FLAUBERT, Gustave (1821-1880)
Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Paule Sandeau
[Croisset], 1er 7bre [septembre 1861], 3 p. in-8° sur vergé bleu
« Vous verrez que ma prédiction se réalisera : mon bouquin ne fera pas grand effet »
Fiche descriptive
FLAUBERT, Gustave (1821-1880)
Lettre autographe signée « Gve Flaubert » à Paule Sandeau
[Croisset], 1er 7bre [septembre 1861], 3 p. in-8° sur vergé bleu à l’encre noire
Ancienne trace d’onglet sur la quatrième page, infimes corrosions d’encre sans perforation
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli d’origine
Menant une vie monacale à Croisset, Flaubert évoque la rédaction du quatorzième chapitre de Salammbô tout en se languissant de revoir sa correspondante
« Comme voilà longtemps que je n’ai entendu parler de vous ! – & qu’il est doux de vivre ainsi sans savoir si les gens qu’on aime sont morts ou vivants ? ! Où êtes-vous ? Que devenez-vous que lisez-vous ? etc. ? Allez-vous en vacances qque part ? à des eaux, à des bains quelconques ? – Ou bien êtes-vous restez-vous tout bonnement dans votre jardin ? – & cette fameuse Promesse de venir me faire une petite visite !..?…
Quant à votre esclave indigne, il continue à mener la même existence que par le passé une vie de curé, ma parole d’honneur ! Il me manque seulement la soutane. Quant à la tonsure et au reste, c’est complet !
Puisque vous êtes une personne littéraire et que vous vous intéressez à mes longues turpitudes, je vous dirai que le mois prochain j’espère commencer mon dernier chapitre. – Le tout sera, probablement, fini au Jour de l’An. Mais plus j’avance dans ce travail, plus j’en vois les défectuosités & plus j’en suis inquiet.
Je donnerai, je crois, aux gens d’imagination l’idée de qque chose de beau. Mais ce sera tout, probablement ? Bien que vous m’accusiez de manquer absolument de bon sens, je crois en avoir dans cette circonstance. Or vous verrez que ma prédiction sera se réalisera : mon bouquin ne fera pas grand effet.
Eh bien, vos amis sont décorés : Nadaud & Énault. Énault & Nadaud [Le chansonnier Gustave Nadeau (1820-1893) ; pour Louis Énault. Ils fréquentaient sans doute le salon de Paule Sandeau]. Quel duo ! quel attelage ! En voilà qui trouvent l’art de plaire ! – & aux Dames surtout.
Je ne sais pas d’autre nouvelle. – car je ne vois personne & je ne lis rien – de moderne du moins – & avec tout cela je ne m’amuse guère.
Écrivez-moi un peu, afin que j’aie une petite illusion – & que je me croie à vos côtés, quand nous sommes seuls.
Adieu. Ne vous ennuyez pas trop.
Songez à moi, dans vos moments perdus. & laissez-moi vous baiser les mains
bien longuement
À vous
Gve Flaubert »
Flaubert termine son quatorzième chapitre le 19 novembre 1861, comme il l’évoque dans sa lettre à Jules Duplan à la même date. C’est en réalité l’avant dernier chapitre et non le dernier (qui est un épilogue).
Le roman, qui parait chez Michel Lévy frères le 24 novembre 1862, connaît un succès immédiat auprès du grand public. En dépit des réserves émises par Sainte-Beuve, Flaubert reçoit de nombreux encouragements de ses confrères parmi lesquels George Sand, Hector Berlioz ou Victor Hugo, qui lui écrit depuis Hauteville-House, le 6 décembre : « Je vous remercie de m’avoir fait lire Salammbô. C’est un beau, puissant et savant livre. Si l’institut de France, au lieu d’être une coterie, était la grande institution nationale qu’a voulu faire la Convention, cette année même vous entreriez, portes ouvertes à deux battants, dans l’Académie française et dans l’Académie des Inscriptions. Vous êtes érudit de cette grande érudition du poète et du philosophe. Vous avez ressuscité un monde évanoui, et à cette résurrection surprenante vous avez mêlé un drame poignant […] »
Très proche de Jules et Paule Sandeau, Flaubert entretient une riche correspondance avec le couple jusqu’à sa mort, en 1880. On ignore si Paule Sandeau et Flaubert furent amants. Les formules équivoques employées dans cette lettre pourrait ne laisser aucun doute si l’on ne connaissait le ton séducteur de l’écrivain auprès de la gente féminine.
Maxime Du Camp, ami de jeunesse et intime de Flaubert, adresse une lettre à ce dernier quelques jours plus tôt, le 5 août 1861 :
il écrit : « J’ai vu plusieurs fois la mère Sandeau avant mon départ [pour Baden-Baden] : elle a vraiment beaucoup d’affection pour toi, et elle m’a touché, elle a remué mon vieux cœur par la bonne façon dont elle parle de toi. Elle est bien bonne femme, douce et serviable ; mais je suis de ton avis, il y a ce sacré nez ; depuis que tu m’en as parlé, il me semble plus long qu’autrefois. Je crois que cela lui ferait plaisir de casser une croûte de sentiment avec toi. Baste ! fais un effort et casse-là, nez en plus ou nez en moins, qu’est-ce que cela fait ? Baise-la en levrette, le chignon cachera le pif. » (Pléiade III, Appendice I, p. 840).
Provenance :
Paule Sandeau
Puis Alidor Delzant, qui témoigna par écrit : « Ces lettres m’ont été confiées par Madame Jules Sandeau quelques jours avant sa mort. Paris, 20 avril 1885. A.D. »
Puis M.L.M
Bibliographie :
Revue de Paris, publ. par A. Dorderet, 15 juillet 1919, p. 236-237
Œuvres complètes, éd. L. Conard, Paris, T. IV, p. 446-447
Correspondance, éd. J. Bruneau, Pléiade, t. III, p. 173-174