[PRINCE IMPÉRIAL] BIZOT, Adrien (1848-1929)

Lettre autographe signée « Adrien Bizot » au Prince Impérial
Melun, 20 septembre 1878, 4 p. in-8°

« Triste pays, Triste temps ! Mais patience, le soleil d’Austerlitz n’est pas mort ! »

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Fiche descriptive

[PRINCE IMPÉRIAL] BIZOT, Adrien (1848-1929)

Lettre autographe signée « Adrien Bizot » au Prince Impérial
Melun(1), 20 septembre 1878, 4 p. in-8°
Petites déchirures au plis, légère tache sur la première page, quelques petites insolations

Longue et remarquable lettre adressée au Prince Impérial par l’un de ses trois amis intimes, Adrien Bizot
Ce dernier nourrit, à l’instar du Prince, l’espoir d’un retour de l’Empire en France


« Monseigneur,
J’ai voulu attendre le départ de Conneau pour venir vous dire avec quelle joie j’ai reçu communication de la lettre que vous aviez écrite à Louis(2). Il m’en coûtait trop de renoncer au charmant voyage que vous vouliez bien nous offrir, et en même temps je ne voulais rien faire à la légère, désirant ne pas perdre, par mon imprudence, les petits avantages d’une position que j’ai choisie avec l’intention de rendre, dans ma sphère bien modeste, le plus de services que je pourrai au Prince.
J’ai été droit au Soleil ; je me suis d’abord adressé à mon Général de division ; il a été charmant, m’a félicité chaudement d’avoir su inspirer à Votre Altesse une affection assez sérieuse pour qu’elle désire m’avoir elle dans une excursion aussi intéressante, mais en même temps m’a fait remarquer que par le temps qui court, je risquais fort de me voir remercié à mon retour en France, de quelque façon que je m’y prenne, ne pouvant et ne voulant pas, du reste, me cacher en quoique ce soit !
J’ai été au ministère à Paris, là, m’a-t-on dit, on ne me refuserait et on ne m’accorderait rien ; le ministre n’étant jamais sûr de son lendemain ne ferait rien qui pût rendre encore plus instable une position des plus branlantes ; en outre, m’a-t-on dit, le moindre accroc me ferait rappeler immédiatement, et me ferait refuser à perpétuité toute demande de congé à l’étranger ! – Dois-je ajouter à toutes ces raisons que j’ai le malheur d’être atteint d’une maladie grotesque, qui fera rire le Prince, mais qui me fait plutôt pleurer ! J’ai la coqueluche, Monseigneur, et ce depuis un mois ! Conneau vous dira à quelles extravagances de toux je me livre parfois et ajoutera que dans ces moments critiques ma conversation n’a rien d’attrayant ! Les médecins, réunis en assemblée consultative, déclarent que dans cinq ou six semaines je serai débarrassé de cette tuile, mais il n’en est pas moins vrai qu’à l’heure qu’il est je ne suis pas bon à grand-chose, sinon à continuer philosophiquement le travail régulièrement monotone de l’Etat-Major d’une division … même de cavalerie.
Dans ces conditions, Monseigneur, et un peu consolé de mon absence forcée, par les récits que me fera Conneau à son retour, j’ajourne au commencement de novembre(3) mon voyage près de votre Altesse.
Il reste cependant bien entendu, que si pour une raison ou pour une autre vous désiriez me voir de suite, dans un délai de huit jours je serai près de Votre Altesse, et ce avec une permission régulière, que je saurais toujours obtenir.
J’ai mon travail annuel à faire, et mes inspections générales successives, jointes au splendide déplacement !!!!! de la revue de Vincennes(4) ne m’ont pas encore permis de le commencer : c’est une étude intéressante, sur une période d’exploration faite par une division de cavalerie indépendante, et j’avoue que je désire y donner tous mes soins ! Peut-être si je ne suis pas trop mécontent de mon œuvre, demanderai-je au Prince la permission de lui communiquer mon travail lorsque j’aurai l’honneur de le voir en Angleterre !
Conneau vous racontera nos conversations, nos soirées à Meaux ; il vous dira combien nous avons parlé de vous, et avec quelle impatience nous scrutons l’avenir qui ne nous parait pas couleur de rose !
Vous rappelez-vous, Monseigneur, une phrase que vous m’avez dite en 1875 (5): “On me parle d’attendre ! Soit ! Mais pendant ce temps le pays se pourrit et je ne veux pas commander une nation lâche et énervée”.
Certainement je ne croyais pas à ce moment vous voir être à ce point dans la vérité : hélas aujourd’hui plus que jamais le français ressemble à l’écrevisse cuite : il devient rouge et marche à reculons, et dire que six mille braves gens déterminés, bien armés, bien commandés et n’hésitant pas, feraient de Paris ce qu’ils voudraient ! Triste pays, triste temps ! Mais patience, le soleil d’Austerlitz n’est pas mort !
Je m’arrête là pour aujourd’hui, Monseigneur : avec quelle impatience je vais attendre le retour de Conneau, pour recueillir tous les récits qu’il aura à me faire : il vous redira, Monseigneur, combien je vous aime ; j’espère qu’il n’apprendra rien au Prince ce qui suit qu’il n’a pas un ami plus fidèle, un serviteur plus absolument dévoué que son vieux et reconnaissant sujet.
Adrien Bizot
Il reste entendu, Monseigneur, si mon plan ne vous déplaît pas, que j’irai en Novembre vous demander l’hospitalité pendant une semaine à Chislehurst ; à partir du 1er Novembre je serai à vos ordres, et d’avance je me suis arrangé de façon à ce qu’on ne puisse me refuser cette permission »


1- Adrien Bizot se trouvait alors en garnison à Melun, en tant que capitaine à l’Etat-Major de la 4e division de cavalerie

2- Lettre du 6 septembre 1878 à Louis Conneau (d’après une note établie par Adrien Bizot, recensant la correspondance du Prince à lui adressée).

3- Adrien Bizot se rendra finalement en Angleterre à la fin du mois de novembre.

4- Le 15 septembre 1878, le Maréchal Président de la République passa en revue, sur le champ de manœuvre de Vincennes, le 4e corps d’armée, les troupes stationnées dans le gouvernement de Paris et la 4e division de cavalerie.

5- Adrien Bizot, installé alors à Oran en qualité de commandant de troupes actives, s’était rendu à Camden Place en mars 1875. Une correspondance entre les deux amis, la première datée du 6 avril 1875 (Bizot), la seconde écrite très probablement en mai (Prince impérial), évoque ce séjour.

Adrien Bizot est le Fils du général de génie Michel Bizot, tué au siège de Sébastopol (1855), et de Sophie de Lochner, ancienne sous-gouvernante du Prince impérial.
« Bizot fit partie de cette trinité de soldats qui était si chère [au Prince], qui revient si souvent dans ses lettres, qui est dans ses pensées jusqu’au dernier jour : Bizot, Conneau, Espinasse »
(Le Prince impérial, souvenirs et documents – Augustin Filon, 1912, p. 57).