JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à Pierre Lagarde
St Benoît sur Loire, 6 avril 1942, 1 p. in-4°

« Que dirais-tu si l’un des tiens était dans un camp de concentration et y mourait… »

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Fiche descriptive

JACOB, Max (1876-1944)

Lettre autographe signée « Max Jacob » à Pierre Lagarde
St Benoît sur Loire, 6 avril 1942, 1 p. in-4°
Pliure centrale, annotations typographiques au crayon

Lettre en partie inédite sur la foi et allusion à la rafle des notables, survenue cinq mois plus tôt


« Très cher Pierre
Je suis enchanté de ce petit article. Instruis-toi dans la symbolique : c’est un excellent moyen d’approcher l’intérêt des lèvres des indifférents
[…] Oui ! la médiation ! c’est-à-dire la descente au nombril de l’idée la plus simple. La conviction, le sérieux, l’épanouissement du sentiment. La surveillance de soi-même : se rendre compte à chaque instant de ce qu’on est, de ce qu’on fait, de ce qu’on dit et aussi des autres […] établir le vide en soi-même. Lis la traduction de maître Eckhart qui parait chez Gallimard en ce moment. Maitre Eckhart établit les régions de l’âme et souhaite que nous habitions la plus profonde pour y rencontrer le supérieur.
Pauvre ville !
[Paris] pauvres parents ! Mais que dirais-tu si l’un des tiens était dans un camp de concentration et y mourait comme c’est arrivé à mon beau-frère, laissant ma sœur [Julie-Delphine] à peu près folle de douleur. Prie pour Lucien Lévy mort et sa pauvre femme et pour moi qui n’ai plus le droit de publier. On dit à une dame : ‘C’est le portrait de Max Jacob ! Tiens ! Je croyais qu’il était mort !’ Mort en effet plus qu’elle ne croit.
Amitié fidèle
Max Jacob »


Le poète fait ici allusion à la troisième rafle antijuive, dite la « rafle des notables », opérée le 12 décembre 1941 par la police française. Ce sont au total sept cent quarante-trois citoyens arrêtés, dont René Blum et le bijoutier Lucien Lévy, beau-frère de Max Jacob. Au début de l’année 1942, Max Jacob se cache pendant un mois à Orléans chez les Tixier, belle famille de son ami peintre et sympathisant communiste Roger Toulouse. Le 8 mars 1942, Lucien Lévy meurt au camp de Royallieu, à Compiègne, d’où partiront les premiers déportés qui auront jusque-là survécu à leurs épouvantable condition d’internement. Un mois après cette lettre, Max Jacob assiste à Quimper à l’enterrement de sa sœur aînée Julie-Delphine, tuberculeuse et tuée par le chagrin le 15 avril.

Ses travaux poétiques et médiations, en partie repris par Pierre Lagarde dans son admirable ouvrage Max Jacob – Mystique et martyr, se rapprochent du courant quiétiste. Il assume dès lors sa vie de pêcheur comme condition de sa rédemption. Ses origines juives lui valent, six mois avant la libération de Paris, d’être arrêté par la Gestapo, destin qu’il accepte comme un martyr. Il est interné par la gendarmerie française au camp de Drancy et y meurt cinq jours plus tard, quelques heures avant sa déportation programmée pour Auschwitz.

Provenance :
Archives Pierre Lagarde
Sotheby’s Londres, 29 Nov. 1985, n° 328
Collection particulière, The Alphabet of Genius – Christie’s, 14 déc. 2023, n°109

Bibliographie :
Max Jacob – Mystique et martyr, éd. Pierre Lagarde, La Baudinière, 1944, p. 40
Pierre Lagarde précise dans une notule en référence à la transcription partielle de cette lettre : ‘Il m’écrivait quelques temps plus tard’ : « J’ai, après mon beau-frère, perdu une sœur, morte sans maladie mortelle mais de chagrin. Très seul ! sauf mes amis et la consolation divine. »