DORVAL, Marie (1798-1849)
Ensemble de vingt-deux lettres autographes, dont trois signées, à Alfred de Vigny
[Paris, Reims, Versailles et Rouen], 72 p. en divers formats, deux enveloppes autographes
« Tous les mots de ta lettre sont autant de coups de couteau dans mon cœur »
Fiche descriptive
DORVAL, Marie (1798-1849)
Ensemble de vingt-deux lettres autographes, dont trois signées, à Alfred de Vigny
[Paris, Reims, Versailles et Rouen], 72 p. (en divers formats) in-8°, in-12 et in-24°, deux enveloppes autographes
Quelques petits défauts et bris de cachet
Remarquable ensemble de vingt-deux lettres à son amant Alfred de Vigny, datant pour l’essentiel du premier semestre 1833
Entre déclarations enflammées, tromperies et crises de jalousies, cette correspondance témoigne de la période d’amour la plus ardente entre les deux amants
Marie Dorval connaît ses premiers succès en tant qu’actrice dans les années 1820. Elle devient la maîtresse de Jean-Toussaint Merle, directeur du théâtre Porte-Saint-Martin, de 1822 à 1826, avant de l’épouser en 1829. Bien qu’un attachement sincère les aient toujours liés, les deux époux se donnèrent une liberté mutuelle dans leur vie de couple. La consécration artistique de l’actrice intervient en 1831, au moment de jouer le rôle d’Adèle dans la pièce Antony de Dumas, faisant d’elle l’incarnation du drame romantique : « Elle avait un talent tout passionné. L’art lui venait de l’inspiration ; elle se mettait dans la situation du personnage, elle l’épousait et devenait lui » (Th. Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt ans, Hetzel, 1858, t. 1, p. 322).
Marie Dorval avait déjà connu de nombreuses épreuves et amours déçus avant qu’Augustin Soulié ne la présente à Alfred de Vigny, en 1830. Si l’essentiel de la correspondance qui nous est aujourd’hui parvenue sont les lettres de l’actrice, on observe aisément que celles du premier semestre de l’année 1833 explicitent l’apogée de la liaison ardente unissant les deux amants. Marie Dorval voue une dévotion sans limite pour le poète, allant jusqu’à la soumission. Dans une prose sublimée par la spontanéité, elle le glorifie, s’excuse, se justifie. Vigny est lui rongé par la jalousie. De nombreux orages viennent ainsi rapidement jalonner leur relation. Marie a dû accepter, pour raisons financières, des tournées en province pour Antony entre autres, ne faisant qu’attiser les suspicions maladives de Vigny. Elle entretient des liaisons avec Alexandre Dumas, Jules Sandeau, tout en nourrissant une intimité plus qu’équivoque avec George Sand, provoquant l’ire du poète. En parallèle, les nombreuses escapades de Vigny eurent raison du feu passionnel de leur amour. La mort de Mme de Vigny, en 1838, porte le coup de grâce à une relation depuis longtemps déclinante et sans saveur.
Lettre autographe, [Paris, mardi 12 février 1833], 2 p. 1/2 petit in-8° :
PREMIÈRES DÉCLARATIONS ENFLAMMÉES : MARIE DORVAL DONNE RENDEZ-VOUS CHEZ ELLE À SON AMANT ALFRED DE VIGNY, EN L’ABSENCE DE SON MARI
« MON MARI NE DÎNE PAS CHEZ LUI TU PEUX VENIR SITÔT QUE TU LE VOUDRAS »
« Mon Alfred, on ne joue pas de tragédie ce soir aux [Théâtre] Anglais. Ce n’est pas la peine d’y aller, viens chez moi mon amour. Je suis si heureuse depuis hier ! J’ai de l’amour pour toi comme cent mille femmes. Je voudrais bien que nous puissions aller à la Porte-Saint-Martin [on y jouait Lucrèce Borgia de Victor Hugo]. Je vais tâcher. [la lettre a été interrompue, le temps d’aller chercher des places au théâtre]
Mon amour, j’ai une loge de six places. Veux-tu venir avec quelqu’un de tes amis ? 2ième de côté n° 50. On commence à 7 1/2. Je tiendrais beaucoup à ce que tu visses la fin du 1er acte. Mon mari ne dîne pas chez lui, tu peux venir sitôt que tu le voudras.
Je vais porter moi-même cette lettre.
À ce soir donc. Je vous baise, je vous rebaise comme hier. »
Cette lettre de l’actrice est la première connue succédant à la fameuse épître érotique du poète du 7 janvier 1833, souillée par lui de sa semence.
Acquise par le collectionneur Alfred Bégis pendant la seconde moitié du XIXe siècle, ce dernier la revendit à M. Chéramy. Au décès de Chéramy, le directeur du Gaulois, Arthur Meyer, fait retirer la lettre de la vente Chéramy pour être détruite par les soins des notaires Delapalme et Dutertre. C’est sans doute le célèbre marchand Charavay qui fait prendre in-extremis la photographie par laquelle nous connaissons aujourd’hui cette lettre scandaleuse du poète.
