VERLAINE, Paul (1844-1896)
Lettre autographe signée « P. Verlaine » à Armand Gouzien
Paris-Montmartre, [Septembre-octobre 1871], 2 p. in-8°
« Ma femme qui est enceinte a été hier au soir et toute cette nuit horriblement souffrante et moi sur pied et sur les dents »
Fiche descriptive
VERLAINE, Paul (1844-1896)
Lettre autographe signée « P. Verlaine » à Armand Gouzien
14, rue Nicolet, Paris-Montmartre, [Septembre-octobre 1871], 2 p. in-8° à l’encre noire sur papier vergé
Renfort du pli central au ruban adhésif sur le second feuillet, quelques petites décharges d’encre sur certains mots
Aux heures de ses toutes premières rencontres avec Rimbaud, le jeune Verlaine évoque la difficile grossesse de sa femme Mathilde, sur le point d’accoucher de leur fils Georges
« Mon cher Gouzien,
Je suis véritablement navré de vous faire faux-bond aujourd’hui. Voici mon excuse. Ma femme qui est enceinte a été hier au soir et toute cette nuit horriblement souffrante et moi sur pied et sur les dents. Dans ces conditions il m’a été de toute impossibilité de me livrer à un travail intellectuel quelconque. Pour vous prouver toute ma bonne volonté, je vous envoie ci-jointe quelques l’informe ébauche de ma lettre projetée. Voyez si par hasard vous n’en pourriez rien tirer.
Je me propose de vous aller voir demain matin à l’effet de bien m’entendre avec vous sur l’esprit politique les nuances et les choses à mettre ou ne pas mettre, étant donné l’esprit de la rédaction.
Et vous pourrez compter sur la lettre d’après-demain. Ne me tenez pas trop rigueur et croyez-moi toujours bien vôtre.
P. Verlaine
14, rue Nicolet, Paris-Montmartre »
On peut dater cette lettre avec certitude entre septembre et octobre 1871. D’une part grâce à l’adresse d’où elle est envoyée et d’autre part parce que Mathilde Mauté, 17 ans, n’a pas encore accouché. L’irruption de Rimbaud dans la vie du couple Verlaine-Mauté marque, comme chacun sait, son inéluctable descente aux enfers. Après divers échanges épistolaires entre les deux poètes, Rimbaud reçoit l’hospitalité chez les Mauté le 10 septembre 1871, au deuxième étage du 14 rue Nicolet, sur le flanc Est de la butte Montmartre. Les choses s’enveniment rapidement du fait des nombreuses débauches nocturnes auxquelles se livrent les deux nouveaux compagnons.
Impoli et plein de poux, ne se lavant jamais, Mathilde est scandalisée par l’attitude de Rimbaud qui par ailleurs a volé un crucifix accroché au-dessus du lit des époux et cassé exprès des objets auxquels elle tenait précieusement. Trois semaine après son arrivée, Rimbaud est donc prié de trouver un autre logement, “autour du 15 octobre” comme le souligne Jean-Jaques Lefrère dans sa biographie consacrée au poète. Son nouvel ami parti, Verlaine n’en devient que plus irascible, comme il le laisse entrevoir dans la présente lettre : « moi sur pied et sur les dents ».
Ses états d’ivresse et les violences physiques exercées sur Mathilde se succèdent. À la fin d’octobre, quelques jours avant l’accouchement, Verlaine ira même jusqu’à jeter à bas du lit sa femme dont une réflexion sur « l’indélicatesse » de Rimbaud lui a déplu. Le petit Georges naît le 30 octobre sans la présence de Verlaine, absent toute la journée.
Armand Gouzien (1839-1892) fut le directeur de la Revue des lettres et des arts. Verlaine y donna « Les Loups » et « Un Grognard », plus tard recueillis dans Jadis et Naguère. Il avait une assez bonne opinion de Verlaine comme journaliste, au point de l’inviter à collaborer au Gaulois, dans lequel lui-même rendit compte des Fêtes galantes.
Bibliographie :
Correspondance générale, t. 1, éd. Michael Pakenham, Fayard, p. 222 – 71/13