Émouvante lettre longtemps restée inédite, l’une des toutes dernières, écrite moins de dix jours avant sa mort


« Merci de cette bonne nouvelle, mon cher enfant. J’écris tout de suite à mon gros [Léopold] Barré* combien je suis heureuse. Tu es bien gentil de me l’avoir annoncée. J’espère toujours aller à Paris avant la fermeture de l’Odéon, pour t’applaudir et te renouveler l’injonction de venir nous voir aux vacances d’été.
GSand
Nohant, 28 mai 76 »


* La lettre à Léopold Barré, écrite ce même jour, n’a pas été retrouvée ; il s’agissait probablement de l’annonce de son engagement à l’Odéon, où Porel assistait le directeur La Rounat.

Cette émouvante lettre est l’une des toutes dernières de George Sand. Après les trois lettres écrites ce 28 mai (l’une à Léopold Barré, l’autre à son docteur Henri Favre et enfin celle-ci) ainsi qu’une note dans l’Agenda le 29 mai, elle reprend la plume une dernière fois deux jours plus tard pour écrire à son neveu Oscar Cazamajou (Corr. XXIV, p. 638)

Décédée le 8 juin 1876 d’une occlusion intestinale, George Sand éprouve déjà des douleurs en ce 28 mai, comme en témoigne sa lettre adressée au docteur Henri Favre : « Je me demande où je vais et s’il ne faut pas s’attendre à un départ subit un de ces matins. J’aimerais mieux le savoir tout de suite que d’en avoir la surprise », lui écrit-elle. Son état se détériore sérieusement le 30 mai, avant que les symptômes ne s’aggravent considérablement le 3 juin. Le 7 juin, en pleine agonie et se sachant condamnée, elle murmure à sa fille Solange, qui lui prodigue les derniers soins, et à sa belle-fille Lina Calamatta : « Adieu, adieu, je vais mourir… Laissez verdure ». Elle s’éteint le 8 juin à 10:00.

SAND, George (1804-1876)

Pièce autographe adressée à Monsieur Soulier
Nohant, le 5 février 1863, 1 page in-8 sur bifeuillet,
Marge droite effrangée, mouillures, pliures, scotch.

Charmante invitation de George Sand (complétée de sa main) pour son Théâtre de Nohant


Madame G[eorge] Sand prie
Monsieur Soulier
De venir passer la soirée chez elle
le dimanche prochain.
On jouera:
La nuit de noël en 3 actes
On commencera à 8h 1/2
1 place
L’omnibus partira de l’Hôtel Saint Germain à 7h 3/4
Réponse s’il vous plait.
Nohant, le 5 février [18]63


Toute sa vie durant, George Sand s’intéresse au théâtre sous toutes ses formes, en particulier à ses ressorts marginaux tels que le théâtre improvisé ou le théâtre de marionnettes. Elle envisage le théâtre comme un lieu d’apprentissage du jeu de l’acteur et une plate-forme pédagogique ; il forme et instruit l’acteur comme le spectateur. Le caractère privé voire intime des représentations au sein de sa famille à Nohant s’oppose au caractère public de ses pièces jouées dans les théâtres parisiens pendant une trentaine d’années.

DOSTOÏEVSKI, Fiodor (1821-1881)

Tirage argentique sur carte postale

L’un des portraits les plus connus de l’écrivain.

Dostoïevski y figure de buste, le regard déterminé.

De toute rareté.

RÉCAMIER, Juliette (1777-1849)

Lettre autographe signée « J Recamier » à un Monsieur
S.l, « Mercredi », 1 page 1/4 in-12

Belle lettre de Juliette Récamier, l’égérie du Directoire


« Mad[ame] Le Vasseur étant parfaitement rétablie, je n’ai pu, Monsieur, obtenir qu’elle prolongeât son séjour à Marie-Thérèse, elle en sort demain et désire rester dans le quartier où elle est protégée par votre intérêt. Ne l’ayant connue qu’à l’occasion de son admission a Marie-Thérèse, permettez, Monsieur, que ce soit à votre bienfaisance éclairée que je confie le léger secours que je puis lui offrir, et veuillez agréer l’expression de mes sentiments distingués. 
J Recamier »


L’hospice évoqué ici est “L’infirmerie Marie-Thérèse”, fondée à Paris sur sa propriété par l’épouse de François-René de Chateaubriand, Céleste, sous le patronage de la duchesse Marie-Thérèse d’Angoulême.

Juliette Récamier est une femme de lettres française dont le salon Parisien réunit, à partir du Directoire jusqu’à la monarchie de Juillet, les plus grandes célébrités du monde politique, littéraire et artistique.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » à un critique
28 janvier [1870], H[auteville] H[ouse], [Guernesey], 1 p. in-4
Petite déchirure centrale sur la pliure en marge droite

Magnifique lettre inédite sur la réception critique de ses œuvres et sa façon de les accomplir


« Que vous êtes heureux d’être jeune !
Vous sauriez que mes anciennes œuvres, acceptées par vous avec une grâce si cordiale, ont été exactement accueillies comme les dernières, vive adhésion d’un côté, violents sifflets de l’autre. [Hippolyte] Rolle, [Gustave] Planche, [Charles] Nisard etc. huaient ; Ste-Beuve et [Théophile] Gautier applaudissaient. Ste-Beuve plus tard a été ennemi, mais il paraît qu’il irait redevenir presque ami.
Haine et sympathie, c’est ma vie. Vous allez voir ces jours-ci le même phénomène se reproduire autour de Lucrèce Borgia.
Cela tient peut-être à ce que je suis entier. Ce qui me fait commettre des viols. Si ces viols ont fécondé, l’avenir me donnera raison.
Je dédie, comme Eschyle, mes œuvres au Temps.
En attendant, j’aime votre esprit délicat et votre talent vigoureux ; le côté robuste l’emportera, et vous dominerez la critique, que Sainte-Beuve a seulement fouillée. Mieux vaut bâtir sur la cime que faire des excavations à la base. Et je vous écris tout ceci pour vous dire, mon cher et charmant confrère, qu’une bonne parole de vous me va au cœur ; et je vous en remercie par mon meilleur serrement de main…
Victor Hugo »


Lucrèce Borgia est une pièce écrite par Victor Hugo en 1832 et jouée au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 2 février 1833. L’œuvre remporte un grand succès, au point que Donizetti en tire un opéra cette même année. Lors d’une lecture privée à ses connaissances, le dramaturge rencontre pour la première fois Juliette Drouet. Lucrèce Borgia sera, comme Hugo le précise dans cette lettre, rejoué le 2 février 1870, toujours au théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Hugo parle longuement de Sainte-Beuve car ce dernier, éminent critique littéraire et représentant du romantisme (notons que les deux hommes entretiendront des relations jalonnées d’admiration et de rancœurs), devait mourir mois plus tôt, le 13 octobre 1869.

La dédicace d’Eschyle au Temps est une citation de la préface des Burgraves (drame historique de Victor Hugo joué pour la première fois à la Comédie Française le 7 mars 1843).

HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)

Carte de visite autographe signée « JH » à un « Cher ami »
[S.l.n.d], 2 p. in-24 à l’encre noire

Huysmans annonce l’extraction prochaine d’une partie de ses dents


« Cher ami, des nouvelles ? – Les mêmes – sinon que, cette semaine, on se décide enfin à commencer l’extraction d’une partie des dents. Celà me promet quelques journées agréables ! Enfin c’est ainsi. Comme il y a des boisseaux de douleurs à remplir, avant ou après – il faut se dire que ce sera toujours autant de mains à faire peser après. Ce sont des avoues d’hoirie, comme on dit dans la belle longue procédure.
Bien affectueusement à vous
JH»


Joris-Karl Huysmans est un écrivain et critique d’art. Défenseur du naturalisme à ses débuts (il participe des soirées de Médan aux côtés, entre autres, de Zola et Maupassant), il rompt avec cette école pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le symbolisme. Finalement, il devient le principal représentant de l’esthétique fin-de-siècle.

MARTIN DU GARD, Roger (1881-1958)

Lettre autographe signée « Roger Martin du Gard » à un ami
Le 15 dec.[embre] [19]31, 1 p. in-8
Petite tache en marge gauche

Martin du Gard fait l’éloge du dernier roman de son correspondant et évoque Gide


« Cher ami,
Je fais lire votre livre. André Gide, à qui j’ai prêté mon exemplaire, est violemment intéressé, il vous a lu de la première ligne à la dernière.
Auriez-vous un volume à envoyer à René Lalou – 6 rue de Seine – VIe ?
Je lui ai parlé de votre livre, il souhaite vivement le lire. Et il en parlera sans doute.
Je suis ravi de sentir mon admiration étayée par celle des autres. Vous avez fait là votre meilleur livre, c’est sûr.
Encore merci de la bonne et cordiale intimité de l’autre soir.
Hommages et fidèles amitiés,
Roger Martin du Gard »


Roger Martin du Gard est un écrivain, romancier et dramaturge français. Son œuvre principale est la suite romanesque Les Thibault (1920 – 1940). Il est lauréat du prix Nobel de littérature en 1937.

SAINTE-BEUVE, Charles Augustin (1804-1869)

Lettre autographe signée « SteBeuve » à un Monsieur
Le 17 9bre [Septembre] 1865
Traces de pliures, anciennes traces d’écriture au crayon, petite annotation au deuxième feuillet

Sainte-Beuve évoque Nodier et ses Souvenirs de la Révolution


« Monsieur,
Je vous remercie infiniment de votre obligeante indication. Une remarque m’avait déjà été faite en ce sens, et dans l’extrait de l’article, publié par Le Constitutionnel, j’en ai tenu compte: Il paraît de plus qu’en effet, comme vous l’avez soupçonné, il y avait en Franche-Comté et il y a peut-être encore, une association de PhiladelphesNodier, du moins, le dit dans ses souvenirs de la Révolution. Je tâcherai de m’éclaircir. 
Agréez je vous prie, avec mes remerciements, l’expression de ma considération très distinguée. 
SteBeuve »


Charles Nodier (1780-1844) est un écrivain, romancier et académicien français. On lui attribue une grande importance dans le développement du romantisme au XIXe siècle. Victor Hugo, Alfred de Musset et Charles Augustin Sainte-Beuve reconnaissent son influence. Il participe grandement à l’entreprise de redécouverte de la poésie française du XVIe siècle, remettant au goût du jour Pierre de Ronsard (1524-1585).
Les Philadelphes sont membres d’une société secrète aux desseins de démocratie fondée en France à la fin du XVIIIe siècle et influente à l’époque napoléonienne en Suisse et dans le nord de l’Italie.

HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)

Lettre autographe signée « JKHuysmans » à un cher confrère
S.d, Paris, 1p 1/2 in-12 sur papier vergé
Petites taches

Belle lettre de Huysmans au sujet de Flaubert, Goncourt et de Tannhäuser de Wagner


« Mon cher confrère,
Je vous remercie et de l’envoi du journal où vous avez bien voulu traduire l’ouverture du Tannhäuser et des obligeantes félicitations que contenait votre lettre.
Nous ne sommes pas bien gâtés à Paris par les lecteurs qui préfèrent généralement les produits de Mr [Georges] Ohnet aux pages de Flaubert et de Goncourt. Le peu de justice qui est rendu aux écrivains qui essayent d’écrire, vient presque toujours de l’étranger. Vous en témoignez une preuve de plus, et qui me touche particulièrement.
Veuillez bien recevoir, mon cher confrère, l’assurance de mes meilleurs sentiments.
JKHuysmans »


Huysmans fait ici l’éloge du roman réaliste (« Flaubert ») et naturaliste (« Goncourt »), mouvement auquel il appartient, avant de s’en détacher au début XXe siècle et de rejoindre le symbolisme.
Georges Ohnet (1848-1918) est un écrivain de romans populaires français. Il est l’objet de très vives critiques et de nombreuses jalousies dans le monde littéraire.

BERGSON, Henri (1859-1941)

Lettre autographe signée « H. Bergson » à Félix Sartiaux
Le 9 nov.[embre] 1922, 1 p. in-12 sur bifeuillet vergé

Bergson donne un rendez-vous à son collègue et ami philosophe Félix Sartiaux


« Cher Monsieur,
Vous savez le plaisir que j’ai à causer avec vous. Puisque le samedi 11 novembre vous est commode, je vous attendrai ce jour-là au commencement de l’après-midi, vers 2h1/2. Veuillez transmettre mes respectueux hommages à Madame Sartiaux, et croire à mes sentiments tout dévoués.
H. Bergson »


Henri Bergson est un philosophe français. Les quatre principaux ouvrages qu’on lui doit sont l’Essai sur les données immédiates de la conscienceMatière et mémoireL’Évolution créatrice et Les Deux Sources de la morale et de la religion. Il est élu à l’Académie française en 1916 et reçoit le prix Nobel de littérature en 1927. Ses idées pacifistes ont influencé la rédaction des statuts de la Société des Nations.

BENDA, Julien (1867-1956)

Lettre autographe signée « Julien Benda » à une mademoiselle
S.l.n.d (Dimanche), 1 p. sur bifeuillet in-8

Charmant billet de Benda agrémenté d’une petite portée musicale


« Chère Mademoiselle, 
J’ai omis de vous dire hier qu’avec le plus grand plaisir je serais des vôtres vendredi prochain. 
Croyez à mes vifs remercîments et à mes affectueux hommages. 
Julien Benda »


Julien Benda est un critique, philosophe et écrivain français, principalement connu pour son ouvrage La Trahison des clercs, paru en 1927. Il est en lice une fois pour le Prix Goncourt et quatre fois pour le prix Nobel de littérature.  Dans les années 1930, il est l’une des figures intellectuelles les plus respectées de la gauche antifasciste.

ROSTAND, Edmond (1868-1918)

Carte de visite avec ajouts autographes, signée « Edmond Rostand »
[S.l.n.d] (1917), 1 p. in-24 à l’encre noire
Infimes taches brunes, annotation typographique au crayon bleu au verso

Rostand fait une requête de quatre places pour une représentation au théâtre Sarah Bernhardt


« Prière de donner quatre bonnes places pour les Nouveaux Riches
Théâtre Sarah Bernhardt
Edmond Rostand »


Edmond Rostand est un écrivain, dramaturge, poète et essayiste français. Il est l’auteur de l’une des pièces les plus connues du théâtre français, Cyrano de Bergerac (1897).
La pièce à laquelle il souhaite assister, Les Nouveaux Riches, a été écrite par Charles Albert Abadie (1880-1937) et Raymond Cesse (1885-1971). Sa première représentation a lieu en 1917 (certainement l’année duquel date ce petit mot).
Le théâtre Sarah Bernhardt, situé 2, place du Châtelet, est aujourd’hui plus connu sous le nom du Théâtre de la Ville. Depuis le début des années 1980, il est un incontournable de la danse contemporaine et ses jeunes créateurs de renommée internationale.

DEBUSSY, Claude (1862-1918)

Lettre autographe signée « Claude Debussy »  à Louis Barthou
Paris, 28 décembre 1908. 1 p. in-4 à l’encre bleue, papier vergé bleu
Petites décharges d’encre sur quelques mots, petite tâche brune

Debussy utilise sa notoriété à des fins de recommandation en faveur de son frère Alfred


« A Monsieur Barthou, Ministre des Travaux Publics, 
Monsieur le Ministre, 
J’ai l’honneur d’appeler votre bienveillante attention sur le cas de Mr Alfred Debussy, mon frère, sous-inspecteur à la Cie des chemins de fer de l’Ouest. 
Il craint que le changement de régime n’ait pour conséquence des mouvements dans le personnel…
et son vœu serait de conserver son poste, afin de bénéficier de l’expérience et des relations acquises. 
Je sais que mon nom ne vous est pas inconnu, d’autre part, peut-être voudrez vous vous souvenir d’une rencontre que je n’ai pas oublié – ou vous avez bien voulu me témoigner intérêt précieux. 
Dans l’espoir que vous réserverez un favorable accueil à cette requête, je vous prie, Monsieur le Ministre de bien vouloir accepter l’assurance de mon profond respect. 
Claude Debussy
M. Claude Debussy, 20 avenue du Bois de Boulogne »


En posant en 1894 avec Prélude à l’Après-midi d’un faune le premier jalon de la musique moderne, Debussy place d’emblée son œuvre sous le sceau de l’avant-garde musicale. Il est brièvement wagnérien en 1889, puis anticonformiste le reste de sa vie, rejetant tous les académismes esthétiques. Avec La Mer, il renouvelle la forme symphonique ; avec Jeux, il inscrit la musique pour ballet dans un modernisme prophétique ; avec Pélléas et Mélisandre, l’opéra français sort des sentiers battus par la tradition du drame lyrique, tandis qu’il confère à la musique de chambre, avec son quatuor à cordes et son trio, des accents impressionnistes.
Tel un Rimbaud qui fait sonner les instruments et non les mots, Claude Debussy laisse l’image d’un créateur original et profond d’une musique où souffle le vent de la liberté. Son influence est telle qu’après son passage, il n’est nullement question de revenir en arrière.

À la mort du compositeur, Alfred Debussy devient le tuteur de sa nièce, dont la mère est Emma Bardac.

Homme politique plusieurs fois ministre, Louis Barthou (1862-1934) se distingue également par son amour de la musique et des lettres. Auteur d’ouvrages sur Lamartine, Baudelaire, Hugo, il entre à l’Académie française et, bibliophile acharné, préside la société Le Livre contemporain tout en se constituant personnellement l’une des plus belles bibliothèques d’imprimés et de manuscrits de son temps.

 

HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)

Carte de visite avec ajouts autographes
[S.l.n.d], 1 p. in-24 à l’encre noire
Infimes taches brunes

Amusante note de Huysmans sur sa carte de visite


« Ouf ! Rentré »


Joris-Karl Huysmans est un écrivain et critique d’art. Défenseur du naturalisme à ses débuts (il participe des soirées de Médan aux côtés, entre autres, de Zola et Maupassant), il rompt avec cette école pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le symbolisme. Finalement, il devient le principal représentant de l’esthétique fin-de-siècle.

MONTESQUIOU, Robert de (1855-1921)

Carte de visite avec ajouts autographes à un « cher ami »
Janv[ier] 1904, 1 p. in-24 à l’encre violette
Petites taches brunes

Carte de visite de Robert de Montesquiou avec ajout autographe


“Grand Merci, cher ami, je vous compte parmi ceux-là, et j’en suis fier
Janv-1904


Le comte Robert de Montesquiou est un poète, homme de lettres et critique d’art et de littérature.
Poète et dandy insolent, il servirait de modèle à des Esseintes dans À Rebours (1884) de Joris-Karl Huysmans et à Monsieur de Phocas (1901) de Jean Lorrain. Il est enfin et surtout célèbre pour être l’inspiration principale du baron de Charlus dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Robert de Flers
[Paris, le 6, 7 ou 8 novembre 1913](1), 4 pages in-8

Lettre capitale dans laquelle Proust donne le plan de À la recherche du temps perdu


« Cher Robert, Pardon de t’ennuyer encore. Mon éditeur Grasset voudrait qu’on annonçât dans un écho du Figaro la prochaine apparition de mon livre. Comme Mr Hébrard a chargé un de ses rédacteurs de m’interroger et de faire sur moi un « article d’atmosphère » (2) je voulais attendre cela qui aurait fourni les éléments de la note mais comme je ne sais quel jour je serais assez bien pour voir ce m[onsieu]r, j’ai peur que cela retarde trop car il faudrait que cette note passât d’ici un jour ou deux.(3)

Mon livre paraît le 14 et ceci est une « indiscrétion » littéraire (langage d’éditeur). L’ouvrage total s’appellera A la Recherche du Temps Perdu [ ;] le volume qui va paraître (dédié à Calmette) : « Du Côté de chez Swann ». Le second Le Côté de Guermantes, ou peut’être « A l’ombre des Jeunes Filles en fleurs » ou peut’être « les Intermittences du Cœur » (4) ou peuLe troisième : Le Temps Retrouvé ou peut’être l’Adoration l’Adoration Perpétuelle (5). Ce qu’il faut dire c’est que ce ne sont nullement mes articles du Figaro mais un roman à la fois plein de passion et de méditation et de paysages.

Surtout c’est très différent des Plaisirs et les jours et n’est ni « délicat » ni « fin ». Cependant une partie ressemble (mais en tellement mieux) à la Fin de la Jalousie (6). Je voudrais que le long silence que j’ai gardé et qui m’a laissé inconnu quand d’autres avaient l’occasion de se faire connaître ne fît pas qu’on annonçât cela comme un livre dénué d’importance. Sans y en attacher autant que certains écrivains qui s’en exagèrent certainement la valeur, j’y ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, ma vie même. Si en q.q. [quelques] lignes tu peux annoncer ce livre tu me ferais bien grand plaisir. Tout à toi. Marcel Proust »


1 – Cette lettre est écrite quelques jours avant le 14 novembre 1913, date de publication de Du côté de chez Swann. En effet, Proust y annonce « Mon livre paraît le 14 » ; il demande qu’on en fasse une annonce dans Le Figaro (voir note 3). Elle doit donc dater du 6, 7 ou 8 novembre 1913.

2 – Adrien Hébrard était directeur du journal Le Temps. Un « article d’atmosphère », comme le nomme Proust, est antérieur à celui du Figaro : il paraît la veille de la publication, le 13 novembre, sous la signature Élie-Joseph Bois. Proust écrit cette lettre avant d’avoir reçu le journaliste.

3 – La note que Proust sollicite paraît en première page du Figaro le dimanche 16 novembre 1913.

4 – « Les intermittences du cœur » n’est pas seulement l’une des sections les plus émouvantes d’A la recherche du temps perdu (dans Sodome et Gomorrhe). Proust la considère comme un possible titre d’ensemble, en témoigne cette lettre.

5 – Proust n’a pu choisir entre ces deux titres pour indiquer le dénouement de son œuvre, parue à titre posthume. « L’adoration perpétuelle », dont il est ici question, fait allusion au Saint-Sacrement dans la liturgie catholique. Cela consiste à rendre un hommage ininterrompu à Dieu. Ainsi, les fidèles d’une même paroisse se relayent devant Lui à tour de rôle, de sorte qu’il y ait toujours des adorateurs.
Notons que Proust fait mention de ce titre dans une lettre qu’il a adressée à Gallimard en novembre 1912. Les deux titres continuent à figurer ensemble dans le plan de l’œuvre annoncé en 1918. Il est probable que Proust ignore alors que ce titre est déjà celui un roman d’amour de Guy de Teramond, en 1902.
Le choix final pour Le Temps retrouvé permet en outre de donner une forme de symétrie syntaxique avec le nom de l’œuvre entière.

6 – Comme le fait remarquer Jean-Yves Tadié dans La Fin de la jalousie, Proust décrit l’évolution de l’amour, du paradis à l’enfer, comme le résumé de l’amour de Swann pour Odette (Kolb).

 

[AFFAIRE DREYFUS] Émile ZOLA (L’Aurore, 13 janvier 1898) 

« J’accuse…! », lettre au président de la République
Paris, le 13 janvier 1898, 4 pages in-plano
Quelques trous d’épingles, traces de pliures, marge droite friable avec quelques petits manques sans importance, brunissure uniforme

Exemplaire original du journal L’Aurore du 13 janvier 1898 dans un remarquable état de conservation et complet de ses quatre pages


Le 13 janvier 1898, Émile Zola publie dans le journal L’Aurore (fondé par Clemenceau et Vaughan l’année précédente) une lettre ouverte au président de la République, Félix Faure, dont le titre, « J’accuse… ! », choisi par Clemenceau, figure en gros caractères à la une. Cette longue et poignante plaidoirie occupe les deux premières pages du journal, sur un total de six colonnes. Zola y rappelle dans un premier temps l’historique de l’affaire – la découverte du bordereau et la condamnation de Dreyfus – puis, dans un second temps, revient sur la révélation de la trahison du commandant Esterhazy. Il dénonce alors son acquittement scandaleux et « accuse », avec une anaphore commençant par le célèbre « J’accuse », les ministres de la Guerre, les officiers de l’état-major et les experts en écriture graphologues ? convoqués lors du procès d’Esterhazy d’être responsables de la condamnation d’un innocent – Dreyfus – et de l’acquittement d’un coupable – Esterhazy. A l’exactitude et à la fiabilité des informations livrées par Zola s’ajoute la vigueur du style de l’écrivain, faisant de cet article un une prouesse tout aussi politique que littéraire, une véritable « prophétie », pour reprendre l’expression d’un jeune admirateur enthousiaste, un certain Charles Péguy. A une époque où l’audience de la presse gagne en nombre, ce pamphlet a un retentissement sans précédent dans l’opinion publique : lancé dans la rue durant la journée du 13 janvier par les vendeurs du journal L’Aurore, tiré pour l’occasion à trois cent mille exemplaires, le cri « J’accuse » entraîne une grande effervescence dans les rues de Paris. De nouveaux intellectuels s’engagent ainsi dans le combat.

MOUCHY, Philippe de Noailles, duc de (1715-1794)

Lettre autographe signée « N. Mchal D. de Mouchy » à un Monsieur
Paris, le 23 octobre 1789, 2 pages in-8 sur bifeuillet vergé
Ancienne trace de montage en marge gauche, sans atteinte au texte

Lettre historique sur l’assassinat du boulanger Denis François, accusé d’être un accapareur, pendu et décapité par la populace place de Grève, évènement déclencheur de la loi Martiale


« J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, j’apprends avec beaucoup de satisfaction que vous êtes arrivé à bon port, et que vous êtes tranquille, nous avons eu encor hier le spectacle de la tête d’un boulanger très honneste homme et très innocent qui a été pendu par la fantaisie de mauvais sujets. Il y en a eu Dieu merci, deux de pendus, la loy martiale vient d’être établie par l’assemblée nationale, Dieu veuille qu’elle soit en vigueur et qu’elle réprime touts nos désordres. Le Roy et la Reine ont étés très affectés du meurtre de ce malheureux boulanger, et ont envoyé M. le duc de Liancourt [François XII de la Rochefoucauld] porter deux mil écus à la veuve en lui offrant en sus tout les secours dont ils pourront avoir besoin:
Mes respectueux hommages a ses Dames, Me la Mchale me charge de ses compliments renouveler et pour vous:
Rendé justice à tous les sentiments que je vous ai voué et avec lesquels j’ai honneur d’etre plus que personne, monsieur, votre très humble et très obeissant serviteur.
N. Mchal D. de Mouchy »


Philippe de Noailles, duc de Mouchy, est un officier français, élevé à la dignité de maréchal de France en 1775. Sa carrière militaire s’étend de 1729 à 1759. Il participe à la guerre de Succession de Pologne et à celle d’Autriche. En 1755, Louis XV lui confie une mission diplomatique auprès de la Sardaigne puis la cour de Parme. En 1770, il est chargé par Choiseul, alors principal ministre, d’aller accueillir à Strasbourg Marie-Antoinette d’Autriche, future reine de France. Son épouse est nommée dame d’honneur de la dauphine, et, après la mort de Louis XV, première dame d’honneur de la reine, qui l’appelle « Madame Étiquette ». Le duc et la duchesse de Mouchy occupent donc une position éminente à la cour de Louis XVI, jusqu’à la démission de la duchesse après la nomination de la princesse de Lamballe comme surintendante de la Maison de la reine.
Après les événements de 1789, contrairement à un certain nombre de nobles, le duc de Mouchy reste en France, s’efforçant de protéger Louis XVI contre les assauts révolutionnaires, jusqu’à l’insurrection du 10 août 1792. Pris dans la prétendue conspiration des prisons, il est, avec son épouse, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire le 27 juin 1794. Il montre à cette occasion la même bravoure et le même sang-froid que celui dont il a fait preuve à la guerre sous Louis XV.

Denis François (1761-1789) est un boulanger français. Le 21 octobre 1789, soit deux semaines après les journées d’octobre, une femme ne pouvant acheter de pain demande à visiter sa boutique afin de s’assurer qu’il y en avait pas caché. Elle trouve trois pains de quatre livres, dont un rassis, et un de douze livres. Elle sort de la boutique avec l’un des pains de quatre livres et dit que le boulanger en cache plusieurs. La foule s’en prend alors au commerçant, qui demande à être conduit au siège du district, dont les officiers le conduisent à l’Hôtel de Ville. Cependant, la foule l’arrache à la garde et l’amène place de Grève. Il est alors pendu à la lanterne. Juste après, un homme le décapite avec son sabre, qu’il essuie sur la chemise du boulanger. Sa tête est ensuite placée au bout d’une pique. Sa veuve, alors enceinte, est contrainte d’embrasser la tête de son mari avant de perdre connaissance. Sa mort conduit l’Assemblée nationale constituante à décréter la loi martiale, le 21 octobre. Cette dernière vise à réprimer les émeutes et les actes de violence, dont le nombre augmente depuis le 14 juillet. Elle est signée le même jour par Louis XVI et promulguée le lendemain.

[BONAPARTE, Joseph 1768-1844]

Lettre autographe signée « Ch. Berton » à Joseph Bonaparte
Paris, le 14 mars 1824, 1 page in-4
Marge gauche très légèrement effrangée avec infime manque

Belle supplique du fils du général Berton auprès de Joseph Bonaparte


« Sire,
Un ancien page de l’Empereur fils de l’infortuné Général Berton, se jette au pied de votre majesté. Dépouillé de sa fortune, opprimé par le Ministre parce qu’il n’a point reculé devant de grands et pénibles devoirs, son unique espérance est dans l’auguste famille du Grand Homme qu’il a eu un moment le bonheur d’approcher.
Daignez, Sire, l’appeler auprès de vous et lui permettre de vous consacrer sa vie. Votre majesté n’aura jamais à se repentir d’avoir accueilli un homme qui entouré de séductions que ses premiers sentiments repoussent, préfère son obscurité à la faveur.
Il est avec le respect le plus profond,
Sire, de votre Majesté
Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur
Ch. Berton »


Charles Berton est le fils du général d’Empire Jean-Baptiste Berton, qui se distingue aux campagnes de 1805 à 1807, celles de 1808 à 1813 en Espagne, celle de 1814 dans l’armée du Midi et en 1815 à la campagne de Waterloo. Bonapartiste des plus dévoués et chef de la conspiration de Saumur prévoyant d’assassiner le roi Louis XVIII, il est dénoncé par des proches puis exécuté le 5 octobre 1822.

