COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « ta Colette » à Marguerite Moreno
[La Treille Muscate – Saint Tropez, septembre 1929], 4 pp. in-4°

« Elle a des chemises de garçon et des seins de jeune négresse, – les plus beaux, quoi. Et elle nage sous l’eau comme un petit requin »

EUR 1.500,-
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Fiche descriptive

COLETTE, Sidonie-Gabrielle (1873-1954)

Lettre autographe signée « Ta Colette » à Marguerite Moreno
[La Treille Muscate – Saint Tropez, septembre 1929], 4 pp. in-4° sur papier bleu
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée
Traces de pliures d’époques dues à la mise sous enveloppe
Quelques décharges d’encre sur le premier feuillet témoignant d’un pliage de Colette alors que l’encre n’était pas encore sèche.

Longue lettre, d’une grande liberté de ton et de style, évoquant entre autres sa fille, ses vendanges et son désir de retour prochain à Paris 


« Ta lettre arrive, dans le moment où je pensais : “Je ne sais rien de Marguerite”. Tout est bien comme je l’imaginais autour de toi. Et mes remords aussi sont à leur place.
Ma fille est arrivée. Elle aussi est bien en place. Heureux âge que l’assurance ! Elle aura eu des vacances ruineuses et merveilleuses : un mois d’Angleterre campagne et Londres. une quinzaine en Limousin, trois semaines à St Jean de Braye, et le reste en Provence. Elle exulte. Songe donc ! elle a voyagé seule tout le temps ! Un phono-valise de 12 kilos la suite comme son ombre. Elle a des chemises de garçon et des seins de jeune négresse, – les plus beaux, quoi. Et elle nage sous l’eau comme un petit requin. Et elle conduit n’importe quelle voiture,- sauf la Talbot que je préserve à grands cris. Mais elle conduit bien, et fait les manœuvres de rangement et de garage avec fierté.
De moi, rien, ma Marguerite. Rien que cette vie physique, qui me convient si bien. Le cœur et les reins sont très gentils cette année, malgré la chaleur, et Paris va déshonorer les chevilles qui, ici, sont redevenues montrables. Je m’ennuie de Maurice [Maurice Goudeket, son dernier époux], il s’ennuie de moi. Le 18, ma chère âme, je prends le train. Nous reprendrons nos habitudes, Dieu merci. Mais à heure entres-tu en scène ? Ça m’intéresse très fort.
Les orages commencent mais ma vendange est faite. 1500 litres environs, et qui promettent d’être suaves. Quand je coupe ces grappes compactes de raisin distingué,- du grand ovale, du picardau, raisin de luxe,- sur cette vieille vigne, je me dis qu’à Paris ils n’en ont pas de pareil sur les tables de riches.
J’ai vendangé le 9 septembre.
Tant mieux que Pierron soit là-bas ! Ton souci de lui est moins grand que si ce fin paysan languissait à Paris. Je te plains, ô ma tête fendue !… Demain je vais peut-être chez [Léon] Bailby, avec ma fille. La chatte a un petit bâtard des Mesnuls [Colette loue à son ami Luc-Albert Moreau une villa aux « Mesnuls » en 1929], sombre, velouté, tigré très foncé. Et la chatonne n’a jamais voulu rompre avec sa vie citadine et dégoûtée. Elle mange, toute seule, dans la “salle à manger” (nous mangeons sous le couvert de glycines), se sauve poursuivie par le vente, et ne veut pas se coucher par terre parce qu’il y a des fourmis.
Ma fille te salue, et je t’embrasse de tout mon cœur. À dans huit jours… C’est bon et c’est mauvais à penser.
Ta Colette »


L’abandon avec lequel Colette se livre ici est caractéristique des lettres adressées à son amie et confidente Marguerite Moreno, figurant parmi les plus belles de son abondante correspondance. L’affection entre les deux femmes est totale, si bien que leurs échanges épistolaires couvrent en tout 46 années, jusqu’en 1954, une semaine avant de décès de l’écrivaine. Aussi vagabonde que Colette à cause de répétitions théâtrales et représentations à l’étranger, Marguerite suscite chez son amie des aveux systématiques de regrets et d’impatience, tant les retrouvailles lui sont précieuses.
Au crépuscule de cet été 1929, Colette se plaît ainsi à évoquer sa « vie physique » qui lui sied tant, le parfum des longues soirées estivales sous la glycine de la terrasse, parmi les amis et les bêtes. Elle produit son propre vin dans sa propriété de la Treille Muscate, près de Saint Tropez, entre 1926 et 1938. Transformée en “vignerone”, elle veille au soin apporté au rendement, aux vendanges, se souciant des assemblages adéquats. Comme tout producteur qui se respecte, Colette ne déroge pas à la règle et semble avoir une préférence pour son propre vin. On retrouve par ailleurs intacte la fascination physique et matérielle qu’exerce sur l’écrivaine sa fille unique, Colette de Jouvenel, 16 ans. L’adolescente cultive une apparence et une attitude « à la garçonne », caractéristique des années folles.

Provenance :
Bibliothèque Marc Loliée
Collection Galy

Bibliographie :
Lettres à Marguerite Moreno, éd. Claude Pichois, Flammarion, 1959, p. 203-204