MAUPASSANT (de), Gustave (1821-1900)

Lettre autographe signée « Gustave de Maupassant » à Robert Pinchon
Sainte-Maxime, 9 7bre [septembre] [18]95, 3 p. in-8° sur papier vergé

« Guy était déjà fou quand sa mère lui fit faire son testament »

EUR 1.200,-
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Fiche descriptive

MAUPASSANT (de), Gustave (1821-1900)

Lettre autographe signée « Gustave de Maupassant » à Robert Pinchon
Sainte-Maxime, 9 7bre [septembre] [18]95, 3 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre violette
Filigrane “Au Printemps / Paris / Nouveau papier français”
Infime déchirure à la pliure centrale, un mot caviardé par Gustave de Maupassant

Témoignage inédit dans lequel Gustave de Maupassant accuse ouvertement sa femme Laure d’avoir abusé de la faiblesse mentale de leur fils Guy au moment où celui-ci rédigeait son testament


Nous n’en faisons ici qu’une transcription partielle

« Mon cher Pinchon,
Permettez-moi de vous remercier de l’article de Céard [nous n’avons pas retrouvé l’article dont il est ici question] que vous m’avez envoyé. Ce journal venait de Rouen et c’est bien à vous, je pense, que je dois cette amabilité. J’ai eu beaucoup de plaisir à le relire, je connaissais tous les acteurs et cela m’a bien interessé – hélas ce pauvre La Toque¹ est mort depuis, Guy aussi – il y a déjà deux membres de cette bande joyeuse qui ne sont plus…
J’ai eu bien des ennuis avec la liquidation de mon pauvre fils – Elle n’est finie que depuis 6 jours ! Guy était déjà fou quand sa mère lui fit faire son testament à Cannes et se fit donner 10000 livres de rente qu’il ne pouvait donner – il lui a laissé prendre en outre tout ce qu’elle a voulu […] Elle en a usé et abusé !… N’ayant voulu, par respect pour la mémoire de mon fils, protester en rien j’ai accepté le testament dans toute sa teneur  – je vous parle de tout cela car je veux en venir à cecij’aurais voulu conserver une de ses œuvres les plus curieuses : feuille de rose² […]
J’ai été bien malade depuis que je ne vous ai vu – j’ai eu une hémiplégie il y a trois ans et il m’est resté une boiterie des plus désagréables avec laquelle je suis condamné à faire bon ménage pour le reste de mes jours. Je m’arrête mon cher ami, j’écris difficilement, cela me fatigue – Adieu mon cher Pinchon et encore merci
Tout à vous
Gustave de Maupassant »


Progressivement rongé par une syphilis qu’il contracte dans le cours des années 1870, Guy de Maupassant voit son état de santé décliner brutalement en 1891. Sa correspondance ne laisse place à aucune ambiguïté quant à ses accès de folie et son état physique. Dans une lettre au docteur Despaigne du mois d’octobre, il relate : « J’ai passé une nuit folle sans pouvoir rester au lit, allant de place en place, comme après ma piqûre de cocaïne. Mes yeux, ont l’air de ceux d’un fou. Ma mémoire disparue… ».
Installé dans son appartement parisien du 24 rue Boccador, l’écrivain prend le train le 14 décembre pour Nice, où il compte rendre visite à sa mère. Il rédige son testament le même jour en présence de celle-ci. Un témoignage “confidentiel” de la mi-décembre (venant de Georges Ohnet ou Paul Ollendorff), relayé par le journal Le Jour, explicite par ailleurs l’état de santé dans lequel se trouvait l’écrivain au moment où le testament fut rédigé : « Guy de Maupassant est atteint d’une carie de l’os frontal qui paralyse son intelligence ; il a toutes les peines du monde à trouver ses mots. Il tient des conversations insensées. »
Maupassant fait une tentative de suicide avec un pistolet quinze jours plus tard, dans la nuit du 1er au 2 janvier 1892 (son valet François Tassart avait enlevé les balles). Il saisit alors un coupe papier et tente de s’ouvrir à gorge. Tous les médecins tombent d’accord, une nouvelle crise suicidaire peut survenir à chaque instant, Maupassant doit être hospitalisé.
Un infirmier le prend en charge dans sa résidence cannoise et lui passe une camisole de force. Il est interné le 7 janvier 1892 dans la clinique du docteur Blanche. Après un calvaire interminable, et atteint d’une paralysie générale, il succombe le 6 juillet 1893

