CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF » à Jean-Gabriel Daragnès
S.l [Danemark], « le Dimanche » [25 juin 1950], 4 p. in-folio

« Je crois qu’on va reprendre un bail avec la vie »

EUR 1.600,-
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Fiche descriptive

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF » à Jean-Gabriel Daragnès
S.l [Copenhague], « le Dimanche » [25 juin 1950], 4 p. in-folio
Traces de pliures d’époque, infimes taches rouges au coin supérieur droit de chaque feuillet

Céline donne des nouvelles de Lucette après une complication post-opératoire puis termine sa lettre en livrant des recommandations médicales pour la femme de son ami


« Mon cher Vieux,
Nous rentrons à Korsør mardi tantôt1 – Lucette sort de l’hôpital pas encore complètement guérie – mais je la soignerai là-bas. Écris-moi là-bas si tu veux bien. Son moral est excellent, souriant et infiniment courageux comme d’habitude. Je dois me garder contre son héroïsme naturel, m’en défier ! Enfin ça ira je pense bientôt. Elle est enchantée de ton peignoir. Il le fallait pour égayer le placard de Mik[kelsen] en attendant le taxi qui doit nous transporter à Korsør (150 couronnes de ma poche !) Heureusement que par toi Monnier et le Pasteur [François Löchen] nous avons un peu d’argent de poche. Ces 6 semaines ont été catastrophiques pour notre économie si précaire ! Enfin ça ira. On [a] été extrêmement gentil avec nous à l’hôpital tous infirmières – médecins – chambre à part, etc. Vraiment adorablement traités. La complication post-opératoire a été malheureuse c’est tout – méthode nouvelle – justifiée – mais qui n’a pas bien tourné avec Lucette. Le temps ! brusquement étouffant, dans ce pays toujours si froid. Et puis Lucette trop courageuse dont les mouvements ont été trop amples. Ils ont ici l’habitude des malades ratatinés, chichiteuses, engourdies. Bref sale fiasco, complications septiques considérées honteuses il y a 30 ans.
Enfin je crois qu’on va reprendre un bail avec la vie. Je vais foncer au manuscrit [Céline était alors en pleine écriture de Féerie pour une autre fois II] Comment va ta femme ? Son foie est sûrement en cause2 – Mais rien n’est plus complexe que les syndromes hépatiques et surtout les traitements de ces affections. D’abord l’abstinence de tout totale pour gommer effacer l’ardoise – y voir clair. Tuas raison.
Bien affectueusement à vous deux.
LF »


1- Le retour à Korsør a bien lieu le mardi 27 juin, date confirmée par sa lettre à Marie Canavaggia du 1er juillet. Le dimanche qui précède, comme indiqué en-tête de la lettre, ne peut donc être que le 25 juin.

2- Dans une autre lettre inédite de la même période, Céline donne des conseils d’hygiène alimentaire à Daragnès, qui sont donc également destinées à sa femme. C’est toutefois Jean-Gabriel Daragnès qui, un mois plus tard, le 25 juillet 1950, succombera à la suite d’une opération chirurgicale.

Ami et soutien indefectible de Céline pendant les années noires, le graveur et imprimeur Jean-Gabriel Daragnès (1886-1950) se fixa à Montmartre au milieu des années 1920, avenue Junot. Il connut Céline par l’intermédiaire de Gen-Paul et de Marcel Aymé, mais ne se lia avec lui que tardivement, quand l’auteur de Voyage au bout de la nuit prodigua comme médecin des soins à sa mère, gravement malade. Daragnès fut un des premiers à qui Céline écrivit après son incarcération au Danemark. Il devint ainsi son homme de confiance en France, son informateur à Montmartre, son intermédiaire avec les éditeurs, et accepta même en 1949 d’agir personnellement auprès de la Cour de justice en sa faveur. Daragnès vint deux fois au Danemark, en 1948, comme commissaire de l’exposition du Livre français à Copenhague, et ne manqua pas de rendre alors visite à l’exilé. Quand il mourut brusquement en 1950 à la suite d’une opération, Céline perdit avec lui un des ses plus solides appuis. Dans une version intermédiaire de son roman Féerie pour une autre fois, écrit au Danemark, il le présente comme « le plus grand graveur de France ».

Provenance :
Vente d’autographes, Drouot, 5 juin 1992, expert Frédéric Castaing, n°42
Puis collection Patrice Campesato

Bibliographie :
Quinze lettres, éd. Henri Godard, Du Lérot, 1984, p. 29-30
Lettres, éd. Henri Godard et Jean-Paul Louis, Pléiade, 2009, n°50-68