JAURÈS, Jean (1859-1914)
Manuscrit autographe signé « Jean Jaurès »
[Paris], c. 1er juin 1906, 10 p. in-4° à l’encre noire
« La loi de séparation sera donc appliquée sans nouveaux désordres et sans crise nouvelle »
Fiche descriptive
JAURÈS, Jean (1859-1914)
Manuscrit autographe signé « Jean Jaurès », titré « Après le Congrès »
[Paris], c. 1er juin 1906, 10 p. in-4° à l’encre noire
Annotations typographiques au crayon bleu, quelques taches et petits trous
Remarquable manuscrit complet d’un article relatif à la séparation des Églises et de l’État, paru en une du journal L’Humanité du 2 juin 1906, six mois après la promulgation de la loi
« Le secret épiscopal et même pontifical a des fêlures. Les évêques ont juré de ne rien dire de leurs discussions et de leurs décisions. Et pourtant, voilà toute la presse qui raconte que les partisans de l’acceptation de la loi l’ont emporté. Le Temps précise même. Il y a eu une majorité de 22 voix pour le principe de l’acceptation ; et cette majorité s’est accrue ensuite quand on est passé aux dispositions de détail. J’ai tout lieu de croire que ces renseignements sont à peu près exacts. Ainsi les évêques, en qui les sages conseils de l’Esprit saint ont été secondées par la leçon des événements et des élections, ont adopté une politique conciliante et sensée. Voilà sans doute tout danger de guerre religieuse écarté.
Il sera en effet difficile au pape [Pie X] de ne pas conformer ses instructions aux avis des évêques. On sait qu’il les a consultés. On sait aussi, malgré l’épaisseur du mystère, quelle a été leur réponse. Il eut été difficile de faire accepter à la masse des catholiques français une politique de combat, même si les évêques l’avaient conseillée ; mais il sera impossible de la faire prévaloir contre l’opinion des évêques eux-mêmes maintenant connue. La loi de séparation sera donc appliquée sans nouveaux désordres et sans crise nouvelle.
Nous nous en réjouissons bien sincèrement. D’abord, c’est un désastre moral pour ces prêtes politiciens et échauffés, pour ces réacteurs forcenés et fourbes qui ont tenté de persuader au suffrage universel qu’au mois de décembre prochain toutes les églises seraient fermées par la force, et que le parti républicain opprimerait les consciences. Que vont dire les bonnes âmes qui se sont laissé duper et exciter ? Voici que de l’aveu même des évêques, la sagesse conseille d’accepter une loi qui fut dénoncée pendant la période électorale comme détestable et diabolique.
Et puis, il ne nous déplaît pas que nul parmi les républicains ne puisse être tenté d’aggraver la loi. Ce n’est pas de la violence, c’est du progrès de la raison publique et nous attendrons l’évanouissement des croyances traditionnelles qui s’opposent au progrès de l’esprit humain.
Enfin, par l’apaisement de la question religieuse, c’est la question sociale qui occupera le premier plan. C’est autour du privilège de propriété que se livrera la bataille des idées et des partis. Nous pourrons demander aux amis de M. Carnot, aux adhérents de l’Alliance démocratique, si c’est nous qui organisons la lutte des classes ou si elle n’est pas la conséquence nécessaire du régime capitaliste. Nous demanderons à la majorité si elle entend faire de la guerre ou du collectivisme, comme M. Carnot, le pivot de sa politique. C’est de clarté surtout que la France a besoin pour continuer sa route. La lumière se lèvera d’autant plus vive et plus nette sur le problème social que l’horizon ne sera plus ni bouleversé ni troublé ni même obscurci par l’orage des passions religieuses.
Jean Jaurès »
La loi de Séparation de l’Église et de l’État, mesure emblématique de la IIIème République, doit énormément à l’action des socialistes. Trois d’entre eux ont particulièrement contribué à la conception, à l’inflexion démocratique, et à l’adoption de la loi en décembre 1905 : le jaurésien Aristide Briand, qui en fut le rapporteur émérite, le manœuvrier qui a mené la Commission des trente-trois où il voulait la conduire, Francis de Pressensé, l’inspirateur, l’initiateur du processus législatif, et le député du Tarn, Jean Jaurès, le chef reconnu, qui a montré la voie et est intervenu dans les moments décisifs.
Durant les trois mois et demi que durent les discussions à la Chambre des députés, de la mi-mars jusqu’aux premiers jours de juillet 1905, les 44 articles de la loi de Séparation sont discutés durant 48 séances et 289 amendements sont déposés et examinés.
La loi est votée à la Chambre le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233. Elle est ensuite votée au Sénat, le 6 décembre 1905 par 181 voix contre 102. La promulgation a lieu le 9 décembre et son entrée en vigueur le 1er janvier 1906. Elle met fin à la notion de « culte reconnu » et fait des Églises des associations de droit privé. De plus l’article 4 organise la dévolution des biens des établissements publics du culte à des associations cultuelles.
La loi est violemment critiquée par le pape Pie X dans sa lettre encyclique Vehementer nos du 11 février 1906, qui condamne la rupture unilatérale du concordat de 1801.
Bibliographie :
L’Humanité, n°776, samedi 2 juin 1906, p. 1