PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Robert de Flers
[Paris, le 6, 7 ou 8 novembre 1913] 4 pages in-8

« L’ouvrage total s’appellera A la Recherche du Temps Perdu »

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Fiche descriptive

PROUST, Marcel (1871-1922)

Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Robert de Flers
[Paris, le 6, 7 ou 8 novembre 1913](1), 4 pages in-8

Lettre capitale dans laquelle Proust donne le plan de À la recherche du temps perdu


« Cher Robert, Pardon de t’ennuyer encore. Mon éditeur Grasset voudrait qu’on annonçât dans un écho du Figaro la prochaine apparition de mon livre. Comme Mr Hébrard a chargé un de ses rédacteurs de m’interroger et de faire sur moi un « article d’atmosphère » (2) je voulais attendre cela qui aurait fourni les éléments de la note mais comme je ne sais quel jour je serais assez bien pour voir ce m[onsieu]r, j’ai peur que cela retarde trop car il faudrait que cette note passât d’ici un jour ou deux.(3)

Mon livre paraît le 14 et ceci est une « indiscrétion » littéraire (langage d’éditeur). L’ouvrage total s’appellera A la Recherche du Temps Perdu [ ;] le volume qui va paraître (dédié à Calmette) : « Du Côté de chez Swann ». Le second Le Côté de Guermantes, ou peut’être « A l’ombre des Jeunes Filles en fleurs » ou peut’être « les Intermittences du Cœur » (4) ou peuLe troisième : Le Temps Retrouvé ou peut’être l’Adoration l’Adoration Perpétuelle (5). Ce qu’il faut dire c’est que ce ne sont nullement mes articles du Figaro mais un roman à la fois plein de passion et de méditation et de paysages.

Surtout c’est très différent des Plaisirs et les jours et n’est ni « délicat » ni « fin ». Cependant une partie ressemble (mais en tellement mieux) à la Fin de la Jalousie (6). Je voudrais que le long silence que j’ai gardé et qui m’a laissé inconnu quand d’autres avaient l’occasion de se faire connaître ne fît pas qu’on annonçât cela comme un livre dénué d’importance. Sans y en attacher autant que certains écrivains qui s’en exagèrent certainement la valeur, j’y ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, ma vie même. Si en q.q. [quelques] lignes tu peux annoncer ce livre tu me ferais bien grand plaisir. Tout à toi. Marcel Proust »


1 – Cette lettre est écrite quelques jours avant le 14 novembre 1913, date de publication de Du côté de chez Swann. En effet, Proust y annonce « Mon livre paraît le 14 » ; il demande qu’on en fasse une annonce dans Le Figaro (voir note 3). Elle doit donc dater du 6, 7 ou 8 novembre 1913.

2 – Adrien Hébrard était directeur du journal Le Temps. Un « article d’atmosphère », comme le nomme Proust, est antérieur à celui du Figaro : il paraît la veille de la publication, le 13 novembre, sous la signature Élie-Joseph Bois. Proust écrit cette lettre avant d’avoir reçu le journaliste.

3 – La note que Proust sollicite paraît en première page du Figaro le dimanche 16 novembre 1913.

4 – « Les intermittences du cœur » n’est pas seulement l’une des sections les plus émouvantes d’A la recherche du temps perdu (dans Sodome et Gomorrhe). Proust la considère comme un possible titre d’ensemble, en témoigne cette lettre.

5 – Proust n’a pu choisir entre ces deux titres pour indiquer le dénouement de son œuvre, parue à titre posthume. « L’adoration perpétuelle », dont il est ici question, fait allusion au Saint-Sacrement dans la liturgie catholique. Cela consiste à rendre un hommage ininterrompu à Dieu. Ainsi, les fidèles d’une même paroisse se relayent devant Lui à tour de rôle, de sorte qu’il y ait toujours des adorateurs.
Notons que Proust fait mention de ce titre dans une lettre qu’il a adressée à Gallimard en novembre 1912. Les deux titres continuent à figurer ensemble dans le plan de l’œuvre annoncé en 1918. Il est probable que Proust ignore alors que ce titre est déjà celui un roman d’amour de Guy de Teramond, en 1902.
Le choix final pour Le Temps retrouvé permet en outre de donner une forme de symétrie syntaxique avec le nom de l’œuvre entière.

6 – Comme le fait remarquer Jean-Yves Tadié dans La Fin de la jalousie, Proust décrit l’évolution de l’amour, du paradis à l’enfer, comme le résumé de l’amour de Swann pour Odette (Kolb).

 

Il n’existe, selon Jean-Yves Tadié, qu’une « poignée » de lettres de Marcel Proust faisant référence au plan de La Recherche. L’écriture de celle-ci, à peine une semaine avant le lancement du premier tome, et l’expression du sens profond que l’œuvre représente aux yeux de l’auteur en font une lettre fondamentale. 

Kolb t. XII p. 298