CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Manuscrit autographe signé « Paul Claudel »
S.l, 4 janvier 1951, 2 p. in-4°

« Jeanne est attachée à son poteau qui représente la foi. Elle est enracinée à une certitude immuable »

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Fiche descriptive

CLAUDEL, Paul (1868-1955)

Manuscrit autographe signé « Paul Claudel »
S.l, 4 janvier 1951, 2 p. in-4°
Quelques corrections de la main de Claudel, légère mouillure en marge supérieure du feuillet

Passionnant manuscrit sur son oratorio dramatique : Jeanne au bûcher, pour lequel il collabora avec Arthur Honegger 


« J’ai toujours été attiré par cette forme primitive du drame, appelée dithyrambe, dont Les Suppliantes d’Eschyle demeurent le seul exemple subsistant. Un personnage unique, je veux dire seul doué de visage, parle au milieu d’un demi-cercle de voix qui, de par l’assistance qu’elles constituent, l’invitent, le contraignent à l’expression. Tout poète a connu cet horizon auditif, ce bruit confus de propositions entremêlées d’avance, génératrices de l’expression et préposées à l’écho. Le chœur grec lui a donné plus tard une forme en quelque sorte liturgique et officielle qui se perpétue dans nos églises […]
Schopenhauer, mal compris par Wagner, a dit profondément que la musique est l’expression de la volonté à la recherche d’une forme, ou disons d’une réponse. Ce n’est point répondre que s’associer à ce soulèvement obscur des forces élémentaires. Tout le monde est conscient du discord douloureux entre l’aire du chant et celle de la parole. C’est de ce discord même qu’Honegger et moi avons essayé de tirer un élément de drame et par là d’émotion.
Jeanne est attachée à son poteau qui représente la foi. Elle est enracinée à une certitude immuable. Elle ne fait plus qu’un avec elle. Autour d’elle, s’étageant dans la nuit, il y a les rangées superposées de ce peuple à qui a été livrée pour un être à la fois l’émanation et l’hostie. Ainsi dans l’amphithéâtre antique ces vierges livrées au bêtes. Et Jeanne aussi en effet à la première scène du drame est livrée aux bêtes.
Mais peu à peu elle prend le dessus, de rien chargée que de son sens, répond à une oreille de plus en plus attentive et qui s’est mise à comprendre. Tout ce qu’elle a fait, toute cette entreprise qu’obéissant à l’inspiration d’en haut […] Et peu à peu l’ambiance se transforme. Ce n’est plus le doute, l’injure, les cris de l’incompréhension et de la haine. C’est la foi, c’est l’enthousiasme. “Il y a la joie qui est la plus forte – il y a l’espérance qui est la plus forte. Il y a l’amour qui est le plus fort”. – Le feu prend de toutes parts comme dans le cantique de Saint-François […]
Et toute la pièce se termine par ces paroles trois fois répétées à une profondeur de solennité sans cesse accrue : 
Personne n’a un plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’il aime
4-1-51
P. Claudel »


Le manuscrit de Jeanne au bûcher a disparu. Il ne reste aujourd’hui qu’une dactylographie du texte (aujourd’hui à la Fondation Paul Sacher à Bâle en Suisse), et notre manuscrit évoquant cette œuvre passionnante.
Oratorio lyrique en 11 scènes de Paul Claudel et Arthur Honegger, la première version pour orchestre de Jeanne au bûcher fut donnée le 12 mai 1938 à Bâle, en Suisse, sous la direction de Paul Sacher avec Ida Rubinstein dans le rôle de Jeanne. La première représentation française eut lieu au Théâtre municipal d’Orléans, lieu ô combien symbolique, le 6 mai 1939. L’œuvre connut autant de succès qu’en Suisse et Ida Rubinstein fut encensée par toutes les critiques.

Dans Jeanne au bûcher, la structure du dithyrambe, que l’on retrouve tout au long du théâtre claudélien, n’a jamais été plus évidente. Claudel fait une passion de l’histoire de Jeanne d’Arc, dont l’aventure est spirituelle. Il lui faut consentir à une mort horrible. C’est ce passage du sacrifice subi au sacrifice consenti qui intéresse Claudel et qu’il explique dans le présent manuscrit.

On joint :
Le livret original (18,2 x 32 cm) de la première représentation française au Théâtre municipal d’Orléans du 6 mai 1939, tiré à 500 exemplaires (notre exemplaire est le n° 186)

Bibliographie :
Paul Claudel, Théâtre, éd. J. Madaule, Pléiade, t. II, p. 1530
Claudel metteur scène, éd. J.B Moraly, Presses universitaires franc-comtoises

Provenance :
Archives Charavay (n° 2054)