[NAPOLEON 1er] BERTON, Jean-Baptiste (1769-1822)

Lettre autographe signée « Le Général Berton » à Joseph Bonaparte
Paris, le 11 janvier 1820, 2 pages in-folio
Traces de pliures, infimes taches brunes en marge inférieure

Longue et remarquable lettre d’un bonapartisme flamboyant, écrite pendant l’exil de l’empereur à Sainte-Hélène


« Monseigneur,
J’ai reçu la lettre que votre Altesse Sérénissime m’a fait l’honneur de m’écrire le 1er Octobre 1819, elle m’est parvenue le 5 du présent mois. Je profite d’une occasion que m’offre Monsieur [Jacques] Laffitte Banquier et membre de la chambre des députés pour adresser à Votre Altesse Impériale un petit ouvrage que j’ai fait imprimer dans le mois de décembre dernier. Il faut réhabiliter beaucoup de gens épouvantés par nos malheurs à imprimer de nouveau et hautement leurs pensées et faire rougir, s’il est possible, ceux qui ont trahis des obligations et des devoirs pour obtenir des faveurs, qui ont renié le passé pour chercher à améliorer leur existence présente, qu’ont-ils prouvé par tant de bassesse, que leur ambition n’avait été engendrée par aucun noble sentiment, qu’ils n’ont jamais pensé à la Patrie, que leurs affections n’étaient que simulées, leur complaisance de l’hypocrisie, leur obéissance de la servitude, observations qui n’ont pas pu échapper mais on était dans la nécessité de se servir d’eux faute de mieux. Bien des personnages ont aperçu trop tard leurs sottises. L’opinion publique s’est prononcé sur eux définitivement, elle a fait justice.
Pour entendre quelques passages de ma brochure, il faut que Votre Altesse sache que je suis simple légionnaire depuis le 14 Mars 1806, que je n’ai eu que cinq cent francs de dotations sur le mont Napoléon. Je n’ai pas cessé de faire la guerre activement. L’empereur ne me connaissait pas et j’ai été longtemps dans les armées éloignées de lui, il n’a pu rien faire pour moi : j’ai tout acquis par mon épée. Eh bien, maintenant surtout qu’il est malheureux, je donnerais la moitié de mon sang pour améliorer son existence, je le dirais en face de tous les rois et si j’étais admis à exprimer devant eux ma pensée et sans doute qu’ils estimeraient ma franchise. Des millions de Français pensent de même, je le manifeste plus hardiment que les autres. L’opinion publique, aujourd’hui en France peut être comparée à un ballon colossal qui se gonfle tous les jours de plus en plus d’air électrique sous la direction de l’esprit national, l’air qui entoure cette grande machine est saturée de matière inflammable ; quelques frottements qu’elle éprouverait ferait bientôt craindre un vaste incendie dont il faudrait se rendre maître pour arrêter ses ravages.
L’Archiduc Charles d’Autriche à qui j’ai envoyé mon précis sur la trop fatale campagne de 1815 [campagne de Belgique notamment marquée par la défaite de Waterloo le 18 juin et à laquelle le général Berton prit part] m’a écrit une lettre admirable ; le Prince Eugène en a fait de même et le roi de Suède m’a envoyé la Croix de l’Épée d’or. Monsieur [Emmanuel] de Las Cases, cet homme si estimable m’a écrit également de Manheim, le 30 Xbre 1818 : La coïncidence de votre relation avec une autre dictée à (Ste-Elène) 3.000 lieues de vous doit-être pour vous une cause de vive satisfaction aussi bien qu’une espèce d’orgueil.  Il est maintenant à Liège, son fils est à Paris, je le vois quelquefois ; il m’a assuré que deux de mes précis étaient parvenus à Ste Elène. Madame [Albine] Montholon qui est à Bruxelles en a donné la certitude.
Je vois souvent de pauvres espagnols ici qui conservent de l’affection à Votre Altesse Impériale ; ils ne seraient guère plus heureux dans leur Pays : Tous les effets publiés y ont été annulés, plusieurs étaient entrés en France avec des Valés et n’ont pu en tirer parti : J’en ai, moi, pour quatre cent mille réaux qui se sont réduits à rien et c’est tout ce que j’avais rapporté d’Espagne. Notre gouvernement aurait pu en liquider à bon compte s’il avait payé avec ces valeurs
J’ai l’honneur d’être Monseigneur avec le plus profond respect de votre Altesse Impériale le très humble et très obéissant serviteur.
Le Général Berton »


Jean-Baptiste Berton, général d’Empire, fait ici référence à son pamphlet « Considérations sur la police, observations sur les bruits qu’elle répand », dans lequel il dénonce ceux « qui ont renié le passé pour chercher à améliorer leur existence présente […] qu’ont-ils prouvé par leur bassesse ? » Il se distingue à de multiples reprises par sa bravoure lors des campagnes napoléoniennes, notamment au sein la Grande Armée aux campagnes de 1805 à 1807, celles de 1808 à 1813 en Espagne, celle de 1814 au sein de l’armée du Midi et de 1815 à la campagne de Waterloo, à laquelle il fait ici référence.
La Seconde Restauration le met définitivement à la retraite, mais il reste un bonapartiste dévoué, comme en témoigne cette lettre.
Chef de la conspiration de Saumur prévoyant d’assassiner le roi Louis XVIII, il est dénoncé par des proches puis exécuté le 5 octobre 1822.

Joseph Bonaparte (1768-1844) est un homme d’État français et le frère aîné de l’empereur Napoléon Ier. Sa carrière politique, diplomatique et militaire est intimement liée à celle de son cadet. Il est successivement roi de Naples (1806-1808) et roi d’Espagne (1808-1813) pour finalement être contraint à l’exil vers les États-Unis après la période des Cent-Jours, du 20 mars au 8 juillet 1815. La mort de son frère, Napoléon Ier, et de son neveu, Napoléon II, fait de Joseph Bonaparte le premier héritier du trône impérial.

 

[CHARLES X] POLASTRON, Comtesse de (1764-1804)

Lettre autographe signée « D’Esparbès Ctesse de Polastron » au comte Louis d’Hautefort
Edimburgh, le 22 7bre 1798, 1 page in-4 sur double feuillet, adresse avec cachet aux armes royales au dos
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine, petit trou au niveau d’une pliure sur le quatrième feuillet sans atteinte au texte, ancienne trace de montage.

Rare lettre d’exil de la maitresse du futur Charles X et ancienne dame du palais de la Reine Marie-Antoinette


« Je me suis aquitté Monsieur de la commission que vous m’avés donnée et j’ai montré à M… [Le Comte d’Artois] l’aimable lettre que vous avés bien voulu m’écrire, d’après tout ce que contient cette lettre, et mils autres motifs, je prends avec autant de confiance que de plaisir le titre que vous me donnés, mais je dois vous avouer avec franchise que dans aucun moment je ne me suis trouvé[e] dans le cas de m’armer de se titre, et que je suis convaincue qu’une telle circonstance ne se présentera jamais. Tenés-moi toujours compte de ma bonne volonté, car s’est le seul mérite que je puisse avoir, ainsi que celui de savoir aprétier, et partager, comme ils doivent l’être, tous les sentiments de votre âme. Ceux qui m’attachent à vous, Monsieur, sont aussi sincères qu’ils seront durables;
D’Esparbès Ctesse de Polastron
M… [Le Comte d’Artois] me charge de vous dire que la dernière lettre qu’il vous a écrite contenant la véritable expression de ces sentiments pour vous, il n’y a rien à y ajouter en ce moment »


Marie Louise d’Esparbès de Lussan (comtesse de Polastron) devient dame du palais de la reine Marie-Antoinette en épousant Adhémar de Polastron, demi-frère de la duchesse de Polignac, amie intime de la reine et gouvernant des enfants de France.
Le comte d’Artois (futur Charles X), grand amateur de jolies femmes, la remarque à la cour de Versailles et se lie durablement avec elle, jusqu’à en faire sa favorite en titre. Cette liaison ne donne pas d’enfant. Toutefois, la mort prématurée de la comtesse ramène le comte à la foi.

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)

Tirage argentique original d’époque par Roger Parry
C. 1938, 23,7 x 17,5 cm
Annotations au crayon sur le verso, scotch, marge blanche inférieure


Magnifique portrait de Jean-Paul Sartre

Jean-Paul Sartre se fait photographier dans le studio de Roger Parry vers 1938, ce qui laisse supposer que le célèbre philosophe est alors âgé d’environ trente-trois ans.

Superbe état de conservation, encadrement sur mesure sous Marie-Louise, cadre noir.
Certificat d’authenticité fourni avec le tirage.

LOUIS XVI (1754-1793)

Lettre autographe signée « Louis » à un monsieur
S.l.n.d (1781 avant le mois de mai), 1 page petit in-8 sur bifeuillet
Infîme manque en marge droite sans atteinte au texte, trace de pliure centrale

Belle lettre de Louis XVI témoignant de sa volonté personnelle de réduire les dépenses de la Cour et de se ranger aux injonctions de son ministre Necker


« Je vous envoie Monsieur un beau Griffonnage. J’espère que vous pourrez le lire et qu’il ne troublera pas votre repos à la campagne. C’est le résultat de mes réflexions sur le règlement du service de la bouche et vous verrez que j’ai taché d’allier une commodité personnelle avec la stricte règle en évitant les doubles emplois, et ne voulant pas créer une charge de Commissaire de plus. Il y a à la fin plusieurs questions sur des cas de service que je n’ai pas trouvé réglé (sic) dans le règlement. Si vous croyez que la chose puisse s’exercer comme je la propose, écrivez à Chouzy d’estre Jeudy ici. Vous en conférerez avec lui et il pourra refaire tout de suite le règlement ; alors je pourrais donner les derniers ordres dimanche à M. Amelot et à M. Necker car je voudrais que la chose ne trainât pas, tout le monde en étant informé. Adieu Monsieur j’espère que l’air de la campagne vous fait du bien vous devez y avoir bien chaud. Louis. »


Plaidant ardemment pour une politique de réduction des coûts, Jacques Necker, ministre et directeur général des finances de la Maison du roi, vise d’emblée les privilèges de la cour : pensions versées par le roi, dépenses de la Maison du roi, diminution des grands offices… Dans l’optique de rationaliser les coûts du département de la Maison du roi, il crée en 1780 le Bureau général des dépenses de la Maison du roi. Cette lettre est rédigée en 1781, avant le mois de mai, seule année durant laquelle Amelot, Necker et Chouzy collaborent aux plus hautes charges de la nouvelle Maison du roi au sein du tout nouveau « Bureau général des dépenses de la Maison du roi » (qui apparaît dans l’almanach royal en 1781).

Ministre des finances depuis 1776, Necker n’occupe la charge de directeur général des finances de la Maison du roi que cette année 1781, peu avant sa première démission. À cette série de réformes dites républicaines et à l’expérimentation malheureuse des assemblées de provinces s’ajoute une erreur politique du ministre qui lui est fatale. En février 1781, certainement peu de temps après l’envoi de cette lettre, il adresse au roi son compte rendu de l’état des finances, destiné à être publié. Il révèle pour la première fois au grand public l’usage détaillé des dépenses publiques et dévoile, dans un souci de transparence, tous les avantages dont bénéficient les privilégiés de la cour. Ces derniers désavouent le ministre et dénoncent en retour, avec l’appui d’experts en finances, le bilan en trompe-l’œil que le ministre fait de son action. Il a en effet masqué la dette de 46 millions de livres laissée par les dépenses de guerre, s’enorgueillissant au contraire d’un excédent de 10 millions.
« La guerre qui avait si bien réussi contre Turgot recommença sous son successeur », explique Victor Duruy.

” Je ne regrette que le bien que j’avais à faire et que j’aurais fait si l’on m’en eût laissé le temps.” C’est sur ce regret vertueux que Necker, directeur général des Finances, prend congé de Louis XVI, le 19 mai 1781.

DELEUZE, Gilles (1925-1995)

Manuscrit autographe de premier jet avec corrections
S.l.n.d (c. 1985), 1 p. in-4 numérotée « 8 »

Riche et passionnant fragment de cette étude de Deleuze sur Foucault parue en 1986, où il est notamment question de l’internationale situationniste


« A lire certaines analyses, on croirait que 1968 s’est passé dans la tête d’intellectuels parisiens. En fait, il s’agit d’évènements mondiaux et de courants de pensée internationaux Il faut donc rappeler que c’est un [le] produit d’une longue suite d’évènements mondiaux, et d’une série de courants de pensée internationaux, qui liaient déjà l’émergence de nouvelles formes de lutte à la production d’une nouvelle subjectivité, ne serait-ce que dans les revendications “qualitatives”, concernant la qualité dans la critique du centralisme, et dans les revendications qualitatives, concernant la « qualité de la vie ». Du côté des événements mondiaux, on citera brièvement l’expérience yougoslave avec l’auto-gestion, le printemps tchécoslovaque et sa répression, la guerre du Vietnam, la guerre d’Algérie et la question des réseaux, mais aussi les signes de « nouvelle classe » (la nouvelle classe ouvrière), le nouveau syndicalisme, agricole ou étudiant, les foyers de psychiatrie et de pédagogie dites institutionnelles… Du côté des courants de pensée, sans doute faut-il remonter à Lukács, dont Histoire et Conscience de classe posait déjà la question d’une nouvelle subjectivité ; puis l’école de Francfort, le marxisme italien et les premiers germes de l’« autonomie » (Tronti), autour de Sartre la réflexion sur la nouvelle classe ouvrière (Gorz), et des groupes comme « Socialisme ou barbarie », le « Situationnisme », la « Voie communiste » (notamment Félix Guattari et la « micro-politique du désir »). Courants et évènements n’ont pas cessé d’interférer. Après 68, Foucault retrouve personnellement la question des nouvelles formes de lutte, avec le GIP [Groupe d’information sur les prisons] et la lutte des prisons, et élabore la « micro-physique du pouvoir », au moment de SP [Surveiller et Punir]. Il est alors conduit à penser et vivre d’une manière très nouvelle le rôle de l’intellectuel. Puis il arrivera pour son compte à la question d’une nouvelle subjectivité, dont il transforme les données après VS [La Volonté de savoir] jusqu’à UP [L’Usage des plaisirs], cette fois peut-être en rapport avec les mouvements américains. Sur le lien entre les luttes, l’intellectuel et la subjectivité, cf. l’analyse de Foucault sur Dreyfus et Rabinow, 301-303 »


Quand Deleuze éprouve le besoin de comprendre la philosophie de Foucault, c’est dans l’esprit et les actes de cette époque qu’il souhaite l’inscrire, époque à laquelle la lutte armée appartient de plein droit. Cependant Deleuze franchit alors un pas décisif : il ajoute que cette époque a été en quelque sorte inaugurée par Lukács avec la publication d’Histoire et Conscience de classe. C’est bien ce qu’il affirme, quand il dit que la subjectivité se noue sans détours avec celui de la lutte.
Plus largement, dans son ouvrage Foucault, Deleuze y développe les grandes thèses qui s’articulent (et articulent la pensée de Foucault) en trois temps : le Savoir, le Pouvoir et le rapport à soi.

Michel Foucault (1926-1984) est un philosophe français connu pour ses critiques des institutions sociales, principalement de la psychiatrie et la médecine, du système carcéral, et pour ses idées et développements sur l’histoire de la sexualité, ses théories générales concernant le pouvoir et les relations complexes entre pouvoir et connaissance.

L’Internationale situationniste est une organisation de théoriciens et stratèges révolutionnaires opérant dans les domaines politiques et culturels et désireux d’en finir avec le « malheur historique », la société de classes et la « dictature de la marchandise », se situant dans la filiation de différents courants apparus au début du XXe siècle, notamment de la pensée marxiste d’Anton Pannekoek et de Rosa Luxembourg.

MIRABEAU, Honoré-Gabriel Riqueti de (1749-1791)

Lettre autographe signée « Mirabeau fils » à son avocat, M. Raspaud
Mirabeau (Vaucluse), le 25 mars 1774, 2 pages in-8, cachet de cire
Corrosion ayant entrainé de petites pertes de papier due à l’acidité de l’encre

Rare lettre de jeunesse du futur Orateur du Peuple, en détresse financière et tentant vainement de régler ses comptes avec ses créanciers


« Ce n’est pas ma faut mon cher ami si la bourique a été ramenée si tard. Elle a été Il fallait une occasion ou donner 6 livres un homme pour aller à Aix.
Je ne sçais ce que Thabot vous a demandé, mais j’ai moi tout plein de chose à vous dire dont je n’ai pas le tems aujourd’hui à cause du départ de tous les La Duvanne possibles qui m’ont assailli depuis huit jours.
On n’inquiètera pas la cuisinière, que je n’ai pas connoître jusqu’à aujourd’hui, Pelissièere étant resté, vous sçavez combien je suis bien reconnoissant de vos peines.
Observez deux choses je vous en prie, la première est que de rabattre 18 livres sur le compte que vous présentera le St Guillot, parce que sur 10e journée je n’avois observé ni fêtes ni Dimanches, qui montent à 18. Ce coquin là m’avoit présenté un compte de cent pistoles, qui, à l’examen, a été réduit à cente et quelques livres. Pour l’usage de ses outils ile me demandoit 4,6 francs de telle chose dont il ne donnoit aux ouvriers que 26 livres, 1444 pour 72 et ainsi du reste. Je l’ai passé à 10 livres par tête d’ouvrier par jour je crois que cela est honnête ; mais jugez comme j’ai été volé.
2° le Sr Massié vous présentera un compte que je vous prie de ne point arrêter sans m’en prévenir, je vous donnerai le mot de l’énigme.
Je sçais mon cher ami, à n’en pouvoir douter que le curé fait (…) également honnête de vendre le gibier à Perthuis (on m’a offert de me faire parler à la personne) et de rendre compte à mon père de tout ce qui se passe ici.
Je vous renvoie le bidon de l’anesse.
Ce gueux de Raoust doit être archi payé (…) sans le montrer à Can qui est son pire ennemi.
Je ne sçais s’il a de l’aubusson à moi.
Adieu, mon cher Raspaud, je ne comprends pas le scrupule que vous vous faites pour le gibier, et j’en serois piqué, si je pouvois l’être contre vous. % Mirabeau fils.
A Mirabeau ce 25 mars 1774 »


Au lendemain de son mariage (1772) Mirabeau, endetté, se retire dans le domaine familial avec sa femme. Il n’empêche qu’il y vit en seigneur prodigue. Son père le fait surveiller et ses indicateurs (le curé) l’accusent de dilapider l’héritage, de vendre les bois, les meubles voire l’or des rideaux. En mars 1774, les dettes de Mirabeau s’élèvent au montant astronomique de 200.000 livres. Son père, intransigeant, obtient alors une lettre de cachet qui le chasse de la maison familiale et le relègue à Manosque avec interdiction d’en sortir.
Le 25 mars, il est sur le point de quitter le château de Mirabeau et tente, par l’intermédiaire de son avocat, de régler ses comptes avec ses créanciers. Les noms cités dans cette lettre font allusion à ces derniers. La vengeance de son père ne s’arrête pas. En septembre, il obtient une nouvelle lettre de cachet. Arrêté à Manosque par la maréchaussée, Mirabeau est enfermé au château d’If le 20 septembre 1774.

NECKER, Jacques (1732-1804)

Lettre autographe signée « Necker » à Antoine-Jean Amelot de Chaillou
S.l, le 24 février 1778, 1 page et demie in-folio
Infîmes taches brunes sans atteinte au texte

Rare lettre entièrement autographe de Necker en tant que contrôleur général du Trésor Royal


« Je suis sensible Monsieur à l’honnêteté que vous avez de me prévenir sur la petite augmentation de dépenses que pourra occasioner le nouveau projet sur la constitution de la Prevoté de l’hotel que vous avez dessein de mettre sous les yeux du Roy.
Cette augmentation de dépense  ne me paraît pas importante en raison de l’utilité que vous attendez de ce projet et de l’intérêt que vous y mettez ; je ne vois aussy aucun inconvénient à ce que les payements (…) se fassent mois par mois du moment que vous n’avez besoin que d’une année de solde dans le cours d’une année. Ce petit rapprochement dans l’ordre des payements ne peut souffrir aucune difficulté. J’ai l’honneur d’être avec le plus parfait attachement Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur.
Necker »


Le prévôt de l’hôtel (grand prévôt de France) est un officier d’épée dont la juridiction s’applique à toute la Maison du roi. Il est juge, en premier ressort, des causes civiles et, en dernier ressort, des causes criminelles et de police qui pouvaient toucher la Cour.
Depuis octobre 1776, Jacques Necker est conseiller des Finances et contrôleur général du Trésor royal. Après l’avoir congédié le 11 juillet 1789, Louis XVI doit se résoudre à rappeler Necker le 16 du même mois. Il prend alors le titre de premier ministre des Finances.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor H » [à Joséphine Trébuchet]
Bruxelles, le 19 décembre [1851], 1 page in-8° sur bifeuillet
Traces de pliures

Vibrante lettre sous forme de plaidoyer contre la tyrannie, rédigée aux premières heures de son exil, dix-sept jours après le coup d’État de Napoléon III


« Bruxelles – 19 Xbre
Ma femme me dit toutes vos charmantes bontés, chère cousine, comment vous remercier. Hélas ! je n’ai plus le bras long, sans quoi, je vous embrasserais de Bruxelles à Paris.

Dites à mon cher et bon cousin que mon cœur est plein de lui. J’ai lutté pour le droit, pour le vrai, pour le juste, pour le peuple, pour la France, contre le crime sous toutes ses formes, depuis la trahison jusqu’à l’atrocité. Nous avons succombé, mais vaillamment et fièrement, et l’avenir est à nous. Dieu soit loué toujours !
Je vous baise les mains, ma cousine.
Victor H.
Embrassez ma chère fille pour moi. »


Dès le coup d’État du 2 décembre 1851 par Napoléon III, Victor Hugo est recherché pour son opposition à l’empereur et pour avoir tenté, en vain, d’organiser la résistance en soulevant les masses populaires parisiennes. 25,000F de récompense sont promis à qui le capturera. Le 11 décembre, Hugo, muni d’un faux passeport, quitte seul Paris pour Bruxelles par le train de 20h sous le nom de Jacques-Firmin Lanvin. Le 19 décembre également, Hugo écrit à Paul Meurice : « Si nous pouvions coloniser un petit coin de terre libre ! L’exil ne serait plus l’exil. Je fais ce rêve »
Ce petit « coin de terre libre » est d’abord l’île anglo-normande de Jersey, puis celle de Guernesey, où il s’installe dès 1855. Son exil durera près de vingt ans.

Après la capitulation de Napoléon III suite au cuisant échec de l’armée française à Sedan, le 1er septembre 1870, Victor Hugo revient en France le 5 du même mois et prononce ces mots :
« Citoyen, j’avais dit : Le jour où la République rentrera, je rentrerai. Me voici. […] Défendre Paris, garder Paris. Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde. Paris est le centre même de l’humanité. Paris est la ville sacrée. Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain. […] Serrons-nous tous autour de la République en face de l’invasion et soyons frères. Nous vaincrons. C’est par la fraternité qu’on sauve la liberté. »

GAINSBOURG, Serge (1928-1991)

Dédicace autographe signée « Gainsbourg »
S.l.n.d (post-1980), 1 p. in-8
Au verso d’une page d’un ouvrage dédié à l’artiste
Infime décharge d’encre en marge sans atteinte au texte

Formidable dédicace de l’artiste évoquant les doubles de sa personnalité et citant l’un des vers mythiques de « La Javanaise »


« De Lucien a Serge
De Gainsbourg a Gainsbarre
J’avoue j’en ai bavé
Amicalement 
Gainsbourg »


Les premières références à « Gainsbarre » apparaissent en 1980 pour être définitivement validées avec l’album Mauvaises nouvelles des étoiles (1981). Les écrits de Gainsbourg faisant référence ou écho à « La Javanaise » sont de la plus grande rareté.

La genèse de « La Javanaise » reste un semi secret que ni la muse de Saint-Germain-des-Prés ni Gainsbourg ne dévoileront. Lors d’une nuit d’insomnie, Gréco appelle Gainsbourg et l’invite chez elle. Le lendemain, au matin, Gainsbourg, séduit par la muse de Saint-Germain-des-Prés, écrit « La Javanaise ». Que s’est-il passé pendant cette nuit ?

Le film de Joann Sfar Gainsbourg (vie héroïque) (2010) souligne cette duplicité entre la réalité inconnue et la romance que se plaît à créer l’imaginaire collectif en accompagnant Serge Gainsbourg d’une marionnette, son avatar, lors de sa visite chez Gréco : Serge vient pour « vendre [s]es chansons », mais son avatar quelque peu impertinent rétorque : « Tu crois qu’elle t’aurait donné rendez-vous en pleine nuit, si c’était juste pour chanter ? »

Par ailleurs, « La Javanaise » anticipe d’ores et déjà le talent littéraire du chanteur. Quoique le texte semble s’apparenter à un chant d’amour comme il en existe tant, force est de noter des effets de style. On ne relèvera ici que la parenté évidente entre la langue javanaise, dans laquelle le son [v] est l’un des plus fréquents, et les allitérations en [v] développées au long des paroles : « J’avoue j’en ai bavé pas vous », « Avant d’avoir eu vent de vous », « Hélas avril en vain nous voue », « Mais c’est vous qui l’avez voulu ». Les jeux sur les sonorités sont très présents dans l’œuvre de Gainsbourg, le paroxysme étant certainement la virtuosité de « Variations sur Marilou » (L’homme à tête de chou, 1976).

CARNOT, Lazare (1753-1823)

Lettre autographe signée « L. Carnot » à Louis-Bernanrd Guyton
Arras, le 31 mars 1793, 1 p. 1/2 in-8
Trace de pliure centrale due à l’envoi d’origine, légères taches brunes en marge

Exceptionnelle lettre de Carnot après la débâcle de l’armée française à Neerwinden, à quelques heures de la trahison de Dumouriez

“Je crois que Dumouriez est un monstre, tâchez de trouver un homme qui puisse le remplacer et faites lui faire bien vite son procès”


« Arras Le 31 mars 1793. L’an 2 de la République
Je ne puis vous dire mon cher Guyton à quel point en font nos collègues de la Belgique avec Dumouriez. Nous les avons quitté hier, pour continuer notre opération du recrutement. Cette opération entraine à des dilapidations effroyables et j’ose dire par la faute de la Convention Nationale qui s’est obstinée à permettre les remplacemens. On a rejeté l’article que j’avois proposé à ce sujet pour le proscrire. Il en resulte des maux que je ne puis vous exprimer, on donne jusqu’à 1800 livres pour le faire remplacer, les volontaires qui savent cela désertent leurs bataillons pout venir s’enroler dans les communes, à peine sont-ils enrolés qu’il désertent de nouveau pour s’enroler dans une autre commune, un autre district ou un autre département, il s’enrolent dans cinq ou six endroits recoivent cinq ou six engagements et au bout de tout cela ne rejoignent aucun corps, cet abus est poussé à un tel point que sur 97 recrues faites dans le district de St Omer 7 seulement on rejoint. Je n’en dirai pas plus sur cet article, il est cruel que la Convention ne veuille s’en rapporter sur de pareils objets qu’à des personnes qui n’y entendent rien. La dernière loi pour remédier à la desertion est assez bonne mais très insuffisante encore. Les insurrections de l’intérieur ne sont dues pour ainsi dire qu’à l’imperfection ou plutôt aux vices essentiels de la loi du 24 février.
Je crois que Dumouriez est un monstre tâchez de trouver un homme qui puisse le remplacer et faites lui faire bien vite son procès.
Il me semble aussi que vous délibérez sous le couteau les départements en gémissent et nous sommes étonnés que la Convention qui montre de l’énergie ne puisse venir à bout des assassins.
Votre concitoyen et ami
L.Carnot »


Charles François Dumouriez (1739-1823) quitte Paris le 26 janvier 1793. Arrivé à Amiens, il y apprend la rupture de l’alliance entre la France et l’Angleterre et, conséquemment, avec la Hollande. Pour prendre de vitesse les armées de la coalition, il entreprend l’invasion de cette république avec treize mille cinq cents hommes mal équipés et mal nourris, la faute à l’administration de Pache. Il repousse le prince Frédéric Josias de Saxe-Cobourg et livre la bataille de Neewiden le 18 mars 1793, où les troupes françaises, bien que maîtresses du champ de bataille, essuient un véritable échec. Dumouriez suscitait déjà la méfiance auprès de la Convention avant même cette bataille. Cette dernière terminée, c’est la débâcle en Belgique : les armées françaises reculent et la république doit renoncer au dessein de réunion des anciens Pays-Bas autrichiens à la France, qui était pourtant en train de s’accomplir.
Une foule d’accusations s’élève alors contre Dumouriez au sein de la Convention, laquelle, décrète qu’il doit être traduit à la barre à l’Assemblée, puis au Tribunal révolutionnaire nouvellement établi. Il accepte les ouvertures que le prince de Cobourg lui fait : il qui propose de se joindre à lui pour rétablir la constitution donnée par l’Assemblée nationale constituante, libérer Marie-Antoinette et ses enfants de la prison du Temple, dissoudre la Convention et rétablir une monarchie constitutionnelle.
Cependant, ses projets ayant transpiré, la Convention envoie le 2 avril à son quartier général des députés pour le suspendre et lui ordonner de venir rendre compte de sa conduite. Dumouriez les fait aussitôt arrêter puis livrer aux Autrichiens.
Le 4 avril, le général Dumouriez, qui a promis aux Autrichiens de livrer la place-forte de Condé, est contraint de rebrousser chemin, les troupes de la garnison ayant eu vent de la trahison.

Lazare Carnot (1753-1823) est un physicien, général et homme politique français. Membre de la Convention nationale et du Comité de salut public, il est surnommé « l’organisateur de la Victoire ». Directeur, il est ensuite comte de l’Empire.

Louis-Bernard Guyton-Morveau (1737-1816) est un chimiste, jurisconsulte, homme politique français et régicide. Il entre au Comité de salut public le 6 avril 1793 et est l’un des promoteurs du calendrier révolutionnaire avec Fabre d’Églantine.

NECKER, Jacques (1732-1804)

Lettre signée « Necker » à MM. les commissaires du roi au Dept. du Nord
Paris, le 27 juillet 1790, 1 p. in-folio sur papier vergé
Trace de pliure centrale, légère décoloration en marge supérieure.

Rare pièce signée de Necker dans les dernières semaines de son mandat comme premier Ministre des finances du roi


« J’ai reçu, Messieurs, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire quelques exemplaires du tableau des noms des administrateurs du Département du Nord. Je vous prie d’en agréer mes remercimens. J’ai vu avec satisfaction que deux d’entre vous étoient du nombre de ces administrateurs et que M de Flory fut élu procureur gl Sindic 
J’ai l’honneur d’être avec un sincère attachement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur. 
Necker »


Après l’avoir congédié le 11 juillet 1789, Louis XVI doit se résoudre à rappeler Necker le 16 du même mois. Celui-ci prend alors le titre de Premier ministre des finances. Rapidement, il s’oppose à l’Assemblée constituante, en particulier à Mirabeau. Alors que les députés refusent les propositions de Necker, fondées sur les méthodes traditionnelles d’anticipations et d’emprunts, Necker s’oppose au financement du déficit par l’émission d’assignats.

