[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « G.S. » à Eugène Delacroix
[Paris] Cachet postal [23 décembre 1841], 1 p. 1/2 in-8°

« J’ai vu vos femmes d’Alger »

EUR 3.600,-
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Fiche descriptive

[DELACROIX] SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe signée « G.S. » à Eugène Delacroix
[Paris] Cachet postal [23 décembre 1841], 1 p. 1/2 in-8°, à son en-tête, gaufré « G.S »
Adresse autographe sur la quatrième page (cachet de cire) : « Monsieur Delacroix rue des Marais S[ain]t Germain, 17 »

Riche lettre de Sand à son ami Delacroix sur ses envies d’écrire « quelques pages sur la peinture », les Femmes d’Alger, son mépris pour l’école ingresque et autres actualités artistiques


« Vous avez bien fait, cher ami, de ne pas venir à l’Opéra. C’était ennuyeux à crever malgré la beauté et la pompe du spectacle. J’espère que vos truffes vous auront donné de meilleures inspirations musicales que la reine de Chypre n’en a donné à Mr Halevy.(1)
Venez ce soir comme vous me l’avez promis. J’ai à vous parler sur des matières artistiques !!! [le mot est entouré par Sand d’un triple trait de plume]. Sans plaisanterie, j’écris quelques pages sur la peinture, et j’ai besoin de vous pour savoir si je ne déraisonne pas. (2)
Bonjour et bonne nuit. Il est 6h du matin. Vous devriez venir dîner avec nous. Nous avons embelli notre existence d’un pot-au-feu quotidien et avec le dîner de l’anglais(3) et du bon café c’est supportable.
G.S.
La Lélia(4) avec son moine et son mort, me frappe et me plaît de plus en plus, c’est ce qui m’a mise en veine d’écrire sur la couleur et ce qu’il faut entendre par la forme. Avec ça j’ai vu vos femmes d’Alger(5) ce matin. Si vous m’encouragez, je suis capable de faire le prochain salon dans notre revue [La Revue indépendante], et vous savez que je ne caponnerai pas [ne se montrera pas lâche] avec tout cette école silhouettiste(6) qui se dit en possession du dessin ».


[1] La Reine de Chypre, opéra en cinq actes de Halévy sur un livret de Saint-Georges, a eu lieu la veille, le 22 décembre 1841. À l’inverse de George Sand, Richard Wagner, qui fut également présent à la première, jugea la musique « noble, émue et même nouvelle et exaltante », même s’il critique les défaillances d’Halévy qui aboutirent à une orchestration simple.
[2] Dans Horace, que George Sand est alors en train d’écrire, elle met en scène un rapin, élève de Delacroix, mais on n’y trouve pas les « quelques pages sur la peinture ». S’agit-il  d’un article destiné à la Revue indépendante – qu’elle vient de créer – mais auquel elle aurait renoncé ? Le mot écrit en post-scriptum confirme bien qu’il s’agit d’une réflexion esthétique qui porte sur la « couleur » et la « forme ».
[3] Allusion possible à un restaurateur ou à un traiteur anglais fréquenté par George Sand.
[4] Lélia avec son moine et son mort est la troisième œuvre offerte par Delacroix à George Sand pour les étrennes de 1842. Il s’agit d’un pastel représentant Lélia agenouillée près du cadavre de Sténio, pendant que le moine Magnus, « dans l’ombre, adossé avec raideur au mur de la grotte, dardait sur elle ses yeux étincelants ». Le sujet a été traité plusieurs fois par Delacroix.
[5] Il s’agit des Femmes d’Alger dans leur appartement, tableau présenté au Salon de 1834, où il fait sensation. Synthèse d’orientalisme et de romantisme, ce tableau exprime une profonde « mélancolie » pour le poète et critique d’art Baudelaire.
[6] George Sand désigne l’école d’Ingres en parlant « d’école silhouettiste ». On connaît l’adversité entre les deux peintres qui anima la scène artistique du XIXe siècle. L’écrivaine avait résolument pris le parti de Delacroix, celui de la « forme » et de la « couleur ».

Provenance :
Achille Piron (légataire universel de Delacroix)
Bibliothèque Marc Loliée

Bibliographie :
George Sand – Correspondance, t. V, Lubin, Garnier, p. 529-531, lettre n°2369
Correspondance, éd. Françoise Alexandre, Les éditions de l’Amateur, p. 117-118, n°50