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Lettre autographe, s.l [jeudi 14 février 1833], 1 p. in-8° :
Infime manque en marge gauche
« Cher ami, tu sais combien j’ai de désir de voir Smithson [l’actrice Harriet Smithson qui tenait alors le rôle d’Ophélie dans Hamlet, et qui épousa Berlioz la même année]. Voici M. de Custine qui vient m’enlever. Il voulait aller te prendre chez toi j’ai pensé que cela ne te serait pas très agréable mais je compte que tu viendras me retrouver n’est-ce pas mon ange ? Je te baise tant que je peux. »
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Lettre autographe, s.l [lundi 18 février 1833], 6 p.1/4:
PASSION TOUJOURS PLUS GRANDISSANTE ET PREMIÈRES JALOUSIES RÉCIPROQUES
« QUE JE T’AIME ! QUE JE SUIS JALOUSE, QUE JE SUIS MISÉRABLE D’EN ÊTRE VENUE À COMPTER TES CARESSES, À NIER TES SOUFFRANCES »
« Cette journée qui a été bien triste pour moi a fini par le plus grand chagrin de tous, la crainte de te savoir malade. À 8h 1/4 l’impatience m’a pris ; à 8j 1/2 la fièvre ; à 9h, je suis montée avec Jenette [Jeannette, la domestique de Marie Dorval] pour ne pas rentrer sans t’avoir trouvé, sans avoir un mot de toi, de toi, mon tourment ! Mais quelle fatalité, quel malheur ai-je maintenant sur moi, que tu ne crois plus à mon amour quand j’en suis si entièrement, si cruellement possédée je t’assure mon Alfred. Oui je sens que je ne suis plus aimable, et j’en souffre horriblement et je ne suis prendre sur moi.- tu ne sais pas comme je pleure la nuit. Je deviens sauvage et méchante et cependant non, car tu n’es pas au bas de mon escalier que je dis : mon Alfred ! Mon pauvre cher ange ! et mille tendresses dont tu n’as pas l’idée et mon cœur est tout attendri du chagrin que je t’ai fait et que tu emportes avec toi. Ah que je suis malheureuse. Que je t’aime ! que je suis jalouse, que je suis misérable d’en être venue à compter tes caresses, à nier tes souffrances, à toujours douter, toujours craindre, à n’être jamais en repos avec toi ni avec moi-même. Sauve-moi de tout cela ma bonté ! Je t’aime comme on ne t’a jamais aimé, crois-le, crois-le, pour mon bonheur, pour ma vie, tu en aurais de cruelles preuves si tu m’ôtais ou si tu partageais ton amour. Mon ange écris-moi quelques fois, c’est peut-être cela qui fait tout le mal, ce sont tes lettres qui me manquent […] Tu me dis que tu viendras demain, et le soir au bal [le bal du Mardi gras au théâtre de la Porte-Saint-Martin, dont Marie Dorval était commissaire]. Ah ce bal ! je me recommande à toi mon Alfred si tu n’es pas le meilleur des hommes je suis une femme perdue. Je t’en supplie sois le plus glacé, le plus fermé à toutes coquetteries.- Je ne veux pas que tu me quittes, je veux que tu sois toujours du côté où je serai, je me promènerai avec toi, et je te les nommerai toutes [les autres actrices de la Porte-Saint-Martin, parmi lesquelles figurent notamment Juliette Drouet]. […] Pour moi je ne danserai qu’avec qui tu voudras, et je serai bien bonne pour toi. Pour M. de Custine sans doute il n’y sera pas […] Je n’ai pas mis la moindre importance à ce que j’ai fait, et c’est ta faute si ce n’est pas avec toi que j’ai été voir Smithson. Si tu étais venu aux Anglais nous l’aurions été voir ensemble dans sa loge, et ensuite ensemble chez elle [voir la lettre précédente du 14 février]. […]
Je te donne mille tendres caresses, je te baise ton front et tes mains, je te prie de me pardonner, de m’aimer et de me le dire mon cher amour pour me redonner confiance en moi et te rendre, nous rendre plus heureux. »
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« Double » lettre autographe, s.l [mercredi 20 et jeudi 21 février], 8 p.1/2 in-8° :
SOUPÇONS DU POÈTE, CRAINTES ET REMORDS DE L’ACTRICE
« TOUS LES MOTS DE TA LETTRE SONT AUTANT DE COUPS DE COUTEAU DANS MON CŒUR… JE TOMBERAI À TES PIEDS POUR TE DONNER MA VIE POUR QUE TU DISPOSES DE MOI »