Dans cette pièce, Necker accuse réception de la nomination de Louis Warenghien de Flory (1741-1824) comme commissaire du roi au département du Nord le 23 juillet 1790.

LOUIS XVI (1754-1793)

Pièce signée « Louis » et contresigné par Laporte
Paris [Palais des Tuileries], le 15 décembre 1791, 1/2 page in folio sur papier vergé
Trace de pliure centrale, petits trous d’épingle, marges angulaires légèrement effrangées.

Rare document signé par Louis XVI depuis les Tuileries


« Trésorier Général de ma Liste civile, m Sr. Jean-Baptiste Tourteau de Septeuil, payez comptant à Sébastien Forest chasseur du Régiment de Lorraine la somme de soixante quinze livres que je lui ai accordée à titre de subsistance, pendant les six derniers mois de 1791. À raison de 140 livres par an.
Fait à Paris le 15 Décembre 1791.

Louis

Par le roi

Laporte »


Arnaud de La Porte (1737-1792) est ministre de la Marine en 1789, intendant de la Liste civile, ministre de la Maison du roi Louis XVI. Pour avoir été le distributeur des fonds destinés à financer la fuite du roi, il est arrêté après la journée du 10 août 1792 et accusé d’avoir fait disparaître des documents compromettants. Il est aussitôt jugé par le tribunal, déclaré criminel le 17 août et guillotiné le 23. Louis XVI est, comme chacun sait, guillotiné cinq mois plus tard, le 21 janvier 1793, soit à peine plus d’un an après la signature de ce document.

DUMAS (fils), Alexandre (1824-1895)

Lettre autographe signée « A Dumas » à un monsieur
S.l.n.d [Paris], 5 pages in-8 sur deux doubles feuillets
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine, légères décharges d’encre.

Longue et remarquable lettre de Dumas fils à propos de son travail d’auteur et de La Dame aux camélias


« Monsieur, Je suis très flatté et très touché des termes de votre lettre et de la demande que vous me faites l’honneur de m’adresser mais vous vous trompez bien si vous croyez que je puisse avoir la moindre autorité en matière législative. Hélas monsieur je puis par ma bonne fois quelques fois même par mes paradoxes, présenter, d’une certaine façon, exciter la curiosité, le bon sens et même la sympathie de quelques lecteurs éparpillés çà et là ; des personnages officiels et sérieux me pillent même quelque fois sans le dire bien entendu mais qu’importe. Pourvu que les idées poursuivent leur chemin mais du jour où je voudrais prendre officiellement à mon tour la parole dans une discussion traitée par des hommes du métier comme monsieur Lesbone et nous, je ferai le plus grand tort à la question et à ces hommes. Je n’existe pas en politique, en philosophie, il faut voir comme les journaux de toutes les nuances me traitent, ils sont d’accord sur ce point, que je n’entends rien aux choses dont je me mêle. Ils me renvoient à ma dame aux camélias, à mes cocottes, et quand j’y reviens ils se donnent rendez-vous au théâtre pour me siffler et me faire payer la mes préfaces et mes brochures. Ceci ne peut vous donner une idée du mépris très sincère que le public depuis le plus haut personnage jusqu’au plus infime et pour un auteur dramatique chargé de l’amuser, de le faire digérer et rire, mais finalement sans consistance et sans aucun droit de parler de certaines choses. Je ne fais que traverser Paris. Si j’avais été sûre de vous rencontrer chez vous, j’aurais été vous dire tout ce que je vous écris et aussi ce qu’on n’a pas le tems d’écrire. Je quitterai paris lundi si vous voulez que nous causions soit chez vous soit chez moi, le matin ou dans la journée entre 2 et 5 h. Agissez à votre entière convenance. Je n’aurai à faire à Paris que des courses. Agréez monsieur l’assurance de mes sentiments distingués. 
Alex Dumas »


La Dame aux camélias est un roman d’Alexandre Dumas fils publié en 1848 alors qu’il n’avait que 25 ans. Il y transpose son amour pour la courtisane Marie Duplessis. L’œuvre a inspiré l’opéra de Verdi : La Traviata.
De nombreuses actrices ont incarné le personnage, de Sarah Bernhardt à Isabelle Adjani et Isabelle Huppert, en passant par Lillian Gish et Greta Garbo.

VLAMINCK, Maurice de (1876-1958)

Lettre autographe signée « Vlaminck » à « Monsieur »
Le 2 janvier 1946, 1 p. in-4
Petite déchirure avec manque en mage inférieure droite, trace de pliure due à l’envoi d’origine

Vlaminck approuve un projet d’exposition de ses œuvres


“Cher Monsieur,
A priori je n’ai rien contre votre projet d’exposition. Je pense vous donner mon accord définitif dès mon retour.
Très attentivement vôtre.
Vlaminck”


Maurice de Vlaminck est un peintre français qui s’illustre dans le fauvisme et le cubisme. Artiste très polyvalent – figures, portraits, nus, paysages, animés et urbains, intérieurs, natures mortes, fleurs et fruits, peintre à la gouache, aquarelliste, graveur, dessinateur et illustrateur –, il est aussi l’auteur de pas moins de vingt-six livres : romans, essais et recueil de poèmes.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » à un ami
S.l [Paris] le 257 août 1942, 2 pages in-8 à en-tête de la Bibliothèque l’Institut de France
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine

Paul Valéry, en proie à des désillusions, parle des dernières œuvres de sa vie et évoque Picasso


« Cher ami,
Les nouvelles sont médiocres… Ma fille, rentrée et vue par Vignes, est encore assez fatiguée. Ce qu’elle a eu demeure flou quant au diagnostic. Vignes songe à l’expédier à Salies – ce qui ne simplifie pas l’été. Ma femme, qui s’était chargée des petits enfants, est tombée sur une valise et s’est fracturé le “col chirurgical de l’humérus”… dit Mondor. Tout ceci est bien ennuyeux. Je pense partir pour l’Aveyron vers le 6, ayant déjà perdu un mois de mon laisser-passer. Autre nouvelle, le papier pour mes mauvaises pensées m’a été refusé (1). On essaye de rattraper ce papier, mais si l’on n’y réussi pas, je serai très ennuyé – puis que je deviens, par la force des choses, – un homme de lettres !
je ne sais pas où en est la question du Virgile (2)depuis que Picasso nous a dégonflés. Derain.?? Mois, j’attends. Vous avez de la chance de vous nourrir sans douleur !
Ma femme, cher ami, est l’autre patraque, ma fille, me chargent de toutes leurs amitiés pour vous.
Je suis bien vôtre.
Paul Valéry »


(1) Paul Valéry est un écrivain assidu dont la carrière s’étale sur cinquante ans, « entre la lampe et le jour », des cahiers où flambent les éclairs de son intelligence éclectique. Les Mauvaises pensées et autres, publiées en 1942, en offrent le meilleur aperçu.
(2) Valéry travaille de 1942 à 1944 sur une version française des Bucoliques de Virgile (à la demande de Alexandre Roudinesco), c’est-à-dire durant les dernières années de sa vie. Le poète sollicite Pablo Picasso et André Derain pour réaliser des illustrations de l’ouvrage, avant leurs désistements respectifs. C’est finalement Jacques Villon qui les prend en charge, en réalisant quarante-quatre au total.

BECKETT, Samuel (1906-1989)

Lettre autographe signée “Sam” à un inconnu [Jean]
Paris, le 5 avril 1970, 1 p. in-4
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine

Rare lettre du Prix Nobel de littérature 1969


“Cher Jean,
Merci de tes mots.
Je te remercie de la bonne nouvelle.
Téléphone-moi mardi vers midi.
Amitiés
Sam”


Samuel Beckett est un écrivain d’origine Irlandaise et d’expression principalement Française et Irlandaise. Il obtient le prix Nobel de littérature en 1969.

DORGELES, Roland (1885-1973)

Lettre autographe signée « Roland Dorgeles » à Albert Dubeux
Montsaunes, s.d le 15 avril [1944], 2 p. in-4
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine

Belle lettre de Dorgelès au sujet de son film Coup de tête


« Cher ami,
J’ai vu votre photo dans un illustré : vous faisiez un cours de littérature aux futures vedettes de cinéma. Elles en ont foutrement besoin !
Et puisque vous vous intéressez au Ve art, je vais vous demander un service. On va projeterincessamment un film de moi Coup de Tête. J’étais très content de mon scenario. Mais en mon absence le metteur en scène (un certain [René] Le Hénaff, que Sacha Guitry a surnommé Le Gniaf), a, sous divers prétextes, tripatouillé mon texte ajoutant en texte dialogue et les gags de son goût, si bien que je me demande ce que vaut le film ainsi remanié. J’ai d’ailleurs demandé que l’œuvre fut présentée comme tirée d’un roman de moi et non comme scenario portant ma signature.
Vous avez compris ce que j’attends de votre amitié ? Allez vite voir Coup de Tête pour me dire franchement ce que ça vaut.
Bien cordialement. Je vous serre les mains.
Roland Dorgelès »


Coup de Tête est un film de René le Hénaff sorti en 1944. C’est Roland Dorgelès qui en écrit le scénario.
René le Hénaff (1901-2005) est un cinéaste qui débute comme monteur pour Marcel Carné, avant de travailler sur la réalisation. Il s’illustre avec son film Le Colonel Chabert en 1943, d’après le roman d’Honoré de Balzac du même nom.

CENDRARS, Blaise (1887-1961)

Lettre autographe signée « Blaise » à Marcel Jouhandeau et sa mère Marie
Biarritz, le 27 décembre 1932, 1p. in-4
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine

Belle lettre d’amitié de Blaise Cendrars à Marcel Jouhandeau et sa mère


« Ma chère Marie
Mon cher Marcel,
Je viens vous souhaiter une bonne année à tous les deux. Si je ne vous écris pas souvent, il ne se passe néanmoins pas un jour sans que je ne pense à vous et à notre chère amitié. Je ne travaille pas encore bien, bien sérieusement, mais je puis au moins vous annoncer que la santé est aussi bonne que possible – et c’est beaucoup. J’espère bien que le restant va suivre et que vous allez me retrouver gai et content comme je devrais toujours l’être. J’ai aussi de bonnes nouvelles de Raymone [Duchâteau].
Faites toutes mes bonnes amitiés à Jacques et permettez-moi de vous embrasser tous les deux de tout mon cœur.
Blaise
42 av. de la Reine Nathalie
Biarritz »


Marcel Jouhandeau (1888-1979) et Blaise Cendrars entretiennent une amitié indéfectible jusqu’à la mort de ce dernier en 1961. En 1932, année de cette lettre, Cendrars publie un récit autobiographique : Vol à Voile.
Raymone Duchâteau (1896-1986), dite Raymone, est une actrice française. En 1917, elle rencontre Blaise Cendrars, dont elle devient la compagne et la muse. Ils se marient finalement le 27 octobre 1949.

LOUIS XVIII (1755-1824) & CHARLES X (1757-1836)

Pièce signée « Louis Stanislas Xavier » et « Charles Philippe », enveloppe à M. le Marquis de la Maisonfort
Hamm [en Wesphalie, près de Dortmund], le 1er janvier 1793
1 page sur double-feuillet in-4, cachet de cire noire aux armes royales, enveloppe jointe et montée en marge du dernier feuillet
Infimes taches, légères froissures.

Belle réunion de signatures des futurs Louis XVIII et Charles X, vingt jours avant l’exécution de leur frère, Louis XVI


« Nous Louis-Stanislas-Xavier de France, et Charles-Philippe de France, fils de France, frères du roi, – certifions que le Sieur Marquis de la Maisonfort, officier au régiment des dragons de Monsieur, a fait la campagne sous nos ordres dans la compagnie de M.M. les officiers du régiment, et que, durant la révolution, il a donné des preuves constantes de sa fidélité envers le Roi, notre frère, et de son zèle pour le service de sa majesté et pour le nôtre.
En foi de quoi nous lui avons délivré le présent certificat que nous avons signé, et auquel nous avons fait apposer le cachet de nos armes.
De Ham le 1er janvier 1793.
Louis Stanislas Xavier
Charles Philippe »

[Louis XVIII rajoute de sa main sur l’enveloppe (également cachetée de cire aux armes royales) collée au verso]: « A Monsieur le Marquis de la Maisonfort »


Ce certificat, daté du 1er janvier 1793, est signé par les deux frères futurs Louis XVIII et Charles X vingt jours avant l’exécution de leur frère aîné Louis XVI.
Il est destiné au marquis de la Maisonfort (1763-1827), officier au régiment des dragons de Monsieur, qui dirige la campagne sous leurs ordres et dont la fidélité ne tarit pas, malgré la Révolution.

GONCOURT (de), Edmond (1822-1896)

Beau portrait photographique de Edmond de Goncourt.
Circa 1885, tirage d’époque albuminé, contre-collé sur carton fort, 165 x 105 mm
Le tirage fait 137 cm x 95 mm.
Légère oxydation, infimes taches.


Edmond de Goncourt (1822-1896) est un écrivain français rattaché au courant naturaliste. Il est le fondateur de l’académie Goncourt, qui décerne chaque année le prix du même nom. Une partie de son œuvre est écrite à quatre mains avec son frère, Jules de Goncourt.

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Lettre autographe signée des initiales « G.C », à son secrétaire, Étienne Winter au journal L’Aurore
Paris, le 12 février 1898 (cachet de la poste)
1 page in-8, carte pneumatique, adresse autographe au verso

Clemenceau – alors rédacteur en chef au journal L’Aurore – demande à son collaborateur de lui apporter le compte-rendu complet du procès Zola en pleine affaire Dreyfus, un mois après la publication de « J’Accuse… » 


« Cher ami,
Ayez moi pour ce soir la sténographie de tout le procès. Je crois que c’est Le Siècle qui la publie. Avertissez la dépêche que je suis hors d’état d’envoyer un article demain. Faites-moi songer ce soir à emporter du chocolat du journal.
A vous.
GC »


En 1894, Clemenceau est l’un des adversaires de Dreyfus : il écrit dans le journal La Justice un article intitulé « Le Traître », dans lequel il prône la peine de mort pour trahison. Mais le vice-président du Sénat, Scheurer-Kestner, possède des éléments à décharge. Il en fait part à Clemenceau. Convaincu, il change sa ligne éditoriale. Nous sommes en novembre 1897. Clemenceau a alors à cœur de demander la révision du procès, en pointant du doigt les irrégularités manifestes.
S’ensuit la publication de « J’accuse… » par Emile Zola le 13 janvier 1898, et ce n’est que le début : ce sont pas moins de six cent soixante-cinq articles dreyfusards qui sont imprimés dans les colonnes du journal jusqu’en 1903.

Dans ce petit bleu, adressé à son secrétaire à la rédaction du journal L’Aurore, Etienne Winter, Clemenceau réclame la sténographie complète de tout le procès, qui est effectivement publiée dans le journal Le Siècle en supplément. Nous sommes alors en plein procès Zola (l’état-major a porté plainte contre ce dernier suite à la publication de « J’accuse… »), qui se tient en cour d’assises du 7 au 23 février 1898.
Notons qu’à titre exceptionnel, par autorisation du président de la cour d’assises, car il n’est pas avocat de formation, Clemenceau autorisé à plaider sans robe. Dans un texte brillant, il attaque le leitmotiv des militaires res judicata pro veritate habetur

 

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Portrait photographique de Paul Valéry et sa femme Jeannie Gobillard
Circa 1900, format oblong sur carton noir (20,8 cm x 14,7 cm). Liseré doré sur toute la tranche.
Légères traces d’usure sur le carton.

Tirage d’époque sur papier albuminé, contrecollé sur carton noir.

Rare portrait de Paul Valéry avec sa femme, Jeannie Gobillard, lors des toutes premières années de leur mariage.


En 1900, Paul Valéry épouse Jeannie Gobillard (1877-1970), cousine germaine de Julie Manet (fille de Berthe Morisot et d’Eugène Manet, frère d’Edouard Manet). Cette dernière s’unit le même jour à Ernest Rouart. Le double mariage est célébré en l’Eglise Saint-Honoré d’Eylau, dans le quartier de Passy, à Paris.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » à Pierre Camo
Paris, 40 rue de Villejust, Septembre 1923
3 pages in-8 sur bifeuillet
Trace de pliure centrale

Belle lettre poétique de Paul Valéry au sujet de la Pléiade


« Mon cher confrère,
Je ne m’attendais pas qu’il me vint de si loin une lettre si charmante. 
Mais enfin c’est un acte gracieux et naturel de poète que de dédaigner la distance et que d’envoyer une sorte de fleur à travers le vain réseau des latitudes. Je suis tout à fait touché de ce geste auquel je voudrais répondre un peu mieux que je ne fais. Mais si je suis si accablé d’une correspondance sans pitié, et d’ailleurs si fatigué que je ne sais que dire merci, sans l’articuler comme je le devrais, m’adressant à un poète de votre pure et rare qualité.
Pardonnez-moi et croyez à mes sentiments très reconnaissants, comme à une profonde estime.
Paul Valéry
Quant à la question du jury de la Pléiade, je vous avoue que j’en suis peu informé. J’ai assisté de corps à la séance finale, ou j’ai appris le nom du lauréat… il est vrai que je n’avais pu véritablement examiner les ouvrages des concurrents.
Mais j’estime que nous n’avons pas à tenir compte des questions qu’il plait à tel ou à tel de nous poser.
Nous sommes jury et non tribunal, et n’avons pas à motiver.
Et puis je n’aperçois pas du tout de quel droit et sur quoi fondé, un quidam, fut-il journaliste, nous mettrait des questions sous le nez. »


Au sortir de la Première Guerre mondiale, Paul Valéry devient comme un poète officiel, immensément célèbre – un peu dupe et il s’en amuse – et comblé d’honneurs. En 1924, soit peu de temps après l’envoi de cette lettre, il devient président du PEN club Français, puis est élu membre de l’Académie française l’année suivante.

Pierre Camo (1877-1974) est un magistrat et poète français. Il séjourne longuement à Madagascar. Ce voyage lui inspire nombre de ses textes.

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Lettre autographe signée « AlexDumas » à Adolphe Laferrière
[Paris, sans date], 1 page in-8 sur bifeuillet

Alexandre Dumas réclame une loge pour une représentation de Marie Dorval


« Monsieur,
Seriez vous assez bon pour me donner au début de Mad
[ame] Dorval, une loge de Baignoire si la chose est possible sinon tout autre loge.
Mille compliments empressés
AlexDumas »


Charmant billet d’Alexandre Dumas, à l’époque où le romantisme séduit le beau Paris.

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Lettre autographe signée « S. de Beauvoir » à sa dactylographe, Madame Mandinaud
Gary, Indiana, 21 septembre 1951. Une page in-4 sur papier de travail quadrillé
Déchirure en marge supérieure (de la main de Simone de Beauvoir)

Simone de Beauvoir envoie un article sur Sade destiné à la revue Les Temps Modernes


« Chère Madame,
Voilà le texte que vous serez gentille de taper tout de suite ; envoyez le manuscrit et une copie – gardez-en une au cas où l’autre se perdrait – à Jacques Bost – 12 rue de l’Abbaye , 6e. Son téléphone est DAN 11-11, vois serez aimable de vous assurer qu’il a bien reçu l’envoi, et de lui rappeler qu’il doit le remettre à [Raymond] Queneau tout de suite. Merci.
Avec mes meilleurs sentiments
S.
de Beauvoir»


Dans ses articles sur Sade et son essai « Faut-il brûler Sade ? »Simone de Beauvoir étudie les rapports de l’intellectuel avec la classe dominante, l’idéologie de la droite de son temps et, en analysant son œuvre, l’échec de Sade dans sa recherche d’une synthèse impossible entre deux classes, entre le rationalisme des philosophes bourgeois et les privilèges de la noblesse.

Il est ici question d’un article à paraître dans la revue Les Temps Modernes en 1951.
Il s’agit d’une revue politique, philosophique et littéraire fondée en 1945 par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, publiée aux éditions Gallimard.

A propos d’un article de Sade paru dans la revue, Simone de Beauvoir y écrit notamment:

« Il est certains ‘pervertis sexuels’ auxquels s’applique exactement le mythe de M. Hyde et du docteur Jekyll ; ils espèrent d’abord pouvoir satisfaire leurs ‘vices’ sans compromettre leur personnage officiel ; mais s’ils sont assez imaginatifs pour se penser, peu à peu, par un vertige où se mêlent honte et orgueil, ils se démasquent. »

Jacques-Laurent Bost (1916-1990) est un écrivain et journaliste français. Il fait partie du groupe existentialiste aux côté de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Il est le cofondateur de la revue en question.

Raymond Quenau (1903-1976) est un romancier, poète et dramaturge français. Il est cofondateur du groupe littéraire de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Son roman le plus célèbre est Zazie dans le métro, publié en 1959.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » au comte Gilbert de Voisin
Lundi [19 janvier 1925], 1 page in-8

Belle lettre de Paul Valéry sur sa campagne académique


« Mon cher Ami,
J’ai vu ce matin [François] de Curel qui m’a reçu mieux qu’aimablement. C’est un home vraiment charmant et vivant, d’une liberté d’esprit et d’une saveur franche qui devient rarissime.
Il a de bien belles toiles dont il m’a fait les honneurs. Je pense que votre nom m’a été le meilleur introducteur auprès de lui, et je vous remercie de ce talisman si efficace.
Mais j’ai autre chose à vous dire. Connaissez-vous « Commerce » ? Commerce désire de vous conte ou article ou enfin ce que vous voudrez. Je souhaite que vous ayez pour notre N°3 quelque ouvrage tout prêt. Nous l’attendons.
J’espère que Madame Gilbert de Voisins et en meilleure santé. Présentez lui mes vœux et mes hommages et croyez moi véritablement votre.
Paul Valéry »


Auguste, quatrième comte Gilbert de Voisin (1877-1939) est un écrivain et essayiste français ayant appartenu au groupe littéraire des Longues Moustaches.  En 1909, il accompagne Victor Segalen à Pékin, d’où ils partent à cheval pour un voyage de dix mois en Chine occidentale. Tous deux repartent en Chine en 1913, accompagnés de Jean Lartigue, pour une mission archéologique, interrompue par la Première Guerre mondiale.

François de Curel (1854-1928) est un romancier et auteur dramatique français. L’Académie française lui décerne le prix Calmann-Levy en 1898 pour l’ensemble de son œuvre. Il y est élu membre vingt ans plus tard.

Commerce est une revue littéraire à parution trimestrielle comprenant au total vingt-neuf cahiers entre 1924 et 1932, publié par les soins de Paul Valéry, Léon-Paul Fargue, Valéry Larbaud. De nombreux auteurs y contribuent, tels Richard Aldington, Louis Aragon, André Beucler, Benjamin Fondane, William Faulkner, Franz Kafka, Georges Limbour, André Malraux, Virginia Woolf…

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF Celine » à Jean-Louis Tixier-Vignancour
[Klarskovgaard], le 2 [mai 1951], 6 pages et demie in-folio, papier vergé
Légères fentes aux marges supérieures et inférieures, traces de pliures, infimes tâches.

Longue et importante lettre emplie de rage dans l’attente du non-lieu officiel


« Mon cher maître,
Mikkelsen m’a rapporté merveille de vos interventions… Il m’a assuré que le « non lieu » était signé- Il me l’a juré etc.… J’ai vu passer des échos contradictoires dans les journaux français – et l’Ambassade de France ici me fait connaître qu’elle n’a rien reçu du tout du Quai d’Orsay
– Coup d’Epée dans l’eau donc ?
– La justice tâte l’opinion ?
Ou bien la justice veut se faire forcer la main à me condamner en attisant un peu plus les haines « réstistancialistes » ?
Oh vous savez j’ai appartenu 4 ans à l’Etat major de la SDN [Société des Nations] – et 20 ans aux Mairies de la Banlieue. Aucune manigance politico-juridico-salope ne peut m’étonner. Je connais tous les godets, tous les dés, tous les bluffs, tous les tarots…
Je n’en joue point moi même jamais (tel les croupiers à Monte Carlo) mais tous les trucs me sont archi familiers – vaines ruses – je ne ruserai pas pour foutre au cul de la justice Française si elle me condamne un de ces brandons dont elle hurlera longtemps je vous assure.
Qu’on ne se fie pas à ma discrétion – je suis comme les boxeurs professionnels – je n’aime point les esclandres… Mais si on veut absolument me défier – c’est du tapis.
Je ne vais pas aller beugler devant les chambres civiques des honnêtetés qui seront immédiatement falsifiées par la Presse – non – j’imprimerai ce que j’ai à dire en 11 langues et 300 000 exemplaires.
Pas l’atome d’une collaboration dans mon dossier. Et on je juge pas Paul Morand, ni Brisson, ni Pietri, ni Claudel, ni Bergery – Mais moi ! moi ! moi ! toujours moi !
En pratiquerien n’est arrivé à l’Ambassade de ce fameux non lieu – Rien – le mandat d’arrêt est toujours [,] lui par exemple. Je suis toujours prisonnier sur parole du Danemark et je le demeurerai tant que je le Quai [d’Orsay] n’aura point officiellement fait rapporter le mandat
Non plus je ne veux me rendre en France avec un laisser passer ! Truc à me faire coffrer aux frontières. Mais un bel et bon Passeport. Or on m’a fait savoir à l’Ambassade que si j’étais demandé par le juge d’Instruction de la chambre civique on ne me donnera pas un laisser passer (je n’en veux pas [)]
Il faudrait qu’on me cite à comparaître comme prévenu libre en chambre de justice civique = alors seulement on me déclarera un vrai et bon Passeport !  (Ce que je veux)
Sinon – Zebi ! Je ne rentrerai pas. Ils me condamneront et foutre !
Ces canailles n’auront pas longtemps) se réjouir !
Votre très amical et reconnaissant.
LFCeline »


Céline publie de virulents pamphlets dès 1937 (année de la parution de Bagatelles pour un Massacre). Sous l’Occupation, il est proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi. Quelques jours après le débarquement allié, le 6 juin 1944, Céline quitte la France avec son épouse pour se rendre à Baden-Baden car il craint pour sa vie. S’ensuivent des pérégrinations en Allemagne avant qu’il ne rejoigne, en octobre 1944, le gouvernement en exil du régime de Vichy à Sigmaringen (épisode de sa vie qui lui inspire le roman D’un château l’autre, paru en 1957).
C’est en mars 1945 qu’il obtient son visa pour se rendre au Danemark, alors encore occupé par les Allemands. Il y est arrêté en décembre de la même année, suite à la Libération, et passe un an et demi en prison.
Le 20 avril 1951, Jean-Louis Tixier-Vignancour, son avocat depuis 1948, obtient l’amnistie de Céline au titre de « grand invalide de guerre » (depuis 1914) en présentant son dossier sous le nom de Louis-Ferdinand Destouches sans qu’aucun magistrat ne fasse le rapprochement.

[AFFAIRE DREYFUS] ZOLA, Emile (1840-1902)

Manuscrit autographe signé « Emile Zola »
[Grosvenor Hotel, Londres, 19 juillet 1898], 5 pages in-4 sur papier ligné
Traces de pliures, petites fentes, petit trou central sur le cinquième feuillet sans manque de texte

Manuscrit inédit sur l’Affaire Dreyfus

Six mois après sa lettre ouverte « J’accuse… ! » au président Félix Faure, Zola dresse une rétrospective de son procès tout en témoignant de son indéfectible engagement pour la cause du capitaine Alfred Dreyfus


« La vérité aveuglante est pourtant que ce sont nos adversaires qui, dès le premier jour, et par les moyens les plus monstrueux, se sont efforcés et s’efforcent encore de nous fermer violemment la bouche. […] De toute ma lettre au président de la République [« J’accuse…! »], on avait extrait savamment quelques lignes, limitant les poursuites uniquement pour empêcher la vérité de se faire jour sur l’affaire Dreyfus. Le plan était de me condamner tout en me bâillonnant. Et l’on se souvient du terrible : ‘La question ne sera pas posée’, revenant sans cesse, sabrant tout, éteignant toute lumière. […] Enterrer l’affaire, tout l’ardent désir est là, il n’y a rien d’autre au fond de l’effroyable campagne qu’on mène contre nous […] nous n’avons d’autre idée que de la faire vivre jusqu’à ce que la vérité et la justice triomphent […] Les choses vont trop bien, l’abcès mûrit, nous avons tout intérêt à attendre qu’il crève. Comment ! Esterhazy est sous les verrous et l’on s’imagine que nous ne sommes pas curieux de savoir avant toute chose quelle partie de vérité va éclater ! Je veux bien être condamné, mais tout de même la complaisance au martyre a des bornes […] On aura beau jusque-là travestir nos actes, prodiguer les mensonges et les ignobles injures, nos amis savent que nous resterons les soldats impassibles du vrai, incapables d’une reculade, capables de tous les sacrifices et de toutes les attentes, les plus rudes et les plus anxieuses. Emile Zola »


Ce manuscrit est un article inédit d’Émile Zola rédigé en juillet 1898, six mois après sa lettre ouverte « J’accuse… ! » s’inscrivant directement dans sa continuité. Il s’agit du seul article sur l’Affaire que Zola a écrit pendant son exil. Destiné à figurer en première page de L’Aurore, il n’a jamais été publié, car très probablement censuré par Georges Clemenceau, rédacteur au journal. Ce dernier s’est en effet servi du présent manuscrit pour publier « Pour la Preuve » en une de L’Aurore du 20 juillet 1898. À la lecture des deux textes, « Pour la Preuve » apparaît nettement plus édulcoré que « Pour la Lumière », et largement expurgée par endroits. Toute la puissance du verbe « Zolien » disparaît ainsi sous les traits d’un article fade et sans saveur.

