PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Poème autographe : Chant funèbre d’un représentant
[Saint-Paul-de-Vence, 14 avril 1953], 4 p. in-plano (25 x 43,7 cm)

« J’avais le mal de mort / et sans même en mourir / comme d’autres le mal de mer / sans pouvoir le vomir »

EUR 6.800,-
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Fiche descriptive

PRÉVERT, Jacques (1900-1977)

Poème autographe : Chant funèbre d’un représentant
Adressé à Maurice Saillet, de la revue littéraire Les Lettres nouvelles
[Saint-Paul-de-Vence, 14 avril 1953], 4 p. in-plano à l’encre noire (25 x 43,7 cm), chacune paginée
Enveloppe autographe timbrée et oblitérée (28,5 x 22,5 cm)
Jacques Prévert a inscrit son nom et son adresse au dos de l’enveloppe
Traces de pliures inhérentes à la mise sous pli d’origine
Plusieurs caviardages et corrections inédits de la main de Prévert
Quelques annotation typographiques (de la main de Maurice Saillet ?)

Long et magnifique poème au format spectaculaire paru dans son recueil La Pluie et le Beau Temps

Manuscrit ayant servi à la première publication en mai 1953 dans Les Lettres nouvelles

Provenant de la collection B. & R. Broca


« Mouvement des navires
mouvement des marées

Tu t’étais fait attendre
pendant des jours entiers
A la porte du Sept
le garçon a frappé
il m’a donné la lettre
et puis tout a tourné

Mouvement des navires
mouvement des marées

J’avais le mal de mort
et sans même en mourir
comme d’autres le mal de mer
sans pouvoir le vomir
Rien qu’en voyant l’enveloppe
j’avais tout deviné
dans la lettre de ta sœur
ton sort était marqué

Mouvement des navires
mouvement des marées

Alors je suis sorti
sans même me laver
et puis j’ai remonté
la rue de la Gaîté
et dans l’avenue du Maine
j’ai pris un verre de rhum
et le patron m’a dit
histoire de rigoler
Le petit verre du condamné
Il ne croyait pas si bien dire
cet homme qui savait rire

Mouvement des marées
mouvement des navires

A la gare Montparnasse
la gare que tu aimais
j’ai pris un ticket de quai
Je suis resté longtemps
à errer dans la gare
et je ne pensais qu’à ta vie

Mouvement des navires
mouvement des marées

Colliers de coquillages
bals de Vaugirard et de Saint-Guénolé
et le pas de tes pieds
sur le sable mouillé
toujours je l’entendais
et les quais étaient balayés
à intervalles réguliers
par les feux du phare de Penmarch

Mouvement des navires
mouvement des marées

Ton sort c’était hier
le mien c’est pour demain
et ta robe neuve et rouge
quand tu l’enlevais
jamais je n’oublierai
tout ce que tu disais
toi qui souriais toujours
comme seul sourit l’amour
Tu vois c’est le rideau d’un théâtre
et j’espère que toujours le spectacle te plaira
quand le rideau se lèvera

Mouvement des navires
mouvement des marées

Fraises de Plougastel
crêpes de sarrasin
hier c’était hier
oh que serai-je demain

Mouvement des navires
mouvement des marées

Oh je ne vendrai plus
des souvenirs de vacances
des boîtes en coquillages
et des coquilles Saint-Jacques
le paysage dedans
Je vendrai des vieux sacs
je vendrai des cure-dents
horaire itinéraire
Finistère Finistère
tout ça c’est déchiré

Mouvement des navires
mouvement des marées. »


Ce poème est à rapprocher de Sous le soc…, paru dans le même recueil (p. 58), avec lequel il présente quelques détails communs. Le narrateur, séparé de celle qu’il aime, se souvient avec nostalgie de leur passé. Si la femme semble décédée dans Chant funèbre d’un représentant, la disparition de celle-ci semble plus énigmatique dans Sous le soc…
Si le narrateur n’oubliera jamais les paroles de sa bien-aimée au moment ou celle-ci enlevait sa robe rouge, il n’oublie pas non plus Saint-Guénolé, un phare, le Finistère, hauts symboles bretons si chers au poète.

Manuscrit demeuré inconnu à Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster pour les Œuvres complètes à la bibliothèque de la Pléiade
Trois variantes sont à observer entre le texte publié dans Les Lettres nouvelles et la version reprise dans le recueil La Pluie le Beau Temps du 16 juin 1955.
Ainsi, les vers du quatrième distique (n° 32 et 33) sont inversés dans la première publication de 1953 :
« Mouvement des marées
Mouvement des navires »
Une incise du même distique est présente entre les vers 36 et 37 : « J’ai pris un ticket de quai » et « Je suis resté longtemps ».
Enfin, aux vers 76 et 77, « Je vendrai des moulages » « Je vendrai des cure-dents » devient « Je vendrai des vieux sacs » « Je vendrai des cure-dents ».

Maurice Saillet (1914-1990) fait ses débuts comme libraire auprès d’Adrienne Monnier à La Maison des amis des livres, située 7, rue de l’Odéon à Paris. Après avoir été contributeur à la revue K (1948), Saillet cofonde en 1953 la revue littéraire Les Lettres nouvelles avec Maurice Nadeau. On peut supposer que ce dernier, proche de Prévert depuis les années 1930, a bénéficié du généreux concours de son ami poète pour le lancement de la revue. Les Lettres nouvelles devient en 1977 la propre maison d’édition de Nadeau qu’il fonde en 1977 et dirige jusqu’à sa mort en 2013.

Provenance :
Collection B. & R. Broca

Bibliographie :
Les Lettres nouvelles, mai 1953, n°3
La Pluie et le Beau Temps, Le Point du Jour, NRF, 1955, p. 52-55
Œuvres complètes I, éd. Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster, Pléiade, 1992, p. 668-670