[AFFAIRE DREYFUS] ZOLA, Emile (1840-1902)

Manuscrit autographe signé « Emile Zola »
[Grosvenor Hotel, Londres, le 19 juillet 1898], 5 pages in-4°

« De toute ma lettre au président de la République, on avait extrait savamment quelques lignes… pour empêcher la vérité de se faire jour sur l’affaire Dreyfus »

EUR 40.000,-
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Fiche descriptive

[AFFAIRE DREYFUS] ZOLA, Emile (1840-1902)

Manuscrit autographe signé « Emile Zola »
[Grosvenor Hotel, Londres, 19 juillet 1898], 5 pages in-4 sur papier ligné
Traces de pliures, petites fentes, petit trou central sur le cinquième feuillet sans manque de texte

Manuscrit inédit sur l’Affaire Dreyfus

Six mois après sa lettre ouverte « J’accuse… ! » au président Félix Faure, Zola fait une rétrospective de son procès tout en témoignant de son engagement sans relâche pour la cause du capitaine Alfred Dreyfus


« La vérité aveuglante est pourtant que ce sont nos adversaires qui, dès le premier jour, et par les moyens les plus monstrueux, se sont efforcés et s’efforcent encore de nous fermer violemment la bouche. […] De toute ma lettre au président de la République [« J’accuse…! »], on avait extrait savamment quelques lignes, limitant les poursuites uniquement pour empêcher la vérité de se faire jour sur l’affaire Dreyfus. Le plan était de me condamner tout en me bâillonnant. Et l’on se souvient du terrible : ‘La question ne sera pas posée’, revenant sans cesse, sabrant tout, éteignant toute lumière. […] Enterrer l’affaire, tout l’ardent désir est là, il n’y a rien d’autre au fond de l’effroyable campagne qu’on mène contre nous […] nous n’avons d’autre idée que de la faire vivre jusqu’à ce que la vérité et la justice triomphent […] Les choses vont trop bien, l’abcès mûrit, nous avons tout intérêt à attendre qu’il crève. Comment ! Esterhazy est sous les verrous et l’on s’imagine que nous ne sommes pas curieux de savoir avant toute chose quelle partie de vérité va éclater ! Je veux bien être condamné, mais tout de même la complaisance au martyre a des bornes […] On aura beau jusque-là travestir nos actes, prodiguer les mensonges et les ignobles injures, nos amis savent que nous resterons les soldats impassibles du vrai, incapables d’une reculade, capables de tous les sacrifices et de toutes les attentes, les plus rudes et les plus anxieuses. Emile Zola »


Ce manuscrit est un article inédit d’Émile Zola rédigé en juillet 1898, six mois après sa lettre ouverte « J’accuse… ! » s’inscrivant directement dans sa continuité. Il s’agit du seul article sur l’Affaire que Zola a écrit pendant son exil. Destiné à figurer en première page de L’Aurore, il n’a jamais été publié, car très probablement censuré par Georges Clemenceau, rédacteur au journal. Ce dernier s’est en effet servi du présent manuscrit pour publier « Pour la Preuve » en une de L’Aurore du 20 juillet 1898. À la lecture des deux textes, « Pour la Preuve » apparaît nettement plus édulcoré que « Pour la Lumière », et largement expurgée par endroits. Toute la puissance du verbe « Zolien » disparaît ainsi sous les traits d’un article fade et sans saveur.

Le manuscrit date du tout début de l’exil londonien de l’écrivain. Le 18 juillet 1898, la condamnation de Zola, suite à la publication de « J’accuse… ! » le 13 janvier de la même année, est confirmée par le tribunal de Versailles. Sur injonction de Georges Clemenceau et son avocat Fernand Labori, Zola quitte la France pour Londres le jour même, avant la fin du procès.
Les circonstances entourant la rédaction de « Pour la lumière » sont assez bien connues grâce à différentes sources : la correspondance de Zola, le journal que l’écrivain a tenu pendant son exil (publié, plus tard sous le titre de « Pages d’exil »), et une note que Bernard Lazare a laissée sur ces événements. Les cinq feuillets de l’article sont écrits durant la fin de journée du 19 juillet 1898 dans une petite chambre située au dernier étage du Grosvenor Hotel, dans laquelle l’écrivain se sent comme emprisonné : « la fenêtre était barrée par la frise ajourée qui couronne tout l’immense bâtiment : un avant-goût de la prison », rapporte-t-il dans ses Pages d’exil.
« Pour la Lumière » devait offrir une réponse à tous ceux qui accusaient l’écrivain de fuir la justice tout en faisant la rétrospective de son procès depuis son coup d’éclat du 13 janvier, point de bascule dans l’affaire Dreyfus.

Le manuscrit, resté à ce jour inédit, marque pour Zola un exil qui durera presque un an. Aucun texte de sa main concernant l’Affaire ne paraîtra en France avant le mois de juin 1899, date de son retour.

Provenance :
Collection Alfred Cortot

Références bibliographiques :
Alain Pagès, Émile Zola, un intellectuel dans l’affaire Dreyfus. Histoire de « J’accuse », Paris, Librairie Séguier, 1991, p. 271-272 ; Émile Zola. De « J’accuse » au Panthéon, Saint-Paul, Éditions Lucien Souny, 2008, p. 213-214 – Reinach Joseph, Histoire de l’affaire Dreyfus, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2006 [1ère éd., 1901-1911], t. I, p. 1056-1057 (sur le procès de Versailles du 23 mai 1898) ; t. II, p. 32-35 (sur le procès de Versailles du 18 juillet 1898).