Le manuscrit date du tout début de l’exil londonien de l’écrivain. Le 18 juillet 1898, la condamnation de Zola, suite à la publication de « J’accuse… ! » le 13 janvier de la même année, est confirmée par le tribunal de Versailles. Sur injonction de Georges Clemenceau et son avocat Fernand Labori, Zola quitte la France pour Londres le jour même, avant la fin du procès.
Les circonstances entourant la rédaction de « Pour la lumière » sont assez bien connues grâce à différentes sources : la correspondance de Zola, le journal que l’écrivain a tenu pendant son exil (publié, plus tard sous le titre de « Pages d’exil »), et une note que Bernard Lazare a laissée sur ces événements. Les cinq feuillets de l’article sont écrits durant la fin de journée du 19 juillet 1898 dans une petite chambre située au dernier étage du Grosvenor Hotel, dans laquelle l’écrivain se sent comme emprisonné : « la fenêtre était barrée par la frise ajourée qui couronne tout l’immense bâtiment : un avant-goût de la prison », rapporte-t-il dans ses Pages d’exil.
« Pour la Lumière » devait offrir une réponse à tous ceux qui accusaient l’écrivain de fuir la justice tout en faisant la rétrospective de son procès depuis son coup d’éclat du 13 janvier, point de bascule dans l’affaire Dreyfus.

Le manuscrit, resté à ce jour inédit, marque pour Zola un exil qui durera presque un an. Aucun texte de sa main concernant l’Affaire ne paraîtra en France avant son retour en France en juin 1899.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée « Lamartine » à un collègue
43 rue Ville-Evêque, Paris, 30 janvier 1856, 4 p. in-8
Déchirure au niveau de la pliure centrale en marge droite et affectant la visibilité d’un mot

Belle lettre dans laquelle Lamartine livre un regard acerbe sur la politique du Second Empire


« Cher collègue, J’ai vu le jour de mon arrivée votre fils. Il vous aura dis notre conversation pour votre beau et bon livre. Vous seriez le Platon des politiques. Mais le tem[p]s veut des Machiavel. Quant à moi je suis sans vous de cœur et d’esprit puisque nous ne saurons dompter les faits réfugiés dans les idées et que les idées nous mènent de plus en plus à dieu. Continuez à penser et à écrire, ce n’est pas le conseil d’un flatteur mais d’un ami à Saint Puys auquel vous faites un grand bien. Pourquoi la démocratie inexpérimentée et excessive souvent en 1848 n’a-t-elle pas dès les premiers jours de tribune reconnue comme moi dans votre accent celui d’un sage et par là même celui d’un vrai politique ? Vous deviez naître en Amérique du tem[p]s de Franklin et de Washington. Pour moi je voudrais n’être pas né du tout. J’en ai par-dessus mes forces des angoisses de ce bas monde. Je viens d’être atteint en deux mois et en pleine sérénité de quatre cent vingt mil francs de désastres. J’ai recours encore au travail, il n’y a pas de milieu entre le désespoir et le travail, je travaille donc. Voici Mr D[…] P[…] que Je vous recommande pour vos amis de Lyonne, pourriez vous le faire insérer huit ou dix fois dans votre journal le plus répandu. Je paierai la somme qu’on me dira. Recommandez-le également à notre excellent ami bien digne ce bon M Rouhal, j’ai oublié le nom de son village mais pas lui. L’autre nuit en dormant à Laroche je pensais bien à vous et si j’avais été paisible et libre j’aurais été frapper à la porte de votre verger. Mais les wagons et les affaires commandent. La pensée seule est à nos amis. Mille amitiés à vous et mille respect, mon admiration, soins et charités qui embellissent et consolent votre solitaire Lamartine »


Marqué par des problèmes d’argent incessants, Lamartine vit une époque difficile dès le début du Second Empire. Nostalgique d’une Seconde République trop éphémère pour avoir fait ses preuves (et pendant laquelle il est ministre des Affaires étrangères moins de trois mois), il se livre ici avec une certaine amertume sur la politique menée par Napoléon III, mais sans la nommer.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée « Lamartine » à M. Jussieu
S.l [21 novembre 1848], 1 p. in-8 sur bifeuillet

Lamartine demande des impressions pour des tractes


« Je prie Monsieur de Jussieu de me faire imprimer ceci à deux cent exemplaires sur une feuille pour moi et mes amis. J’en voudrais cinq ou six épreuves le plus tôt possible. J’irai à Mâcon demain matin les prendre. 
Tout à lui. 
Lamartine
Mardi matin »


Au second semestre de l’année 1848, Lamartine occupe la chaire de droit international d’histoire des traités de l’éphémère École d’administration. En décembre, il obtient à peine 0,26 % lors de l’élection présidentielle qui porte au pouvoir Napoléon III.
Cette lettre fait donc ici probablement référence à des tracts en vue du suffrage.

GARNIER, Charles (1825-1898)

Lettre autographe signée « Charles Garnier » à Léonce Detroyat
[Paris, c. 1870] 1 page in-8 sur papier vergé, en-tête du ministère des Beaux-Arts, travaux du nouvel opéra

Charles Garnier demande la faveur d’un article à un de ses amis journalistes


« Cher Monsieur,
Vous serait-il possible de me donner d’ici une quinzaine de jours (lorsqu’il y aura plus de calme) une petite hospitalité dans vos colonnes. Je voudrais y publier ces articles dans la bible de Hachette illustrée par Bida.
Si aucun de vos collaborateurs […] et devoir faire cet article et que la place est libre je vous serais très obligé de me la confier.
En attendant un petit mot de réponse de vous je vous envoie mille amitiés.
Charles Garnier »


Charles Garnier reste surtout connu comme l’architecte de l’opéra de Paris (inauguré en 1875), dit le palais Garnier, et du casino de Monaco. Il réalise de nombreux décors, notamment celui de l’Arc de triomphe lors des obsèques de Victor Hugo.
Léonce Detroyat (1829-1898) est un officier de marine, homme politique et publiciste français. Garnier fait appel à ses services et entretient une correspondance régulière pendant les années 1870, alors qu’il est directeur du journal La Liberté.

BUFFON, Georges-Louis Leclerc de (1707-1788)

Lettre autographe signée « Buffon » à un Monseigneur
Montbard, le 13 octobre 1749
1 page petit in-4 sur papier vergé

Rare lettre scientifique de Buffon, entièrement autographe


« Monseigneur,
J’ai recu la patte d’ecrevisse que vous avez eu la bonte de m’envoïer et qui est en effet assez singuliere pour que nous la conservions avec soin dans le cabinet du roy, toutes les extremites des pattes des ecrevisses de mer ont du poil par dessous mais celle cy est peut etre la premiere qu’on ait vu qui en soit entierement couverte. Je ne puis monseigneur que vous faire mes tres humbles remerciemens de vos bontes et de votre attention pour le progres de notre histoire naturelle et vous assurer du devouement et du respect avec lesquels je suis
Monseigneur
Votre tres humble et tres obeissant serviteur
Buffon »


Membre et de l’Académie des sciences et de l’Académie française, Buffon participe activement à l’esprit des Lumières. Ses théories influencent deux naturalistes après lui: Jean-Baptiste Lamarck et Charles Darwin. Salué par ses contemporains pour son maître ouvrage Histoire Naturelle, Buffon est qualifié de « Pline de Montbard ».

L’Histoire Naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi est une collection encyclopédique française d’ouvrages écrits par Buffon, dont la publication en volumes s’étend de 1749 à 1804. Il s’agit de l’une des plus importantes entreprises de publication scientifique du siècle des Lumières – la plus remarquable reste L’Encyclopédie, sous l’entreprise de Diderot et d’Alembert.

CHATEAUBRIAND (de), François-René (1768-1848)

Lettre autographe signée « Chateaubriand » à un Monsieur
Paris, le 23 mai 1821, bifeuillet in-8
Traces de pliures, infime déchirure sur le pli central sans atteinte au texte

Belle lettre de Chateaubriand, écrite seulement deux semaines après la mort de Napoléon.


« Je renouvellerai, monsieur, très volontiers mes instances auprès de M M les propriétaires du journal des débats, mais la politique est dans ce moment un grand obstacle aux annonces littéraires. Croyez Monsieur à mon dévouement et ayez l’assurance de mes considérations distinguées. Chateaubriand »


Le 5 mai 1821, Napoléon meurt en exil sur l’île de Sainte-Hélène, soit deux semaines avant que cette lettre ne soit écrite. Au même moment, une ordonnance royale restitue à Chateaubriand son titre de ministre d’État. Après avoir été ambassadeur à Londres l’année suivante, il devient peu de temps après ministre des Affaires étrangères.

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Lettre autographe signée « S. de Beauvoir » à sa dactylographe, Madame Mandinaud
1 page in-8, Cagnes-sur mer, le 20 septembre 1949, sur papier décoré à en-tête, enveloppe jointe
Trace de pliure centrale due à l’envoi d’origine

Simone de Beauvoir envoie ses dernières corrections autographes pour Le Deuxième Sexe à sa dactylographe


« Chère Madame
Vous serez aimable de me taper ces quelques pages à deux exemplaires et de me renvoyer un exemplaire et le brouillon à Cagnes, Alpes Maritimes, Hôtel Le Cagnard. Merci. J’espère que vous n’aurez pas trop de mal à me lire.
Avec mes meilleurs sentiments,
S. de Beauvoir »


Madame Mandinaud est la dactylographe attitrée de Simone de Beauvoir. C’est elle qui retranscrit toutes les œuvres de l’écrivaine, parmi lesquelles Le Deuxième sexe, dont il est ici question, ou encore Les Mandarins, qui obtient le prix Goncourt en 1954.
Le papier sur lequel écrit Simone de Beauvoir lui a été offert par l’écrivain américain Nelson Algren, son amant, rencontré deux ans plus tôt.
Le Deuxième Sexe, considéré comme le plus important essai féministe du XXe siècle, paraît le 28 octobre 1949, un peu plus d’un mois après l’envoi de cette lettre.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor Hugo » à Hyacinthe Vinson
S.l, 19 décembre [1848], 1 page in-8.
Ancienne trace de montage en marge gauche

Belle lettre de Victor Hugo agrémentée d’une réflexion introspective


« Je veux depuis longtemps, monsieur, vous remercier de vos beaux et charmants vers par un serrement de main. Je vous l’envoie.
Victor Hugo. Je ne suis rien et ne veux être rien. Le devoir fait, je rentre dans l’obscurit
é »


Hyacinthe Vinson est un magistrat et bibliographe. Il est président du tribunal de Karidal en Inde, puis juge au tribunal de Tlemcen en Algérie. Il est le père de l’orientaliste Julien Vinson.

ZOLA, Emile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Paul Meurice
Paris, lundi (février 1870), 2 pages in-8, adresse au dos.
petite réparation au scotch en bas de page.

Belle lettre de Zola en vue d’écrire un article admiratif sur Honoré de Balzac, quelques mois avant la publication du premier volume des Rougon-Macquart


« Cher Monsieur,
Je ne puis malheureusement vous attendre, et j’avais une idée d’article à vous soumettre.
Vous n’ignorez pas que les Lévy publient une édition de Balzac, sur laquelle vous n’avez encore rien dit. je voudrais faire pour Balzac ce que Camille Pelletan vient de faire pour Flaubert – un article Variétés qui porterait surtout sur les Petits bourgeois, un roman qui n’avait jamais paru en volume. Il est bien entendu que je jugerai Balzac au point de vue du Rappel [Journal que dirigeait Paul Meurice et qu’il avait co-fondé notamment avec Victor Hugo] qui est le mien.
Je vais me mettre à l’oeuvre, – à moins qu’un mot de vous m’interdise ce sujet. Vous ferez passer l’article quand vous aurez de la place.
Votre bien dévoué.
Emile Zola »


Dans cette lettre, Emile Zola se réfère l’article écrit par Camille Pelletan dans le Le Rappel du 7 février 1870. Il s’agit d’une critique très positive de L’Éducation sentimentale, alors dernier roman paru de Gustave Flaubert, en novembre 1869. Zola projette alors d’écrire un long article pour le même journal sur Honoré de Balzac, article qui y paraît le 13 mai 1870. Selon Henri Mitterand, l’article de Zola sur Balzac aurait déplu à Victor Hugo et à ses amis car trop élogieux –  ce qui aurait porté ombrage à la suprématie du Maître –  et vivement offensif à l’égard de la bourgeoisie.

Tout au long de sa carrière, Zola éprouve une profonde admiration pour Balzac et sa Comédie humaine, qui lui inspire son propre cycle littéraire, Les Rougon-Macquart (le premier volume est publié l’année suivante, en 1871).

MESRINE, Jacques (1936-1979)

Lettre autographe signée, à Jocelyne Deraiche
Prison de la Santé (Paris), Samedi 2 Juillet [19]77, 6 pages grand in-4 avec dessin représentant une fleur

Longue et magnifique lettre de « l’ennemi public numéro 1 » à sa maîtresse


« MESRINE Jacques
663-113 QHS
1 av de la Division Leclerc
FRESNES 94260
FRANCE

Samedi 2 Juillet [19]77

Bonsoir mon bel amour,
Ce soir une autre lettre de toi. Tu l’avais postée avant celle d’hier et je l’ai reçue en retard/ Je t’aime petite canac. Ce creux qui se détache de la fleur que je t’offre…est le mien. Il est à toi tout comme il y a 4 ans du temps de notre grand amour. Oui mon ange, ta lettre… est une étude réelle de « notre problème », car dois-je attendre 7 ou 8 ans pour un bonheur certain à tes côtés et cela sans jamais tenter de m’évader? La raison me dit « oui »… mais en aurais-je le courage? Car 8 ans ou peut-être un peu plus! C’est long… très long. Tu sais que je suis un homme sincère, et je ne triche pas avec moi-même… pour toi et uniquement pour toi je peux (peut être) changer de vie… car je sais qu’un bonheur réel nous attendra après… mais je suis aussi un homme de cavale! Il me faudra faire un choix terrible accepter ma sentence et la faire… ou rester ce que je suis.
La première solution, c’est la certitude d’un bonheur sans mauvaise surprise la seconde solution, c’est comme tu le dis, un échec obligatoire et de ma vie et de notre amour car je me suis évadé trois fois… trois fois j’ai été repris… c’est une course sans fin qui se terminera mal pour « tout le monde ». Tu sais Joyce d’amour, j’ai changé « en mieux », même si personne le ne sait. Je suis toujours « le dur », mais je reconnais l’échec de ma vie… si j’étais certain de sortir dans 7 ans je pourrais te donner ma parole d’honneur de ne pas tenter quoi que ce soit… actuellement très sincèrement mon ange je ne peux rien te promettre… car des années et des années de cellule c’est très dure à accepter pour un homme comme moi. Il n’y que « pour toi » que je pense les accepter, j’en ai la force morale car je sais prendre mes responsabilités. Oui petite chérie nous l’avons connu… « la cavale »
Et si nous avions été tous les deux le jour de mon arrestation il est certain que nous nous serions tirées une balle dans la tête pour ne pas être séparés… mais voyons les choses comme « toi » tu les vois si bien… il ne serait resté que deux noms sur une tombe… il y a mieux à faire quand on s’aime et je vais te dire une chose qui en ferait sourire beaucoup s’ils m’entendaient… j’ai envie d’être un autre…
Mon livre m’a ouvert les yeux sur ce que j’avais été… à la finale si certains me prennent pour un « petit » héros dans le fond mon de mon coeur je sais que j’ai gâché ma vie. J’ai fait souffrir mon père qui m’aimait, un mère qui espérait me voir changer… et surtout j’ai laissé un enfant sans père… jamais je ne pourrai rattraper ce mal… mais je peux au moins le stopper… si j’en ai la volonté.
Pour l’instant je ne sais pas encore le choix que je vais faire. mais il y a toi et c’est le plus important, car je sais que tu es « une vraie femme » comme seul ton pays est capable d’en offrir à un homme. Tu vois mon amour pour toi est peut-être la seule garantie que j’accepte ma sentence la société y gagnerait… mais la société risque de trahir mes espoirs… et la… quelle solution restera-t-il. Dans moins de 2 ans « tous » mes fidèles amis seront sortis du pénitencier de Montréal… je sais que je n’aurai qu’à demander ou ordonner.. mais c’est toi qui a « raison » je le sais… je le sens.
On ne peut rien construire en courant toute sa vie… j’ai peut-être eu des fortunes dans les mains… tu m’as connu très riche mais à la finale, j’ai les mains vides de toute chose solide. Je regarde ton père et ta mère qui ont travaillé toute leur vie honnêtement, ils ont fait 8 beaux enfants et maintenant à mon âge ils ont réussi leur vie. Ton père et patron d’une entreprise.. ta mère et heureuse et vous êtes unis. Tu vois Joyce de mon coeur on ne peut jamais refaire sa vie.. mais on peut au moins stopper ses erreurs et essayer de construire au lieu de détruire… je rigole un peu en écrivant cela.. je me demande si je ne suis pas entrain de me faire du cinéma en couleurs! je crois que non… à la finale je suis prisonnier de mon nom et de ce que j’ai volontairement voulu être. C’est peut être cette évasion là qui sera la plus difficile pour moi. Oui ma belle canac, si je ferme les yeux… que je nous imagine je me dis « tout est possible ».. mais je me méfie de mes réactions.. car je suis agressif et violent devant certaines choses… et la je sais que je ne changerai jamais.
Tu sais mon amour, si un jour tu viens à Paris Jane n’a aucune importance, car c’est une rupture totale que j’ai voulue et elle sait que rien ne changera. Je n’ai des parloirs qu’avec Sabrina et personne d’autre. J’ai tes photos devant moi… même les anciennes que j’avais conservées et temps de notre rupture.. car à quoi bon déchirer une photo si le coeur restait plein de toi… on ne peut effacer ce que nous avons eu de bonheur ensemble… la preuve après 4 ans… on se cor encore « je t’aime »….
Heureux d’apprendre que tu ne sera pas une « petite baguaise » sic! Sabrina me l’avait dit que tu étais « jolie môme » et drôlement bien roulée! Il est vrai que si mes souvenirs sont exacts… « c’est du beau Québec que ton corps de chatte »… bon dieu que nous nous sommes bien aimés tous les deux… les draps en sont encore témoins (sic)… il est vrai que nous avions tellement peur que chaque nuit soit la dernière.. cela a du être terrible pour toi mon ange! c’est ça que j’ai compris acec le temps… ce n’est pas l’aventure que tu aimais.. « mais moi » mon gros défaut est de croire que tout le monde peut supporter les épreuves face au risque, comme je les supporte moi-même.. combien de fois as-tu eu peur sans me le dire? Oui Joyce, il faut savoir étudier son passé pour croire en un avenir de bonheur possible. Les années passeront et un jour les portes s’ouvriront et si c’est de cette façon que je quitte un jour la prison, il est certain que le fait d’avoir accepté ma sentence sera une garantie que je ne me retournerai jamais en taule si je m’évade… c’est la course qui continue… quand on court trop… on aime mal.
Il va me falloir arrêter pour prendre le temps de t’aimer… de te rendre heureuse.. c’est toi qui a raison mon ange et je te reconnais le droit de me le dire car tu as fait tes preuves à titre de femme de truand.
j’aime trop tes parents pour leur donner la peine de te voir en cavale à mes cotés un jour. Je te promet d’essayer… dans un an, après les élections en France je pourrai te donner « ma parole » – car je saurai exactement ou j’irai et le temps exact de ma sentence. Tu nous vois… en couple normal. Je te ferai peut-être « un môme » eh oui… la machine fonctionnera à 1000 à l’heure (sic).
Tu sais, je suis encore très présentable, car je fais régulièrement mon sport et karaté en cellule. Cette semaine je vais recevoir les articles dont tu m’as parlés. La j’ai reçu l’article et la lettre de René. Dès sa sortie il faudra qu’il vienne te voir… dis le à son frère Gérard.
Joyce chérie… pense que je t’aime comme avant.. plus qu’avant. Je n’ai pas oublié le gout de tes lèvres et ton doux parfum de femme. Un jour mes bras s’ouvriront pour toi.. ta tête se posera sur mon épaule et nous reprendrons une vraie vie d’amour pour y construire un véritable bonheur digne de toi et de ta merveilleuse famille…
Tu les embrasses tous et toutes.
Pour toi « mon grand amour » mes lèvres sur tout ce qui est de toi… car elle connaissent « TOUT » de toi… oui chérie je n’ai pas oublié.
Je t’aime petite fille, Ton Bruno xxxxx
Je t’écrirait prochainement ok chérie je t’adore!!  »


Arrêté en septembre 1973 par le commissaire Broussard, Jacques Mesrine est d’abord incarcéré à Fleury-Mérogis, puis à Fresnes, avant d’être condamné en mai 1977 à vingt ans de prison et transféré au Quartier de Haute Sécurité (QHS) de la prison de la Santé. C’est durant ce séjour à la prison de Fresnes que Jacques Mesrine entreprend d’écrire L’Instinct de Mort. Il s’évade le 8 mai 1978 de la prison de la Santé avec François Besse.

MAINTENON, Françoise d’Aubigné, Marquise de (1635-1719)

Lettre autographe signée « Maintenon » au maréchal de Villars
Saint-Cyr, 23 mai 1710, 2 pages 1/2 in-4, adresse, fragment du cachet de cire rouge avec le devise « Recta ».

Belle lettre écrite pendant la guerre de Succession d’Espagne, au moment où les armées Alliées envahissent le nord de la France


« Vous croyez bien, Monsieur, que la lettre que vous me faites l’honneur de m’écrire du 20 de ce mois achève de m’accabler ; ce n’est pas qu’elle m’apprenne rien de nouveau et dont je n’entende parler continuellement, mais elle me persuade d’autant plus que vous n’êtes pas porté à voir les choses pis qu’elles ne le sont. Je ne puis croire qu’il y ait une bataille ; ce n’est pas à moi de traiter de telles matières. 

Vous savez Monsieur, ce qui se passe sur la paix, et s’il vient au Roi qu’elle ne se fasse (il s’agit ici d’une allusion aux propositions raisonnables faites par Louis XIV à Gertruydenberg). Il n’y a donc point d’autre parti que de défendre le plus qu’on pourra. Vous ne me dites pas un mot de votre santé (le maréchal de Villars avait été blessé à la bataille de Malpaquet l’année précédente) et on mande de toutes parts que vous vous êtes trouvés très incommodé d’avoir été un quart d’heure à cheval. Il faut espérer que ces relations partent du même esprit qui a fait dire tout l’hiver que vous ne servirez point (…) Je ne répondrai point, Monsieur, à la fin de votre lettre, elle m’attendrirait trop, et je me contente de vous assurer que je serai toujours la même pour vous.

je vous recommande le comte d’Aubigné, il a bonne volonté et ne demande que des occasions de faire quelque chose. Vous avez un roi dans votre armée (Jacques III, prétendant au trône d’Angleterre) qui est en petit équipage ; je crois qu’il n’en souffrira pas tant que vous en aurez.
Maintenon 
».


Le 13 mai 1702, une Grande Alliance européenne déclare la guerre à la France et à l’Espagne. C’est le début de la guerre de la Succession d’Espagne. Cette guerre, longue de dix ans, est la plus pénible de toutes celles qu’a soutenues le roi Louis XIV. On peut y voir une préfiguration des guerres générales qui ensanglanteront le continent deux siècles plus tard.
Le maréchal de Villars est un protégé de madame de Maintenon. Il lui doit son ascension. Dans les années précédant la guerre de Succession d’Espagne, il est envoyé à Vienne, où son action est appréciée par Louis XIV. En 1712, par sa victoire surprise de Denain, il sauve les armées de Louis XIV de la défaite. La même année, il devient gouverneur de Provence, fonction qu’il conservera jusqu’à sa mort.

CÉLINE, Louis Ferdinand (1894-1961)

Saisissant tirage argentique (re-tirage, circa 1970) de l’écrivain
Grand in-4 (29,9cm x 23,9cm)

Ancienne collection Artine Artinian (cachet au dos)

 

DOSTOÏEVSKI, Fiodor (1821-1881)

Rarissime tirage original de l’écrivain. Circa 1875.
Contrecollé sur carton carton ivoire, format carte de visite (7,9 x 5,2)
Taches, bord éffrangés, petits trous d’épingle

Beau tirage d’époque de l’écrivain


Au verso:

Photographie
Vezenberg & Co
Voznessenky pr., 28-32
St Pétersbourg
Depuis 1865


 

LAFAYETTE Gilbert du Mortier, marquis de (1757-1834)

Lettre autographe signée “Lafayette” Paris, au dramaturge Etienne de Jouy
18 janvier (1831), 1 page in-8, adresse et cachet au dos.

Belle lettre du marquis de Lafayette


« C’est par les journaux, mon cher Hermite, que j’ai appris la mort de mon excellent ami, et quoique je n’eusse pas de billet de part, je me mettais en marche pour le triste et funèbre rendez-vous, lorsque des députations de gardes nationales des départements sont arrivés successivement chez moi. Il a été indispensable de les recevoir et lorsque je suis arrivé au numéro 15 le convoi venait de passer. Les devoirs de la chambre ne me permettaient pas d’aller plus loin ; mais je ne mérite pas d’être compté parmi ceux qui auraient négligé de donner au bon Mr d’Avillier ce dernier témoignage d’affection. Parlez de moi, je vous prie, à mdr d’Avillier et recevez toutes mes vieilles et constantes amitiés.
Lafayette »


Etienne de Jouy (1764-1846) est un dramaturge et un librettiste français. Il est élu à l’Académie française en 1815 et est le maire de Paris en juillet et août 1830.
Dans cette lettre, il est question du décès de l’homme politique et banquier français Jean-Antoine Joseph Davillier (1754-1831), mort le 16 janvier.

LAPEROUSE (de), Jean François (1741-1788)

Lettre autographe signée « Laperouse » à Poussielgue
Paris, le 18 juin 1785, 1 page in-8, adresse autographe sur la quatrième page
Résidu de cachet de cire rouge

Dernière lettre connue de La Pérouse avant son départ de circumnavigation le 1er août 1785, et dont il ne devait pas revenir


« Votre lettre monsieur, qui ma eté adressee à brest ne mest parvenue a paris, que le 18 juin et au moment ou ma réponse vous sera remise en corse, je serai parti de brest, Recevez monsieur mes regrets des retards qui ont rendu votre proposition impossible a accepter et soiyes bien convaincu de ma reconoissance. Jai lhoneur detre monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur Laperouse »


C’est sous l’impulsion du roi Louis XVI qu’une expédition « de découverte », appelée expédition de La Pérouse – et commandée par ce dernier – prend le départ depuis Brest le 1er aout 1785. Cette expédition a pour but d’effectuer une exploration dans l’Océan Pacifique afin de compléter les travaux de l’explorateur britannique James Cook, voire d’effectuer une circumnavigation du globe. La Pérouse visite entre autres l’Alaska, la Californie, les îles Hawaï, l’Australie, les mers de Chine et du Japon. Comme chacun sait, cette expédition a destin tragique : les deux navires, La Boussole et L’Astrolabe, font naufrage à Vanikoro.

Les lettres autographes signées de La Pérouse sont d’une insigne rareté

GARNIER, Charles (1825-1898)

Lettre autographe signée « Charles Garnier » à Léonce Detroyat
[Paris, c. 1870] 1 page in-8 sur papier vergé, en-tête du ministère des Beaux-Arts, travaux du nouvel opéra

Belle lettre autographe signée de Charles Garnier


« Vous êtes bien gentil cher Monsieur de m’ouvrir votre journal.
Je vais laisser passer une dizaine de jours avant de vous envoyer l’article sur les évangiles car en ce moment je pense à bien d’autres choses et je tâcherai de le faire assez avant pour ne pas trop vous embarrasser.
Milles amitiés
Charles Garnier
Quelle bousculade !! »


Charles Garnier reste surtout connu comme l’architecte de l’opéra de Paris (inauguré en 1875), dit le palais Garnier, et du casino de Monaco. Il réalise de nombreux décors, notamment celui de l’Arc de triomphe lors des obsèques de Victor Hugo.
Léonce Detroyat (1829-1898) est un officier de marine, homme politique et publiciste français. Garnier fait appel à ses services et entretient une correspondance régulière pendant les années 1870, alors qu’il est directeur du journal La Liberté.

MARAT, Jean-Paul (1743-1793)

Edition originale de L’Ami du Peuble
N° 374, du 17 février 1791

“Les courtisants contre-révolutionnaires maudissent tout haut la bonhomie de Louis XVI”


Rare édition originale du plus emblématique journal pamphlétaire de la Révolution Française. Bon état de conservation.

FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Paul Meurice
N.d.n.p [Croisset, 7 février 1878], 1 page in-8 sur double feuillet, à l’encre noire

« Faites-moi le plaisir de présenter mes excuses à Victor Hugo… »


« Mon cher ami,
Comme j’ai peur que mon portier ne vous reçoive pas – car dans la semaine je suis obligé de me clore pour pouvoir travailler, ayez l’obligeance de me prévenir, la veille, par un mot. Demain & après-demain dans l’après-midi, je serai sorti. – Mais lundi tout l’après-midi je serai chez moi. faites-moi le plaisir de présenter mes excuses à Victor Hugo. – J’ai l’air de l’oublier, je ne vais pas le voir. – & j’en suis désolé. Un de ces jours je réparerai mes torts – involontaires. Tout à vous, cher ami.
Gve Flaubert.
jeudi, 3 h. »


Comme toute sa génération, Gustave Flaubert éprouve dans sa jeunesse une grande admiration pour Victor Hugo, qu’il surnomme alors le « grand crocodile ». Il le rencontre la première fois en 1843. Flaubert lui adresse plus tard un exemplaire de Madame Bovary (1857) sur rand papier vélin avec cette dédicace : « Au maître. Souvenir et hommage ».

Après la chute du Second Empire et son retour d’exil, Flaubert fréquente régulièrement Victor Hugo. Tous deux partagent un goût prononcé pour la plaisanterie et ils se plaisent particulièrement à se livrer à des joutes d’esprit dont la verdeur les oblige souvent à s’éloigner des dames. Après la mort de Flaubert (1880), Victor Hugo déclare : « J’aimais Flaubert parce qu’il était bon. L’humanité a, avant toutes choses, deux grandes catégories : les hommes bons et ceux qui ne le sont pas. Je ne veux point dire les méchants. Flaubert était de ceux qui sont bons, et à cette grande bonté, il ajoutait un grand talent ».

Paul Meurice (1818-1905) est un romancier et dramaturge français. Il est l’un des grands amis de Victor Hugo pendant de longues années. À la mort de ce dernier, Paul Meurice et Auguste Vacquerie sont nommés comme ses exécuteurs testamentaires. En 1902, Paul Meurice s’adonne à constituer une collection autour de son ami (dessins, manuscrit, photographie) en vue de l’ouverture au public de sa maison, place des Vosges, à Paris. Elle est inaugurée le 30 juin 1903.