« Que je déteste ce bal ! que tu me fais peur ! que se passe-t-il donc de si horrible en toi qui te fasse pâlir de la pâleur de la mort – c’est affreux. Je ne puis te voir ainsi. Je le tuerai cet homme qui t’a fait tant de mal. J’aurais voulu l’étrangler quand il s’est approché de moi ainsi [Marie Dorval a été surprise par Vigny (probablement non masqué) au moment où un homme tentait de l’embrasser]. Mais me soupçonner mon Alfred ! moi qui mourrai si je devais renoncer à toi ! moi perdre ton amour ! mais pour qui ? Mais cet homme est vieux et ridicule et il serait jeune et beau et y a-t-il quelqu’un au monde que je puisse préférer à toi ? Mais quoi ? tes injustes soupçons sur Fontaney, Maurice, M. de Custine et d’autres doivent te mettre en garde contre toi-même. – Mais qu’as-tu vu mon Dieu ! cet homme s’est approché de moi de façon à m’embrasser il est bien vrai. – Mais que me voulait-il ? Je ne le sais pas. Avait-il sa raison ? Je me suis troublée parce que je sentais ton regard sur moi, et plus troublée encore quand mes yeux se sont levés sur ton visage si pâle, que toute ma vie je le verrai ainsi. Tu as bien raison de dire que ta colère me ferait mourir – je ne la mérite pas mon Alfred. Sur ta vie qui est la mienne je n’ai point reçu de lettres. Ce serait donc une intrigue, un accord mais c’est affreux de penser cela ! Tu oublies tout. Mes »
[Marie Dorval interrompt sa lettre, écrite dans la nuit. Elle se sert d’un nouveau bifeuillet pour reprendre son propos à « 1h du matin »]
« 1h du matin
Je devrais mourir pour expier ce bal – la lettre me tue – t’avoir fait tant de mal (involontairement n’importe) et n’être pas là pour te calmer cela m’est horrible ! c’est le malheur éternel de ma vie de ne pouvoir être près de toi quand tu souffres […] Quel supplice ! enfin j’accepte tous les tourments de cette journée, de cette soirée, de cette nuit surtout ! Tous les mots de ta lettre sont autant de coups de couteau dans mon cœur. Oh si je te vois demain ! si je ne t’ai pas rendu malade je tomberai à tes pieds pour te donner ma vie pour que tu disposes de moi, je ne veux plus te voir ainsi. Ta figure est restée dans mon cerveau, là, et ne me quitte pas un instant – ta figure si pâle et si terrible au milieu de toute cette folie de carnaval. Ah j’ai ce bal en horreur ! je n’irai plus de ma vie au bal. Et tant de souffrances, de chagrins pour quoi ? Que j’ai de haine contre cet homme ! […]
Comme tout ce que je sens tombe froidement sur mon papier, moi je souffre, et ce que j’écris ne t’en peut donner l’idée – mais toi, toi, je te le dis, et je te vois, je te vois souffrir. L’impression que m’a causée cette lettre aujourd’hui est si profonde que je n’en pourrai revenir de longtemps – tu ne me connais pas, tu ne me connais pas.
J’espère que ce bon Soulié [Augustin Soulié, un familier de Marie Dorval] t’aura un peu calmé. Hélas je n’ai pu t’écrire ce que j’aurais voulu, car mon mari était là, Madame Sand se faisait annoncer [George Sand venait sûrement informer Marie Dorval de sa rupture imminente avec Jules Sandeau. D’où cette note de Vigny dans Journal d’un poète : « 21 février. Madame Sand vient à minuit chez une de ses amies et veut passer la nuit chez elle. Bizarre conversation » (Pl. t. II, 1948, p. 978)] […]
Je me suis toujours repentie de ce qu’on appelle un plaisir, cela nous a toujours coûté quelque chagrin, et tu as bien vu que toujours j’y ai renoncé de moi-même et par dégoût. »
***
Lettre autographe signée « Marie », s.l [mercredi 6 mars 1833], 2 p.1/2 in-8° sur papier bleu
Petit manque sur le second feuillet (bris de cachet) sans atteinte au texte
MARIE DORVAL SE SOUCIE DE L’ÉTAT DE SANTÉ DE MADAME DE VIGNY, VICTIME D’UNE ATTAQUE CÉRÉBRALE
« Cher enfant, je suis bien malheureuse de ce que tu me dis [Vigny rapporte dans son journal le jour-même : « ma mère, ma bonne mère a eu une attaque de paralysie sur tout le côté droit, joue, bras et jambes » (Pl., t. II, 1948, p. 979)] – je ne puis ni soutenir ton courage loin de toi, ni ranimer ton espoir puisque je ne vois rien ! –
Je te conjure mon Alfred de ne pas quitter ta mère un seul instant […] je saurai bien avoir de vos nouvelle si tu veux je pourrai aller te voir un instant rue Montaigne [les deux amants se retrouvaient au n°18 de la rue Montaigne dans une garçonnière louée par Vigny] quand tu le voudras.
Tu dois souffrir horriblement mon pauvre ami ! C’est un chagrin qui n’a point de consolation que celui de voir souffrir sa mère et de trembler pour elle ! […] Cher ange j’ai pour toi une prière éternelle dans le cœur. Ne te laisse pas abattre au nom du ciel je t’aime aussi comme une mère et n’oublie pas que ma vie est en toi. Je baise tes mains mon Alfred.
Je vais porter cette lettre moi-même.
Marie »
***
Lettre autographe, s.l [mercredi 6 mars 1833], 2 p.1/2 in-8° sur papier bleu
Petit manque sur le second feuillet (fragment conservé, cachet de cire rouge partiellement conservé)
« RANIME-TOI, CONSERVE TA FORCE, PROMETS-LE-MOI, OU JE MEURS »
« 8h. du soir. Mercredi.