Légalement toujours mariés (et ce même après la légalisation du divorce le 27 juillet 1884), Gustave et Laure (née Le Poittevin) de Maupassant étaient séparés de corps à l’amiable depuis 1859.

Maupassant et Robert Pinchon se connurent au Lycée impérial de Rouen. Le père de ce dernier, Adolphe, y enseignait le français. Robert était dans la même classe que Louis de Poittevin, le cousin de Guy. Les deux amis se retrouvèrent plus tard à Paris. Pinchon, dit « La Tôque », faisait partie de la bande des canotiers. La pièce pornographie À la feuille de rose (ici évoquée) fut présentée conjointement par Guy et Robert pour la première représentation, le 19 avril 1875. Robert Pinchon retourne à Rouen vers 1880 et devient bibliothécaire à la ville et critique musical et dramatique dans Le Nouvelliste de Rouen. Il écrit de nombreuses pièces de théâtre qu’il publie en 1894 sous le titre Théâtre. Le souvenir de son ami Maupassant est évoqué dans la préface de l’ouvrage.
Maupassant lui dédie sa nouvelle L’Aventure de Walter Schnaffs, en 1883.

[1] Gustave de Maupassant se trompe, “La Toque” est le surnom du destinataire Robert Pinchon. Il doit nécessairement confondre avec un autre.
[2] La pièce pornographique À la feuille de rose (ici évoquée) fut représentée pour la première fois le 19 avril 1875 par Guy et Robert, et par d’autres camarades de canotage. Gustave de Maupassant assistait à la seconde représentation. Edmond de Goncourt, également présent, livre dans son journal le témoignage suivant :
« C’est lugubre, ces jeunes hommes travestis en femmes, avec la peinture sur leurs maillots d’un large sexe entrebâillé ; et je ne sais quelle répulsion vous vient involontairement pour ces comédiens s’attouchant et faisant entre eux le simulacre de la gymnastique d’amour. L’ouverture de la pièce, c’est un jeune séminariste qui lave des capotes. Il y a au milieu une danse d’almées sous l’érection d’un phallus monumental et la pièce se termine par une branlade presque nature. / Je me demandais de quelle belle absence de pudeur naturelle il fallait être doué pour mimer cela devant un public, tout en m’efforçant de dissimuler mon dégoût, qui aurait pu paraître singulier de la part de l’auteur de La Fille Élisa. Le monstrueux, c’est que le père de l’auteur, le père de Maupassant, assistait à la représentation. / Cinq ou six femmes, entre autres la blonde Valtesse [de la Bigne], se trouvaient là, mais riant du bout des lèvres par contenance, mais gênées par la trop grande ordure de la chose. Lagier elle-même ne restait pas jusqu’à la fin de la représentation. / Le lendemain, Flaubert, parlant de la représentation avec enthousiasme, trouvait pour la caractériser, la phrase :“Oui, c’est très frais !” Frais, pour cette salauderie, c’est vraiment une trouvaille. »

On joint :
Gustave de Maupassant
Carte de visite autographe
Antibes, s.d, 1 p. in-24°, adressée au même
« avec mes plus sincères compliments et condoléances »

Provenance :
Succession Robert Pinchon

Source :
Guy de Maupassant, éd. Marlo Johnston, Fayard, 2012; p. 1036-1037

Nous remercions Yvan Leclerc pour les renseignements qu’il nous a communiqués.