HEBERT, Jacques-René (1755-1794)

Lettre signée « Hebert substitut» aux « Citoyens »
Paris, 27 mars 1793, 1 page 1/4 in-4, en-tête Commune de Paris, petite vignette de la Commune de Paris
Tout petit trou n’affectant pas le texte

Très rare lettre signée par Hébert, le violent pamphlétaire du Père Duchêne, s’insurgeant contre le prix des denrées alimentaires alors que le peuple vit dans la pauvreté


« La section du finistere, citoyens, a saisi plusieurs sacs de Riz que des particuliers ont été surpris acheter à vil prix des pauvres de cette section.
Sur la dénonciation qui me fût faite du procès verbal constatant ce commerce illicite, j’ai fait citer à ma requête au tribunal de police Municipale les acheteurs, il a été ordonné que le Riz saisi seroit distribué aux puvres de la même section:
Par une dispoon 
[disposition] particuliere, le tribunal m’a chargé de faire part aux comité des 48 sections de ce genre de commerce a faire qu’ils puissent y mettre ordre. pour remplir le voeu de cette décision, je m’empresse, citoyens, de vous donner connoissance du résultat de cette affaire, et vous engage à exercer sur cet objet toute votre surveillance.
Hebert substitut »


Hébert est un pamphlétaire très populaire, membre du Club des cordeliers, aussi appelée la société des Amis des droits de l’homme et du citoyen. Il est l’une des figures de proue de la Révolution Française. Son journal, Le Père Duchêne, relatant les évènements politiques dans un langage populaire, souvent grossier, contribue à créer dans le milieu des sans-culotte un climat propice à de nombreux évènements révolutionnaires, comme la chute de la royauté, les massacres de septembre, la chute des Girondins etc.
Chef de file des hébertistes, aussi appelés les exagérés, il est renversé par le Comité de salut public et guillotiné le 24 mars 1794.
Cette lettre, rédigée exactement une semaine après l’institution des Comités de surveillance, témoigne du combat d’Hébert pour l’égalité des classes. Ainsi, il disait :
« Je ne connais pas de meilleur Jacobin que ce brave Jésus. Il détestait les riches, il soulageait les pauvres. C’est le fondateur de toutes les sociétés populaires »

LAGERFELD, Karl (1933-2019)

Lettre autographe signée “Karl Lagerfeld” à un Monsieur
[Paris], 51 rue de l’université, le 15 nov[embre] 1984
2 pages in-8 oblong
Carte de visite à son nom jointe, anciennement agraphée à la lettre.

“Je ne collectionne que le 18e français”


“Monsieur,

Je vous retourne vos photos.
La table est très belle mais je ne collectionne que le 18eme français (je m’arrête en général à l’époque de transition).
Donnez-moi une idée de prix quand même. Elle peut m’intéresser pour ma maison de Monte Carlo que je vais refaire peut-être bientôt.
Avec mes meilleurs sentiments

Karl Lagerfeld”


Véritable icône de la mode, Karl Lagerfeld révéla très jeune ses talents dans ce milieu. Après de nombreuses années à la direction artistique de la maison italienne Fendi, il prend celle de la maison Chanel dès 1983 pour ne plus la quitter, jusqu’à sa mort, en 2019. Postmoderniste, il mélange les éléments du passé et de l’histoire des maisons qu’il dirige avec des références modernes.

LE CORBUSIER, Charles-Edouard Jeanneret dit (1887-1965)

Le Corbusier, Charles-Edouard Jeanneret dit (1887-1965)
Lettre autographe signée « Le Corbusier » à Gaston d’Angelis
Chandigarh, le 2 mai 1960
1 page in-4 à en-tête M. Le Corbusier […] Architectural Advisor to Gov. Punjab, vignette
Traces de pliures dues à l’envoi, anciens trous de classeur avec pertes de quelques lettres, réparés par relieur, anciennes traces de montage aux angles.

Belle lettre, dans laquelle Le Corbusier refuse d’écrire un texte sur Michel-Ange et donne sa vision de l’art


« Cher Monsieur, Votre lettre du 21 avril me parvient ce matin. Vous m’offrez bien aimablement de m’occuper à une tâche qui est hors de mes moyens. Je ne suis qu’un âne. Et chaque jour me le prouve ! J’ai un très profond respect pour M-Ange. C’était un caractère. La vie m’a montré qu’on mesure les hommes à leur caractère et que les tâches accomplies sont un fruit du caractère. Je n’ai aucune capacité comme exégète, ni comme écrivain. J’emploie l’écriture (le livre) pour exprimer ce que je ne peux ni dessiner, ni bâtir. Je reste à l’intérieur de mon métier. En définitive, je suis totalement inapte à répondre aux questions posées concernant M-A [Michel-Ange]. Je ne sais pas, je n’ai ni l’optique ni la curiosité organisées dans ce sens. Croyez m’en désolé. L’art est si difficile et si complexe que seuls ceux qui ne le pratiquent pas peuvent en parler sans hésitation, en toute sécurité. Je n’ai pas tardé à vous répondre. Je v[ou]s souhaite bonne chance dans l’édition sur les génies. Veuillez agréer, cher [M]onsieur, mes salutations les meilleures. Le Corbusier »


Cette lettre est écrite depuis Chandigarh, en 1960. Le Corbusier termine alors de superviser l’École d’Art, son dernier projet pour la ville. Cité expérimentale devenue réalité, Le Corbusier apporte à Chandigarh une esthétique brute sur fond de jungle tropicale. Fruit d’une profonde réflexion humaniste appliquée à un plan d’urbanisme ambitieux, elle représente la réalisation d’une utopie.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Épreuve imprimée avec ajouts et correction autographes pour l’édition originale de À l’Ombre des jeunes filles en fleurs
[Étampes, imprimerie « La Seumeuse », pour la NRF, c. 1917]
Feuillet 7,3 x 13 cm, montage sur un support de papier vergé 23,4 x 17,5 cm
Numéro de foliation “30” en haut du support.
Traces de colle d’origine, petite déchirure sans atteinte au texte

Splendide passage d’A l’Ombre des jeunes filles en fleurs, dans une version primitive, situé dans la première partie du roman « Autour de Madame Swann ». Précieux témoignage du processus créatif de Marcel Proust avançant par corrections et ajouts incessants.

« J’aimais trop Gilberte pour ne pas trouver les relations de Swann désirables, même si elles m’eussent paru sordides »


Transcription (texte imprimé en caractères romains et ajouts autographes en italique)

« Ce récit me laissa assez indifférent J’étais assez indifférent à tout cela. J’aimais assez trop Gilberte pour [Marcel Proust a d’abord écrit puis biffé successivement “les” puis “j’eusse trouvé“] ne pas trouver les relations de Swann désirables, même si elles m’eussent paru sordides. Mais il n’en était rien, elles me paraissaient semblaient follement brillantes, non par l’effet de mon amour mais d’une impression ancienne. Depuis Combray j’aurais pu voir Swann sans cesse entouré d’apaches sans qu’il cessât pour moi d’être un homme élégant, de même que Bloch n’aurait jamais pu m’en sembler un, eût-il reçu tout la haute société. En ce qui concernait la gentillesse qu’Odette que M. de Norpois nous disait témoignée par Odette à son mari, j’ai su qu’elle n’était que le recommencement, après de longs orages, de ce qu’elle avait eue pour lui dès qu’il avait cessé de l’aimer. Il faut dire qu’il n’était plus jaloux, il exprimait plus gentiment son affection et comprenait mieux celle d’Odette »

Ses amis, mon grand-père lui-même avaient recommencé à recevoir de Swann des lettres où il leur demandait de le mettre en rapport avec telle ou telle personne. Il ne s’inquiétait plus de la conduite d’Odette. Le chagrin trop vif qu’il en avait jadis conçu semblait avoir entièrement brûlé la partie de son cerveau où il aurait pu y songer et qui ne s’éclairait plus. Il reculait devant l’effort de mémoire qu’il lui aurait fallu pour recommencer à être jaloux, et il ne se remettait plus souffrir, c’était comme un artiste qui ne se met pas à travailler, par paresse de créateur. Il se disait quelquefois qu’il aurait pourtant dû donner à Odette quelques conseils, mais ai même instant il éprouvait la lassitude, l’incapacité de penser de quelqu’un qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours et après une velléité sans résultat, trouvait plus sage d’épargner une fatigue inutile à ses circonvolutions inanitiées [sic]. Même comme son corps s’était usé, que son cerveau avait vieilli, il ne se contentait pas comme il eût fait autrefois de passer sa main sur ses yeux et d’essuyer son monocle, il répétait deux ou trois fois : “Après tout, je m’en fiche” en penchant la tête et haussant une épaule. AuPourtant au” plaisir qu’il allait chercher de son côté, auprès d’autres femmes, il manquait quelque chose. Et quand en rentrant il voyait d’en bas la lumière de la chambre d’Odette, si en rentrant de bonne heure « Aussi était-il content de retrouver Odette en rentrant »


Le fait que la présente version soit si éloignée du texte définitif révèle l’ampleur des transformations accomplies. Elle s’articule en deux parties : la première n’est pas conservée par Proust (en tout cas sous une forme au moins approchante), et la seconde est entièrement réécrite. Il semble les avoir d’abord situées dans le récit du repas donné chez le narrateur par ses parents à M. de Norpois, au début des Jeunes filles, où la conversation s’attarde sur Odette et Charles Swann.

« Une impression ancienne »
Rémanences. Dans la première partie du présent texte, le narrateur évoque l’opinion qu’il s’était formée de Charles Swann comme homme élégant, opinion solide au point de résister aux remarques sur les relations qu’il entretient.

« Il reculait devant l’effort de mémoire qu’il lui aurait fallu pour recommencer à être jaloux »
L’épreuve du temps. À l’inverse, la seconde partie souligne les intermittences du cœur de Charles Swann, en décrivant son changement d’attitude à l’égard de son épouse infidèle, Odette. Après avoir été un amant jaloux, il est devenu un mari complaisant : le temps a peu à peu eu raison de ses sentiments. Cette transformation s’inscrit par ailleurs dans la longue évolution du personnage au fil de La Recherche : « ses métamorphoses illustrent la notion, explicitée dans « Combray », de la subjectivité du regard porté sur la personnalité sociale ».
(Brian G. Rogers, article “Charles Swann” dans Dictionnaire Marcel Proust)

Témoignage du travail de réécriture que Proust mène pendant la guerre.
La composition et la publication des Jeunes filles relève d’une histoire complexe qui s’étend sur plusieurs années. Un premier texte est donné à dactylographier en 1911-1912, et, en 1913-1914, sont imprimées les premières épreuves pour Bernard Grasset (qui a publié Du côté de chez Swann à compte d’auteur en 1913). Plusieurs éléments amènent Marcel Proust à modifier profondément son texte. On compte notamment les exigences de l’éditeur concernant la longueur et le découpage de la Recherche, la guerre – qui a retardé l’échéance d’un bon à tirer – et surtout la méthode de travail de l’écrivain qui, à partir de relectures successives, n’a cessé de modifier et d’allonger son texte. Le volume des Jeunes filles, majoritairement constitué d’ajouts apportés au texte durant la guerre, est le fruit de ce travail augmentatif.
Après avoir quitté Bernard Grasset pour rejoindre la NRF en 1916, Marcel Proust fait réimprimer son texte dans son dernier état, ce qui ne l’empêche de le corriger abondamment. A partir d’avril 1918, son éditeur reçoit de nouvelles épreuves. Les Jeunes filles, dont il n’y a pas à proprement parler de « manuscrit », sont devenues « cette extraordinaire marqueterie où de larges fragments autographes alternent avec les épreuves, corrigées ou non, dont les unes remontent à 1914 et dont les autres ont été établies en vue de la publication de 1918 » (P. Clarac, Bulletin des Amis de Marcel Proust, N°2).
L’impression de l’ouvrage s’achève en novembre 1918, mais ce dernier ne paraît qu’en juin 1919, à la suite de quoi il remporte le prix Goncourt en décembre de la même année.

Le présent feuillet appartient donc à n’en pas douter au premier des jeux d’épreuves imprimées pour les éditions de la NRF en 1917, c’est-à-dire à celui qui connaît les corrections les plus importantes. Les éditeurs de la Pléiade n’en recensent aucun exemplaire conservé en dépôt public. Le second jeu d’épreuves corrigées, imprimé en avril 1918, en partie conservé à la BnF sous la cote Rés. Y2 824, comprend bien la seconde partie du présent texte, mais dans sa version définitive… donc presque entièrement différente (f.76).

Les placards avec ajouts autographes pour A l’Ombre des jeunes filles en fleurs sont rares. Celui-ci, concernant l’un des personnages-clefs de La Recherche, Swann, mais aussi la passion fondamentale du livre, la jalousie, n’en est que plus précieux.

HUGO, Victor (1802-1885)

Chalot & Cie.
Portrait photographique de Victor Hugo
Circa. 1880, format carte postale (16,4 x 10,8cm)

Tirage d’époque sur papier albuminé, contrecollé sur Bristol.

Beau portrait de Victor Hugo.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée deux fois, « Lamartine » et son paraphe, à Pierre-François Savatier-Laroche
S.l [24 Janvier 1854]
2 pages et demi in-8 sur double feuillet vergé, enveloppe jointe avec cachet de cire rouge.

Belle lettre de Lamartine, signée deux fois, avec son enveloppe et cachet de cire rouge


« L’Yonne a deux cœurs, ce que vous dites d’Auxerre est bien consolant. Je m’explique la répulsion, puis la réaction qui couve ; je la sens du reste partout en ce moment.
Si la France peut m’aider seulement de 200 000 f et que je finis par trouver enfin ou un acheteur ou un mode de vente collectif de mes terres je triompherai et je payerai noblement tout et tous.
J’espère vous voir ce beau jour pour moi. Lamartine
Voici l’appel accompagné des bulletins et pamphlets qu’a fait tous reprendre. Dites-moi si on peut vous en envoyer ce que vous adresserez à ce que vous savez […] »


Pierre-François Savatier-Laroche (1803-1879) est un écrivain et député d’Auxerre sous la Deuxième République. Son discours contre la peine de mort le place au rang des grands orateurs. Cependant, le coup d’État du 2 décembre 1851 brise sa carrière politique et le rend à la vie privée.

RENOIR, Pierre-Auguste (1841-1919)

Lettre autographe signée « Renoir » à Paul Bérard
Naples, samedi 26 [novembre 1881]
3 pages in-12, sous chemise sur-mesure demi-maroquin bleu moderne
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine, quelques rousseurs

Riche et exceptionnelle lettre de Renoir pendant son voyage en Italie, alors à l’aube de sa période Ingresque


« Mon cher ami
Je ne vous ai pas écrit depuis longtemps parce que j’étais tout ce qu’il y a de plus plongé dans mes recherches artistiques. Car j’ai essayé tout, peinture à l’essence, à la cire, au siccatif, etc., etc., tout ça pour revenir à ma première peinture. Mais j’ai de temps en temps de ces maladies qui me coûtent fort cher et ne m’avancent à rien. Enfin j’ai fini et je puis jouir du beau temps que j’ai ici, car c’est le printemps comme le décrivent les poètes, pas une miette de vent, un doux soleil et des nuits délicieuses, tous les fruits de la terre, nord et midi réuni, et je suis chez des braves gens ce qui n’est pas arrivé depuis mon départ. Je suis dans un port qui est au raz
[sic] de l’eau. Je monte dans tous les bateaux, la mer est admirable et je mange de la bonne cuisine à l’ail que j’adore.
Comme travail, je suis en train de faire le Vésuve effet de matin, le Vésuve effet du soir, et le Vésuve effet de jour, avec des bateaux et je fais poser les filles de mon propriétaire qui sont fort jolies. L’ainée ressemble tout à fait à la Ste Catherine de Leonard de Vinci. Je suis allé à Rome j’ai vu les Raphael. Je suis maintenant de force à discuter avec Monsieur Brac habitant de Lapérrière
[Laurent-Paul Brac de La Perrière]. J’ai reçu à Venise une charmante (comme toujours) lettre de vous. J’ai apris [sic] par cette lettre que les harengs avaient été nombreux à Berneval. Je suis encore pour quelque temps à Naples et j’espère avoir de vos nouvelles, après j’irai voir Tunis, et les belles Juives qui y habitent etc. etc.
Je finirai par faire le tour du monde, enfin je suis très content, je travaille beaucoup et j’espère à mon retour avoir fait des progrès à tomber tous les peintres de Paris.
Si vous voyez
[Charles] Deudon dites lui mille choses aimables pour moi, dites lui que je ne l’oublie pas mais que j’attends des choses extraordinaires pour lui en faire part. Quand il m’a écrit il m’a toujours donné de vos nouvelles, mon frère qui doit aller vous voir vous donnera mon adresse, vous me direz ce que vous pensez de mon cadre modèle Renoir.
Je termine en faisant un million de compliments à Madame Bérard, au gros André et à tous les marmousets, sans oublier Lucie qui va être bonne à poser à mon retour.
Ecrivez moi n’est-ce pas ami
Renoir »


Paul-Antoine Bérard (1833-1905) est banquier, attaché aux affaires étrangères et le plus important client de Renoir. Les deux hommes se sont rencontrés en 1878 par une connaissance mutuelle, Charles Deudon. Renoir écrit régulièrement à Bérard, et avec un grand abandon. Bien qu’issus de classes sociales différentes – Renoir, fils d’un pauvre ouvrier, et Bérard, héritier d’une grande fortune, les deux hommes développent une amitié durable. Renoir se rend régulièrement chez son ami, au château de Wargemont, près de Dieppe – qui a mené à quelques-unes des commandes les plus importantes à l’artiste.

Notons que son voyage en Italie de Renoir a une influence capitale pour son style. C’est ici que se développent son talent et sa singularité artistique, qui a profondément marqué sa décennie, appelée sa période « Ingresque ». En effet, il est profondément marqué par les œuvres de Raphael et dessine le contour des formes à la manière de Jean-Auguste-Dominique Ingres. Sa palette prend alors des couleurs plus acides : bleues, vertes et jaunes. Le chef-d’œuvre de cette période est Grandes Baigneuses (1884).

Le Vésuve effet du matin est, quant à lui, conservé au Sterling & Francine, Williamstown (MA), Clark Art Institute
Le Vésuve effet du soir est aujourd’hui conservé au MET.


Les lettres de Renoir avec un tel contenu artistique sont rares

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » à Hermann-Paul
Mardi [13 janvier 1925], 1 page in-8
Petite déchirure côté inférieur gauche due à l’ouverture, sans atteinte au texte

Belle lettre de Paul Valéry citant Mallarmé


« Mon cher H.P [Hermann-Paul]
Je suis si occupé, préoccupé et débordé de toutes parts en ce moment que je ne trouve pas une heure à vous indiquer dans les jours prochains.
Je me verrai bien volontiers imprimé, mis en pages, orné par vos soins – Mais quoi de moi ? Je n’ai rien d’inédit. Je songe à des Fragments sur Mallarmé tirés l’an dernier à 100 ex. chez Davis et archi-épuisés.
Ceci vous irait-il?
Dites moi un mot des conditions – et surtout du nombre d’exemplaires prévu. Si l’ouvrage et réservé à vos sociétaires ou bien doit être mis dans le commerce ? Ceci est essentiel. Je vous expliquerai pourquoi.
Excusez ce torchon de lettre. Je n’ai nu temps ni espece, ni aide, ni tête à mon service et je sors d’une longue grippe.
Bien cordialement à vous
P. Valéry
»


Hermann-Paul (1864-1940) est un peintre et illustrateur français. Bien que son projet avec Paul Valéry d’illustrer des fragments sur Mallarmé ne voie finalement pas le jour, il est célèbre pour les illustrations qu’il a réalisées pour Henry de Montherlant et Prosper Mérimée dans les années 1920.

Paul Valéry, alors dans la mouvance symboliste de la fin de XIXe siècle, rencontre Stéphane Mallarmé par l’intermédiaire d’André Gide. Il éprouve aussitôt une grande admiration pour lui, et ce jusqu’à sa mort, en 1898.

[HUGO] Juliette DROUET (1806-1883)

Lettre autographe signée « Juliette » à Victor Hugo
S.l.n.d [Paris, 13 janvier 1851], 4 p. in-8° sur bifeuillet
Petites froissures, infime déchirure sur pliure centrale inférieure

Longue lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo sur fond de politique et de jalousie


« 13 janvier lundi matin 8h

Bonjour, mon bien aimé, bonjour, mon cher amour, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Tu ne te ressens pas de la fatigue d’hier ? Ta gorge n’a pas souffert de ce parlage forcé ? J’espère que non mais je regrette de n’avoir pas été assez membre de la gauche pour assister à cette séance où vous n’aurez pas manqué de dire de bonnes et d’admirables choses… Quand je pense à quoi s’est passé mon dimanche j’en suis furieuse. J’avais tant compté sur lui pour me rabibocher de ma triste et maussade semaine que je suis toute déconfite de ma déception. Sans Vilain qui est venu le soir je n’aurais même pas eu l’Evénement. Grâce à lui j’ai pu me régaler de cette rédaction instructive et morale et jouir de la volée de bois vert distribuée à tour de plume par Vacquerie sur la vielle échine de l’académie. 

J’avoue que ce moment a été très agréable mais trop court. Je suis comme le titi des funambules : Sans ce monsieur qui a montré son………………….. Il n’y aurait pas eu moyen d’y tenir, parole d’honneur. J’y ai tenu grâce à Vacquerie et à F. V. Hugo cependant je vous aurais encore donné la préférence si j’avais eu le choix.

Le jeune Vilain s’est retiré à 11h et moi je me suis couchée comme une pauvre vielle Juju que je suis. Si vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse vous vous trompez joliment. C’est si vrai qu’il y a des moments où je donnerais ma vie pour deux sous. Cela ne m’empêche pas de reconnaître que vous ne soyez un très bon Toto quoi qu’aimant beaucoup trop les jeunes cocottes et les premières représentations, mais vous n’avez pas la prétention d’être plus parfait que l’apôtre Jean Journet et vous êtes un peu moins bête malheureusement. Baisez-moi. Tenez et laissez-moi exhaler ma tristesse comme je peux car je vous aime trop ça n’est pas gai. Juliette »


Juliette Drouet évoque ici le sculpteur Victor Vilain (1818-1899), qui réalise notamment en 1847 un buste de Adèle Hugo et un autre de d’elle-même, lors de son séjour sur l’île de Guernesey, en 1860. Juliette évoque par ailleurs L’Évènement, quotidien du soir fondé en juillet 1848 par Victor Hugo. Ce journal est notamment destiné à soutenir la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, au moment même où Hugo est élu le 13 mai 1849 à l’Assemblée législative (à la tribune de laquelle il prononce son célèbre discours sur la misère dans laquelle vit une grande partie de la population).

GIONO, Jean (1895-1970)

Lettre autographe signée « Jean Giono » au rédacteur en chef de la revue Carrefour
[Manosque], le 4 octobre 1948
2 pages in-8

Longue lettre de Giono à propos de Le Hussard sur le toit et Mort d’un personnage


« Cher Monsieur,
La lettre de M. Muller n’a pas eu de réponse parce qu’elle est arrivée ici pendant mes vacances. Je l’ai trouvée avec le reste de mon courrier il y a peu de jours. Il n’y a eu, à ma connaissance, qu’une seule lettre de Monsieur Muller. Le « Hussard sur le toit » n’est qu’un extrait d’un livre plus long, impossible à publier entièrement en revue ou en hebdomadaire et M. Muller m’avait déjà indiqué qu’il ne s’agissait pas d’extraits pour Carrefour. Pour l’instant je n’ai rien à publier et je le regrette car j’estime qu’un publication dans votre journal me ferait beaucoup d’honneur. Si vous désirez attendre que j’ai un texte pour vous, je vous en remercie; si vous désirez que je vous rembourse l’avance que vous avez eu la gentillesse de me faire je vous adresserai un chèque de cette somme aussitôt. De tout façon, il faut bien se souvenir que cette somme m’a été adressée à un moment ou Mr Muller avait accepté, et je lui avais adressé, un texte de moi intitulé Mort d’un Personnage.
J’étais loin de m’attendre à me le voir retourner plusieurs mois après. Non pas que je crois à l’excellence supérieure de ce que j’écris mais simplement parce qu’après plusieurs mois je croyais la publication décidée. Toutefois j’ai trouvé le rejet fort naturel. Ce n’était pas un texte d’action et croyez bien que j’en ai gardé aucune rancœur (il a été publié dans la Revue de Paris) je n’en parle que pour fixer les conditions dans lesquelles les 30.000f m’ont été adressés, et pour bien spécifier que je ne les ai pas réclamés sans contrepartie. Ils sont à votre disposition si vous ne voulez pas attendre; si vous le pouvez, je vous enverrai mon premier texte libre. Et je reste, croyez moi, votre débiteur d’amitié.
Jean Giono
PS :Excusez moi auprès de Muller »


Nous joignons: Une seconde lettre autographe signée de Jean Giono, 1 page in-8, également du 4 octobre 1948, relative à un erratum concernant les 30.000F lui ayant été versés.


L’après-guerre est une époque compliquée pour Jean Giono. En effet, il est accusé de collaboration par le comité de libération de Manosque en septembre 1944 et passe cinq mois en prison. Grasset, également accusé de collaboration, voit mettre sous séquestre sa maison d’édition à la Libération. Les relations entre Giono et Grasset deviennent alors exécrables. Dans le même temps, Henri Muller, qui a été secrétaire général de Grasset jusqu’en 1944, est en contact régulier avec Giono et est édité à la fois par Grasset et Gallimard. En 1948, il dirige les pages littéraires de Carrefour. Le destinataire de ces lettres est sans aucun doute le rédacteur en chef de l’hebdomadaire en question, revue tendance gaulliste créée à la Libération, qui vire plus tard vers l’extrême droite.

TOULOUSE-LAUTREC (de), Henri (1864-1901)

Billet autographe signé (au crayon) « HTLautrec » à un inconnu
S.l.n.d Mercredi 10 [1895?]
1 page in-8 sur double feuillet, légères décolorations aux extrémités, réparations angulaires par relieur sur le deuxième feuillet avec renfort au papier japon, sans atteinte au texte, traces de pliures.

Rare billet de Toulouse-Lautrec avec sa célèbre signature, HTLautrec


« Prière de fixer un rendez-vous ferme après-demain vendredi. Impossible demain. Mille regrets
HTLautrec »


La croissance de Henri de Toulouse-Lautrec cesse brutalement à cause d’une maladie osseuse, et deux chutes de cheval altèrent grandement son apparence physique, quelque peu difforme. Il commence alors à peindre et à dessiner puis s’installe à Paris en 1882 pour parfaire sa connaissance de l’art. Il s’imprègne de l’impressionnisme et se lie d’amitié avec Edgar Degas et Vincent Van Gogh. Il fréquente les cabarets, notamment le Moulin Rouge, et les immortalise dans ses toiles ainsi que sur ses affiches (Moulin rouge, La Goulue, 1891). Il peint également les théâtres, les cafés-concerts et les maisons closes (Au salon de la rue des Moulins, 1894), dont il saisit les personnages sur le vif. Il devient alors une figure emblématique des nuits parisiennes.

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre autographe signée « Lamartine » à un écrivain
S.l [Saint Point] le 10 août 1838
4 pages in-8 sur bi-feuillet, trace de pliure centrale due à l’envoi d’origine

Longue et remarquable lettre de Lamartine à propos de son roman en vers La Chute d’un Ange et sur sa vision de l’anarchie


« J’ai lu l’admirable excuse que vous avez écrit de la chute d[‘un] ange. J’en ai été si touché que j’avais commencé à vous répondre en poète, c’est-à-dire en vers. Mais sont survenus des mémoires sur les besoins du département des requêtes au conseil général et le crayon s’est brisé. J’ai repris la plume qui me sert bien mais dans quinze jours après le Conseil nous nous reverrons.
Sérieusement si je n’avais pas fait la Chute d’un Ange je croirais que c’est beau en vous lisant. Je n’en crois rien mais je vous remercie
[…]. Ce seront quelques heures de gloires volées à la vérité. Cela n’est pas non plus si mauvais qu’on le croit. C’est une porte qui mène ailleurs et [il] ne faut pas s’arrêter ni en compter les clous ou les chevilles.
Je viens ce matin et fais cent vingt vers qui valent à eux seuls dix chutes d’anges. Mais cela ne sent pas l’imprimerie c’est trop personnel et trop triste.
Je suis à la campagne seul malade et tranquille. J’étudie sans fatigue quelques grandes questions d’économie sociale. Je prends des notes. Je lis immensément mais ne fais rien.
Si vos congés d’écrivain vous laissent jamais liberté les ombres de St Points seraient heureuses de vous abriter. Elles vous doivent amitié et reconnaissance.

Je ne sais rien de la politique si ce n’est que je suis très impopulaire depuis qu’on croit s’apercevoir que je pourrai bien ne pas être un anarchiste. Le goût de ce Jacobinisme et un gout du terroir. Gout plat et apre qui ne fut jamais le mien. Aussi je me moque des mécontents mais la cloche sonne et m’appelle à un déjeuner de curés voisins. Je vous laisse pour moins aimable compagnie. Pensée surtout celle que vous voyez souvent dans nos soirées de la rue Bergen et vous prie de me rappeler à leurs bons souvenirs.
Tout à vous
Lamartine »


Grand roman épique et préhistorique en vers de Lamartine, La Chute d’un Ange est publié pour la première fois en 1838 par Gosselin et W. Coquebert. Il est initialement conçu comme fragment d’une épopée humanitaire dont Jocelyn est supposé l’ultime épisode. En 1838, l’ouvrage connaît un franc succès, mais la critique accable le poème. Il séduit pourtant les Hugo, Leconte de Lisle, et même Verlaine, qui voyait dans La Chute « des choses inouïes de beauté ».

Dans la seconde partie de la lettre, Lamartine se défend de soutenir la naissante mouvance anarchiste, à l’image de Proudhon. Le poète entre en politique en 1833, se ralliant à la monarchie de Juillet, mais sa pensée évolue jusqu’à la fin de sa carrière en 1851, le royaliste devenant républicain.

