BERGSON, Henri (1859-1941)

Ensemble inédit de sept lettres autographes signées à Felix Sartiaux
Paris, entre 1916 et 1928, 19 pages 1/2 in-8

« La survivance de la personnalité humaine n’est pas mathématiquement démontrable, sans doute, mais elle me parait hautement probable »

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Fiche descriptive

BERGSON, Henri (1859-1941)

Ensemble inédit de sept lettres autographes signées à Felix Sartiaux
Paris, entre 1916 et 1928, 19 pages 1/2 in-8

Extraordinaire ensemble inédit de sept lettres de Bergson dans lesquelles il est notamment question de Kant, du mysticisme et de la subsistance de la pensée après la désagrégation du corps


Lettre autographe signée « H. Bergson » [à Felix Sartiaux]
Paris, 31 rue d’Erlanger, le 27 janvier 1916,
6 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliure centrale.

« Monsieur,
La lettre que vous m’adressez du front me touche vivement. J’aurais voulu y répondre en détail, mais je suis surchargé de besogne et c’est à peine si je puis, aujourd’hui, disposer de quelques instants. Je tiens pourtant à vous dire que les idées que vous exprimez concordent entièrement, dans leurs grandes lignes, avec les miennes. La survivance de la personnalité humaine n’est pas mathématiquement démontrable, sans doute, mais elle me parait hautement probable. Je crois même avoir apporté un commencement de preuve expérimentale, en établissant que les diverses fonctions de la pensée, et en particulier la mémoire, sont loin de dépendre du cerveau autant qu’on l’a cru jusqu’à présent (voir « matière et mémoire », chap. II et III). Par une étude attentive des maladies de la mémoire, en particulier des aphasies, j’ai été conduit à la conclusion que le cerveau est un organe de réalisation ; il permet à la pensée de s’insérer dans la vie ; mais c’est tout ; et la pensée proprement dite, avec la mémoire, n’est ne doit pas être plus liée au sort du cerveau que le couteau n’est lié au sort de sa pointe, (car le cerveau est correspond bien à la pointe extrême de la vie mentale). C’est dire qu’après la désagrégation du corps la pensée subsiste très probablement, avec la mémoire, et par conséquent avec le sentiment de la personnalité. En tout cas, c’est à celui qui nie la survivance, bien plutôt qu’à celui qui l’affirme, que devrait incomber, en droit strict, l’obligation de la preuve. J’ai résumé mes vues à ce sujet dans une conférence qui forme le premier chapitre d’un livre « Le matérialisme actuel », dû à la collaboration de divers auteurs. Je vous adresserai ce volume dans un ou deux jours. Si je n’ai pas insisté d’avantage, dans mes livres, sur cette question et sur d’autres qui y touchent, c’est parce que mon but principal, depuis que j’ai commencé à philosopher, a été de transporter la métaphysique sur le terrain de l’expérience et d’en faire une recherche positive, susceptible de progrès, alors qu’elle avait été trop souvent une espèce de tournoi dialectique entre philosophes ; un jeu, qu’est perpétuellement à recommencer. J’ai donc laissé de côté les raisonnements sur lesquels on se fonde pour prouver la survivance, raisonnements auxquels on en opposerait d’autres qui pourraient, à la rigueur, prouver le contraire. En revanche, j’ai serré de près les faits. Et ces faits m’ont paru révéler une telle indépendance de l’esprit par rapport au corps que la survivance apparait, encore une fois, comme une conséquence très probable, sinon rigoureusement certaine. Beaucoup, d’ailleurs, arrivent à la certitude absolue en combinant mes conclusions avec des considérations morales, comme celles que vous me présentez. Si j’ai laissé de côté ces considérations, c’est que j’entends placer la philosophie sur un terrain aussi indiscutable que celui de la science positive. Sur ce terrain nous pourrons d’ailleurs avancer de plus en plus, et convertir finalement en certitude objective ce qui n’est encore, objectivement, qu’une haute probabilité. Laissez-moi profiter de cette occasion, Monsieur, pour vous féliciter d’être où vous êtes. Grande est mon admiration pour tous ceux qui défendent le sol de la patrie : leur héroïsme et leur ténacité sont sans précédent dans l’histoire. Mais à ceux d’entre eux qui se sont engagés volontairement, alors que leur âge leur permettait de rester chez eux, nous devons une reconnaissance particulière. Croyez, je vous prie, à toute ma sympathie. H. Bergson »