Oh ! te savoir malheureux, te voir, et ne pouvoir aller à toi ! Juge cette douleur-là avec ton cœur. […] Elle était donc un peu mieux puisque vous avez pu sortir ? Cela m’a fait du bien à penser – et pourtant ce soir je suis accablée de tristesse, je donnerais mon sang pour ne pas partir [la comédienne allait donner des représentations à Reims], rester au moins dans le même air que toi et regarder vos murs ! – J’adresse au ciel mille vœux pour ta mère et pour toi, je donnerais ma vie pour te sauver un malheur. Ranime-toi, conserve ta force, promets-le-moi, ou je meurs […]
– Quelle misérable je suis ! Quand tu souffres ! Quand tu es malheureux je ne puis plus rien pour toi !
Jeudi, une h[eure]
Je cours chez toi – es-tu plus tranquille ? Qu’ont dit les médecins ? Vais-je trouver un mot de toi ? Je tremble, je meurs d’inquiétude ! »
***
Lettre autographe, s.l [vers le 12 mars 1833], 1 p. in-8° sur papier bleu
« Elle est mieux n’est-ce pas cher enfant ? On vient de me le dire […] Sûrement tu viendras à cette bonne rue Montaigne prendre mes lettres et m’en donner une. Ce soir je l’enverrai chercher. Dis-moi tes espérances, que je puisse passer une bonne nuit […] »
***
Lettre autographe, s.l [vendredi 15 mars 1833], 3 p. in-8°:
Petit manque (bris de cachet) avec petite déchirure et atteinte à une lettre
[Adresse autographe :] « Monsieur de Vigny »
« 2 h. du matin vendredi
En revenant de la rue Montaigne, comme j’avais de bonnes nouvelles, j’ai fait arrêter mon fiacre en face de la maison de ta mère […] Je désirais beaucoup savoir quelles étaient les fenêtres de son appartement afin de pouvoir autant que possible pénétrer dans cette chambre, où ma vie peut-être aussi à moi, était mise en question […]
Ne sois pas tourmenté de l’heure où je t’écris car cette nuit ce n’est pas l’heure où je pleure. Non, je suis tranquille. J’avais dit au portier de la rue Montaigne d’aller savoir ce soir des nouvelles, il est venu à 8h. et a dit que cela allait de mieux en mieux. Que tu es bon de me dire que mon écriture te fait du bien dis-le moi mon ami j’en ai besoin, moi qui suis accablée du sentiment de mon impuissance.
On te portera cette lettre demain (c’est-à-dire ce matin) j’aurai des bonnes, et de chères nouvelles j’espère – et je renverrai le soir. Et aussi pour avoir peut-être une lettre de toi.
Comme je t’aime. »
***
Lettre autographe, s.l [vendredi 15 mars 1833], 3 p. in-12° sur papier bleu
Petit manque angulaire, cachet de cire conservé
[Adresse autographe :] « Monsieur de Vigny »
« Mon pauvre ami du courage – ta lettre est désolante et je tremble aussi pour toi. Voudrais-tu donc me faire mourir. Cette femme [sans doute Jenette, qui faisait la liaison entre la comédienne et le poète] dit que tu es horriblement changé. Au nom du ciel pense à moi dans ta douleur – mon Alfred […]
Mon dieu mon ami mon dieu je suis désolée et ce départ [prochain départ de l’actrice pour Reims] – c’est affreux.
Je reviendrai demain. »
***
Lettre autographe, s.l [samedi 23 mars 1833], 1/2 p. in-8° sur papier bleu
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny / rue Montaigne n°18 »
DERNIÈRE ENTREVUE AMOUREUSE, LA VEILLE DU DÉPART DE L’ACTRICE POUR REIMS
« Il est 9h on me réveille avec ta lettre, allons mon Alfred tout va bien. Je suis bien heureuse […] Je serai à deux h. chez nous [à la garçonnière de Vigny au 18 avenue Montaigne]. Mon dieu que j’avais peur de partir sans te voir ! Je pars demain peut-être à 5h […] »
***
Lettre autographe, s.l, « Samedi 30 [mars 1833], 5 p. in-8° sur papier gris clair
Petit manque (bris de cachet, atteinte à deux lettres), marges droites légèrement effrangées, quelques mots biffés
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny / rue Montaigne n°18 / Paris »
MARIE DORVAL ÉVOQUE UNE JOURNÉE TYPE DURANT SA TOURNÉE PROVINCIALE. CETTE LETTRE EST LA SEULE DE SON SÉJOUR A REIMS À NOUS ÊTRE PARVENUE
« Tu me pardonneras mon ami de ne t’avoir pas répondu à toutes tes questions. Le pouvais-je ? Avais-je assez de tranquillité d’âme pour cela ? […] Mon chagrin ne peut cesser qu’avec le tien voilà tout ce que je sais. Comment ne sens-tu pas cela ? Pourquoi veux-tu que je te parle de notre chagrin ? Mon ange [ici deux lignes raturées (par Vigny ?) : “Je n’ai pas besoin de soupirer (?) non, tu n’as pas besoin de moi”]
Je mène ici une vie de fatigue qui ne serait pas tenable un jour de plus – aussi malgré leurs cris et leurs billets jetés sur le théâtre pour me faire jouer lundi je pars.
