PROUST, Marcel (1871-1922)
Poème-pastiche autographe signé « Marcel Proust »
S.l.n.d [c. été 1908], 2 p. in-8°, liseré de deuil
« Seigneur, si vous daignez m’admettre dans les Salles / Où le Juste rompra le Pain Essentiel, / Que de marbre aussi pur étincellent vos stalles ! »
Fiche descriptive
PROUST, Marcel (1871-1922)
Poème-pastiche autographe signé « Marcel Proust » au marquis Philibert de Clermont-Tonnerre
S.l.n.d [c. été 1908], 2 p. in-8° sur papier filigrané, liseré de deuil
Filigrane : « Original / Turkey Mill / Kent »
Trace de pliure centrale inhérente à l’envoi d’origine
Rare et admirable poème-pastiche de Proust, à la manière de Robert de Montesquiou, dont il moque quelque peu le style
« “Prière du Marquis de Clermont-Tonnerre”¹
(Imité de Robert de Montesquiou)
Je greffe les rosiers dont sont fleuris les marbres,
Ceux du Paros “mousseux” et du Carrare “thé”,
Et, de ces rosoyants et ces blondissants arbres,
Je sais tirer des chants inconnus d’Hardy-Thé !²
Mon pinceau fait courir au rinceau des abaques
Cet or qui fait marcher, à ce qu’on dit, Cloton !³
Trianon⁴, Vézelay, ne sont que des baraques,
Quand l’esprit les compare au Palais Lauriston !⁵
Seigneur, si vous daignez m’admettre dans les Salles
Où le Juste rompra le Pain Essentiel,
Que de marbre aussi pur étincellent vos stalles !
De Glisolles et d’Ancy⁶, que soit digne le Ciel !
(pour copie conforme⁷
Marcel Proust) »
[1] Le titre rappelle les Prières de tous de Robert de Montesquiou (1902), illustré par Madeleine Lemaire.
[2] Lucien Hardy-Thé, compositeur et chanteur mondain.
[3] Clotilde Legrand (1857-1944), née de Fournès, surnommée « Cloton ». Elle entretient vers 1890 une relation avec Guy de Maupassant.
[4] Montesquiou acquiert en 1908 le palais Rose du Vésinet, copie réduite du Grand Trianon de Versailles.
[5] Les Clermont-Tonnerre demeuraient en leur hôtel, au 74 de la rue de Lauriston à Paris.
[6] Le duc Aimé Gaspard Marie de Clermont-Tonnerre (1779-1865) possédait un château, bâti au XVIIIᵉ siècle, à Glisolles dans l’Eure, et un autre bâti au XVIᵉ siècle à Ancy-le-Franc dans l’Yonne.
[7] Proust indique « pour copie conforme », pratique courante à l’époque et dont il avait l’habitude pour ses pastiches.
Proust reprend avec ce pastiche le motif floral abondamment utilisé par Robert de Montesquiou dans ses œuvres et poèmes. Quand ce dernier fait paraître son premier recueil Les Chauves-souris en 1893, Proust (22 ans à l’époque) lui écrit le 29 avril que « Jamais les fleurs vaines des jardins n’ont senti si bon » (Corr., t. I, p. 206). Les deux hommes se rencontrent pour la première fois quelques jours plus tôt chez Madeleine Lemaire, le 13 avril 1893. Dandy au profil pur, le regard fascinateur… Montesquiou, futur modèle de Charlus, provoque l’admiration de Proust. Les deux hommes échangent par la suite une abondante correspondance, souvent flatteuse du côté de Proust. Si le jeune écrivain n’a de cesse de louer le goût de Montesquiou pour l’étalage érudit des noms, des références culturelles et du mot rare, on observe au travers du présent poème-pastiche un brin de moquerie à l’égard du style du dandy-poète. Au moment où Proust songe à reprendre son pastiche de Saint-Simon, « Fête chez Montesquiou » (Textes retrouvés, éd. P. Kolb, Gallimard, p. 191-195), il écrit à Montesquiou le 16 février 1909 sans oublier les précautions d’usage : « Au fond le pastiche qui m’amuserait le plus à faire, quand je pourrai écrire un peu (sans préjudice d’études plus sérieuses) c’est un pastiche de vous ! Mais d’abord cela vous fâcherait peut-être, et je ne veux pas que rien de moi vous fâche jamais […] ! » (Corr., t. IX, p. 34).
Tous deux conserveront cependant une amitié qui durera jusqu’aux derniers jours de Montesquiou, en 1921.
L’épître, adressée au marquis Philibert de Clermont-Tonnerre (1871-1940), est publiée par sa femme Elisabeth de Clermont-Tonnerre (née de Gramont) en 1955, dans le Bulletin Marcel Proust. Cette dernière, qui rencontre Proust pour la première fois en 1903, publie Robert de Montesquiou et Marcel Proust chez Flammarion en 1925.
Provenance :
Philibert de Clermont-Tonnerre (destinataire)
Elisabeth de Clermont-Tonnerre, née de Gramont, par descendance
Bibliographie :
BSAMPAC, n°5, 1955, p. 5 (publié par Elisabeth de Clermont-Tonnerre)
Correspondance, t. VIII, Kolb, Plon, p. 207 (n°111)
Essais, éd. Antoine Compagnon, 2022, Pléiade, p. 630
Source :
Marcel Proust I – Biographie, Jean-Yves Tadié, Folio, pp. 283-295
Essais, éd. Antoine Compagnon, 2022, Pléiade, p. 1605-1606