BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Manuscrit autographe pour son essai « Faut-il brûler Sade ? »
S.l.n.d [1951], 7 pages in-4 sur papier quadrillé

« L’érotisme de Sade n’est plus seulement une attitude individuelle ; c’est aussi un défi de la société »

EUR 4.000,-
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Fiche descriptive

BEAUVOIR (de), Simone (1908-1986)

Manuscrit autographe (fragments) pour son essai « Faut-il brûler Sade ? »
S.l.n.d [1951], 7 pages in-4 sur papier quadrillé
Quelques ratures et un petit paragraphe biffé de sa main. Petite trace de trombone sur le premier feuillet.

Remarquable manuscrit autographe pour son célèbre essai “Faut-il brûler Sade ?”


Le texte du manuscrit comporte de légères variantes avec celui publié.

« En quoi mérite-t-il de nous intéresser ? Ses admirateurs mêmes reconnaissent volontiers que son œuvre est dans sa plus grande partie illisible ; philosophiquement elle n’échappe à la banalité que pour sombrer dans l’incohérence. Quant à ses rêves, ils n’étonnent pas par leur originalité ; dans ce domaine, Sade n’a rien inventé et on rencontre à foison dans des traités de psychiatrie des cas pour le moins aussi étranges que le sien. En vérité, ce n’est ni comme auteur, ni comme perverti sexuel que Sade s’impose à notre attention : c’est par la relation qu’il a créée entre ces deux aspects de lui-même. Les anomalies de Sade prennent leur valeur du moment où au lieu de les subir comme une nature donnée il élabore un immense système afin de les revendiquer […]. Sade a tenté de convertir son destin psycho-physiologique en un choix éthique ; de cet acte par lequel il assumait sa séparation, il a prétendu faire un exemple et un appel : c’est par là que son aventure revêt une large signification humaine »

« Il y avait à cette époque bien des libertins qui se livraient à de pires orgies, impunément ; mais je suppose que dans le cas de Sade le scandale était fatal ; il est certains “pervertis sexuels” auxquels s’appliquent exactement le mythe de M. Hyde et du Docteur Jekyll ; ils espère pouvoir d’abord satisfaire leurs “vices” sans compromettre leur personnage officiel ; mais ils sont assez imaginatifs pour se pense, peu à peu, par un vertige où se mêlent honte et orgueil, ils se découvrent : ainsi Charlus malgré ses ruses et par ses ruses mêmes » […]

« Chez le héros sadique, l’agressivité mâle n’est pas atténuée par l’ordinaire métamorphose du corps en chair ; pas un instant il ne se perd dans son animalité : il demeure si lucide, si cérébral qu’au lieu de le gêner dans ses élans les discours philosophiques sont pour lui un aphrodisiaque. […] Grâce à cette démesure, l’acte sexuel créé cette illusion de jouissance souveraine qui en fait aux yeux de Sade le prix incomparable […] »

« À partir du scandale de 1763 l’érotisme de Sade n’est plus seulement une attitude individuelle ; c’est aussi un défi de la société. Dans une lettre à sa femme Sade explique comment de ses goûts il a fait des principes : “Ces principes et ces goûts sont portés par moi jusqu’au fanatisme” écrit-il “et le fanatisme est l’ouvrage des persécutions de mes tyrans”. L’intention suprême qui anime toute activité sexuelle, c’est qu’elle se veut criminelle : cruauté ou souillure, il s’agit de réaliser le mal »

[…] « Et puis sur le papier l’auteur, prolongeant indéfiniment l’agonie de la victime, peut éterniser l’instant privilégié où un esprit lucide habite un corps qui se dégrade en matière ; il insuffle encore un passé vivant dans la dépouille inconsciente : mais en vérité que ferait un tyran de cet “objet inerte” : un cadavre ? »


Ces pages furent en remplacement à dactylographier pour insertion dans cet essai sur Sade qui sera publié en décembre 1951 dans le n° 74 des Temps modernes, repris avec deux autres dans Privilèges (Gallimard, 1955), et depuis, recueilli avec les mêmes, sous le titre « Faut-il brûler Sade ? »
Le texte du manuscrit comporte de légères variantes avec celui publié.

Dans « Faut-il brûler Sade ? », Simone de Beauvoir tente de montrer de quelle manière le divin marquis, après avoir provoqué le scandale, a cherché à concilier ses plaisirs individuels et son existence sociale ; comment, à travers ses oeuvres, il a voulu assumer sa pratique sexuelle en la transformant en éthique. Elle pose la question de la criminalisation de la sexualité, la façon dont la société la codifie et la norme.

On joint :
-La lettre autographe signée adressée à Madame Mandinaud ayant accompagné l’envoi de ces feuillets
-Les copies carbones d’une dactylographie (par Madame Mandinaud) d’époque de ces pages.