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Manuscrit autographe de deux importants poèmes: « Un scrupule qui m’a l’air sot » (64 vers) et « De plus, cette ignorance de vous » (28 vers)
[Paris, Hôpital Broussais, fin 1889]
3 pp. in-4 à l’encre noire, sur des demi-feuillets à en-tête de l’Assistance publique.
Infimes trous, taches et pliures anciennes

Fascinant manuscrit autographe de premier jet, laissant apparaître les premières variantes de deux poèmes issus de son recueil Bonheur


XIII – Brouillon

1 Un scrupule qui m’a l’air sot comme un péché
2 Argumente : Dieu vit au sein d’un cœur caché,
3 Non d’un esprit épars, en milliers de pages,
4 En millions de mots hardis comme des pages,
[Vers intermédiaire entièrement caviardé et illisible]
5 A tous les vents du ciel ou plutôt de l’enfer,
6 Et d’un scandale scandale tel, précisément tout fier.
7 Il faut, pour plaire à Dieu, pour apaiser sa droite,
8 Suivre le long sentier, gravir la pente étroite,
9 Sans un soupir de trop, fût-il mélodieux,
10 Sans un geste au surplus, même agréable aux yeux,
11 Tout […], Laisser […] à d’autres l’art et la littérature
12 Et ne vivre que juste à même la nature
13 Tu pratiquais jadis et naguère ces us
14 Content de travailler en paix reposer à l’ombre de Jésus
15 Y pansant de vin, d’huile de lin tes blessures
16 Et maintenant, ingrat à la Croix, tu t’assures
17 En Sur la païen gloire profane et […] le renom païen
18 Comme si tout cela n’était pas trois fois rien,
21 Va, risque ton salut fou, ton salut racheté
22 […] aux vin Un temps, aux vrai pourtant par une vie autre, […] c’est vérité,
23 Que celle de tes ans primes, enfance molle,
Jeunesse folle et que âge […]
[…] folle fou
24 Age pubère fou, jeunesse molle et folle !
25 Rise ton âme objet de tes soins d’autrefois
26 Pour quels triomphes vains instant sur quels banals pavois ?
27 Malheureux ! __ Je réponds avec raison, je pense :
28 Je n’attends, je ne veux pas d’autre récompense
29 A ce mien grand effort d’écrire de mon mieux
19 Comme si tel beau vers, telle phrase sonore,
20 […] Chantait mieux qu’un grillon, brillait plus qu’un fulgores [sic]
30 Que l’amitié du jeune et l’estime du vieux
Lettrés qui sont au fond les seules belles âmes,
Car du public à le prendre où prendre un public en ces foules infâmes
D’idiotie en haut et folles par en bas ?
Où — mais le trouver ou pas, le mériter ou pas,
Le conserver ou pas — l’assentiment d’un être
Simple, naïf et bon, sans même le connaître
Que par ce seul lien comme immatériel,
[…]C’est tout mon attentat au vrai devoir réel,
[…] Essentiel gagner le ciel par les mérites,
40 Et je doute, Jésus […] pieux, que tu t’irrites
Pour quelque doux rimeur Pour quelque doux rimeur chantant ta gloire ou bien
Étalant ses péchés au pilori chrétien
Tu ne suscites pas l’aspic et la couleuvre
Contre un poème ou contre un poète ton œuvre,
Parce qu’il inquiet à Consolant les ennuis de ce morne séjour
Par un concert de foi, d’espérance et d’amour
Et Puis tu ne me fis-tu pas, Et puis tu n’as donné ce don avec le triste don de vivre,
Le don très fier sans quoi je meurs triste aussi, sans quoi je meurs ! d’écrire de faire un livre,
Une œuvre où s’attestât toute ma dignité quantité,
50 Toute, la fleur et tout bien la fleur d’un […]bien mal, la force et l’orgueil révolta
Des sens Des sens, et leur colère encore qui sont la même
au fond Luxure et tout au fond et bien la faiblesse suprême,
Et la mysticité, qu’il l’amour d’aller au ciel
ar le seul graduel du juste rituel,
Charité de patience au fond l’impuissance au fond la force
Douceur et charité, seule toute-puissance.
Tu m’as fait donné ce don et par reconnaissance
J’en use au donné librement, qu’on me blâme, tant pis.
58 Quant à
guetter quêter les voix, quant à tâter les pis
De dame Renommée, à ses heures marâtre,
Fi. Mais dans tous les cas, quel grand […], leur foyer ou son âtre
En Souffrent-ils de mon cas ? Quelle poutre en votre œil, etc.


Ce manuscrit, entièrement autographe, témoigne de la complexité du processus de création de Verlaine. Les multiples ratures et corrections qui le traversent en tous sens en font l’un des manuscrits les plus émouvants que l’on puisse trouver du poète.
Le poème portant le numéro XXII dans la version publiée de Bonheur est ici titré « XIII Brouillon ». Au verso de la première page figure un autre poème issu du même recueil, titré ici « III » mais qui sera finalement le numéro IV. On y lit six strophes, qui correspondent au début du poème tel que publié – manque cependant la troisième, ajoutée par la suite.
Bonheur paraît en 1891 chez Léon Vanier. Verlaine achève alors le projet conçu en 1885. Dans la notice des Hommes d’aujourd’hui, il indiquait son intention de composer un triptyque d’inspiration chrétienne : à Sagesse doivent s’adjoindre Amour et Bonheur.

 

LESZCZYNSKA, Marie (1703-1768)

Lettre autographe au président Hénault
S.l.n.d [Versailles, vers 1753-1756]
1 page in-4 sur bifeuillet. Cachet de cire rouge aux armes de la Reine. Petite déchirure due à l’ouverture du cachet et sans atteinte au texte

Belle lettre de Marie Leszczynska sur un ton désabusé et relatant les malheurs de son temps


« Mde du Deffand m’a remis votre lettre mon cher Président, je n’ay point eut le temps de faire réponse plus-tôt. Hélas vous avez bien raison tout ce que l’onvoit penestre de douleur, tout va de pis en pis. Relligion, authorittée du Roy, tout s’en va, et ce qu’il y’a de pis, c’est que l’authorittée s’en va, comme si cela devoist estre sans que personne s’i oppose. La main de Dieu est visiblement appesantie sur nous. Enfin il n’y faut penser que pour implorer sa miséricorde. le temps qu’il fait ressemble à ce qui se passe. je suis fâchée de l’état de Mde d’Ayen. cela me prive de la voir. Dites moi de vos nouvelles, mon cher Président »


Cette lettre est très probablement écrite entre 1753 et 1756, quand les tensions entre les Parlements, l’Église et le pouvoir Royal sont à leur comble. Ces querelles remontent à l’année 1713, suite à la proclamation de la bulle Unigenitus, qui déchire les parlementaires, pour la plupart jansénistes, et les représentants de l’Église, à propos de l’affaire dite des billets de confession.

Charles-Jean-François Hénault d’Armorezan, dit le « président Hénault » (1685-1770) est un écrivain et un historien français. De 1753 à 1768, il exerce la charge de surintendant de la Maison de la reine Marie Leszczynska, qui éprouve pour lui une particulière amitié.

TOLSTOÏ, Léon (1828-1910)

Lettre autographe (en Russe) signée “Lev Tolstoy” à Ely Danilovitch Halperin-Kaminski
S.l [Russie], le 2/14 juillet 1895 (2 Juillet pour le calendrier Julien, alors encore en vigueur en Russie, et le 14 juillet pour le calendrier Grégorien, adopté en France depuis le 19 décembre 1582)
1 page in-8 sur bifeuillet. Traduction française (probablement de la main de Halperin-Kaminski) en page 3
Légère décoloration en partie inférieure, bord très légèrement effrangé sur la partie supérieure.

Rare lettre autographe signée de Léon Tolstoï à propos de ses œuvres


“Милостивый Государь!
С величайшим удовольствием даю вам своё разрешение печатать ваши переводы моих статей. Перевод ваш я получил, но не имею времени, ни по правде сказать охоты, просматривать его. Если пришлете один или два эквемпляра вашего перевода буду благодарен.
С совершенным уважением Лев Толстой
2/14 июля 1895”

Traduction:

« Cher Monsieur,
C’est avec le plus grand plaisir que je vous donne mon autorisation de publier votre traduction de mes oeuvres. J’ai reçu votre traduction, mais je n’ai pas eu le temps de la revoir. Si vous m’envoyez un ou deux exemplaires du volume, je vous en serai très reconnaissant.
Agréez mon véritable respect.
Léon Tolstoï
2/14 Juillet 1895 »


Nous joignons:

Un tirage argentique d’époque représentant Tolstoï.
Au dos, cachet de la société polyglotte de Riga.

Écrivain russe, Ely Danilovitch Halperin-Kaminski (1858-1936) s’installe à Paris et est naturalisé français en 1890. Il traduit de nombreuses œuvres d’écrivains russes, et presque tous les ouvrages de Léon Tolstoï, avec qui il entretient une correspondance suivie. A l’écriture de cette lettre, Tolstoï jouit déjà d’une renommée internationale. Guerre et Paix est publié entre 1867 et 1869, Anna Karénine en 1877 et La Mort d’Ivan Ilitch en 1886.

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « GSand » à Gustave Flaubert
Paris, vendredi [31 août 1866 ajouté d’une autre main]
3 pages sur bifeuillet in-8 à ses initiales gaufrées, à l’encre noire.
Habile réparation de deux petites déchirures sur deuxième feuillet, sans atteinte au texte

Émouvante lettre de George Sand à Gustave Flaubert, écrite le lendemain de sa première visite à Croisset


« Embrassez d’abord pour moi votre bonne mère et votre charmante nièce. Je suis vraiment touchée du bon accueil que j’ai reçu dans votre milieu de chanoine ou un animal errant de mon espèce est une anomalie qu’on pourrait trouver gênante. Au lieu de ça on m’a reçue comme si j’étais de la famille et j’ai vu que ce grand savoir vivre venait du coeur. Ne m’oubliez pas auprès des très aimables amies. J’ai été vraiment très heureuse chez vous. 
Et puis toi, tu es un brave et bon garçon, tout grand homme que tu es et je t’aime de tout mon cœur. J’ai la tête pleine de Rouen, de monuments, de maisons briques. Tout cela vu avec vous me frappe doublement. Mais votre maison, votre jardin, votre citadelle, c’est comme un rêve et il me semble que j’y suis encore. 
J’ai trouvé Paris tout petit hier, en traversant les ponts. J’ai envie de repartir. Je ne vous ai pas vus assez, vous et votre cadre. Mails il faut courir aux enfants qui appellent et montrent les dents. Je vous embrasse et je vous bénis tous. 
G. Sand. Paris Vendredi.

En rentrant chez moi hier j’ai trouvé Couture a qui j’ai dit de votre part que mon portrait de lui était selon vous le meilleur qu’on eut fait. Il n’a pas été peu flatté. Je vais chercher une très bonne épreuve pour vous l’envoyer. 
J’ai oublié de prendre trois feuilles du tulipier, il faut me les envoyer dans une lettre, c’est pour quelque chose de cabalistique ». 


De retour d’un séjour chez Alexandre Dumas fils en Normandie (à Saint-Valéry-en-Caux), George Sand arrive chez Flaubert le 28 août. Elle y reste deux jours avant de regagner Paris. Durant les quinze années d’amitié, Sand et Flaubert s’écrivent plus qu’ils ne se voient. Leur relation épistolaire est unanimement considérée comme l’une des plus belles du XIXe siècle. Sand se rend trois fois seulement à Croisset. Flaubert, quant à lui, ne séjourne que deux fois à Nohant.
Lors de ce premier séjour à Croisset, George Sand ne cache pas son ravissement, ce que l’on peut voir dans la lettre du 29 août 1866 à sa fille : « Je me laisse (…) entrainer à rester chez Flaubert. Il a une habitation charmante au bord de l’eau, une vieille maison bien réparée, confortable avec un ancien jardin de moines remis à neuf, à mi-côté dans les arbres et les murs, c’est délicieux (…) Ce pays est superbe. J’ai vu hier tous les monuments intéressants de Rouen, et puis les cloîtres, des charniers, des rues impossibles, tout un moyen-âge encore debout… ».

Nous joignons une reproduction du célèbre portrait de George Sand dessinée par Thomas Couture.

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Lettre autographe signée « AlexDumas » à Adolphe Laferrière
[Paris, sans date], 1 page petit in-8 sur bifeuillet bleu ciel.
Traces de pliures.

Petit billet d’Alexandre Dumas


« Envoie ou Porte toi meme deux Places à [Adolphe] Cheruelle [sic]
17 Boulevard du Temple
A toi
AlexDumas »


Alexandre Dumas demande ici à Adolphe Laferrière, l’un de ses acteurs fétiches, d’apporter deux places (probablement pour l’une de ses pièces de théâtre, possiblement Antony) à son ami Adolphe Chéruel.
Adolphe Chéruel (1809 – 1891) est un éminent historien français du XIXe siècle ayant publié de nombreux ouvrages sur l’Ancien Régime.
Adolphe Laferrière obtient le rôle de sa vie avec Antony (dans le rôle-titre éponyme), l’une des premières grandes œuvres théâtrales de Dumas.

CHOPIN, Frédéric (1810-1849)

Lettre autographe signée « FChopin » à Camille Pleyel
Trois pages in-8°. Restes de cachet de cire rouge. Adresse autographe.
Chartreuse de Valldemosa, près Palma de Majorque. 22 janvier 1839.
Infime manque en marge droite sans atteinte au texte.

Précieuse lettre de Chopin envoyant ses Préludes à Camille Pleyel. Une des très rares lettres du compositeur envoyées depuis Majorque, la dernière avant son retour en France, en mars 1839.

« Je vous envoie enfin mes Préludes – que j’ai fini sur votre piannino arrivé dans le meilleur état possible. »


« Cher ami, Je vous envoie enfin mes Préludes – que j’ai fini sur votre piannino arrivé dans le meilleur état possible malgré la mer, le mauvais temps et la douane de Palma. J’ai chargé Fontana de vous remettre mon manuscrit. J’en veux mille cinq cents francs pour la France et l’Angleterre. Probst comme vous le savez, en a pour mille fr la propriété pour Haertel en Allemagne. Je suis libre d’engagement avec Wessel à Londres ; il peut payer plus cher. Quand vous y penserez, vous remettrez l’argent à Fontana. Je ne veux pas tirer sur vous ici parce que je ne connais pas de banquier à Palma. Puisque vous avez voulu, chérissime, prendre la corvée d’être mon éditeur, il faut que je vous avertisse qu’il y a encore des manuscrits à vos ordres.

 1mo. La Ballade (qui entre encore dans les engagements Probst pour l’Allemagne). Cette Ballade– j’en veux mille frs pour la France et l’Angleterre. 2do. Deux Polonaises (dont vous connaissez une en la) j’en veux mille cinq cents francs pour tous les pays du globe. 3°. Un 3e Scherzo– même prix que les Polonaises pour toute l’Europe. Cela vous arrivera sur le dos si vous le voulez de mois en mois jusqu’à l’arrivée de l’auteur qui vous dira plus qu’il ne sait écrire.

 Je n’ai eu de vos nouvelles qu’indirectement par Fontana qui m’a écrit que vous alliez mieux. Les postes sont ici d’une organisation merveilleuse. J’attends trois mois une lettre des miens de Varsovie ! Et les vôtres ? Mme Pleyel ? M., Mme Denoyers ? Dites-leur à tous mes meilleurs souhaits pour l’année 39. J’attends une lettre de vous, toute petite, toute petite, et vous aime comme toujours. Votre tout dévoué. F. Chopin. Pardonnez-moi mon orthographe. Je m’aperçois que je ne vous ai pas remercié pour le piano, et que je ne vous parle que de l’argent. Décidément je suis un homme d’affaire ! »


George Sand est à l’initiative de ce séjour sur l’île de Majorque, peut-être pour soustraire ses deux enfants, Solange et Maurice, à l’emprise de leur père, le baron Dudevant, ou pour améliorer l’état fébrile du jeune Maurice. Ce qui s’annonce comme des vacances idylliques tourne au cauchemar malgré l’attrait majestueux de Chartreuse de Valldemosa, un ancien couvent des Chartreux désaffecté depuis 1835, où George Sand, ses deux enfants et Chopin s’installent mi-décembre 1838. Arrivés sur l’île en novembre 1838, ils ne la quittent qu’au printemps suivant (mars 1839), contraints de passer l’hiver isolés dans ce couvent inhospitalier. « Chopin ne peut vaincre l’inquiétude de son imagination. Le cloître était plein de terreurs et de fantômes », écrit George Sand dans Histoire de ma vie (1855). Plusieurs des Préludes composés à Valldemosa sont nés de ses angoisses, dont le célèbre prélude n°15, dit « La goutte d’eau » : « Sa composition de ce soir-là était bien pleine des gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur. Son esprit était écorché vif ; le pli d’une feuille de rose, l’ombre d’une mouche le faisaient saigner » (Id., Ibid).

Outre les Préludes, Chopin y compose ou termine plusieurs œuvres majeures auxquelles il fait allusion dans cette lettre :

– la « Ballade en fa majeur » (l’opus 38, édité en 1840 sous le titre d’éditeur La Gracieuse. Cette ballade est dédiée à Schumann, qui a lui-même dédié ses Kreisleriana à Chopin) ;

– les « Deux polonaises jumelles » (l’opus 40, dédié à son ami Julien Fontana, pianiste) ;

– le « Troisième scherzo » (l’opus 39, dédié à Adolf Gutmann – élève de Chopin –, édité en 1840 (par Breitkopf & Härtel et Troupenas) ;

– les « Vingt Quatre préludes » (l’opus 28 a pour dédicataire Camille Pleyel et, concernant l’édition allemande, Joseph Christoph Kessler).

« C’est là [à Valldemosa]  qu’il a composé les plus belles de ces courtes pages qu’il intitulait modestement des Préludes. Ce sont des chefs-d’œuvre. Plusieurs présentent à la pensée des visions de moines trépassés et l’audition de chants funèbres qui l’assiégeaient ; d’autres sont mélancoliques et suaves : ils lui venaient aux heures de soleil et de santé, au bruit du rire des enfants sous la fenêtre, au son lointain des guitares, au chant des oiseaux sous la feuillée humide, à la vue des petites roses pâles épanouies sur la neige. D’autres encore sont d’une tristesse morne et en vous charmant l’oreille vous navrent le cœur » écrit encore George Sand.

Avec Érard, Ignace et Camille Pleyel comptent parmi les grands facteurs de pianos du XIXe siècle. Chopin rencontre Camille Pleyel par le biais d’Édouard Herbault, associé de celui-ci. L’entente est immédiate. Fils d’Ignace Pleyel (compositeur autrichien, élève favori de Haydn, éditeur de musique et fondateur de la fabrique de pianos, installé à Paris en 1795), Camille Pleyel, qui a succédé à son père en 1831, est un excellent pianiste formé en Angleterre. Il partage avec Chopin « une noble simplicité et un art parlant du cantabile », comme le décrit Jean-Jacques Edeldinger, dans son livre sur l’amitié entre Chopin et Pleyel. Chopin dit à plusieurs reprises qu’« Il n’y a aujourd’hui qu’un homme qui sache jouer Mozart, c’est Pleyel ». Dès son arrivée à Paris à la fin de l’année 1831, Frédéric Chopin ne joue plus que sur des pianos de Pleyel, dont il apprécie les sonorités subtiles. Chopin résiste jusqu’au bout à la tentation du confort des instruments Érard, leur préférant la « vérité » sonore par rapport aux Pleyel.

À peine débarqué sur l’île de Majorque, Chopin réclame un piano à Pleyel ; il lui écrit dans une lettre en novembre 1838 : « Mon piano n’est pas encore arrivé. Comment l’avez-vous envoyé ? par Marseille ou par Perpignan ? Je rêve musique mais je n’en fais pas, parce qu’ici on n’a pas de pianos… C’est un pays sauvage sous ce rapport ».  Après quelques péripéties (l’instrument, en provenance de Marseille, a été bloqué à la douane de Palma contre demande de rançon), le piano arrive enfin à Chartreuse. Chopin parle d’un « pianino », c’est-à-dire d’un piano droit à six octaves.


Références:
Correspondance de Frédéric Chopin, B.E. Sydow, Tome II, n° 290, p. 291.
Ancienne collection Alfred Cortot (tampon sur le premier feuillet).

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929)

Carte de visite autographe signée de ses initiales « GC » à Paul Meurice.
S.l.n.d
1 page in-12 à l’encre noire

Carte de visite de Georges Clemenceau, avec apostille autographe et signature


« Tous mes remerciements, mon cher ami. à vous
GC
 »


Paul Meurice (1818-1905) est un romancier et dramaturge français. Il est l’un des grands amis de Victor Hugo et le directeur du journal Le Rappel. À la mort de Hugo, Maurice et Auguste Vacquerie sont nommés comme ses exécuteurs testamentaires. En 1902, Paul Meurice fonde la Maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris, aujourd’hui ouverte au public.
Georges Clemenceau et Paul Meurice entretiennent une amitié indéfectible jusqu’à la mort du second, en 1905.

DELACROIX, Eugène (1798-1863)

Lettre autographe signée « E. Delacroix » à Achille Piron
S.l, [Paris], 10 novembre 1815. 3 p. petit in-8°
Adresse autographe sur la quatrième page
Petit manque angulaire (portant atteinte à un mot) en raison du bris de cachet, fragment conservé

Admirable lettre érudite du jeune Delacroix, âgé de dix-sept ans, incertain de sa vocation mais caressant de hautes ambitions


« Il y a des siècles que je ne t’ai vu mon cher ami. je sèche loin de toi et je maudis la bizarre destinée qui t’a juchée dans un quartier perdu infréquenté de ma seigneurie depuis quelques jours, Ce qui est cause que je ne t’ai point été rendre mes devoirs. J’ose espérer que tu voudras bien, dimanche, me gratifier de ta visite, d’autant plus qu’il est important que nous nous concertions ensemble sur la partie du lendemain. Mon cher Monsieur et ami doit y venir avec moi, et je serais désespéré si Pantalon n’en était pas. Tu sçais que tu es le compagnon fidèle, le fidèle, fidissime Achate [compagnon d’Énée] de mon éminence et c’est là-dessus que je me verrais marrit si j’étais forcé de me passer de mon cher aide de camp un jour de Talma [qui jouait alors Hamlet au théâtre-Français]. Je dis bien des sottises, comme à mon ordinaire : mais c’est là ma manie. Et puis les olies viennent de temps en temps s’emparer de moi comme des fumées qui vous remplissent la tête sans y mettre rien pour cela. 
Quand je pense au bonheur, j’écume comme tous les cidevants possédés
 depuis ceux de l’Ancien et du Nouveau Testament jusqu’à ceux de St-Médard et compagnie
[allusion aux jansénistes convulsionnaires du début du XVIIIe siècle].
Du talent, du talent et bien des choses encore qui valent la peine d’en parler. Je t’écris avec une plume détestable et une tête plus mauvaise encore, car je vois double et j’enrage pour dix.
J’ai des projets : Je voudrais faire quelque chose et… rien ne se présente encore avec assez de clarté. C’est un cahos, un capharnaüm, un tas de fumier qui poussera peut-être quelques perles. Prie le ciel pour que je sois un grand homme et que le Ciel te le rende: je te le souhaite de tout mon cœur aussi bien que le bonsoir. Ortis
[Ugo Foscolo], Talma, Poussin !… C’est du génie en barre, mon ami, que ces hommes là. Je t’aime de tout mon cœur. E. Delacroix
Je serai chez moi toute la matinée jusqu’à trois heures au moins. Je t’attends avec confiance »


C’est au sortir du lycée impérial de Paris en juin 1815 que le jeune Delacroix, déjà incontestablement talentueux en dessin, trouve une place dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin le 1er Novembre 1815, par l’intermédiaire de son oncle, Henri-François Riesener. Intégrer cet atelier s’avère une étape décisive pour les débuts du jeune peintre. C’est en effet chez Guérin qu’il rencontre Théodore Géricault, de sept ans son aîné, dont la peinture exercera une influence capitale sur le jeune peintre.
Delacroix se fait quelques années plus tard connaître lors de l’exposition du Salon Parisien de 1822, où il expose La Barque de Dante. Il reçoit aussitôt l’approbation des critiques, dont celle d’Adolphe Thiers. La carrière de Delacroix désormais lancée, il se trouve une place de choix au sein du mouvement romantique, dont il devient plus tard l’un des chefs de file.

De Poussin, à qui il voue une admiration intarissable. Delacroix écrit : « Indiquer le nom de ces admirables compositions, c’est rappeler à la mémoire de tout le monde ce charme, cette grandeur, cette simplicité dont elles sont remplies et qui rendent toute description languissante. Il en est ainsi de ces bacchanales, de ces allégories dans lesquelles il excellait et qu’on ne peut comparer qu’à ces mêmes sujets, quand ils sont traités par les anciens. »

Ami d’enfance de Delacroix, Achille Piron est aussi son premier biographe. Il est désigné par le peintre comme son exécuteur testamentaire.

PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée deux fois, « Louis Pasteur » et « LP », à la comtesse Greffulhe
Paris, le 20 février 1892, 2 pages in-8 carré sur bifeuillet, en-tête de l’Institut Pasteur au 25 rue Dutot, sous chemise demi-maroquin noir moderne
Trace de pliure centrale due à l’envoi d’origine

Longue et remarquable lettre de Pasteur sur la rage et la vaccination des chiens, à celle qui inspira Proust pour le personnage de Oriane de Guermantes dans La Recherche


« Madame la Comtesse,
J’aurais répondu plus tôt à votre très gracieuse lettre du 14 février si je n’eusse pris rendez-vous un peu tardivement avec notre ami et ancien élève, le Bon Cochin.
Nous sommes tombés d’accord sur les inconvénients que pourraient entraîner la vaccination des chiens avant ou après morsure. L’emplacement dont nous disposons, rue Dutot, est tout à fait trop exigu, parce que le temps de la vaccination durant quinze jours environ, nous serions vite très encombrés.
Songez au nombre immense de chiens qu’il y aurait à vacciner dans Paris ! Vous aviez pensé à de vastes chenils au jardin d’acclimatation, mais à qui confier le travail ? On dresserait assez facilement des aides. Hélas ! Que le souci de la responsabilité serait grand, par la crainte d’une faute commise ou d’une erreur ! J’ai ouï-dire que dans certains laboratoires antirabiques de l’étranger (qui sont tous nos enfants) on vaccine les chiens de luxe. Moi-même je l’ai fait quelque fois pour des amis et je vous offre volontiers de le faire pour vos chiens préférés. Comment généraliser une pratique de ce genre dans notre pays si démocratique. Et la rage ne serait pas éloignée !!
J’aurais dû commencer ces lignes par vous remercier, Madame, des paroles si flatteuses que vous avez bien voulu m’adresser et qui m’ont rempli d’émotion. « La médecine avant Pasteur. La médecine après Pasteur » Dans la gloire de notre chère France, Dieu veuille que cela soit ! La présence d’une telle formule, croyez bien, Madame, que je n’ai qu’une pensée, celle de mon insuffisance et celle aussi de ne pouvoir, autant que je le voudrais, tenter la réalisation d’un si beau rêve. Je me consolerai en pensant que des voies nouvelles sont ouvertes, que d’autres sauront la suivre et les féconder pour le bonheur du genre humain.
C’est une grande joie pour moi de vous informer que la pauvre petite irlandaise si gravement mordue à la joue droite, à laquelle vous vous êtes intéressé le jour de votre visite à l’institut Pasteur a terminé son traitement. Elle est repartie pour l’Irlande et la digne demoiselle qui l’a accompagnée me donnera de ses nouvelles. J’ai grand espoir que sa guérison, ce que je n’espérais pas au début pace qu’elle est arrivée à Paris trente jours après sa terrible morsure.
Veuillez agréer, Madame, l’hommage de mon plus profond respect. Pasteur

Denys Cochin m’a laissé espérer une nouvelle visite de votre part à l’I.P [Institut Pasteur], en compagnie de votre mari. Peut-être nous ignorons l’art de nous faire valoir autrement que par les résultats de notre travail, ce qui ne devrait jamais être insuffisant.
Comme votre éloquence – votre lettre sous les yeux m’autorise à le dire – et votre grand cœur, sauraient suppléer à ce qui nous manque de ce côté ! Nos chefs de service s’efforceraient de répondre à vos encouragements par la poursuite de quelques grandes découvertes historiques ou pratiques. Celles-ci sont toujours filles de celles-là.
Permettez-moi, Madame la Comtesse, de joindre à cette lettre un exemplaire d’un article que l’un de nos chefs de service, Mr Buclaux, a fait paraître récemment dans la « Revue Scientifique ». Votre âme généreuse pourra faire une comparaison pénible entre les efforts du gouvernement Prussien et ceux de nos pouvoirs publics pour le développement de la science microbienne, inaugurée en France néanmoins. LP »


Les célèbres travaux de Pasteur sur la prophylaxie de la rage ont complètement réorienté l’étude de cette maladie. De sa fine écriture, le scientifique répond ici à la comtesse de Greffulhe, ayant demandé à faire vacciner ses chiens favoris et suggéré de généraliser cette pratique. Pasteur présente ses objections et profite de cette lettre pour faire part à sa lectrice d’un épisode sur la récente guérison d’une jeune femme mordue à la joue.
Cette correspondance témoigne également de son implication dans les travaux de recherche internationaux.

Louis Pasteur (1822-1895) est un scientifique, chimiste et physicien, père de la microbiologie moderne – comme il le laisse clairement entendre dans cette lettre. De son vivant, il connaît, une grande notoriété pour avoir mis au point un vaccin contre la rage.

Elisabeth de Riquet de Caraman-Chimay, dite la comtesse Greffulhe (1860-1952), est une aristocrate française. Mécène pour les sciences et les arts, elle est celle qui a inspiré Marcel Proust pour le personnage de la duchesse de Guermantes dans son chef-d’œuvre À la recherche du temps perdu. 

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Gustave Flaubert
Médan, le 30 novembre [18]78, 4 pages sur un bifeuillet in-8, à l’encre noire sur papier vergé, sous chemise demi-maroquin noir moderne.

Magnifique lettre de Zola à Flaubert à propos de Maupassant, Nana et L’Assommoir


« Justement, mon cher Flaubert, j’allais vous écrire pour vous demander de vos nouvelles, lorsque j’ai reçu votre bonne lettre. Je savais par Maupassant qui est venu passer la journée de dimanche chez moi avec ses jeunes gens, que votre santé était bonne, que le travail allait bien, mais que les affaires marchaient mal, et je voulais tout au moins vous envoyer une poignée de main.
[Georges] Charpentier est un lâcheur. Il faut le mettre au pied du mur, pour en obtenir une réponse nette. Vous avez eu tort de ne pas exiger tout de suite de lui un engagement formel. Quand une affaire ne lui plait pas, il vous traîne jusqu’à ce que vous vous lassiez. D’autre part, le refus de Dalloz ne me surprend pas. Sa boutique est pleine d’ennemis et de trembleurs. Il est bien fâcheux que nous n’ayons pas un Revue à nous, et qui ait de l’argent. Pourtant, quand vous serez à Paris, il me semble impossible que vous ne trouviez pas un journal pour publier votre féerie, si vous voulez bien vous donner la peine d’en chercher un. Nous vous aiderons tous.

