PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée deux fois, « Louis Pasteur » et « LP », à la comtesse Greffulhe
Paris, le 20 février 1892, 2 pages in-8 carré sur bi-feuillet, en-tête de l’Institut Pasteur au 25 rue Dutot

« C’est une grande joie pour moi de vous informer que la pauvre petite irlandaise si gravement mordue à la joue droite, à laquelle vous vous êtes intéressé le jour de votre visite à l’institut Pasteur a terminé son traitement »

VENDU
Ajouter à la sélection
Fiche descriptive

PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée deux fois, « Louis Pasteur » et « LP », à la comtesse Greffulhe
Paris, le 20 février 1892, 2 pages in-8 carré sur bifeuillet, en-tête de l’Institut Pasteur au 25 rue Dutot, sous chemise demi-maroquin noir moderne
Trace de pliure centrale due à l’envoi d’origine

Longue et remarquable lettre de Pasteur sur la rage et la vaccination des chiens, à celle qui inspira Proust pour le personnage de Oriane de Guermantes dans La Recherche


« Madame la Comtesse,
J’aurais répondu plus tôt à votre très gracieuse lettre du 14 février si je n’eusse pris rendez-vous un peu tardivement avec notre ami et ancien élève, le Bon Cochin.
Nous sommes tombés d’accord sur les inconvénients que pourraient entraîner la vaccination des chiens avant ou après morsure. L’emplacement dont nous disposons, rue Dutot, est tout à fait trop exigu, parce que le temps de la vaccination durant quinze jours environ, nous serions vite très encombrés.
Songez au nombre immense de chiens qu’il y aurait à vacciner dans Paris ! Vous aviez pensé à de vastes chenils au jardin d’acclimatation, mais à qui confier le travail ? On dresserait assez facilement des aides. Hélas ! Que le souci de la responsabilité serait grand, par la crainte d’une faute commise ou d’une erreur ! J’ai ouï-dire que dans certains laboratoires antirabiques de l’étranger (qui sont tous nos enfants) on vaccine les chiens de luxe. Moi-même je l’ai fait quelque fois pour des amis et je vous offre volontiers de le faire pour vos chiens préférés. Comment généraliser une pratique de ce genre dans notre pays si démocratique. Et la rage ne serait pas éloignée !!
J’aurais dû commencer ces lignes par vous remercier, Madame, des paroles si flatteuses que vous avez bien voulu m’adresser et qui m’ont rempli d’émotion. « La médecine avant Pasteur. La médecine après Pasteur » Dans la gloire de notre chère France, Dieu veuille que cela soit ! La présence d’une telle formule, croyez bien, Madame, que je n’ai qu’une pensée, celle de mon insuffisance et celle aussi de ne pouvoir, autant que je le voudrais, tenter la réalisation d’un si beau rêve. Je me consolerai en pensant que des voies nouvelles sont ouvertes, que d’autres sauront la suivre et les féconder pour le bonheur du genre humain.
C’est une grande joie pour moi de vous informer que la pauvre petite irlandaise si gravement mordue à la joue droite, à laquelle vous vous êtes intéressé le jour de votre visite à l’institut Pasteur a terminé son traitement. Elle est repartie pour l’Irlande et la digne demoiselle qui l’a accompagnée me donnera de ses nouvelles. J’ai grand espoir que sa guérison, ce que je n’espérais pas au début pace qu’elle est arrivée à Paris trente jours après sa terrible morsure.
Veuillez agréer, Madame, l’hommage de mon plus profond respect. Pasteur

Denys Cochin m’a laissé espérer une nouvelle visite de votre part à l’I.P [Institut Pasteur], en compagnie de votre mari. Peut-être nous ignorons l’art de nous faire valoir autrement que par les résultats de notre travail, ce qui ne devrait jamais être insuffisant.
Comme votre éloquence – votre lettre sous les yeux m’autorise à le dire – et votre grand cœur, sauraient suppléer à ce qui nous manque de ce côté ! Nos chefs de service s’efforceraient de répondre à vos encouragements par la poursuite de quelques grandes découvertes historiques ou pratiques. Celles-ci sont toujours filles de celles-là.
Permettez-moi, Madame la Comtesse, de joindre à cette lettre un exemplaire d’un article que l’un de nos chefs de service, Mr Buclaux, a fait paraître récemment dans la « Revue Scientifique ». Votre âme généreuse pourra faire une comparaison pénible entre les efforts du gouvernement Prussien et ceux de nos pouvoirs publics pour le développement de la science microbienne, inaugurée en France néanmoins. LP »


Les célèbres travaux de Pasteur sur la prophylaxie de la rage ont complètement réorienté l’étude de cette maladie. De sa fine écriture, le scientifique répond ici à la comtesse de Greffulhe, ayant demandé à faire vacciner ses chiens favoris et suggéré de généraliser cette pratique. Pasteur présente ses objections et profite de cette lettre pour faire part à sa lectrice d’un épisode sur la récente guérison d’une jeune femme mordue à la joue.
Cette correspondance témoigne également de son implication dans les travaux de recherche internationaux.

Louis Pasteur (1822-1895) est un scientifique, chimiste et physicien, père de la microbiologie moderne – comme il le laisse clairement entendre dans cette lettre. De son vivant, il connaît, une grande notoriété pour avoir mis au point un vaccin contre la rage.

Elisabeth de Riquet de Caraman-Chimay, dite la comtesse Greffulhe (1860-1952), est une aristocrate française. Mécène pour les sciences et les arts, elle est celle qui a inspiré Marcel Proust pour le personnage de la duchesse de Guermantes dans son chef-d’œuvre À la recherche du temps perdu. 

Lettre publiée dans la Correspondance de Pasteur, 1840-1895, Grasset, 1946, vol. IV, p. 327