Dans Matière et mémoire (1896), Bergson soutient une conception dualiste de l’être : l’esprit existe par lui-même et n’est pas un produit de l’activité biologique du cerveau. Selon lui, le cerveau est l’outil qui permet à l’esprit de connaître le monde physique, ainsi d’agir avec ce dernier. Les substances chimiques affectent donc l’outil, mais nullement l’esprit lui-même. Aujourd’hui, la théorie de la localisation considère certaines fonctions dont la mémoire, les souvenirs (que Bergson rattache à l’esprit) comme des attributs du corps localisés dans des zones du cerveau. La finalité de cette théorie implique un décryptage possible du contenu physique d’un cerveau en un langage compréhensible, c’est-à-dire la probable lecture des pensées et des sentiments.


Lettre autographe signée « H. Bergson » [à Felix Sartiaux]
S.l, le 6 déc[embre] 1916, 2 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque, petites taches

« Monsieur,
Je vous remercie de l’aimable envoi de cet intéressant ouvrage. Vous avez serré d’aussi près que possible les idées morales de Kant, et vous avez montré avec force ce qu’elles ont d’arbitraire. J’ai toujours dit, pour ma part, que la morale Kantienne (dans ce qu’elle a d’intelligible pour moi) était extraordinairement surfaite. Je dispose de si peu d’instants que je n’ai pas pu lire votre livre aussi attentivement que je l’aurais voulu.
J’y reviendrai. Mais dès maintenant je tiens à vous envoyer mes compliments, avec l’assurance de mes sentiments très distingués.
H. Bergson »


Bergson fait ici référence au dernier ouvrage de Félix Sartiaux, Morale kantienne et morale humaine. Les deux philosophes se rejoignent ainsi quant à leur jugement sur la morale kantienne.
La morale kantienne fait référence à une théorie déontologique éthique développée par le philosophe allemand Emmanuel Kant, comme son nom l’indique. Cette morale est fondée sur le principe qu’« Il est impossible de penser à quoi que ce soit dans le monde, ou même au-delà, qui pourrait être considéré comme bon sans limitation sauf une bonne volonté. »


Lettre autographe signée « H. Bergson » à Samuel Griolet
Paris, 31 rue d’Erlanger, 11 déc[embre] 1916, 3 pages in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque, petites taches

« Cher Monsieur Griolet,
Surchargé de travail, je n’ai pu lire l’ouvrage de M. Felix Sartiaux que bien superficiellement ; mais cette première lecture a suffi à m’en montrer l’intérêt et l’importance. Je le présenterai bien volontiers à l’Institut : Il faudra, pour cela, que l’auteur m’envoie directement l’exemplaire sur lequel il aura inscrit la formule réglementaire « offert à l’Académie des Sciences morales », j’apporterai le volume en séance avec un petit rapport très court, dont je donnerai lecture et qui sera imprimé dans nos comptes rendus. Mais pour rédiger ces quelques lignes, et surtout pour relire l’ouvrage, il me faudra du temps ; je crains que ce ne me soit pas possible tout de suite.
Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments les plus dévoues.
H. Bergson
P.S. En relisant votre aimable lettre, je vois que vous m’annonciez la visite de M. Félix Sartiaux. Je le recevrai avec grand plaisir. Je puis presque toujours me trouver chez moi à deux heures, dans la première moitié de la semaine, si je suis prévenu deux ou trois jours auparavant »


Le lendemain Bergson, livre un discours lors de la séance publique annuelle de l’Académie des sciences morales et politiques.