Voici ma vie de tous les jours. Je me réveille de très grand matin. J’étudie. À 8h j’ai mes lettres. J’écris. Je me lève à 10h. Je pars avec ma femme de chambre à 11h. pour la répétition. Ce matin j’ai répété : l’Incendiaire, la Femme colère et Antony. Je mets tout le monde en scène, je règle les décors. Et on compose la musique séance tenante d’après mes indications. Je te demande si je dis des paroles ! – À près de 4h je rentre, je dîne vite. Je fais mes caisses pour le soir et je joue deux pièces. À 11h je fais mes comptes de la recette avec le directeur et sa femme – nous faisons des paquets de contremarques jusqu’à minuit. Je rentre avec Joséphine et un garçon de théâtre qui marche devant nous avec une grande lanterne. Je soupe et je t’écris. – Et toujours ainsi. Sans jamais voir âme qui vive chez moi.
Quant à mes succès […] J’ai joué ce soir l’Incendiaire – jamais je n’ai vu chose pareille. Ils ont crié, pleuré. Enfin je suis bien obligée de te dire que c’est une rage. Je rejoue le rôle ce soir avec Antony et demain dimanche le même rôle avec Antony. Et puis adieu. Et bonsoir car je tombe.
Samedi 10h.
J’ai ta lettre. J’ai toutes tes lettres. Sois sûr que je respecterai ton chagrin et que je serai pour toi tout ce que tu voudras que je sois mon ami. Je sens bien à présent que c’est une amitié tendre qu’il te faut, et que l’amour avec ses jalousies, ses craintes ne ferait qu’ajouter à ton malheur. Ne crains plus rien de moi, je ne te gronderai plus jamais, je ne t’attendrai plus – et quand je te verrai j’en serai bien heureuse. Cher Alfred ! Si tu savais combien je désire ne plus être que ton amie – comme je serai bonne pour toi ! Tu me connaîtrais bien alors, tu verrais comme mon caractère est bon et gai. […]
Je serai mardi matin chez moi de très bonne heure. Si tu peux venir à 4 h. ou le soir ou le lendemain comment et où tu voudras je serai à tes ordres. […]
Allons adieu. Mes filles me disent qu’elles sont bien tristes de ne t’avoir pas vu. […] La tristesse qui veut bien recevoir des distractions n’est pas dangereuse.
Adieu mon ami. »
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Lettre autographe, s.l, « Samedi 30 [avril 1833], 2 p. in-8° :
Bris de cachet (fragment conservé)
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny »
RENDEZ-VOUS AU THÉÂTRE DES VARIÉTÉS AVANT UNE SOIRÉE AMOUREUSE
« Voilà donc Monsieur comme vous êtes chez vous. Ce matin à midi 1/2 vous étiez déjà sorti. – Ainsi c’est comme cela que vous ne venez jamais à l’heure de vos rendez-vous. Où étiez-vous donc ??…
Venez-vite me rejoindre aux Variétés où je suis avec mes enfants : loge de la galerie n°33. Comme la loge n’est plus bonne passée 7 1/2 je suis obligée de partir. Moi qui voulais vous faire dîner avec moi. Quand je vous dis qu’on ne peut pas vous avoir.
Je ne te verrai pas demain matin mon ange parce que j’ai rép[étition] et des démarches pour mes affaires, à terminer. Mais le soir je serai à toi pour, et comme, et où tu voudras. J’ai eu hier la visite du Monsieur en jupon [il s’agit de Astolphe de Custine]. »
***
Lettre autographe signée « M », [juin 1833 ?], 2 p. in-8° :
JALOUSIE DU POÈTE À L’ÉGARD DE GEORGE SAND
« Mon cher ange tu as dérangé tout le bonheur de ma journée en ne venant pas ce matin. Tu l’avais promis. Madame Sand est venue à 3 h 1/2 en me déclarant qu’elle passerait toute la journée avec moi. Comme je conservais encore l’espoir de te voir arriver je lui dis que j’étais indispensablement obligée de sortir à quoi elle a répondu qu’elle ferait une visite pendant le temps de mon absence et qu’elle reviendrait dîner et passer la soirée. Cela m’a fait redouter la visite de M. Planche, ou mille autres ennuis… J’ai préféré aller au spectacle avec Mme Sand. Nous avons une loge à l’Opéra-comique au rez-de-chaussée n°18. Viens nous retrouver. Je suis bien triste mon Alfred que tu aies tant de répugnance à aller dans notre pauvre petite chambre. – Enfin nous allons bientôt la quitter.
Je t’aime mon amour de toute mon âme. Ne me fais pas de chagrin, je t’en prie, en aucune façon.
