DESBORDES-VALMORE, Marceline (1786-1859)
Poème autographe signé « Mᴺᵉ Valmore Desbordes »
S.l, 15 avril 1841, 3 pp. grand in-4°
« C’est de là que vous vient le flot pur d’harmonie / Organe transparent de l’âme et du génie »
Fiche descriptive
DESBORDES-VALMORE, Marceline (1786-1859)
Poème autographe signé « Mᴺᵉ Valmore Desbordes »
S.l, 15 avril 1841, 3 pp. grand in-4° (20,9 x 26,5 cm)
Quelques décharges d’encre de la main de Desbordes-Valmore, cachet de collection en marge inférieure de la première page
Admirable poème élogieux composé à l’occasion de la représentation d’adieux de son amie la comédienne Mademoiselle Mars à la Comédie-Française, le 31 mars 1841
Provenant des collections de Saulcy et Marc Loliée
« La seule femme de génie et de talent de ce siècle et de tous les siècles en compagnie de Sapho peut-être… » (Paul Verlaine, Les Poètes maudits, 1888)
Le présent manuscrit laisse apparaître de nombreuses variantes avec le texte publié.
Outre de nombreux remplacements de mots, Desbordes-Valmore a retiré 12 vers du troisième groupe de vers, 8 vers du quatrième groupe, puis a entièrement retiré le huitain que constituait le neuvième groupe.
« Quoi ! les Dieux s’en vont-ils, Madame ? et votre France
Verra-t-elle ce soir tomber sans espérance
Sur sa plus chaste idole un envieux rideau,
Comme un voile jaloux sur un divin flambeau ?
Belle ! chaste ! au milieu de la foule idolâtre,
Qui dès l’aube, en silence, erre au pied du théâtre,
Vous voilà toute libre, ô Mars ! et vous parlez ;
Et votre voix vibrante, au fond des cœurs troublés,
Porte l’enchantement, le désir, la mémoire,
Et tout, pour vous répondre, a crié : “Gloire ! gloire !”
En vain — votre sourire, aux anges dévolu,
Vient de dire à la foule : Adieu ! je l’ai voulu.
Et voyez : cent beautés, plus belles de leurs larmes,
Ont arraché leurs fleurs pour en couvrir vos charmes ;
Comme dans la reine inclinant leurs beau corps,
Leurs mains ont frappé l’air d’indicibles transports ;
Et tout ce que l’Europe enferme d’harmonie
Prête à ce dernier soir sa noblesse infinie !
puis, saluant de loin votre front qui rayonne,
Ont fait voler sur vous couronne sur couronne
“En avez-vous assez !”, Madame, et verrons-nous,
Devant plus de génie un grand peuple à genoux ?
Demain, de leurs transports doucement apaisée,
Rêveuse, et sur vous-même un instant reposée,
Vous pourrez, rendant grâce au Dieu qui vous forma,
Vous écrier : Vivre est doux : on m’aima.
Oui ! tout ce que Dieu fit à la grâce accessible,
À l’amour incliné, vous le rendez sensible.
Vive comme l’oiseau, jeune comme l’enfant,
Vous portez à la lèvre un rire triomphant.
On sent que le cœur bat vite
Sous ce corsage enchanteur.
On sent que le Créateur
Avec amour y palpite.
Vous feriez pleurer les cieux,
Quand votre âme souffre et plie
Et votre mélancolie
Désarmerait l’envieux.
Une musique enchantée,
Où vous passez, remplit l’air.
Votre œil noir lance l’éclair
Comme une flamme agitée.
Au bruit ailé de vos pas,
Les âmes deviennent folles,
Et vos mains ont des paroles
Pour ceux qui n’entendent pas.
C’est qu’à votre naissance où dansèrent les fées,
Ces donneuses de charme, à cette heure étouffées,
Chacune, d’un baiser, pénétra vos yeux clos,
Et mena le baptême au doux bruit des grelots.
Elles avaient rompu l’exil et maint obstacle,
Pour unir leur puissance en un dernier miracle
Sur l’enfant demi-nu leur essaim palpita,
Et dans votre âme ouverte, une d’elles chanta.
C’est de là que vous vient le flot pur d’harmonie
Organe transparent de l’âme et du génie.
C’est de là, dans vos pleurs, que des perles roulaient,
Et dans vos yeux profonds que les muses parlaient.
Vos marraines fuyaient, que vous dormiez encore
Au tumulte charmant de leur départ sonore ;
Et vous aviez rêvé, pour ne pas l’oublier,
Qu’aux arts un doux sabat venait de vous lier.
Mais votre ange gardien, vous couvant sous son aile,
Effrayé de ces dons pour votre âme éternelle,
Baisant votre front, dans sa craintive ardeur,
L’inonda pour toujours de divine pudeur !
Et toujours, à travers l’insaisissable voile,
Tout soir, à notre ciel, allumait votre étoile.
Qu’importe sous quel nom elle allait s’éclairer ;
Vous étiez la lumière, il fallait l’adorer.
Mais quoi ! les dieux s’en vont, Madame, et notre France,
Pour la première fois a vu sans espérance
Se refermer le temple où l’astre se voila,
Où tout dira longtemps : « Silence, elle était là ! »
Mᴺᵉ Valmore Desbordes »
Ayant mené une brève carrière théâtrale sous l’Empire, Marceline Desbordes rencontre Prosper Valmore (1793-1881), qu’elle l’épouse en 1819. Suite à des publications de poèmes dans des « keepsakes » et périodiques dans les années 1810, sa carrière de poète est définitivement lancée en 1822 avec son premier recueil à succès, sobrement intitulé Poésies. Le métier d’acteur de son mari lui permet en parallèle d’entretenir de nombreux liens avec le monde du théâtre. Appartenant à la même génération que celle de Mademoiselle Mars (1779-1847), elle se lie d’amitié avec celle qui fut l’une des comédiennes les plus consacrées de son époque. Marceline lui adresse à cet égard un émouvant envoi au moment de la parution des Pleurs, son recueil paru en 1833 : « avec une tendresse aussi vraie qu’elle même, ce sentiment d’admiration pure a versé beaucoup de bonheur sur ma vie. Je ne lui offre que ce qu’elle m’a aidé à deviner ». Le présent poème est dédié à la comédienne à l’occasion de la représentation d’adieux de celle-ci le 31 mars 1841, donnée à la Comédie-Française (dont elle était sociétaire depuis 1795). Mademoiselle Mars tint pour l’occasion le rôle de Silvia dans Jeu de l’amour et du hasard, comédie en trois actes de Marivaux.
Reconnue pour son génie poétique, Marceline Desbordes-Valmore demeure une figure centrale du courant romantique, dont l’œuvre est emplie de liberté et d’innovation stylistiques. Elle laisse une postérité considérable à ses successeurs et admirateurs tels Baudelaire, Verlaine ou Robert de Montesquiou.
Le présent poème parait en 1843 dans le recueil Bouquets et prières, sous le titre « Mademoiselle Mars ». Le rajout du déterminant signifie-t-il que Marceline Desbordes-Valmore en ait fait cadeau à l’intéressée ?
On connaît un autre poème dédié à son amie et portant un titre quasi analogue : « À Mademoiselle Mars », publié chez son précédent éditeur Ladvocat, dans son recueil Élégies et poésies nouvelles, en 1825 (p. 172).
Provenance :
Collection de Saulcy (cachet humide)
Bibliothèque Marc Loliée
Collection H.D.
Bibliographie :
Bouquets et prières, éd. Dumont, 1843, p. 199-204