BEAUMARCHAIS (de), Pierre-Augustin Caron (1732-1799)

Lettre autographe signée « Beaumarchais » au comédien Préville
Paris, le 31 mars 1784, 2 pp. sur bifeuillet in-8°

« C’est bien peu de chose que ma pièce ; mais la voir au théâtre est le fruit de quatre ans de combats »

EUR 20.000,-
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Fiche descriptive

BEAUMARCHAIS (de), Pierre-Augustin Caron (1732-1799)

Lettre autographe signée « Beaumarchais » au comédien Préville
Paris, le 31 mars 1784, 2 pp. sur bifeuillet in-8°, adresse autographe sur la quatrième page
Trace de pliure, manque au deuxième feuillet (bris de cachet) sans atteinte au texte

Très rare lettre de Beaumarchais entièrement consacrée au Mariage de Figaro, écrite moins d’un mois avant la première représentation officielle


« Paris ce 31 Mars 1784
Nous nous sommes trompés tous les deux, mon vieil ami. Je tremblais que vous ne quittassiez le théâtre à Pâques ; et vous, mon vieil ami, vous étiez dans l’opinion que le Mariage de Figaro ne pouvait pas se jouer.
Mais il ne faut jamais désespérer de garder un acteur que le public adore ni de voir vaincre un auteur courageux qui croit avoir raison et qui ne se dégoûte pas par les dégoûts.
J’ai, mon vieil ami, le bon du Roi, le bon du Ministre, le bon du lieutenant de Police. Il ne manque plus que le vôtre pour voir un beau tapage à la rentrée. Allons mon ami. C’est bien peu de chose que ma pièce ; mais la voir au théâtre est le fruit de quatre ans de combats ; voilà ce qui m’y attache.
Quel mal ils m’ont fait ! Ces méchants ! Deux ans plus tôt, mon ami Préville aurait assuré le succès de mes cinq actes. Aujourd’hui le charme qu’il répandra sur un moindre rôle fera bien regretter qu’il ne joue pas le premier !
On me conseille l’étude et les répétitions sans éclat ; et nous sommes convenus d’agir, mais sans rien dire. D’azincourt et La Porte se sont chargés d’écrire à tout le monde, en recommandant le silence, afin que notre bonne fortune ne finisse pas encore une fois par en devenir une de capucin.
Je vous salue, vous honore et vous aime.
Beaumarchais »


Comédie en cinq actes de Beaumarchais écrite en 1778, Le Mariage de Figaro est lue à la Comédie-Française en 1781, donnée en privé en 1783, mais dont la représentation officielle publique n’a lieu que le 27 avril 1784 au théâtre François (aujourd’hui théâtre de l’Odéon), soit un mois à peine après notre lettre.

« C’est bien peu de chose que ma pièce ; mais la voir au théâtre est le fruit de quatre ans de combats » :
Des années durant, la pièce est censurée. Louis XVI la qualifie « d’exécrable, qui se joue de tout ce qui est respectable » et assure que « [s]a représentation ne pourrait qu’être une inconséquence fâcheuse, sauf si la Bastille était détruite ».
En mars 1784, c’est l’avis positif du sixième censeur, Bret, qui est entériné par un « tribunal de décence et de goût », présidé par le baron de Breteuil. La première du Mariage de Figaro à la Comédie-Française, le 27 avril 1784, est un triomphe, que confirment les soixante-sept représentations qui suivirent la même année.

La genèse d’une gronde populaire qui préfigure la Révolution de 1789
Chef-d’œuvre du théâtre français et universel, la pièce est considérée comme l’un des signes avant-coureurs de la Révolution française. En effet, elle dénonce ouvertement les privilèges de la noblesse et du clergé, la société inégalitaire et de la justice vénale de l’Ancien Régime.
Le paroxysme de cette satire politique et sociale est le célèbre monologue de Figaro (acte V, scène 3), morceau de bravoure s’attaquant à l’ordre établi et dont tout le monde connaît le plus célèbre passage : « Noblesse, fortune, un rang, des places […] Qu’avez-vous fait pour tant de biens. Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ». C’est tout l’édifice social de l’Ancien Régime qui est remis en question. La pièce sonne le glas d’une société fondée sur la naissance et les privilèges.

Deux ans après sa première représentation, la pièce est adaptée en opéra par Mozart sous le titre Le nozze di Figaro. En 1789, Danton dira que Figaro a préparé les esprits pour la Révolution française.

Préville (1721-1799), acteur fétiche de Beaumarchais, s’était déjà vu confier le rôle-titre pour sa pièce Le Barbier de Séville, en 1775. Vieillissant à l’heure de la première représentation officielle du Mariage de Figaro, il incarne finalement Brid’oison, personnage, secondaire, pour laisser l’habit de Figaro à Dazincourt (1747-1809).

L’une des plus belles lettres de la correspondance de Beaumarchais

Bibliographie :
Louis de Loménie, Beaumarchais et son temps, éd. Michel Lévy Frères, t. II p. 324