M »
On connaît la jalousie féroce que nourrit le poète vis-à-vis de la relation équivoque entre son amante et l’écrivaine George Sand. Cette dernière envoie à la même époque une longue lettre d’amour à Marie Dorval (le 18 juillet 1833) demeurée célèbre et en haut de laquelle Vigny ajoute de sa main : « J’ai défendu à Marie de répondre à cette Sapho qui l’ennuie »
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Lettre autographe, [Versailles, 17 août 1833], 4 p. in-8° :
« TA VIE M’APPARTIENT »
« Oh ! cher pauvre petit ! mon Dieu je suis cause moi que tu n’étais pas là près de ta mère… Enfin la voilà mieux n’est-ce pas ? Je te prie de ne pas la quitter, surtout pour moi. Tu as été adorable hier, j’en ai été heureuse, et calmée […] Comme tu ne me donnes pas l’assurance de venir ici demain, je me décide à partir pour Paris ; que je puisse te voir ne fût-ce qu’un instant […] Si ta mère est très bien et que tu puisses partir avec moi, tu sais si j’en serai heureuse. Tu dînerais avec moi à Versailles et nous reviendrions ensemble après le spectacle […] surtout que jamais, jamais je ne te coûte un remords [voir notule infra]. Mais que je te vois demain le temps de te donner un bon, un long baiser […] Cher enfant viens que je te baise demain, que je te baise ou ton front, ou ta bouche, un baiser de sœur ou de maîtresse selon le temps, le lieu, la disposition où sera ton âme, cher Alfred. J’espère qu’elle sera calme, que tu ne craindras plus rien pour ta pauvre chère maman. […]
Ce que tu me dis, je te le dis, ta vie m’appartient. Tu le crois bien, n’est-ce pas mon ange ?
J’ai bien répété ce matin.
Tu as donc porté mon peignoir TOI-MÊME à la voiture. Oh que tu es donc gentil. Que je t’aurais donc baisé quand tu es entré dans ce bureau avec ton petit paquet à la main, TOI Monsieur Alfred de Vigny ! Cher Alfred ! C’est que c’est mon Alfred à moi. »
Vigny regretta plus tard amèrement d’avoir préféré aller retrouver son amante à Versailles plutôt que de rester au chevet de sa mère, qui fit fût victime entre temps d’une autre attaque. L’actrice le paiera cher.
***
Lettre autographe, [Rouen] « 21 août » [1833], 6 p. in-8° :
DES NOUVELLES DE SA TOURNÉE ROUENNAISE ET LE DÉSIR BRÛLANT DE RETROUVER SON AMANT
« ÉCRIS-MOI BIEN QUE TU M’AIMES, QUE TU ME BAISES »
« 11 h 1/2 du soir
Me voilà, me voilà, mon Alfred bien-aimé, mon cher ange, je viens à toi […] Tu sais quand je t’ai quitté – je suis rentrée chez moi il n’y avait personne. Je ne pouvais plus me soutenir, je me suis mise sur mon lit trois heures […] À dix h. du soir j’ai été répéter Antony… enfin, enfin à minuit, j’ai pu me mettre dans mon lit […] Veux-tu le savoir à présent que je t’ai dit que je t’aime et que tu sais que je me porte bien heureusement pour toi et pour moi, veux-tu savoir si ta chère Marie a été bien applaudie ? Et bien cher ange dis-leur à tout Paris, que jamais il n’y a eu d’exemple à Rouen d’un succès pareil à celui que j’ai eu ce soir ; ni Mlle Mars, ni Talma n’ont été redemandées après une première rep[résentation]. On n’avait jamais vu cela à Rouen […] Cela te fait-il plaisir ? Oh mon Alfred, tout cela aurait été à ton cœur n’est-ce pas, j’en ai joui pour toi. Je suis heureuse de te dire cela, je n’en ai été heureuse que parce que je savais que je te le dirais. J’espère que tu m’aimes tant ! J’ai été triste tout le long de la route, cela m’a fait de la peine de te quitter comme cela dans la rue, j’ai bien vu pendant tout le voyage à Versailles que tu étais bien préoccupé de ta mère, tu m’as fait un grand sacrifice de venir là mon enfant […] Je suis bien ici… le théâtre est charmant, bien éclairé. La troupe est très bonne, toutes les femmes sont jeunes et jolies, mises comme à Paris, et même mieux. Je rejoue Antony après-demain avec la Fausse Agnès […]
Ton nom a été prononcé ce soir dix fois sur le théâtre par tous ces braves jeunes gens qui ont applaudi ta chère Marie. J’ai été un peu heureuse ce soir […] Si tu avais du chagrin je me repentirais bien de te parler de tout cela, car tout cela ce n’est rien sans mon amour, sans le désir d’être quelque chose à tes yeux, qu’est-ce que tout cela me ferait ? C’est toi qui fait du bonheur de tout. Mon ange je couche dans la chambre et le lit de Paganini. Je fermerai cette lettre demain dès que j’aurai reçu ta chère tienne. Je vais dormir […] Écris-moi bien que tu m’aimes, que tu me baises, que tu m’aimais bien à Versailles, que tu seras fidèle, que tu n’iras pas au spectacle.