Lettre autographe (minute)
S.l [Paris], le 12 dec[embre] 1916, 2 pages 1⁄2 in-8
Traces de pliures, nombreuses corrections et biffures

« Monsieur,
Je suis très heureux et très honoré de l’aimable lettre que vous avez bien voulu m’adresser et vous en exprime tous mes vifs remerciements.
Permettez-moi de profiter de cette occasion pour vous dire toute ma reconnaissance de l’influence que vous avez exercé sur mon esprit ma pensée. C’est dans votre philosophie que mon esprit s’est ouvert, qu’il s’est épanoui il y a quelques 24 ans, lorsque j’avais 16 à 17 ans. Ce fût un véritable enthousiasme juvénile, puis une longue intimité d’esprit avec vos ouvrages […] Mais, dans une attente plus intellectuelle la votre en philosophie, j’ai conservé les traces profondes dans la formation première tendance […] Votre œuvre si parfaite des données immédiates [de la conscience] et l’évolution créatrice […] »


Lettre autographe signée « H. Bergson » [à Felix Sartiaux]
Paris, le 6 oct[obre] 1919, 1 page 1⁄2 in-8 sur papier vergé
Traces de pliures d’époque

« Cher Monsieur,
J’ai trouvé chez moi, en rentrant à Paris, votre très intéressant et très instructif exposé sur ‘L’Asie mineure grecque”, et je tiens à vous remercier de me l’avoir envoyé.
Je profite de l’occasion pour vous dire avec quel intérêt j’ai lu votre étude sur « Kant et la Révolution » :
J’étais pris, au moment où vous me l’avez adressé, dans de véritables tourbillons d’occupation.
Bien cordialement à vous
H. Bergson »


L’Asie Mineure grecque est un ouvrage de Felix Sartiaux publié par de Chaix en 1919.
Kant et la Révolution, qui traite plus largement de Kant et de la philosophie française du XVIIIe siècle, est un autre ouvrage de Félix Sartiaux publié également en 1919 par F. Fonfraid.


Lettre autographe signée « H. Bergson » à Felix Sartiaux
Paris, 32 rue Vital, le 4 juillet 1822, 2p 1⁄2 in-8 sur bifeuillet
Trace de pliure centrale

« Cher Monsieur,
J’ai lu avec grand intérêt –sans en accepter toutes les idées- l’article que vous avez bien voulu m’adresser, et j’aurai grand plaisir à en causer avec vous. Je n’ai pas besoin de vous dire que je serai très heureux et honoré de faire connaissance de Madame Sartiaux. Voulez-vous venir lundi prochain à cinq heures et demie ?
Si ce jour ne vous convenait pas, à vous et à Madame Sartiaux, je vous en proposerais un autre, vers la même heure ; mais il m’est difficile d’indiquer dès à présent un autre jour de la semaine prochaine où je sois sûr de me trouver libre. –
Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments tout dévoués.
H. Bergson »


Lettre autographe signée « H. Bergson »
Paris, le 16 décembre 1928, 2 pages in-8
Traces de pliure centrale. Lettre imprimée avec complément autographe

Monsieur Bergson regrette que son état de sa santé ne lui permette décidément pas de répondre, comme il a espéré pouvoir le faire, aux lettres de félicitations qu’il a reçues. Profondément touché, il présente ses excuses et envoie ses plus vifs remerciements.
Paris, le 16 décembre 1928
« Mais je veux vous dire très spécialement, cher Monsieur, le plaisir que votre lettre m’a fait. Je garde un bien vivant souvenir des entretiens que nous avons eus ensemble, et je souhaite que nous puissions les reprendre bientôt. En ce moment, il m’est difficile d’indiquer par avance un jour et une heure ou je sois sûr de n’être pas pris soit par la maladie elle-même, soit par le traitement. Mais si vous le voulez bien, je vous ferai téléphoner dès que j’irai un peu mieux. Veuillez transmettre tous mes remerciements, avec mes respectueux hommages, à Madame Sartiaux, et croyez, je vous prie, à mes sentiments très dévoues.
H. Bergson »


En 1925 Henri Bergson développe un rhumatisme déformant, duquel il souffre jusqu’à la fin de ses jours. Vivant avec sa femme et sa fille dans une maison modeste située dans une rue calme près de la porte d’Auteuil à Paris (47, boulevard de Beauséjour), il reçoit le prix Nobel de littérature en 1927. À demi paralysé, il ne peut se rendre à Stockholm pour la cérémonie.