Moi je n’ai pas bougé d’ici. Je suis toujours au milieu des maçons. Nana marche bien, mais lentement. Je n’ai que trois chapitres sur seize. La grande difficulté, c’est que ce diable de livre procède continuellement par vastes scènes, par tableaux ou se meuvent vingt à trente personnages, – des premières représentations, des soirées, des soupers, des scènes de coulisses, et il me faut conduire tout ce monde, les faire agir et parler en masse, sans cesser d’être clair, ce qui est souvent une sacrée besogne Enfin, je ne suis pas mécontent. Je crois que c’est très-raide et très-bonhomme à la fois. Mon ambition est de montrer la popote des putains, tranquillement, paternellement. Mais je ne serai pas prêt avant un an.
Quant au drame de l’Assommoir, je ne crois pas qu’il passe avant le milieu de janvier
. Nous n’avons pas pu encore trouver de Gervaise, on finira par prendre la première femme venue. Les autres rôles sont distribués assez mal. D’ailleurs j’ai formellement refusé d’assister aux répétitions pour me désintéresser le plus possible de l’aventure. J’irai simplement aux cinq ou six répétitions générales. Il y aura de très beaux décors, j’ai vu les maquettes. Peut-être décrochera-t-on un succès, dont je serais content, pour la monnaie et la publicité. Autrement, je m’en fiche !

Si vous ne rentrez qu’au milieu de février, je serai à Paris un mois avant vous; car je compte quitter Médan vers le 10 janvier. Ma maison sera couverte. D’ailleurs, dès avril, je compte revenir ici, pour donner un bon coup de collier. Je suis toujours très-tourmenté par l’idée de faire du théâtre. Je viens de lire Augier, Dumas, Labiche, et vraiment il y a une belle place à prendre à côté d’eux, pour ne pas dire au dessus d’eux.

Aucune nouvelle de Goncourt, de Tourguenieff, ni de Daudet. J’ai écrit à Goncourt qui ne m’a pas répondu. Les jeunes gens m’ont appris qu’il travaille ferme à son roman des deux clowns; il veut être prêt en mai. Quant à Daudet, il serait souffrant et triste. Nous avons tous besoin de nous revoir chez vous. Quand vous n’êtes pas là, notre centre nous manque.
Je vous écrirai dès mon retour à Paris, pour vous donner des nouvelles de l’
Assommoir. Jusque là bonne chance et bon travail, mon ami. Faites-nous de beaux livres, cela vous consolera, si vous avez des chagrins. Quand le travail marche, tout marche. Et vous n’en êtes pas moins un bien grand écrivain, notre père à tous, même si on vous embête. Ma femme vous envoie ses vives amitiés. Bien affectueusement à vous. Emile Zola.
Je vous aime beaucoup, mais permettez-moi de ne croire à la parole de
Bardoux, que lorsqu’il l’aura tenue »


Zola tente ici de rassurer Flaubert sur ses déconvenues éditoriales. Georges Charpentier, l’éditeur des naturalistes, ne donne pas suite à la proposition de Flaubert pour une édition de luxe de Saint Julien l’Hospitalier. Zola tâche par ailleurs de trouver un journal pour publier la féerie de Flaubert Le Château des cœurs.
Nana est le deuxième grand ouvrage qui marque la série des Rougon-Macquart. Paru en 1880, il assoit définitivement la notoriété de l’écrivain. Flaubert lui écrit à ce sujet : « J’ai passé hier toute la journée jusqu’à 11h 1/2 du soir à lire Nana – Je n’en ai pas dormi cette nuit et j’en demeure stupide. Nom de dieu ! Quelles couilles vous avez ! Quelles boules ! S’il fallait noter tout ce qui s’y trouve de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. Les mots nature foisonnent; et la fin, la mort de Nana, est Michelangelesque ! Un livre énorme, mon bon ! »

 

ZOLA, Emile (1840-1902)

Lettre autographe signée « E » à Georges Charpentier
[Grosvenor Hotel, Londres] le Dimanche 30 oct.[obre] 1898, 4 p. in-8 à l’encre noire

Lettre historique dans laquelle Zola se réjouit de l’annonce de la révision du procès Dreyfus


« Mon vieil ami, merci des quelques commissions que vous avez bien voulu faire pour moi, et merci de votre nouvelle lettre.
Je vous écris dans la joie que je viens d’éprouver en apprenant que la cour de cassation a décidé de faire l’enquête totale. Quoi qu’il arrive, c’est toute la lumière, et nous ne pouvons qu’y gagner. Enfin, la victoire est prochaine. Mais me voici certainement ici pour deux grands mois encore. Je vais m’organiser pour y rester jusqu’en janvier, le moins mal possible. Je me suis d’ailleurs remis au travail, tout va bien. L’important, c’est que le triomphe soit dès maintenant assuré.
Je vous avoue que la composition du prochain ministère ne m’inquiète même pas. Tous se valent. Puis, quel est le ministère qui oserait maintenant se mettre en travers de la cour de cassation ? Quand l’opinion sera avec nous, le gouvernement sera avec nous. Après le rapport de 
[Alphonse] Bard et le réquisitoire de [Jean-Pierre] Manau, je défie qu’il n’y ait pas une majorité dreyfusiste dans les chambres.
Vous voyez que je suis dans un moment d’optimisme, bien que les choses ne m’apparaissent pas en rose d’ordinaire. Mon ardent désir est d’en finir avec l’exil, de rentrer chez moi, et de reprendre mes habitudes, après avoir pansé et guéri toutes les plaies qui nous ont été faites pendant ces abominables mois.
Embrassez pour moi votre femme et Jane, comme je vous embrasse vous-même, mon vieil ami.
E »


L’affaire Dreyfus prend un premier tournant le 30 août quand le commandant Henry – que l’on a reconnu avoir produit des faux documents visant à faire accuser le capitaine Dreyfus – passe aux aveux en présence du ministre [de la Guerre], Cavaignac. Un second tournant majeur intervient le 29 octobre, quand la chambre criminelle de la cour de cassation déclare recevable la demande en révision du procès. Suite à la publication de sa lettre ouverte « J’accuse… ! » parue dans L’Aurore le 13 janvier 1898, Emile Zola se voit condamner une première fois à la peine maximale encourue pour diffamation, soit un an de prison et 3,000 francs d’amende. Après son pourvoi en cassation,  il est de nouveau condamné aux assises le 18 juillet et décide, sur le conseil de ses proches, de partir en exil à Londres pour échapper à la prison. Cette lettre, écrite lors de son exil à Londres [19 juillet 1898 – 5 juin 1899], témoigne de la réaction de Zola aussitôt le procès rouvert, en été 1899. Car s’il se sent épié et sous surveillance, Zola veille à ce que son anonymat soit préservé au mieux. Notons que seules les lettres d’exil de l’écrivain sont signées d’un « E », plus tard d’un « Z ». Ces lettres sont pour lui une façon de crypter, en quelque sorte, ses envois, bien que son écriture soit reconnaissable entre mille. Éprouvé par le mal du pays, il est profondément affecté par l’état des affaires politiques en France : « Jamais la situation n’a été, selon moi, plus désastreuse », écrit-il. Alexandrine, sa femme, lui apporte un soutien sans faille et l’encourage à poursuivre sa lutte.

George Charpentier (1846-1905) est un célèbre éditeur français de la seconde moitié du XIXe siècle. Il se définit lui-même comme « l’éditeur des naturalistes ». Il publie notamment Zola [dont il est l’ami proche qui et le seul visiteur lors de son l’exil Londonien], Flaubert et Maupassant. Il est également un fervent collectionneur d’art ayant promu les peintres impressionnistes.

MADAME ROLAND, Jeanne-Marie Phlipon, dite (1754-1793)

Lettre autographe signée (de son paraphe) à Louis-Augustin Bosc d’Antic
S.l [Villefranche-sur-Saône], 17 janvier 1787

Rare et belle lettre sur les femmes de celle qui deviendra l’égérie des girondins pendant la Révolution française


« Lisés ma lettre et n’en abusés pas ; vous pouvez, mon ami, plaisanter quand une femme gronde et que ce n’est pas à vous qu’elle s’adresse comme objet de sa querelle ; mais, vous ne devés rien ajouter à des reproches, même légers, dès qu’ils ont un air sérieux.
Quand je vous appellois le ministre de mes vengeances en vous chargeant de faire passer ma lettre, vous aviés le droit de rire avec votre ami que je favorisois de ma colère ; maintenant que je lui parle raisons vous n’avez rien à dire : car les femmes en ont une à elles, et une façon de la traiter que les hommes n’entendent guère.
Je ne doute pas que la sagesse monsieur ne sourie à ce propos et n’approuve bien la distinction de la raison de femmes : aussi, c’est bien mon intention.
Je vous prie d’expédier la lettre à M. 
[Louis Cousin] à Dieppe, quant à celle pour M. Goffmann, vous aurés la complaisance de la remettre à M. [François Xavier] Lauthenas avec celle qui le regarde.
Le paquet du docteur Gofer vous est sans doute parvenu et vous lui aurés envoyé ; dit-nous-en un mot, ainsi que les deux exemplaires du discours que je vous ai adressé. Adieu ; salut et joye, santé et amitié. 

[Signé de son paraphe] »

Bosc d’Antic rajoute en apostille : 

« Cette lettre est de Madame Roland et ma été adressée sous mon ancien nom.
Bosc »


Manon Roland, née Jeanne Marie Phlipon, est une salonnière et femme politique française. Elle est l’une des figures de proue de la Révolution Française et joue un rôle majeur au sein du parti girondin. Elle pousse son mari, Jean-Marie Roland de la Platière, au premier plan de la vie politique de 1791 à 1973.

Louis-Augustin Bosc d’Antic (1759-1828) est un célèbre botaniste, ornithologue et zoologiste. Il refuse au dernier moment d’embarquer aux côtés de François Galaup de Lapérouse (1741-1788) dans son ultime expédition autour du monde, depuis de Brest, en 1785. Ami proche du couple Roland, c’est lui qui recueille et élève sa fille, Eudora, à la mort de ses parents, en 1793, en pleine Terreur.

LOUIS XVI (1754-1793)

Pièce signée « Louis »  et contre-signée par Laporte
Paris [Palais des Tuileries], le 3 juillet 1792
1/2 page in folio vergé
Légères traces de colle en marge gauche, deux petites piqûres n’affectant pas le texte

Document signé par Louis XVI depuis les Tuileries, quelques semaines avant la journée du 10 août 1792 qui vit la chute de la royauté


” Trésorier Général de ma Liste civile, m Sr. Jean-Baptiste Tourteau de Septeuil, payez comptant au S. César Berthier la somme de Douze cents livres que je lui ai accordée à titre de secours.
Fait à Paris le 3 juillet 1792.

Louis.

Par le Roi

Laporte”


Il est fort probable qu’il s’agisse du futur général, frère du maréchal Berthier. En effet, Jean-Baptiste Berthier et ses trois fils Alexandre, César et Léopold avaient exécuté les cartes des chasses du roi, chef d’oeuvre topographique qui lui valut des récompenses brillantes.

Arnaud de  La Porte (1737-1792) fut ministre de la Marine en 1789, intendant de la Liste civile, ministre de la maison du roi Louis XVI. Pour avoir été le distributeur des fonds destinés à financer la fuite du roi, il est arrêté après la journée du 10 août 1792 et accusé d’avoir fait disparaître des documents compromettants. Il est jugé par le tribunal criminel le 17 août et guillotiné le 23 août suivant, soit moins de deux mois après la signature de ce document. Louis XVI sera, comme chacun sait, guillotiné cinq mois plus tard le 21 janvier 1793.

Les documents signés par Louis XVI depuis les Tuileries en 1792 sont très rares.

DANTON, Georges (1759-1794)

Lettre signée « Danton » au commissaire du pouvoir exécutif du 9e arrondissement
Paris, le 28 août 1792, l’an 4e de la Liberté, 1 page sur double feuillet in-folio
Quelques rousseurs

Belle signature de Danton, le 28 août 1792


« Le Sieur Beaux, Monsieur, et sa femme qui ont en votre tribunal deux procès qui interessent leur existence, se plaignent des lenteurs qu’ils éprouvent, pour les faire juger définitivement.
Je vous envoye le mémoire du procès qu’ils m’ont adressé. Je vous prie d’en prendre lecture et de faire ce qui dépendra de vous pour leur procurer bonne et prompte justice.
Le ministre de la justice.
Danton

Ecrire à M Banguille aussi pour savoir quand il a donné sa plainte.
Mr le Commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal du 9eme arrondissement »


Danton est nommé ministre de la Justice le 10 août 1792 au sein du Conseil exécutif de six ministres, seulement quelques heures après la prise du château des Tuileries. Un peu plus de trois ans après celle de la Bastille, cette prise marque la chute définitive de la royauté. Ce document montre que la fonction de ministre de Danton lui tient à cœur, aussi brève ait-elle été .
Ce même 28 août 1792, Danton ordonne des perquisitions chez tous les « suspects » dans les quarante-huit sections de Paris. Les affiches proclament alors : « Il faut que le peuple juge lui-même les grands procès des conspirateurs ». Nous sommes à l’aube des massacres de septembre…

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Tirage albuminé contrecollé sur carton fin.
Alexandre Dumas y figure assis sur une chaise, l’un de ses plus célèbres portraits

Cliché par Félix Tournachon, dit Nadar.

Au dos : photographie du Grand Hôtel, 35, bd. des Capucines
Etiquette de la papeterie Librairie Des élèves. Jules Gravade, 29, boulevard Sébastopol, rive gauche le bd Sébastopol est rive droite, entre les grands boulevards et Châtelet

Format de la carte : 63 x 103 mm.


Bon état, quelques rousseurs

GARNIER, Charles (1825-1898)

Lettre autographe signée « Charles Garnier » à Léonce Detroyat
[Paris, c. 1870] 1 page in-4 sur papier vergé

Très petite tache centrale sans atteinte au texte

Charles Garnier demande une petite faveur journalistique à Léonce Detroyat


« Cher Monsieur
Vous seriez bien aimable de faire insérer dans votre journal le petit avis ci-inclus.
Merci et à vous
Charles Garnier »

Il rajoute:
« M L Detroyat »


Charles Garnier reste surtout connu comme l’architecte de l’opéra de Paris (inauguré en 1875), dit le palais Garnier, et du casino de Monaco. Il réalise de nombreux décors, notamment celui de l’Arc de triomphe lors des obsèques de Victor Hugo.
Léonce Detroyat (1829-1898) est un officier de marine, homme politique et publiciste français. Garnier fait appel à ses services et entretient une correspondance régulière pendant les années 1870, alors qu’il est directeur du journal La Liberté.

LOUIS XVIII, Louis-Stanislas-Xavier de France, (1755-1824)

Lettre autographe signée « Louis Stanislas Xavier » à un Monsieur
Hamm [en Wesphalie, près de Dortmund], le 31 octobre 1793
1 page in-12 format oblong sur papier vélin (8 x 9,5cm)

Le futur Louis XVIII exprime sa douleur au sujet de la mort de sa belle-sœur, Marie-Antoinette, guillotinée quinze jours plus tôt


« Je n’ai jamais douté de vos sentiments, Monsieur, mais leur expression ne m’en fait pas moins de plaisir et je suis fort sensible à la part que vous prenez à ma juste douleur.
Soyez persuadé, Monsieur, de tous mes sentiments pour vous
Louis Stanislas Xavier »


Rare de cette époque. Belle signature.

LAVOISIER, Antoine Laurent de (1743-1794)

Lettre signée « Lavoisier », contresignée par ses trois collègues Jean-Pierre Fancheux, Edme-Pierre le Tors de Chessimont et Jean-Baptiste Paul Antoine Clouet. Adressée à M. Mollet de Babebelle, visiteur des gabelles et juge des fermes du roi à Aix-en-Provence.
Paris, le 20 Mars 1783, 1 page in-4 sur bifeuillet vergé
Très petite tache sans atteinte au texte, traces de pliures. Deuxième feuillet légèrement effrangé

Rarissime lettre signée par Lavoisier, fondateur de la chimie moderne


« Nous avons reçu, Monsieur, la lettre que vous nous avés fait l’honneur de nous écrire le 12 de ce mois en faveur de la Delle Avouaud à qui vous désirés procurer une commission de débitant de Poudre dans la ville d’Aix. L’ordre que nous avons établi dans cette partie nous impose la loy de consulter le commissaire des poudres de marseille sur cette demande; aussi-tôt que sa réponse nous sera parvenue nous nous ferons un plaisir de vous la communiquer, et si elle est telle que nous avons lieu de la préserver, nous lui adresserons la commission que vous désirés et qui doit être délivrée par lui.
Nous avons l’honneur d’être avec un très parfait attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur »


Par ses liens avec le ministre Turgot et avec le monde académique, Lavoisier contribue à fonder, en 1775, la régie des poudres et salpêtres, dont il devient l’un des quatre administrateurs. Homme infatigable, membre de l’Académie des sciences (adjoint en 1768, titulaire en 1778), Lavoisier prend la fonction de fermier général en 1778 et occupe par la suite plusieurs postes dans l’administration et la politique au début de la Révolution. Associé à la dévaluation qui suit la transformation des assignats en monnaie de nécessité – ce qui aurait profité aux émigrés –, il est dénoncé aux autorités révolutionnaires. Vilipendé par Marat dans son journal L’Ami du Peuple, il est condamné à mort et guillotiné place de la Révolution le 8 mai 1794.

Edme-Pierre Le Tors, signataire de la présente lettre, meurt en 1788 dans une explosion à la poudrerie de l’Essonne, lors d’une expérience sur de la poudre chloratée menée sous la direction de Lavoisier et de Berthollet.

DE GAULLE, Charles (1890-1970)

Lettre autographe signée « C de Gaulle » à sa belle-sœur Marie « Cada » Vendroux
[Colombey-les-Deux-Elglises] le 2 mai 1970, 1 page et demie in-8 à en-tête Le Général de Gaulle.
Pliure centrale due à l’envoi d’origine

« Je ne regrette rien »


« Ma chère Cada,
Comme le chantait Edith Piaf, “je ne regrette rien!”, mais votre pensée ne m’en touche pas moins.
La maison est ici livrée aux peintres. Quand vous la reverrez, vous la trouverez rajeunie ! Mon premier tome
[des Mémoires d’espoir] s’achève. Il m’en restera deux autres à écrire !
Yvonne et moi vous adressons, ma chère Cada, ainsi qu’à Jacques, toutes nos meilleures affections.
Votre frère
C. de Gaulle »


Le général de Gaulle présente sa démission suite au référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation le 27 avril 1969.
Il cite Édith Piaf ; il y fait donc probablement référence dans cette lettre, soit à peine plus d’un an après la date de sa démission.
Il meurt le 9 novembre 1970, alors qu’il est en pleine rédactions de ses Mémoires, qui resteront inachevés.

PISSARRO, Camille (1830-1903)

Lettre autographe signée « C. Pissarro » à son fils Rodolphe « Rodo » Pissarro
Le Havre, 21 sep(tembre) 1903
¾ page in-8 sur papier quadrillé (fentes réparées)
Petites taches, bord supérieur très légèrement éffrangé, diverses notes prises au crayon au verso – d’une autre main.

L’une des dernières lettres de Pissarro, moins de deux mois avant sa mort, alors qu’il est en route pour le premier pèlerinage en souvenir de Zola


« Mon cher Rodo
Je vais quitter le Havre vers le 26 ou 27, ta mère et cocote je suppose Paul aussi seront à Paris, je fais partie de la délégation du pèlerinage Zola à Médan, il faut donc que je sois le 29 à Paris.
je vais écrire à Georges.
Ton père aff
[ectueusement]
C. Pissarro »


Ce 21 septembre 1903, Pissarro, encore au Havre, vient de vendre l’une de ses dernières toiles peintes in situ intitulée La Jetée et le sémaphore du Havre, après-midi, temps gris lumineux. Pissarro parvient donc à vendre au Havre deux toiles au musée. Sa série d’été terminée, l’artiste annonce à sa femme, Julie, dans un courrier le 15 du même mois, vouloir ajourner son retour d’une semaine en vue d’assister au pèlerinage en souvenir de Zola à Médan, premier du nom. Tombé malade peu de temps après, il s’éteint le 13 novembre 1903, à l’âge de soixante-treize ans, à son domicile, ayant peint jusqu’à ses derniers souffles. Sa carrière lui vaut la reconnaissance du public.
Le 17 novembre, moins d’une semaine après la mort de Pissarro, Alexandrine Zola écrit à Julie : « Nous avions gardé, mon cher mari et moi, une tendre amitié à Pissarro, malgré la séparation que la vie impose quelquefois aux plus vives sympathies. Mais nous nous souvenions et parlions souvent de ces bonnes années […] ce temps heureux des batailles d’art de cette génération». Elle a été touchée par la présence de Pissarro au pèlerinage de Médan du 29 septembre en souvenir de son défunt mari.

[DELACROIX] DEGAS, Edgar (1834-1917)

Lettre autographe signée « Degas » au collectionneur Montagnac
S.l, 27 juin [18]95, 2 p. petit in-4° oblongues sur papier vergé
Sous chemise demi-maroquin bleu moderne
Ancienne et discrète réparation au ruban adhésif en marge inférieure de la pliure centrale

Degas, collectionneur, acquiert un tableau de Delacroix contre trois de ses pastels de danseuses en monnaie d’échange


« Cher Monsieur Montagnac
Je reçois votre lettre ce matin et le tableau 
[de Delacroix] arrive à 2h. Donc il est convenu que je vous achète ce portrait du baron Schwiter douze mille francs et que je vous paie ainsi : trois pastels de moi. Je transcris votre lettre, du reste j’y copie : Deux de ces pastels représenteront des groupes de danseuses, et le troisième une ou deux blanchisseuses. Pour ce dernier je me réserve la faculté de les remplacer par des danseuses, si ça m’allait mieux.
Si vous pouvez, me dites-vous, me livrer un de ces pastels d’ici un ou deux mois vous me feriez le plus grand plaisir. Vous ajoutez : Il est entendu que les 3 pastels seront terminés pour l’hiver prochain. Tout cela est bien et j’y souscris.
Au revoir, cher Monsieur, et recevez mes remercîments.
Degas »


Collectionneur avisé, Degas avait réuni une remarquable collection de toiles, de la Renaissance au Romantisme, comprenant notamment des Greco, Ingres, Courbet ou Delacroix. De ce dernier, dont il possédait treize tableaux, c’est le portrait du baron Schwiter qui est ici l’objet de ses convoitises.
Ce portrait en pied du baron Louis de Schwiter (1805-1889), grand collectionneur et familier de Delacroix, fut peint en 1827. Refusé par le jury du salon la même année, il est aujourd’hui conservé à la National Gallery de Londres, qui en avait fait l’acquisition lors de la dispersion des bien de Degas après sa mort en 1917.

DELACROIX, Eugène (1798-1863)

Lettre autographe signée « E. Delacroix » à un monsieur
[Paris, 6 rue de Fürstenberg] le 15 juillet 1863.
1 page in-8 sur double feuillet.
Traces de pliures, quelques légères taches.

Émouvante lettre de Delacroix, l’une des toutes dernières, demandant un certificat de vie, moins d’un mois avant sa mort


« Monsieur, Je garde la chambre et suis dans l’impossibilité de sortir. Je désirerais que vous ayez la bonté de faire suivant l’usage un certificat de vie, qui dans ces occasions demandent je crois votre intervention particulière. C’est une rente sur la national. Ayez monsieur les assurances de ma considération la plus distinguée. E Delacroix »


L’état de santé de Delacroix se dégrade fortement au début du mois de juillet 1863, en témoigne son écriture hésitante. La semaine suivante, il confie à son amie de longue date Georges Sand – se plaignant alors de ne pas recevoir de réponse à son courrier –, « écrire m’est insupportable ». Delacroix s’éteint le 13 août suivant.

Cette lettre ne figure pas dans la correspondance générale de Joubin.

VALÉRY, Paul (1871-1945)

Lettre autographe signée « Paul Valéry » au Comte Gilbert de Voisins
[Paris] 40 rue de Villejust (devenue rue Paul Valery), [1925], 2 pages in-8, sur papier gris

Premières impressions, non sans une certaine ironie vis-à-vis de son entourage, suite à son élection à l’Académie française, le 19 novembre 1925


« Mon cher ami, Je vous remercie de tout cœur, primo, de vos compliments, secundo, de l’appui que Curel m’a donné, et c’est à vous que je le dois très sincèrement; tertio, d’une bonne soirée passée avec Rassenfosse qui est charmant. Je me tâte à présent et ne trouve pas l’académicien dans mon veston – Parfois j’ai l’idée nette que les gens sont devenus fous et me prennent pour « immortel »
En attendant je succombe sous les lettres. C’est terrible. Il n’y a de drôle que les convertis, les gens qui virent comme des bromures d’argent, et on voit des sourires inédits et si affectueux sur la plaque naguère fort peu sensible !
Je sais que votre femme va mieux. Veuillez la remercier et lui présenter mes hommages et mes vœux. A vous, cher Gilbert et voisins mes amiti
és et mes sentiments très reconnaissants.
Paul Valéry »


Élu à l’Académie Française en novembre 1925, Paul Valéry prononce son discours de réception le 23 juin 1927 et fait l’éloge de son prédécesseur Anatole France, sans prononcer une fois son nom. En effet, il ne pardonnait pas à ce dernier de s’être autrefois opposé à la publication de poèmes de Stéphane Mallarmé.
Auguste Gilbert de Voisins (1877-1939) est écrivain et essayiste. Il participe au club des Longues moustaches puis épouse, en 1915, Louise de Heredia, fille de José-Maria de Heredia, divorcée de Pierre Louÿs. Il obtint le grand prix de l’Académie française en 1926 pour l’ensemble de son œuvre.

STENDHAL, Henri Beyle, dit (1783-1842)

Pièce autographe, entièrement écrite de sa main et signée deux fois « De Beyle »
Paris, le 7 avril 1814, 1 page petit in-4
Petit manque au coin supérieur gauche, légère trace de mouillure sur le coin inférieur droit.
Cachet « vu 10 avril (1814) »

Pièce historique dans laquelle Stendhal se rallie au Senat conservateur, qui a prononcé la déchéance de Napoléon le 2 avril 1814.


« M. Henri de Beyle Aud[iteur] adjoint aux Commissaires des guerres, adhère avec empressement, aux Actes passés par le Sénat, depuis le 1er Avril 1814 .
Il note son adresse : « Rue neuve de Luxembourg n° 3 » [actuelle rue Cambon à Paris]
DeBeyle »


En mars 1814, Napoléon est défait ; la France est envahie ; les armées alliées pénètrent dans la capitale. L’empire s’effondre. Talleyrand, vice grand électeur, convoque illégalement le Sénat. Le 1er avril 1814, les soixante-quatre sénateurs présents désignent un gouvernement provisoire de cinq membres dirigé par Talleyrand. Chateaubriand en dit « Il y plaça des partners de son whist ». Cette phrase souligne l’incompétence du groupe et le népotisme dont fait preuve celui qui a trahi la noblesse, menant une vie dissolue pleine de malversations. Il ajoute à son sujet : « Quand monsieur Talleyrand ne conspire pas, il trafique. » (Mémoires d’outre-tombe).

Trois jours plus tard, le mercredi 6 avril 1814, le Sénat conservateur adopte un projet de constitution décrétant en l’article 2, que « le Peuple français appelle librement au trône de France Louis-Stanislas-Xavier de France, futur Louis XVIII et frère du dernier Roi…». La Restauration met cependant fin à la carrière militaire de Stendhal la même année.


Note : Correspondance générale, t. I, p. 521 (n° 980)

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Robert de Billy
[Paris, seconde quinzaine de juillet, 1907] 5 pages in-8
Trace de pliure centrale due à l’envoi d’époque, légères taches avec petite décharge d’encre sur la troisième page, infime manque sur une page, sans atteinte au texte.