Jeudi matin
Point de lettre de toi cela me donne une grande inquiétude – penser qu’il faut attendre demain ! Aurais-tu trouvé ta mère plus malade, – je tremble de cela ! Adieu donc à demain, je n’ai plus le courage de te rien dire quand je n’ai point de lettre. »
***
Lettre autographe, [Rouen] « samedi soir 9 h. » [24 août 1833], 2 p. 1/2 in-8° :
Bris de cachet avec petite déchirure sans importance
[Adresse autographe :] « Monsieur / Alfred de Vigny / rue Montaigne n° 18 / Paris »
« JE T’EN SUPPLIE MON ALFRED ÉCRIS-MOI TOUJOURS, FAIS QUE JE NE SOIS PAS JALOUSE ! »
« J’ai été désolée toute la journée, jalouse. Je t’ai écrit une lettre [non retrouvée] que je fais partir avec celle-ci, car quand elle a été écrite ce matin je n’ai pas osé te l’envoyer. La voici pourtant elle te montrera quelle était mon agitation. Mais bientôt l’inquiétude a remplacé la colère, et je tremble qu’il ne te soit arrivé quelque malheur. Ah si tu m’aimes ! que jamais un jour, un jour ! ne se passe sans m’envoyer une lettre cela me tue et me jette dans des états violents que je ne puis réprimer. À la moindre crainte sur toi ou sur ton amour je perds la tête. Je t’en supplie mon Alfred écris-moi toujours, fais que je ne sois pas jalouse ! Je suis calme ce soir à l’instant où je t’écris et peut-être qu’une idée va me torturer toute la nuit. Ces palpitations que tu sais augmentent tous les jours, le cœur me bat d’une force incroyable, ce matin quand Joséphine est venue me dire que je n’avais point de lettre cet horrible battement m’a pris et m’a duré cinq minutes, c’est ainsi que je t’ai écrit cette lettre. […] Que je voudrais être à demain. Je suis obligée de fermer cette lettre si je veux qu’elle parte ce soir.
je t’adore. »
***
Lettre autographe, [Rouen] « 5 h dimanche » [25 août 1833], 3 p. in-8° :
« LE CŒUR ME BAT SI FORT QUE LA MAIN M’EN TREMBLE »
« Je perds la tête vois-tu quand je n’ai pas de lettre. Pardonne-moi pour cette fois et pour toutes les autres où je douterai de toi, tu es de même, tu es demeuré mon ange. Que tes deux lettres ce matin m’ont donc rendue heureuse ! Tout va bien quand je suis tranquille mon amour, autrement rien n’est plus pour moi, il n’y a que toi, tout n’est bien qu’à cause de toi. Je ne suis heureuse de ce qui m’arrive qu’à cause de toi. Les applaudisseurs de ce pays-ci ne sont quelque chose pour moi que parce que tu le sais et que tu en es heureux. Le cœur me bat si fort que la main m’en tremble.
Qu’est-ce donc que ce sang qui me vient là au cœur ? C’est qu’il voudrait aller à toi n’est-ce pas mon amour ? Mon cher bonheur. Je t’écris un mot seulement, il est cinq h. Je joue ce soir Les Enfants d’Édouard et la Femme colère […]
Mille baisers sur ta bouche chérie, ta bouche à moi que j’adore comme tu sais.
Qu’elle ne se pose sur rien au monde ! Je ne lui permets que le front de ta mère.
Cher Alfred à demain. »
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Lettre autographe, [Rouen] « Mardi » [27 août 1833], « au moment d’aller jouer » 4 pp. in-8° :
[Enveloppe autographe :] Monsieur / Monsieur Alfred de V. / Rue Montaigne, n°18 / Paris
[Cachets postaux :] Rouen – 27 août 1833 [départ] / 28 août 1833 [arrivée]
JALOUSIE ET DOUTES DE L’ACTRICE, NE SUPPORTANT PAS LES AMOURS DE JADIS DE SON AMANT
« ICI L’AIR ME REND JALOUSE. TU AS AIMÉ ICI UNE AUTRE QUE MOI, CETTE IDÉE M’EST ODIEUSE ! »
« Mon ange te voilà donc encore bien malheureux ! Mon Dieu que je te plains, et comment veux-tu que te sachant si occupé de ta mère j’aille te parler de théâtre. D’ailleurs tu sauras tout quand je t’aurai dit que c’est ici une adoration pour moi […] Seulement ils ne veulent pas que je les fasse rire après, je suis obligée de commencer par la pièce gaie. Ils veulent rester dans l’émotion du drame […] Ils disent que Talma ne serait pas venue leur jouer une farce après les avoir fait frémir, que Lamartine et de Vigny ne font pas de chansons, etc… Je te réponds que j’ai fait ici une belle révolution et qu’ils vont devenir des romantiques enragés. Tout le monde me fait amitiés ici, toutes les dames sont très bien et très jolies, je dîne quelques fois chez elles ou elles viennent chez moi. Mme Thénard des Français est ici, c’est la maîtresse de mon Antony [le comédien Alexandre], je la vois souvent. […] Ici je n’ai pas mon laisser-aller de Paris. On n’ose pas. J’ai vu tout ce qu’il y a à voir dans la ville, ces vieilles maisons et ces églises. Mais ici l’air me rend jalouse. Tu as aimé ici une autre que moi, cette idée m’est odieuse ! [Vigny avait été, on le sait, en garnison à Rouen d’avril à septembre 1821] et je prends cette ville en horreur ! Je ne suis pas riche de tes lettres ici non plus, mais enfin puisque tu ne le veux pas ! […]
