SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe à Eugène Delacroix
Nohant, 25 Xbre [décembre] [18]52, 4 pp. grand in-8°

« Quel temps d’amertume et de mélancolie pour les pauvres artistes chercheurs d’idéal sur la terre ! »

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Fiche descriptive

SAND, George (1804-1876)

Lettre autographe à Eugène Delacroix
Nohant, 25 Xbre [décembre] [18]52, 4 pp. grand in-8°

Longue et riche lettre d’une écriture serrée de l’écrivaine à son ami Delacroix au lendemain du coup d’État de Napoléon III – Elle évoque les rixes parisiennes et la possibilité d’une guerre civile, puis fini sa lettre par la demande d’un tableau au maître pour son fils Maurice


« Cher ami, je comptais bien que j’irai vous souhaiter la bonne année à Paris avec Maurice Maurice. Mais au milieu de ces événements, j’ai pensé qu’il valait mieux aller rejoindre Maurice à Nohant, que de l’appeler à Paris. Ce n’est pas que je craignisse pour ma personne à Paris. Je ne suis pas très peureuse, vous le savez, mais, au milieu des éventualités d’une guerre civile, il vaut mieux être chez soi, pour préserver sa responsabilité au milieu des conflits possibles. Je savais bien que les habitants de la Vallée Noire, loin de se révolter, trouverait bon ce qui s’est fait. Mais l’orage pourrait venir de plus loin, et quoi qu’on en dise, les partis ne résonne guère.
Je suis donc revenue ici le 4 décembre, et nous y avons été fort tranquilles, sauf le chagrin d’apprendre les malheurs où se sont jetés les pauvres paysans du midi, prétendus socialistes. Le mot est bien ronflant pour eux, et je veux être pendue s’ils savent ce que cela veut dire. Je crois bien plutôt que loin d’être poussés par des idées ils ne le sont que par des intérêts mal entendus. S’il y a, comme les journaux le disent, des gens assez lâches pour les exciter et pour les abandonner ensuite, cela ne mérite pas de pitié. Mais nous ne voyons pas encore clair dans ses récits, qui n’entend qu’une cloche entend qu’un son. On pourra juger quand on saura. Nous voici donc dans une phase nouvelle, renouvelée du passé comme tout ce que nous faisons depuis longtemps. Espérons qu’on donnera du travail et de l’instruction à ceux qui en manque. Si l’on agit ainsi, les questions de l’avenir ne seront plus nécessairement résolues par des coups de fusil et de canon, triste et inévitable solution du passé et du présent… quel temps d’amertume et de mélancolie pour les pauvres artistes chercheurs d’idéal sur la terre ! Où sont les nymphes et les faunes de la peinture, les bergeries de la littérature par ce temps de émeutes et d’electoris ? Où retrouverons-nous nos paisible divinités ? Aussi faites-vous des monstres terribles foudroyé par l’Apollon vainqueurs.
À propos de peinture, n’oubliez pas, chers amis, que je vous ai demandé les étrennes de Maurice. Envoyez-moi une de vos moindres bribes qui sont des trésors pour nous, et soyez gentils au point de m’envoyer cela par les messageries Nationales, tout emballé, pour le 1er janvier ; à fin qu’il ait sa surprise.
Donnons-nous ses petites joies de famille pour nous consoler des agitations du dehors. Si la belle Lélia que vous avez commencée n’est pas finie, gardez-la-moi pour plus tard, et envoyez-moi un truc, un Lyon, un cheval, une odalisque, ce que vous voudrez, ce que vous aurez de sec dans un coin de vos bahuts. Mais pauvres humble 200 Fr. vous seront porté aussitôt après le 1er janvier, parce que je touche quelque sous Paris à cette époque-là. Ne me dites pas que vous n’en voulez pas. Qu’est-ce que ça vous fait de vendre à moi ou un autre, puisque j’irai le chercher chez votre Marchand de tableau, si vous ne vouliez pas me le vendre directement ?
Comment va votre coffre ? Mon pauvre vieux ? Le miens est fort endommagé, mon foie me fait cruellement souffrir et m’ôte le sommeil. Enfin c’est comme Dieu voudra. Écrivez-moi et penser à mon petit envoi. Je vous enverrai bien Monsieur Leblanc pour vous épargner l’ennui de l’emballage et de l’adresse, mais c’est lui qui a fait une scène tragique ou plutôt comique, à votre cordon de sonnette. C’est un brave digne homme, mais un peu fou, je crois, et j’aime autant, s’il est dans ses frasques, vous en épargner la rencontre. Faites donc faire une petite caisse sous l’œil de Jenny est adressé à Monsieur Édouard Davenat conducteur à Châteauroux pour Madame Sand. Vous enverriez cela aux messageries par votre portier qui retirerai le numéro d’enregistrement, vous le garde riez, en cas de réclamation affaire, si le paquet ne m’arrivait pas. Songé que ce n’est pas un envoi d’allumette, et qu’une chose de vous, mérite ses précautions.
Bonsoir, cher ami, Maurice et Solange, et Lambert, et Monceau vous disent des choses tendres ou respectueuse chacun selon son mérite, et je vous embrasse de cœur »


Après quelques distances prises l’un vis-à-vis de l’autre suite à des divergences politiques, décembre 1851 et le coup d’État de Napoléon III semble rapprocher les deux artistes dans une quête pacifique. L’échec de la Révolution de 1848 marque l’arrêt de l’activité militante de George Sand et l’amorce des désillusions. Le bonheur des peuples est-il une utopie, un idéal inaccessible ? L’avenir lui donne malheureusement raison, elle se contente de s’éloigner de Paris en rentrant à Nohant dès le 4 décembre pour échapper aux éventualités d’une guerre civile. George Sand décide alors toutefois de prendre fait et cause pour les condamnés et prisonniers politiques. Elle entreprend de multiples démarches en leur faveur, au cours des mois de janvier et février 1852. Elle écrit plusieurs lettres à l’Empereur qui finit par lui accorder deux audiences dont la première a lieu le 30 janvier 1852.

Références :
George Sand – Correspondance, Lubin, t. X, p. 602-604, lettre n°5163
Sand Delacroix – Correspondance, éd. Françoise Alexandre, p. 189 – 190, lettre 131

Provenance :
Achille Piron (légataire universel de Delacroix)
Marc Loliée