Riche et exceptionnelle lettre de Marcel Proust évoquant pêle-mêle son dîner au Ritz, Ruskin, son physique… et citant Baudelaire pour formuler son attirance pour un homme


« Mon petit Robert
Je pense tendrement et quotidiennement à vous, mais écrire me fatigue tant je suis malade. Un seul jour je me suis levé pour… donner un dîner au Ritz ! (1) Je vous assure que c’était assez joli. Après le dîner Risler (2) a joué du Wagner, du Beethoven, du Schumann etc., Hayot a joué la Sonate pour piano et violon de Fauré, c’était très agréable. J’avais à dîner Me de Noailles, Mes d’Aussonville, de Clermont Tonnerre etc. Guiche avait choisi les plats et les vins, malheureusement c’est moi qui les ai payés ! (3) Mais enfin c’était bien, Berkheim est venu une minute le soir, mais si tard que je crois qu’il n’a rien entendu.
Je n’ai jamais tant pensé de ma vie à la Bulgarie(4) que maintenant
et tous les calembours de Ruskin(5) sur Sofia, Sainte-Sophie, la sagesse éternelle et la reine Sophie, reviennent incessamment dans mon esprit courbé sous la discipline de cet homme et sous mon amitié pour vous. Ecrivez-moi mon petit Robert sans me demander de vous répondre car je ne suis pas bien. Si vous voyez des voyages admirables pour moi, conseillez-les moi, si vous avez des amis en Bretagne, recommandez-moi à eux. J’ai eu aujourd’hui la visite de Bertrand [de Fénelon]. Il n’a pas aimé ma barbe ni mes cheveux plats. J’ai beaucoup aimé votre définition qui restera, je suis chargé d’affaires mais les affaires ne me chargent point. Rappelez-moi à M. Paléologue et tâchez de l’incliner à plus de justice à mon égard. Je ne crois pas que je connaisse vos autres collègues. Je suis encore à Paris mais n’y resterai plus je pense longtemps. Y viendrez-vous? J’ai revu Antoine de Bibesco sans moustache, ne cachant plus les plis d’une lèvre qui n’est pas que douceur. On m’a dit que la dame amie de Raoul Johnston a – mais cher ami tout cela est trop difficile par lettre. J’ai aperçu le dit Raoul Johnston(6) la seule fois où je suis sorti(7), comme sa physionomie me plait, comme elle est originale et éclairée. Je ne sais pas si cette lumière vient de l’esprit:
« Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence
Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité »
(8)
Si madame de Billy est avec vous voulez-vous lui faire accepter ma grande admiration, mon attachement très respectueux et très vif. Je vous aime tendrement mon petit Robert.
Marcel Proust »


1. Tout avait commencé deux semaines auparavant lorsque Proust avait été reçu (à minuit, horaire proustien) par Gaston Calmette, le tout-puissant directeur du Figaro, que l’épouse du ministre Caillaux assassina sept ans plus tard. C’est alors que le jeune Marcel, dont « les longs articles peu au goût du public » selon l’intéressé paraissaient dans le quotidien du Tout-Paris, proposa à son employeur d’organiser un dîner en son honneur, en quelque sorte.
2. Fauré devait assister à la soirée et jouer plusieurs suites avec Marguerite Hasselmans, d’autres morceaux, avec Maurice Hayot, mais il eut un contretemps. Le pianiste Edouard Risler le remplaça.
3. Anna de Noailles fut dépeinte comme la « vicomtesse Gaspard de Réveillon » dans Jean Santeuil. Mme d’Haussonville quant à elle inspirera Proust pour le personnage de la Marquise René-Elodie de Cambremer dans La Recherche. Enfin, Armand de Guiche inspira le personnage du futur Saint Loup, également dans La Recherche.
4. La Bulgarie, dont la capitale est Sofia, était une vassale de la Turquie juqu’en 1908, date où elle devint un royaume indépendant. Rappelons que Robert de Billy fut nommé secrétaire de première classe à Sofia le 29 janvier 1907.
5. Ruskin cite une lettre que la reine Sophie-Charlotte (mère du père de Frédéric le Grand) adresse au jésuite Volta. Proust répond ainsi : « Hélas non, reine Sophie, il ne faut nous en rapporter pour cette sorte de chose ni au vieux saint Jérôme ni à aucune autre lèvre ou esprit humains ; mais seulement à l’Eternelle Sophia, à la Puissance de Dieu et à la sagesse de Dieu. » (La Bible d’Amiens, traduction par Marcel Proust, chapitre III, 47, p. 235). Proust ajoute en note : « Allusion essentiellement ruskinienne à l’étymologie du mot : Sophie, ici c’est à peine un calembour, mais le lecteur a pu voir au dernier chapitre à propos de la signification délicatement « Saline » du mot Salien et dans les jeux de mots avec « Salés » et « Saillants » jusqu’où pouvait aller la manie étymologique de Ruskin. Rappelons enfin que c’est Robert de Billy, préalablement diplomate en poste à Londres de 1896 à 1899, qui fit découvrir Ruskin à Proust.
6. Raoul Johnston, fils de Nathaniel Johnston, député de Bordeaux et de sa première femme. Il est ingénieur civil et membre du Jockey-Club. Tout-P. 1908, p. 301; Q E-V, p. 265
7. Allusion, semble-t-il, au soir où Proust avait rendez-vous avec Francis de Croisset au restaurant Larue, où il l’attendit en vain, le 8 ou le 9 juillet 1907
8. Baudelaire, « L’Amour du mensonge » – Les Fleurs du Mal, « Tableaux parisiens », XCVIII.

Marcel Proust reste profondément marqué par la mort de sa mère, Jeanne Weil Proust, survenue le 26 septembre 1905. C’est pourquoi il a de plus en plus tendance à se reclure, entre Paris et Versailles. En plus d’être organisé en l’honneur de Calmette, ce fameux dîner au Ritz le 1er juillet 1907 est un prétexte pour Proust pour retrouver le goût des soirées de la haute société parisienne. 1907 est aussi l’année où l’écrivain en est encore à la genèse de la rédaction de son chef-d’œuvre, À la recherche du temps perdu. Chacun sait qu’il s’inspire d’une multitude de personnes gravitant autour de la sphère mondaine qu’il fréquente ; nombre d’entre elles sont mentionnées dans cette lettre.

 

MITTERRAND, François (1916-1996)

Lettre autographe signée « François Mitterrand » à Edmonde Charles-Roux
Paris, le 4 novembre 1973, demi-page in-8, à l’encre bleue.
En-tête de l’Assemblée nationale

« Giono, que j’aime »


« Ce petit mot a attendu que me parvienne cette originale de Giono, que j’aime, pour aller jusqu’à vous. Il vous dira mes vœux, mon affection, le sentiment que nous avons devant nous un long itinéraire d’amitié – et vous de vie profonde et sure.
François Mitterrand »


Edmonde Charles-Roux (1920-2016) est une femme de lettres et journaliste française. Elle reçoit le prix Goncourt en 1966 pour son roman Oublier Palerme. De 1983 à 2016, elle est membre de l’académie Goncourt, qu’elle préside de 2002 à 2014.

MAUPASSANT (de), Guy (1850-1893)

Pièce autographe signée « Guy de Maupassant » à Georges Charpentier
Paris, le 24 avril 1880, 1 demi-page in-8-oblong.
Bord gauche légèrement effrangé avec infime manque, sans atteinte au texte.

Remarquable reçu de droits d’auteur, entièrement rempli et signé par Maupassant, pour son chef-d’œuvre Boule de Suif


« Je reconnais avoir reçu de Monsieur G. [Georges] Charpentier, éditeur, la somme de DEUX CENT CINQUANTE FRANCS, montant de mes droits d’auteur sur les 3 premières éditions (tirage à 1000 exemplaires chacun, de ma nouvelle intitulée:
Soirées de Medan, Boule de suif (droits du sixième) suivant nos conventions en date du

Paris, le 24 Avril 1880.
Guy de Maupassant »


Boule de Suif est l’une des plus célèbres nouvelles de Maupassant, celle qui l’a imposé comme maître. Elle est écrite courant 1879, rendue publique en 1880, d’abord par une lecture faite en janvier par Maupassant lui-même devant ses amis du mythique Groupe de Médan, puis par publication au sein d’un recueil collectif de nouvelles titré Les Soirées de Médan, le 15 avril 1880, chez l’éditeur Charpentier.

« Boule de Suif […] est un chef d’œuvre », écrit Flaubert.

MALRAUX, André (1901-1976)

Lettre autographe signée « André Malraux » à un critique
Sl, le 30 [1933], 1 page in-8 à en-tête de la NRF.

Malraux répond à un critique sur son chef d’œuvre : La Condition humaine


« Monsieur, Merci de l’article que vs [vous] avez consacré à mon livre.
Je comprends, certes, la méfiance que peut inspirer un livre sur la Chine; mais, précisément, (il se trouve que j’ai participé à des évènements semblables à ceux que je mets en scène) le milieu révolutionnaire de Canton, de Han-Keou, de Shanghaï, était fort peu Chinois, en fait: majorité de blancs; et même plus profondément, car les Chinois qui en faisaient partie n’étaient plus Chinois. La révolution, depuis 1911 a été faite par des cadres protestants ou occidentalisés. Quant à l’orthodoxie communiste de certaines phrases, elle n’est pas douteuse, mais elle ne l’était pas davantage en réalité. Tout cela n’a d’ailleurs pas grande importance; je n’y insiste que parce que je réponds à votre article en en suivant le déroulement, c’est à cause du reste que je vous écris, et je ne veux que vs
[vous] remercier. 
Croyez, je vs [vous] prie, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments de sympathie.
André Malraux »


La Condition humaine, ultime volet d’une trilogie romanesque inspirée de séjours en Indochine dans les années 20, obtient le Prix Goncourt le 7 décembre 1933.

MALRAUX, André (1901-1976)

Lettre autographe signée « André Malraux » à un critique
Paris, le 8 décembre 1928, 1 demi-page in-8 sur papier bleu.
Traces de pliures.

Malraux remercie un critique à propos d’un article élogieux sur Les Conquérants


« Monsieur, De retour à Paris, j’y trouve la critique que vous avez bien voulu consacrer à mes « Conquérants ».
Il serait vain, de ma part, de juger un article si élogieux; permettez moi donc simplement de vous remercier, et croyez, je vous prie, Monsieur, à mes sentiments de sympathie.
André Malraux »


Les Conquérants constitue le premier des trois volets de La Condition Humaine, relatant des épisodes de la lutte révolutionnaire dans la Chine contemporaine.

HUGO, Adèle mère (1803-1868)

Lettre autographe signée « Adèle et le V. Victor Hugo » à sa chère cousine
Slnd, 1 page in-8 sur double feuillet
Légères froissures aux angles


« Ma chère cousine
Pourquoi n’êtes vous pas venue dimanche dernier? Je vous envoie les autographes que vous avez gagnés: La famille m’a fait défaut. J’avais envoyé une lettre à Adolphe et il n’est pas venu non plus.
Vous êtes des vilains et je suis très fâchée.
A vous Adèle et le V 
[Vicomte] Victor Hugo »

DUMAS (père), Alexandre (1802-1870)

Lettre autographe signée « AlexD » à Adolphe Laferrière
[Paris, c. 1854 / 1859], 1 page in-12 sur bifeuillet bleu ciel.
Traces de pliures, manques aux coins supérieur et inférieur gauche sur le deuxième feuillet dus aux bris de cachet de cire lors de l’ouverture, sans atteinte au texte. Infîme résidus du cachet encore visibles. Petites taches.

Charmant petit billet d’Alexandre Dumas donnant rendez-vous à l’un de ses acteurs fétiches


« N’oublie pas que l’on tattend ce soir à minuit rue d’amsterdam
A toi
AlexD »


Alexandre Dumas résida au 77 rue d’Amsterdam entre 1854 et 1859.
Adolphe Laferrière obitent le rôle de sa vie avec Antony (dans le rôle-titre éponyme), l’une des premières grandes œuvres théâtrales de Dumas.

HUGO, Victor (1802-1885)

Lettre autographe signée « Victor H.» à un inconnu.
[Paris] le 9 octobre [1874], 1 page in-8 liseré de noir.
Papier vergé, ancienne trace de montage. Très légère froissure côté gauche. Ancienne trace de pliure centrale dû à l’envoi d’origine.

Belle invitation à dîner de Victor Hugo


“Quels que soient les charmes de Thryos, ô Athénien, et quels que soient les appas de
Romorantin, Vous devez être de retour, ô Parisien. Donc le n°21 de la rue de Clichy
vous attend à dîner jeudi 15 octobre à sept heures et demie. Venez, et sachez que je
suis à vous de tout mon cœur.
Victor H”


Victor Hugo n’habita au 21 rue de Clichy qu’une année de 1874 à 1875. Il y vécu au quatrième étage. C’est la qu’il écrivit l’un de ses romans les plus célèbres: Quatre-vingt- treize.

GIDE, André (1869-1951)

Lettre autographe signée « André Gide » à Nicolas Eekman
Cuverville, le 15 mars 1937, 1 page in-8 sur double feuillet, enveloppe autographe jointe
Traces de pliures dues à l’envoi

André Gide achète une monographie au peintre Nicolas Eekman


« Mon cher Eekman
Votre lettre me rejoint à Cuverville. Je vous envoie donc aussitôt le mandat de 35x que je vous dois pour cette monographie que je suis heureux d’avoir et dont j’ai beaucoup admiré les excellentes reproductions de certaines de vos œuvres qui me touchent très particulièrement. Je vous serre la main. Bien cordialement.
André Gide »


Nicolas Eekman (1889-1973) est un peintre néerlandais connu en France, proche des mouvements expressionnistes et figuratifs. Il a illustré nombre de livres, notamment Les Destinées d’Alfred de Vigny (1864) et L’âne Culotte d’Henri Bosco (1937).

COCTEAU, Jean (1889-1963)

Lettre autographe signée « Jean Cocteau » à René Laporte
Paris, 22 juin 1925, 2 pp. in-4, enveloppe conservée
Transparences, bord côté droit très légèrement effrangé

Superbe lettre emplie de nostalgie dans laquelle Cocteau fait écho à La Recherche de Marcel Proust pour évoquer ses souvenirs de jeunesse


« Je vous connais car j’ai souvent dit à Raymond [Radiguet]: « Voyez ce jeune homme, il s’attarde derrière les autres, il tourne la tête – le pire des ridicules m’empêche de lui faire le signe amical qu’il n’ose faire lui-même. C’est Proust et la bande de Balbec. Toute mon enfance j’ai rêvé de ces rencontres émouvantes –  et c’est pourquoi je devais risquer le ridicule de vous entendre dire: « non Monsieur. Je tournais la tête parce que j’ai mal au cou ». Du reste, mes antennes ne me trompent jamais. Maintenant, je me félicite – On ne peut avoir connu Radiguet sans que sa mort vous laisse une angoisse insupportable. Notre contact immatériel valait mieux. Vous voyez, je n’écris plus une lettre et j’essaye de vous répondre. Je viens d’être très malade. Votre souvenir reforme dans mon pauvre coeur un groupe foudroyé, les dernières vacances de ma vie. Je vous donne ce poème de la N.R.F et je vous embrasse. Jean Cocteau »


L’écrivain René Laporte (1905 – 1954) codirige la revue littéraire Les Cahiers Libres, avec Henri Dumas, puis les Éditions des Cahiers libres, avec René Bertelé. Il se consacre à la diffusion du surréalisme (textes de Breton, Éluard, Tzara, livres illustrés par Dali, Ernst…), tout en s’intéressant des auteurs comme Bernanos, Giono ou Cocteau.

ARTAUD, Antonin (1896-1948)

Lettre autographe signée « Antonin Artaud » [Marseille, 3 août 1918], à Georges de Solpray.
Demi-page in-12, carte-lettre avec adresse au verso, cachet ouvert Autorité Militaire et étiquette du contrôle postal militaire.

Rare supplique d’Antonin Artaud à ses débuts, auprès du directeur de la Revue de Hollande


“Si vous les avez conservés je vous prie de faire bruler les vers que je vous avez [sic] adressés. C’est comme si un mort vous l’avait demandé. Vous respecterez ma volonté pour le repos de mon cœur.
Antonin Artaud”


Georges de Solpray, directeur de la revue de hollande, fut le premier à repérer l’immense talent du poète et publier ses vers (N° 8 février 1916).

FERSEN, Axel, Comte de (1755-1810)

Lettre autographe signée « Axel Fersen » à « Monseigneur »
S.l.n.d [Versailles, été 1784]
2 pages petit in-4

Lettre autographe signée par le comte Axel de Fersen à propos d’une pension royale. De toute rareté.


« Monseigneur

J’ai reçu la lettre que Monseigneur m’a fait l’honneur de m’écrire pour me donner avis de la pension de 20 000 II que le Roi a bien voulu m’accorder, recevés en Monseigneur tous mes remerciements, quant à l’extrait batistere que vous me demandés Monseigneur s’il faut qu’il soit bien exact je ne pourrés vous l’envoyer que de Suede sans cela je pourrés en faire un a Paris signé du Ministre et Mr le Baron de Stael [chargé d’affaires de Suède à la cour de France] que j’aurai l’honneur de vous envoyer, j’attendrai vos ordres la dessus.
J’ai l’honneur d’être avec respect.
Monseigneur
Votre les humbres et les obeissant serviteur

Axel Fersen »


En juin 1784, Fersen, revenu à Versailles, assiste à une fête donnée par Marie-Antoinette le 21 juin, au Petit-Trianon, en l’honneur de Gustave III et sa suite. Ce dernier, qui a donné à Fersen le régiment Royal-Suédois, s’apprête à le gratifier d’une pension de 20,000 livres. Si l’amour que Fersen et Marie-Antoinette se portent l’un à l’autre ne fait aucun doute, l’éternelle question reste de savoir s’ils l’ont consommé. Par ailleurs, cette fête alimente les plus folles rumeurs, peut-être pas infondées puisque la reine donne naissance à un enfant neuf mois plus tard.

TOULOUSE-LAUTREC (de), Henri (1864-1901)

Lettre autographe signée « Henri » à sa grand-mère maternelle et marraine, Madame Léonce Tapié de Celeyran
Slnd. [Paris, c. 28 décembre 1886]
4 pages in-12, sous chemise demi-maroquin bleu moderne.
Traces de pliures dues à l’envoi d’origine, infime et discrète réparation au ruban adhésif, légère décharge d’encre au niveau de la signature.

Importante lettre, en grande partie inédite, dans laquelle l’artiste évoque depuis Montmartre sa vie de bohème et annonce ses nouveaux projets de peindre en extérieur, sous l’influence du courant impressionniste.


« Ma chère bonne maman,
Je vous aurais écrit plus tôt si maman n’avait du être mon interprète comprise de vous pour vous dire combien je me suis associé à votre chagrin qui ressemble à l’exil par beaucoup de côtés et plus encore puisque l’espoir bien amnistié n’existe pas. J’ai dû faire pas mal d’efforts d’imagination pour vous comprendre puisque vous le savez aussi bien que moi, jusqu’à présent j’ai mené la vie [de] bohème et par conséquent n’ai guère le temps de m’habituer à [ce] milieu.
Je le vois d’autant mieux à présent sur la butte Montmartre où je suis retenu par un tas de considérations indiscutables qu’il faut absolument subir si je désire arriver à quelque chose.
J’ai entrepris cette année une tâche absolument sérieuse qui est de travailler dehors à Paris. J’ai eu la chance de trouver le jardin d’un de mes amis [Le Père Forest] qui me servira d’atelier tout cet été et ne c’est qu’en octobre que j’irai vous voir après avoir satisfait mon patron [Fernand Cormon] je l’espère.
Voilà certes de grandes résolutions si belles que je m’arrête et vous embrasse vous et bonne maman Gabrielle. Je vous remercie des subsides que vous m’avez envoyé et qui m’on servi à acquérir une collection de vases arabes que vous trouveriez fort laids.
Je vous embrasse votre filleul petit fils.
Henri »


Henri de Toulouse-Lautrec est un artiste majeur du milieu artistique parisien de la fin du XIXe siècle. De 1885 à 1895, il est surnommé « l’âme de Montmartre », lieu où il réside pendant cette décennie. Considéré comme l’une des figures de proue du courant post-impressionniste, sa courte mais non moins intense carrière est constituée de multiples influences dont le point de départ est l’impressionnisme ; c’est en effet lors courant de l’année 1885 qu’il fait la connaissance de Vincent Van Gogh ou encore Edgard Degas, qu’il admire beaucoup.
Alors qu’il est encore élève à l’atelier de Fernand Cormon et qu’il cherche sa singularité artistique, il décide de réaliser une série de portraits en extérieur dans le jardin du père Forest (rencontré par l’intermédiaire de la famille Dihau), installé à Montmartre. La très célèbre série de portraits qu’il y réalise jusqu’en 1889 constitue une phase essentielle de la carrière artistique du peintre. Il applique dans sa technique des perspectives se rapprochant de celles d’Edgar Degas, qui utilise le point de vue en plongée. Le style de Toulouse-Lautrec comporte d’autres caractéristiques typiques de l’impressionnisme, comme une dominante de la clarté pour la sensation d’espace. Aussi la touche de Toulouse-Lautrec reste-elle libre et fragmentée.
Cette lettre annonce véritablement la genèse de ce projet de plein air et le début de la célébrité pour Toulouse-Lautrec.

Parmi les célèbres portraits réalisés dans le jardin du père Forest, on compte La femme aux gants (musée d’Orsay) ou encore La femme rousse (Collection Nahmad).

Le père Forest, photographe, possède une maison avec un grand jardin sur le boulevard de Clichy, derrière le cimetière de Montmartre, au croisement de la rue Forest (d’où son nom) et des rues Forest et de Caulaincourt

Fernand Cormon (1845-1924), dont l’atelier se trouve au 10, rue Constance, est un peintre du mouvement académique. Il reste célèbre pour son œuvre géante Caïn fuyant avec sa famille, aujourd’hui exposée au musée d’Orsay.

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel » à Robert de Flers
[Paris, le 16 ou 17 novembre 1913] 4 pp. in-4
Légère décoloration sur la quatrième page, quelques taches

Troublante lettre dans laquelle Proust livre avec virtuosité ses états d’âme à Robert de Flers, seulement quelques heures après le lancement de son premier tome de La Recherche


« Mon cher petit Robert
Ta lettre me fait beaucoup de peine parce que tu me dis que je t’en ai fait, et elle me fait aussi à cause de cela beaucoup de plaisir. C’est que malgré tout ce que je te dis (et tu t’en doutes peut’être) je t’aime énormément ; je t’ai dit cela parce que je crois que je le devais, et si cela ne t’a pas laissé indifférent, c’est que tu es resté bon. Seulement je t’en prie ne fais pas d’article sur moi, cela enlèverait à ma lettre, à ta réponse, à tout ce que nous nous sommes dit, tout leur prix. Ta lettre m’a plus ému que ne pourrait faire ton article.
Ce qui me fera plaisir, c’est si plus tard tu as le temps [,] que tu lises la partie de mon livre sur la jalousie [Un Amour de Swann], je crois que tu en seras touché. Si jamais (dans très longtemps) tu as à rendre compte d’une pièce où il y ait une situation analogue, si tu veux citer mon livre (si tu l’as aimé) fais-le, dans une simple parenthèse, mais pas d’article je t’en prie sincèrement.
J’ai eu l’écho que mon éditeur [Grasset] réclamait et c’est tout ce qu’il me fallait.(1)
Je suis très malheureux en ce moment mon petit Robert et je ne sais si j’aurai même le courage de recopier les deux derniers volumes qui sont cependant tout faits [Sodome et Gomorrhe et Le Temps retrouvé]. Et pendant ce temps là, pendant que comme un fou je loue une propriété pour quitter Paris, puis reste ici, puis veux partir(2) (mais je crois que je vais partir pour toujours), il faut m’occuper de ce livre, on veut le présenter au Prix Goncourt.(3) Mon éditeur n’avait consenti à le faire paraître avant que je parte qu’à condition qu’il fût annoncé avant le flot des livres d’étrennes. Et je lui avais promis cet écho. Mais tu comprends comme cela me gênait de le demander à Calmette(4), lui ayant dédié le livre et l’article du Temps(5) [,] ayant ôté t[ou]t ce que j’y avais ajouté de gentil à la dédicace. Je comprends qu’avec tous les gr[and]s intérêts que tu as entre les mains t[oute]s ces vétilles ne puissent t’arrêter. Et si je t’en parle avec cette complaisance, ce n’est pas que par manque de clairvoyance je ne me rende pas compte du peu d’importance qu’elles ont pour toi. Mais je sens obscurément que quelqu’un qui t’aime vraiment ne peut rien faire de plus gentil que de maintenir en toi la source des souvenirs juvéniles, et des émotions désintéressées. Je ne sais pas comment tu n’as pas encore eu mon livre, je te l’ai envoyé en même temps qu’à Vonoven, Beaunier, Dreyfus. Et Vonoven m’a déjà répondu.
Je t’embrasse de tout mon cœur mais sérieusement, je t’en prie et c’est sincèrement, pas d’article tu me ferais du chagrin.
Tout à toi
Marcel »


1 – Proust fait ici allusion à l’écho paru dans Le Figaro, le dimanche 16 novembre 1913.
2 – Proust réside au 102, boulevard Haussmann à Paris de 1906 à 1919. Il se rend néanmoins fidèlement chaque année à Cabourg (dit « Balbec » dans La Recherche) entre 1907 et 1914. Son point de chute y est toujours le même : le Grand-Hôtel.
3 – Il est initialement question de présenter Du côté de chez Swann au prix Goncourt, mais l’idée est rapidement abandonnée. Comme chacun sait, Proust obtient le prestigieux prix quelques années plus tard, en 1919, avec le deuxième volume de la Recherche : À l’ombre des jeunes filles en fleurs.
4 – Sur la première page de Du côté de chez Swann figure cette dédicace de l’auteur même : « A M. Gaston Calmette, comme un témoignage de profonde et affectueuse reconnaissance ». Notons que Proust écrit peu de temps avant sa sortie « Il est possible qu’à cause de l’extrême indécence de cet ouvrage, je ne maintienne pas cette dédicace »
5 – Proust fait allusion à l’article paru le 13 novembre 1913 dans le journal Le Temps.

Proust est contraint d’essuyer un certain nombre de refus de maisons d’édition, y compris de la maison Gallimard, pour publier Du côté de chez Swann, premier tome d’A la Recherche du temps perdu. Homme providentiel, Bernard, chez l’éditeur Grasset, accepte enfin d’éditer le roman, en deux volumes, aux frais de l’auteur, qui doit en outre financer sa promotion : Du côté de chez Swann, achevé d’imprimer le 8 novembre 1913, sort en librairie six jours plus tard.
Ainsi, dans le but de satisfaire son éditeur et d’en annoncer au mieux la parution, Proust demande quelques jours plus tôt à Robert de Flers, alors journaliste au Figaro, de faire au mieux la promotion de son œuvre. Paraît alors un écho en première page du journal le 16 novembre. D’ailleurs, Marcel Proust collabore avec Le Figaro depuis 1908 : il y publie régulièrement des pastiches.

Gaston Calmette dirige Le Figaro jusqu’à son assassinat, en 1914. Il est plus âgé que Proust d’une génération, d’où le fait que ce dernier n’ait pas osé lui demander la « faveur » d’un écho et soit passé par l’intermédiaire de Robert de Flers.

En parallèle de l’écho dans Le Figaro, Proust fait écrire un autre écho dans le journal Le Temps la veille de la parution du livre, le 13 novembre, avec le concours d’Elie-Joseph Bois.

SADE, Donatien-Alphonse-François, Marquis de (1740-1814)

Manuscrit autographe signé « Sade » à son notaire Charles Gaufridy
[Asile de Charenton], le 6 Fructidor an 13 (24 août 1805)4 pages in-8 sur papier vert
Petits trous d’épingle sans atteinte au texte, bords très légèrement effrangés.

Dispositions testamentaires du Divin Marquis. Depuis l’asile de Charenton, Sade organise rigoureusement sa succession


« Dernières propositions faites a ma famille, d’après l’acceptation desquelles, je promets de signer sur le champs la transaction dont on ma envoye le plan. On remarquera en lisant ceci combien je m’écarte peu de ce plan, annexé ci-joint.
On m’accorde pour la cession totale de mon bien ; cinquante mille francs de pension, je les accepte.
On accord a Md
[Marie-Constance] Quesnet vingt-mille francs au lieu de trente cinq qui lui sont dus – elle les accepte ; mais je demande que cette somme porte interet a cinq pour cent du jour ou l’acte se signera, en cela seul consiste la difficulté qui m’est faite, or doit-elle l’etre par des enfants qui connaissent l’origine sacrée de cette dette ?
J’ai demande quinze mille francs pour mes créanciers chirographiques, il se monte [sic] a cette somme, on n’en veut donner que neuf. J’y consens, mais a condition que cest la famille qui s’arrangera avec eux et que l’humeur resultative de leur réduction ne rejaillira pas sur moi.
Monsieur de Coulmiers(1), et le peu de dettes que j’ai ici seront payés de suite sur les revenus actuellement dus par les fermiers en sorte que je serai totalement quitte de ce qui est du a charenton, à l’époque de la signature.
Ma rente de 5000 fr et celle de 1000 fr faite à Md Quesnet arrivant ensemble à la somme de 6000 fr nous seront payer [sic] comme on l’a proposé quartier d’avance tous les trois mois.
Ces deux rentes seront inssaisissables et toujours payées en numeraire en tel lieu que j’habite, elles seront exemptes de toute espece d’impositions et de retenue tant présente qu’à venir.
Je me réserve le château de Saumane(2) et ses dépendances, m’engageant à ne le jamais vendre, mais desirant que Md Quesnet puisse y finir ses jours si elle le veut.
Je me reserve les ventes foncieres si elles revienent.
Je me reserve de disposer a ma mort de 800 f de rente en faveur de l’individu quelconque qui soignera mes derniers instans, et seulement pendant la vie de cet individu.
La rente des vingt mille francs de Md Quesnet sera reversible a son fils.
Seulement pendant la vie de cet enfant.
Md Quesnet ne pourra disposer ni de sa rente, ni de son fond, ces deux objets seront rendus inalienables par l’acte, et elle sera tenu par le même acte a manger cette rente avec moi, pendant ma vie, a ce defaut ladite rente cesserait d’être reversible a son fils. Il faut que les deux rentes soient saisissables sur les fermiers avant qu’on ait le droit de retirer un sol desdits fermiers, qu’il soit déclaré dans l’acte que l’on me regarde comme liquidité envers Md de Sade et ses enfants car les clauses ainsi que l’acte seront signees de la mere et les trois enfants.(3)
Les paiements seront indiqués chez un notaire homme probe et connu, et je me reserve de rentrer dans mes propriétés au moindre defaut de l’une ou l’autre des clauses de ladite transaction.
Le notaire chargé de ma rente la payera a mon ordre, sur un mandat quelque soit mon sort, ma situation ou mon domicile.
Si l’on veut, on pourra céder à Md Quesnet une des terres de Beauce, toujours avec la précaution de la rendre inaliénable alors, elle se chargerait de ses vingt cinq mille francs et du payement des 9000 fr des créanciers chirographiques. Or cette terre qui ne vaut guerre que vingt a vingt cinq mille francs en aquiterait donc vingt neuf. Md Quesnet payerait alors les creanciers avec les revenus de la terre, et le fond serait toujours ainsi que les revenus quand les dettes seraient payées. A ces conditions on ne demande plus que les vingt cinq mille francs de Md Quesnet portent intérêt.
On doit voir que cet ultimatum est beaucoup plus modéré que celui de l’an passé, puisqu’il n’existe plus qu’une difficulté, celle de faire porter intérêt aux vingt mille francs de Md Quesnet.
Je me mets comme on le voit a la raison sur tout le reste, mais je ne puis absolument me relacher sur cette clause.
— Sade »


1 – Monsieur de Coulmiers est le directeur de l’asile de Charenton, où Sade est interné depuis 1803 sous le prétexte de présenter un « état perpétuel de démence libertine ». Coulmiers et Sade entretiennent des rapports très cordiaux, le premier confiant même au second l’organisation de représentations théâtrales régulières au sein de l’asile
2 – Le château de Saumane est l’un des lieux où a vécu le tout jeune marquis de Sade, qui appartenait à son oncle et qui reste la propriété de la famille Sade jusqu’en 1868
3 – Sade insiste sur le fait que cet acte vaille libération vis-à-vis de sa famille. Il a, en effet, eu trois enfants avec sa femme : deux garçons, Louis-Marie né en 1767 et Donatien-Claude-Armand en 1769, et une fille, Madeleine-Laure née en 1771


Sade fait ici expressément la demande à son notaire de procéder à la séparation de biens avec sa femme ; cela fait treize ans qu’ils ne vivent plus ensemble. Il s’assure dans le même temps de mettre sa maîtresse Marie-Constance Quesnet à l’abri du besoin. En outre, il ne manque pas de souligner l’ingratitude de ses enfants.
Ces dispositions testamentaires sont un avant-propos du testament final du Divin Marquis (30 janvier 1806), et dans lequel il y affiche ses dernières volontés.