BOURDELLE, Antoine (1861-1929)

Lettre autographe signée « Ant Bourdelle » [à André Fontainas]
Paris, novembre 1928 [en réalité écrite le 25 décembre], 4 pp. in-4°

« Les deux Beethoven »

EUR 3.800,-
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Fiche descriptive

BOURDELLE, Antoine (1861-1929)

Lettre autographe signée « Ant. Bourdelle » [à André Fontainas]
Paris, novembre 1928 [en réalité écrite le 25 décembre], 4 pp. in-4°
Quelques corrections et ratures, de la main de Bourdelle
Ancienne réparation d’une déchirure au ruban adhésif sur le second feuillet
Petit manque marginal sans atteinte au texte

Longue lettre inédite de l’artiste évoquant ses œuvres et sa carrière, en marge de la plus grande rétrospective lui ayant été consacrée de son vivant, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles
Il enrichit sa lettre d’un dessin original représentant l’un de ses bustes de Beethoven


« Mon très cher et grand ami,
J’ai lu d’un seul trait votre livre [Mes souvenirs du symbolisme, La Nouvelle revue critique, 1928] qui est capital. J’ai connu la plupart des poètes.
J’ai parlé à Verlaine une fois.
[Bourdelle donne ensuite son avis sur les poètes contemporains et récemment disparus]
Mon cher ami – Je crois que vous serez heureux de ne conclure votre conférence à propos de mon œuvre à Bruxelles – le 1er ou deuxième jour, qu’après avoir vu cet ensemble qui s’assemble tout neuf.
Il ne m’avait pas été donné de voir, à moi le premier, l’ordre, le calme d’assemblage du tout. Du presque tout car il y a environ là-bas la moitié de mon œuvre avec dans les esprits – des critiques d’art du pays – si enthousiasmés qu’ils font des erreurs inévitables. L’un croit que mon œuvre capitale dans mon vouloir c’est Beethoven.
Et bien cher ami – Les deux Beethoven qui sont là-bas – sont le résultat : L’un celui qui est au Luxembourg – et qui est en plus grand format mais le même modèle à Bruxelles – est un travail, d’une heure tout à fait à mes débuts. Le deuxième celui aux grands cheveux est qui fait masse avec son socle est de même une improvisation.
[Bourdelle enrichit son propos d’un dessin original à l’encre figurant la tête de Beethoven sur son socle]
Le Beethoven plus haut bien plus haut dont je n’ai hélas plus que la photo fut détruit par deux élèves !!!!! idiots ou crapules les deux sans doute. Et je n’ai pu le recommencer faute de vie aisée et libre hélas ! De plus il y a des PRÉPARATIONS de figures d’un Beethoven entières = pas achevées car le temps m’a manqué – mais que je n’abandonne pas + voilà aussi des précisions que personne [d’autre] que vous ne connaît pour l’instant en Belgique.

Pour ce qui est des quelques pastels et peintures = exposition qui m’importe peu à moi – dont l’activité appartient au rude métier d’Architecte-sculpteur car toutes les architecture sont de moi – toutes. Un mot serait bon tout de même pour établir en passant que mon œuvre de peintre n’est pas rassemblée à Bruxelles. J’ai à mon acquit dans un tas de maisons et familles plus de deux cent grands portraits peints ou au pastel. Car je dois dans une dure carrière laisser 10 ans au moins la sculpture contractant des rhumatismes aux mains dans le métier de sculpteur pour y revenir deux fois invinciblement alors que la sculpture me donnait la misère – et que mes immersions dans l’illustration pour la maison Goupil et dans les portraits pastels m’apportaient une large aisance.
On n’a pas l’air de connaître là-bas mes fresques des Champs Elysées, alors que T’Serstevens a écrit et il n’est pas le seul, qu’il regarde ces fresques comme le sommet
décoratif de France depuis la mort de [Pierre Puvis] de Chavannes.
Mais prise en la masse des articles parus la réussite de l’ensemble des travaux est pour moi fantastique, inattendue.
J’ai l’amour du calme et de la grâce, mais je suis poussé par le pain à gagner à exécuter les commandes – je ne me suis jamais lancé de parti pris dans l’ouragan de l’épopée. Pensons ami à l’outillage d’ateliers, à payer le loyer, l’appartement. On verra tout cela un jour. Les études faites à mon gré.
Mes plus durs travaux se rangent lentement en bataille et quelques-uns vont nous précéder en Belgique ou nous suivre.
Avez-vous lu les articles ? Celui de C. Bernard, celui de L. Daudet, celui ce matin 23 nov[embre] de Le Goffic, au petit parisien. Ils ont vu l’exposition.
Enfin cher ami je termine ma longue lettre écrite à bâtons rompus. Hélas, J’ai le deuil et la mort du peintre ami Mathieu Verdilhan [décédé le 15 décembre 1928]
La vue partout sur la lumière c’était un cœur divin ce garçon là et un talent tout pur. J’avais pu l’ôter de dans l’ombre il a vécu 7 à 8 ans heureux, aimé. Mais un ami de moins c’est au cœur un peu moins d’aurore.
À vous tous
Votre Ant. Bourdelle
[Il rajoute, en marge de la première page]
Cher ami
Le mieux pour me trouver serait de 4 heures à 5 heures 18 impasse [du Maine] Nous serions heureux si [vous] venez déjeuner ou dîner, après nous l’avoir dit par téléphone afin que je vous évite mon régime spartiate sans sel sans viande Brrr !!!
Téléphone lettré 35-65 »


En 1928, Bourdelle est célébré comme l’un des plus grands sculpteurs de son temps, et la rétrospective au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles qui lui est consacrée cette année-là (3
novembre 1928 – 3 janvier 1929) permet d’en prendre toute la mesure.
Ses Beethoven, ici évoqués, restent sans doute, aux côtés de Héraklès archer, les plus connus de son œuvre prolifique. Ses premières sculptures figurant le compositeur furent ébauchées dès l’année 1888, à partir desquelles nombre de variantes furent produites. Il opte pour la pureté, la rigueur des formes. Bourdelle devient l’un des précurseurs de la sculpture monumentale du XXe siècle qui suscitera l’admiration, notamment celle d’Auguste Rodin.
Son travail est considéré comme l’incarnation d’une césure esthétique, alternative aux avant-gardes de l’époque et aura une influence décisive sur les générations d’artistes qui lui succéderont.

Poète et critique d’art originaire de Bruxelles, André Fontainas (1865-1948) travaille à partir de 1889 au Mercure de France où il sert de lien entre les poètes belges symbolistes et français. Il conserve la rubrique poésie jusqu’à sa mort. Son amitié avec Bourdelle débute en 1921. Il publie le premier livre dédié à l’artiste, sobrement intitulé Bourdelle, paru chez Rieder en 1930.