J’ai reçu une lettre de mon mari qui me menace de venir à Rouen – il n’est pas encore parti. Le cœur me bat toujours et surtout à 5 h. du soir et jusqu’au moment où je me couche. Le lit me calme. Je suis horriblement fatiguée, et toujours à la répétition depuis dix h. du matin. Tu ne me dis pas de revenir – ne veux-tu plus de moi, ne penses-tu plus au moment de me revoir ? Faut-il continuer ma route sans revenir ? dis, dis. »
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Lettre autographe, [Rouen] « 28 août [1833] 5 h. du soir », « pour lui » 3 pp. in-24° :
Petit manque angulaire sans importance sur le second feuillet
« Mon pauvre ami ! Je n’ose pas me jeter au travers de tes chagrins, je n’ose pas t’écrire, que puis-je te dire puisque tu es si occupé de ta mère, tu ne me feras jamais te parler de théâtre dans ces moments-là […] Je n’ai plus de palpitations. Ne crains donc rien pour moi. Je suis brillante ici moi indigne que je suis, pendant que tu es malheureux… pardonne moi… ce n’est pas ma faute, c’est la tienne… Ah ! si tu pouvais me dire VIENS. »
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Lettre autographe signée « M », [Rouen 28 août 1833 », 4 p. in-8° :
DOUTES ET PEUR DE PERDRE SON « CHER ANGE »
« JE ME TROUVE INDIGNE DE TOI »
« Oh pardonne-moi cher ange ! Si je t’ai fâché pardonne moi. Mais je n’osais pas t’écrire. Je t’ai cru si occupé de ta mère, je l’ai crue si mourante, tes lettres (que je ne reçois pas tous les jours), et si courtes… si préoccupées… j’allais prendre le parti d’écrire à Soulié , pour t’éviter même la peine d’aller chercher mes lettres. Et comment avec cette idée pouvais-tu croire que j’allais causer théâtre avec toi […] Que je suis jalouse oh ! mais d’une jalousie qui ne doit pas t’offenser. Je n’ose plus parler de moi, je me trouve indigne de toi, inutile ; je me décourage, je ne puis t’écrire… Je sens que tu n’es plus à moi. Pardonne-moi de tout cela. Comme ta lettre a un air sévère ! Tu dis mon ange une fois seulement […] On vient de m’arracher de mon lit à dix h. du matin et je sors du théâtre à trois h. ne pouvant plus me soutenir […] Mon mari me dit qu’il va passer un jour à Rouen [Merle arrivera à Rouen le 30 août]. On me tourmente ici pour rester […] De tout cela c’est à toi que je viens. Je serai à Paris jeudi 5 au soir à 7 h. Je serai forcée de partir le lendemain […] Baise-moi, baise ta chère Marie qui t’aime, qui te le dira bien avec son âme jeudi. Ah ! sois tout à moi toute cette soirée.
M.
Soulié a dû aujourd’hui te porter une petite lettre de moi [voir la lettre précédente]. Dis lui de te montrer celle que je lui écris. »
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Lettre autographe, « [Rouen] vendredi 30 [août 1833] 1833 », 1 p. petit in-8° :
[Enveloppe autographe :] Monsieur / Monsieur Alfred de V. / Rue Montaigne, n°18 / Paris
[Cachets postaux :] Rouen – 30 août 1833 [départ] / 31 août 1833 [arrivée]
NOUVELLES REMONTRANCES DE L’ACTRICE SENTANT LES SENTIMENTS DE VIGNY POUR ELLE SE DISSIPER
« Tu vois mon cher enfant tu ne m’écris pas tous les jours – et pourtant ta mère est mieux – et ta dernière lettre était sévère. Tu vois que tu me fais de la peine. Je serai triste et malheureuse tout le jour ! Tu ne m’aimes plus tant. »
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Lettre autographe, s.l.n.d [1833 ?], 2 p. in-8° :
LETTRE INÉDITE À LA CORRESPONDANCE
« J’ai passé toute la nuit avec de grands yeux ouverts et fatigués d’avoir pleuré. Je ne vous envoie tout ce griffonnage que pour vous prouver que je dis vrai quand je dis que je souffre. Je ne sais plus ce que je vous ai écrit, mais je désavoue tout ce qu’il peut y avoir d’emportement ou de menace dans toute cette écriture. Il m’est arrivé bien souvent de vous écrire ainsi et de déchirer après – vous verrez si j’avais raison. C’est qu’aussi le plus souvent rien ne se trouvait sous ma colère. – Aujourd’hui ce n’est pas de même. Je trouve toujours dans le fond de mon cœur le chagrin que vous m’avez donné hier soir. Vous m’avez offensée. Ma raison me confirme ce que l’instinct m’avait fait pressentir. Croyez-vous pouvoir me détromper ? Le croyez-vous ? Faites-le donc. Ce soir écrivez-moi mais je ne veux pas vous voir, je suis décidée à ne jamais vous voir quand j’aurai du chagrin, vous ne me dites plus ce qu’il faudrait me dire et votre impassibilité me donne les fureurs que vous savez et qui me font bien mal, vraiment, les mots qu’on dit pour se justifier ne persuadent pas tant que la tendresse qu’on a dans les yeux, dans la voix – je ne veux pas vous voir. »
Provenance :
Collection particulière
Bibliographie :
Correspondance, t. II, éd. Madeleine Ambrière, Garnier, n° 33-15, 33-17, 33-21, 33-23, 33-28, 33-29, 33-32, 33-34, 33-37, 33-41, 33-45, 33-51, 33-67, 33-76, 33-77, 33-79, 33-80, 33-82, 33-84, 33-85, 33-89