GRACQ, Julien (1910-2007)

Lettre autographe signée « J. Gracq » [à Ariel Denis]
S.l, 5 août [1969], 2 p. in-8°

«Il est certain que Pouchkine et Tolstoï ont dû avoir plus d’influence sur mes livres que Buzzati, dont je n’ai lu le livre qu’assez peu de temps avant la parution du Rivage des Syrtes »

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Fiche descriptive

GRACQ, Julien (1910-2007)

Lettre autographe signée « J. Gracq » [à Ariel Denis]
S.l, 5 août [1969], 2 p. in-8°
Année rajoutée d’une autre main au crayon

Longue et importante lettre, en remerciement pour un mémoire à lui consacré, dans laquelle l’écrivain revient sur ses influences littéraires et l’évolution de son œuvre


« Cher Monsieur
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre mémoire, et je suis heureux-sans être du tout surpris- qu’il vous ait permis de passer votre examen dans les meilleures conditions possibles.
Je ne crois pas que je ferais miennes les critiques de M. [Jean-Louis] Leutrat, qui tiennent sans soute surtout à sa modestie, car le petit livre qu’il a écrit sur moi est très dense et nourri [Julien Gracq, Éditions universitaires, 1966]. Quant au thème de l’attente, qui avait été le sujet du mémoire de M. Leutrat, il ne pouvait pas concerner directement un travail portant sur les paysages. Je n’ai rien trouvé… qui me semblât réellement inexact : j’ai tout au plus été surpris (peut-être à tort) par le rapprochement entre Le Rivage des Syrtes et les livres de science-fiction. Peut-être aussi l’exposé est-il parfois exagérément coupé par des citations ; mais ici je sais bien qu’il y a des exigences proprement universitaires.
Il est certain que Pouchkine et Tolstoï ont dû avoir plus d’influence sur mes livres que [Dino] Buzzati, [allusion au Désert des Tartares de Buzzati, paru en 1940] dont je n’ai lu le livre qu’assez peu de temps avant la parution du Rivage des Syrtes, alors que le livre était pratiquement terminé.
Si je considérais votre travail, ou si je m’efforçais de le considérer, car c’est bien difficile, d’un point de vue objectif, c’est plutôt une émotion peut-être qui me frapperait (car j’ai beaucoup plus conscience que vous, forcément, du temps qui s’est écoulé d’un livre à l’autre, temps qui pour moi n’est pas cadre chronologique un peu abstrait mais maturation ou vieillissement).
Il me semble que du Château d’Argol au Balcon en forêtil a dû y avoir quelque évolution visible – même dans la façon de voir ou de présenter paysages. Mais sans doute cet angle qui était possible, aurait-il donné à votre travail une dimension exagérée, ou nui à sa précision.

L’essentiel est pour moi le sentiment que vous avez lu et que vous êtes entré dans ces livres d’une manière très juste et très sensible, et que vous avez su le montrer d’autant mieux que vous disposiez d’un jeu de références déjà très ample (parmi lesquelles je ne suis pas du tout choqué que figure aussi le cinéma).
Je vous remercie donc très sérieusement et très cordialement de m’avoir consacré ce très sérieux travail, et d’avoir eu la gentillesse de me le communiquer. Peut-être n’en avez-vous que peu d’exemplaires : veuillez me dire dans ce cas si je dois vous le renvoyer – sinon je le conserverai et le reverrai.
Agréez, cher Monsieur, avec mes remerciements, l’expression de ma sympathie bien vive.
J. Gracq »


Avec Le Rivage des Syrtes, publié en septembre 1951, Gracq renoue avec l’écriture romanesque. L’histoire de la déclinante principauté d’Orsenna, l’atmosphère de fin de civilisation qui l’imprègne (et qui transpose sur le mode mythique les époques de la montée du nazisme et de la drôle de guerre), le style hiératique de l’auteur séduisent la critique qui encense ce roman à contre-courant d’une production littéraire dominée par l’éthique et l’esthétique existentialistes. Le roman est par ailleurs souvent comparé au Désert des Tartares de Dino Buzzati dont la traduction française a été publiée quelque temps auparavant, mais Julien Gracq réfutera le fait qu’il ait pu être influencé par le roman de l’écrivain italien, et évoquera comme source d’inspiration La Fille du capitaine de Pouchkine.
Paru en pleine rentrée littéraire, Le Rivage des Syrtes fait partie des romans sélectionnés pour le prix Goncourt, pour l’obtention duquel il fait bientôt figure de favori. Conformément à ce qu’il avait annoncé, Gracq refuse le prix. Il est le premier écrivain à agir ainsi, ce qui engendre une importante polémique dans les médias.