ZOLA, Emile (1840-1902)

Épreuves corrigées de son roman La Bête humaine
Paris, janvier 1890, 45 placards imprimés au recto

« Je t’aime, je ne laisserai jamais personne te faire du mal… Vois, comme cela est bon d’être ainsi, l’un dans l’autre ! »

EUR 65.000,-
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Fiche descriptive

ZOLA, Emile (1840-1902)

Épreuves corrigées de son roman La Bête humaine
Paris, janvier 1890, 45 placards imprimés au recto, soit 38 in-plano, 5 in-folio et 2 in4°.
Parfait état de conservation malgré quelques effrangements à la marge supérieure des premiers placards, quelques piqûres de rousseurs

Précieux jeu complet d’épreuves, abondamment corrigé de la main de Zola, pour l’édition originale de son chef-d’œuvre La Bête humaine


La Bête humaine en gestation

Les placards de ce jeu d’épreuves font état de l’avancée de l’auteur dans l’écriture de son chef-d’œuvre. Emile Zola s’est adonné à une relecture méticuleuse de toutes les lignes, affinant le style, caviardant et corrigeant pour une plus grande justesse de ton et de rythme. Ainsi, le tout est abondamment annoté, à l’exception des placards n°35 à 38. Les corrections les plus importantes se trouvent sur les placards n°2 à 13 et 40, qui correspondent aux chapitres I à IV et XI. Aussi, Georges Charpentier a ajouté des apostilles au crayon sur les vingt-neuf placards et deux mentions indiquant à Zola de désormais respecter la division paginée.

Ces épreuves présentent un état d’avancement intermédiaire entre le manuscrit et le texte publié. En témoignent certains extraits :

– « Roubaud, près de sa femme écoutait, en fixant également sur elle des yeux vacillants. Il y eut une minute de mortelle angoisse » devient « Près de sa femme, Roubaud écoutait, en fixant également sur elle ses gros yeux pâles » puis, dans la version définitive, « Près de sa femme, Roubaud écoutait, en fixant sur elle ses gros yeux vifs ».

– « Seulement, ce matin-là, Roubaud dut reprendre haleine, comme si sa respiration lui manquait, à la suite d’un saisissement inutile. Il hésitait, il chercha avant de se rappeler ce que lui avait dit son collègue » devient « Seulement, ce matin-là, Roubaud, hésitant, dut chercher, avant de se rappeler ce que lui avait dit son collègue ».

Notons également un grand soin accordé à la typographie, preuve d’une relecture méticuleuse et exigeante.

Le placard n°40 comprend un ajout important de dix-sept lignes, dans lesquelles l’auteur naturaliste valse avec le registre lyrique. Amour et mort s’invitent :

« – Dis, mon chéri, pourquoi donc ai-je peur ? Sais-tu, toi, quelque chose qui me menace ? 
– Non, non, sois tranquille, rien ne te menace. 
– C’est que tout mon corps tremble, par moments. Il y a, derrière moi, un continuel danger, que je ne vois pas, mais que je sens bien… Pourquoi donc ai-je peur ? 
– Non, non, n’aie pas peur… Je t’aime, je ne laisserai jamais personne te faire du mal… Vois, comme cela est bon d’être ainsi, l’un dans l’autre ! 
Il y eut un silence délicieux. » 

Le roman

La Bête humaine, dix-septième volet de la saga des Rougon-Macquart, est écrit entre mai 1889 et janvier 1890 et sort en librairie chez Georges Charpentier la première semaine de mars 1890, après une parution en feuilletons dans l’hebdomadaire La Vie populaire du 14 novembre 1889 au 2 mars 1890. Comme Germinal (1885), il cible un aspect de la sphère industrielle et prolétaire de la fin du XIXe siècle.

Dans ce roman judiciaire, les principaux personnages sont des meurtriers. Émile Zola a amalgamé plusieurs faits divers bien réels, dont probablement les crimes de « Jack l’éventreur », brossant une fresque pessimiste, violente et monstrueuse, où l’on se tue pour des motifs aussi divers que la cupidité, la jalousie ou même la folie héréditaire. En menant cette narration et s’interrogeant sur le remords, il inscrit son œuvre dans les discussions contemporaines sur le sens moral et social des crimes. Il a nourri son travail de la lecture de Crime et Châtiment de Dostoïevski (traduction française parue en 1885) et d’ouvrages de criminologie par Cesare Lombroso, Prosper Lucas et Gabriel Tarde. Il en profite pour faire la satire d’une magistrature inféodée au pouvoir par le personnage du juge Denizet. L’erreur judiciaire qu’il commet souligne les limites de la justice rendue par les hommes et l’impossible infaillibilité de toute méthode rationnelle.

Le lectorat est saisi par la rencontre entre tradition et modernité, par l’alliage époustouflant entre archaïsme des instincts et avancée technique. La locomotive prend des traits humains et devient un individu à part entière, jusqu’à la tragique « bête aveugle et sourde qu’on aurait lâchée parmi la mort ».

Enfin, à cette part lyrique s’ajoute une dimension fantastique, ainsi que l’explique Henri Mitterrand : « La Bête humaine survit par ses aspects fantastiques, par l’intensité de ses leitmotive et de ses rythmes, et par la perfection de quelques-unes de ses pages – les dernières, par exemple – où s’harmonisent étonnamment les extravagances de l’action et la modernité baroque du décor ». 

Les reliques littéraires d’Emile Zola sont très rares en mains privées. En effet, selon le vœu du romancier, Alexandrine Zola, son épouse, a placé la quasi-totalité de ses documents manuscrits sous la garde de la nation en 1904. Ainsi, c’est à la BNF que se trouvent les précieux dossiers et un grande partie des épreuves corrigées des Rougon-Macquart et des Trois Villes.

Ce jeu d’épreuves est demeuré inconnu à Henri Mitterand pour son édition de La Bête humaine dans la bibliothèque de la Pléiade (Paris, Gallimard, Nrf, 1966, réédition 2021)