CHOPIN, Frédéric (1810-1849)

Lettre autographe signée « FChopin » à Camille Pleyel
Chartreuse de Valldemosa, près Palma de Majorque. 22 janvier 1839.

« je vous envoie enfin mes préludes… »

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Fiche descriptive

CHOPIN, Frédéric (1810-1849)

Lettre autographe signée « FChopin » à Camille Pleyel
Trois pages in-8°. Restes de cachet de cire rouge. Adresse autographe.
Chartreuse de Valldemosa, près Palma de Majorque. 22 janvier 1839.
Infime manque en marge droite sans atteinte au texte.

Précieuse lettre de Chopin envoyant ses Préludes à Camille Pleyel. Une des très rares lettres du compositeur envoyées depuis Majorque, la dernière avant son retour en France, en mars 1839.

« Je vous envoie enfin mes Préludes – que j’ai fini sur votre piannino arrivé dans le meilleur état possible. »


« Cher ami, Je vous envoie enfin mes Préludes – que j’ai fini sur votre piannino arrivé dans le meilleur état possible malgré la mer, le mauvais temps et la douane de Palma. J’ai chargé Fontana de vous remettre mon manuscrit. J’en veux mille cinq cents francs pour la France et l’Angleterre. Probst comme vous le savez, en a pour mille fr la propriété pour Haertel en Allemagne. Je suis libre d’engagement avec Wessel à Londres ; il peut payer plus cher. Quand vous y penserez, vous remettrez l’argent à Fontana. Je ne veux pas tirer sur vous ici parce que je ne connais pas de banquier à Palma. Puisque vous avez voulu, chérissime, prendre la corvée d’être mon éditeur, il faut que je vous avertisse qu’il y a encore des manuscrits à vos ordres.

 1mo. La Ballade (qui entre encore dans les engagements Probst pour l’Allemagne). Cette Ballade– j’en veux mille frs pour la France et l’Angleterre. 2do. Deux Polonaises (dont vous connaissez une en la) j’en veux mille cinq cents francs pour tous les pays du globe. 3°. Un 3e Scherzo– même prix que les Polonaises pour toute l’Europe. Cela vous arrivera sur le dos si vous le voulez de mois en mois jusqu’à l’arrivée de l’auteur qui vous dira plus qu’il ne sait écrire.

 Je n’ai eu de vos nouvelles qu’indirectement par Fontana qui m’a écrit que vous alliez mieux. Les postes sont ici d’une organisation merveilleuse. J’attends trois mois une lettre des miens de Varsovie ! Et les vôtres ? Mme Pleyel ? M., Mme Denoyers ? Dites-leur à tous mes meilleurs souhaits pour l’année 39. J’attends une lettre de vous, toute petite, toute petite, et vous aime comme toujours. Votre tout dévoué. F. Chopin. Pardonnez-moi mon orthographe. Je m’aperçois que je ne vous ai pas remercié pour le piano, et que je ne vous parle que de l’argent. Décidément je suis un homme d’affaire ! »


George Sand est à l’initiative de ce séjour sur l’île de Majorque, peut-être pour soustraire ses deux enfants, Solange et Maurice, à l’emprise de leur père, le baron Dudevant, ou pour améliorer l’état fébrile du jeune Maurice. Ce qui s’annonce comme des vacances idylliques tourne au cauchemar malgré l’attrait majestueux de Chartreuse de Valldemosa, un ancien couvent des Chartreux désaffecté depuis 1835, où George Sand, ses deux enfants et Chopin s’installent mi-décembre 1838. Arrivés sur l’île en novembre 1838, ils ne la quittent qu’au printemps suivant (mars 1839), contraints de passer l’hiver isolés dans ce couvent inhospitalier. « Chopin ne peut vaincre l’inquiétude de son imagination. Le cloître était plein de terreurs et de fantômes », écrit George Sand dans Histoire de ma vie (1855). Plusieurs des Préludes composés à Valldemosa sont nés de ses angoisses, dont le célèbre prélude n°15, dit « La goutte d’eau » : « Sa composition de ce soir-là était bien pleine des gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur. Son esprit était écorché vif ; le pli d’une feuille de rose, l’ombre d’une mouche le faisaient saigner » (Id., Ibid).

