LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre (minute) autographe signée « Lamartine » à Sainte-Beuve
Mâcon, [château de] St Point, 23 nov[embre] 1836, 4 pp. in-4°

« Je dérobe à mes nuits quelques heures matinales pour nos douces et fortes rêveries de jeunesse »

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Fiche descriptive

LAMARTINE (de), Alphonse (1790-1869)

Lettre (minute) autographe signée « Lamartine » à Charles-Augustin Sainte-Beuve
Mâcon, [château de] St Point, 23 nov[embre] 1836, 4 pp. in-4°
Plusieurs repentirs de la main de Lamartine faisant apparaître des variantes inédites avec la lettre publiée dans la correspondance

Longue et admirable lettre de Lamartine à Sainte-Beuve
Livrant quelques réflexions métaphysiques, il donne de ses nouvelles puis évoque ses conditions à une collaboration dans le cadre d’une presse politique avec son correspondant – Le poète dresse par ailleurs les portraits sans concession de Joseph de Maistre et Félicité de La Menais


« J’ai attendu, mon cher ami, pour vous répondre, la réponse de M. de Virieu1. Il vous l’envoie, m’écrit-il hier. Donc rien là-dessus. J’ai connu moi-même beaucoup le Prophète [Joseph] de Maistre2. Je vous ferai de vive voix son portrait physique et moral. C’était une grande et simple figure de la Bible égarée dans le 18eme siècle et ne comprenant rien du 19eme, que le mouvement et le style. Honnête âme, âme Sainte, mais esprit trop aiguisé par la scolastique italienne et catholique du moyen âge et cherchant la pensée dans le paradoxe.
Je le vénère comme homme, je m’en amuse comme philosophe mais je ne prends pas ses ultra-vérités au sérieux. Il n’y a pas une des conséquences de son système social qui ne mène droit à l’inquisition ou à l’avènement de la raison humaine. Jugez du principe.
Vous m’annoncez des vers nouveaux de vous3. C’était une bonne nouvelle, rien n’est venu que l’eau à la bouche. Des vers de vous, des vers intimes et disant au cœur tout haut ce que les ennuis et les tristesses nous disent si mystérieusement à la pensée, c’est une consolation4 toujours. Or nous avons bien le soin d’être consolés. Je suis bien profondément triste non des choses extérieures contre lesquelles il y aurait encore assez de réactions dans ma poitrine, mais d’un long combat qui se passe en moi et où il faut vaincre, pour Dieu, son amour propre, son orgueil, son respect de soi même, son respect humain. Pourquoi recevons-nous deux éducations ? Une des autres, qui le reçoit à priori, une de nous-même et des choses qui nous fait homme trop tard et qui nous fait éparpiller les forces d’une vie déjà trop courte, et d’une individualité déjà trop frêle pour le développement d’une même pensée ? Vous voyez que je veux parler de la question religieuse. Toutes les autres sont légères selon moi.
J’ai reçu l’abbé de la Mennais, mais non encore lu5. C’est un grand et saint athlète qui ne craint pas d’ôter son habit pour combattre et de se montrer nu au peuple.
Je vais le lire. Vous savez que nos deux pensées, l’une excessive, l’autre modérée, ne s’accordent pas, mais nos deux consciences s’estiment toujours.
Après cela parlerons-nous de presse politique ? C’est bien vil. Cependant j’en ferai si vous voulez, organisez cela, mais à condition que vous, Ballanche, Lamenais, Toqueville, Beaumont, Carné, Pagès etc etc. nous écrirons ensemble. Car la serait une force, en moi seul il n’y a rien qu’un instinct droit et rapide des choses.
J’ai passé une triste année ici. Mes affaires de fortunes sont malades, gênées, me préoccupent et inquiètent autour de moi, bien qu’il n’y ait pas ruine. Ma luxation au genou m’a privée d’exercice et de la santé. Le conseil général du département m’a privé de loisir pour la Pensée poétique. Il n’y a que six semaines que je dérobe à mes nuits quelques heures matinales pour nos douces et fortes rêveries de jeunesse. J’ai écrit quelques milliers de lignes comme disent les anglais. J’aurais besoin d’un coup de votre cloche mêlée d’argent et d’airain pour faire vibrer à l’unisson une âme composée en partie du même alliage que la vôtre6. Mais adieu. Voici quatre pages pleines de rien. Ceci vous dit combien je vous aime car je n’ai plus le courage à répondre même une page à personne.
Lamartine »


1- Cette lettre répond à celle de Sainte-Beuve du 16 octobre. Lamartine avait transmis la demande de Sainte-Beuve concernant Maistre à Virieu le 20 octobre.

2- Joseph de Maistre était l’oncle maternel de Xavier et de Louis de Vignet. Xavier, frère aîné de Louis, avait épousé en 1819 une sœur de Lamartine, Césarine. De plus, en 1815, Lamartine avait passé quelques jours chez Joseph de Maistre, à Bissy, près de Chambéry.

3- L’épître Pensée d’août, parue le 2 septembre, et Monsieur Jean, maître d’école, qui ne paraîtra que le 25 novembre, les deux dans Le Magasin pittoresque.

4- Le recueil de Sainte-Beuve, Consolations, avait été publié en mars 1830, trois mois avant les Harmonies de Lamartine.

5- Les Affaires de Rome venait de paraître le 5 novembre et Lamenais en avait envoyé un exemplaire à Lamartine.

6- Lamartine n’a jamais renié l’influence excercée sur lui par Sainte-Beuve en 1829 ; en témoignent les deux Épîtres en vers échangées alors par les deux poètes et recueillies respectivement dans les Consolations et les Harmonies.

Bibliographie :
Correspondance, t. II (1833-1837), éd. Christian Croisille, Champion, p. 529, n°36-149 (pour la lettre envoyée à Sainte-Beuve, aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Institut)