CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Carte postale autographe à ses parents
[Flandres], 16 oct[obre] [19]14 (cachet postale), 2 p. in-12°

« Cette guerre maudite »

EUR 4.000,-
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Fiche descriptive

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)

Carte postale autographe à ses parents
[Flandres], 16 oct[obre] [19]14 (cachet postale), 2 p. in-12°
Adresse autographe : « MR Destouches / 11 Rue Marsollier / Paris / France »

Émouvante et toute première missive envoyée à ses parents depuis le front en Flandres, moins de dix jours avant sa blessure au bras


« Chers Parents
Je vous écris d’un pays presque étranger où l’on ne parle que le flamand. Après plusieurs journées malheureusement orageuses, nous avons eu la victoire mais nous déplorons la perte de pas mal d’entre nous. L
[ieutenan]t Troucout, Jozan, Doucerin, Legrand, Brigadier Trelat et pas mal de nos pauvres camarades continuons quand même et vaincrons sûrement.
Nous sommes méconnaissables tellement nous sommes abîmés par les bivouacs. Enfin ce n’est rien si nous les sortons du pays.
Bien reçu les 6 colis merci beaucoup.
J’apprends les blessures de pas mal d’entre nous, j’ai appris aussi que ce pauvre Max Linder avait été tué à Esternay. C’est effrayant ce qu’il y en aura après cette guerre maudite. L’hiver surtout arrive et les nuits du nord sont mortelles au bivouac. Enfin soyons là et essayons d’être un peu là. »


Céline, qui n’est encore que Louis Destouches, est nommé, en mai 1914, maréchal des logis après avoir rejoint deux ans plus tôt le 12e régiment de cuirassiers à Rambouillet, en qualité d’engagé. Le jeune soldat est mobilisé aux premières heures de la guerre, dès le 1er août. Il part pour la Woëvre, où il fait campagne jusqu’au 1er octobre 1914, date à laquelle il se rend en Flandres. Comme le témoigne sa carte, Destouches évoque les scènes de chaos dont il est le témoin direct. Ce sont ces visions d’horreur qui s’inscrivent au plus profond de son esprit, comme l’éclat d’obus qui s’inscrira bientôt dans sa chair. Cette époque charnière de sa vie formera en lui « mille pages de cauchemars en réserve », comme il le confiera à Joseph Garcin au moment où il commencera à écrire Voyage au bout de la nuit : « Celui de la guerre tient naturellement la tête. Des semaines de 14 sous les averses visqueuses, dans cette boue atroce et ce sang et cette merde et cette connerie des hommes, je ne m’en remettrai pas » (Lettres, Pléiade n°30-6).

À l’évocation ici du nom de Max Linder, seule occurrence du célèbre acteur français du burlesque dans sa correspondance, on est tenté de penser que Céline appréciait le personnage. Ce dernier est par ailleurs brièvement cité dans Mort à crédit, dans une scène où Courtial des Pereires s’adresse à Ferdinand : « Vas-y, Ferdinand ! Va te promener ! qu’il me disait alors… Va donc jusqu’au Louvre ! ça te fera beaucoup de bien ! Va-t’en donc jusqu’aux Boulevards ! Tu aimes ça toi Max Linder ! » (Roman I, éd. H. Godard, Pléiade, p. 877).
Max Linder est ramené du front mourant. Réformé, il reprit son activité en 1916, s’estimant rétablit. Il se suicide le 31 octobre 1925 à l’âge de 41 ans.

De toute rareté

Provenance :
Vente d’autographes, Drouot, 5 juin 1992, n°29
Collection Patrice Campesato

Bibliographie :
Lettres, éd. Henri Godard et Jean-Paul Louis, Pléiade, 2009, n°14-35 – Céline, éd. Henri Godard, 2011, p. 66-67