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Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Fernand Gregh
S.l.n.d. [Paris, 13 nov. 1903], 2 p. 1/2 petit in-8°, avec enveloppe
« Depuis ton mariage, je suis au supplice »
Lettre autographe signée « Marcel Proust » à Fernand Gregh, son condisciple au Lycée Condorcet
S.l.n.d. [Paris, 13 nov. 1903], 2 p. 1/2 petit in-8° à l’encre noire, sur papier vergé
Filigrane : « Au Printemps Paris – Nouveau Papier Français »
Joint : Enveloppe autographe, timbrée et oblitérée
Ancienne trace d’onglet sur la quatrième page
Foisonnante lettre de Proust, pétri de remords amicaux excessifs : entre une coupe d’Émile Gallé brisée, un livre perdu et une allusion aux futurs modèles de Du Boulbon et Bergotte
« Cher ami, voici un livre du Dr Dubois mais je crains que cela ne soit pas celui-là. Sinon veux-tu me dire le titre exact, je ferai de nouvelles recherches. En attendant, je te demande bien pardon. Je suis très en retard pour t’écrire. J’avais à te remercier pour le Dr Dubois précisément. Mais je suis si gêné avec toi.
Depuis ton mariage, je suis au supplice [le 23 mars 1903, Gregh épouse Harlette Hayem, nièce du médecin, industriel et collectionneur d’art Charles Hayem]. La coupe azurée sur laquelle je voulais faire graver « Une coupe taillée au plus beau jour du monde » a éclaté. Enfin, tant que tu n’auras pas reçu en échange un petit souvenir de moi, si modeste soit-il, mais du moins expiatoire de la faute que j’ai commise d’entreprendre le projet d’un présent irréalisable, et puis, retombé malade, d’avoir laissé les choses aller, je ne serai pas tranquille et mes rapports avec toi en seront singulièrement faussés.
Au revoir, cher ami et ne manque pas de me dire si le livre du Dr Dubois n’est pas le tien et de me désigner un peu exactement le tien (je dis que ce que je t’envoie n’est pas ton exemplaire, mais est-ce la même chose ?).
Mon oncle est allé voir le Dr Dubois qui lui a dit : « je ne peux rien vous faire, vous n’avez rien ». Mon oncle a été persuadé et en somme cela a plutôt amélioré son état.
En somme monsieur France dans son admirable discours sur Renan avait tort de dire que nous n’avons pas de prophètes en Occident. En voilà un. Et tu prouves que nous avons aussi des poètes. Ton admirateur et ton ami, Marcel Proust »
Célèbre professeur de neuropathologie de l’époque, le docteur Paul Dubois tenait une clinique à Berne et publia plusieurs ouvrages, dont De l’influence de l’esprit sur le corps (1901). Fernand Gregh avait reçu ses soins en 1900, et Proust, qui songeait à le consulter en 1905, le recommanda à son oncle Denis-Georges Weil.
Proust, qui cite les théories de Dubois dans les notes de sa traduction de Sésame et les Lys de Ruskin, transposerait également l’anecdote de la visite de son oncle au docteur dans Le Côté de Guermantes : Dubois dit à Weil qu’il n’était pas malade et celui-ci en ressentit immédiatement un mieux, comme il advient à la grand-mère du Narrateur auprès du docteur Du Boulbon. Proust ferait également mourir son personnage de l’urémie qui emporterait son oncle.
L’oncle Weil, personnage amical de l’enfance heureuse de Proust : Frère de la mère de Proust, Denis-Georges Weil représente un parfait exemple de l’union familiale que Proust connut dans son enfance, qui se caractérisait par une étroite vie commune et un amour partagé de la conversation – l’oncle Weil tint de longues causeries littéraires avec l’écrivain au point parfois d’en oublier l’heure de se rendre au tribunal où il occupait une charge de magistrat. Il fut en outre copropriétaire avec madame Proust de l’immeuble du boulevard Haussmann où Proust viendrait habiter à partir de 1906.
Une coupe de Gallé brisée : L’épigraphe que Proust aurait voulu faire graver sur une coupe par le célèbre verrier Gallé s’inspirait d’un passage du poème Joie de Fernand Gregh, extrait de son recueil La Beauté de vivre (1900) : « La mer miroite et rit, calme, lieue après lieue, / La mer, sous le ciel pâle, est une coupe bleue, / Taillée en un saphir immense, un jour d’azur, / Aux premiers temps du monde, au matin le plus pur […] / Et que la vie enfin te soit, bleue et profonde, / Une coupe taillée aux premiers jours du monde, / Au matin le plus clair, au moment le plus bleu, / Dans l’azur, par les mains de l’ineffable Dieu ! »
Un discours d’Anatole France sur Renan : Proust, qui eut de l’admiration pour Renan et fréquentait Anatole France (futur model de Bergotte), fait ici en fin de lettre une allusion au discours que prononça France lors de l’inauguration de la statue de Renan à Tréguier (13 septembre 1903), dans lequel il racontait : « [Un prince oriental] me demandait avec une surprise à peine feinte et un orgueil asiatique, comment il se faisait que l’Occident n’eût point de prophètes, lorsqu’en Orient il s’en levait sans cesse des milliers. »
Provenance :
Fernand Gregh
Puis coll. particulière
Bibliographie :
Corr., t. III, Kolb, Plon, n°254
RDM, 15 janv. 1954, p. 291-292