Outre les Préludes, Chopin y compose ou termine plusieurs œuvres majeures auxquelles il fait allusion dans cette lettre :

– la « Ballade en fa majeur » (l’opus 38, édité en 1840 sous le titre d’éditeur La Gracieuse. Cette ballade est dédiée à Schumann, qui a lui-même dédié ses Kreisleriana à Chopin) ;

– les « Deux polonaises jumelles » (l’opus 40, dédié à son ami Julien Fontana, pianiste) ;

– le « Troisième scherzo » (l’opus 39, dédié à Adolf Gutmann – élève de Chopin –, édité en 1840 (par Breitkopf & Härtel et Troupenas) ;

– les « Vingt Quatre préludes » (l’opus 28 a pour dédicataire Camille Pleyel et, concernant l’édition allemande, Joseph Christoph Kessler).

« C’est là [à Valldemosa]  qu’il a composé les plus belles de ces courtes pages qu’il intitulait modestement des Préludes. Ce sont des chefs-d’œuvre. Plusieurs présentent à la pensée des visions de moines trépassés et l’audition de chants funèbres qui l’assiégeaient ; d’autres sont mélancoliques et suaves : ils lui venaient aux heures de soleil et de santé, au bruit du rire des enfants sous la fenêtre, au son lointain des guitares, au chant des oiseaux sous la feuillée humide, à la vue des petites roses pâles épanouies sur la neige. D’autres encore sont d’une tristesse morne et en vous charmant l’oreille vous navrent le cœur » écrit encore George Sand.

Avec Érard, Ignace et Camille Pleyel comptent parmi les grands facteurs de pianos du XIXe siècle. Chopin rencontre Camille Pleyel par le biais d’Édouard Herbault, associé de celui-ci. L’entente est immédiate. Fils d’Ignace Pleyel (compositeur autrichien, élève favori de Haydn, éditeur de musique et fondateur de la fabrique de pianos, installé à Paris en 1795), Camille Pleyel, qui a succédé à son père en 1831, est un excellent pianiste formé en Angleterre. Il partage avec Chopin « une noble simplicité et un art parlant du cantabile », comme le décrit Jean-Jacques Edeldinger, dans son livre sur l’amitié entre Chopin et Pleyel. Chopin dit à plusieurs reprises qu’« Il n’y a aujourd’hui qu’un homme qui sache jouer Mozart, c’est Pleyel ». Dès son arrivée à Paris à la fin de l’année 1831, Frédéric Chopin ne joue plus que sur des pianos de Pleyel, dont il apprécie les sonorités subtiles. Chopin résiste jusqu’au bout à la tentation du confort des instruments Érard, leur préférant la « vérité » sonore par rapport aux Pleyel.

À peine débarqué sur l’île de Majorque, Chopin réclame un piano à Pleyel ; il lui écrit dans une lettre en novembre 1838 : « Mon piano n’est pas encore arrivé. Comment l’avez-vous envoyé ? par Marseille ou par Perpignan ? Je rêve musique mais je n’en fais pas, parce qu’ici on n’a pas de pianos… C’est un pays sauvage sous ce rapport ».  Après quelques péripéties (l’instrument, en provenance de Marseille, a été bloqué à la douane de Palma contre demande de rançon), le piano arrive enfin à Chartreuse. Chopin parle d’un « pianino », c’est-à-dire d’un piano droit à six octaves.


Références:
Correspondance de Frédéric Chopin, B.E. Sydow, Tome II, n° 290, p. 291.
Ancienne collection Alfred Cortot (tampon sur le premier feuillet).