CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF Celine » à Jean-Louis Tixier-Vignancour
[Klarskovgaard], le 2 [mai 1951], 6 pages et demie in-folio, papier vergé

« Je ne ruserai pas pour foutre au cul de la justice française »

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Fiche descriptive

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Lettre autographe signée « LF Celine » à Jean-Louis Tixier-Vignancour
[Klarskovgaard], le 2 [mai 1951], 6 pages et demie in-folio, papier vergé
Légères fentes aux marges supérieures et inférieures, traces de pliures, infimes tâches.

Longue et importante lettre emplie de rage dans l’attente du non-lieu officiel


« Mon cher maître,
Mikkelsen m’a rapporté merveille de vos interventions… Il m’a assuré que le « non lieu » était signé- Il me l’a juré etc.… J’ai vu passer des échos contradictoires dans les journaux français – et l’Ambassade de France ici me fait connaître qu’elle n’a rien reçu du tout du Quai d’Orsay
– Coup d’Epée dans l’eau donc ?
– La justice tâte l’opinion ?
Ou bien la justice veut se faire forcer la main à me condamner en attisant un peu plus les haines « réstistancialistes » ?
Oh vous savez j’ai appartenu 4 ans à l’Etat major de la SDN [Société des Nations] – et 20 ans aux Mairies de la Banlieue. Aucune manigance politico-juridico-salope ne peut m’étonner. Je connais tous les godets, tous les dés, tous les bluffs, tous les tarots…
Je n’en joue point moi même jamais (tel les croupiers à Monte Carlo) mais tous les trucs me sont archi familiers – vaines ruses – je ne ruserai pas pour foutre au cul de la justice Française si elle me condamne un de ces brandons dont elle hurlera longtemps je vous assure.
Qu’on ne se fie pas à ma discrétion – je suis comme les boxeurs professionnels – je n’aime point les esclandres… Mais si on veut absolument me défier – c’est du tapis.
Je ne vais pas aller beugler devant les chambres civiques des honnêtetés qui seront immédiatement falsifiées par la Presse – non – j’imprimerai ce que j’ai à dire en 11 langues et 300 000 exemplaires.
Pas l’atome d’une collaboration dans mon dossier. Et on je juge pas Paul Morand, ni Brisson, ni Pietri, ni Claudel, ni Bergery – Mais moi ! moi ! moi ! toujours moi !
En pratiquerien n’est arrivé à l’Ambassade de ce fameux non lieu – Rien – le mandat d’arrêt est toujours [,] lui par exemple. Je suis toujours prisonnier sur parole du Danemark et je le demeurerai tant que je le Quai [d’Orsay] n’aura point officiellement fait rapporter le mandat
Non plus je ne veux me rendre en France avec un laisser passer ! Truc à me faire coffrer aux frontières. Mais un bel et bon Passeport. Or on m’a fait savoir à l’Ambassade que si j’étais demandé par le juge d’Instruction de la chambre civique on ne me donnera pas un laisser passer (je n’en veux pas [)]
Il faudrait qu’on me cite à comparaître comme prévenu libre en chambre de justice civique = alors seulement on me déclarera un vrai et bon Passeport !  (Ce que je veux)
Sinon – Zebi ! Je ne rentrerai pas. Ils me condamneront et foutre !
Ces canailles n’auront pas longtemps) se réjouir !
Votre très amical et reconnaissant.
LFCeline »


Céline publie de virulents pamphlets dès 1937 (année de la parution de Bagatelles pour un Massacre). Sous l’Occupation, il est proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi. Quelques jours après le débarquement allié, le 6 juin 1944, Céline quitte la France avec son épouse pour se rendre à Baden-Baden car il craint pour sa vie. S’ensuivent des pérégrinations en Allemagne avant qu’il ne rejoigne, en octobre 1944, le gouvernement en exil du régime de Vichy à Sigmaringen (épisode de sa vie qui lui inspire le roman D’un château l’autre, paru en 1957).
C’est en mars 1945 qu’il obtient son visa pour se rendre au Danemark, alors encore occupé par les Allemands. Il y est arrêté en décembre de la même année, suite à la Libération, et passe un an et demi en prison.
Le 20 avril 1951, Jean-Louis Tixier-Vignancour, son avocat depuis 1948, obtient l’amnistie de Céline au titre de « grand invalide de guerre » (depuis 1914) en présentant son dossier sous le nom de Louis-Ferdinand Destouches sans qu’aucun magistrat ne fasse le rapprochement.