PERET, Benjamin (1899-1959)

Lettre autographe signée « Benjamin Peret » à René Alleau
Paris, 12 février 1958, 1 p. in-4

« Ces chutes sont inhérentes à ma condition d’intellectuel indépendant et révolté… »

EUR 1.200,-
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Fiche descriptive

PERET, Benjamin (1899-1959)

Lettre autographe signée « Benjamin Peret » à René Alleau
Paris, 12 février 1958, 1 p. in-4

Longue et poignante lettre de Benjamin Péret, dans les tous derniers mois de sa vie – Le poète surréaliste constate son triste état, jusqu’à évoquer le suicide


« Cher René Alleau, J’ai souvent regretté, au cours de ces derniers mois, que Versailles en dépit de sa proximité apparente de Paris, nous ait tenu si éloigné. Jadis, au moins, pouvions-nous nous rencontrer ici ou là ; mais aujourd’hui cette possibilité même a si bien disparu que je tiens en réserve depuis plusieurs mois un livre qui vous est destiné et que j’hésite à confier à la poste de crainte qu’il ne s’abîme, à cause de son volume. Pourtant vous êtes un des rares hommes que j’ai plaisir à voir apparaître, d’autant que ce plaisir est toujours enrichissant. 
Me voici donc réduit à vous écrire pour rétablir un contact amical entre nous. Et pourtant, que je déteste écrire une lettre. Celle-ci en particulier puisque je dois vaincre toute pudeur pour étaler une situation devenue dramatique depuis le retour des vacances. A partir de cette date, je suis allé d’échec en échec, si bien que j’ai dû, en novembre, me résigner à rechercher un travail de correcteur d’imprimerie afin de subsister en attendant des jours meilleurs. J’en ai trouvé, mais dans de telles conditions matérielles que ma tension artérielle est passée de 16 a 21 en janvier. Or vous savez que je souffre d’une angine de poitrine. Il m’a fallu cesser et chercher autre chose que je n’ai pas encore trouvé. Il est vrai que les possibilités sont très limitées : journalisme interdit. Sauf emplois techniques, édition également, que reste-t-il ? Tout cela ne serait encore rien puisque ces chutes sont inhérentes à ma condition d’intellectuel indépendant et révolté, le comble est survenu hier. J’habite une chambre minuscule, dont on m’a soustrait l’air et la lumière pendant mon séjour au Brésil pour construire une cheminée qui me déverse nuit et jour suie et fumée. C’était déjà intolérable, mais hier un envoyé du service d’hygiène de la ville de Paris est venu m’annoncer qu’il considérait ce local impropre à l’habitation pour raison d’insalubrité. Insalubre, cette chambre ? Je le savais depuis longtemps par ma propre expérience, mais cette décision officielle va avoir pour conséquence de me faire chasser de ce lieu dont je ne suis que locataire. Où aller ? Depuis dix ans, je cherche en vain dans Paris deux pièces avec une cuisine et un cabinet de toilette (ou une salle de bain), voilà où j’en suis, à 59 ans, pour avoir refusé de me transformer en épicier, comme tant d’autres ! Bien sûr, il y a toujours la solution définitive, mais ce serait s’avouer vaincu, et je ne le veux pas.
J’ai hésité longtemps à vous confier cela et j’aurais peut-être reculé sans l’insistance d’André
[Breton]. Ne m’en veuillez surtout pas et considérez que ces lignes sont inexistantes si vous n’y pouvez rien. De toute manière un mot de vous me serait agréable. 
Mes meilleures amitiés à Madame Alleau et à vous de tout cœur. 
Benjamin Péret »


René Alleau (1917-2013) est écrivain et alchimiste quoiqu’ingénieur de formation. Il est également un ami d’André Breton et s’intéresse à l’ésotérisme. Franc-maçon, il a à cœur de suivre une voie médiane éloignée des excès du scientisme comme de l’occultisme. Il participe à l’élaboration de l’Encyclopædia Universalis et dirige la collection d’éditions Bibliotheca Hermetica chez Denoël.